14/10/16 La Leçon en fiction (xixe-xxie)

APPEL A COMMUNICATIONS
Journée d’études

La Leçon en fiction (xixe-xxie)

Selon Henri Meschonnic dans Modernité, modernité, une partie de la doxa critique a désigné comme modernité littéraire l’émergence d’une parole autotélique au xixe siècle. Dans cette acception particulière, elle se définit contre une littérature référentielle et didactique qui proposerait au lecteur un apprentissage, qu’il soit moral ou scientifique. Dès lors, la leçon, terme polysémique qui désigne à la fois le contenu d’informations transmis mais également la réalisation de celui-ci, c’est-à-dire sa profération par une figure d’autorité devant un auditoire, ou par l’élève désireux de prouver son savoir (la récitation), semble frappée de caducité. L’acte appartiendrait à une littérature surannée. C’est d’autant plus vrai que l’éloignement entre littérature et rhétorique se confirme tout au long du siècle, les auteurs que la postérité a désignés comme les tenants de cette modernité privilégiant une « artialisation » de la littérature selon Alain Vaillant. Au temps raisonné, analytique, de la leçon se substituerait le temps vécu, au temps itératif des processus de copie et de répétition le temps original de l’individualité. Faire leçon, ce serait donc s’inscrire dans le passé.
Toutefois, en un siècle de démocratisation et d’extension de l’instruction, la leçon reste un moment familier de la vie du citoyen que la littérature ne peut ignorer. Si l’avant-garde littéraire semble s’en être détachée, elle demeure un outil privilégié de l’apprentissage.  La leçon est un mode de dialogue spécifique entre le passé et le présent, une tension. Cette journée d’étude vise à explorer cette tension à travers la leçon (comme exercice rhétorique et comme motif littéraire) et à envisager une recomposition de l’exercice plutôt qu’une annihilation. Loin d’avoir totalement déserté la fiction, ses survivances sont multiples. Comment fait-on leçon après avoir constaté l’impossibilité d’une parole unique sur le monde? Peut-on faire leçon autrement qu’en ânonnant et en récitant ? Quel sens portent les mises en scène de la leçon dans la fiction ? La journée portera sur les xixe, xxe, et xxie siècles qui ont privilégié le recours à des voix singulières et remis en cause la possibilité d’un discours d’autorité avec la fin de l’Ancien Régime, et accueillera volontiers des propositions en cinéma ou encore en études artistiques.

1. La leçon comme scène
Les propositions pourront étudier les scènes proprement dites de leçons, où une figure d’autorité professe un savoir face à un auditoire. Elles pourront se concentrer sur les décalages que la modernité introduit dans la scénographie ou dans le discours argumentatif, qu’il prenne la forme d’un sermon, d’une parabole ou d’un exemplum. N’y a-t-il, à l’heure de la modernité, que des leçons parodiques, à l’instar de celle d’Ionesco? À l’image des leçons ratées données par Bouvard et Pécuchet à Victor et Victorine, l’échec de la transmission est-il inévitable? Que dire de la « leçon interrompue » d’Hermann Hesse, et des fictions de l’extrême contemporain qui nous présentent des personnages de professeurs exsangues et pétris d’angoisse, telles que A Serious Man des Frères Cohen ou les œuvres de Philippe Roth ? On pourra aussi se concentrer sur l’imaginaire produit par les hussards noirs de la République dans le dernier tiers du xixe siècle.
2. La leçon comme dispositif didactique
L’art rhétorique de la leçon est remis en cause dès la fin du xviiie siècle car jugé inefficace. Dans Émile ou De l’éducation (1762), Jean-Jacques Rousseau affirme qu’il ne faut «donne[r] à [l’]élève aucune espèce de leçon verbale : il n’en doit recevoir que l’expérience » et « en toutes choses [les] leçons doivent être plus en actions qu’en discours ». Ainsi, le message, tout comme l’impératif de le transmettre dans un temps borné, persistent. Mais c’est bien la forme qui disparaît (ou, du moins, cette forme ne correspond plus à celle de l’organisation intellectuelle ou au temps recomposé de l’explication). Elle épouse désormais une temporalité de l’expérience. La leçon doit se fondre dans le monde, et se soumettre, dans le texte, à une dialectique de dissimulation et de monstration pour être audible par le lecteur. L’art rhétorique de la leçon va donc entrer en collusion avec d’autres formes, telles que le roman et plus précisément le roman réaliste qui peut représenter une forme d’apprentissage par l’expérience : à l’expérience du personnage se superpose l’expérience de la lecture, génératrice de savoir. C’est un genre qui, comme l’affirme Susan Rubin Suleiman, est «une des manifestations les plus achevées que nous connaissions de la dialectique entre poésie et communication, entre spectacle et message » .
Toutefois, la leçon ne s’intègre pas forcément à la fiction sous la forme très ambiguë de l’immixtion. Telle la leçon d’astronomie présente dans le Jocelyn de Lamartine, elle peut advenir par juxtaposition avec le récit, questionnant ainsi l’aspect rhapsodique des textes en question. Enfin, comme l’ont montré  Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto, la leçon peut, comme dans le cinéma hollywoodien du xxe siècle, devenir « leçon de vie » : elle nous dit quelque chose de l’existence, qui n’est pas de l’ordre d’un contenu immuable, mais qui constituerait une amorce pour une réflexion plus personnelle. On penserait avec plutôt que de penser comme. En somme, du xixe au xxie siècle, la leçon se métamorphoserait-elle en expérience ? Quelles sont les formes qui réinventent la transmission du savoir ?

3. La leçon et le rapport auteur-lecteur-public
La leçon se cantonne-t-elle à une littérature destinée à la jeunesse ? Est-ce infantiliser les lecteurs et aller à l’encontre de la modernité démocratique, qui repose sur la responsabilité des individus, que de faire leçon en dehors d’elle ? À l’heure où le dialogisme et la polysémie sont considérés comme des critères essentiels de l’œuvre moderne, que faire ou penser de la monosémie qui préside à la leçon ? Le cas de la littérature à thèse peut être évoqué, notamment en réfléchissant à ses rapports problématiques avec la légitimité, et à la méfiance des critiques vis-à-vis du « vouloir dire» selon l’expression de Susan Rubin Suleiman. Le terme de leçon inclut également des acceptions plus violentes, qui vont de la réprimande, de la punition, aux coups. La journée d’étude s’intéressa aux Châtiments de la littérature et aux genres satiriques dans la modernité, qui poursuivent une tradition ancestrale visant à corriger les mœurs.
4. La leçon et l’ethos auctorial
Comme Pierre Bourdieu l’a écrit, la leçon – inaugurale ici – « réalise symboliquement l’acte de délégation au terme duquel le nouveau maître est autorisé à parler avec autorité et qui institue sa parole en discours légitime, prononcé par qui de droit ». S’il est un lieu commun de considérer que les xixe et xxe siècles sont marqués par une crise de l’autorité, on pourra évoquer les figures auctoriales qui assument cet ethos professoral, que ce soit pour guider leurs lecteurs, ou pour mener un groupe d’écrivains dans une même entreprise d’écriture.

Modalités
Les propositions de communications (300 mots) comportant une bio-bibliographie seront à adresser à magalie.myoupo@gmail.com et marion_brun@ymail.com au plus tard le 14 octobre 2016.
Les auteur.e.s seront informé.e.s de l’acceptation de leur proposition à partir du 14 novembre 2016.
La journée d’études aura lieu à Paris VII le 3 mars 2017.




01/03/16 Discours et espace intérieurs : approches neurocognitives et littéraires

Épistemocritique – appel à contributions
 
Discours et espace intérieurs :
approches neurocognitives et littéraires
 
Épistémocritique est à la recherche d’articles pour un numéro portant sur le discours et l’espace intérieurs en littérature et dans les neurosciences cognitives.
 
« Le langage est à la littérature ce que sont la pierre ou le bronze à la sculpture »[1], écrivent Wellek et Warren dans La Théorie littéraire (1948). En effet, la littérature sculpte la langue, elle donne forme à la voix intérieure du lecteur, lui fait épouser les contours de la phrase et adopter des intonations et des rythmes inédits. De ces discours intérieurs naissent des espaces intérieurs, des mondes à explorer et à habiter. Les deux termes sont à comprendre dans un sens large : le discours intérieur est formalisé en littérature notamment sous la forme du monologue intérieur mais les voix de la conscience infléchissent tant le roman que la poésie ou le théâtre sous bien d’autres aspects (on peut penser aux usages du discours direct ou du discours indirect libre, par exemple, ou encore à l’écriture automatique, mais aussi à certaines tentatives en vers libres). Différents techniques et artefacts permettent de refléter notre expérience de l’intériorité et projettent une certaine image de la conscience, notamment de la conscience spatiale. Aujourd’hui, les neurosciences et la psychologie cognitive nous fournissent des outils pour penser la relation qu’établissent discours et espace intérieurs dans les textes littéraires et lors de la lecture. Ce numéro sera l’occasion d’explorer ces questions à travers un dialogue transdisciplinaire entre littéraires, linguistes, neurologues et psychologues cognitifs.
 
Liste de sujets possibles :
 
– Représentation des espaces intérieurs dans le monologue intérieur
– Voix et spatialisation de la conscience
– Les relations entre voix littéraire, style et représentation de l’espace
– La navigation spatiale, aspects littéraires et cognitifs (par exemple, rôle des cellules de lieu et des cellules de grille lors de la lecture)
– Voix intérieure et fréquentation du texte
– Aspects socio-cognitifs de la voix / de l’espace intérieur
– Formes de vocalisation silencieuse lors la lecture
– …
 
Information aux auteurs
 
Les articles complets doivent être envoyés en pièce jointe, en format Word ou Rich Text, aux codirecteurs du numéro, Stéphanie Smadja et Pierre-Louis Patoine, à l’adresse suivante : sophie.lespinasse@univ-paris-diderot.fr.
 
La date limite pour l’envoi des article est le 1er mars 2016.
 
Épistémocritique ne publie que des articles originaux, qui sont évalués en double aveugle. Les articles eux-mêmes ne doivent donc pas révéler l’identité de l’auteur. Une page de présentation sera jointe indiquant le nom, le titre et l’institution d’attache de l’auteur. Les propositions doivent inclure un résumé d’environ 200 mots. Les articles doivent comporter entre 30.000 et 60.000 caractères, espaces et notes comprises.
 
La décision du comité d’évaluation sera rendue dans les deux mois suivant la date limite.
 
 
 
EpistemocritiqueCall for Papers
 
Inner Speech / Inner Space :
Neurocognitive and Literary Approaches
 
Epistemocritique, a French peer-reviewed journal with a focus on the interconnections of literature and science, invites submissions for a special bilingual issue on “Inner Space / Inner Speech: Neurocognitive and Literary Approaches.”
 
For new critics Wellek and Warren: “Language is the material of literature as stone or bronze is of sculpture[2].” Indeed, literature sculpts language: the text shapes its reader’s inner voice, giving it strange tones and rhythms. From such molding, new dimensions of inner space are born, new worlds are made and explored. The two terms should be broadly understood: within the field of literature, inner speech is often conceived as interior monologue, but the voices of consciousness inflect many other aspects of the novel, of poetry or of theater (we can think, for example, of the uses of free indirect discourse or of automatic writing, but also of free verse). Specific techniques and artifacts allow to reflect our experience of interiority, and project a certain image of consciousness, and more specifically of spatial consciousness. Today, the neurosciences, and cognitive and developmental psychology supply us with tools to think about the relationship between inner speech and inner space in literary texts and reading. This special issue will be an opportunity to explore these questions through transdisciplinary conversation bringing together literary scholars, linguists and cognitive psychologists.
 
Authors may wish to focus on:
 
The art and science of internal monologue
Relationships between literary voice, style and representations of space
– Mental and literary spatial navigation
– Role of grid cells and place cells during literary reading
– Inhabitation of text and inner voice
– Socio-cognitive aspects of inner space / inner speech
– Forms of silent vocalization during reading
– …
 
Information for Authors
 
Full articles should be submitted as an email attachment in Rich Text or Word format to Stephanie Smadja and Pierre-Louis Patoine at the following address: sophie.lespinasse@univ-paris-diderot.fr.
 
Submission deadline is March 1st, 2016.
 
Previously published articles and articles under consideration for publication elsewhere will not be considered for publication in Epistemocritique. All articles are subjected to blind peer-review: the submitted article itself should not indicate the identity of the author, and a separate cover sheet should be provided stating the author’s name and affiliation of the author. Submissions should also include an article abstract of about 200 words. Articles should be between 30 000 and 60 000 signs, including spaces and footnotes.
 
The editors will inform authors of the results of their submission within two months of deadline.
 

[1] Wellek, René et Austin Warren, 1971 [1948], La théorie littéraire, Paris, Seuil, p. 31.
[2] Wellek, Rene and Austin Warren, 1963 [1948], Theory of Literature, London, Peregrine Books, p. 22.