5 – Archéologie du paysage sonore : Entretien avec Mylène Pardoen

Érika Wicky – Entretien avec Mylène Pardoen

Érika Wicky : Depuis plusieurs années vous travaillez sur le projet Bretez dont on a beaucoup entendu parler dans les médias depuis la première vidéo diffusée en 2015. Il s’agit d’une promenade virtuelle dans Paris, plus précisément dans le quartier du Châtelet, au XVIIIème siècle, dans laquelle les images sont accompagnées d’une reconstitution historique du paysage sonore. Quel travail sur les sources cela a-t-il nécessité? Le traitement des sources utilisées pour le son et pour l’image est-il différent?

Quelles sources spécifiques permettent de reconstituer l’acoustique d’un lieu?

1 en premier lieu, je vais tenter de retrouver des documents visuels (plans, gravures, tableaux, objets du quotidien…), puis textuels (archives administratives telles les registres des impôts, par exemple) et en dernier lieu, ce que j’appelle les sources mixtes (celles qui comportent du texte des illustrations, comme pour certains inventaires après décès ou actes notariés). Le plus compliqué est de trouver les élévations, car il s’agit souvent de bâti commun. C’est ce modèle, enrichi des ambiances sonores, qui permettra une restitution audible d’un moment de l’histoire s’appuyant sur des critères scientifiques valides.

Afin de reconstituer historiquement un paysage sonore, vous récréez parfois des dispositifs, comme des machines par exemple, ou des situations, pour en enregistrer le son. Comment s’articulent dans votre travail ces sources sonores récrées, mais actuelles, avec les sources textuelles anciennes? Permettent-elles de vérifier des informations, de mettre sur une piste?

2. [Alors qu’il est possible de reproduire, disons, un son spécifique du passé, la façon dont nous comprenons cette expérience, « consommons » ce son est radicalement différente de la façon dont les individus du passé la comprenaient et la vivaient]). En quoi pensez-vous que les reconstitutions sonores peuvent constituer des sources pour l’histoire des sens ?

Plus complexe est la mise à disposition, la mise à l’écoute des publics. Il devient nécessaire de les accompagner et de leur donner les clés de lecture/d’écoute.

Pour ma part, ces restitutions sonores me semblent essentielles, car elles permettent, si elles respectent les points cités ci-dessus, de recontextualiser finement des situations. Elles offrent l’opportunité, tant au chercheur qu’au néophyte ou au curieux, de se plonger dans l’histoire sans avoir besoin de longs discours, de trop longues explications. L’accompagnement à la découverte est certes nécessaire – j’ai envie d’écrire obligatoire. Mais nos sens prennent rapidement le relai, véhiculent des informations qui, elles-mêmes, sollicitent notre mémoire sensorielle. Ces propositions, bien qu’elles ne soient que des modèles (et en tant que modèles, nous pouvons en rectifier les possibles erreurs, car ils ne sont pas figés ni dans le temps ni dans leur conception), entrent dans le cadre de sources sur lesquelles on peut s’appuyer pour comprendre et appréhender l’Histoire, des faits historiques, recontextualiser des écrits et des témoignages. Elles entrent dans la catégorie des sources que l’on qualifie de secondaires (au même titre que des ouvrages contemporains, des relevés de plans lors de fouille, etc…).

1 Tel est le cas du quartier couvert par le Projet Bretez, où seule la Conciergerie constitue le dernier vestige de cette époque – un bâtiment remanié maintes fois depuis cette époque, mais dont les volumes sont identiques pour la partie qui nous concerne.

2Journal of Social History, vol. 40, numéro 4, 2007, p. 841.