Autodissection d’un esprit malade

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Littérature et psychiatrie

Contrairement aux autres pathologies qui ont contaminé la littérature à travers les auteurs (on n’a qu’à penser au cas de Thomas Bernhard et de la tuberculose, avec des œuvres comme Le Souffle et Le Froid), dans le cas de la littérature de la folie, c’est l’organe même qui est atteint, l’esprit, qui engendre l’œuvre. Est-ce que cette particularité permet d’apposer à l’œuvre un sceau d’authenticité, de pénétrer plus profondément dans le vif de la douleur et de la maladie ?

Cette contagion entre littérature et psychiatrie sera abordée à partir de la pièce de théâtre 4.48 Psychosis (4.48 Psychose) de la dramaturge britannique Sarah Kane (1971-1999), qui a souffert toute sa vie de troubles dépressifs majeurs et récurrents. Elle affirmait que cette dernière pièce (écrite entre l’automne 1998 et l’hiver 1999) « parle d’une dépression psychotique. Et de ce qui arrive à l’esprit d’une personne quand disparaissent complètement les barrières distinguant la réalité des diverses formes de l’imagination » [1]. Une expérience qui semble à la fois lucide et psychotique, simultanément analyse et synthèse d’un corps qui lutte contre son propre esprit (ou serait-ce l’inverse ?). Corps mutilé ? Corps absent ? Corps théâtral ? Corps réinventé ? Le corps et l’esprit disséqués dans 4.48 Psychosis, et qui incarnent, dans une certaine mesure, ceux de l’auteure, soulèvent quantité de questions. À l’ère des communications, dans une société où le discours médical est accessible à tous, l’écriture de la folie se nourrit d’outils épistémologiques dont ne disposait pas une auteure comme Virginia Woolf, par exemple. Comment les connaissances médicales de Sarah Kane sur la dépression et la psychose (elle était très bien documentée sur le sujet, jusqu’à un niveau que l’on pourrait qualifier de morbide) ont pu influencer sa création ? L’esprit malade conscient de son état et qui utilise le vocabulaire de la psychiatrie pour en parler est-il toujours dans la folie ? Est-il dans la création ? Dans le cas de la pièce 4.48 Psychosis, s’agit-il d’un vrai délire psychotique, ou plutôt d’un produit de synthèse recréé consciemment par l’auteure lors de ses moments de lucidité ? Pourrait-on considérer un véritable délire psychotique comme une forme d’art ? Une œuvre comme 4.48 Psychosis mériterait-elle de se greffer à la littérature dite scientifique et de servir de document de référence aux psychiatres et psychologues ? 


Étude de cas

Avant de se lancer dans l’étude plus ciblée de 4.48 Psychosis, il est essentiel de tracer un portrait de la vie et de l’œuvre de Sarah Kane puisque, comme la voix narratrice de la pièce l’annonce, « [her] mind is the subject of these bewildered fragments » [2].

Sarah Kane est née en 1971 à Brentwood dans le Comté d’Essex. De 1991 à 1993, elle fait des études en art dramatique aux Universités de Bristol et de Birmingham [3]. Sa première pièce, Blasted, est créée à Londres au Royal Court Theatre Upstairs en janvier 1995 dans une mise en scène de James Macdonald. La pièce met en scène la descente aux enfers d’un journaliste qui se retrouve soumis aux horreurs (tortures, viols, mutilations) qu’il considère habituellement comme de simples faits divers à décrire dans son journal. C’est l’irruption fracassante des violences d’une guerre civile « lointaine » (Sarah Kane était profondément troublée par ce qui se passait en Bosnie) dans un quotidien occidental déjà teinté d’une autre forme de violence, hypocrite, insidieuse. Dès les premières représentations, la pièce crée un véritable scandale médiatique [4]. Dans le quotidien The Guardian du 20 janvier 1995, le critique Michael Billington avertit ses lecteurs qu’ils assisteront à « des scènes de masturbation, de fellation, de miction, de défécation […], de viol homosexuel, d’yeux arrachés et de cannibalisme. » [5] Le journaliste Jack Tinker, du Daily Mail, se dit quant à lui « totalement et absolument écœuré […] par une pièce qui semble ne fixer aucune limite à l’indécence, et n’a cependant aucun message à transmettre en guise d’excuse. » [6] Le « mythe » Sarah Kane était né. [7]

La dramaturge met elle-même en scène sa seconde pièce, Phaedra’s love, au Gate Theatre en mai 1996. En avril 1998, le metteur en scène James Macdonald dirige la création de la troisième pièce de Kane, Cleansed, au Royal Court Downstairs. Inspirée de l’extermination des Juifs durant la Deuxième Guerre mondiale, cette pièce expose les expériences sadiques d’un pseudo-chirurgien qui cherche à éprouver les limites de l’amour humain sur le campus d’une université anonyme. Avec Cleansed, Sarah Kane s’éloigne de plus en plus du naturalisme en proposant, entre autres, des didascalies impossibles : « the rats carry Carl’s feet away » ou « a sunflower bursts through the floor » [8]. La pièce suivante, Crave, créée au Festival d’Édimbourg en août 1998, pousse encore plus loin l’abstraction. Aucun personnage n’est décrit de façon concrète. A, B, C et M enchaînent les répliques dans ce qui ressemble davantage à un long poème qu’à une pièce de théâtre ; un long poème sur l’amour et ses blessures dont la forme – et même certains passages textuels – sont inspirés par The Waste Land du poète T.S. Eliot [9].

Sarah Kane traverse une période dépressive intense à la fin de l’été 1998. C’est cette expérience, et celle des traitements qu’on lui administre, qui forment l’essence de sa prochaine pièce : 4.48 Psychosis. La dramaturge rédige son œuvre ultime au cours de l’automne 1998 et de l’hiver 1999. Le 20 février 1999, laissée seule 90 minutes à l’Hôpital de King’s College (où elle avait été internée à la suite d’une tentative de suicide par consommation d’antidépresseurs), Sarah Kane se pend avec ses lacets [10]. Elle avait 28 ans. 4.48 Psychosis sera créée au Royal Court Jerwood Theatre Upstairs en juin 2000 dans une mise en scène de James Macdonald.

Signes et symptômes

Sarah Kane – elle l’admettait d’ailleurs elle-même – était une pilleuse de littérature, « last in a long line of literary kleptomaniacs » [11], et elle s’est sans cesse abreuvée à de multiples et souvent hétéroclites sources d’inspiration : en vrac, parmi les auteurs qu’elle a identifiés comme des modèles ou ceux dont les voix transparaissent de façon évidente dans ses œuvres, on peut citer Harold Pinter, Martin Crimp (The Treatment, Attempts on Her Life), Samuel Beckett, Howard Barker et le Théâtre de la Catastrophe, Heiner Müller, Shakespeare (particulièrement Twelfth Night et King Lear), Fassbinder, Ibsen, Antonin Artaud et le Théâtre de la Cruauté et Edward Bond (The War Plays). Ce dernier a lui-même défendu l’écriture de Sarah Kane. Dans le quotidien The Guardian du 16 décembre 2000, il a dit de la pièce Blasted que c’était « la seule pièce contemporaine [qu’il aurait aimé] avoir écrite, elle est révolutionnaire. » [12] Quant au théâtre d’Antonin Artaud, dont Kane se réclamait ouvertement, il se manifeste incontestablement dans son œuvre. À Londres, le Musée du Théâtre a d’ailleurs inclus Cleansed dans son dossier pédagogique sur Artaud comme « exemple moderne de « théâtre total » » [13].

Violence, désespoir, torture, colère, corps androgynes, corps mutilés, insatisfaction, amour : les thèmes qui sous-tendent l’écriture de Sarah Kane se répètent, s’entrechoquent et se répondent d’une pièce à l’autre. Son théâtre, qui n’admet aucune complaisance et refuse de se soumettre à un quelconque réalisme psychologique, se situe aux limites du représentable et propose aux spectateurs une incursion dans les plus noires contrées de l’âme humaine. Ses pièces s’apparentent à de véritables tragédies modernes, très en lien avec l’idée classique de catharsis, de purgation des passions. Le dramaturge Mark Ravenhill voit d’ailleurs en Sarah Kane « un écrivain contemporain ayant la sensibilité d’un classique » [14].

Il n’est donc pas étonnant que le critique de théâtre, professeur et auteur britannique Aleks Sierz (In-Yer-Face Theatre : British Drama Today, The Theatre of Martin Crimp) range Sarah Kane parmi les trois principaux auteurs – aux côtés de Mark Ravenhill et Anthony Neilson – d’un courant qui se développe dans le théâtre des nasty nineties en Grande-Bretagne : le In-yer-face theatre. Choquant, provoquant, violent, extrême, sans compromis, c’est un théâtre qui refuse de laisser les spectateurs quitter la salle indifférents ou intacts. Aleks Sierz parle d’ « experiential theatre », de « theatre which grabs the audience by the scruff of the neck and shakes it until it gets the message.  » [15]

Mise en garde

À 28 ans, la jeune dramaturge Sarah Kane nous laisse en héritage cinq pièces radicales et dérangeantes. S’il est certain que son suicide contribue à imprégner son nom d’un parfum mythique, on ne peut nier le danger que cette fin brutale ne lui accole aussi l’étiquette d’auteure-suicidée, et qu’on ne relise toutes ses pièces qu’à travers le seul prisme de l’autobiographie. Sans doute, il est presque impossible de ne pas le faire du tout, surtout quand on réalise à quel point les préoccupations morbides, la mort et la maladie mentale occupent une grande place dans son œuvre, tout particulièrement dans 4.48 Psychosis, où certains ne voient qu’« une déclaration de suicide » [16] ou « un billet annonçant un suicide, et cela pendant 75 minutes » [17]. Si on parle encore de Sarah Kane aujourd’hui, et si on continue à monter ses pièces, est-ce uniquement parce qu’elle s’est suicidée ? La question peut paraître cruelle, mais le critique Luc Boulanger, dans le quotidien La Presse du 23 mars 2008, se la posait encore.

Pour le dramaturge Edward Bond, cependant, la réponse est claire : la dernière pièce de Sarah Kane représente beaucoup plus qu’un délire se concluant par un suicide. Dans une Lettre à l’auteur datée de 2000, il affirme qu’« après avoir été un douloureux billet annonçant un suicide et parlant de mort, de perte et de gâchis, 4.48 Psychose devient une manière de traité qui nous dit comment vivre de façon consciente, ce qui est encore plus douloureux. » [18]


Même si on reconnaît à la pièce 4.48 Psychosis des qualités esthétiques qui permettent de la considérer comme un objet artistique construit (et pas uniquement une note de suicide rédigée à la hâte), le fait qu’elle s’attarde à disséquer les souffrances de l’esprit de son auteure [19] en fait-il une pièce nombriliste ou narcissique ? Il semblerait que ce soit tout le contraire. David Greig, dans son introduction aux œuvres complètes de Sarah Kane, estime que « the mind that is the subject of the play’s fragments is the psychotic mind. A mind which is the author, and which is also more than the author. It’s a mind that the play’s open form allows the audience to enter and recognise themselves within. » [20]

Marie-Christine Lesage, dans un article intitulé Les bords extrêmes : la dramaturgie de Sarah Kane, va encore plus loin et parle de « psychose sociale » et d’ « insanité collective » [21]. Selon elle, « ce qui est représenté à travers l’effondrement du sujet [dans 4.48 Psychosis], c’est la fuite et la faillite de toute une société. » [22] Ce qui n’est pas sans faire penser à Artaud et sa notion d’aliéné authentique : « Et qu’est-ce qu’un aliéné authentique ? C’est un homme qui a préféré devenir fou, dans le sens où socialement on l’entend, que de forfaire à une certaine idée supérieure de l’honneur humain. […] Car un aliéné est aussi un homme que la société n’a pas voulu entendre et qu’elle a voulu empêcher d’émettre d’insupportables vérités. » [23]

Sarah Kane estimait que le discours d’Antonin Artaud incarnait « une définition de la santé mentale » [24]. En effet, elle ne considérait pas les dépressions comme uniquement malsaines puisque, selon elle, c’est une « perception parfaitement réaliste du monde environnant qui s’exprime en elles » [25]. Elle admettait cependant la nécessité d’« émousser jusqu’à un certain degré sa propre capacité de ressentir. Autrement on est chroniquement en bonne santé dans une société chroniquement malade. » [26]

Description clinique

La pièce 4.48 Psychosis se laisse difficilement saisir et résumer, pour la simple et bonne raison qu’elle ne raconte pas une histoire et ne met en scène aucun personnage au sens classique du terme. Sarah Kane disait elle-même que la pièce portait sur la « dépression psychotique » [27], et plusieurs critiques l’ont définie comme un paysage mental [28]. Le titre quelque peu énigmatique de 4.48 Psychosis fait référence à cette heure de l’aube à laquelle Sarah Kane se réveillait fréquemment au moment de sa dernière grande période dépressive. Elle considérait la pointe du jour comme un instant de grande clarté, « a moment when the confusions of psychosis seem to evaporate » [29].

Pour parler de la psychose, Sarah Kane a délibérément choisi une forme éclatée, nouvelle, indéfinissable. Pour elle, la forme et le contenu étaient indissociables : « Formellement, je tente également de faire s’effondrer quelques frontières – pour continuer à faire en sorte que la forme et le contenu ne fassent qu’un. » [30] D’ailleurs, la voix narratrice de 4.48 Psychosis ne se demande-t-elle pas : « How can I return to form / now my formal thought has gone ? » [31]

La pièce se présente donc comme une succession de 25 fragments aux styles tout à fait variés : séquences poétiques, extraits de questionnaires médicaux, passages inspirés du livre de l’Apocalypse, conseils issus de manuels de psychologie, listes de chiffres, de médicaments, d’effets secondaires. À plusieurs reprises, la typographie défie les normes dramaturgiques habituelles : mots disposés en colonne, phrases dispersées sur la page, deux colonnes de mots côte à côte, mots unis par leur sens ou par leur sonorité, etc. Sarah Kane opère une véritable dissection du langage et lance un défi aux futurs metteurs en scène de la pièce. En effet, comment traduire cette cohabitation de formes ou cette mise en page particulière dans la mise en scène ?

La voix (puisqu’on ne peut pas véritablement parler de personnage) de 4.48 Psychosis va parfois jusqu’à utiliser un langage qui pourrait s’apparenter aux mots incantatoires tels que définis par Artaud. Dans une assez longue séquence qui s’étend sur deux pages, la voix ne fait presque que répéter inlassablement une série de verbes : « flicker punch slash dab wring press burn slash press slash punch flicker flash press burn slash  » [32] . Ces mots semblent unis par leur sonorité davantage que par leur sens, et l’émotion naît de leur cohabitation et de la répétition, comme le souhaitait Artaud : « à côté de ce sens logique, les mots seront pris dans un sens incantatoire, vraiment magique, – pour leur forme, leurs émanations sensibles, et non plus seulement pour leur sens. » [33]

Enfin, dans certains passages, la présence de tirets peut nous indiquer qu’il y a possibilité de dialogue, mais encore là, rien n’est défini. Assistons-nous à une conversation entre une patiente et son médecin ? Entre une femme et son amant ? Entre la portion malade de l’esprit et la partie saine ? Sarah Kane n’impose rien, et chaque mise en scène peut être complètement différente. Au moment de la création au Royal Court Theatre Upstairs en janvier 1995, la mise en scène de James Macdonald donnait à trois acteurs [34] la responsabilité de livrer la partition de 4.48 Psychosis, se partageant le texte selon les trois « personnalités » manifestées tout au long de la pièce, et qui y sont explicitement nommées : « Victim. Perpetrator. Bystander. » [35]

Dans la mise en scène de Claude Régy (en escale à Montréal, à l’Usine C, du 4 au 12 novembre 2005, trois ans après sa création au Théâtre des Bouffes du Nord), c’est la comédienne Isabelle Huppert, complètement immobile, qui portait la voix principale de la pièce, alors que le comédien Gérard Watkins, derrière un rideau translucide, incarnait un personnage qu’il qualifie d’« absolument indéfini » [36]. « Un moment donné, dans le texte, il y a un tiret, et c’est tout ce qui indique, et ce n’est pas obligatoire, qu’on peut imaginer des dialogues. C’est un psychiatre, un double, une voie vers l’amant, vers l’Autre. Et c’est tout ça à la fois, avec le travail de Claude Régy ! » [37] Le metteur en scène français est en effet fasciné par les théories de la physique quantique et le principe d’indétermination. « La physique quantique est une science qui met complètement en bêche l’idée qu’on puisse atteindre une vérité, quelle qu’elle soit. C’est une science d’incertitude. » [38] Les personnages possibles mais imprécis proposée par Sarah Kane ont donc tout pour le séduire.

Matériel : corps et esprit

Même si 4.48 Psychosis dissèque l’état d’un esprit malade, la notion de corps n’est pas évacuée de la pièce, bien au contraire. Comme Sarah Kane l’affirmait elle-même, elle souhaitait explorer « la scission entre la conscience et le corps » [39]. Dans la pièce, la douleur semble en effet principalement provenir de l’impossible réunion entre le corps et l’esprit. Dès le septième fragment, la voix affirme : « Body and soul can never be married » [40]. Elle parle aussi de la « dreary and repugnant tale of a sense interned in an alien carcass » [41]. La division entre le corps et l’esprit malade est aussi exprimée par ces vers : « Here I am / and there is my body / dancing on glass  » [42].

Une chose est certaine, la voix de 4.48 Psychosis ne se sent pas bien dans sa peau, une expression à prendre ici au sens littéral. Elle demande à son interlocuteur-psychiatre : « Do you think it’s possible for a person to be born in the wrong body ? (silence.) Do you think it’s possible for a person to be born in the wrong era ? » [43]

Selon Sarah Kane, la folie naît de la rupture entre le corps physique et la conscience psychique, et « la seule façon de retrouver une forme quelconque de santé mentale est de parvenir à l’union entre notre être physique et notre être affectif, spirituel et mental. » [44] Chez les personnages de Sarah Kane, cette union est souvent rendue possible au cours des quelques instants qui précèdent leur anéantissement (c’est le cas des personnages de Ian et Hippolyte [45]) ou par l’automutilation. La narratrice de 4.48 Psychosis s’est d’ailleurs tailladé les bras « because it feels fucking great. Because it feels fucking amazing. » [46] L’automutilation apparaît, dans les pièces de Kane, comme un moyen de diminuer la souffrance et d’accéder à soi-même. Une solution extrême et temporaire que Sarah Kane disait comprendre : « Je crois qu’au moment où elle [une femme de sa connaissance] s’ouvre les poignets ou qu’elle prend une overdose, elle se raccroche d’un coup à elle-même et elle veut continuer à vivre. Alors elle part à l’hôpital. Sa vie est une succession sans fin de tentatives de suicide qu’elle récuse ensuite. Et aussi terrible que cela soit, je comprends parfaitement ce mouvement. » [47]

Le jargon médical et la science psychiatrique qui contaminent 4.48 Psychosis permettent à la dramaturge d’explorer une autre solution susceptible d’atténuer la perception de la séparation entre le corps et de l’esprit : la consommation de médicaments, notamment d’antidépresseurs. Elle est cependant consciente que ce procédé chimique risque d’entraîner une altération du comportement, une certaine forme de perte d’identité. Après avoir affirmé « There’s not a drug on earth can make life meaningful », la voix de 4.48 Psychosis s’exclame, avec une grande lucidité qui se double d’un immense désespoir : « Okay, let’s do it, let’s do the drugs, let’s do the chemical lobotomy, let’s shut down the higher functions of my brain and perharps I’ll be a bit more fucking capable of living. » [48] Ce qui n’est pas sans rappeler le cri d’un personnage qui a beaucoup inspiré Sarah Kane, le roi Lear de Shakespeare, qui, à travers son délire, demande que l’apothicaire lui apporte une substance susceptible de « sweeten [is] imagination ».

Revue de littérature

Quand elle parlait de 4.48 Psychosis, Sarah Kane utilisait l’expression « dépression psychotique », ce qui n’est pas un diagnostic existant dans le vocabulaire de la psychologie ou de la psychiatrie. On peut parler de trouble dépressif majeur récurrent avec épisodes psychotiques, mais la dépression psychotique n’existe pas à proprement parler [49]. Il serait cependant difficile de reprocher à Kane ces imprécisions scientifiques. Après tout, la pièce est une œuvre artistique et ne se présente en aucun cas comme un traité médical. Quand on lit attentivement 4.48 Psychosis, on peut néanmoins réaliser que Sarah Kane était très documentée au sujet des maladies mentales, très consciente de son état et qu’elle a abondamment puisé dans la littérature scientifique pour créer sa dernière pièce.

Sur sa table de chevet, on a retrouvé les livres qu’elle lisait à l’époque de sa mort [50], donc les ouvrages susceptibles d’avoir nourri la rédaction de 4.48 Psychosis. Aux côtés d’un recueil de Sylvia Plath et du récit autobiographique ProzacNation : Young and Depressed in America : A Memoir, trônaient des livres sur la psychologie, notamment The Suicidal Mind de Edwin S. Shneidman et Malignant sadness : the anatomy of depression de Lewis Wolpert [51]. Certains extraits de 4.48 Psychosis proviennent d’ailleurs presque littéralement de ces deux derniers ouvrages.

Au tout début de la pièce, la voix narratrice recense une série d’états dépressifs : « I am sad / I feel that the future is hopeless and that things cannot improve / I am bored and dissatisfied with everything / I am a complete failure as a person » [52]. À la première lecture, on peut penser que la narratrice livre là le plus profond de son âme et dévoile sans pudeur et sans filtre son état mental le plus intime. Cependant, on retrouve mot à mot certaines de ces phrases dans Malignant sadness  : « I feel sad / I can’t do any work at all » [53]. Il s’agit en fait de phrases qui figurent dans un questionnaire médical visant à diagnostiquer la dépression, et qui propose aux patients d’identifier, en les cochant dans une liste, les affirmations qui correspondent le plus exactement à leur vision du futur, de la mélancolie, du sommeil, du désir sexuel et des pensées suicidaires. Ce sont donc là des phrases toutes faites dont Sarah Kane ne fait que récupérer le style et la mise en forme. Si elle les retranscrit d’abord presque littéralement, elle va peu à peu créer des formules de plus en plus personnelles. Vers la fin de la liste de 4.48 Psychosis, on peut retrouver des affirmations comme : « My hips are to big / I dislike my genitals » [54]. C’est un bon exemple du travail de récupération du discours médical effectué par Sarah Kane, un discours qu’elle détourne de son sens premier avec une lucidité quelque peu cynique et un humour qui s’approche du noir.

Vers la fin de la pièce, une autre énumération – cette fois-là de recommandations énigmatiques – est empruntée à un livre scientifique. Des phrases comme « to achieve goals and ambitions / to overcome obstacles and attain a high standard / to increase self-regard by the successful exercise of talent / to overcome opposition » [55] se retrouvent, presque mot à mot, dans The Suicidal Mind. Ces affirmations sont tirées d’un autre questionnaire médical, demandant celui-ci aux patients de quantifier la douleur qui provient de la non réalisation de certains besoins psychologiques tels que définis par le psychologue Henry A. Murray [56].

Deux fragments de la pièce ne sont constitués que de chiffres : dans un cas les nombres se retrouvent bien ordonnés en colonne [57], une autre fois disposés sans logique identifiable sur la page [58]. Ces passages mathématiques ont été inspirés à Sarah Kane par un autre test auquel les psychologues soumettent leurs patients. Afin d’évaluer leur capacité de concentration, on demande aux patients de compter par ordre décroissant à partir de 100, et ce par tranches de 6, 7 ou 8. Dans le contexte de la pièce de Sarah Kane, la liste bien ordonnée correspond à un exercice réussi (le decrescendo à partir de 100 par tranches de 7 est constant), alors que le passage des nombres anarchiques révèle un état d’esprit plus troublé de la narratrice.

Un autre passage apparaît révélateur à la fois des connaissances médicales de Sarah Kane, de sa lucidité et de son humour acéré. Il s’agit d’une longue énumération de médicaments antidépresseurs et de leurs effets secondaires :

Sertraline, 50 mg. Insomnia worsened, severe anxiety, anorexia (weight loss 17kgs) increase in suicidal thoughts, plans and intention. Discontinued following hospitalization. / Zoplicone, 7.5 mg. Slept. Discontinued following rash. Patient attempted to leave hospital against medical advice. Restrained by three male nurses twice her size. Patient threatening and uncooperative. Paranoid thoughts – believes hospital staff are attempting to poison her.  [59]

On retrouve la classification de ces médicaments et l’inventaire de leurs effets secondaires (parfois recopiés mot à mot par Sarah Kane ) dans un tableau figurant dans Malignant sadness [60]. Encore une fois, la dramaturge ne fait que réutiliser et trafiquer des données scientifiques. La dernière expérience d’ingestion de drogues décrite dans cette énumération en est une de tentative de suicide, pour le récit de laquelle Sarah Kane conserve cyniquement son ton froid de pharmacien énumérant des effets secondaires : « 100 aspirins and a bottle of Bulgarian Cabernet Sauvignon, 1986. Patient woke up in a pool of vomit and said « Sleep with a dog and rise full of fleas ». Severe stomach pain. No other reaction. » [61] Une séquence très représentative à la fois de son humour cinglant et de sa méfiance à l’égard des médicaments.

À la lecture de 4.48 Psychosis, on peut aussi réaliser que Sarah Kane a au moins autant observé les psychologues et leur discours qu’elle s’est elle-même laissée étudiée. À plusieurs endroits dans la pièce (notamment dans les extraits qui s’apparentent à des dialogues), elle utilise des techniques d’intervention des psychologues en les parodiant quelque peu, de façon lucide mais sans la rancœur qu’elle semble manifester envers les médicaments. Au début de la pièce, l’interlocuteur demande à la narratrice : « What do you offer your friends to make them so supportive ?  » [62], une question que les psychologues posent aux gens souffrant de dépression afin de leur faire reconnaître leurs qualités. Dans un autre entretien, la voix-psychologue (si on veut la considérer ainsi), demande à la narratrice si elle a des projets. Quand les psychologues soupçonnent des pensées suicidaires chez leurs patients, ils posent effectivement cette question afin de déterminer s’ils se projettent dans l’avenir. Sur ce point, la voix narratrice de 4.48 Psychosis est assez claire. Elle répond : « Take an overdose, slash my wrists then hang myself. » [63]

Enfin, vers la fin de la pièce, la narratrice affirme : « I have no desire for death / no suicide ever had » [64], ce qui peut surprendre en tant que constat apparaissant au terme d’une cinquantaine de pages sur l’insatisfaction, la douleur, le désespoir, la dépression chronique et les pensées morbides. Cependant, c’est vrai : la personne qui se suicide ne cherche pas la mort, mais la fin de la souffrance.

Analyse des résultats et Discussion _ _ À la lumière de cette lecture-autopsie de 4.48 Psychosis de Sarah Kane, nous pouvons, à l’instar du dramaturge Edward Bond, rejeter l’idée que la pièce ne soit en fait qu’une longue note de suicide. En effet, par un savant mélange des genres, une récupération lucide et cynique du jargon médical, un humour noir et décapant, une reprise consciente de thématiques récurrentes [65] et une poésie d’une grande puissance évocatrice, la pièce ultime de la jeune dramaturge s’éloigne de la note désespérée écrite à la hâte et s’élève au niveau d’œuvre ayant une véritable valeur artistique et résultant d’un travail de création organisé.

Sarah Kane voulait écrire sur la psychose et la dépression, sur la perte de contact avec la réalité et le désespoir. Armée d’une grande lucidité à travers la folie, de connaissances médicales, d’un don d’observation bien aiguisé et d’un indéniable talent littéraire, elle semble avoir réussi, simultanément, à raconter sa folie de l’intérieur et de l’extérieur. À la fois objet d’étude et observatrice : position psychotique par excellence [66]. Le psychiatre et écrivain Jean Gillibert, dans son essai intitulé Folie et Création, soutient que « l’inconscient peut « produire » mais [qu’]il ne crée pas » [67]. On pourrait déduire de cette assertion que le véritable auteur de 4.48 Psychosis est l’esprit conscient de Sarah Kane, qui tente de mettre en forme les états ressentis alors qu’il se trouvait envahi par la puissance de l’inconscient. 4.48 Psychosis réactualise avec un soin méticuleux les moments de dissociation entre le corps et l’esprit éprouvés par la dramaturge, ses instants de perte de contact avec la réalité. « Il y a toujours un rêveur qui assiste à son rêve. Il y a toujours un sujet autonome qui assiste à son délire » [68], affirme Jean Gillibert. La longue confession qu’est 4.48 Psychosis, aussi honnête et authentique qu’elle apparaisse à première vue (surtout quand on connaît la fin tragique de son auteure), comporte donc aussi une certaine part de duperie, d’imposture. Ce qu’on réussit à appréhender, à travers la pièce, n’est pas la psychose réelle, mais plutôt un produit de synthèse recréé consciemment par l’auteure lors de ses moments de lucidité, un souvenir réactualisé, convoqué des zones d’ombre les plus ténébreuses de l’esprit.

Aujourd’hui, tout le monde a accès à la littérature scientifique, et c’est pourquoi les récits de la folie issus d’esprits malades diffèrent de ceux d’il y a 100 ou même 50 ans. Au moment de la rédaction de son œuvre, Sarah Kane disposait d’outils épistémologiques qui demeuraient inaccessibles à des artistes comme Vincent van Gogh ou Virginia Woolf, par exemple – et même à certains psychiatres du siècle dernier. Au-delà de la poésie pure, elle utilise le langage des psychiatres et des psychologues, qu’elle trafique en se le réappropriant. Résultat : une œuvre à la langue hybride, dans laquelle des mots comme « dysphoria » [69] surgissent au milieu de segments poétiques. La langue littéraire n’est plus la seule permettant aux artistes de traduire les gouffres de la folie : le langage médical, plus aiguisé, en apparence plus froid, vient ajouter un contrepoint nouveau et fertile au monopole du langage dit littéraire qui prévalait auparavant.

Munie de ce nouveau contenu scientifique, une œuvre comme 4.48 Psychosis mériterait-elle de se greffer à la littérature médicale afin d’enrichir la compréhension de la maladie mentale ? Ce témoignage éclairé est-il valable d’un point de vue scientifique ? Paradoxalement, plus la littérature de la folie (entendre ici celle issue d’un esprit lui-même malade) s’appuie consciemment sur des données objectives, moins elle apparaît comme vraie, exacte, authentique. Ce nouveau type d’écriture se trouve en quelque sorte brouillé par le filtre de la connaissance médicale. Le discours à la fois artistique et analytique que développe le patient-artiste sur son propre état implique la nécessité d’une certaine mise en forme qui nuit à une pénétration directe de son désespoir.

Le travail des psychologues se fait déjà à travers la médiation du langage. La psychologie constitue, par nature, un travail d’enquête biaisé (en ce sens qu’il passe obligatoirement par le biais du témoignage du patient). Le travail à partir d’une œuvre artistique comme 4.48 Psychosis, dans laquelle les contraintes de la création se mêlent aux inspirations scientifiques, impose donc un double biais (celui de l’auteur jumelé à celui du psychologue) qui risque de faire perdre une génération de vérité aux perceptions intimes du patient-artiste.

L’art de la « folie » remplit donc probablement davantage un rôle de sensibilisation du public qu’il ne représente un véritable outil épistémologique. Après avoir assisté à une représentation de 4.48 Psychosis, un spectateur ne peut que devenir plus sensible à la question de la dépression et développer une meilleure compréhension intime de la souffrance et de la détresse que cause cette maladie. C’est une expérience de partage d’une sensibilité humaine à une autre sensibilité humaine, qui ne doit pas s’embarrasser d’une exactitude scientifique à tout prix. Une « dépression psychotique » ? Et pourquoi pas…

Selon David Greig, la pièce 4.48 Psychosis « was an act of generosity by the author », puisque la dépression « is a destructive rather than a creative condition » et que « those trapped there are normally rendered voiceless by their condition » [70].

Antonin Artaud écrit, dans Le Théâtre et son double, que « « théâtre de la cruauté » veut dire théâtre difficile et cruel d’abord pour [lui]-même » [71]. Puis, il parle d’un « théâtre grave, qui, bousculant toutes nos représentations, nous insuffle le magnétisme ardent des images et agit finalement sur nous à l’instar d’une thérapeutique de l’âme dont le passage ne se laissera plus oublier. » [72]

_ _ Traitement du corps et Diagnostic _ _ Pour conclure, il serait intéressant de tenter de définir la façon dont est traitée la problématique du corps à travers l’œuvre de Sarah Kane. Certaines caractéristiques semblent en effet partagées par la quasi-totalité des personnages de ses cinq pièces. La présence de mutilations (qu’elles soient auto-infligées ou le résultat d’une agression) affectent de nombreux personnages. On n’a qu’à penser aux automutilations de la narratrice de 4.48 Psychosis, aux yeux arrachés – et dévorés – du Ian de Blasted ou aux amputations multiples de Cleansed.

De nombreux personnages de Kane ressentent aussi l’impression de se trouver dans le mauvais corps et perçoivent un décalage entre la nature de leur corps physique et ce qu’ils croient être profondément. Une des voix de Crave affirme : « I want to feel physically like I feel emotionally » [73], alors qu’une autre « wishes she’d been born black, male and more attractive » [74]. Le personnage de Grace dans Cleansed voudrait modifier son corps « so it looked like it feels ». Cette dernière réplique étant aussi révélatrice d’une autre caractéristique du corps chez Kane : l’androgynie. Le pseudo-chirurgien de Cleansed greffe les organes génitaux de Graham à sa sœur Grace alors que la narratrice de 4.48 Psychosis parle d’un « broken hermaphrodite who trusted hermself  » [75]. En fait, ces trois caractéristiques du corps dans le théâtre de Kane – corps mutilé, corps inadéquat et corps androgyne – situent l’enveloppe corporelle à la source d’une profonde insatisfaction et d’une grande souffrance.

David Greig, dans son introduction aux œuvres complètes de Sarah Kane, développe une idée intéressante selon laquelle, à travers les cinq pièces de la jeune dramaturge, on peut suivre la lutte du corps pour demeurer intact, d’abord à travers la guerre civile (Blasted), puis au sein de la famille (Phaedra’s love), du couple (Cleansed), de l’individu (Crave), et finalement de l’esprit même (4.48 Psychosis) [76].

L’acteur Hubert Colas, pour sa part, parle du corps de Kane l’auteure comme étant un « corps réceptacle, poreux » [77], un corps « psychiquement […] atteint par ce qui se passe dans le monde » [78] parce qu’elle ne pouvait s’empêcher de souffrir et de se sentir responsable à la simple évocation de toutes les horreurs se déroulant sur terre [79]. Une vision de l’horreur qu’elle injectait à ses pièces, les façonnant en de véritables tragédies contemporaines, parfois pénibles à supporter, mais toujours honnêtes et assoiffées de sens moral. Le scénographe Daniel Jeanneteau (qui a signé la scénographie de la mise en scène de 4.48 Psychose de Claude Régy) affirme que ce dernier texte de Sarah Kane « inocule un vaccin contre le désespoir » [80]. La dramaturge était en effet convaincue qu’il était « crucial d’enregistrer et de confier à la mémoire des événements jamais vécus – afin d’éviter qu’ils se produisent », car « l’expérience grave des leçons dans nos cœurs grâce à la souffrance, alors que réfléchir nous laisse intacts… » [81]. Antonin Artaud affirmait quant à lui que « dans l’état de dégénérescence où nous sommes, c’est par la peau qu’on fera rentrer la métaphysique dans les esprits. » [82]

Le « vaccin » proposé par Sarah Kane n’aura vraisemblablement pas suffi à la protéger elle-même. Pour la dramaturge, il semble que les horreurs du monde aient été trop virulentes [83] et que l’union soit demeurée impossible entre le corps et l’esprit. La voix de 4.48 Psychosis a dû s’effacer pour laisser toute la place à la parole, jusqu’à la désincarnation. À la toute fin de la pièce, la narratrice implore qu’on la regarde disparaître (« watch me vanish / watch me / vanish » [84]), et la dernière réplique de la pièce – celle qui clôt l’ensemble de l’œuvre de la jeune dramaturge – en est une qui concerne le monde du théâtre : « please open the curtains » [85]. Tout ce qui nous reste de la parole de Sarah Kane, maintenant, c’est le théâtre qu’elle nous a légué. La dramaturge n’est plus, en quelque sorte, qu’un corps théâtral. La voix de 4.48 Psychosis ne disait-elle pas « just a word on a page and there is the drama » [86]…

L’analyse de l’œuvre testamentaire de la jeune dramaturge peut laisser deviner, si ce n’est le suicide de son auteure, du moins le désir de silence de sa narratrice. Pièce prophétique ? Quand la voix affirme « After 4.48 I shall not speak again / I have reached the end of this dreary and repugnant tale of a sense interned in an alien carcass and lumpen by the malignant spirit of the moral majority » [87], parle-t-elle de 4.48 l’heure matinale, ou de 4.48 la pièce ?

After 4.48 I shall not speak again

 

Bibliographie _ _ American Psychiatric Association. Mini DSM-IV : Critères diagnostiques. Paris : Masson, 1996, 384 p.

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ps:

ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE

notes:

[1] Conversation avec des étudiants (novembre 1998), rapportée dans : Usine C, « 4.48 Psychose » de Sarah Kane, 2005, programme de la pièce présentée à l’Usine C (4 au 12 novembre 2005).

[2] Sarah Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays ; introduction par David Greig, Londres, Methuen Drama, 2001, p. 210.

[3] Théâtre national de Strasbourg, « Sarah Kane », numéro 1 de OutreScène, La revue du théâtre national de Strasbourg, février 2003, p. 94. (Dans les paragraphes suivants, les informations relatives aux dates de création des pièces de Sarah Kane sont aussi tirées de cette source.)

[4] Un scandale à la hauteur de celui qui avait secoué le même théâtre, quelque 30 ans auparavant, avec la pièce Saved du dramaturge britannique Edward Bond, dans laquelle on assistait à la lapidation d’un bébé.

[5] Graham Saunders, Love me or kill me : Sarah Kane et le théâtre, Paris, L’Arche, 2004, p. 71.

[6] Ibid, p. 71

[7] Sarah Kane a également pu compter sur une horde de défenseurs farouches pour soutenir qu’elle possédait un réel talent dramatique, et pas seulement une propension à la provocation. Les dramaturges Caryll Churchill, Martin Crimp, Paul Godfrey, Meredith Oakes, Gregory Motton et Harold Pinter ont pris la défense de sa prose incisive en écrivant des lettres dans les journaux, notamment le Daily Telegraph et The Guardian, au moment du scandale entourant la création de Blasted en 1995. (Saunders, p. 50)

[8] David Greig, dans son introduction à : Kane, p. xii.

[9] Saunders, p. 165.

[10] Simon Hattenstone, The Guardian, 1er juillet 2000, rapporté par Théâtre national de Strasbourg, p. 28.

[11] Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays, p. 213.

[12] Saunders, p. 71.

[13] Ibid, p. 195.

[14] Ibid, p. 41.

[15] Aleks Sierz, In-Yer-Face Theatre, 2008, en ligne, www.inyerface-theatre.com, consulté entre le 17 mars et le 13 avril 2008.

[16] Susannah Clapp, Observer Review, 2 juillet 2000, rapporté par Saunders, p. 176.

[17] Michael Billington, Observer Review, 2 juillet 2000, rapporté par Saunders, p. 176.

[18] Saunders, p. 186.

[19] Sarah Kane semblait avoir deviné que ce seraient les méandres de son esprit torturé qui risquaient le plus de fasciner les spectateurs et lecteurs de ses œuvres. Elle fait prononcer à la narratrice de 4.48 Psychosis ce pronostic clairvoyant : « They will love me for that which destroys me […] the sickness that breeds in the folds of my mind ». (Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays, p. 211)

[20] David Greig, dans son introduction à : Kane, p. xvii.

[21] Marie-Christine Lesage, « Les bords extrêmes : la dramaturgie de Sarah Kane », In Écritures dramatiques contemporaines (1980-2000) : l’avenir d’une crise ; actes du colloque des 6, 7 et 8 décembre 2001 organisé par l’Université de Paris III – Sorbonne Nouvelle et le Théâtre national de la Colline, Louvain-la-Neuve, Centre d’études théâtrales, 2002, p. 150.

[22] ibid

[23] Antonin Artaud, Van Gogh le suicidé de la société, rapporté dans : Évelyne Grossman, Artaud, « l’aliéné authentique », Tours, Farrago ; Paris, Sheer, 2003, p. 7.

[24] Saunders, p. 36.

[25] Théâtre national de Strasbourg, p. 69.

[26] Ibid

[27] Conversation avec des étudiants (novembre 1998), rapportée dans : Usine C.

[28] Saunders, p. 184.

[29] David Greig, dans son introduction à : Kane, p. xvi.

[30] Conversation avec des étudiants (novembre 1998), rapportée dans : Usine C.

[31] Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays, p. 213.

[32] Ibid, p. 231-232.

[33] Antonin Artaud, Le Théâtre et son double – Le Théâtre de Séraphin – Les Cenci, Tome IV de Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1964, p. 149.

[34] Saunders, p. 196.

[35] Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays, p. 231.

[36] Entretien avec Gérard Watkins réalisé par l’auteure de cet article le 27 octobre 2005, pour le compte du portail Internet .

[37] ibid

[38] Claude Régy, conférence prononcée à l’Usine C le 9 février 2008.

[39] Théâtre national de Strasbourg, p. 67

[40] Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays, p. 212.

[41] Ibid, p. 214

[42] Ibid, p. 230

[43] Ibid, p. 215.

[44] Saunders, p. 181.

[45] À la fin de Blasted, le personnage de Ian vit enfin l’unité entre son corps et son esprit alors qu’il gît, violé, aveugle et probablement mourant, dans la chambre d’hôtel dévastée par une guerre improbable et impitoyable. Hippolyte, quant à lui, réalise cette union au moment où son corps mutilé va se faire dévorer par les vautours à la fin de Phaedra’s love. Il s’exclame alors : « Si seulement il avait pu y avoir plus de moments pareils. » Les deux pièces se retrouvent dans Complete Plays.

[46] Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays, p. 217.

[47] Théâtre national de Strasbourg, p. 67.

[48] Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays, p. 221.

[49] American Psychiatric Association, Mini DSM-IV : Critères diagnostiques, Paris, Masson, 1996, 384 p. Pour les données médicales et les questions de diagnostics, l’auteure du présent article se réfère au Mini DSM-IV de même qu’à un entretien réalisé avec la psychologue Catherine Séguin, spécialiste de la dépression et des troubles de personnalité. Il est évident qu’il n’est pas question ici de faire le diagnostic de la maladie dont souffrait Sarah Kane, mais plutôt de souligner dans son œuvre les indices de sa connaissance de la psychologie et de la psychiatrie modernes, ces connaissances ayant influencé la forme et le contenu de 4.48 Psychosis.

[50] Saunders, p. 281-282.

[51] Elizabeth Wurtzel, Prozac nation : avoir 20 ans dans la dépression, Coll. « X-trême », Paris, Austral, 1996, 342 p. / Edwin S. Shneidman, The Suicidal Mind, New York, Oxford, Oxford University Press, 1996, 187 p. / Lewis Wolpert, Malignant sadness : the anatomy of depression, Londres, Faber and Faber, 1999, 196 p.

[52] Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays, p. 206-208.

[53] Wolpert, p. 23.

[54] Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays, p. 207.

[55] Ibid, p. 233.

[56] Shneidman, p. 176.

[57] Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays, p. 232.

[58] Ibid, p. 208.

[59] Ibid, p. 223-224.

[60] Wolpert, p. 136.

[61] Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays, p. 225.

[62] Ibid, p. 205.

[63] Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays, p. 210.

[64] Ibid, p. 244.

[65] C’est le cas, notamment, de 4h48, le moment « when sanity visits » (Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays, p. 229) et de la thématique de la lumière. À quatre reprises dans la pièce, on peut lire « Hatch opens / Stark light » (Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays, p. 225, 230, 239, 240). Nous ne nous sommes cependant pas penchés sur cette thématique particulière, puisqu’elle ne concerne pas directement le sujet du corps et de la science.

[66] Afin d’illustrer cet état, le metteur en scène James Macdonald a intégré un miroir à sa mise en scène de 4.48 Psychosis au Royal Court Jerwood Theatre Upstairs en juin 2000.

[67] Jean Gillibert, Folie et création, Paris, Champ Vallon, 1990, p. 9.

[68] Ibid, p. 148.

[69] Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays, p. 213.

[70] David Greig, dans son introduction à : Kane, p. xvii.

[71] Artaud, p. 95.

[72] Ibid, p. 102.

[73] Kane, « Crave », In Complete plays, p. 179.

[74] Ibid, p. 183.

[75] Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays, p. 205.

[76] David Greig, dans son introduction à : Kane, p. xvii.

[77] Théâtre national de Strasbourg, p. 37.

[78] Ibid, p. 39.

[79] La voix narratrice de 4.48 Psychosis ressent elle aussi une empathie dévastatrice, une culpabilité démesurée face aux malheurs de l’humanité et s’accuse en ces termes : « I gassed the Jews, I killed the Kurds, I bombed the Arabs, I fucked small children while they begged for mercy, the killing fields are mine, everyone left the party because of me ». (Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays, p. 227)

[80] Théâtre national de Strasbourg, p. 84.

[81] Saunders, p. 45.

[82] Artaud, p. 118.

[83] Au début de 4.48 Psychosis, la narratrice affirme d’ailleurs : « Nothing can extinguish my anger. / And nothing can restore my faith. / This is not a world in whish I wish to live. » (Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays, p. 210)

[84] Kane, « 4.48 Psychosis », In Complete plays, p. 244.

[85] Ibid, p. 245.

[86] Ibid, p. 213.

[87] Ibid, p. 213-214.

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