1-La critique saisie par les crises climatique et écologiques : l’écocritique comme remède, comme modèle, comme arme

sumé : En repartant des analyses de Jean-Luc Nancy, qui pose la question du geste critique en fonction, dune part, du rapport que ce geste entretient à la « crise », et dautre part, des « critères » qui fondent ce geste et en définissent la visée, cet article se propose de voir en quoi les trois grands modèles définis par le philosophe – critique médicale, esthète, politique – permettent d’éclairer le vaste champ des approches dites « écocritiques ». À la faveur de cet examen, il apparaîtra que cest tant la nécessité que limpossibilité darticuler pleinement ces trois modèles qui font la singularité, paradoxale, de l’écocritique.


Dans une brève mais très dense contribution publiée en 2016 sur le magazine en ligne Diacritik, Jean-Luc Nancy revenait sur lhistoire enchevêtrée des mots de « crise » et de « critique » et, à la faveur de cette étude, identifiait trois grands modes dexamen critique, entretenant chacun un rapport singulier à la crise et la critériologie1 :

  • la critique conçue comme consubstantielle à la crise, qui est elle-même consubstantielle à l’existence – la critique devenant alors potentiellement une « arme », conceptuelle et politique, destinée à questionner l’existant et/ou à faire exister des alternatives possibles.

Cette typologie, sommairement présentée ici, servira de fil directeur à ma réflexion. En revenant successivement sur les trois positions critiques définies par Nancy, et en les confrontant à un certain nombre de textes fondateurs de l’écocritique (au premier rang desquels larticle de William Rueckert (1978), théoricien très souvent cité – on lui attribue linvention du terme « écocritique » – mais dont les positions savèrent rarement examinées de près), je proposerai de voir en quoi elles permettent d’éclairer, chacune à leur manière, le vaste champ des approches dites « écocritiques ». Ce faisant, mon propos ne sera pas de défendre une méthode ou une visée critique en particulier, mais plutôt de montrer que, sur le plan théorique, cest tant la nécessité que limpossibilité darticuler pleinement les trois modalités définies par Nancy qui font la singularité, tout en paradoxes, de l’écocritique.

I. L’écocritique comme symptôme (avéré) et remède (supposé) des crises écologiques

e avec la fondation de ASLE (Association for the Study of Literature and Environment), créée l3, au cours desquelles le terme danthropocène a été popularisé – lexpansion du champ écocritique concorde avec celle de la conscience, toujours plus aiguë et pressante, que les ravages et les dérèglements des écosystémes menacent la vie sur Terre et quil importe, partant, de développer des outils, des méthodes, des concepts, à même de saisir ces enjeux, de diagnostiquer leurs fondements, et peut-être den infléchir le cours.

Stockholm, première conférence des Nations-Unis inscrivant les questions écologiques à lme année, du rapport Meadows sur les limites de la croissance. En 1976 (date à laquelle Rueckert rédige sa contribution), lidée que la critique et la théorie littéraires puissent continuer de se développer en faisant fi de ce contexte, cest-à-dire sans se demander dans quelle mesure, de quelles façons, à quelles conditions, elles peuvent participer de ces élans, répondre à ces alertes, travailler à contrecarrer ces menaces, paraît inconcevable à Rueckert. Cest donc un impérieux désir dajustement à la conjoncture qui détermine lexpérimentation entre littérature et écologie à laquelle il se livre, expérimentation qui engage selon lui un changement conséquent, tant du point de vue de ce qui fonde, en amont, le geste critique, que de celui, en aval, des finalités qui lui sont associées :

Quelle que soit la critique expérimentale, la création insensée de nouveaux modèles dans le seul but d’écarter ou de remplacer les anciens, ou de battre un concurrent sur le marché intellectuel, ne devrait pas être un aboutissement. Plus j’ai réfléchi au problème, plus il m’a semblé que […] un virage doit être pris à l’endroit de notre motivation : de la recherche de nouveauté, ou d’élégance théorique, ou même de cohérence, vers un principe de pertinence7.(72-73)

 » (cette tendance « autodestructrice ou suicidaire [étant] inhérente à notre attitude prédominante et paradoxale envers la nature »), alors lère9 » (73). Appliquées au champ littéraire, ces perspectives conduisent Rueckert à se demander :

En tant que lecteurs, enseignants et critiques de littérature, comment pouvons-nous devenir des intendants responsables de la planète ? Comment posons-nous des questions sur la littérature et la biosphère ? Quelles peuvent même être ces questions ? […] Comment sengager dans une action biosphérique responsable, créative et coopérative, en tant que lecteur, enseignant (tout particulièrement) et critique de la littérature10 ? (79)

Pour répondre à ces interrogations, Rueckert pense quil faut se « tourner vers les poètes », et avec eux, grâce à leurs œuvres, sappliquer à « élaborer une poétique écologique » et à « promouvoir des visions écologiques11 » (79). Car, affirme-t-il, « là où il ny a pas de vision écologique, les gens périront12 » (79).

cessité pour les spécialistes de littérature, ainsi que Cheryll Glotfelty le réaffirmera en 1996, de briser la clôture du champ « académique » (xv) (cette épithète renvoyant à une « érudition » qui se déploie « dans l » et de « réfléchir » aux problèmes environnementaux est un prérequis pour les « résoudre15 » (Glotfelty, xxiv) – on est bien, alors, dans ce que Nancy analyse comme la conception « médicalisante » de la crise et de la critique, laquelle a deux spécificités.

La première est dappréhender la crise comme un « ensemble de phénomènes pathologiques se manifestant de manière brusque et intense »16, un moment de troubles, de désordres, de perturbations, qui viennent mettre à mal l’équilibre dun système et laissent prévoir un « changement décisif », « en bien ou en mal ». Car la crise, dans cette conception, na pas vocation à durer : à lissue de la « période limitée » où les dérèglements critiques se manifestent, elle ouvre sur un nouvel état stabilisé, bon ou mauvais. Si, au moment où l’écocritique prend pleinement son essor (au début des années 1990), on pouvait encore miser sur une résolution heureuse des crises écologiques déjà bien diagnostiquées et documentées par les scientifiques, et si la critique littéraire et artistique pouvait donc légitiment espérer y contribuer, de COP en COP, cette perspective sest toujours davantage estompée (et lon sait bien aujourdhui que, même dans lhypothèse peu probable où lon parviendrait à contenir le réchauffement climatique dans des limites supportables, il faudra plusieurs décennies sinon plusieurs siècles avant que les effets de la cure éventuellement consentie puissent être ressentis). Est-ce à dire, pour autant, que le projet écocritique soit frappé dinanité ? Il ne me semble pas – mais cela requiert, comme nous le verrons, denvisager selon une tout autre configuration les rapports entre « crise » et « critique »17. Dans limmédiat, notons que la naissance de l’écocritique constitue bien, en tant que telle, un geste critique au sens fort et général du terme : elle est le fruit dun discernement (elle prend acte de la crise environnementale) et dune décision (elle choisit dy répondre).

envisagerai dans ce qui constituera le deuxième temps de cette réflexion.

II. L’écocritique comme modèle d’interprétation

ôt à disqualifier ces formes et ces expressions (précisément parce quôt à forger de nouveaux critères, un nouveau corpus de savoirs, susceptibles de rendre compte de la « vertu esthétique » que lon reconnaît à une œuvre en dépit du fait quelle soit « mal identifiable » (Nancy, §1).

Il est certain – et en tout cas souhaitable – que même dans les cas où les propositions artistiques relèvent dune tendance ou dun programme bien identifiés, leur « vertu esthétique » (cest-à-dire la puissance singulière quelles peuvent exercer sur nous, lintérêt quon leur porte, le plaisir quelles nous procurent) ne se laisse jamais réduire à une somme de critères prédéfinis, dont lexamen critique se contenterait de dresser linventaire19. Il est cependant un certain nombre de cas où, parce que les œuvres et/ou les circonstances lexigent, lexercice critique se fait plus clairement créatif, sinon tout à fait performatif, dès lors quil travaille à forger des critères inédits, qui permettent d’« attirer lattention sur telle[s] ou telle[s] […] qualités inaperçues », de « projeter sur [lobjet d’étude] une lumière nouvelle », de le « représenter sous un jour différent » (Hanna, XVI). Cest essentiellement à cette perspective heuristique que, au moment de leur invention, se rattachent la théorie et la pratique de l’écocritique.

En effet, même si dès le XIXème siècle, et de manière toujours plus affirmée à partir des années 1970, un certain nombre dauteurs et dartistes ont pu concevoir des formes à visée ou dinspiration écologique (on peut notamment penser, dans le champ littéraire, aux courants du nature writing ou plus récemment du cli-fi, dans le champ des arts plastiques, au mouvement des Land Reclamation Artists, dans le champ des arts vivants, aux pratiques chorégraphiques et théâtrales dites « environnementales »), il paraît difficile daffirmer – du moins jusqu’à ces toutes dernières années20– que le souci de lenvironnement a véritablement fait programme ou école, au sens où ont pu le faire les grands mouvements modernistes et postmodernistes de lhistoire occidentale des arts21. Dans les faits, cest donc plutôt la constitution même du mouvement écocritique qui a contribué, rétroactivement, à faire émerger un corpus éco-artistique – corpus qui, du même coup, présente une double singularité.

La première est d’être pour partie composé d’œuvres, de gestes, de figures artistiques qui, jusque-là, avaient été ignorés, marginalisés ou déconsidérés (parce quils ne répondaient pas aux standards de la critique dominante), mais qui, en vertu des interprétations « géo-centrées »22 auxquels ils ont semblé pouvoir donner lieu, ont bénéficié dune nouvelle attention et se sont vus réévalués. La seconde caractéristique de ce corpus est d’être dun très grand éclectisme, tant du point de vue des genres, des styles et de registres littéraires et artistiques pris en considération, que de celui des aires culturelles, historiques et géographiques examinées. Cette hétérogénéité sexplique tout simplement, comme le note Lawrence Buell dans « The Ecocritical Insurgency », par le fait que :

Le champ d23. (699)

Or, à cette quasi illimitation des objets susceptibles de donner lieu à des analyses écocritiques, se conjugue la très grande diversité des orientations épistémologiques et idéologiques que les écocritiques donnent à leurs travaux. Une fois admis, en effet, que le propre de l’écocritique serait d’étudier les relations entre « littérature [ou arts] et environnement physique », de sintéresser aux « interconnexions entre nature et culture », de penser les relations entre  « humains et non-humain24 » (Glotfelty, xviii-xix), rien nest dit de la façon dont seront conduites ces études – et aucune réponse définitive ne sera apportée à cette question. Le constat que formulait Buell en 1999 demeure à cet égard dune parfaite actualité : « les études en littérature-et-environnement […] sont dans lensemble beaucoup plus guidées par des enjeux [de société] que par des méthodes [danalyse]25 » (700).

queer de Morton…), ces ressources se trouvant quant à elles prioritairement mobilisées en réponse à la « crise de limagination » que les crises environnementales impliquent (Buell, Environnemental, 3).

On en conviendra aisément : cela fait beaucoup doutils et beaucoup de perspectives critiques, dont il serait illusoire de croire, comme le soulignait déjà Buell, quelles forment « un menu infiniment élargi de possibilités non concurrentielles et heureusement co-existantes29 » (Ecocritical, 703). Certains – dont Buell lui-même – dénoncent dailleurs ce pluralisme, assimilé à de la cacophonie. Or, sans céder au relativisme (dans le champ de l’écocritique comme dans nimporte quel domaine intellectuel, cest un fait que toutes les contributions nont pas la même pertinence, les mêmes ambitions, la même portée), on peut considérer que cette polyphonie écocritique est avant tout à limage de – et rendue nécessaire par – le paradigme multifocal, multi-scalaire et relationnel qui fonde l’écologie, aussi bien en tant que « science » quen tant que « fondement dune vision du monde » (Rueckert, 73). À partir du moment, en effet, où lon considère que « tout est inter-relié »30, que « le monde entier, à toutes ses échelles, est une contact zone[Haraway]31 » (Bird et al., 2), et que lon sintéresse moins au sujet humain en tant que tel (ses actions, ses intérêts, ses décisions) qu’à la façon dont il sinscrit dans un tissu de présences et dexpériences, de perceptions et de significations, quil façonne autant quelles le façonnent32, alors il paraît difficile, sinon contradictoire, de privilégier un critère ou une méthode danalyse unique. De ce point de vue, la perte de cohérence critique serait en quelque sorte le prix à payer pour accéder à cette « pensée complexe » (Morin, Science) que constitue l’écologie. Cela étant, la question se pose tout de même de savoir, dune part, ce que devient la critique « esthète » des œuvres (problématique qui est au cœur des débats opposant « écocritique » et « écopoétique » : voir Posthumus), et dautre part, sil est ou non possible dattacher aux approches écocritiques une puissance, sinon réparatrice, à tout le moins transformatrice.

III. L’écocritique comme puissance de déstabilisation et de réarmement

expression fine et variée dune subjectivité qui se propose de « pénétrer lart, de le goûter et daccéder au je ne sais quoi de sa production, voire de sa création » (§2). La critique, du même coup, devient beaucoup moins un « art du discernement » (fondé sur la distinction de ce qui est conforme ou en rupture) quun acte d’« évaluation » (lexpression dun jugement de goût, positif ou négatif).

Il est sûr quune critique ainsi centrée sur lappréciation dun sujet sappliquant à rendre compte de lexpérience singulière, sensible et signifiante, que constitue sa rencontre avec l’œuvre, semble une posture assez peu à même de répondre aux ambitions constitutives de l’écocritique : être une « posture critique [qui] a un pied dans la littérature et lautre sur la terre35 » (Glotfelty, xix), et qui se propose de mettre en relation les œuvres, les artistes et le monde – ce dernier terme étant employé dans un sens étendu à « lensemble de l’écosphère36 » (Goltfelty, xix). Il importe toutefois de bien garder à lesprit la remarque de Rueckert (75) – « Ce que dit un poème est probablement toujours moins important que ce quil fait et comment – au sens profond – il devient consistant37 » –, affirmation qui résonne très exactement avec lanalyse de Jean-Christophe Cavallin qui, dans son texte dintroduction au dossier « Écopoétique pour des temps extrêmes » de la revue LHT, rappelle que :

Dans la vision d’Adorno, l’intention bonne est impuissante […] : les écrivains qu’a dupés le leurre de la praxis n’agissent pas plus qu’ils n’écrivent, parce qu’en haine du formalisme ils refusent de s’intéresser au problème de la forme et que, dans les œuvres littéraires, malheureusement pour eux, c’est la forme qui agit. Adorno écrit à propos de Kafka et de Beckett :

Langoisse dont lexistentialisme ne fait que parler. (Cavallin, §6)

Cavallin poursuit :

La force des œuvres littéraires viendrait donc de lintransigeance de leur logique formelle. Les lettrés de la Renaissance appelaient imago agens ces figures ou tropes magnétiques dans lesquels était déposé le principe actif du poème. On pourrait à la forme pure, recluse dans son hermétisme, opposer la forma agens  agissante ou agentive , cest-à-dire la forme en tant queffective, dans le sens quelle est immédiatement son propre faire ou effet (effectus). Dans cette nouvelle perspective, les œuvres engagées ne sont pas les œuvres qui disent de faire, mais les œuvres qui font ce quelles disent. […] Elle ne lexhorte pas à agir, elle se contente dagir sur lui. Sa forme est performative. (§7)

Dans cette perspective, et sans se laisser prendre au piège solipsiste dune critique esthétisante38, les outils classiques de la critique littéraire (analyse rhétorique, narratologique, énonciative, stylistique), et plus largement, ceux propres à lanalyse des gestes, des mouvements, des espaces, des formes, constituent donc des adjuvants précieux, et à vrai dire indispensables, pour rendre compte de la manière spécifique quont les œuvres de construire des significations, dinventer des mondes, de donner forme à des images, des êtres, des situations qui nous séduisent, nous troublent, nous concernent, nous habitent durablement – et ce faisant, agissent sur nous, selon des temporalités diffuses, des logiques imprévisibles, et proprement indécidables.

èmes de représentation et des structures […] par lesquels la société contemporaine comprend et réagit aux changements environnementaux (ou ne le fait pas : d’où la crise)40 » (Bergthaller et al, 262), les analyses écocritiques sappliquent en effet à mettre en évidence ce qui, dans les œuvres, est susceptible dinterroger et/ou de renouveler en profondeur nos perceptions, nos émotions, nos imaginations, et donc, de redéfinir notre rapport au monde. D’étude en étude, on tend alors à passer et repasser par le même genre de motifs ou darguments généraux, à insister sur les mêmes nécessités, à préconiser les mêmes changements – au premier rang desquels figurent ceux que formulait déjà Rueckert (78), à savoir : la remise en cause de notre « compulsion à conquérir, humaniser, domestiquer, violer et exploiter toute chose naturelle », et la nécessité d’« altérer notre vision anthropocentrique41 » (en élargissant le cercle de nos attentions et en enrichissant la gamme des relations que nous nouons avec nos milieux de vie et tous les êtres qui les peuplent).

Si je semble énoncer cela de manière un peu surplombante, je tiens simultanément à dire quil est en réalité très difficile d’échapper à cette tendance. Si lon sengage sur la voie de l’écocritique, cest précisément parce que lon est soucieux, et des devenirs de la planète, et de la façon dont les arts peuvent contribuer à infléchir positivement le cours des désastres annoncés. Il est donc logique que, dans les études écocritiques, soient autant valorisés les effets potentiels, les résultats supposés des œuvres. Mais le risque est grand, alors, quau sentiment de ressassement qui saisit assez vite les lecteurs de ces études, sajoute un véritable manqué théorique : celui qui vise à réfléchir, en propre, à ce que Rancière appelle la « politique de lesthétique » (36-39)42, et qui suppose de sattacher, moins aux finalités des œuvres et aux significations des représentations quelles proposent, qu’à leur poétique propre, la manière dont prennent forme, et à lexpérience singulière à laquelle ce travail artistique nous convie.

À l’époque où Rueckert formule ces impératifs de révision philosophique et culturelle, il est frappant de constater quil les inscrit dans un horizon quasi-messianique – des propos de Francis Ponge quil cite en exergue de son article (et où il est question de « réconciliation », de « salut », d’ « espoir »43) jusquaux vœux quil forme dans les toutes dernières lignes de sa réflexion, où il se demande « comment transformer la littérature en une action purgative-rédemptrice » et nous conjure de nous « libérer des (faux) discours44 » (85). Aujourdhui, ces impératifs sont plutôt de lordre de la doxa écocritique (et, plus largement, de ce quon appelle désormais les humanités environnementales45). Doit-on pour autant en conclure que Rueckert se leurrait, et que lactivité de ceux et celles qui poursuivent son geste est stérile ?

À la première interrogation, on peut de toute évidence répondre par la négative : Rueckert est tout à fait conscient des limites de lexpérimentation critique à laquelle il se livre. Non seulement parce quil fait remarquer que, confronté à limmensité « écrasante » des perspectives qui sont en jeu, le chercheur en écocritique ne peut que se trouver envahi par « un sentiment de futilité, dabsurdité et dautodérision » vis-à-vis des « faibles sons de sa voix encore largement ignorante, prêcheuse et pontifiante46 » (79). Mais aussi, parce quil rappelle que les œuvres que des auteurs tels que Thoreau, Whitman et Melville ont pu nous léguer, nont pas suffi à empêcher le désastre écologique47 (80). Pourquoi, alors, poursuivre dans une telle voie, sinon tout à fait impuissante, comme Rueckert (79-80) la qualifie lui-même, à tout le moins, désespérée et désespérante ? En fait, ce jugement na de sens que si lon continue de penser la crise et la critique dun point de vue « médicalisant », mais s’éclaire sous un tout autre jour dès quon aborde ces termes au sens quils ont acquis au cours du XXème siècle.

 » (Crisologie, 149), l’ébranlement constitutif de la crise vient rouvrir les possibles et a « quelque chose deffecteur. Elle met en marche, ne serait-ce quun moment, ne serait-ce qu’à l’état naissant, tout ce qui peut apporter changement, transformation, évolution. » (Crisologie, 152). Et cela peut, précisément, être la fonction du geste critique que dimpulser, accompagner ou soutenir ces mouvements.

ès lors, nest plus tant de critiquer « à partir dun critère qu’à partir de la crise et à travers elle » (Nancy, §2). Si cet agir renoue avec les enjeux de discernement originellement liés à lexamen critique (il identifie des devenirs potentiels, diagnostique des alternatives), il ne peut cependant pas véritablement se projeter dans la perspective dune résolution (puisque la crise est infinie). Savoir cela nempêche toutefois pas de le vouloir, et donc, de « sexposer » à cet impossible. Comme le rappelle en effet Nancy :

En un sens Kant, Marx, Husserl et tous les grands critiques ont toujours déjà su que leur critère ou leur critériologie implicite était un impossible (l’inconditionné, l’homme total, le logos). Il nous incombe moins de le « savoir » à nouveau que de nous y décider et nous y exposer.

Sy exposer suppose de sopposer au possible. Sopposer demande daffronter et de combattre. Il y a donc un ennemi. Kant, Marx et Husserl ont eu des ennemis (la métaphysique, l’économie politique, la fatigue de lesprit). Ils ont donc su que la critique ne doit pas être « seulement un bistouri mais une arme » (Marx). (§2)

 « lapocalypse48 » (78), attitude qui revient à considérer que tout est déjà joué, quil est trop tard pour agir – on na plus qu’à attendre que la fatalité nous écrase. Si lon ne veut pas enfermer « le présent et les futurs possibles » dans cette « vision écologique tragique49» (78), alors il faut se rendre sensibles à des devenirs potentiels, faire importer des choses différentes, dessiner de nouveaux horizons communs, imaginer de nouvelles « alliances » (voir Balaud et Chopot) – toutes choses auxquelles peuvent œuvrer les artistes aussi bien que les écocritiques qui en accompagnent le travail, et qui relèvent, in fine, ce que Didier Debaise et Isabelle Stengers appellent « lengagement spéculatif » :

« Étymologiquement le speculator était celui qui observe, guette, cultive les signes dun changement de situation, se rendant sensible à ce qui, dans cette situation, pourrait importer. […] ce « spéculateur » […] aura à se poser la question pragmatique par excellence : le possible dont je sens linsistance ajoute-t-il à la situation ou lappauvrit-il ? []

On ne décide pas de poser un geste spéculatif, on le risque en tant que lon se sent « tenu » par une situation, tenu de faire réponse à des virtualités que seule rend perceptibles la manière dont on est tenu. » (88-89)

impossible, et le vouloir en tant que tel. [La critique] vaut alors autant que ce quelle veut. » (§4).


Ouvrages cités :

Arons W., May Th.- J. (eds), Readings in Performance and Ecology. New York: Palgrave Macmillan, 2012.

Balaud L. Chopot A. Nous ne sommes pas seuls. Politique des soulèvements terrestres, Paris : Seuil, 2021.

Bergthaller H. et al., « Mapping Common Ground: Ecocriticism, Environmental History, and the Environmental Humanities » in Environmental Humanities, vol. 5, 2014, p. 261-276. En ligne : [https://read.dukeupress.edu/environmental-humanities/article/5/1/261/8152/Mapping-Common-Ground-Ecocriticism-Environmental] (Consulté le 10 novembre 2021).

Bird D. R., et al., « Thinking Through the Environment, Unsettling the Humanities », Environmental Humanities, n°1, 2012, p. 1-5. En ligne : [https://read.dukeupress.edu/environmental-humanities/article/1/1/1/8085/Thinking-Through-the-Environment-Unsettling-the] (Consulté le 10 novembre 2021).

Buell L., « The Ecocritical Insurgency », New Literary History, vol. 30, n°3: Ecocriticism, Summer 1999, p. 699-712.

Buell L., The Future of Environmental Criticism. Environmental Crisis and Literary Imagination, Malden: Blackwell, 2005.

Cavallin J.-C., « Vers une écologie littéraire », Fabula-LhT, n° 27, « Ecopoétique pour des temps extrêmes » (dir. Jean-Christophe Cavallin et Alain Romestaing), novembre 2021, En ligne : [http://www.fabula.org/lht/27/cavallin.html] (page consultée le 28 septembre 2022).

Debaise D., Stengers I., « Linsistance des possibles. Pour un pragmatisme spéculatif », Multitudes n° 65, 2016/4, p. 82-89.

Glotfelty Ch., « Introduction. Literary Studies in an Age of Ecological Crisis » in Ch. Glotfelty and H. Fromm (eds.), The Ecocriticism Reader, Landmarks in Literary Ecology, Athenes : University of Georgia Press, 1996, p. xv-xxxvii.

Guattari F., Les Trois Écologies, Paris : éd. Galilée, 1989.

Hanna C., « Pourquoi théorisons-nous (encore) ? », préface à Dominiq Jenvrey, Théorie du fictionnaire, Paris : Questions théoriques éditions, 2011, p. I-XXIV.

Houser H., Ecosickness in Contemporary U.S. Fiction: Environment and Affect, New-York: Columbia Press University, 2014.

Latour B., Où atterrir ? Comment sorienter en politique, Paris : La Découverte, 2017. 

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Posthumus S., « Penser limagination environnementale française sous le signe de la différence », Raison publique, vol. 17, no. 2, 2012, p. 15-31. 

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Weik von Mossner A., Affective Ecologies: Empathy, Emotion and Environnemental Narrative, Columbus: Ohio State University Press, 2017.


1 Je synthétise ci-dessous les positions que, dans son article, l’auteur analyse successivement (Nancy, 2016).

2 Ma traduction. Citation originale : “ecology […] has the greatest relevance to the present and future of the world we all live in”.

en 2012, est créée la revue Environmental Humanities (comité scientifique international). Toutes ces revues sont accessibles en ligne, en libre accès ou moyennant abonnement.

4 Rueckert fait figurer trois citations en exergue de son article. Je n’évoquerai ici que les deux premières, mais reviendrai sur la troisième (tirée du Parti pris des choses de Francis Ponge) dans la dernière partie de ma contribution.

Je traduis : « C’est l’affaire de ceux qui dirigent les activités qui façonneront le monde de demain de penser au-delà du bien-être d’aujourd’hui et dassurer demain ».

6 La citation tirée de The Closing Circle est la suivante : « Any living thing that hopes to live on earth must fit into the ecosphere or perish. » Je traduis : « Tout être vivant qui espère vivre sur Terre doit sadapter à l’écosphère ou périr ».

7 Ma traduction. Citation originale : “Whatever experimental criticism is about, the senseless creation of new models just to displace or replace old ones, or to beat out a competitor in the intellectual marketplace should not be the result. The more I have thought about the problem, the more it has seemed to me that […] [t]here must be a shift in our locus of motivation from newness, or theoretical elegance, or even coherence, to a principle of relevance.”

8

9 Ma traduction. Citation originale : “The problem now, as most ecologists agree, is to find ways of keeping the human community from destroying the natural community, and with it the human community. This is what ecologists like to call the self-destructive or suicidal motive that is inherent in our prevailing and paradoxical attitude toward nature. The conceptual and practical problem is to find the grounds upon which the two communities – the human, the natural – can coexist, cooperate, and flourish in the biosphere.”

10 Ma traduction. Citation originale : “As readers, teachers and critics of literature, how do we become responsible planet stewards? How do we ask questions about literature and the biosphere? What do we even ask? […] How does one engage in responsible creative and cooperative biospheric action as a reader, teacher (especially this), and critic of literature?”

11 Ma traduction. Citation originale : “we should […] turn to the poets. […] We must formulate an ecological poetics. We must promote an ecological vision.” ». Je développerai dans le deuxième temps de ma contribution ce quon peut entendre par « poétique écologique » et « vision écologique ».

12 Ma traduction. Citation originale : “where there is no ecological vision, the people will perish.”

13 Ma traduction. Citation originale : “scholarship remains academic in the sense of « scholarly to the point of being unaware of the outside world » (American Heritage Dictionary)”.

14 Ma traduction. Citation originale : “How then can we contribute to environmental restoration, not just in our spare time, but from within our capacity as professors of literature?” 

15 Ma traduction. Citation originale : “Consciousness raising is its most important task. For how can we solve environmental problems unless we start thinking about them?” 

16 Ici et jusqu’à mention contraire, les termes et expressions cités sont extraits de la première série de définitions attachées au substantif Crise”, CNRTL. URL : https://www.cnrtl.fr/definition/crise

17 Voir infra, « III. L’écocritique comme puissance de déstabilisation et de réarmement ».

18 Exclusivement publié en ligne, l’article de Nancy n’est pas paginé, mais structuré en quatre paragraphes numérotés. Les indications auxquelles je recours ici et dans la suite de l’article y renvoient.

19 Comme lanalyse Christophe Hanna, rabattre le travail critique sur tel exercice normatif, ne visant qu’à évaluer la conformité dune œuvre vis-à-vis dun corpus de règles ou dattentes spécifiques, cest manquer ce qui fait le propre et lunicité dune expérience esthétique, et oublier tout ce qui différencie un visage dun portrait-robot : « La définition, comme le portrait-robot, combine platement des caractéristiques perceptuelles. Elle additionne sans réellement unifier dans un ordre, ce qui lempêche de capter la qualité particulière de lobjet désigné, tout comme le portrait-robot est incapable de saisir la qualité physionomique dun visage ou dun type de visage […] Le portrait-robot, comme la définition, suggère, par sa structure, une lecture analytique des traits quil présente, et rend quasi impossible une saisie globale permettant, dans lexpérience, la reconnaissance. […] Une qualité esthétique (comme la qualité physionomique dune face humaine, la qualité distinctive dune œuvre) ne peut être rendue par une simple combinaison []. » (Hanna, XIV-XV).

21 Comme les études postcoloniales l’ont bien mis en évidence, ce souci de l’environnement, cet attachement des êtres humains pour la terre et toutes les entités non-humaines avec ils coexistent, est en revanche au cœur de multiples récits, cultures et pratiques qui ont été minorisés ou éradiqués par la colonisation européenne.

22 Je reprends ici le qualificatif par lequel Cheryll Glotflety définit l’écocritique : [E]cocricism takes an earth-centered approach to literary studies.

23 Ma traduction. Citation originale: “the field of application for environmentally-valenced critical inquiry is immense in duration and range. Given that human beings are inescapably biohistorical creatures who construct themselves, at least partially, through encounter with physical environments they cannot not inhabit, any artifact of imagination may be expected to bear traces of that”.

24 Ma traduction. Citation originale: ‘Simply put, ecocriticism is the study of the relationship between literature and the physical environment. […] Ecocriticism takes at its subject the interconnexions between nature and culture […]. As […] a theoretical discourse, it negotiates between the human and the nonhuman.”

25 Ma traduction. Citation originale : Literature-and-environment studies [] [are] on the whole more issue-driven than methodology-driven”.

ères années, ce qui a la plus grande pertinence pour le présent et l’avenir du monde dans lequel nous vivons tous. En jouant un peu avec le titre de cet article, je pourrais dire que je vais essayer de découvrir quelque chose sur l’écologie de la littérature, ou essayer de développer une poétique écologique en appliquant des concepts écologiques au fait de lire, dallonger ensemble et savérer générateurs ». Voir aussi les pages que Buell consacre à cette filiation inspirée de l’écologie scientifique (Ecocritical, 703-704).

27 Sur cette tendance, et sa mise en cause, voir : Serpil Oppermann, 2006.

28

29 Ma traduction. Citation originale: “Yet it would not be accurate to characterize the movement [of ecocriticism] as nothing more than an infinitely-expanding menu of noncompetitive, happily-coexistent possibilities […]”.

30 C’est la première loi de l’écologie selon Barry Commoner, à laquelle se réfère Rueckert dans son article (73).

31 Ma traduction. Citation originale : “There is now a recognition that the whole world, at all scales, is a ‘contact zone’.”

32 Je synthétise ici le propos Bird et al, ibid.

33 Ce mouvement d’émancipation du jugement critique accompagne en réalité celui de la fabrique même des œuvres (leur poétique, leur poïétique) – cette double autonomisation (des manières de faire et des manières d’évaluer) signant justement pour Rancière (2000 et 2004) l’entrée dans le « régime esthétique » de l’art, lequel succède au « régime poétique » (où le champ de l’art est normé par des règles, des poétiques, définissant ce qu’il convient de faire et de ne pas faire, de dire et de ne pas dire, de montrer et de ne pas montrer, en fonction de considérations génériques), qui lui-même succède au « régime éthique » de l’art (au sein duquel la question de la représentation est placée sous la dépendance de la question de la vérité).

34 Pour Jean-Luc Nancy, « La critique a été la marque distinctive d’une époque qu’on pourrait qualifier d’hyperactivité onto-gnoséo-logique. Un sujet s’y pose en tant que son propre acte et cet acte – sa propre déclaration, son ego sum – s’assure de lui-même par lui-même, se donnant ainsi le critère du jugement vrai » (§2) – et ce, aussi bien dans la philosophie kantienne que dans la critique d’art telle qu’elle se développe à partir du XVIIIème siècle.

35 Ma traduction. Citation originale : “As a critical stance, [ecocriticism] has one foot in literature and the other on land.”

36 Ma traduction. Citation originale : “In most literary theory « the world » is synonymous with society-the social sphere. Ecocriticism expands the notion of « the world » to include the entire ecosphere.”

37 Ma traduction. Citation originale : “What a poem is saying is probably always less important than what it is doing and how – in the deep sense – it coheres”.

38 Portée à sa dernière extrémité, la pratique esthétisante de la critique peut en effet finir par à se substituer complètement à l’œuvre elle-même – ce qui prévaut et se trouve mis en avant étant alors « la finesse indéfinissable dun discernement seul capable de discerner ce quil discerne » (Nancy. §2).

Je traduis : « Si lon accepte la première loi de l’écologie définie par Barry Commoner, « tout est relié à tout le reste », alors nous devons en conclure que la littérature ne flotte pas au-dessus du monde matériel dans une sorte d’éther esthétique, mais au contraire, quelle joue un rôle dans un système mondial immensément complexe, dans lequel l’énergie, la matière et les idées interagissent ».

40 Ma traduction. Citation originale : “Clearly, the ecological crisis is not only a crisis of the physical environment but also a crisis of the cultural and social environment—of the systems of representation […] through which contemporary society understands and responds to environmental change (or fails to do so: hence the crisis).”

41

42 Ayant abordé cette question dans un récent ouvrage, je me permets d’y renvoyer les lecteurs (voir Sermon, 19-42).

43 Cette citation figure à la suite de celles de Dasmann et Commoner, que jai évoquées dans la première partie de cet article: Je la cite : « . . . the function of poetry. . . . is to nourish the spirit of man by giving him the cosmos to suckle. We have only to lower our standard of dominating nature and to raise our standard of participating in it in order to make the reconciliation take place. When man becomes proud to be not just the site where ideas and feelings are produced, but also the crossroad where they divide and mingle, he will be ready to be saved. Hope therefore lies in a poetry through which the world so invades the spirit of man that he becomes almost speechless, and later reinvents language.” (Francis Ponge, The Voice of Things, cité par Rueckert, 71). À noter que ce texte ne figure pas dans l’édition française du Parti pris des choses (1942), mais quil est extrait dun court texte intitulé « Le monde muet est notre seule patrie » (1952), publié in Francis Ponge, Méthodes, Paris, éd. Gallimard, 1961, p. 205 : «  […] la fonction de la poésie […] est de nourrir lesprit de lhomme en labouchant au cosmos. Il suffit dabaisser notre prétention à dominer la nature et d’élever notre prétention à en faire physiquement partie, pour que la réconciliation ait lieu. Quand lhomme sera fier d’être non seulement le lieu où s’élaborent les idées et les sentiments, mais aussi bien le nœud où ils se détruisent et se confondent, il sera près alors d’être sauvé. Lespoir est donc dans une poésie par laquelle le monde envahisse à ce point lesprit de lhomme quil en perde à peu près la parole, puis réinvente un jargon ».

Free us from figures of speech”. Dans le corps de l’article, l’ai pris le parti de rajouter l’épithète « faux » entre parenthèses, car elle figure dans la version du texte de Rueckert tel que réédité, en 1996, dans l’anthologie The Ecocriticism Reader, dirigée par Glotfelty et Harold Fromm. Cette modification est importante : alors qu’en 1978, Rueckert insistait sur la nécessité de ne pas s’en tenir à de belles paroles et de passer à l’action, un peu de quinze ans plus tard, il souligne que, si les écrivains (et plus largement les artistes) n’ont pas la possibilité de directement agir sur le monde ou de le changer, ils peuvent en revanche contribuer à déconstruire les discours, les actions, les visions erronées, et leur opposer des manières de dire, de voir et de faire plus « justes ».

autre part, « resituer les non-humains au sein des domaines culturels et éthiques » (au lieu de réduire les mondes naturels et matériels à n’être quun « arrière-plan passif pour les drames humains », sans autre valeur que celle, monnayable, de leur usage par et pour les humains). Voir Bird, et al., 3. (Je traduis).

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47 À noter que Rueckert rapporte alors un constat de Barry Commoner. Citation originale : « this literary heritage has not been enough to save us from ecological disaster. »

48 Expression originale : “doomsday syndrome”.

49 Je traduis ici partiellement le passage suivant : “To simply absorb this tragic ecological view of our present and possible futures (if nothing occurs to alter our anthropocentric vision) into the doomsday syndrome is a comforting but specious intellectual, critical, and historical response […]”..