Avant-propos

 
Si l’univers de la médecine fait souvent intrusion dans l’espace scénique, et s’il peut apparaître comme un thème privilégié du répertoire classique et contemporain, on oublie trop souvent que l’univers théâtral constitue une référence majeure du milieu médical. Le théâtre y surgit partout, depuis le lieu même où se transmettent les secrets de la médecine, jusque dans la théâtralité des pratiques, et la mise en scène du dialogue entre le patient et son thérapeute. Il suffit, pour s’en convaincre, d’entrer dans le bâtiment principal de l’ancien Collège Royal de Chirurgie, rue de l’école de Médecine à Paris. Après avoir croisé les bustes de Lavoisier, Corvisart et Bouillaud, et la longue série de figures de médecins qui ornent le hall d’entrée, le visiteur est invité à gravir les marches de l’escalier d’honneur pour découvrir une toile monumentale d’André Brouillet, « L’Ambulance de la Comédie-Française » (1891). Ce tableau saisit sur le vif un épisode du siège de 1870, témoignant de l’occupation du théâtre pendant le Siège de Paris, où le foyer fut transformé en lieu d’accueil et de soin des blessés. Par un jeu de mise en abyme, la galerie des bustes de la faculté de médecine est aujourd’hui dominée par ce tableau représentant la tout aussi célèbre galerie des bustes de la Comédie-Française.
 
C’est bien une scène dramatique qui se joue sur cette toile[1], comme en témoigne la posture du soldat blessé au premier plan, tordu par la douleur, tandis qu’un médecin (le professeur Alfred Richet) tente de panser ses blessures. Une infirmière bénévole, portant le brassard à croix rouge de circonstance, s’empresse également au chevet de la victime, et le soutient le temps de l’intervention sous le regard d’une religieuse. Peut-être s’agit-il d’une sociétaire du Théâtre-Français, engagée pour l’occasion comme nombre de ses camarades. Au second plan de la composition, dans la partie gauche du tableau, on aperçoit la galerie des bustes de la Comédie-Française, dont la perspective est percée dans la continuité du foyer. La même scène semble s’y reproduire : d’autres malades sont disposés sur des lits, entourés de médecins et d’infirmières, sous l’œil tutélaire et protecteur des dramaturges de marbre. Toujours au second plan, dans la partie droite du tableau, domine une ombre blanche qui se reflète dans l’immense miroir du foyer : il s’agit de la célèbre statue de Voltaire par Houdon, dont le sourire ironique semble imperturbablement figé devant ce théâtre des opérations.
 
Ce tableau nous rappelle que, le 10 septembre 1870, lorsque l’état de siège entraîne la publication d’une ordonnance de fermeture des théâtres, beaucoup d’entre eux se transforment en ambulance pour accueillir les blessés. A l’occasion de cette métamorphose de l’édifice théâtral en espace de soin, ce sont aussi les acteurs et les actrices qui changent de fonction. Comme le rapporte Edouard Thierry[2], administrateur de la Comédie-Française en 1870, certaines comédiennes de la troupe prennent immédiatement le parti de s’engager comme infirmières volontaires le temps du siège[3], endossant ce nouveau rôle que l’actualité leur distribue. Dans son Tableau de siège, Théophile Gautier s’amuse de ces circonstances exceptionnelles, favorisant la cohabitation inédite des religieuses et des actrices au sein du théâtre :
 
En passant par le couloir qui mène de la salle à la scène, nous rencontrâmes deux religieuses, deux sœurs hospitalières, dont l’une demandait à l’autre : « Où donc est la sœur Sainte-Madeleine ? » – « Au Théâtre du Palais-Royal, » répondit la sœur interrogée, du ton le plus naturel du monde[4].
 
L’occupation du théâtre par les blessés brise la mythologie d’un théâtre entièrement dédié au plaisir et à l’illusion, et la présence menaçante de la mort et du corps souffrant autorise soudain le dialogue entre deux univers habituellement cloisonnés, le théâtre et la médecine, si bien qu’une religieuse peut aller jusqu’à évoquer le Théâtre du Palais Royal comme un lieu qu’elle a désormais l’habitude de fréquenter. La présence du dispositif médical au sein du bâtiment théâtral annule en quelque sorte la légèreté et la frivolité supposées de son public, tout comme le médecin, par sa présence au foyer, en annihile le caractère divertissant et mondain : le clinicien incarne ici un principe de surveillance face aux dérives possibles de l’art théâtral, si bien que sa seule autorité clinique a le pouvoir de transformer les actrices en infirmière. On ne peut manquer de penser ici au tableau de la médecine dressé par Michel Foucault dans son Histoire de la sexualité[5], qui montre le pouvoir de fascination exercé par le milieu médical et ses représentants, pouvoir qui se manifeste notamment par une rationalisation, une orientation et une surveillance prétendument prophylactique des pratiques et des mœurs. Ce que Foucault nomme le « biopouvoir » peut s’exercer jusque dans l’enceinte du théâtre, annihilant la performance des interprètes pour les transformer en purs praticiens, en thérapeutes. Si les médecins peuvent détourner les actrices de leur pratique initiale pour les transformer en infirmières, que penser alors de cette influence de la médecine sur le théâtre ? Quels sont les dispositifs qui ont pu être déployés par le théâtre pour vaincre ce « biopouvoir » et endiguer la tentative de rationalisation du spectacle vivant par le discours médical ?
 
Le théâtre, en effet, exerce aussi son emprise sur le milieu médical, influençant l’espace clinique dans son goût de la mise en scène et dans le choix d’emplois strictement hiérarchisés. Dans le tableau d’André Brouillet, on voit que la répartition des blessés dans l’enceinte de l’espace théâtral dépend d’une scénographie socialement structurée. Seuls les officiers peuvent disposer d’un lit dans la galerie des bustes de la Comédie-Française, alors que le foyer accueille le tout venant. Le fait d’être hospitalisé sous les statues de marbre des illustres dramaturges est un privilège réservé aux gradés. Si la présence des médecins donne sa dignité au théâtre et le transforme en espace clinique, les auteurs de marbre semblent constitués en icônes laïques, en figures sacrées dont la proximité est réservée aux blessés les plus distingués par l’ordre militaire. Il semble que les fantômes de théâtre ordonnent une répartition de l’espace clinique et règlent une distribution des rôles, avec des places réservées aux élus et d’autres au plus anonymes. Le théâtre ordonne aussi l’espace des soins, et loin de s’en faire le simple reflet, devient le prescripteur d’une distribution des blessés et des malades, cantonnés à des emplois strictement défini et des scènes cloisonnées. Comment ces deux espaces strictement hiérarchisés, celui de la clinique et celui du théâtre, ont-ils évolué depuis lors, jusqu’aux formes contemporaines où les technologies envahissent le plateau pour l’autopsier comme un corps malade ? Ce sont les modalités de ce dialogue renouvelé entre pratiques scéniques et pratiques hospitalières que nous proposons d’examiner ici.
 
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[1] « Une leçon clinique à la Salpêtrière », autre tableau d’André Brouillet (Musée d’Histoire de la Médecine, 1887), instaure aussi un dialogue, par l’intermédiaire du support pictural, entre la scène et le « bloc opératoire ». La célèbre patiente Blanche Wittman manifeste les symptômes de l’hystérie.
[2] Edouard Thierry, La Comédie-Française pendant les deux sièges (1870-1871), Journal de l’Administrateur général, Paris, Tresse et Stock, Libraires-Editeurs, Palais-Royal, 1887.
[3] Les sociétaires semblent même refuser le concours de bénévoles extérieures pour assister les médecins : « Une jeune femme est venue se proposer comme infirmière, mais les dames du Théâtre se sentent capables de suffire à leur tâche sans le concours d’aucune personne étrangère », in Edouard Thierry, La Comédie-Française pendant les deux sièges (1870-1871), Journal de l’Administrateur général, Paris, Tresse et Stock, 1887, p. 66.
[4] Théophile Gautier, Tableaux de siège, Paris 1870-1871, Paris, Charpentier, 1871.
[5] Michel Foucault, Histoire de la sexualité, t. I, La volonté de savoir, Gallimard, coll. TEL, 1976.
 
 



Introduction. Archives of the Body. ‘The body as an archive’

Le sternum brûle la plèvre
La plèvre, contractée, étouffe les poumons.
L’air pleut en escarbilles sur l’estomac.
Un acide coule le long des vertèbres et dévore les racines du ventre. Tout devient blanc. Les os entassent
leur rocaille. Le regard se casse, d’un ébouillis à l’autre,
puis rampe.
En haut, dans la sinistre solitude du crâne, l’œil pend.

Bernard Noël, Extraits du corps, 1958



In recent decades, following the leading work of Roy Porter, and his key assumptions that human bodies are the main signifiers of all political, medical and religious meanings, many scholars have paid growing attention to the body in terms of medical culture, power, politics, art, religion, literature, anatomy and history, right up to the most recent studies on ethical and gender issues. In addition, recent spectacular artists' installations and performances on the body (by among others Gunther Von Hagens, Christian Boltanski and Peter Greenway) keep the questioning around the body deeply rooted in our society.
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Sommaire, liste des abréviations

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Introduction

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Le discours sur les esprits animaux dans les traités médicaux de l’Espagne du XVIème et XVIIème siècle : entre savoir et imaginaire, ou vers une poétique du discours médical

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L’Élaboration d’une figure du poète-médecin dans La Chronique médicale (1919-1940)

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Système cérébronerveux et activités sensorimotrices de la physiologie ancienne au mécanisme des Lumières

Résumé : Si la médecine ancienne est souvent définie comme une médecine « humorale », c’est avant tout parce que la théorie des quatre humeurs, dont l’équilibre garantirait la bonne santé, est à la base de la réflexion pathologique et de la thérapeutique. En revanche, si l’on se situe sur le plan de la physiologie, le paradigme humoral n’a plus guère de pertinence. Le but de cet article est, après avoir présenté le système cérébronerveux tel que le concevait la physiologie ancienne, d’examiner ce qu’en ont conservé et transformé les théories mécanistes du cartésianisme et des penseurs des Lumières pour expliquer les activités sensorimotrices.

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Fractures et jointures entre bonnes et belles lettres au XVIIe siècle

Le XVIIe siècle a vu croître la dissociation, à la fois théorique et pratique, dans l’expérience individuelle comme dans les institutions culturelles, entre ce qui relève du savoir savant et ce qui relève de l’esthétique, les Sciences (au sens large, y compris la science critique des textes, la philologie) et les Arts : d’un côté des sciences qui, mettant en doute la « littérature » au sens de la chose écrite, s’appuient de plus en plus sur le raisonnement critique, l’observation et l’expérience, la lecture des sources premières, à la recherche du vrai et des idées claires et distinctes ; de l’autre une littérature (au sens moderne cette fois) de plus en plus nettement définie comme fiction ornée, devant passer par le plaisir pour instruire, et vouée au vraisemblable. Si l’on adopte le vocabulaire de Charles Sorel, dans sa Bibliothèque française (1664-1667) , on assiste alors à la séparation entre les bonnes lettres, lieu de la « doctrine » (c’est-à-dire des savoirs), et les belles lettres, lieu de l’agrément.
L’histoire des institutions le confirme. La création en 1635 de l’Académie française, à qui l’on donne pour charge de produire un dictionnaire, une grammaire et une poétique, manifeste la volonté politique de soutenir avant tout « ceux qui écrivent bien en notre langue » par rapport aux préoccupations encyclopédiques, tout autant scientifiques que littéraires, voire davantage, des cercles d’érudits, notamment celui des frères Dupuy dont l’Académie est issue. Cela peut-être parce que les sciences du début du siècle sont le lieu d’âpres débats, entre les observateurs et les partisans des avancées épistémologiques modernes et le parti religieux, appuyé sur et par les aristotéliciens purs et durs, débats dans lesquels le politique n’a guère à profiter. Au contraire, il apparaît urgent à Richelieu de renforcer l’imposition d’une langue française normée à l’ensemble du territoire et de soutenir la création littéraire, instrument de propagande et source de prestige international : comme le dit Alain Viala, le choix de l’État alla d’abord davantage vers la « promotion des arts verbaux » (les belles lettres, ce qu’il appelle les Sirènes) que vers la doctrine et érudition (les bonnes lettres, les Muses à l’antique) . Si, après la mort des frères Dupuy, le « Cabinet Dupuy », et bien d’autres savants, continuent (avec prudence dans certains domaines) leurs efforts pour la connaissance de la nature et l’exploration de la diversité de ses phénomènes, il faudra attendre 1666 pour que Colbert crée l’Académie des Sciences, qui est vouée à s’occuper « à cinq choses principales : aux mathématiques, à l’astronomie, à la botanique ou science des plantes, à l’anatomie et à la chymie » , sous l’égide d’un cartésianisme qui convainc de plus en plus de savants, manifestant ainsi clairement, en tout cas dans l’ordre des institutions d’État, comme des institutions culturelles (le Mercure galant, fondé en 1672, fait pendant au Journal des Savants, fondé en 1665) la dissociation des sciences et des lettres.

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La poésie scientifique : autopsie d’un genre

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Introduction

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La Vie des abeilles de Maeterlinck : le « vol nuptial » de la vulgarisation et du symbolisme

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Inventer en littérature

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Introduction

 
La médecine est omniprésente au théâtre, tant sur le plan thématique que du point de vue des dispositifs, elle qui semble pourtant éloignée en apparence des préoccupations purement dramaturgiques. Le corps médical a toujours conçu sa pratique comme un spectacle à part entière, puisant dans les ressources de la mise en scène théâtrale les moyens d’une représentation efficace de son pouvoir thérapeutique. Le rituel des consultations et des oracles conférait à la médecine antique une dimension religieuse, sacrificielle et spectaculaire, proche des origines du théâtre. Réciproquement, les théoriciens du théâtre comme les dramaturges et les praticiens de la scène ont pu s’emparer du discours du médecin, et exploiter les pathologies et les symptômes du malade pour penser et concevoir le spectacle vivant, depuis la catharsis aristotélicienne jusqu’aux transes décrites par Artaud dans Le Théâtre et son double[1]. Cherchant à se légitimer mutuellement, théâtre et médecine ont été renvoyés dos à dos par leurs détracteurs, nourrissant aussi bien la critique de leurs effets pathologiques que l’éloge de leurs vertus thérapeutiques. Les différents travaux réunis dans cette étude examinent cette relation de fascination et de répulsion mêlées, permettant de penser le médical comme élément spectaculaire, et dans une logique de réciprocité, de considérer le discours du médecin comme paradigme épistémologique pour penser le théâtre.
 
À partir d’une double approche diachronique et synchronique, ce corpus d’études tente d’analyser les dispositifs et les discours communs à la médecine et au spectacle vivant. Un examen du répertoire dramatique depuis le XVIIe siècle montre que la médecine et les médecins ont pu revêtir un caractère spectaculaire aux yeux des dramaturges et des scénographes. En outre, si la médecine s’est développée essentiellement autour de pratiques spectaculaires, il semble que le théâtre soit aussi l’espace privilégié de manifestations de symptômes, et puisse même être envisagé comme espace d’exaspération de la maladie, offrant un milieu favorable à sa propagation. Pourtant, certains praticiens conçoivent le théâtre comme un outil thérapeutique efficient. Il semble alors important d’examiner cette ambivalence constitutive du dialogue qui unit la médecine au théâtre : le théâtre ne serait-il pas le lieu d’expérimentation rêvé de la pratique médicale, lieu où il serait possible de créer l’illusion de la maladie et de la soigner dans le même temps ? Le théâtre ne permet-il pas, dans l’espace-temps de la performance, de révéler et cultiver les maux du malade et de lui proposer une traversée indispensable à sa guérison ?
 
 
Le médecin et son malade : emplois dramatiques.
 
Comme au théâtre, le matériau premier et incontournable de la médecine demeure le corps, traversé par des symptômes et des maux parfois non identifiés. La médecine a trait à la corporalité donc, et à l’organicité qu’elle tente de comprendre, disséquer, manipuler, transformer, soulager ou guérir, comme le metteur en scène voudrait diriger l’acteur et soumettre son corps aux images qui le traversent. Pourtant, ce n’est pas tant le traitement des maux et des symptômes qui intéresse d’abord le dramaturge dans sa fascination pour le milieu médical. Il semble que ce soit le thérapeute, en tant que personnage à part entière, qui intrigue l’homme de théâtre. Si le personnage du médecin hante l’imaginaire théâtral classique, comme en témoigne la contribution de Patrick Dandrey consacrée au répertoire moliéresque, l’étude de Pierre Baron sur les théâtres de foire montre que les médecins ont su également s’emparer des pouvoirs du théâtre pour exercer leur emprise sur les patients. Au-delà des reprises du répertoire de Molière et de l’engouement continu du public pour ses pièces à médecin, Patrick Berthier montre que la figure du médecin hante le théâtre du XIXe siècle, et apparaît dans les genres théâtraux les plus variés, allant du drame au vaudeville. Les personnages de médecins fleurissent également dans le répertoire de l’Opéra comique, ainsi que dans le ballet, dont le genre ne semble pourtant pas se prêter, au premier abord, à l’exhibition des pratiques médicales.
 
Au théâtre, le médecin et le malade constituent deux emplois dramatiques récurrents. Entre eux, apparaît toujours un troisième personnage symbolique, la maladie, qui prend des formes plus ou moins imaginaires, terrifiantes ou spectaculaires. Outre la fascination exercée par le médecin et les secrets de son art, le théâtre s’est emparé aussi des pouvoirs poétiques de la maladie et des souffrances qu’elle entraîne. Dans La Maladie comme métaphore[2], Susan Sonntag évoque la façon dont l’époque romantique a pu interpréter la maladie, et en particulier la phtisie, comme révélatrice du tempérament artistique. Le corps malade est présenté dans l’espace fictionnel comme une prédisposition nécessaire à la pratique théâtrale. L’étude de Susan Sontag débusque les mythologies associées à la maladie, et décrypte les métaphores médicales qui tendent à transformer les maux du corps en expression poétique, et en signe d’élévation de l’esprit, délaissant son enveloppe corporelle :
 
Beaucoup des attitudes littéraires et érotiques regroupées sous une même rubrique, « les souffrances romantiques », découlent directement de la tuberculose et de ses métamorphoses au gré des images. La description stylisée des premiers symptômes du mal rendit romantique l’angoisse qu’il éveillait ; quant à l’agonie proprement dite, elle fut tout bonnement supprimée. (…) Peu à peu, la ligne poitrinaire, symbole d’une fragilité pleine de séduction et d’une sensibilité supérieure, devint l’idéal auquel aspiraient les femmes – tandis que les grands hommes du milieu et de la fin du XIXe siècle engraissaient, fondaient des empires industriels, écrivaient des romans par centaines, faisaient la guerre et pillaient des continents[3].
 
La maladie devient un ressort dramaturgique à part entière dans le répertoire romantique tardif : la phtisie sauve la courtisane du vice, permettant à Marguerite Gautier d’accéder à la rédemption. Sous la plume des naturalistes, la maladie devient le fil conducteur d’une hérédité à laquelle le personnage ne peut échapper, et la vérole qui ronge le visage de Nana dans la dernière scène du roman éponyme de Zola semble faire jaillir au visage de la belle son caractère profondément vicié.
 
Cette fascination pour les pouvoirs de la maladie devient un motif récurrent de la fin du XIXe siècle, avec l’émergence d’un nouveau théâtre remettant en cause les principes de la mimesis traditionnelle. Sous l’influence de la philosophie positiviste et matérialiste, le théâtre européen du XIXe siècle développe une fascination pour la médecine et l’interprétation des pathologies. Le théâtre d’Ibsen, notamment, est envahi par des corps souffrants, même si la maladie n’est qu’un prétexte dramaturgique, révélateur des maux du corps social. Ibsen ne cherche pas à interpréter, il met en scène les pathologies et leurs répercussions sur le cercle familial, sans chercher nécessairement à les disséquer ou à en comprendre l’origine. La maladie d’Oswald Alving dans les Revenants[4] demeure indéterminée, jamais nommée, symptôme d’une hérédité douteuse. Ce non-dit n’est pas seulement lié au tabou qui entoure la maladie vénérienne, mais aussi au fait que ce mal, cette honte sourde et symbolique qui ronge la famille n’a pas de corps et ne peut être nommée ; ce mal intrinsèque n’a rien de véritablement clinique. Ibsen ne cherche pas à porter un regard de médecin sur ces symptômes, mais un regard de dramaturge, un regard proprement scénique. La maladie apparaît comme un principe tragique latent, présent en filigrane tout au long du drame, avant de jaillir plus explicitement à la fin de la pièce, dans les derniers mots du fils, qui témoignent de sa folie et de la progression du mal. Le corps peut parler à la place du patient, et le symptôme devenir mot, car la maladie ouvre l’espace d’un dialogue. Ce que le personnage ne dit pas est dit par son symptôme, qui parle et révèle tout ce que la famille Alving tente de dissimuler, depuis les « vices » cachés du père jusqu’aux amours incestueuses de ses deux enfants.
 
La maladie et la mort sont souvent convoquées en protagonistes invisibles de l’œuvre. Là encore, le répertoire du début du XXe siècle offre une série de propositions dramaturgiques éloquentes à cet égard. Dans Pelléas et Mélisande de Maeterlinck, le personnage de Mélisande est présenté d’emblée comme une figure maladive, blessée, atteinte d’un mal incurable. L’ensemble du drame tend vers l’éclosion ou la résolution de ce mal qui ne sera finalement jamais formulé, jamais explicité et jamais diagnostiqué. Et ce, en dépit de la présence du personnage du médecin qui apparaît dans la dernière scène du drame, et n’est jamais désigné par son nom – comme la plupart des médecins de théâtre -, mais uniquement par sa fonction. L’usage de l’article incite le lecteur à envisager cette figure dans son unicité. C’est bien « le médecin » qui est convoqué ici comme représentant générique de sa profession, et non pas « un » médecin. Mélisande est à l’agonie, alors qu’elle vient de donner naissance à une fille. On devine cependant que cette naissance n’est pas la seule responsable de son trépas, qui découle d’une souffra



The Eye of the Surgeon: Bodily Images from the Collection of the Royal Academy of Surgery of Paris, 1731–93

Abstract:
This article examines the ways in which the human body was represented in eighteenth-century France, using a range of surgical drawings. While trying to enhance the scientific status of pictures of the human body, which endows them with their own epistemological value, these drawings remain rooted in academic artistic conventions as well as in the Christian iconographic tradition.

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Devotion and Healing. The sick, miraculously cured, examined Body of Sister Maria Vittoria Centurione in Eighteenth-Century Genoa

Abstract:
This research study aims to analyze documentation related to bodies, their definition and management. For this purpose, documents were used from a box entitled "Grazie" (n. 1355) from the Archives of the Diocese of Genoa, in which documents concerning miracles that occurred in the Diocese were kept. The nun Maria Vittoria Centurione of the Carmelite monastery of Saint Teresa was involved in a series of miracles studied by the Genoese ecclesiastical authorities between 1701 and 1705. In particular, she was healed from a form of vertigen tenebrosa with subsequent progressive paralysis through the intercession of St Teresa in 1701, and from another unknown disease through the intercession of St Pasquale Bailon, who appeared to her in her cell in the monastery. This study illustrates perceptions of the body in the monastery and in the Curia, notably through the theological books used by the ecclesiastical officials, as well as in the Genoese medical community.

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Modulations comiques : médecins, médecine et maladie dans le théâtre de Molière

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Méthode et observation dans la botanique de Linné

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La théorie des esprits animaux ou l’alchimie poétique de La Fontaine

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Le dialogue entre médecine et littérature dans la Neue Rundschau, 1918-1939. (Benn, Döblin, Koelsch, Schleich)

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Les satires ménippées de la science nouvelle : la littérature comme avenir de la sagesse ?




Sous la lame, point d’essence ? L’excoriation dans le théâtre de la Renaissance

Résumé : Théologie, anatomie et théâtre s’affrontent à la Renaissance au sujet de la valeur conférée au corps. Objet de curiosité, d’exploration, de connaissance et d’enseignement, le corps est souvent réduit à une matérialité passive que résume Richard Holmes par cette phrase « Under the knife, there is no self » / Sous la lame, il n’y a point d’essence. En partant du mythe de Marsyas, le premier écorché de l’histoire de la littérature, nous offrons d’explorer comment le théâtre anglais de la Renaissance exploite la mécanique de l’enveloppe externe du vivant dans son exploration d’une subjectivité entre norme et marginalité. Confrontant anatomistes (Vésale, Valverde), peintres (Michel-Ange, David), poètes (Dante) et dramaturges (Shakespeare, Middleton, Preston), cet article montrera la dynamique de dépassement ontologique transgressif caractérisant les diverses représentations de l’expérience excoriative à la Renaissance.

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Renaissance de la poésie scientifique : 1950-2010

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SIGN AND SILENCE : MATTERS OF LANGUAGE

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Zola avant Durkheim. Lectures croisées d’Hippolyte Taine et de Claude Bernard

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« Le Pise : Ô ma divine maîtresse !… ». L’architecte François Cointeraux (1740-1830) et la poésie du Pise de Terre

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Quand les physiologies s’invitent dans les encyclopédies

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L’obtention végétale au XIXè siècle : fruit du hasard ou de l’industrie ?

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The ‘Polite’ Face: The Social Meanings Attached to Facial Appearance in Early Eighteenth-Century Didactic Journals

Abstract:
The early eighteenth-century English elite were obsessed with their looks, and this article will examine why. Through analysis of Joseph Addison and Richard Steele’s didactic journals the Tatler, the Spectator and the Guardian, this paper will explore what symbolic meanings and associations were attached to the face in this period and how they informed the ways in which the face was perceived. This discussion will show that a range of evidence contained within these papers reveals that the face was inscribed with many complex meanings directly informed by the social idiom that characterised elite culture in this period: ‘politeness’. It will be argued that looks were of such concern to contemporaries in the early eighteenth century because of the ways in which Addison and Steele presented the active management of the face through its expression as a plausible means by which individuals could render their ‘personal identity’ and display it to others.

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Opérateurs et charlatans dans quelques pièces du XVIIIe siècle

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Beobachten, ordnen, erklären : Johannes Gessners Tabulae phytographicae (1795-1804)

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