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Neurologie et littérature, à l’époque de la neuroculture

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I. Neurologie et littérature

1. La tradition française du lien entre neurologie et littérature
Les relations entre la neurologie et la littérature sont particulièrement importantes dans la tradition française : toutes les études depuis celles de Michel Bonduelle en1996 jusqu’à de plus récentes ont souligné le lien entre les médecins neurologues et le milieu littéraire parisien aux XIXe et XXe siècles. Charcot dans les présentations du mardi devant un auditoire en partie mondain aime à illustrer ses diagnostics d’exemple pris dans le domaine de l’art et de la littérature. La relation entre l’écrivain Alphonse Daudet et le neurologue est emblématique de ce lien entre neurobiologie et littérature. Daudet assiste aux Leçons du Mardi de Charcot et Charcot assiste aux Jeudis de Daudet où il est en compagnie de Zola et des Goncourt. Le fils d’Alphonse Daudet, Léon le futur polémiste d’extrême-droite, avait commencé des études de neurologie. Quand la maladie de Daudet, un tabès syphilitique, devint plus oppressante, Charcot resta un ami attentif mais impuissant à le soigner. Léon Daudet remarquait que le neurologue n’avait jamais guéri personne mais qu’il était brillant dans la description de tous les symptômes. La relation entre Alphonse Daudet et Charcot se reflète aussi dans l’une des nouvelles de l’écrivain, intitulée A la Salpêtrière qui met en scène en 1896 un souvenir vieux d’une décennie d’une séance de consultation de Charcot.
 
Oliver Sacks rappelle que Gilles de la Tourette était aussi écrivain: « La Tourette lui-même fut si fasciné par le phénomène de la possession qu’il écrivit une pièce sur les possédées de Loudun (Un anthropologue, 126). Joseph Babinski est un autre exemple d’un grand neurologue lié au milieu littéraire. S’il a donné son nom à un réflexe cutané plantaire et inventé de nombreux termes dont pithiatisme et anosognosie, le médecin de la mère de Marcel Proust est aussi l’auteur d’une pièce de théâtre intitulée Les Détraqués, pièce connue d’André Breton qui travailla dans le service de Babinski en 1917. Du docteur Babinski il écrit en 1962 dans une note de l’édition revue de Nadja qu’il « garde grand souvenir » :« Je m’honore toujours de la sympathie qu’il m’a montrée- l’eût-elle égaré jusqu’à me prédire un grand avenir médical ! – et, à ma manière, je crois avoir tiré parti de son enseignement, auquel rend hommage la fin du premier Manifeste du surréalisme [1]». Et depuis l’article pionnier d’Yves Tadié en 1998 les liens entre Proust et la neurologie ne cessent d’être approfondis.
Un moment important dans la relation entre neurologie et littérature fut la parution de l’article du neurologue Alajouanine dans la revue américaine Brain en 1948, intitulé « Aphasia and artistic realization ». Dans cet article célèbre, Théophile Alajouanine qui fut médecin de Valéry Larbaud et ami de Paul Valéry traite de trois cas d’aphasie rencontrés chez ses patients, en l’occurrence, celui de Valéry Larbaud, de Maurice Ravel et d’un peintre dont l’identité est restée secrète jusqu’à l’enquête de François Boller, Paul-Elie Gernez.
 
Aujourd’hui Jean Metellus, poète romancier d’origine haïtienne qui écrivit « Le parcours d’Alajouanine ».dans La Nouvelle Revue Française en 1978, continue cette lignée de neurologue écrivain. Il a publié parmi des livres qui traitent d’abord de l’histoire haïtienne, un roman Charles-Honoré Bonnefoy en 1990, consacré à un neurologue qui fut son ancien patron et son modèle, le professeur Garcin. Cette tradition est illustrée aussi par Antoine Sénanque et Catherine Thomas Anterion, tout comme l’avait pratiquée Marc Jeannerod avec L’homme sans visage et autres récits de neurologie quotidienne de 2007.
 
La majorité des récits de ce livre s’associe à la mémoire d’un écrivain. « L’homme sans visage », la nouvelle éponyme qui se passe à Lisbonne est placée sous le signe de Pessoa. La seconde « Monte Verita » raconte une scène rarement observée par un neurologue, celle d’un accident vasculaire cérébral en train de se réaliser, dans un train de la Suisse italienne, ce qui lui fait évoquer Hermann Hesse. La troisième nouvelle qui est associée à la Comtesse de Noailles dont est cité un poème rappelle les conditions inhumaines dans les hôpitaux psychiatriques pendant la Seconde Guerre Mondiale. « Le danseur de Heathrow » cite longuement Rilke, témoin à Paris d’un promeneur victime de chorée. « Marcel, Antonin et les autres » étudie ce que peut signifier l’invasion d’hallucinations notamment chez Antonin Artaud. « Absence d’espace » qui a lieu à Trieste et fait référence à la Conscience de Zeno d’Italo Svevo traite de la conséquence d’une attaque cérébrale, quand le patient souffre d’hémi-négligence[2]. Non seulement le patient ne voit pas le côté –en général gauche de son champ de vision– mais il n’a pas conscience de ne pas le voir. Et l’auteur de raconter une visite à l’une de ses connaissances, un neurologue allemand spécialiste de la négligence du côté gauche qui, lui-même victime d’une attaque cérébrale et d’une négligence du côté gauche était totalement incapable d’être conscient de ce déficit dont il était pourtant un spécialiste notoire. Contrairement aux récits d’Oliver Sacks, les récits de Marc Jeannerod ne tirent pas leur origine de ses patients et constituent à chaque fois une véritable nouvelle. Comme l’écrit l’auteur dans sa préface: « le propos déborde inévitablement le cadre du cas clinique qui l’a provoqué (12).» et de fait chaque nouvelle s’apparente à un apologue. Le dernier chapitre, différent des autres, n’est pas lié à une histoire vécue par l’auteur: rappelant la triste histoire de la lobotomie, il se termine par la croyance que les nouvelles technologies de stimulation du cerveau par électrode auront un effet médical positif. L’inventeur de la lobotomie, le neurologue portugais Egas Moniz a reçu le prix Nobel en 1951, pour cette procédure aussi cruelle qu’inefficace. A partir de la publication de l’article en 1936 d’Egas Moniz, rappelle de son côté Oliver Sacks dans « Le dernier hippie», cette procédure aberrante est devenue extrêmement populaire dans les milieux neurologiques d’autant que ces opérations étaient faciles à mener. Oliver Sacks ajoute: « elles exigeaient un pic à glace pour tout matériel[3] (107)». Sacks cite un poème de Robert Lowell dans «Memories of west Street and Lepke » qui fait référence à un sujet lobotomisé nommé Lepke :
 
Flasque, chauve, lobotomisé,/ Il voguait dans un calme penaud/ Où aucun réexamen angoissant/ Ne troublait jamais son attention au point/ De détourner son attention de la chaise électrique…/ Il planait comme une oasis dans le vide
De ses relations perdues…(107)
 
Dans un chapitre consacré à l’amnésie et intitulé « Une mémoire vide » Jeannerod raconte un souvenir d’un stage d’internat où il assiste à des crises d’épilepsie d’un patient, celui-ci «avait ressenti brusquement l’impression de revivre un épisode de sa vie. Il revoyait un lieu qu’il identifiait, où se déroulait une scène avec des personnes qu’il connaissait (119)». L’auteur rapproche ce témoignage vécu de souvenirs de lectures de Wilfred Penfield. Le neurochirurgien canadien avait découvert que la stimulation électrique des lobes temporaux font surgir des souvenirs chez les patients restés conscients durant l’opération qu’il menait, consistant à supprimer les parties du cerveau d’où étaient issues les crises d’épilepsie, opération appelée la Montreal procedure dont Penfield est l’initiateur dès les années 1930[4] :
 
J’avais alors découvert dans les livres que Wilder Penfield, le neurochirurgien canadien, avait décrit des phénomènes semblables chez des malades dont il stimulait le cortex cérébral pendant qu’il les opérait. Lorsque le point stimulé était situé dans certaines régions du lobe temporal, le malade avait soudain l’impression de revivre un événement qu’il connaissait. ()
 
Marc Jeannerod souligne sa fascination devant ce spectacle déconcertant: « Le fait qu’une stimulation du cerveau, artificielle ou pathologique, puisse provoquer l’apparition d’un phénomène aussi « psychique » qu’un souvenir complexe, même s’il est maintenant bien avéré, demeure un fait troublant(120)». Le spectacle de patients qui, le crâne ouvert, parlent, se souviennent, sous l’impulsion d’une électrode est sans doute l’une des images les plus emblématiques des neurosciences contemporaines[5].
 
2. Le cas neurologique: « un nouveau genre littéraire »…hérité du XIXe siècle
Il existe une autre tradition tout à fait vivante d’une relation spéciale entre la neurologie et la littérature dont le russe Alexander Louria s’était fait le défenseur et dont il devint le modèle encore aujourd’hui aux Etats-Unis pour Oliver Sacks, celui de la narration du cas neurologique. Dans sa présentation du dernier livre d’Oliver Sacks, Hallucinations, Siri Hustvedt souligne l’actuelle modernité d’une telle tradition continuée avec la création de département d’écriture dans les facultés de médecine: « the rise of narrative-medicine departments like the one directed by Rita Charon at Columbia University, in which doctors draw insights form and explore forms of literature for their work with patients (“Shock to the Senses”)[6] ». Siri Hustvedt en souligne le besoin actuel pour lutter contre une «culture that devalues fiction, continues to graduate doctors with scant knowledge of medical history and produces one crude, reductive philosophically naive book on “the brain “ after another. »
 
En effet, auteur de traités scientifiques sur la neuropsychologie, Louria[7] revendiquait un autre aspect de l’activité scientifique, celui de l’art de la description clinique qui devait continuer la tradition de la « science romantique » :
 
In the previous century, when auxiliary laboratory methods were rare, the art of clinical observation and description reached its height. One is unable to read the classical descriptions of the great physicians J. Lourdat, A. Trousseau, P. Marie, J. Charcot, Wernicke, S. Korsakoff, Head, and A. Meyer without seeing the beauty of the art of science. Now this art of observation and description is nearly lost. (The Autobiography177)
 
Dans le même chapitre intitulé « Romantic Science » de l’autobiographie, Louria se recommande de cette tradition: « My efforts to revive the traditions of romantic science resulted in two books, The Mind with a Shattered World (1968) and The Man with a Shattered World (1972). In each of these works, I tried to follow in the steps of Walter Pater in Imaginary Portraits, written in 1887, except that my books were unimaginated portraits. (178) ». Une Prodigieuse mémoire a connu en France une nouvelle et plus ample réception grâce à sa republication en seconde partie du livre intitulé L’Homme dont le monde volait en éclats (1995) avec une préface du psychoneurologue américain Oliver Sacks. L’adaptation de la narration de Louria par Peter Brook au Théâtre des Bouffes du Nord, en 1998, sous le titre Je suis un phénomène, a contribué également à une plus ample diffusion de son œuvre.
 
Dans son livre Une Prodigieuse mémoire en 1965, Louria relate sa relation, qui a duré des années 1920 aux années 1950, avec un patient hypermnésique qu’il nomma Veniamin, alors journaliste d’une trentaine d’années. Eisenstein fait allusion, dans son livre The film Sense (1942), à l’une des sessions auxquelles il a assisté avec ce jeune journaliste russe qui parlait aussi le yiddish et l’araméen. Il possédait des facultés de mémoire prodigieuses, sans souffrir d’aucun déficit neurologique; il n’était ni un idiot savant, ni un autiste. Louria commençait son récit Une Prodigieuse mémoire par une référence emblématique à Lewis Carroll: « Nous suivrons la petite Alice à travers la surface froide du miroir, pour nous retrouver au Pays des Merveilles, où tout nous est si familier et si proche, et en même temps si étrange et insolite…» (200). Comme le rappelle Oliver Sacks, Louria relie le monde autre de ces « étranges patients» de l’Institut neurologique soviétique, avec le monde du fantastique et du merveilleux un autre patient est ainsi comme un « conteur aux mille et une histoires […] ce Shéhérazade » (Le patient, 147) et de même Oliver Sacks aura la même tendance esthétisante en plaçant en exergue de son L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, une citation de William Osler: « Parler de maladies est un divertissement du genre des Milles et une Nuits (8) ». Car la vie des patients lui semble avoir une qualité fabuleuse : « je me suis senti obligé de parler de contes ou de fables autant que de cas (11) ».Dans son livre suivant, ce monde deviendra la planète Mars.
 
Dans sa préface à l’édition française de L’homme dont le monde volait en éclats, Oliver Sacks commente ce qu’il nomme chez Louria des « romans neurologiques »: recréer des biographies à partir de descriptions analytiques et d’une capacité d’empathie. Selon lui, les récits de Louria, « au-delà de la forme médicale et scientifique, […] fondent véritablement un nouveau genre littéraire» (Luria, 18). Dans les préfaces et les introductions de ses propres ouvrages, le neurologue se recommande de la tradition du récit clinique du XIXe siècle qu’il veut faire revivre. Dans la même préface Oliver Sacks qui reconnaît avoir pris Louria comme modèle d’écriture, évoque avec lyrisme la possibilité de transformer le récit des patients neurologiques en « nouveaux mythes » (11) :
 
Les fables classiques ont des figures archétypiques – héros, victimes, martyrs, guerriers. Les patients atteints de troubles neurologiques sont tout cela à la fois –-et -, dans les histoires étranges racontées ici, ils sont aussi quelque chose de plus. Lequel de ces termes mythiques ou métaphoriques nous permet en effet de définir le « marin perdu » et les autres personnages insolites de ce livre ? Nous pouvons dire qu’ils sont les voyageurs de contrées inimaginables- contrées dont, autrement, nous n’aurions pas la moindre idée. C’est la raison pour laquelle leurs vies et leurs voyages me semblent relever du fabuleux, et c’est pourquoi j’ai mis l’image des Mille et une Nuits d’Osler en épigraphe, et me suis senti obligé de parler de contes ou de fables autant que de cas. Dans des domaines de ce genre, le scientifique et le romantique tentent de se réunir – Louria aimait à parler ici de « science romantique » : ils se réunissent à l’intersection du fait et de la fable, intersection qui est la caractéristique des vies racontées ici (comme de celles dont parle mon livre Cinquante Ans de sommeil).
Mais quels faits ! Quelles fables ! a quoi les comparerons-nous ? Il n’existe peut-être pas de modèles, de métaphores ou de mythes pour en parler. Peut-être le temps est-il venu de forger de nouveaux symboles et de nouveaux mythes ? (11)
 
La méthode et le succès de Sacks ont attiré un nombre certain de critiques. On peut trouver dans l’article de G Thomas Couser la somme des critiques[8] qu’une partie du monde médical a pu faire à Oliver Sacks « The Cases of Oliver Sacks: The ethics of Neuroanthropology», de 2001. Un secret a été bien gardé par l’auteur lui-même, sa propre condition neurologique, car Oliver Sacks souffre d’une prosopagnosie, difficulté ou impossibilité à reconnaître les visages. Il avait pourtant fait un article sur un cas de prosopagnosie, « L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau », du livre éponyme. Mais en 2010 dans un article du New Yorker Oliver Sacks confesse avoir une face blindness, ce qui est handicapant pour un docteur qui devrait reconnaître ses patients. Peter Brook avait mis en scène L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau en 1993 aux Bouffes du Nord, ce docteur musicien devenu incapable de reconnaître les visages jusqu’à confondre la tête de sa femme avec un chapeau, mais à l’époque Oliver Sacks gardait son secret pour lui. Depuis la condition visuelle de l’auteur a empiré et dans son livre The Mind’s Eye, la description des cas cliniques a pris un tour autobiographique. Siri Hustvedt souligne dans sa critique cette nouvelle tendance autobiographique chez Sacks ainsi dans Hallucinations qui inclut«Sacks’own tales of his experiments with LSD, morphine and amphetamines, and the frightening perceptual transformations of delirium tremens that arrived after he stopped taking large amounts of chloral hydrate to sleep (Shock to the Senses). »
 
De manière plus générale tous ces livres de cas neurologique relèvent de la catégorie de vulgarisation scientifique. La préface de V.S. Ramachandran à son Phantoms in the brain est à ce sujet particulièrement importante qui resitue son essai dans la tradition du « popular science books ». Dans cette catégorie qu’il prend pour modèle, il cite Charles Darwin et un nombre important de scientifiques de l’époque victorienne, jusqu’au What is life d’Erwin Schrödinger. Puis il décrit sa méthode d’écriture:
 
When writing a popular book, professional scientist always have to walk a tightrope between making the book intelligible to the general reader, on the one hand, and avoiding oversimplification, on the other, so that experts are not annoyed. My solution has been to make elaborate use of end notes, which serve three distinct functions. First, whenever it was necessary to simplify an idea, my cowriter, Sandra Blakeslee, and I resorted to notes to qualify these remarks, to point out exceptions and to make it clear that in some cases the results are preliminary or controversial. Second, we have used notes to amplify a point that is made only briefly in the main text- so that the reader can explore a topic in greater depth. The notes also point the reader to original references and credit those who have worked on similar topics. (Phantoms in the brain xiii)
 
Effectivement, le livre a été écrit à deux, le second auteur est justement une spécialiste de l’écriture, comme science-writer travaillant au New York Time et déjà co-auteur d’un autre livre mais la logique commerciale a fait disparaître son nom. Le livre est fondé sur la narration de « true-life stories », de cas de patients véritables aux identités cachées. Ramachandran indique également que certains cas présentés sont en fait une recréation à partir de plusieurs cas rassemblés en un seul, « composites of several patients » ( xiii). Dans cette réflexion sur comment écrire la science, le neurologue aborde la question de la spéculation, – speculation-, qui concerne les hypothèses avancées par l’auteur qui ne sont pas reconnues encore valides par la communauté scientifique. L’auteur reconnaît qu’une partie des chapitres présente en fait des hypothèses mais qu’il a clairement prévenu de leurs aspects spéculatifs. Le neurologue suisse Peter Brugger, auteur d’une nouvelle théorie neurologique – en concurrence avec les théories de Ramachandran – sur les doppelgänger et les impressions paranormales, a critiqué dans une revue savante[9] le dernier livre de Ramachandran, The Tell-Tale Brain paru en 2012, pour être ce qu’il appelle un livre de pop-neuroscience….
 
3. La continuation de la tradition du « diagnostic spéculatif »
L’un des courants actuels dans la relation entre la création littérature et esthétique et d’autre part la neurologie réside dans l’étude diagnostique des désordres neurologiques chez les créateurs et de la manière dont ces troubles ont pu influencer leurs œuvres. Le diagnostic neurologique dans le cas des créateurs et notamment des écrivains fait partie d’une longue tradition, celle du « diagnostic spéculatif » où les discours psychanalytiques ont régné pendant des décennies. Il est maintenant passé sous domination de la neurologie mais pour quels résultats ?
 
La neuropsychologie des arts veut inclure l’ensemble des arts, les arts visuels, la musique mais aussi la littérature comme l’indique de manière emblématique le titre du livre de F. Clifford Rose, Neurobiology of the Arts : Painting, Music, Literature en 2004. Pareillement les études présentées dans Neurological disorders in Famous Artists par Bogousslavsky en 2005 et 2007 incluent aussi bien des peintres, des musiciens, des écrivains. La publication des livres dirigés par Rose et Bogousslavsky a permis surtout une meilleure vue d’ensemble des avancées de la neurobiologie dans le domaine esthétique car cette neurobiologie des arts, de la musique et de la littérature est restée à l’origine disséminée dans des articles de revues spécialisées comme Epilepsy, Neurology, Neuropsychologia, Cortex, Brain, European Neurology, Lancet, Nature, Journal of Counsciousness Studies, Revue Neurologique, entre autres Les deux tomes de Neurological Disorders in Famous Artists ont témoigné des avancées ou de l’absence d’avancées concernant les diagnostics des maladies neurologiques de créateurs et leurs possibles conséquences sur leurs créations. Selon les auteurs, ces conséquences resteraient un domaine encore peu étudié. «Between “neurology of history” and “history of neurology“, the study of how a neurological disorder can alter productivity in recognized artists and other creative people is a largely unexplored field” (2005, VII). Cette préface insiste sur la nouveauté mais à partir d’un exercice qui entre dans une tradition séculaire que la psychanalyse a particulièrement exploité, celle du diagnostic spéculatif. En effet, la majeure partie des études consiste en des diagnostics parfois récents mais qui s’inscrivent dans une longue histoire de diagnostics souvent de manière contradictoire au sujet de créateurs morts et non autopsiés :
 
In the following chapters, the impact of various neurological diseases such as stroke, epilepsy, brain, trauma, dementia, and other problems in famous artists (writers, philosophers, painters, and composers) is presented through the lens of changes in their behavior in their production. Some cases” such as Ravel or Van Gogh are already famous, but the nature of their disease has remained somewhat controversial. Other artists with a neurological disorder have been much less well studied including Apollinaire, Daudet, Gernez, Haydn, or Kant, to quote only a few. “ (2005,VII)
 
Pour Siri Hustvedt, dans La femme qui tremble, ce qui se présente ainsi comme une nouveauté appartient plutôt à un genre ancien. Et comme exemple de la continuation de ce genre du «diagnostic spéculatif» pour reprendre son expression (240), elle cite justement les ouvrages de Bogousslavsky et de Rose. Siri Hustvedt commente :
 
Depuis les débuts de la médecine moderne, on a publié sous forme de livres ou d’articles des diagnostics post mortem de personnalités éminentes talentueuses et célèbres. Il paraît évident aujourd’hui que Flaubert souffrait d’épilepsie même si on lui trouva également des signes de névrose et d’hystérie. […]Pour Van Gogh, épilepsie, saturnisme, maladie de Ménière, épilepsie, schizophrénie, trouble bipolaire, et autres …Les spécialistes affirment que Lewis Carroll souffrait d’une épilepsie du lobe temporal et de migraines. Les symptômes peuvent nous entrainer sur de multiples voies, surtout lorsqu’il s’agit d’un patient mort depuis des années. L’étude de journaux intimes, de lettres, de textes et d’œuvres d’art dans le but d’y trouver des indices neurologiques a ses limites. (182-183).
 
Ce type de production neurologique avec « une identification assez libre d’innombrables célébrités du passé récent et lointain (240) » est particulièrement présent pour l’épilepsie du lobe temporal, Siri Hustvedt cite comme exemple le livre d’Eve LaPlante Seized: Temporal Lobe Epilepsy as a Medical, Historical, and Artistic Phenomenon. Sur le site du neurologue Podoll consacré à la migraine et particulièrement celle à aura, il existe un chapitre lui aussi de listes de personnalités migraineuses. Siri Hustvedt verse elle-même dans cette tendance à créer des diagnostics post mortem, rapprochant les symptômes migraineux de Simone Weil avec un comportement épileptique : « Philosophe mystique et militante politique, Weil était affligée de migraines débilitantes. C’était une migraineuse chronique dont les traits de personnalité ressemblent fort à ceux que Norman Geschwind associait à l’épilepsie du lobe temporal »(199).
 
En quoi les études neuropsychologiques contemporaines, -ces diagnostics spéculatifs »- ont-elles fait évoluer la connaissance de la création littéraire ? Neurological Disorders présentation un nouveau cas d’écrivain, celui d’Apollinaire, développe d’autres moins traités comme Daudet, revisite les plus célèbres, Flaubert, Dostoïevski, Baudelaire, Proust, Larbaud, Poe sans nier les difficultés ou les cas indécidables.
 
En ce qui concerne Apollinaire, l’étude se veut pionnière qui veut prouver un lien de cause à effet entre les séquelles neurologiques de la blessure à la tête d’Apollinaire et ses désordres affectifs et émotionnels radicalement nouveaux: perte du sens de l’humour, indifférence affective, comportements d’irritabilité et d’anxiété, sans que ses facultés cognitives et créatrices soient atteintes. Seule une tonalité lyrique plus sombre serait repérable. L’auteur de l’étude qui est allé étudier la localisation de l’impact de la balle sur le casque d’Apollinaire en a déduit le point d’impact potentiel à partir de la reconstruction de celui-ci sur un crâne. L’examen conduit l’auteur à un nouveau diagnostic relevant de la neurophysiologie: il n’y aurait pas eu d’abcès intracrânien mais un hématome sous-dural. Il met en parallèle ce nouveau diagnostic neurologique avec les nouveaux comportements émotionnels et affectifs de l’auteur et en conclut à une relation de cause à effet. L’une des particularités de l’étude est qu’elle s’appuie sur une étude concrète neurophysiologique :
 
Apollinaire’s emotional changes, including irritability, anxiety, defiance, intolerance to emotional stimuli, and, sadness, without true depression, fit very well with the rarely reported syndrome of lateral temporal dysfunction in the nondominant hemisphere. Indeed, right lateral temporal lobe lesions have been associated with such changes, in connexion with modification of personality, and affective behavior .[…] The lost love of Gui and Madeleine may be one of the best and purest historical examples of a dissociated emotional-cognitive/executive impairment from a focal brain lesion. The “poet assassinated” indeed also was the ”Lover Assassinated”.(7- 8 )
 
Au sujet d’Allan Poe, et de Dostoïevski, les articles sont d’abord des recensements des diagnostics passés. Quelle nouvelle information peut apporter la neuropsychologie sur le cas d’Edgar Allan Poe ? Le titre de l’article souligne la problématique : « Edgar Allan Poe : Substance Abuse versus Epilepsy » mais la conclusion reste ouverte. La même impossibilité d’un diagnostic scientifique définitif se retrouve pour Dostoïevski, en l’occurrence de savoir de quel type d’épilepsie il a souffert. Dans son article Andrea O. Rossetti et Julien Bogousslavsky établissent un historique médical de l’auteur, utilisant les nombreux témoignages concernant ses crises d’hystérie, observent les antécédents familiaux, les six personnages épileptiques présents dans l’œuvre, tout en privilégiant le plus connu et étudié déjà par Alajouanine, le prince Myskin qui est supposé connaître les mêmes crises que son créateur. Mais le résumé de toutes les interprétations des trente dernières années laisse ouverte la réponse à la question initiale: « What type do seizures, respectively of epilepsy, did Dostoevsky suffer from ? And how did his illness act on his literary production? (73) »
 
L’une des étrangetés du cas Flaubert est que l’œuvre ne fait pas référence à la maladie de son auteur. La maladie a été gardée comme un secret de famille-, à l’opposé de celle de Dostoïevski ou de Daudet ou Proust. L’article «Gustave Flaubert’s Hidden Sickness » souligne le rôle essentiel de cette pathologie secrète dans la vie de Flaubert qui l’aurait obligé à abandonner ses études de droit et aurait renforcé son aptitude littéraire. Bien qu’il ait songé un moment à en faire le sujet d’un récit qui se serait appelé La spirale, les deux seules fois où Flaubert utilise le mot dans sa correspondance ne se réfèrent pas à sa pathologie. La nature épileptique de sa maladie ne fait pas de doute mais le diagnostic sur le type d’épilepsie n’a jamais été tranché. Le même article sur la maladie cachée en est réduit à conclure que l’hypothèse présentée dès 1982 par H. Gastaut et Y. Gastaut sur la maladie de Flaubert est sans doute la plus juste.
 
We must re-emphasize the striking lack of any reference to his illness in Flaubert’s work. […] even while absent of his writings, his illness most certainly had an influence on Flaubert’s identity as a writer, the feeling of exclusion, his solidarity life, etc. […] it is obvious that his affliction played a decisive role in creating the conditions under which Flaubert created his masterpieces.
 
Avec le cas de Dostoïevski, s’est répandue l’idée que le diagnostic neurologique du personnage pouvait permettre le diagnostic de l’auteur. Mais la projection de l’auteur sur son personnage n’est qu’un cas de figure et la littérature s’est amusée à des diagnostics spéculatifs sur les personnages sans les considérer comme des projections de l’auteur. Ainsi dans le cas de Sherlock Holmes, dès les années 1950 des diagnostics ont été avancés sur la psychologie du personnage, qui incluent addiction à la cocaïne et paranoïa. Conan Doyle fut docteur praticien pendant dix ans, auteur d’une thèse sur le tabes dorsalis, avant de devenir à trente-trois ans écrivain à temps complet. L’aspect médical et neurologique de son œuvre a été étudié dans les années 1980. Parmi les maladies rencontrées dans l’œuvre de Conan Doyle les affections neurologiques sont nombreuses, présentes dans cinquante nouvelles et quatre romans. Dans son article « Neurology and Sherlock Holmes » E. Wayne Massey dresse un tableau des maladies neurologiques décrites par l’auteur. L’épilepsie est ainsi présente dans cinq récits, les AVC dans deux récits, « The Gloria Scott » et «The Crooked Man ».
 
Une étude récente présente un intérêt particulier,publiée dans Brain par Garrard P. Maloney LM, Hodges RJ et al, « The effects of very early Alzheimer’s disease on the characteristics of writing by a renowned author » Cet écrivain est Iris Murdoch, victime de l’Alzheimer, avec un diagnostic fait en 1996 et confirmé par l’autopsie en 1999. Le diagnostic étant pour une fois sans ambiguïté, les auteurs se sont attachés à étudier les changements stylistiques dans l’œuvre. Le dernier livre de l’auteur, Le dilemme de Jackson, paru en 1995, un an avant le diagnostic avait été accueilli par la critique avec une ironie cruelle. Les auteurs ont mené une savante étude des effets de la maladie sur le style de l’écrivain, utilisant des calculs informatiques sophistiqués pour répondre à la question suivante: « […] do the psycholinguistic properties of the vocabulary used in Jackson’s Dilemma—which, we argue, was written during the early stages of Alzheimer’s disease—differ significantly from those of the vocabulary used in books written at earlier stages of Murdoch’s literary career? »Le décompte informatique à partir de la comparaison de trois romans de l’auteur arrive à …la conclusion des critiques littéraires, sur la malfaçon du dernier[10].
 
4. Nouveaux usages de la littérature à fins neurologiques
L’utilisation des classiques littéraires par la neurologie est une activité étendue, en dehors des activités déjà soulignées. L’exemple par excellence de l’utilisation de la littérature à d’autres fins, qui sont celle de stratégie de communication entre laboratoires dans le cadre de la compétition scientifique internationale est donné par l’utilisation du nom et d’éléments de l’œuvre de Marcel Proust, devenu pour certains l’écrivain neurologue majeur du XXe siècle. Ayant déjà traité ce sujet dans d’autres articles, nous ne reviendrons pas ici sur le thème.
Le Prix Nobel de médecine Eric R. Kandel dans The age of Insight: the Quest to Understand the Unconscious in Art, Mind and Brain, retrace une grande partie de l’histoire intellectuelle de Vienne à partir des années 1890 en se focalisant sur la modernité artistique et littéraire, la psychanalyse, la nouvelle école d’histoire de l’art, la science du cerveau. Loin d’être une nouvelle étude sur Vienne, fin de siècle, ce qu’elle inclut, l’étude continue pour les années 1930 et va jusqu’aux années 1960 par le biais des émigrés viennois qui aux Etats-Unis vont lancer la révolution neurologique. Kandel s’intéresse avant tout aux trois peintres de la modernité viennoise mais il consacre aussi un chapitre à Arthur Schnitzler. Schnitzler, fils de grand médecin, fut lui-même médecin jusqu’à la mort de son père hostile à sa vocation d’écrivain, -il a alors trente et un ans. Depuis l’âge de 17 ans il tient un Tagebuch, ce pendant cinquante ans jusqu’à deux jours avant sa mort d’une hémorragie cérébrale en 1931. Kandel souligne la contribution de Schnitzler à la modernité viennoise par l’introduction du monologue intérieur dans la littérature autrichienne avec « Le Sous-Lieutenant Gustel » en 1900. Kandel rappelle que la même année Freud publia sa Traumdeutung et Schnitzler « Le Sous-Lieutenant Gustel ». La deuxième partie du chapitre de Kandel constitue un commentaire de la célèbre lettre de Freud à Schnitzler, la veille du soixantième anniversaire de celui-ci avec l’idée de montrer à quel point Freud avait raison d’écrire que Schnitzler était un explorateur des profondeurs et Kandel insiste alors pour souligner : beaucoup plus profond que Freud. « On the two fellow explorers of the unconscious, Schnitzler would prove to be the better « depth psychologist » of women (83) » Kandel qui avait commencé des études d’histoire et de littérature à Harvard avant de faire des études de médecine, déploie alors la comparaison entre la présentation du cas Dora par Freud et sa réécriture par Schnitzler en 1925 avec « Fräulein Else ». Le traitement empathique de Schnitzler envers son personnage féminin est utilisé par Kandel pour mieux critiquer Freud : «Dora’s is a sad case, a low point in Freud’s career. It has often been viewed as an example of his inability to visualize erotic encounter form a woman’s perspective. […] As we have seen, Freud admitted repeatedly that he did not understand the sexual life of women (88) ».
 
L’utilisation la plus étonnante d’un auteur a été faite par Jonah Lehrer, un ancien élève de Kandel reconverti dans le journalisme littéraire avec succès[11] et dans le genre de la pop neuroscience. Le titre de 2007 Proust was a neuroscientist est celui d’un des chapitres du livre consacré également à Walt Whitman, George Eliot, Paul Cézanne, Igor Stravinsky, Virginia Woolf. Toutes ces études ont pour point commun l’idée énoncée dans l’introduction : « Ce livre est sur des artistes qui ont anticipé les découvertes des neurosciences. Il est sur des écrivains et des peintres et des compositeurs qui ont découvert des vérités sur l’esprit humain – des vérités réelles, tangibles-, que la science est seulement en train de redécouvrir. Leurs imaginations ont prédit les faits du futur(XI)[12] » .
 
L’idée que les artistes sont des neuroscientifiques qui s’ignorent avait été développée par Semir Zeki dans son Inner Vision: An Exploration of Art and the Brain de 1999. Toutefois comme le note John Hyman, dans un article intitulé « Art and Neuroscience », l’idée que les artistes seraient des neurologues en étudiant le cerveau avec leurs propres techniques est une réécriture actualisée de la théorie du savant allemand Helmholtz qui écrivait dès 1871 que les artistes étaient des explorateurs du système visuel. Le journaliste veut donc étendre l’idée de Zeki qui concernait les artistes visuels aux créateurs de manière générale, écrivains Walt Whitman, Eliot, Woolf, Gertrude Stein, Proust, mais aussi à Auguste Escoffier, Igor Stravinsky. Chacun d’entre eux sont présentés comme des pionniers des lois de la neuroesthétique ou de la neuropsychologie.
Le scientific writer veut prouver que la conception de Proust sur les processus de la mémoire étaient justes et anticipaient les découvertes scientifiques contemporaines : « Il a vraiment eu de nombreuses intuitions sur la structure du cerveau. […] Les neurosciences savent maintenant que Proust avait raison (79-80).» L’auteur se lance dans une extrapolation à partir de la théorie du Prix Nobel Eric Kandel pour tenter d’expliquer comment la mémoire peut résister au temps, théorie exposée dans un livre de vulgarisation A la recherche de la mémoire, dans lequel aucune allusion n’est faite à Proust.
 
La preuve de Proust s’appelle l’aplysie, un mollusque étudié d’abord dans des laboratoires français[13]. L’aplysie est un sujet fantastique car elle possède peu de neurones, vingt mille regroupés en neuf ganglions. Le récit met en scène un héros, un jeune indien Kausik Si, un ancien camarade de paillasse de Lehrer dans le laboratoire de Kandel, découvrant que toutes les synapses du système nerveux de l’aplysie présentent une protéine, la CPEB (cytoplasmic polyadenylation element binding protein) dont les extrémités ont toutes les caractéristiques peu banales du prion. Le journaliste conclut ainsi « Dr Kausik Si, un ancient postdoc du laboratoire du Prix Nobel, Eric Kandel, croit qu’il a trouvé la “marque synaptique” de la mémoire [le grain assez puissant pour subsister dans les effets électriques extrêmes des neurones]. La molécule que le Dr Kandel et lui ont découvert pourrait très bien être la solution à la recherche de Proust de l’origine du passé (94) ». En effet, la théorie du prion est présentée comme une confirmation de la thèse proustienne et son explication : « Les souvenirs, comme le soutenait Proust ne font pas que perdurer stoïquement. La CPEB appuie l’hypothèse de Proust. […] Le modèle de la CPEB demande aussi que nous transformions nos métaphores sur la mémoire. Nous ne pouvons plus imaginer la mémoire comme un miroir parfait de l’existence. Comme Proust le soutenait, le souvenir des choses passées n’est pas nécessairement le souvenir des choses telles qu’elles étaient. Les prions reflètent ce fait, puisqu’ils possèdent un élément de hasard bâti dans leur structure. […] C’est ce que Proust savait : le passé n’est jamais le passé. Aussi longtemps que nous vivons, nos mémoires restent superbement volatiles (95)». Jonah Lehrer, avant sa descente aux enfers, – il fut accusé à tort ou à raison de plagiat pour un certain nombre d’articles-, était devenu un acteur de l’imaginaire de la neuroculture et l’un des maîtres de la pop neuroscience.
 
II. Le neuroroman ou la littérature à l’âge de la neuroculture
 
La neurolittérature de masse est un des produits de la neuroculture qui caractérise notre époque depuis les années 1990, comme le décrit Suzanne Anker :
 
We are witnessing the rise of a neuroculture (or neurocultures), in which neuroscience knowledge partakes in our daily lives, social practices and intellectual discourses. For instance, the dissemination of neuroscience theories, the availability of psychotropic medications and the latest neurotechnologies, such as fMRI (functional magnetic resonance imaging), are influencing healthcare strategies and legal policies as ways in which individuals think of themselves, or their bodies or their mental disorders. [… ] As part of this transformation, ideas, images and concepts of neuroscience are increasingly assimilated into the cultural imagenary. (Neuroculture, 815)
 
Ce tournant neurologique – «the neurological turn» – de la littérature se manifeste essentiellement par la production de fictions mettant en scène des syndromes neurologiques à l’intérieur de récits dont la trame emprunte à différents genres qui peuvent inclure le roman policier, le roman d’horreur, le roman pour adolescents, le roman psychologique, etc… Le récit est généralement écrit par des auteurs qui ne sont pas des spécialistes de neurologie et encore moins des personnes affectées par des troubles sauf pour certains romans sur la synesthésie.
 
Ian Mc Ewan’s novel Saturday, films such as The Man with two brains or Eternal Sunshine of the Spotless Mind, drug avertisements, such as the animated TV commercial for the antidepressant sertraline (Zoloft), or video games advocating brain training, can all be classified as products of neuroculture. Neurocultural products symbolize the transfer of neuroscience’s idioms from the laboratory to society and culture. They create and inspire narratives about current neuroscience research and about crucial role of the brain in our lives. (Neuroculture, 815)
 
En France, L’ascension du Haut Mal, un roman graphique écrit par David Beauchard, alias David B., en six volumes paru entre 1996 et 2003, relate l’histoire de la famille de l’auteur, dont le frère est atteint d’épilepsie. Traduit, il est considéré par la critique anglo-saxonne comme l’un des meilleurs graphic novels jamais écrits. Un article de médicine de Suzan Squier rapproche le livre français d’un autre graphic novel sur un thème proche, le livre de Paul Karasik et sa soeur Judith The Ride Together: A Memoir of Autism in the Family (2004), qui relate aussi une histoire familiale vécue par les auteurs cette fois avec un frère autiste. Le graphic memoir est devenu l’un des genres de la neurolittérature.
 
1. Un emblème de la neurolittérature de masse : Ian Mac Ewans
Ian Mac Ewans, écrivain britannique né en 1948 est aujourd’hui considéré l’auteur par excellence du neuroroman grand public. Les romans de Ian Mc Ewan explorent les effets des situations extrêmes sur les gens dits ordinaires, tout d’abord par les effets de la violence, ce qui fut un temps sa marque de fabrique, puis par les thèmes neurologiques. Amsterdam en 1997 constitue le tournant neurologique de son œuvre avec un récit qui commence par la description rapide d’un symptôme de démence que le neurologue Uros Rot diagnostique comme une variante de la maladie de Creutzfeldt-Jacob. Dans le roman suivant Enduring Love de 1998, l’auteur met en récit contemporain le syndrome de Clérambault. A la suite de son article « Les Délires passionnels. Érotomanie, Revendication, Jalousie » en 1921 Gaëtan Gatian de Clérambault a donné son nom à ce comportement, une forme d’érotomanie proche de la paranoïa pouvant provoquer des conflits dramatiques que le cinéma a souvent traités. Dans un appendice, l’auteur fait un pastiche de la description d’un cas clinique soi-disant repris d’une revue inventée The British Review of Psychiatry, et écrit par deux docteurs Robert Wenn et Antonio Camia, dont les noms sont des anagrammes de Ian McEwan.
 
Dans le livre suivant qui obtint un succès commercial considérable, Saturday, en 2005, la neurologie devient le thème majeur et le personnage principal est un neurochirurgien qui un samedi,-l’action se passe en une seule journée, -d’où le titre- , croise un personnage souffrant de la maladie de Huntington, appelée aussi chorée et auparavant danse de St Guy. Ce samedi est marqué par des manifestations à Londres à la suite du 11 Septembre. Uros Rot voit une relation symbolique entre la concomitance des deux actions: « In Saturday McEwan gives an ingenious parallel between the insecurity and unpredictability of life in the western world after the terrorist attacks in the USA and the unpredictable behaviour of a patient with Huntington’s disease (14).
 
Cette maladie héréditaire encore incurable est causée par un gène découvert en 1993. Dans Mapping Fate – A Memoir of Family, Risk, and Genetic Research, Alice Wexler, en 1995, a retracé l’histoire de cette maladie rare. La découverte du gène a permis l’élaboration d’un test la même année. Le cinéma s’est emparé aussi du thème alors que l’actualité -la maladie de Huntington d’une actrice célèbre Sophie Daumier puis de son fils- rendait plus connue cette maladie rare. Deux livres autobiographiques écrits sous des pseudonymes ont paru en français, 10 ans avant ma mort, par Frédéric B et Le Test de Jean Baréma, un nom d’emprunt en 2002. Anne Georget a réalisé un documentaire Un Maudit gène (2007) sur la maladie, avec des malades et des médecins. Dans Saturday la fiction de 2005, la victime du syndrome s’acharne contre la famille du neurochirurgien. Chez McEwan le patient neurologique devient le bad guy d’un neuroroman qui se transforme en thriller. Un autre aspect de la neuroculture dans cet emblème du neuroroman réside dans des descriptions détaillées d’opération neurochirurgicale accomplies par le chirurgien, qui confèrent par leur technicité une aura réaliste. Le neurologue Uros Rot recense ainsi la liste herculéenne des neuf opérations de neurochirurgie pratiquée avec l’aide de deux assistants, en une seule journée :
 
First he made a radiofrequency thermocoagulation of the gasserian ganglion, followed by clipping the neck of a middle cerebral artery aneurysm, stereotactic biopsy of a thalamic tumour, craniotomy for meningioma, multilevel laminectomy for spiral canal stenosis, craniotomy for vestibular schwannoma, readjustment of a spinal stimulator, and craniotomy for resection of frontal glioma. His last operation procedure was the most demanding, a removal of a cerebellar pilocytic astrocytoma in a 14-year-old girl.(13)
 
2 La mise en fiction du syndrome de Capgras
Jean Marie Joseph Capgras né en 1873, mort en 1950 à Paris est un psychiatre français qui fut longtemps médecin-chef à l’Hôpital psychiatrique Sainte-Anne à Paris. En 1923 il publia un article intitulé « L’Illusion des sosies dans un délire systématisé chronique », à partir de l’analyse du cas d’agnosie d’une patiente de cinquante- trois ans qui affirmait que ses proches et notamment son mari étaient des sosies. Ce que Capgras appelle l’illusion des sosies sera renommé à partir de 1929 le syndrome de Capgras, syndrome caractérisé par une fausse reconnaissance délirante: les personnes atteintes de ce syndrome ne reconnaissent pas leurs proches, et prennent ceux-ci pour des sosies, des imposteurs.
 
Le phénomène a été étudié avec les nouveaux moyens scientifiques à partir des années 1990, comme le montre alors une implosion d’articles, parmi les plus notoires, celui d’Hirstein et Ramachandran en 1997, et en 2008 celui de Catherine Thomas-Antérion et ses collègues. Catherine Thomas-Antérion, neuropsychologue spécialiste de la mémoire, auteur de Les labyrinthes de la mémoire: Paroles et histoires inédites et également de deux livres de poésie Sous le cèdre en 2009 et En soie de 2008, décrivait ainsi dans un article précédent de 2004 le cas du syndrome de Capgras qu’elle avait diagnostiqué :
 
Nous rapportons le cas d’un homme de 70 ans, artisan en retraite, droitier, marié et père de deux enfants sans antécédent médical notable. […]Trois mois plus tard, le patient développa un trouble de l’identification de type syndrome de Capgras avec «hypoidentification » de l’épouse, celle-ci étant identifiée comme un sosie ou une impostrice ayant pris sa place. Le phénomène comme il est classique était fluctuant dans la journée. Le patient constatait que la ressemblance du sosie avec son épouse était totale: même aspect physique, même vêtement, même bijou, même nombre d’enfants, mêmes antécédents médicaux, etc., mais à aucun moment ne critiquait ce tableau. L’épisode dura six semaines et fut traité car le patient développait de l’agressivité envers le « sosie » et son « épouse » supportait très mal cet état de fait. Le patient reçut une dose filée de neuroleptique (qui fut arrêté après 3 semaines de prise) et reçut un traitement anticholinestérasique. Le tableau s’amenda et disparut. Il réapparut un an plus tard mais de façon moindre et par période si bien que l’on ne réintroduisit pas de neuroleptique. (Antérion, 2004)
 
L’exploitation littéraire récente du syndrome a suivi les progrès des recherches sur celui-ci. Le syndrome de Capgras entre en littérature[14] avec le roman de Richard Powers, The Echomaker, livre paru en 2006. La chambre aux échos met en scène la victime d’un accident, souffrant d’une forme du syndrome de Capgras, incapacité à reconnaître des parents proches et un neurologue –l’un des modèles est Oliver Sacks- au comportement d’abord décrit sévèrement à la recherche d’une « nouvelle aubaine pour rédiger une publication.(Powers 416) » La victime d’un accident de la route dans le Nebraska Mark Schluter tombe dans un coma dont il sort sans reconnaître sa sœur qui s’occupe de lui souffrant et la considère comme une impostrice. Celle-ci contacte un neurologue célèbre, Weber qui diagnostique une forme du syndrome de Capgras.
 
Dans cet échange en boucle entre littérature et neurologie, Oliver Sacks, le neurologue et écrivain, spécialiste de narrations de troubles singuliers du cerveau, et patient secret puisqu’il a longtemps caché sa propre affection neurologique, essayiste contesté qui se présentait comme un anthropologue sur Mars, devient un personnage de roman, circulant entre New York et une planète encore plus éloignée que Mars, le Nebraska :
 
Weber rassembla ses documents et se retira dans le hall. Il avait obtenu ce qu’il était venu chercher, récolté les données nécessaires, observé de près l’une des aberrations les plus singulières dont le moi pouvait être affligé. Il disposait à présent d’un matériau suffisant pour, sinon ajouter une contribution à la littérature médicale, du moins composer le récit fascinant d’un cas pathologique. Il n’avait plus grand-chose à faire sur place. (171)
 
C’est lors du second voyage au Nebraska qui contient une part de rédemption que le neurologue s’implique personnellement dans le traitement du patient et son enquête médicale fondée aussi sur la recherche d’une anamnèse se transforme en policière. A la fin de la préface à Un anthropologue sur Mars, Sacks justement comparait son rôle de neurologue écrivain, naturaliste avec le rôle du prêtre détective, Father Brown dans Le secret du père Brown de Chesterton. Un moment d’anthologie réside dans la rétrospective intellectuelle du neurologue qui permet de faire un résumé synthétique de la neurorévolution.
 
L’imagerie médicale et les produits pharmaceutiques forçaient les portes verrouillées des mystères de l’esprit. La décennie écoulée depuis la parution du premier livre de Weber avait produit plus de savoir sur l’ultime frontière que les cinquante mille ans qui l’avaient précédée. […] Quelque chose en lui, cependant, réprouvait l’orientation que prenait le savoir. Le ralliement hâtif des neurosciences à certaines hypothèses fonctionnalistes incitait Weber à prendre ses distances. (201)
 
Car l’histoire est aussi celle d’une rédemption morale et intellectuelle : « Au jour de la contre-révolution cognitiviste, une petite partie de lui-même, façonnée par le conditionnement opérant, était entrée en résistance […] »(202) Le neurologue reste un sceptique avant tout, luttant dans son for intérieur contre les modèles dominants qui ne font que passer. « Au fil des époques, on avait toujours comparé le cerveau à la technologie la plus avancée du moment : la machine à vapeur, le standard téléphonique, l’ordinateur. Aujourd’hui […] le cerveau paraissait semblable à l’internet un réseau distribué sur plus de deux cent modules » (202-3). Face à l’actuelle domination selon l’auteur du modèle module/internet, le neurologue, comble de l’esprit de contradiction, en revient à l’étude des processus psychodynamiques: « au seuil de ce qui serait sans doute l’ultime étape de son développement intellectuel, il espérait découvrir à la pointe des neurosciences les plus abouties, des processus analogues à ceux que décrivait l’antique psychologie des profondeurs : refoulement, sublimation, déni, transfert. Les retrouver à un niveau supérieur, au-dessus du module. » (203)
 
Un autre livre qui a connu également un succès international Atmospheric Disturbances de Rivka Galchen, en 2008 traite en partie du syndrome de Capgras. «Last December a woman entered my apartment who looked exactly like my wife». Ainsi commence le récit raconté à partir du seul point de vue, celui du patient, qui plus est psychiatre de profession mais incapable de reconnaître son épouse et ainsi le syndrome de Capgras dont il est victime. Ce neuroman entièrement écrit du point de vue du psychiatre malade fait partie de la tradition du roman de la conscience et du narrateur non fiable. Comme la critique l’a souligné, la référence psychanalytique n’est pas non plus absente.
 
3. Le syndrome de Gilles de la Tourette et la littérature
Dès 1825 le médecin Jean Itard avait décrit les symptômes correspondants chez la Marquise de Dampierre, mais c’est en 1885 que George Gilles de la Tourette, médecin neurologue travaillant à la Salpêtrière sous les ordres de Charcot publie un rapport sur une affection nerveuse qui va porter immédiatement son nom. Cette affection se manifeste par des mouvements compulsifs, des tics, des répétitions automatiques de paroles d’autrui, par des propos grossiers ou obscènes involontaires. Le tournant neurologique du syndrome de Gilles de la Tourette est lié en 1965 au constat par Arthur K. Shapiro et son épouse Elaine Schlaffer Shapiro, que l’halopéridol, un neuroleptique découvert en 1957, très utilisé en psychiatrie pour son activité antipsychotique, traitait efficacement le syndrome .de Tourette. L’article annonçant la découverte et qui critiquait l’approche psychanalytique, d’abord refusé aux Etats-Unis, fut publié en 1968 en Grande-Bretagne. Le couple Shapiro qui travaillait à New York avec une association des familles concernées par le syndrome, ce qui permit d’avoir accès à un grand nombre de cas, publia en 1978 le livre de référence Gilles De La Tourette Syndrom, livre qui contribua dans la rivalité d’alors avec la psychanalyse au succès de la neurologie.
 
Le syndrome de Gilles de la Tourette a connu un succès médiatique considérable grâce à des émissions télévisées et des films. Les articles d’Oliver Sacks sur le sujet ont eu également un impact assez grand pour qu’ils soient critiqués… par Shapiro lui-même et par Howard Kushner, auteur d’un livre d’histoire sur le syndrome, A Cursing Brain? : The Histories of Tourette Syndrom, en 1999. Par deux fois dans ses écrits Sacks traite de la maladie de Tourette, avec «Ray, le tiqueur blagueur » dans L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau de 1985 et dans « Une vie de chirurgien » inclue dans Un anthropologue sur mars, paru dix ans plus tard. Cent ans après la découverte du symptôme par Gilles de la Tourette. Oliver Sacks note que « le syndrome de Tourette lui-même semblait avoir disparu, et il ne fut presque pas mentionné durant la première moitié de ce siècle. Certains médecins le considéraient même comme un mythe, un fruit de l’imagination pittoresque de Tourette; la plupart n’en avait jamais entendu parler. » (1985, 126 )
 
André Malraux a souffert de cette pathologie, même si le secret semble avoir été bien gardé. L’article du Canadien Tee L Guidotti en 1985 a fait une synthèse des éléments qui permettent de conclure à un tel diagnostic. Il souligne aussi l’influence sur Malraux de son médecin neurologue, le docteur Louis Bertagna qui dans la grande tradition française du neurologue lié aux arts et lettres a été le médecin de l’écrivain à partir de 1966 jusqu’à sa mort, son ami et confident comme il le fut aussi de Romain Gary. Le neurologue Louis Bertagna contribua à l’hommage rendu par la NRF à Malraux en 1977 dans un article « Il a vécu jusqu’à sa mort ». Mais pour des raisons de déontologie médicale, le neurologue Bertagna n’a jamais évoqué les pathologies de son patient et ami. Tee L Guidotti écrit:
 
Based on the available biographical data, Malraux’s illness appears to have been the Tourette syndrome. The diagnostic criteria are largely met: childhood or adolescent onset, involuntary motor and vocal tics which may wax and wane and which persist through life. Suggestive evidence supporting this diagnosis includes the apparent response of the condition to sleep and the knowledge that Malraux took medication, presumably haloperidol. (His hospitalization described in ‘Lazarus’ might have related to a side effect of his medication, which he would have taken for several years.) Other tic and tic-like disorders appear incompatible with published descriptions of Malraux’s behaviour, particularly since his vocalizations were too frequent for chronic motor tics (Singer 1982). Malraux’s known heavy cigarette-smoking habit, his obsessive-compulsive personality, and his obvious predilection for placing himself in stressful situations may have exacerbated the manifestations of the Tourette syndrome (Singer 1982, Lowe et al. 1982). The implications of this diagnosis for interpreting the influence of Malraux’s condition on his work must be approached cautiously (
 
A côté des écrits semi fictionnels d’Oliver Sacks, quatre fictions liées au syndrome de Tourette ont été particulièrement distinguées: en 1998 The Woody de Peter Lefcourt, Skull Session de Daniel Hecht, Icy Sparks de Gwin Hyman Rubio, en 1999 Motherless Brooklyn de Jonathan Lethem, et Quit it de Marcia Bialick en 2002. La critique journalistique et universitaire distingue le livre de Jonatham Lethem des quatre autres qui traitent chacun à leur manière du syndrome de Tourette. Le sous-titre du livre de Daniel Hecht présente le livre comme « un neurological thriller ». Le personnage principal est un artisan adulte qui souffre de sa compulsion qui l’a empêché d’enseigner sauf quand il joue du saxophone. Qu’une activité artistique permette de soulager une personne affectée est une constante dans les récits sur Tourette. Ainsi dans le neuroroman Icy Sparks de Rubio, Bildungsroman qui se passe dans les années 1950 dans le Kentucky, la protagoniste orpheline Icy Sparks à l’emblématique oxymoron est ostracisée depuis l’école en raison de son syndrome en l’absence de toute aide psychologique, médicale et de tout diagnostic. Là aussi une aptitude artistique va servir d’exutoire: sa voix ne fait pas que croasser mais excelle dans les chants d’église. Et c’est finalement dans cette institution qu’elle va trouver la rédemption à sa condition…
 
Le livre Quit It de 2002 appartient à la catégorie des livres de jeunesse, le personnage principal est une jeune fille de dix ans à qui un syndrome de Tourette a été diagnostiqué. Le livre particulièrement pédagogique montre les difficultés et les possibilités de communiquer avec son entourage. Là encore le personnage a une activité artistique, ici la danse qui lui permet d’avoir un espace de plaisir et d’excellence. Le livre a été utilisé comme matériel pédagogique dans un collège américain.
 
Ne serait-ce que par la notoriété de son auteur, Motherless Brooklin allait connaître un succès plus large. La mise en fiction s’inscrit dans une histoire policière qui tient de la parodie avec un personnage principal, un détective atteint du syndrome, situation riche d’aspects comiques. Le roman commence par une présentation du personnage, le récit est fait à partir de son point de vue. L’aspect hilarant du récit repose sur la difficulté pour un Tourette d’être détective même avec un certain esprit Brooklyn :
 
Tout est dans le contexte. Costumez-moi et vous verrez. Je suis un aboyeur de foire, un vendeur à la criée, un artiste de rue, un discoureur glossolalique, un parlementaire obstructionniste monomaniaque. J’ai la tourette, le syndrome de Gilles de la Tourette : ma bouche est infatigable, bien que généralement je chuchote ou subvocalise comme si je lisais tout haut, ma pomme d’Adam s’agite les muscles de mes mâchoires palpitent comme des cœurs miniatures sous mes joues, sans bruit, les mots s’échappent en silence, simple fantômes d’eux-mêmes, gangues vides de souffle et de son.[…]
C’est quoi cette plaque ? dit Coney. Il pointait son menton ruisselant vers le proche de la maison. Je regardai. « Yorkville Zendo », dis-je en lisant la plaque de bronze sur la porte. […] Après cette enquête sommaire, nous reprîmes notre sereine mastication. Comme de bien entendu, après n’importe quelle conversation, mon esprit ruminait toutes sortes de salades écholaliques : Ca m’avance pas Zendo, Ken comme zung-fu, Maître feng-shui, Mettre à fond de chou, Maître es bastons, Masturbation Zen ! Broute –moi ! (11-14)
 
De manière moins attendue, la critique littéraire universitaire allait être atteinte par le syndrome avec un article de Ronald Schleifer en 2001, « The Poetics of Tourette Syndrome: Language, Neurobiology, and Poetry ». L’article eut un certain retentissement dans le milieu universitaire car il entrait dans le courant en voie de constitution de la critique cognitive et fut même présenté un temps comme une réalisation modèle de celle-ci. Irving Massey écrit dans son The Neural Imagination que Schleifer voulait démontrer “the affinity between on the one hand the language used by patients suffering from a specific neurological disorder and, on the other hand, some form of poetic language “(59).
 
La thèse de Schleifer est qu’il y aurait une analogie – mais dans son idée, est-ce seulement une analogie ?- entre la poésie et le syndrome, entre certains aspects de la poésie avec le rythme, les répétitions, les jeux de mots et les manifestations du syndrome. Il n’est pas sûr que la critique cognitive de la littérature puisse se satisfaire vraiment de l’idée d’une connexion entre l’oralité et la performance que l’on trouverait aussi bien dans la pratique poétique que dans l’expression du syndrome: l’une des fascinations pour la poésie résiderait dans des effets de rythme et de répétition qui sont typiques des manifestations du syndrome. Non sans provocation, Schleifer qui fait également référence au livre de Lethem, n’hésite pas à voir dans le poème d’Eliot d’« Ash Wednesday » une preuve de cette commune automaticité d’incongruité, commune à la poésie et au syndrome. Dans sa présentation de la thèse de Schleifer, Irving Massey cache difficilement sa gêne : « I must confess that when it comes to analysing a particular poem, such as T. S. Eliot’s “Ash Wednesday”, Schleifer fails to convince me that there is any resemblance between what he calls the “primal cries” of monkeys (p.571) and Eliot’s words.”(73). Schleifer qui, de manière sans doute humoristique, rapproche le « TS » d’Eliot du « TS » de tourette syndrome, voit aussi dans la poésie de la Sound Poetry, la Poésie sonore, l’exemple frappant d’une poésie proche du syndrome. L’article montre la difficulté pour la critique littéraire cognitive en recherche de constitution à se démarquer de toute pop neuroscience.
 
4. L’amnésie
Thème récurrent au cinéma et dans la littérature, l’amnésie est un syndrome dont la fréquence comme objet de fiction n’est pas représentative de son existence beaucoup plus rare dans la réalité. Jonathan Lethem, l’auteur de la fiction remarquée sur le syndrome de Gilles de la Tourette Motherless Brooklyn, est aussi l’auteur d’une anthologie sur l’amnésie qui traite essentiellement de la littérature nord-américaine de langue anglaise du XXe siècle. The Vintage Book of Amnesia: An Anthology of Writing on the subject of Memory Loss, en 2000. Dans son introduction il souligne ce déséquilibre entre la rare fréquence du syndrome dans la réalité et l’excès de sa représentation dans la fiction et le fait que l’amnésie littéraire, –le thème de l’amnésie dans la littérature– n’est pas l’amnésie neurologique :
 
Real, diagnosable amnesia – people getting knocked on the head and forgetting their names- is mostly just a rumor in the world. It’s a rare condition, and usually a brief one. In books and movies though, versions of amnesia lurk everywhere, from episodes of Mission Impossible to metafictional and absurdist masterpieces, with dozens of stops in between. Amnesias might not much exist, but amnesiac character stumble everywhere though comic books, movies and our dreams.(
 
Lethem voit dans la littérature européenne l’origine du thème américain et nomme Kafka et Beckett étrangement « les grands-pères » de l’amnésie littéraire. L’auteur suggère que la surreprésentation de l’amnésie dans la littérature américaine, a partie liée avec une appropriation de Freud par la pop culture américaine. Pour lui le film noir contient souvent des scénarios qui tirent leur inspiration de Kafka lorsque l’amnésie est liée au sentiment de culpabilité. « Amnesia plots are, however inadvertently, often stories about guilt – a trail that leads right back to Kafka. (XV) » Il caractérise l’amnésie chez Beckett, comme une «meditation on the absent, circular, and amnesic nature of human existence, as well as on the vast indifference of the universe to matters of identity. (XV) » La Beckett’s Amnesia constituerait un autre courant de l’amnésie littéraire qui préfigure un sous-genre exploité par la science-fiction, celui du rêve d’un cerveau hors du corps comme dans Solis d’A.A.Attanasio et Plus de Joseph McElroy.
Cette anthologie qui inclut le Funes de Borges possède un ancrage dans la neuropsychologie avec l’inclusion d’un texte d’Oliver Sacks, « The last Hippie », ce qui témoigne du statut hybride de l’œuvre de Sacks ici annexé à la catégorie littéraire. Ce patient est devenu aveugle et amnésique à la suite d’une tumeur grosse « de la taille d’une orange ou d’un pamplemousse» (84) qui a pu être extraite de son cerveau mais qui a laissé des séquelles irréversibles.
 
De fait c’est aussi dans d’autres textes que Sacks aborde la question de la mémoire et ses pathologies comme dans « Le paysage de ses rêves », « Le marin perdu », « Une question d’identité». En revanche dans l’anthologie de Lethem le texte le plus lié à l’aspect scientifique de l’amnésie est le début du récit Memories of Amnesia de Lawrence Shainberg, sans doute l’un des textes littéraires les plus aboutis de la neurolittérature en général, texte de 1988. Le récit est présenté comme une remémoration par un neurochirurgien d’une opération qu’il a faite d’une jeune femme épileptique ; l’opération nécessitant que la patiente reste consciente durant l’opération. La patiente est par ailleurs un « idiot savant », capable de phénoménales mémorisations, une hypermnésiste. C’est pendant cette opération compliquée que le premier symptôme de la pathologie neurologique du neurochirurgien se manifeste quand il nomme la patiente par un autre prénom que le sien. Son chirurgien assistant est aussi un spécialiste de neurologie et religion, d’explications neurologiques de comportements épiphaniques.et l’auteur d’un article sur …«Brain Damage in Literature ».
L’opération est relatée de manière précise. Dans le passage suivant du récit de l’opération, les chirurgiens qui sont en train de rechercher la zone responsable des épilepsies de la patiente arrivent à une nouvelle zone qui est liée à la mémoire. Le fait de planter des électrodes fait surgir des souvenirs de la patiente. :
 
With motor and language –area sufficiently demarcated, and with no sign yet of epileptic activity, I knew that the pathological tissue for which we were searching would be found where we had expected, below a large convolution, the so-called Fissure od Sylvius, in an area we called the “Interpretive Cortex”. We used orange tickets there. […] The fist “psychical “response occurred at orange ticket #7. « Oh, there’s Mama ! Lucinda cried. « She comin’up the hill with the baby in her arms. Looka there! Uncle Jimmie behind her, and–“
She stopped because I had deactivated the electrode, thus interrupting the process through which the memory had been produced. (68)
 
Lawrence Shainberg connaît bien le monde de la neurochirurgie. Dix ans auparavant, en 1979, il a écrit un livre Brain Surgeon: An Intimate View of His World, récit d’un an passé aux côtés du Dr. James Brockman, une sommité mondiale de la neurochirurgie[15].
 
L’amnésie liée à la maladie d’Alzheimer, devenue une à la fois une maladie de masse en constante progression mais aussi une maladie mieux étudiée et un peu mieux connue, a donné lieu à de nombreuses fictions cinématographiques et littéraires à partir des années 1980. Pour rester dans le domaine de la langue française, citons les œuvres d’Annie Ernaux, qui relatait la maladie de sa mère dans deux livres successifs : Une femme et Je ne suis pas sortie de ma nuit, dernière phrase écrite par sa mère et devenue le titre d’un journal tenu par l’auteur pendant la maladie de sa mère. Au cinéma, l’Alzheimer est devenu un thème commun avec entre autres N’oublie Jamais de Nick Cassavets (2004), J’ai oublié de te dire du réalisateur Laurent Vinas-Raymond (2010), et particulièrement le court métrage anglais de Ben Shelton Je m’appelle Lisa (2007) : Il s’agit là d’un témoignage d’un enfant de treize ans qui vit au jour le jour l’évolution de la maladie d’Alzheimer de sa mère.
 
5. Récits autobiographiques
L’un des aspects les plus nouveaux des relations entre neurosciences et création littéraire et artistique réside dans la représentation autobiographique de troubles neurologiques. Ce phénomène a pris le nom de la vision de l’intérieur, « from within », comme le signale le titre des livres de Jill Bolte Taylor My stroke of Insight : A Brain Scientitst’s Personal Journey (2006) ou de Klaus Podoll et Derek Robinson The Migraine Experience from Within (2009), ou l’article célèbre de Carol Steen “Vision shared : A Firsthand Look into Synesthesia and Art”(2001) [16], ou le nom de l’exposition pionnière organisée par Jennifer Hall From the storm: artists with temporal lobe epilepsy.(1992)
 
La description du symptôme n’est plus déléguée à un spécialiste mais faite par le patient lui-même, alors que le syndrome constitue souvent un handicap cognitif, qu’il est supposé nuire ou empêcher toute représentation. La relation autobiographique d’une condition neurologique n’est pas nouvelle en soi, elle avait été pratiquée par Daudet pour les souffrances liées au tabes dorsalis dans La doulou, journal intime rédigé de 1885 à 1895 mais publié seulement en 1930, par Nabokov pour la synesthésie dans Speak Memory en 1947, par Margiad Evans pour l’épilepsie dans A Ray of Darkness, en 1952. Peuvent s’ajouter les descriptions de l’épilepsie dans l’œuvre de Dostoïevski quand elles sont supposées constituer une projection personnelle. Dans son chapitre sur les hallucinations mentales, Marc Jeannerod se réfère à la tradition des récits autobiographiques de malades psychotiques dont celui de Renée transcrit dans Le Journal d’une schizophrène par Marguerite Sechehaye en 1950. Peu de de symptômes neuropsychologiques comme l’hallucination ont donné lieu à autant de documents autobiographiques et littéraires Dans son dernier livre éponyme, Hallucinations, de 2012, Oliver Sacks après avoir rappelé que le sens médical du terme fut fixé par Esquirol dans les années 1830 montre que notre connaissance du phénomène de l’hallucination a été transformée aussi par les récentes techniques d’implantation d’électrodes et d’imagerie cérébrale.
 
Le récit de l’intérieur le plus connu est un cas limite, avec le témoignage de Jean-Dominique Baudy, Le scaphandre et le papillon, paru en 1997 qui a donné lieu à un film de Julian Schnabel en 2007. Ce journaliste victime d’un accident cérébro-vasculaire sort du coma avec un symptôme d’enfermement (locked-in symptome: LIS): alors qu’il est en pleine possession de ses capacités cognitives, il ne peut mouvoir de tout son corps que la paupière gauche, seul mouvement qui le relie au monde extérieur. Le journaliste a dicté pendant deux mois les cent vingt huit pages de son livre autobiographique en clignant la paupière devant chaque lettre d’un alphabet mis au point par son orthophoniste. L’auteur meurt quelques jours après la publication de ce livre qui est devenu un best-seller traduit en plus de trente langues.
 
Jean-Dominique Baudy s’identifie à Noirtier de Villefort, personnage du Comte de Monte-Cristo, le premier L.I.S apparu en littérature, un personnage dans une chaise roulante qui doit cligner une fois de l’œil pour dire oui et deux fois pour dire non. Dans le British Medical Journey en 1987 le neurologue J.M.S. Pearce oublie Alexandre Dumas dans son article sur “The locked in syndrome” : « The first description of the locked in syndrome may not have been by a doctor but by a writer-Emile Zola in Thérèse Raquin in 1868 […]) » Zola avait décrit dans Thérèse Raquin un cas de locked in syndrome une femme avec une paralysie complète sauf pour les yeux à la suite d’une attaque cérébrale. Pearce qui fait une longue référence au texte de Zola observe que le nom du syndrome ne fut inventé qu’un siècle plus tard par Plum et Posner en 1972[17].
 
La représentation de la migraine de l’intérieur avec l’apparition et l’extension du migraine-art constitue la première nouvelle configuration des rapports entre condition neurologique et représentation esthétique, produit de la neuroculture mais aussi sans doute de la culture de l’individualisme. C’est en effet dès les années 1980 que se développe une nouvelle forme d’art, le migraine-art. Le site du neurologue Klaus Podoll, http://www.migraine-aura.org constitue un excellent document de diffusion du savoir sur la migraine à aura et ses relations avec l’art et la littérature. Il contient une anthologie de textes autobiographiques d’écrivains qui l’ont vécue, comme Emilie Dickinson qui écrivit un poème sur la migraine. Il contient une liste de livres de fiction récents qui traitent de la migraine, certains ayant connu un succès certain comme celui de Siri Hustvedt, The Blindfold, 1992 et de livres autobiographiques sur la migraine comme Andrew Levy, A Brain Wider Than the Sky – A Migraine Diary, 2009. Des relectures neurologiques d’œuvres plus anciennes permettent d’interpréter textes et peintures à partir du scotome typique de la migraine à aura .La galerie des peintres inspirés par la migraine inclut entre autre Hildegard de Bingen, Giorgio de Chirico, Salvador Dali. Dès 1917 Charles Singer, émettait le diagnostic de migraine à aura pour les narrations écrites et les représentations visuelles de l’écrivain et plasticienne mystique du Moyen-Age Hildegard von Bingen (1098-1179). Cette interprétation a été reprise par Oliver Sacks dans son livre Migraine (1992). Les peintures de Hildegard de Bingen constitueraient le plus ancien témoignage de l’influence de la migraine sur l’inspiration artistique. C’est aussi un cas où la neurologie vient directement interpréter l’inspiration religieuse.
 
La neurologue Jill Bolte Taylor a récemment donné un récit de sa propre expérience d’un AVS. Pour la première fois, une description clinique vécue de l’intérieur est présentée d’un accident cérébral. La neurologue décrit depuis les premières minutes, l’apparition et l’extension des handicaps sensoriels, cognitifs et moteurs que la spécialiste peut associer à l’extension d‘une hémorragie cérébrale dans son hémisphère gauche. Neurologue, elle comprend immédiatement la signification des symptômes et elle décrit les minutes dramatiques où elle peut encore utiliser son savoir de neurologue pour essayer de trouver du secours.
 
Son récit couvre les huit ans qui furent nécessaires à sa convalescence et décrit sa découverte dans des conditions certes dramatiques des productions de son hémisphère droit désinhibé et vitaliste avec une nouvelle et intense perception du flux de l’univers. Les altérations causées par les lésions cérébrales peuvent entraîner une métamorphose de l’identité du patient.
 
Le récit d’une attaque cérébrale vécue par un écrivain qui la relaterait ensuite semblait inédit jusqu’à la parution du livre du dramaturge et auteur satirique polonais Slawomir Mrozek, victime d’une attaque en 2002. Pour entraîner sa mémoire et retrouver ses facultés d’expression, l’auteur a rédigé un récit de son attaque cérébrale et de ses conséquences, intitulé Baltazar. Une autobiographie en 2007.
 
L’autisme a été défini durant les années 1940 par le psychiatre autrichien Asperger qui a donné son nom à l’une des formes les plus légères d’autisme et aux Etats-Unis par Leo Kanner. La possibilité artistique des autistes est maintenant bien connue, idée popularisée aussi par Oliver Sacks dans Un antropologue sur Mars qui inclut l’étude d’un enfant artiste à la mémoire visuelle fabuleuse qui lui permet de rendre compte de tous les détails de scènes vues sur un dessin. Le Français Gilles Trehin a publié en 2004 un livre de dessins Urville, une ville imaginaire accompagnée de son histoire toute aussi fictive qui s’étend sur plusieurs millénaires.
 
Mais l’autisme s’est aussi transformé en une condition décrite de l‘intérieur, bien qu’il s’agisse de cas encore rares. Autiste Asperger mais aussi hypermnésiste et synesthète, l’anglais Daniel Tamett a écrit une autobiographie, geste jusque là impensable de la part d’un autiste. Born on a blue day .Inside the Extraordinary Mind of an Autistic Savant en 2007. Il a publié un second livre: Embracing the wide sky en 2009 traduit en français par lui-même, car il possède également des dons également hors du commun pour l’apprentissage des langues[18]. Dans le chapitre « Biologie de la créativité » de son dernier livre, Daniel Tamett souligne aussi la présence des personnes qui deviennent artistes à la suite d’un choc cérébral, les accidental artists[19].
 
Siri Hustvedt a commencé sa carrière littéraire avec un roman à forte dose autobiographique dont la migraine composait l’un des éléments majeurs, The Blindfold, en 1995. Avec La femme qui tremble : Une histoire de mes nerfs, elle est passée à un livre hybride entre l’autobiographie, l’essai et l’autofiction qui constitue un des grands livres emblématiques de la neuroculture, mélange de savoir neurologique, de narcissisme de masse décrit par Richard Sennett et Gilles Lipovetsky et de communication internet.
 
La femme qui tremble : une histoire de mes nerfs est un récit autobiographique qui tire son origine d’un syndrome : un tremblement irrépressible qui apparaît soudain lors d’une conférence publique. « […] comment se fait-il que j’aie soudain, sans aucun avertissement, été atteint par le trac, à l’âge de cinquante et un ans ? Pour une raison inexpliquée, après de nombreuses années de calme relatif, j’ai vu se développer en moi, non pas le tremblement nerveux facile à dissimuler dont j’avais fait l’expérience, mais des spasmes d’une violence quasi destructrice ?( 54) » Seul un médicament conçu pour soigner d’autres troubles, en l’occurrence l’hypertension possède des effets secondaires qui diminuent les crises de tremblement, un« bloqueur des récepteurs adrénergiques, il réduit la libération des hormones du stress. » (53) Le récit se transforme en une enquête à l’intérieur des neurosciences, en un voyage dans une bibliothèque scientifique et médicale, dans les manuels de psychiatrie, de neurologie et de psychanalyse pour tenter de découvrir les origines et les explications de ce symptôme de convulsions. L’auteur a approfondi sa connaissance de la neuropsychologie lors de séminaire et d’activités dans des institutions psychiatriques. Volontaire à la clinique Payne Whitney elle a animé un atelier d’écriture créative hebdomadaire, expérience dont elle se sert pour participer au débat dans son livre sur les expériences mystiques, les hallucinations auditives. Son livre est aussi un essai encyclopédique qui s’intéresse aussi bien aux nouvelles théories sur le rêve, aux limitations de la philosophie dite analytique, aux écrits sur la perception de la douleur. « Je souffre moins parce que ma perception de la douleur ressentie et la signification que j’y attache ont changé. (202) » L’auteur est critique contre la philosophie anglo-américaine et évite d’opposer frontalement neurobiologie et psychanalyse. Comme le neurologue du roman La chambre aux échos, elle émet des commentaires critiques sur les résultats des neurosciences actuelles trop marquées par leur culture nord-américaine originelle.
 
La vision de l’intérieur constitue l’une des conséquences majeures de la révolution des neurosciences, elle s’est alliée à la société d’individualisme de masse, à la société de l’internet et à la neuroculture dont elle est l’une des composantes. L’imaginaire contemporain est imprégné de cette nouvelle culture, même si les études dites littéraires semblent les dernières à les intégrer. Si la guérison de certaines maladies comme l’Alzheimer n’est pas encore en vue malgré l’amélioration des connaissances, les progrès technologiques et scientifiques font envisager des transformations qui ne relèvent pas uniquement de la pop neuroscience, ainsi dans l’interface entre le cerveau et la machine, – le Brain Computer Interface- où les réalités semblent avoir rejoint la science-fiction.
 
ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XI
 
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A. Wexler, Mapping Fate – A Memoir of Family, Risk, and Genetic Research, San Francisco, University of California Press, 1996
S. Zeki, Inner vision: An Exploration of Art and the Brain, Oxford, Oxford University Press, 1999.
—- Splendors and Miseries: Love, Creativity, and the Quest for Human Happiness, Blackwell Publishing, Oxford, 2009
—- « Neural concept Formation and Art: Dante, Michelangelo, Wagner », in F. Clifford Rose, (éd) op. cit.
 


[1] Sur la relation entre Babinski et Breton et l’influence de Babinski sur le mouvement surréaliste, voir :
– J. Morris, «The Anosognosic’s Dilemma: Something’s Wrong but You’ll Never Know What It Is (Part 2) », NY Times, June 21, 2010,
– J. Haan, PJ. Koehler, J. Bogousslavsky, «Neurology and surrealism: André Breton and Joseph Babinski», Brain. 2012 Dec;135:3830-8
[2] L’un des cas des plus célèbres est celui de Fellini La négligence unilatérale gauche dans les dessins du cinéaste après l’attaque cérébrale de l’hémisphère droit a été étudiée par les neurologues Cantagallo et Salla en 1998. Mais Fellini était conscient du défaut de représentation du côté gauche dans ses dessins, contrairement à la majorité des patients. L’un de ses dessins met en scène avec humour cette déficience par rapport à ses dessins antérieurs. Un personnage qui le représente, demande: « Où est la gauche ?» Voir: Cantagallo, S. D. Sala, (1998) «Preserved insight in an artist with extrapersonhalo spatial neglect sense», Cortex, 34, 163- 189.
[3] Sacks évalue à dix mille opérations de ce type menées aux USA jusqu’en 1949 et dix mille dans les deux seules années suivantes.
[4] L’importance de Wilfred Penfield est telle qu’il est devenu un mythe littéraire, apparaissant chez Philip K. Dick, J.G. Ballard, Shirow Masamune.
[5] Les sites video aujourd’hui proposent le visionnement de ces opérations du cerveau avec participation du patient réveillé.
[6] Siri Hustvedt, « Shock to the Senses”, New York Times, 28 décembre 2012.
[7] La vie d’Alexander Romanovitch Luria (1902-1977) est connue à la fois par un récit autobiographique, The Autobiography of Alexander Luria : A Dialogue with The Making of The Mind, écrit en 1974, traduit en anglais en 1979, et par les biographies qui furent consacrées à ce grand psychologue russe dès son vivant.
[8] . Certains neurologues ont mal vécu la renommée d’Oliver Sacks, à la fois neurologue, journaliste et écrivain.
[9] Brugger, Peter, “Book Review”, Cognitive Neuropsychiatry, Vol. 17, Issue 4, 2012
[10] “Language provides one of the best examples of how the study of early Alzheimer’s disease has informed cognitive neuropsychology, with the analysis of individuals and groups showing disruption of word and sentence level production and comprehension, and disintegration of the vast, structured network of information that endows objects and words with meaning, i.e. semantic memory (Nebes, 1989). The possibility of examining, retrospectively, the products of cognitive operations at work during the pre-symptomatic period of a neurodegenerative disease occurs rarely”
[11] J’ai ailleurs montré ce qu’il en est de l’interprétation postmoderne de ce scientific writer.
[12] Traduit par nous.
[13] Comme on sait Kandel lors d’un voyage d’étude à Paris a repris l’idée et l’animal du neurologue Ladislas Tauc, c’est-à-dire l’idée d’étudier un animal primitif, en l’occurrence l’aplysie pour étudier le système nerveux.
[14] La Science-fiction s’en était inspiré avec L’Invasion des Profanateurs de Jack Finney en1955.
[15] Une même scène d’opération est relatée par Marc Jeannerod dans un chapitre lui aussi sur l’amnésie « Une mémoire vide ». Jeannerod rappelle que la procédure chirurgicale qui consiste à stimuler le cortex cérébral chez des patients conscients a été inventée par Wilder Penfield pour localiser l’emplacement des tissus causant l’épilepsie.
[16] Nous ne traiterons pas ici de la synesthésie pour l’avoir déjà longuement fait dans des articles précédents et surtout bien entendu raison de la présence de l’article de la grande spécialiste Carol Steen qui nous a fait l’honneur de participer à ce numéro. Le moment de la révolution synesthésique commence dans les années 1990 pour continuer de se développer encore aujourd’hui.
[17] Comme le remarque Suzanne Anker, aujourd’hui un tel cas n’aurait plus lieu d’être car les progrès dans les interfaces cerveau-ordinateur (BCI : Brain-computer interfaces) permettent aux patients de diriger directement un curseur avec leurs pensées. (24)
[18] Comme on sait, le film a beaucoup aidé à mieux faire connaître l’autisme auprès d’un plus large publid. L’histoire est inspirée du fait réel de la vie de
[19] Voire notre article « Imprévisible et plasticité cérébrale ».
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