Littérature et médecine

Littérature et Médecine


(Quelques références empruntées au blog Arts et Sciences de Linda Moussakova)

BURKHARDT Ute et al. (Mars 2012). “Litterature and Science : a different look inside neurodegeneration”. Advances in Physiology Education March 2012 Vol.36 no.1 p.68-71

Et plusieurs autres ouvrages sur le site de narrativemedecine.org de l’Université Columbia dont la directrice Rita Charon est une pionnière de cette approche humaniste.



FUSARO Comoy Edwige (2 juillet 2010). ”Littérature et Médecine “ – avant-propos,

Cahiers de Narratologie 2010 no.18

DANOU Gérard (2008). Peser les mots- actes du colloque Littérature et médecine, éditions Lambert-Lucas 228 p.

DANOU Gérard (2007). Langue, récit, littérature dans l’éducation médicale ,

éditions Lambert-Lucas, 161 p.



DION-LABRIE M. et DOUCET L. (juin 2011).” Médecine narrative et éthique narrative en Amérique du Nord : perspective historique et critique. À la recherche d’une médecine humaniste”, revue Éthique & Santé Vol.8 no.2 p.63-68




Littérature et médecine

Une émission de France Culture le mardi 29 décembre à 14h

AVEC OU SANS RENDEZ-VOUS

Littérature et médecine

par Olivier Lyon-Caen

Avec : Jérôme Garcin (Auteur) écrivain

Médecine et littérature, littérature et médecine, ces deux mots s¿accolent bien l’un à l’autre, et de façon diverse au fil du temps. Longtemps, on a pu dire que la médecine n’était que littérature comme on peut avancer aujourd’hui que la médecine, dans sa dimension scientifique et éthique, s’est tournée vers la littérature, ne serait-ce que pour permettre la divulgation de la connaissance.

Pour traiter de ce sujet, notre invité est aujourd’hui Jérôme Garcin.
Réalisation : Brigitte Alléhaut




Médecine et positivisme

Séminaire de l’équipe TRAVERSES 19-21 (2007-2008)
Coordonné par L.Dumasy

Dans le cadre de son programme de recherches :
Sciences, techniques, pouvoirs, fictions :
discours et représentations, XIXe-XXesiècles,

l’équipe Traverses 19-21 (Grenoble 3) organise un séminaire de recherche,
ouvert à toute personne intéressée, sur :


Positivisme, scientisme, darwinisme dans la littérature et les sciences sociales depuis la seconde moitié du xixesiècle: triomphe et contestations

La conférence de

Madame Annie Petit
Professeur émérite, université Paul Valéry Montpellier3
«Médecine et positivisme :
une troublante fascination»

aura lieu mercredi 23 janvier 2008 de 17h30 à 19h00
à la Maison des Langues et des Cultures,
salle des Conseils, au 2eétage, salle 218
(1141, avenue centrale – Saint Martin d’Hères)

Annie Petit, agrégée de philosophie, est Professeur de philosophie à l’Université Paul-Valéry de Montpellier. Sa thèse de Doctorat d’État a été consacrée aux Heurs et malheurs du positivisme comtien, Philosophie des sciences et politique scientifique chez Auguste Comte et ses premiers disciples 1825-1890. Ses recherches et publications portent sur l’histoire de la philosophie, la philosophie et l’histoire des sciences, et sur l’histoire des idées au xixesiècle ; surtout sur les mouvements positivistes et les importants débats qu’ils ont entraînés.

Contact : Traverses 19-21
Mél: traverses@u-grenoble3.fr
Tel: 04 76 82 68 80

Retrouvez ces informations sur le site du cluster 14 : http://erstu.ens-lsh.fr/




Médecine et pauvreté

I. Lʼécriture de la pauvreté

Lʼécriture de Céline est fondée sur un certain rejet des structures narratives et grammaticales classiques. Prenant acte à sa manière de lʼentrée de la culture dans lʼère moderne, elle témoigne de lʼapparition de nouveaux savoirs, de lʼeffondrement dʼanciennes illusions et de la mise au jour de problèmes littéraires et sociaux inédits. Le tour de force de Céline – et de quelques autres écrivains moins célèbres – est dʼavoir produit une oeuvre capable de renouveler la littérature au moyen dʼune langue qui avait été maintenue dans les cultures classiques et romantiques en dehors de lʼécriture, à savoir la langue familière, le français populaire, celui que parlent, précisément, ceux qui nʼécrivent pas. Ancien combattant de la guerre de 14, obscur médecin de banlieue au temps de la Crise de 29, Céline est devenu, après la publication de Voyage au bout de la nuit, le porte-parole de tous les exclus, sorte de nouveau Prométhée qui sʼétait emparé de lʼécriture pour la mettre au service du peuple. Il avait su, par lʼusage de lʼargot, représenter le monde tel quʼil est perçu du point de vue des victimes. Conférant une nouvelle efficacité à la critique sociale, il avait ainsi révélé lʼextraordinaire pouvoir de subversion que lʼécriture peut sʼarroger lorsquʼelle sʼérige contre ses propres valeurs. Bref, cʼest en quelque sorte comme si Céline avait donné au peuple ses lettres de noblesse.

Lʼun des aspects de cette réussite – qui ne sera véritablement accomplie quʼavec Mort à crédit – réside dans lʼabolition de la distinction classique entre le langage qui est prêté aux personnages et celui que détient le narrateur. On avait certes, avant Céline, permis que des personnages issus des basses classes de la société sʼexpriment dans lʼidiome qui leur est propre, mais cette parole avait été maintenue à une certaine distance par rapport à la voix narrative dominante, lʼécriture reproduisant ainsi, par le biais de cette coupure stylistique, lʼunivers social de la domination. On pourrait voir, par exemple, une prise en compte de la parole du pauvre dans lʼoeuvre dʼÉmile Zola. Mais, comme le souligne Pierre Bourdieu, « en se réclamant du modèle de médecins éminents, [Zola] identifiait le regard du “romancier expérimental” au regard clinique, instituant entre lʼécrivain et son objet la distance objectivante qui sépare les grandes sommités médicales de leurs patients » [1]. En effet, la pauvreté chez Zola est mise en observation, et cʼest précisément cela qui lʼempêche de contaminer lʼécriture jusque dans le retranchement de la voix narrative. Or, chez Céline la position narrative, le statut de médecin et la condition misérable fusionnent définitivement. Cʼest donc par la revendication dʼune certaine pauvreté littéraire que Céline fait son entrée dans la grande littérature. Aussi, le travail stylistique qu’il ne cessera dʼapprofondirsubséquemment impliquera-t-il toujours la recherche de cette pauvreté qui sʼexprime dans le dépouillement de tout ce que la littérature avait pu capitaliser sur le compte de la domination sociale. Du côté de sa carrière médicale, Céline reproduira cette même solidarité avec les milieux défavorisés, puisque toute sa vie il se voudra médecin des pauvres, et sera lui-même aussi pauvre et aussi malade que ses patients. Nous tenterons de comprendre dans cet article les sources de lʼintérêt que Céline pouvait avoir, en tant quʼartiste, pour cette pauvreté quʼil côtoyait chaque jour en tant que médecin.

II. Lʼécriture du corps Cʼest sur le modèle de lʼoralité comprise comme parole vivante que Céline a fondé son écriture. Dans les Entretiens avec le professeur Y, il explicite le rôle joué par lʼémotion dans ce travail de déconstruction des structures écrites conventionnelles : cʼest lʼémotion qui permet dʼinsuffler la vie à un texte. Or, lʼexpression des émotions exige que lʼon sʼécarte dʼune norme linguistique jugée froide et répressive. Cet écart, on peut en trouver le modèle dans la langue parlée, mais on peut aussi le recréer par un travail dʼécriture : bref, ce qui compte, ce nʼest pas tant lʼoralité du parlé que lʼémotion qui pointe à travers lʼexpression libérée des modèles conventionnels dʼécriture. Si lʼexpression est vivante, cʼest quʼelle provient dʼune mise au vif de la sensibilité de celui qui écrit. Il y a un véritable investissement corporel qui est exigé par le travail dʼécriture qui vise à transmettre une émotion. « Alors jʼai mis ma peau sur la table », est lʼune des formules que Céline reprend le plus souvent dans la série dʼentretiens quʼil donne a la fin de sa vie. Lʼesprit malicieux y verra simplement une stratégie visant redonner sa légitimité à des prétentions littéraires ruinées par un engagement politique condamnable et effectivement condamné à cette époque -sorte de captatio benevolentiae destinée à provoquer la pitié et le respect pour lʼhomme qui a souffert dans son corps la parole quʼil veut nous transmettre. Lʼesprit encore plus malicieux dira que Céline nʼa pas payé assez cher son écriture, en particulier ses pamphlets antisémites, et quʼil aurait dû littéralement y laisser sa peau. Mais nʼoublions pas néanmoins quʼil sʼagit là dʼune conception de lʼécriture activement défendue par Céline, et qui informe grandement le travail quʼil a produit -ce quʼil nomme encore, de manière éloquente, « ma grande attaque contre le Verbe », cʼest-à-dire contre le Verbe qui sʼest fait chair : Céline, lui, prétend faire de sa propre chair la source vivante de son verbe. Ces déclarations nous incitent à réfléchir sur les relations que peuvent entretenir la vie dʼun écrivain et son oeuvre. Le sens commun formule le plus souvent cette relation comme une relation simple. Lʼhomme étant le créateur de son oeuvre, connaître lʼhomme permettrait de mieux comprendre lʼoeuvre. Il sʼagirait, par exemple, de connaître ce que Céline a effectivement pu souffrir pour mieux comprendre les ressorts psychologiques de son écriture. Or, bien que la connaissance biographique ne soit pas entièrement futile, on connaît le paradoxe que Proust a énoncé dans son Contre Sainte-Beuve : si la connaissance de lʼhomme et celle de son oeuvre sont discontinues, cʼest que le sujet de lʼoeuvre nʼest pas lʼhomme dont on peut faire la connaissance dans le monde, mais celui qui ne peut être révélé au monde que par le biais de lʼoeuvre. Je est un autre, disait Rimbaud. Il y a là un dédoublement de personne qui, à première vue, ne permet pas dʼamalgamer le sujet vivant et le sujet écrivant.

Le cas de Céline, docteur Destouches de son vrai nom, présente à un degré troublant cette forme de rupture dʼipséité à laquelle ont fait allusion Proust, Rimbaud et tant dʼautres figures de la modernité. On a parlé à ce sujet de « Lʼétrange cas du Dr Destouches et de M. Céline ». On peut poser de nombreuses questions à ce sujet. Par exemple, pour ce qui nous intéresse ici : y a-t-il un rapport a établir entre la vocation médicale de Céline et la conception de lʼécriture quʼil développe dans son oeuvre ? la littérature et la médecine, si elles sont toutes deux concernées par la souffrance de lʼhomme, sont-elle pour Céline des pratiques continues ou discontinues ? ou encore, comment, dans lʼécriture célinienne, la volonté dʼinvestir son propre corps peut-elle cohabiter avec la mise en oeuvre dʼun regard médical, cʼest-à-dire dʼun rapport au corps que lʼon peut en grande partie caractériser comme savoir ? la figure du médecin prolétaire incarnée par Bardamu permettrait-elle ainsi une double relation au corps, à la fois concrète et abstraite, subjective et objective dans la mesure où lʼaccent est mis tantôt sur le corps comme sujet de lʼexpérience, tantôt sur le corps comme objet de connaissance ? Ce sont ces questions que nous tenterons dʼapprofondir ici en nous penchant sur la manière dont certaines expériences vécues par Céline sont représentées dans son oeuvre, et sur le rôle que peut jouer le savoir médical dans une telle mise en récit du vécu.

III. Lʼécriture de la guerre Parmi les principaux thèmes autobiographiques du Voyage, la guerre et la maladie, « ces deux infinis du cauchemar »(p. 418) [2], représentent de manière paroxystique les « deux grandes manières de crever » (p. 82) qui menacent lʼexistence du pauvre. Dʼun côté, la guerre contient la menace dʼune mort violente. De lʼautre, la maladie représente un processus tout aussi angoissant de mort lente. Dans quelle mesure le regard qui est posé sur la guerre et sur la maladie par Céline est-il solidaire avec le regard du pauvre ? quelle place fait-il au corps comme sujet de lʼexpérience ? Se démarque-t-il de ou sʼidentifie-t-il à un regard clinique, nourri du savoir médical ? Notons dʼabord que lʼexpérience de la guerre est transmise chez Céline dans la proximité dʼune conscience pour laquelle elle apparaît comme totalement absurde : « aussi loin que je cherchais dans ma mémoire, je ne leur avais rien fait aux Allemands. […] La guerre en somme cʼétait tous ce quʼon ne comprenait pas » (p. 11-12). En effet, Bardamu sʼest engagé dans la guerre dès le début des hostilités, alors quʼil était encore étudiant en médecine, et cette situation inédite lui fait lʼeffet dʼune formidable erreur. Or, malgré la perplexité quʼil ressent au début, cette expérience sʼavérera très vite riche dʼenseignements pour lui, qui fera dans les sentiers de la guerre ses premiers pas dans la vie intellectuelle : « pour que dans le cerveau dʼun couillon la pensée fasse un tour, il faut quʼil lui arrive beaucoup de choses et des biens cruelles. Celui qui mʼavait fait penser pour la première fois de ma vie, […] cʼétait sûrement le colonel Pinçon, cette gueule de torture » (p. 27). Aussi, lʼimpression de ne rien comprendre à ce qui se passe autour de soi cède vite la place à une foule de révélations sur la nature humaine et sur le monde en général : « jamais je nʼavais compris tant de chose à la fois » (p. 19).

Ces révélations multiples se ramènent vite à une seule et même leçon, qui consiste en la prise de conscience de lʼétendu de la « vacherie » humaine. En effet, la guerre apporte la spectacle saisissant de la cruauté dont sont capables les hommes, du réveil brutal de leurs instincts barbares. Rien désormais ne semble impossible dans le domaine du mal, pas même le sacrifice de « quatre-vingt mille croyants par semaine » que lʼauteur, dʼaprèscertaine relation mi-historique mi-légendaire, attribue aux Aztèques : « cʼest des choses quʼon a du mal à croire avant dʼaller à la guerre. Mais quand on y est, tout sʼexplique, et les Aztèques et leur mépris du corps dʼautrui » (p. 37). La guerre apparaît ainsi comme la reconduction dʼun ordre théocratique sanguinaire et primitif, fondé sur le sacrifice massif de victimes innocentes : « cʼest le même [mépris] que devait avoir pour mes humbles tripes notre général Céladon des Entrayes, […] devenu par lʼeffet des avancements une sorte de dieu précis, lui aussi, une sorte de petit soleil atrocement exigeant » (id.).Lʼexpérience de la guerre est ainsi vécue par Bardamu comme un mépris du corps, et ce mépris accorde au général des armées un véritable pouvoir de vie et de mort sur les soldats.

IV. « Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort » Par-delà lʼimpression dʼabsurdité, sʼexprime donc une vision tragique de la guerre quʼon a souvent rapprochée de la manière dont Freud a analysé le phénomène guerrier. En effet, dès 1915, Freud formule lʼhypothèse dʼun désir de meurtre qui serait enfoui dans notre inconscient, et qui, dʼune part, déterminerait la logique militaire conduisant à lʼescalade des conflits, et, dʼautre part, expliquerait notre facilité déconcertante à nous laisser entraîner par cette logique alors même que nous la savons moralement condamnable. Cette pulsion inconsciente nous ferait souhaiter quotidiennement la mort des autres chaque fois quʼils constituent des obstacles à nos désirs : « Dans nos désirs inconscients, nous supprimons journellement, et à toute heure du jour, tous ceux qui se trouvent sur notre chemin, qui nous ont offensés ou lésés. Notre inconscient tue même pour des détails ; […] Cʼest ainsi quʼà en juger par nos désirs et souhaits inconscients, nous ne sommes nous-mêmes quʼune bande dʼassassins. » [3]

On retrouve dans les propos de Bardamu un passage qui ressemble étrangement à cette analyse du grand clinicien viennois. Cependant, là où Freud insistait sur le côté à la fois inconscient et collectif du désir de meurtre (« dans nos désirs inconscients », dit-il), Céline transpose le conflit psychique en conflit social, qui oppose une horde de meurtriers à leur victime innocente, individuelle : « Dans la vie courante, réfléchissons que cent individus au moins dans le cours dʼune seule journée bien ordinaire désirent votre propre mort, par exemple tous ceux que vous gênez, pressés dans la queue derrière vous au métro, tous ceux encore qui passent devant votre appartement et qui nʼen ont pas, tous ceux qui voudraient que vous ayez achevé de faire pipi pour en faire autant, enfin, vos enfants et bien dʼautres. »(p. 116-117) Par-delà le côté comique de ce passage, qui provient plus dʼun rapport familier au corps que dʼune intention parodique dirigée à lʼencontre de Freud, lʼhypothèse psychanalytique du désir de meurtre alimente chez Céline une logique paranoïaque où le conflit que le psychanalyste situait entre la pulsion sadique et la loi morale, est désintériorisé par lʼécrivain puis projeté sur le monde social. Le cadre freudien dans lequel cette hypothèse avait été formulée, cadre que lʼon peut qualifier de socratique dans la mesure où il insistait sur la connaissance de soi comme condition de la paix, contraste hautement avec le cadre romanesque célinien, que lʼon peut décrire comme tragique dans la mesure où il reconduit la mythologie du meurtre sacrificiel dont se nourrit grandement la vision tragique du monde social. Sʼil y a donc filiation entre Freud et Céline, il sʼagit alors dʼune filiation conflictuelle, où le fils, dans son appropriation de lʼautorité du père, la renverse en tenant sur le même sujet que lui un discours opposé, ou du moins qui sʼen est clairement démarqué. [4]

Aussi, est-il symptomatique que lʼon ne trouve aucune revendication explicite de la psychanalyse à lʼintérieur du Voyage. Il y a bien quelques résonances freudiennes qui se font entendre ça et là par le biais dʼun vocabulaire issu du la psychanalyse, mais il sʼagittoujours dʼun vocabulaire déjà médiatisé à lʼépoque où Céline écrit, et donc, dans une certaine mesure, débarrassé de lʼempreinte freudienne. Même la tirade de Baryton dans la dernière partie du roman, qui fustige les nouvelles tendances de la psychiatrie, peut se lire comme une reprise des clichés circulant à lʼépoque sur la psychanalyse. Or Céline a lui-même affirmé à plusieurs reprises après la publication du Voyage que la psychanalyse avait compté beaucoup pour lui. Cependant, une étude de lʼensemble des documents ne permet pas de conclure à autre chose quʼà une certaine ambivalence vis-à¬vis du rôle que peut jouer ce savoir dans lʼécriture célinienne. « LʼHommage à Zola », prononcé en 1933 lors du pèlerinage annuel à Médan, pendant lʼécriture de Mort à crédit,permet néanmoins dʼéclairer quelque peu cette question. Ce texte important montre bien la conscience que Céline pouvait avoir de sa propre situation historique, situation qui lʼobligeait à réinventer lʼécriture romanesque.

V. « Hommage à Zola » Derrière la forme classique de lʼhommage rendu à un écrivain consacré, Céline pose cette question fondamentale : peut-on, de nos jours, écrire comme Zola ? La réponse quʼil donne, bien entendu, est négative, et les raisons quʼil invoque pour la justifier sont multiples. Trois arguments semblent cependant ressortir du texte. Dʼabord, il y a la multiplication des organes dʼinformation dans le monde moderne, qui aurait rendu caduque la conception quʼon se faisait de la littérature au temps de Zola : « Aujourdʼhui, le naturalisme de Zola, avec les moyens que nous possédons pour nous renseigner, devient presque impossible » [5]. Lʼécrivain serait ainsi forcé de se démarquer du journalisme dʼenquête en cherchant dʼautres terrains dʼinvestigation. Ensuite, la réalité sociale aurait profondément changée depuis la mort de lʼauteur des Rougon-Macquart : « Zola nʼavait point à envisager les mêmes problèmes sociaux dans son oeuvre ». Et enfin, lʼétat actuel des connaissances nous forceraient à réviser les conceptions psychologiques que Zola pouvait se faire à son époque : « Nous avons appris sur lʼâme, depuis quʼil est parti, de drôle de choses ». Selon Céline, la solution à cette triple aporie est à chercher dans lʼintériorité de lʼécrivain : « À nous les symboles et les rêves ! Tous les transferts que la loi nʼatteint pas, nʼatteint pas encore ». Ainsi, la littérature et la psychanalyse partageraient le même objet. Mais leur méthode cependant diffèrent radicalement. En effet, il nʼest plus question pour Céline de prendre la science comme modèle en reproduisant, dans le monde du roman, le regard clinique issu du monde médical : « Les mots dʼaujourdʼhui […] vont plus loin quʼau temps de Zola. Nous travaillons à présent par la sensibilité et non plus par lʼanalyse, en somme “du dedans” ». Lʼaccent est donc mis sur le corps comme sujet de lʼexpérience -travail par la sensibilité -plutôt que sur un quelconque objet de connaissance -rejet de lʼanalyse, et de manière concomitante du regard clinique jeté sur le monde.

Pour le dire autrement, il y a chez Céline une double conception du « délire », qui est à lʼorigine sans doute de nombreuses confusions. Dʼune part il y a ce « délire de destruction » qui est le produit dʼune fascination de lʼhomme pour la mort. Cʼest lui quʼon trouve à lʼoeuvre dans la guerre, par exemple. Dʼautre part, il y a un « délire de création » qui se fonde essentiellement dans la sensibilité de lʼartiste. Cʼest ainsi que la psychanalyse, comme approche scientifique du délire, offre un équivalent analytique du travail de lʼécrivain, mais il nʼest pas pour autant question pour lʼécrivain de jouer au psychanalyste. Car le discours du narrateur et celui des personnages délirants doivent être fondus dans un même « délire », qui est celui de lʼécrivain : « si la littérature donc a une excuse, dit Céline, cʼest de raconter nos délires. Le délire, il nʼy a que cela et notre grand maître actuellement à tous, cʼest Freud ». [6]

VI. Lʼécriture de la maladie Mais le regard médical, qui a été, comme on vient de le voir, radicalement exclus dans lʼécriture célinienne par le choix dʼune méthode qui se veut non-analytique, fait un retour in fabula par le biais du narrateur médecin quʼest Bardamu. Or, il faut préciser dʼemblée que Bardamu est un médecin raté. Non seulement est-il lui-même pauvre et malade, mais il est en outre totalement impuissant à lutter efficacement contre la maladie. Cʼest que le mal auquel il est confronté est incurable. Les patients ne veulent pas guérir, ou plutôt la pauvreté le amène se réfugier dans la maladie : « Lʼespoir de la pension les possédait corps et âme » (p. 333). Lʼenvironnement malsain de la banlieue de Rancy transforme la population en une sorte de malade collectif. Personne nʼéchappe à cette emprise délétère de la ville : « tout le monde toussait dans ma rue » (p. 224). La maladie, dans de telles conditions, nʼest pas accidentelle, elle est une fatalité. Le cadre tragique refait ainsi surface en temps de paix à travers lʼimage de la cité maudite -image, comme celle de la horde meurtrière et du bouc émissaire, quʼon retrouve une fois de plus dans le cadre des mythologies. Le médecin est ainsi placé devant lʼinsurmontable tragédie humaine, et son savoir ne lui sert à rien. Il devient, tel un christ, le dépositaire des souffrances du peuple, et sa conscience sʼalourdit peu à peu. Cʼest ainsi quʼil peut prétendre à lʼécriture, parce quʼil est allé suffisamment loin dans la nuit. Et lʼon peut dire ainsi que cʼest lʼéchec de la médecine qui marque en quelque sorte chez Céline le commencement de lʼécriture. Dʼoù sans doute la volonté quʼa eu lʼécrivain dʼêtre connu du public comme médecin, et pas nʼimporte quel médecin, le plus bas dans la hiérarchie sociale, le plus près de la misère, le médecin des pauvres.

ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE

ps:

Étudiant à la maîtrise en littératures de langue française à lʼUniversité de Montréal, David Desrosiers poursuit présentement des recherches sur la figure du témoin dans la littérature de la seconde moitié du XXe siècle, et sur la théorie du témoignage comme genre littéraire.

notes:

[1] BOURDIEU, Pierre, Les règles de lʼart, Seuil, coll. « points », p. 197-198

[2] Toutes les citations de Voyage au bout de la nuit renvoient à lʼédition « folio », chez Gallimard.

[3] FREUD, Sigmund, « Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort », dans Essais de psychanalyse, trad. Jankélévitch, Payot, Paris, 1927, p. 260.

[4] FREUD, Sigmund, « Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort », dans Essais de psychanalyse, trad. Jankélévitch, Payot, Paris, 1927, p. 260.

[5] Hommage à Zola », dans Céline et lʼactualité littéraire. 1932-1957, Gallimard, 1976, p. 78-83

[6] Interview avec Charles Chassé », dans Céline et lʼactualité littéraire. 1932-1957, Gallimard, 1976, p. 88




La Vie devant soi : splendeurs et misères du savoir médical

De nombreux éléments intertextuels permettent de considérer La Vie devant soi comme l’hypertexte des Misérables. En effet, le roman de Victor Hugo fait partie, avec le Coran, des deux livres que Monsieur Hamil connaît « par cœur » . Du reste, le vieil homme confond les deux ouvrages comme il confond également l’auteur des Misérables avec Momo, qu’il appelle « mon petit Victor » (p. 154 et 155). Dans cette assimilation, l’enfant voit un signe du destin : « c’était peut-être Dieu qui me promettait » (p. 162). Or, la prémonition est d’autant plus plausible que l’écriture constitue, avec le terrorisme et la police, un des trois domaines que Momo s’imagine pouvoir embrasser une fois qu’il sera adulte : « ce que j’aimerais, c’est d’être un mec comme Victor Hugo » (p. 128), « Un jour, j’écrirai un vrai livre moi aussi » (p. 156), « quand je serai grand j’écrirai moi aussi les misérables parce que c’est ce qu’on écrit toujours quand on a quelque chose à dire » (p. 217-218).

Narrateur homodiégétique de La Vie devant soi, Momo y réalise donc la réécriture du roman hugolien. De fait, nombreux sont les points communs qui existent entre les deux œuvres. Ainsi, les personnels romanesques comportent des catégories similaires, en particulier les femmes acculées à la prostitution, les enfants plongés dans la misère, les travailleurs soumis à l’exploitation, les vieillards promis à la détresse, toutes catégories sociales défavorisées sur lesquelles La Vie devant soi porte d’ailleurs un jugement qui n’est pas sans rappeler celui de son hypotexte : Monsieur Hamil, « qui a lu Victor Hugo », souligne Momo, « m’a expliqué en souriant que rien n’est blanc ou noir et que le blanc, c’est souvent le noir qui se cache et le noir, c’est parfois le blanc qui s’est fait avoir » (p. 84). Dans la fiction hugolienne, une place est également réservée aux médecins, en relation avec la maladie — choléra, croup, phtisie ou fièvres diverses — ou avec la mort. Pareillement, le roman de Gary fait intervenir trois médecins, « un jeune médecin » (p. 91), le « docteur Ramon » (p. 214), un pédiatre, mais surtout le « docteur Katz » (p. 29), un généraliste.

La présente étude se propose d’examiner, dans une approche épistémocritique, les différentes modalités de fonctionnement du savoir médical dans La Vie devant soi. Nous ne ferons qu’en noter la fonction référentielle — l’illusion de la réalité d’un univers marqué par le vieillissement, la maladie et la mort passant obligatoirement par l’introduction d’une composante médicale —, pour nous concentrer sur l’analyse de fonctions plus spécifiques, répondant à des stratégies qui nous apparaîtront, dans un premier temps, mélioratives et, dans un second temps, dépréciatives.

I. Les atouts du discours médical

Dans La Vie devant soi, le médecin est tout d’abord caractérisé par sa disponibilité, une disponibilité qui s’exerce à l’égard de chacun, quelles que soient sa race ou sa religion : « Le docteur Katz était bien connu de tous les Juifs et Arabes autour de la rue Bisson pour sa charité chrétienne et il soignait tout le monde du matin au soir et même plus tard. » (p. 30) Ici, le référent médical donne à Gary l’occasion d’exposer une facette positive de la société française, et ce, dans la mesure où il renvoie à une conduite dépourvue de racisme. Comme il s’oppose à de nombreux passages du roman où, au contraire, les comportements racistes abondent, y compris dans le milieu pourtant fondamental de l’enseignement — « Pendant longtemps, je n’ai pas su que j’étais arabe parce que personne ne m’insultait. On me l’a seulement appris à l’école. » (p. 12) —, l’univers médical remplit donc une fonction que l’on pourrait qualifier d’équilibrante, d’objectivante, en ce sens que son introduction dans le récit permet à celui-ci d’échapper aux outrances d’un point de vue entièrement critique, aux excès d’une visée strictement dénonciatrice. Ce faisant, il incite le lecteur à nourrir davantage de crédibilité vis-à-vis de l’auteur, dont l’ethos et, partant, la capacité de persuasion se trouvent renforcés.

Certes, parfois, il arrive que, sous le coup de l’exaspération, le docteur Katz se laisse aller à des paroles blessantes, qu’il regrette aussitôt. Ainsi, lorsqu’il surprend les frères de Monsieur Waloumba en train de secouer violemment Madame Rosa couchée sur une couverture, il s’emporte : « Il m’a engueulé quelque chose de terrible et nous a tous traités de sauvages ce qui a foutu en rogne Monsieur Waloumba qui lui a fait remarquer que c’étaient des propos. Le docteur Katz s’est excusé en disant qu’il n’était pas péjoratif […]. » (p. 250) Mais il reste que, d’ordinaire, le discours du médecin est celui d’un individu cultivé, capable de raisonner, qui met ses connaissances d’« honnête homme » et ses capacités de réflexion au service de son patient, notamment pour éloigner celui-ci des préjugés et des jugements trop hâtifs. Ainsi, lorsque Momo jette « dans une bouche d’égout » (p. 26) le produit de la vente de son chien, Madame Rosa, décontenancée, le conduit chez le docteur Katz : elle « voulait me faire faire une prise de sang et chercher si je n’étais pas syphilitique comme arabe » (p. 29). Le docteur Katz réagit violemment contre cette assertion raciste, pourtant véhiculée dans le milieu médical même, puisque « les infirmiers disent que tous les Arabes sont syphilitiques » (p. 189). Il « s’est foutu tellement en colère que sa barbe tremblait […]. Il a engueulé Madame Rosa quelque chose de maison et lui a crié que c’était des rumeurs d’Orléans . » (p. 29) De même, quand Momo est « pris de violence » (p. 56) face à un garde du corps de Monsieur N’Da Amédée qui lui parle de la bicyclette qu’il va offrir à son fils, quand il donne l’impression de faire « rôder des bêtes sauvages en liberté dans l’appartement » (p. 71), Madame Rosa affirme au docteur Katz qu’il présente « tous les signes héréditaires » (p. 56, voir p. 72). Dans les deux cas, le médecin s’insurge et oppose ses connaissances scientifiques aux folles croyances de Madame Rosa : « Taisez-vous, Madame Rosa. Vous êtes complètement inculte. Vous ne comprenez rien à ces choses et vous vous imaginez Dieu sait quoi. Ce sont des superstitions d’un autre âge. » (p. 72) Finalement, c’est à elle qu’il prescrit des « tranquillisants » (p. 31-2, 57 et 73). Ramon, le mari pédiatre de Nadine, contribue pareillement à détruire les craintes de Momo d’être « héréditaire » (p. 215) : « il m’a dit qu’il croyait pas beaucoup à l’héritage et que je devais pas y compter. » (p. 215) Appuyées sur l’expérience, ses paroles sont encourageantes : « Il m’a dit qu’il y avait beaucoup d’accidents de naissance qui ont très bien tourné plus tard et qui ont donné des mecs valables. » Il trouve même des avantages à la situation de Momo : « les enfants de putes, c’est plutôt mieux qu’autre chose parce qu’on peut se choisir un père qu’on veut » (p. 215). Cette fois, le savoir médical remplit, vis-à-vis du lecteur du roman, une autre fonction, didactique. Il s’agit en effet, en plaçant certains arguments dans la bouche de personnages dont les connaissances sont connotées positivement, d’aller à l’encontre de préjugés communément admis et d’augmenter d’autant l’ouverture des esprits.

Cette même fonction didactique intervient au sein de la sphère médicale proprement dite. C’est le cas lorsque le docteur Katz met l’accent sur l’importance des troubles qui trouvent leurs causes à l’extérieur du champ physiologique. Par exemple, l’essoufflement dont souffre Madame Rosa lorsqu’elle monte les escaliers gagne Momo lui-même : « j’avais de l’asthme pour elle, moi aussi, et le docteur Katz disait qu’il n’y a rien de plus contagieux que la psychologie » (p. 75). Au travers de cette remarque qui peut sembler anodine, le lecteur est en réalité informé du processus qui régit la naissance et le développement des désordres psychosomatiques, que la médecine ne « connaît pas encore » (p. 75) et qu’elle peine donc à traiter efficacement : « croyez-en un vieux médecin, les choses les plus difficiles à guérir, ce ne sont pas les maladies » (p. 71). Cette dimension psychologique n’est d’ailleurs pas sans effet sur la perception de l’efficacité que Momo ressent de la pratique médicale. « J’allais souvent m’asseoir », confie Momo, « dans la salle d’attente du docteur Katz, puisque Madame Rosa répétait que c’était un homme qui faisait du bien, mais j’ai rien senti. […] Il y a pas de miracle. » (p. 64) De fait, les bénéfices tirés d’une visite chez le médecin tiennent moins à une amélioration physique provenant d’une médication quelconque qu’à un ressenti qui est de l’ordre des affects : « quand la porte du cabinet s’ouvrait et le docteur Katz entrait, tout de blanc vêtu, et venait me caresser les cheveux, je me sentais mieux et c’est pour ça qu’il y a la médecine » (p. 65). Même si, parfois, Momo interprète mal les propos du docteur Katz — par exemple lorsque celui-ci assure à Madame Rosa « qu’il ne se passera rien » (p. 31) ou qu’il annonce à Momo qu’il a « toute la vie devant » lui (p. 133) —, l’enfant acquiert, à la suite de ses visites chez le médecin, un grand réconfort. En effet, laissé la plupart du temps à lui-même, Momo apprécie d’être, chez le docteur Katz, un sujet d’intérêt : « c’était le seul endroit où j’entendais parler de moi et où on m’examinait comme si c’était quelque chose d’important » (p. 30-1). Par ailleurs, quelles que soient les circonstances, la rencontre n’entraîne jamais ni reproches ni récriminations : « il me souriait toujours très gentiment et n’était pas fâché » (p. 31). La relation est à ce point harmonieuse que Momo voit même dans le vieux médecin un père idéal : « Je pensais souvent en le regardant que si j’avais un père, ce serait le docteur Katz que j’aurais choisi. » (p. 31)

L’atmosphère est sensiblement la même lorsque Momo rencontre Ramon, le « mec de Madame Nadine […] [qui] était un peu médecin » (215). Lui aussi accepte d’emblée un contact égalitaire, d’homme à homme, avec Momo, même si celui-ci est ce jour-là « en état de choc » (p. 213) : il « m’a serré la main et n’a rien dit, comme si c’était naturel » (p. 213). Mieux, il multiplie les attentions à l’égard de l’enfant : « le mec m’a même offert une cigarette et du feu avec son briquet » (p. 214). Mais, surtout, Momo est « écout[é] comme [s’il avait] de l’importance » (p. 214) : « je voyais bien que c’était moi qui l’intéressais » (p. 216). La satisfaction de Momo redouble quand Ramon met en marche un magnétophone pour enregistrer ses paroles : « je me suis senti encore plus important […]. C’était la première fois que j’étais digne d’intérêt et qu’on me mettait même sur magnétophone. » (p. 218) À partir du moment où Ramon manifeste de l’intérêt vis-à-vis de lui, il n’est plus à ses yeux un mec : il devient « le docteur Ramon » (p. 217, 218 et 219). Le respect du médecin à l’égard de Momo génère en retour le respect de Momo à l’égard du médecin. Ici, la présence, au sein de la diégèse, du référent médical remplit une nouvelle fonction, cette fois à l’adresse des médecins eux-mêmes, et qui pourrait être qualifiée de paradigmatique dans la mesure où ceux-ci se voient offrir un modèle de comportement, une attitude idéale, bien souvent éloignés de la façon ordinaire dont beaucoup de médecins traitent leurs patients. En effet, encore aujourd’hui, en France en particulier, la médecine est accusée d’être trop peu humaine, de faire trop peu de cas des émotions et des opinions des malades . Le docteur Ramon, lui, fait preuve d’une grande capacité d’écoute, ce qui permet à Momo d’exprimer toute une part de refoulé : « ça me faisait brusquement du bien » (p. 214) de lui parler. Dans une société où « il y a une telle quantité de manque d’attention » (p. 219), le médecin de La Vie devant soi apparaît ainsi, pour chacun des membres de cette société, mais au premier chef pour ses confrères, comme un exemple à suivre. Ce n’est donc sans doute pas un hasard si, au couple des adjuvants de Momo que sont Madame Rosa et le docteur Katz succède un nouveau couple où, une fois de plus, l’élément masculin est constitué d’un représentant du corps médical. Du reste, tout porte à croire que le mari de Nadine représente d’une certaine façon le suppléant du docteur Katz puisque qu’à la fin du roman, c’est celui-ci qui cède sa place à celui-là au chevet de Madame Rosa : le docteur Ramon projette d’aller « jeter un œil à Madame Rosa pour voir s’il y avait quelque chose qu’il pouvait faire » (p. 221).

II. Les errements de la pratique médicale

L’intention ainsi formulée par le docteur Ramon est accueillie par Momo avec scepticisme : « je ne voyais pas ce qu’on pouvait encore faire pour Madame Rosa après tout ce qu’on lui avait déjà fait » (p. 221). Cette réflexion est caractéristique de la piètre considération que Momo et, par l’intermédiaire de ce personnage, Gary lui-même nourrissent à l’égard de la pratique médicale.

Ce dénigrement se manifeste tout d’abord par le fait que les techniques médicales sont rarement présentées de façon explicite et, quand elles le sont, elles sont la plupart du temps mal comprises de Momo qui, en en déformant le processus opératoire, contribue à en réduire la portée et, du même coup, à jeter sur elles le discrédit. Ainsi en est-il de l’électrochoc. Le mot n’est pas cité, mais seulement évoqué au travers de l’expression « traitement de choc » (p. 174) : « le docteur Katz disait que beaucoup de personnes sont améliorées par ce traitement à l’hôpital où on leur allume brusquement l’électricité dans ce but » (p. 174). Momo réduit l’électrochoc à un choc et, partant, à l’émotion que celui-ci provoque, à savoir la « peur » (p. 174), en même temps qu’à une fonction de l’électricité, l’éclairage. Ainsi définie, la thérapeutique est prise en charge par Monsieur Waloumba dans le but de tirer Madame Rosa de sa torpeur : « il montait tout de suite avec sa torche allumée et se mettait à cracher le feu » (p. 174) devant elle. Le procédé s’avère du reste efficace puisque, au bout d’une demi-heure, « Madame Rosa est brusquement sortie de son état » (p. 175). Le procédé est identique dans l’épisode où l’acte médical qui est cette fois prescrit par le docteur Katz consiste en des exercices qu’il faut « faire à Madame Rosa pour la remuer et pour que son sang se précipite dans tous les endroits où on a besoin de lui » (p. 249). Une fois de plus, la prescription est mal interprétée : « On a vite couché Madame Rosa sur une couverture et les frères de Monsieur Waloumba l’ont soulevée avec leur force proverbiale et ils se sont mis à l’agiter » (p. 249). Comme « ce n’était pas du tout ce qu’il avait voulu dire » (p. 249), le docteur Katz se fâche, soulignant qu’il n’avait pas demandé « de jeter Madame Rosa en l’air comme une crêpe pour la remuer mais de la faire marcher ici et là à petits pas avec mille précautions » (p. 250). Une fois de plus, le savoir médical officiel, qui n’a pas été compris, laisse la place à un pseudo-savoir, celui de « la médecine au noir » (p. 176), exercée bénévolement par Monsieur Waloumba et ses « frères de tribu » (p. 176). Tous les six frappent sur leurs instruments de musique, chantent et dansent autour de Madame Rosa pour en « chasser les mauvais esprits » (p. 175) et, bien que ces pratiques réussissent plus sur les Africains que sur les Juifs, elles finissent par sembler donner satisfaction : « On a mis les démons en fuite et Madame Rosa a repris son intelligence […]. » (p. 180) Dans les deux cas, la présence du référent médical et le recyclage burlesque qu’en font les immigrés africains remplissent, vis-à-vis du lecteur, une fonction démystificatrice : alors qu’ordinairement, les gens sont portés à croire en la toute-puissance de la science médicale et à prêter à son représentant une confiance aveugle, le lecteur de La Vie devant soi apprend au contraire à s’en méfier.

À vrai dire, si l’on a recours aux pratiques des sorciers africains, c’est à cause de l’impuissance dont fait preuve la médecine, représentée ici par le docteur Katz, dont les connaissances comme les « instruments » (p. 249) qu’il transporte dans sa « petite valise » (p 249) se révèlent inutiles face à la dégénérescence, physique et mentale, dont souffre Madame Rosa. En effet, la compétence médicale du docteur Katz se réduit dans la réalité à « examiner Madame Rosa » (p. 131) et à formuler des diagnostics, à « constater les dégâts » (p. 204). Ainsi, lorsque sa patiente déclare qu’il est « un grand médecin et [a] fait du bon boulot » (p. 131), ces éloges tiennent seulement au fait qu’il lui a annoncé qu’elle n’avait « pas le cancer » (p. 131) Même quand le docteur Katz annonce que « les nouvelles sont bonnes » (p. 205), Madame Rosa n’est pas dupe : elle sait que le médecin « men[t] comme un arracheur de dents » (p. 205) et que, s’il lui cache de quoi elle est atteinte, il a dû en informer Momo. C’est donc à celui-ci qu’elle conjure de lui « dire la vérité. […] Comment ça se fait que je suis là sans savoir d’où et pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai, Momo ? » (p. 167) Et de fait, devant Momo, le docteur Katz a dressé la liste des maladies, très nombreuses, dont Madame Rosa est atteinte : « Je ne comprenais pas les noms que Monsieur Katz [on notera la disparition de l’appellatif docteur] m’énumérait avec satisfaction » (p. 132). Le médecin prend plaisir à étaler sa science, détaillant les phénomènes physiologiques responsables : « Il m’a expliqué que Madame Rosa s’était rétrécie dans ses artères, ses canalisations se fermaient et ça ne circulait plus là où il fallait. […] Le sang et l’oxygène n’alimentent plus convenablement son cerveau. » (p. 132-3) De même, il est capable de prévoir l’évolution de la malade : « Elle ne pourra plus penser et va vivre comme un légume. » Le roman se fait de nouveau révélateur : il dévoile la nature et les limites du savoir médical, lequel s’avère tout théorique, incapable de se traduire dans la réalité au moyen de traitements susceptibles, non seulement d’apporter si ce n’est la guérison, du moins un mieux-être, mais d’enrayer le cours de la maladie qui, lié au vieillissement, rencontre l’impuissance des médecins .

Cette impuissance face aux ravages de la vieillesse est l’occasion pour Momo de faire une critique de la médecine, critique implicite certes, mais forte. En effet, nombreux sont les personnages de La Vie devant soi qui, âgés, n’ont plus la vie devant eux et « sont attaqués par la nature, qui peut être une belle salope et qui les fait crever à petit feu » (p. 158-9). Les ravages du vieillissement aboutissent à une véritable misère biologique, dont le roman énumère de façon détaillée les multiples composantes et qui se manifeste chez le vieillard par une perte d’autonomie et, partant, par une déperdition de dignité. Ainsi, à « soixante-huit » (p. 182) ans, Madame Rosa, dont tous les « morceaux étaient mauvais, le cœur, le foie, le rein, le bronche » (p. 230), est atteinte par « la sénilité débile accélérée » (p. 171) et plongée de plus en plus dans un état d’hébétude qui, dans le langage de Momo, devient un « état d’habitude » (p. 145) : « il fallait torcher Madame Rosa qui ne pouvait plus se défendre toute seule » (p. 172), ce qui « la gên[ait] beaucoup […], à cause de sa féminité » (p. 172). Âgé de « quatre-vingt-cinq » (p. 138) ans, Monsieur Hamil « devient de plus en plus con » (p. 110) ; il ne voit « plus du tout » (p. 266) et est « triste […] d’être conduit pour pisser » (p. 159). Le docteur Katz n’est pas davantage épargné : comme il ne peut « plus se permettre les escaliers qui se portent au cœur » (p. 131), c’est sur le « dos » (p. 203) d’un des frères Zaoum qu’il arrive au sixième étage. Comment la science médicale ne pourrait pas apparaître ridiculisée quand son représentant est tenu, pour se déplacer, d’utiliser ce qui, d’ordinaire, sert à transporter les tout jeunes enfants ou les sacs de farine ?

En raison de la fonction informative impartie au roman, le lecteur de La Vie devant soi apprend donc que le savoir médical est incapable de réparer, voire de simplement contenir les dégâts provoqués par le vieillissement et les humiliations qui en sont la conséquence. Or, le texte acquiert une dimension accusatrice lorsqu’il met l’accent sur une réalité paradoxale : dans le même temps que la médecine apparaît sans ressources vis-à-vis des personnes âgées, les progrès de la pharmacie — fille et alliée de la médecine — et, en particulier, la modernisation, au cours des années soixante, des techniques médicales à l’intérieur des hôpitaux , permettent de prolonger la vie. Le docteur Katz a prévenu : « Ça peut encore durer longtemps » (p. 133) Certes, Madame Rosa peut connaître de temps en temps ce que Momo appelle des « rémissions de peine « (p. 182, voir p. 203), mais sa situation est sans espoir : « Le docteur Katz m’a dit qu’on ne pouvait plus rien pour elle mais qu’avec des bons soins à l’hôpital elle pouvait en avoir encore pour des années. » (p. 170) Il a même appuyé ses dires par l’exemple d’un « Américain qui est resté dix-sept ans sans rien savoir comme un légume à l’hôpital où on le prolongeait en vie par des moyens médicaux » (p. 170), « des installations spéciales qui font du goutte-à-goutte » (p. 209). Madame Rosa sait elle-même que l’acharnement thérapeutique dont font preuve les médecins lorsqu’ils n’acceptent pas de reconnaître le caractère inéluctable et imminent de la mort de leurs malades et multiplient à leur égard des actes et des moyens thérapeutiques aussi disproportionnés qu’inutiles n’est pas étranger à leur souhait d’approfondir leurs connaissances des maladies et de tester de nouveaux traitements : « J’avais un ami […] qui n’avait ni bras ni jambes, à cause d’un accident, et qu’ils ont fait souffrir encore dix ans à l’hôpital pour étudier sa circulation. » (p. 182-3) Madame Rosa assimile l’acharnement thérapeutique dont elle se sent menacée à ce qu’elle a vécu pendant la Seconde Guerre mondiale : de même qu’à l’époque, elle a été « dénoncée à la police française comme Juive » (p. 69), puis « emmenée dans un Vélodrome et de là dans les foyers juifs en Allemagne » (p. 54), aujourd’hui, dit-elle, « [l]e docteur Katz va me dénoncer à l’hôpital et ils vont venir me chercher » (p. 227). Le rapprochement avec les nazis est encore plus manifeste lorsqu’elle explique à Momo des comportements qu’il est « trop jeune » (p. 227) pour connaître : « Ils vont me faire vivre de force, à l’hôpital, Momo. Ils ont des lois pour ça. C’est des vraies lois de Nuremberg » (p. 227), qui permettent aux médecins, qu’elle compare à « la Gestapo » (p. 245), de « torturer » (p. 182) leurs victimes. Madame Rosa est consciente de la gravité de son état : « Je sais que je perds la tête et je ne veux pas vivre des années dans le coma pour faire honneur à la médecine. » (p. 183) Aussi refuse-t-elle de servir de cobaye aux médecins : « J’ai donné mon cul aux clients pendant trente-cinq ans, je vais pas maintenant le donner aux médecins. » (p. 183) Là, le roman devient pamphlet et l’écrivain se fait polémiste. Gary n’hésite pas à déconsidérer le corps médical en rappelant, par le biais des obsessions de Madame Rosa, le comportement des instances représentatives des médecins sous l’Occupation : l’Ordre des médecins, formé du Conseil supérieur de la médecine et de ses Conseils départementaux, tous constitués de praticiens désignés de 1940 à 1942 par Vichy, puis le Conseil national de l’Ordre des médecins, composé à compter de 1943 de membres élus, ont appliqué jusqu’à la Libération, sans protester, les mesures d’exclusion des médecins de confession juive .

Alors qu’elle est condamnée par la médecine à survivre dans la douleur, ce que Madame Rosa veut, c’est qu’on abrège ses souffrances. S’adressant à Momo, elle lui dit : « demand[e] à tes copains de me faire la bonne piqûre » (p. 183). L’euthanasie est effectivement une question qui préoccupe la société française et qui la divise, comme celle-ci a été préoccupée et divisée quelque temps auparavant par la question de l’avortement. Rien d’étonnant, compte tenu de ce contexte socioculturel, que, dans le langage de Momo, avortement se substitue à euthanasie. Or, comme l’avortement a été dépénalisé en France, avec l’introduction de l’IVG (interruption volontaire de grossesse), en 1975, soit l’année même de la parution de La Vie devant soi, Momo ne saisit pas pourquoi l’euthanasie, elle, continue d’être interdite : « Je comprendrai jamais pourquoi l’avortement, c’est seulement autorisé pour les jeunes et pas pour les vieux. » (p. 260) De fait, nombreux sont ceux qui contestent à un être humain le droit de déterminer le moment où la qualité de la vie s’est tant dégradée qu’il devient acceptable et licite de mettre un terme à son agonie et sa souffrance. Dans le débat sur l’euthanasie et dans la réalité qui est faite de celle-ci, les médecins occupent une place essentielle, non seulement parce qu’ils sont en position d’intervenir sur le moment de la mort, mais parce que, depuis 1967, la signature du certificat de décès incombant non plus aux officiers d’état civil, mais aux médecins, ceux-ci sont à même de contrôler la mort de chaque individu. Momo le confirme : « Tout le monde savait dans le quartier qu’il n’était pas possible de se faire avorter à l’hôpital même quand on était à la torture et qu’ils étaient capables de vous faire vivre de force, tant que vous étiez encore de la barbaque et qu’on pouvait planter une aiguille dedans. » (p. 206) Madame Rosa en est également parfaitement consciente : « Ils vont pas me faire avorter à l’hôpital. » (p. 228) Pourtant, Momo va tenter d’obtenir du docteur Katz, au nom d’une solidarité communautariste, qu’il évite à Madame Rosa de se voir infliger des souffrances inutiles : « Dites, est-ce que vous ne pourriez pas l’avorter, docteur, entre Juifs ? » (p. 233), et ce, « pour l’empêcher de souffrir » (p. 234). Décontenancé, le docteur Katz rétablit rapidement l’exactitude lexicale en introduisant le terme « euthanasie » (p. 234). Il justifie d’abord son refus de hâter la mort en associant ce comportement à un état dégradé de la société, qui ne respecterait pas la vie : « Nous sommes dans un pays civilisé, ici. » (p. 234) Ensuite, il semble obéir implicitement à la peur des sanctions pénales — réclusion criminelle à perpétuité — et disciplinaires — radiation de l’Ordre national des médecins — qui pourraient être prononcées à son encontre : « L’euthanasie est sévèrement interdite par la loi. » (p. 234), elle « est sévèrement punie » (p. 237). Toutes ces raisons font que le docteur Katz ne peut accepter le dernier argument de Momo en faveur de l’euthanasie, argument qui consiste à tirer d’une liberté collective une liberté individuelle : « le droit sacré des peuples à disposer d’eux-mêmes » — qui, à la base de la décolonisation, reste encore très prégnant au début des années soixante-dix et que le docteur Katz ne conteste pas — doit impliquer pour Madame Rosa « le droit sacré des peuples à disposer d’elle-même » (p. 234), ce qui entraîne la conséquence que, « si elle veut se faire avorter, c’est son droit » (p. 234). Le refus réitéré du docteur Katz conduit Momo à le ranger finalement parmi les « salauds » (p. 244), les « sales cons de médecins [que Momo condamne] pour refus d’assistance » (p. 236) : si vous aviez, lui lance Momo, « un vrai cœur à la place de l’organe vous feriez une bonne action et vous avorteriez Madame Rosa tout de suite pour la sauver de la vie qui lui a été foutue au cul par un père qu’on connaît même pas » (p. 236). S’il agissait ainsi, le docteur Katz permettrait au médecin de faire preuve, vis-à-vis de ses semblables, de la compassion que les vétérinaires, eux, manifestent à l’égard des animaux : « Si Madame Rosa était une chienne, on l’aurait déjà épargnée mais on est toujours plus gentil avec les chiens qu’avec les personnes humaines qu’il n’est pas permis de faire mourir sans souffrance. » (p. 113-4) Ici, le référent médical assure une fonction polémique en ce sens que sa présence permet à Gary d’engager son roman dans un débat qui secoue la société française de l’époque et continue d’ailleurs de l’agiter plus de trente ans après la parution de La Vie devant soi.

III. L’orientation autobiographique

Ainsi, le savoir médical remplit dans La Vie devant soi de multiples fonctions. Si nous rapprochons ce roman d’autres textes de Romain Gary, il est possible de lui attribuer une nouvelle fonction, que nous pourrions qualifier d’autobiographique, en ce sens qu’il établit une relation entre la fiction et les préoccupations de son auteur. De fait, nombreuses sont les œuvres garyennes où le savoir médical est convoqué parallèlement au vieillissement. Ainsi, dès 1960, dans La Promesse de l’aube, un roman largement autobiographique, le narrateur fait plusieurs fois mention de la dégradation de l’état de santé de Nina, sa mère vieillissante, et de la réaction du corps médical : « Le médecin m’avait dit qu’elle pouvait encore tenir pendant des années. » Lui-même relève les méfaits exercés par l’écoulement du temps : « Je vais souvent dans les endroits fréquentés par la jeunesse pour essayer de retrouver ce que j’ai perdu. » Pareillement, alors qu’en 1974, quand Gros-Câlin est soumis à Gallimard, Émile Ajar est présenté comme un médecin exilé au Brésil après un avortement meurtrier, L’Angoisse du roi Salomon, publié en 1979, dénonce le temps, qui « est une belle ordure, […] vous dépiaute alors que vous êtes encore vivant » . À 84 ans, Monsieur Salomon se révolte : « je n’ai pas échappé aux nazis pendant quatre ans, à la Gestapo, à la déportation, aux rafles pour le Vél’ d’Hiv’, aux chambres à gaz et à l’extermination pour me laisser faire par une quelconque mort dite naturelle de troisième ordre, sous de miteux prétextes physiologiques » . Dans Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable, écrit et paru en 1975, soit la même année que La Vie devant soi, Jacques Rainier a 59 ans, c’est-à-dire approximativement l’âge de Gary. Confronté au vieillissement et, par suite, à l’impuissance, il envisage de se tirer une balle dans la tête : « Je voudrais mourir bien avant de mourir mal » . Or, en 1974, dans La nuit sera calme, Gary évoque à maintes reprises son « déclin sexuel » . Comme en écho, dans la biographie qu’elle consacre à Gary, Myriam Anissimov note que « la perspective de l’impuissance le tourmentait » et reproduit le passage d’une entrevue que l’auteur a accordée en 1978 à Caroline Monney et où il parle ainsi de la vieillesse : « Catastrophe. Mais ça ne m’arrivera pas. Jamais. J’imagine que ce doit être une chose atroce, mais comme moi, je suis incapable de vieillir, j’ai fait un pacte avec ce monsieur là-haut, vous connaissez ? J’ai fait un pacte avec lui aux termes duquel je ne vieillirai jamais. » Si, en 1980, Gary s’applique cette auto-euthanasie active qu’est le suicide, c’est certainement en partie pour échapper à la catastrophe du vieillissement. Huit ans auparavant, à l’instar d’Hemingway, un autre écrivain français, Henri de Montherlant, s’était lui aussi tiré une balle dans la tête, pour échapper à la cécité : « Je suis presque aveugle. Quand j’aurai la certitude que ce voile noir ne se dissipera pas, je ferai comme notre ami Atticus. »

ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. III – Automne 2008

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Christian Milat est professeur de littérature française à l’Université d’Ottawa




Littérature, arts visuels et neuroesthétique

I . Neuroesthétique, neurophysiologie, neuropsychologie

Dans l’introduction à un article de synthèse sur les études récentes dans le domaine de la neuropsychologie de la production en arts visuels, Anjan Chatterjee, du Département de neurologie et du Centre de neuroscience cognitive de l’Hôpital de l’Université de Pennsylvanie, fait une nette distinction entre les deux domaines qu’il pratique, la neuroesthétique et la neurologie des arts tout en soulignant que la neurobiologie des arts, de la littérature et de la musique a longtemps été disséminée dans des articles de revue spécialisée [1], ce qui a nui à une vision globale de ses progrès :

Cet article n’a pas pour fin de décrire une théorie de l’art fondée sur le cerveau. J’ai montré ailleurs (Chatterjee, 2002, 2004) comment la neuroscience cognitive pourrait faire avancer une esthétique empirique. Ici, les buts sont modestes. J’espère regrouper une littérature, en grande partie dispersée dans des livres et dissimulée aux serveurs de recherche [2].

La recherche en neuropsychologie est maintenant mieux connue. Depuis un certain temps, à vrai dire, le mouvement du « Migraine-Art [3] », les livres d’Oliver Sacks et de Marion Roach [4] en avaient élargi l’audience comme le font actuellement les campagnes publiques sur la maladie d’Alzheimer qui intègrent des expositions d’artistes atteints par cette maladie. Toutefois, l’actualité de cette recherche a été marquée par la publication de deux livres qui contribuent à faire le point de la discipline. Il s’agit de Neurology of the Arts, Painting, Music, Literature [5] , dirigé par F. Clifford Rose en 2004 et Neurological Disorders in famous Artists. J. Bogousslavsky et F. Boller (éd), Neurological Disorders in famous Artists, « Frontiers of Neurology and Neuroscience », vol.19, Bâle, Karger, 2005.]] , dirigé par Julien Bogousslavsky et François Boller en 2005. Encore faut-il s’entendre sur les termes : neuropsychologie, neurophysiologie, et neuroesthétique. Ce que Rose appelle neurologie des arts inclut la neurophysiologie et la neuropsychologie appliquées au domaine artistique : arts visuels, musique littérature. La neurophysiologie du cerveau a fait grâce aux nouvelles techniques d’imagerie médicale, particulièrement l’image à résonnance magnétique fonctionnelle, des découvertes essentielles au sujet de la localisation des différentes activités cognitives. Dans un article intitulé « The Cerebral Localisation of Musical Perception and Musical Memory », les auteurs écrivent ainsi : Grâce à l’arrivée de l’imagerie fonctionnelle il y a vingt-cinq ans et des progrès continus depuis, il est maintenant possible de dresser la carte directement de l’activité du cerveau durant des tâches de perception et d’activité chez des sujets normaux. Fondée sur ces découvertes, la dernière décennie a observé des bouleversements majeurs dans la compréhension du cerveau musical [6] .

Les nouvelles techniques d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle appliquée au cerveau ont permis des avancées essentielles pour la compréhension des processus sensori-moteurs. Dans Inner vision : an exploration of Art and the Brain [7] , Zemir Zeki, l’un des neurophysiologues les plus impliqués dans la recherche des processus neuronaux mis en œuvre dans la vision, étudiait les différentes ères du cerveau spécialisées chacune dans le traitement d’une des composantes de l’image, comme le mouvement, la forme, la couleur. Zemir Zeki, connaisseur incontesté de l’art moderne occidental, a créé la notion de neuroesthétique qui désignait à l’origine les études des relations entre les fonctions visuelles, la perception de l’art et l’exploration par les artistes du système visuel. Puis, la notion de neuroesthétique a été transformée en concept majeur des relations entre neuroscience et production artistique :

Les avances spectaculaires dans notre connaissance du cerveau visuel nous permet de commencer à essayer de formuler les lois neuronales de l’art et de l’esthétique, -bref-, d’étudier la neuro-esthétique [8].

. La notion de neuroesthétique est née à partir du domaine de la neurophysiologie et ce sont des neurophysiologues comme Zéki et le professeur Changeux en France qui vont avancer l’existence de bases neuronales à l’idée de beauté. Dans l’introduction d’un article emblématiquement intitulé, Neural Correlates of Beauty, Zéki écrivait :

Ce travail est un essai pour aborder la question kantienne de manière expérimentale en se renseignant s’il existe des conditions neuronales spécifiques impliquées dans le phénomène de beauté et si elles sont activées par une ou plusieurs structures du cerveau. [9]]

La neuroesthétique s’inscrit donc dans un des grands courants des neurosciences cherchant à découvrir des bases neuronales aux notions a priori abstraites ou relevant traditionnellement d’explications socio-psychologiques comme la justice. L’art étant une activité humaine dépend des lois du cerveau, au même titre que d’autres activités comme la morale, la religion, mais aussi les sciences. Dans L’homme neuronal Jean-Pierre Changeux soutient la thèse de l’identification des événements mentaux à des événements physiques, ce qui relève, écrivait-il du « matérialisme instruit » que Gaston Bachelard appelait de ses vœux. « Le projet même de l’ouvrage que concrétise son titre », soulignait-il, est de jeter une passerelle sur le fossé qui sépare les sciences de l’homme des sciences du système nerveux. [10] ». Ce programme récuse les autres approches qui refuseraient la réduction du psychologique au neurologique. Ainsi le livre rejette notamment l’approche du philosophe cognitiviste Fodor. Et dans une conférence faite à l’occasion de l’exposition L’âme au corps à laquelle il a participé, il rejette ce qu’il appelle les « parasciences », comme « Mesmerisme, spiritisme, psychanalyse [11] », qui relèvent de l’histoire des mentalités. Dans ses conférences « Le vrai, le beau, le bien : réflexions d’un neurobiologiste [12] » de 2003, il décrit ce qu’il nomme une approche neurocognitive fondée sur la biologie du système nerveux. La neuroesthétique est donc à l’origine une notion neurophysiologique, une extension de la neurophysiologie au domaine artistique, mais qui nettement récuse les autres approches. Or, le terme de neuroesthétique a semblé désigner rapidement l’ensemble des relations entre les neurosciences et le champ artistique, l’ensemble des approches cognitives de l’art, alors même que certaines disciplines comme la philosophie cognitive de l’art ou la psychologie cognitive de l’art sont restées critiques envers les présupposés jugés trop exclusifs de la neuroesthétique. Il existe donc deux sens à l’expression, un sens général, flou qui englobe toutes les approches cognitives, ce à leur corps défendant et un sens originel précis mais qui reste encore à un état programmatique et problématique, celui de l’énoncé des lois neuronales de l’art. Quand Anjan Chatterjee fait allusion à la neuroesthétique dans l’article cité en introduction, les titres emblématiques de ses travaux reflètent la dimension encore prospective du domaine, ainsi celui de 2002, « Universal and relative aesthetics : A framework from cognitive neuroscience », et le second en 2004 : « Prospects of a cognitive neuroscience of visual aesthetics [13] ».

C’est Vilayanur Ramachadran [14] qui a présenté l’essai le plus élaboré de neuroesthétique en dressant une liste d’universaux de l’art, sous la forme d’une table de dix lois. Un séminaire tenu à Paris à l’Institut Jean Nicod, en 2005, les « Rencontres Art et Cognition : Art et Neuroscience [15] », étudiant ses questions, a critiqué les théories de l’art avancées par Zeki et Ramachandran. Dans un article critique « Art and Neuroscience », John Hyman reprochait en plus à Ramachandran d’avoir une connaissance trop limitée de l’art, qui en effet, réduisait le champ artistique à la représentation sculpturale des déesses hindoues. John Hyman rappelle que l’idée de Zeki selon laquelle les artistes seraient eux-mêmes des neurologues, étudiant le cerveau avec des techniques qui leur sont proches, est une reprise modernisée de la théorie de Helmholtz en 1871 pour lequel déjà les artistes étaient des explorateurs du système visuel. Dans la réécriture neuronale de cette l’idée, Zeki illustrait en effet chaque ère spécialisée du cortex par un peintre. Ainsi le fauvisme a exploré l’ère nommé V4, spécialisée dans le traitement des couleurs, alors que l’art cinétique correspond à la spécialisation de V5, la partie qui traite du mouvement. Dans sa conférence sur le Beau, Jean-Pierre Changeux reprend l’idée de Zéki, donnant l’exemple de Matisse comme artiste neurophysiologue.

Les approches cognitivistes de l’art ont connu de leur côté un développement considérable. L’on peut citer les travaux de Pierre Livet sur les émotions esthétiques, ceux de Louis Bec à Aix, les travaux de Mario Barillo qui a dirigé l’ouvrage Approches cognitives de la Création Artistique et organise une manifestation de référence à Toulouse, Art/ sciences de la cognition au Musée d’Art Moderne et contemporain des Abattoirs, qui en est à sa troisième édition. Dans Art/cognition, Louis Bec écrivait :

Les pratiques artistiques ne peuvent espérer se soustraire aux différentes formes d’attraction des sciences de la cognition, surtout si l’on considère l’art comme moyen de connaissance, dans la construction des représentations ou de l’interprétation du donné. Surtout si on le considère comme capable d’informer la matière et tout type de supports, si l’on considère l’entreprise artistique comme la construction d’un projet s’édifiant autour du comment et du pourquoi de la conception, du comment et du pourquoi des représentations symboliques à travers lesquelles s’édifient toutes formes d’artefacts. [16]

Dans l’ouvrage dirigé par Mario Barillo, un groupe de philosophes cognitivistes, Bullot, Casati, Dokic et Ludwig défendaient l’approche cognitiviste de l’art fondée sur la relation entre l’individu et ses capacités cognitives qu’ils nomment la « théorie individualiste » en l’opposant à la « théorie structurelle » reposant sur une compréhension culturelle et sociale de l’art dont ils ne nient pas l’intérêt mais qui est incapable de rendre compte de la spécificité cognitive de la perception artistique.

II. La neuropsychologie des arts visuels et de la littérature

La neuropsychologie de l’art regroupe des activités différentes : étude de la représentation picturale des symptômes dans l’histoire de la peinture, diagnostic de maladies neurologiques chez les artistes, étude de la relation entre le handicap cognitif et la production artistique. Cette neurobiologie de l’art est devenue aussi l’affaire des artistes, non seulement par la collaboration clinique avec des neurologues mais dans la mesure où les phénomènes neuropsychologiques sont devenus des sources d’inspiration artistiques pour les créateurs eux-mêmes, comme le montrent les cas de la migraine, de l’épilepsie, voire des attaques cérébrales, alors que généralement les phénomènes neurologiques étaient considérés comme des obstacles à la création. Depuis les dernières années, la neurobiologie semble se pencher de manière systématique sur les désordres neurologiques des créateurs, sur l’étude des relations entre les désordres neurologiques et la production esthétique. Comme le souligne J. Bogousslavsky, « étudier comment un désordre neurologique peut altérer la productivité d’artistes reconnus et d’autres personnes créatives est un domaine largement inexploré. [17] » La fonction majeure actuelle de la neurobiologie des arts est d’étudier les conséquences des désordres neurologiques sur la production des créateurs, artistes visuels, musiciens, écrivains mais en comparant également la manière dont se déclenchent les handicaps cognitifs indus chez les artistes et les personnes non entraînées professionnellement. Comme l’écrit Anjan Chatterjee, « l’art vaut d’être considéré comme une preuve neuropsychologique [A. Chatterjee, « The neuropsychology of visual artistic production », op. cit., p. 1568. [Traduit par nous.] « […] art is worth considering as a neuropsychological probe. »]] » Par ailleurs, si le développement contemporain de la neurobiologie des arts s’inscrit dans le développement actuel des sciences du cerveau, ses domaines d’action intègrent tout d’abord un aspect traditionnel car la neurobiologie des arts est né en même temps que la neurobiologie comme en témoigne l’activité multiple de Jean Charcot. Dés son origine en France, la neurobiologie crée des relations avec le domaine de l’esthétique. Charcot en particulier dans les Leçons du Mardi devant un auditoire en partie mondain aime à illustrer ses diagnostics d’exemple pris dans le domaine de l’art et de la littérature.

III. Le diagnostic

1.Le symptôme neurologique dans l’art pictural

Les recherches de la représentation de symptômes neurologiques dans l’histoire de l’art et la littérature ont partie liées à la naissance de la neurologie. L’on considère que la trace la plus ancienne d’une maladie neurologique, en l’occurrence la poliomyélite, est figurée sur une stèle funéraire d’un prêtre égyptien nommé Ruma, datant de la XIXe dynastie, qui se trouve au Musée Carlsberg de Copenhague. La représentation de l’épilepsie dans l’art pictural a donné lieu à de nombreuses études que Bernt A. Engelsen résume dans son article « Epilepsy in Pictorial Art [18] ». Récemment Carlos Hugo Espinel s’est fait le spécialiste de la recherche des symptômes de troubles neurologiques dans la peinture, ses articles souvent publiés dans Lancet ont ainsi pour objet l’étude d’un autoportrait de Rembrandt de 1659 pour lequel il examine particulièrement le « langage » de la peau [19]. Parmi ses nombreuses études à partir de peintures, l’une des plus notables est consacrée à une fresque de Masaccio de la Chapelle Brancacci à l’église Santa Maria del Carmine de Florence, nommée Saint Pierre baptisant et guérissant un estropié.. Il suggère un diagnostic de poliomyélite dans la peinture de l’attitude du malade et conclut : Au commencement du premier millénaire Galien, et du 15e au 17e siècles Léonard de Vinci, Vésale et Willis firent avancer l’étude de la neuroanatomie. C’est seulement au 19e siècle que Brown-Séquard, Duchenne, et Charcot commencèrent à faire une corrélation entre l’anatomie et la physiologie chez le patient atteint par une pathologie neurologique. Quand, en 1426, Masaccio représenta une personne non seulement avec une infirmité neuromusculaire mais avec des adaptations fonctionnelles, il avait déjà anticipé la discipline de la physiopathologie [20]. . La représentation picturale de l’épilepsie, -ses manifestations convulsives comme les rituels de cure-, ont fait partie des premières recherches de la neurologie dans l’histoire de l’art. L’intérêt de la neurologie de l’art pour l’épilepsie est exemplaire des différents angles de recherche de la neurologie dans le domaine esthétique : recherche des représentations plastiques dans l’histoire de l’art, recherche de diagnostics d’épilepsie chez les artistes, recherche des éléments liés à l’épilepsie comme source d’inspiration. Et dans la dernière décennie, des artistes épileptiques ont fait de ce désordre neurologique connu depuis les Babyloniens la source de leur travail. Bert A. Engelsen rappelle que Lucas Cranach réalisa en 1509 une gravure sur bois de Saint-Valentin, saint des convulsifs, avec une représentation d’épileptique. Un dessin en 1564, de Brueghel l’Ancien, perdu depuis, sur la procession de convulsifs à l’église de Saint-Jean à Moolenbeck a servi de modèle pour des gravures de Hendrick Hondius en 1642 qui représentent des scènes de convulsions [21]. Le motif du Christ exorcisant l’esprit d’un jeune possédé se rencontre dans l’iconographie médiévale pour se perpétuer jusqu’au XVIIIe siècle. L’ultime peinture de Raphaël, Transfiguration (1520) représente un garçon épileptique mais il existe une controverse sur la signification de cette présence, qui serait, soit un rappel de la fonction de thérapeute du Christ, soit une image de la transfiguration elle-même du Christ [22]. Rubens qui a peint une version de ce même tableau a représenté par trois fois des scènes d’épilepsie dans son œuvre dont Le miracle de Saint Ignace de Loyola (1619). Les épisodes d’hallucinations visuelles et d’états altérés de conscience dans l’autobiographie de Loyola ont été également interprétés comme des crises épileptiques par W.G. Lennox et M.A. Lennox dans un ouvrage de référence : Epilepsy and Related disorders (1960).

2. Diagnostic sur la maladie de l’artiste

La relation entre l’écrivain Alphonse Daudet et le neurologue Charcot est emblématique du lien de connivence entre neurobiologie et littérature. Daudet assiste aux Leçons du Mardi de Charcot et Charcot assiste aux Jeudis de Daudet où il est en compagnie de Zola et des Goncourt. Le fils d’Alphonse Daudet, Léon, devenu un célèbre polémiste d’extrême-droite, avait commencé des études de neurologie. Quand la maladie de Daudet, un tabès syphilitique, devint plus oppressante, Charcot resta un ami attentif mais impuissant à le soigner [23]. Léon Daudet remarquait en 1940 que le neurologue n’avait jamais guéri personne mais qu’il était brillant dans la description de tous les symptômes. La relation entre Daudet et Charcot se reflète aussi dans l’une des œuvres de l’écrivain, intitulée A la Salpêtrière. La neurosyphillis a été également objet littéraire, La doulou de Daudet en constituant le modèle par excellence. L’histoire des relations entre la neurologie et la littérature à partir de Charcot inclut Alajouanine, qui fut le médecin et ami de Valéry Larbaud et qui écrivit un des articles du canon de la neurobiologie des arts en 1948, « Aphasie et réalisation artistique ».

Conan Doyle, à l’origine médecin est dit avoir pris comme modèle du détective Sherlock Holmes le docteur Joseph Bell, praticien connu pour ses diagnostics immédiats. Conan Doyle qui souffrait lui-même de névralgie avait fait sa thèse de doctorat sur le tabès, maladie neurologique due à la syphilis. De nombreux articles à partir des années Quatre-vingt ont examiné le thème neurologique dans son œuvre. Un tableau thématique a été fait de la présence de maladies neurologiques dans les cinquante-six nouvelles et quatre romans sur Sherlock Holmes, qui incluent l’encéphalopathie, l’épilepsie, l’attaque cérébrale, les conséquences de l’alcoolisme et des toxines, ce qui s’appelait à l’époque, la catalepsie, etc.

L’intervention actuelle de la neurobiologie au sujet des maladies d’écrivains prend la forme d’un affinement, d’une révision ou d’une révocation des diagnostics faits précédemment, qu’ils soient d’ordre neurologique ou jusqu’alors considérés comme relevant de l’interprétation psychodynamique, c’est-à-dire psychanalytique. L’étude des conséquences du traumatisme crânien de Guillaume Apollinaire offre un exemple de cette transformation d’un diagnostic qui auparavant relevait de l’interprétation psychodynamique. Le neurologue suisse Julien Bogousslavsky s’est livré à une enquête mêlant des aspects classiques, prise en compte des déclarations du patient et de ses familiers, constats médicaux faits à l’époque, et un aspect proche des méthodes scientifiques de la police. En effet, le neurologue a étudié la localisation de l’impact d’éclat d’obus sur le casque du poète, occasionné le 17 mars 1916, le casque ayant été religieusement conservé à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris. Puis le neurologue a reconstitué le point d’impact sur un crâne et un cerveau standard. Il en conclut à une blessure non guérie par la trépanation, qui serait une atteinte à la partie latérale temporale du lobe droit. Comme l’indiquent ses familiers, le comportement émotionnel et affectif d’Apollinaire a profondément été altéré après ce traumatisme. Alors qu’il écrivait presque quotidiennement une lettre à sa fiancée Madeleine Pagès, il témoigne après la blessure d’un brusque désintérêt envers elle. Sa mort, moins de trois ans après, lors de la grippe espagnole en 1918 empêche la tenue de conclusions définitives sur les changements de son comportement à long terme. Le fait qu’il se remette rapidement à écrire à la fois de la poésie et de la critique d’art, alors même que sa blessure devient un sujet d’inspiration dans Le poète assassiné et Calligrammes, montre que les fonctions cognitives du cerveau n’ont pas été atteintes. En revanche, les changements émotionnels décelables dans sa correspondance et les récits de ses amis dévoilent une perte du sens de l’humour, une grande irritabilité, une intolérance aux stimuli émotionnels, des affects d’angoisse et de tristesse hors d’une véritable dépression. Or, ce comportement nouveau correspond aux symptômes d’un disfonctionnement latéral temporal de l’hémisphère dominant, tels qu’ils viennent d’être récemment étudiés [24]. Bogousslavsky rapproche le cas d’Apollinaire de celui de Gershwin qui souffrit d’une modification affective brutale à la suite d’une lésion au même emplacement, mais non pas à cause d’un traumatisme mais d’un gliome malin.

Il est intéressant de souligner que dans le cas d’Apollinaire, la causalité organique cérébrale de la modification de son comportement émotionnel n’a pas été reconnue par les spécialistes qui paradoxalement préféraient souligner un choc psychologique lié à l’expérience de la guerre, malgré le traumatisme à la tête. Etant donné la nature du comportement purement émotionnel des manifestations cliniques associées à la lésion du temporal latéral droit, il est probable que l’absence de prise en compte et l’erreur d’attribution à des facteurs psychodynamiques sans dysfonction organique cérébrale soient dues en partie à la rareté du syndrome [25].

Le diagnostic neurologique venant infirmer un diagnostic relevant de l’interprétation psychodynamique est emblématique de la rivalité entre sciences cognitives et psychanalyse. L’on retrouve le refus d’un diagnostic psychodynamique, même s’il s’agit cette fois de la psychanalyse sartrienne dans le cas de l’épilepsie chez Flaubert. Toutefois la plupart des diagnostics qui viennent en infirmer d’autres, infirment des diagnostics neurologiques précédents, comme dans les cas bien connus des diagnostics controversés au sujet de Ravel et de Van Gogh. Si Van Gogh a longtemps passé pour le modèle de l’épileptique dans les arts visuels, il n’existe plus aujourd’hui de consensus sur sa pathologie, objet d’au moins une trentaine de diagnostics. Une liste établie en 1995 récapitulait les différents diagnostics neurologiques et neuropsychiatriques le concernant : épilepsie, schizophrénie, neurosyphillis, désordre bipolaire, addiction aux drogues, alcoolisme, delirium tremens, maladie de Ménière, empoisonnement au plomb. La saga des diagnostics sur Van Gogh reste une histoire sans fin. Lors de la même année 2005, le neurologue américain J. R. Hughes signalait l’absence d’évidence d’épilepsie dans le comportement du peintre [26], alors qu’une équipe italo-suisse concluait son diagnostic par un terrain maniaco-dépressif et un syndrome schizo affectif [27]… La recherche de traces dans le comportement de l’artiste et dans sa peinture conduisant à un diagnostic d’épilepsie est analogue à celle effectuée pour les écrivains. Deux cas s’opposent, ceux de Dostoïevski et de Flaubert. Pour Dostoïevski, le diagnostic d’épilepsie fait l’objet d’un consensus, alors que seuls le type d’épilepsie et l’importance de ce dérèglement sur son œuvre font l’objet de différences d’appréciation. La présence d’épileptiques et la place considérable donnée au thème de l’épilepsie dans son œuvre ont également contribué à faire de l’épilepsie chez Dostoïevski l’un des thèmes récurrents de la relation entre la neurologie et l’art. La crise d’épilepsie du Prince Myshkin comme la description de l’expérience d’aura chez Kirillov dans Les diables sont devenus des références classiques. La comparaison entre les différentes scènes d’épilepsie dans l’œuvre montre que la crise épileptique telle qu’elle est présentée par l’auteur est généralement provoquée par une émotion intense.

L’exemple le plus étonnant, cependant est le personnage épileptique de Smerdyakov dans Les Frères Karamazov qui simule des crises afin d’avoir un alibi pour le moment où il a tué son père et ensuite la simulation se transforme en fait réel et il développe une sévère, dangereuse épilepsie [28].

Le type d’épilepsie de Dostoïevski tel qu’il a été décrit par ses amis et sa femme a longtemps été considéré comme correspondant aux séquences classiques du « grand mal », la crise dite tonicoclonique : le moment de prémonition avec l’impression d’aura qui est interprétée comme une des sources de son mysticisme, la convulsion généralisée, la chute, le cri, la convulsion clonique de quelques minutes, un moment d‘inconscience puis un état de confusion. L’un des grands spécialistes de Dostoïevski, H. Kierulf qui fit sa thèse en français en 1971 sur L’épilepsie dans la vie et l’œuvre de Dostoïevski [29], a réalisé une étiologie de l’épilepsie de l’écrivain. Pour lui, l’écrivain a souffert à partir de la seconde moitié des années 1840 d’une épilepsie dont la cause serait d’ordre infectieux, une encéphalite syphilitique qui semble aujourd’hui classée comme une crise partielle complexe. En effet, le type d’épilepsie de Dostoïevski reste l’objet de controverses, les diagnostics oscillant entre une épilepsie du lobe frontal et du lobe temporal. Dans la décennie 1990, riche en avancée neurologique particulièrement sur l’épilepsie, des études internationales ont semblé confirmer, ainsi l’étude de Cirignotta, une épilepsie du lobe temporal avec des crises extatiques [30]. Dans l’un des derniers articles en date, Rossetti et Bogousslavsky proposent également le diagnostic d’une épilepsie partielle dont l’origine vient du lobe temporal.

Flaubert représente le cas d’un écrivain qui a caché sa maladie épileptique, restée un secret de famille. Seul son ami Maxime du Camp a révélé son existence. Flaubert a toujours évité le mot lui-même, parlant de maladie nerveuse. Contrairement à Dostoïevski et Daudet, il n’a jamais utilisé sa maladie comme un thème littéraire même s’il avait pensé écrire un récit à partir d’elle qui se serait appelé La spirale. Dans leur article, Pierre et Hughes Jallon observent que cette maladie cachée, absente de son œuvre a néanmoins eu des conséquences essentielles sur sa vocation d’écrivain, son sentiment d’exclusion et sa vie solitaire [31]. Il est probable que les crises d’épilepsie ont influence sa décision d’abandonner ses études de droit et de s’installer à Croisset. L’interprétation neurologique récuse les diagnostics autres que ceux de l’épilepsie et donc notamment celui d’une forme d’hystérie avancé par Jean-Paul Sartre dans L’idiot de la famille. L’article d’Henri et Yvette Gastaut, « La maladie de Flaubert » en 1982 effectue une mise au point définitive du diagnostic neurologique. La controverse ne saurait reposer sur l’observation de l’épilepsie mais uniquement sur son étiologie. La première attaque eut lieu en 1844, à l’âge de vingt-trois ans, les suivantes semblent être devenues moins fréquentes à partir de 1846. L’étiologie de l’épilepsie repose sur les interprétations avancées par Henri et Yvette Gastaut, soit une malformation artérielle qui pourrait expliquer également la cause de la mort de Flaubert, soit une atrophie cérébrale occipito-temporale [32].

Depuis la première étude sérieuse des pathologies d’Edgar Allan Poe, par Robertson en 1921 qui écartait la thèse épileptique [33], de nombreux diagnostics sont venus tenter d’expliquer son comportement et les raisons de sa mort. Les spéculations concernant cette dernière qui reste un mystère incluent aussi bien une encéphalite, que le delirium tremens, la pneumonie, rabies, un traumatisme crânien, un coma diabétique. En revanche, le diagnostic de l’épilepsie a resurgi. Selon le dernier en date des diagnostics, il semblerait que Poe ait souffert de crises complexes partielles, que les médecins ne pouvaient comprendre dans la mesure où elle a été décrite seulement par John Hughlings Jackson en 1889. La neurologie des arts s’est intéressée à la présence du thème de l’altération de conscience dans son œuvre, notamment pour y chercher une confirmation au diagnostic d’épilepsie. Le début de The Pit and the Pendulum semble offrir sous l’aspect des effets des tortures de l’Inquisition, la description d’une crise épileptique, de même dans Berenice et The Narrative of Arthur Gordon Pym of Nantucket, peuvent s’interpréter comme description de crise épileptiques certains passages d’états altérés de conscience.

IV. Les conséquences de la maladie neurologique sur la créativité

Les conséquences de la maladie neurologique sur la créativité sont différentes chez l’artiste plasticien et l’écrivain. Pour Chatterjee, l’on peut observer que si les déficits visuo-moteurs ne sont pas épargnés aux artistes, l’entraînement leur permet de pallier ces handicaps et de produire une œuvre qui ne représente pas une diminution de qualité et même au contraire peut initier de nouveaux styles, de nouvelles directions.

1.La maladie d’Alzheimer

Comme le montrent de nombreux cas d’artistes atteints soit de la maladie d’Alzheimer, -comme De Kooning, Utermohlen ou Carolus Horn-, ou d’attaque cérébrale, la capacité de peindre ou de dessiner se détériore beaucoup moins vite que chez les individus qui ne possèdent pas un entraînement professionnel. Cette possibilité de continuer une production artistique malgré un handicap neuropsychologique constitue l’un des intérêts majeurs pour l’étude scientifique qui permet de mieux comprendre le processus de détérioration de représentation du réel. La maladie d’Alzheimer outre les pertes de mémoire provoque des handicaps dans le domaine visuel, altérant l’attention visuelle, la détection du mouvement, la perception de la profondeur, la reconnaissance des couleurs. Au début des années Soixante-dix, de Kooning commence à souffrir de désordres cognitifs sous la forme d’amnésie. Au milieu de cette décennie, après une diminution de sa production, il cesse de peindre. Le diagnostic est particulièrement sévère : maladie d’Alzheimer qui s’ajoute à l’alcoolisme, la dépression, le syndrome de Korsakoff, l’artériosclérose. Le traitement néanmoins est un succès. En 1980, il avait achevé trois peintures, entre 1981 et 1986, sa production monte à deux cent cinquante pièces qui vont constituer les « late paintings » des années Quatre-vingt. [34]. Cette surprenante rémission d’une maladie incurable est due en partie aux soins matériels et psychologiques mais conduit à l’observation neurologique selon laquelle la créativité, la pratique artistique des formes et des couleurs peuvent avoir été des agents thérapeutiques. « Je peins pour vivre », déclarait alors de Kooning. Dans le cas de l’Alzheimer, certains plasticiens ont essayé de continuer une activité artistique et l’acte de dessiner réduit vers la fin à un simple gribouillage semblait être la seule activité qui les rattachait à leur identité oubliée. A quelque mois de sa mort, Carolus Horn faisait des gribouillages qui indiquaient la perte de la connaissance de la technique et aussi la perte de la connaissance du monde visuel, mais encore pouvait-il persévérer dans l’acte créatif [35]. Carolus Horn (1921-1992), célèbre graphiste allemand a commencé à souffrir des signes de la maladie d’Alzheimer, à partir des années Quatre-vingt. Non seulement il a continué de dessiner jusqu’aux derniers jours de son existence, mais il a souvent peint les mêmes objets, des paysages, des édifices, ce qui a permis plus facilement d’analyser l’évolution de sa technique. L’analyse des séries de peintures faites par Horn au cours de sa maladie montre une évolution qui correspond à la progression des handicaps signalés en neurologie. L’explication du dessin relève alors étroitement de la neurologie. Ainsi, l’habilité à représenter géométriquement des relations spatiales qui est chez l’enfant la dernière à se développer est la première à disparaître dans le cas de la maladie d’Alzheimer. Dans celle-ci, la régression des capacités cognitives de l’adulte peut être décrite comme un retour progressif aux compétences de l’enfant. L’une des évolutions caractéristiques de la peinture de Horn réside dans le changement des couleurs. L’utilisation croissante de couleurs sombres, au début de la maladie, reflète son humeur dépressive liée à la connaissance de son état. En revanche, avec la progression de la maladie, les couleurs dominantes sont de plus en plus brillantes, ce qui corroborerait l’idée que les patients souffrent d’une incapacité à discriminer les couleurs bleues et vertes mais gardent la possibilité de discriminer le jaune et le rouge. Les derniers dessins de Horn, à quelques mois de sa mort, sont des gribouillages : « Les derniers dessins semblent refléter la perte de connaissance non seulement de la manière de dessiner le monde visuel mais aussi celle du monde visuel lui-même. » [36]

Dans le cas de la maladie d’Alzheimer et de l’attaque cérébrale avec aphasie, la comparaison montre un grand déséquilibre entre possibilités créatrices de l’artiste visuel et de l’écrivain. Les artistes peuvent témoigner pendant un temps considérable de leurs capacités créatrices et l’étude de la périodisation de la détérioration de celle-ci est l’un des éléments nouveaux et majeurs de la neurobiologie avec maintenant une collaboration entre l’artiste-patient et le neurologue. En revanche, ces deux maladies semblent avoir des répercussions qui empêchent la continuation de la production chez l’écrivain. L’Alzheimer est devenu un sujet littéraire mais vu du dehors, ainsi la littérature de témoignage de Marion Roach ou le film Loin d’elle de Sarah Polley. Cioran n’a jamais écrit sur son Alzheimer. Le peintre William Utermohlen atteint de la maladie d’Alzheimer a volontairement collaboré avec des neurologues jusqu’à sa fin, continuant de faire des autoportraits au fil de la maladie. S’il est loisible d’imaginer un écrivain atteint de cette maladie, collaborant lui aussi dans des conditions semblables avec des neurologues, il est probable que les capacités cognitives demandées par l’écriture d’un récit cesseront bien avant celles demandées par l’acte de peindre. Le cas du peintre d’origine américaine, vivant en Grande-Bretagne, William Utermohlen est riche d’enseignements ; la production du peintre à qui un diagnostic de maladie d’Alzheimer est fait à l’âge de soixante et un ans à la suite de difficultés cognitives montre une évolution caractéristique. Le peintre avait donné son accord pour participer aux recherches sur la détérioration des compétences artistiques dans le contexte de la maladie d’Alzheimer. Une équipe de neurologues a étudié l’évolution des auto-portraits que le peintre a continué de pratiquer, entre soixante et soixante-cinq ans. Les changements dans le style des autoportraits témoignent de la détérioration de l’état cognitif. Le troisième portrait accentue les défauts du second : altération du sens des proportions, difficulté à représenter les éléments du visage, l’arrière–plan est devenu abstrait. Pour le portrait exécuté à soixante-cinq ans, le peintre a abandonné la peinture à l’huile pour le crayon, tout réalisme a disparu au profit d’une forme de primitivisme, les éléments fondamentaux du visage restant reconnaissables. En cinq ans, la détérioration de l’habileté est manifeste, mais, comparée aux compétences d’un artiste amateur atteint au même degré par la maladie, elle reste moins marquée, comme si l’habitude et le talent professionnel amortissaient les handicaps neurologiques ; l’artiste amateur avait au contraire abandonné la production d’œuvres originales pour tenter des copies d’œuvres antérieures. [37] Karolus Horn et Utermohlen sont devenues des figures médiatisées par les associations nationales de lutte contre la maladie d’Alzheimer.

2. L’attaque cérébrale

L’attaque cérébrale est un accident neurologique aux séquelles potentielles particulièrement invalidantes : aphasie, hémiplégie. Dans un article célèbre de 1948, le neurologue français Alajouanine a étudié l’influence de l’aphasie sur le processus créateur à partir de l’exemple de trois artistes, le musicien Ravel [38] , l’écrivain Valéry Larbaud, atteint en 1935 et qui survécut à une hémiplégie du côté droit et une aphasie durant vingt-deux ans, ainsi que chez un peintre dont le nom restait caché dans son article. Il s’agit du peintre Paul-Elie Gerner (1888-1948), ce que le neurologue F. Boller a découvert récemment. Ce dernier, en reprenant le cas de ce peintre victime d’une attaque cérébrale en 1940, à l’âge de cinquante-deux ans, et en comparant son œuvre avant et après cet événement, observait que si l’aphasie n’a pas eu d’influence importante sur la production picturale, toutefois le style avait connu un changement, devenu selon les critères du neurologue, « moins poétique », moins spontané, moins inventif. Gerner décrivait ainsi sa nouvelle condition :

Il y a deux hommes en moi, celui qui peint qui est normal pendant qu’il peint et l’autre qui est perdu dans la brume […] Quand je suis en train de peindre, je suis en dehors de ma vie ; ma manière de voir les choses est même plus aigüe qu’auparavant ; je retrouve tout ; je suis un être entier. Même ma main droite qui me semble étrange, je ne la remarque pas quand je peins. [39] Si le peintre Paul-Elie Gernez pouvait malgré une attaque cérébrale et une aphasie continuer à peindre et même faire de l’acte de peindre le moment privilégié de son existence handicapée, chez Valery Larbaud la même attaque cérébrale suivie d‘une aphasie que celle du peintre a conduit à l’arrêt de sa production. Durant les vint-deux années entre l’attaque et sa mort, son aphasie a évolué du mutisme à un langage réduit, manifestant un phénomène typique de l’aphasie, la répétition d’un seul terme, dans son cas : « Bonsoir, les choses d’ici-bas ». Les autres fonctions cognitives restaient intacts, la mémoire, la compréhension de langues que ce traducteur connaissait parfaitement. La conclusion d’Alajouanine à son étude comparative des effets de l’aphasie sur la production artistique d’un musicien, d’un peintre et d’un écrivain est importante : « Si l’aphasie a détruit le langage littéraire chez l’écrivain s’il a arrêté l’expression sonore chez le musicien, elle a laissé intactes les réalisations plastiques ou figurées. » [40] .

Les études neurologiques montrent que l’effet des lésions cérébrales est différent chez les artistes et les non-artistes. Chez les patients sans compétence artistique, la capacité au dessin est affectée, en cas d’aphasie consécutive à une attaque cérébrale. Chez les artistes, l’effet de l’attaque et de l’aphasie, moins marqué, varie suivant les individus. Le phénomène de négligence unilatérale spatiale a été étudiée pour des artistes, elle est plus commune et plus sévère en cas d’attaque de l’hémisphère droit et en conséquence se manifeste par une négligence de la partie gauche. Parmi les artistes qui ont souffert d’une attaque cérébrale de l’hémisphère droit menant à une telle négligence, l’on compte Lovis Corinth, Anton Räderscheidt, Loring Hughes, Reynolds Brown mais sans doute le cas le plus célèbre est celui de Federico Fellini. La négligence unilatérale gauche dans ses dessins qui ont suivi l’attaque cérébrale de l’hémisphère droit a été étudiée par les neurologues Cantagallo et Salla [41] en 1998. Fellini était conscient du défaut de représentation du côté gauche dans ses dessins. L’un d’entre eux met en scène avec humour cette déficience par rapport à ses dessins antérieurs ; un personnage qui le représente, demande : « Où est la gauche ? ». Au contraire une attaque cérébrale à l’hémisphère gauche chez le peintre bulgare Zlatio Boiyadjiev a provoqué chez lui un profond changement de thématique et de style : la lésion de l’hémisphère gauche aurait produit « une libération de ses possibilités créatrices [42] ». Brown juge que le passage à une thématique fantastique aux couleurs plus riches refléterait chez le Bulgare le sens plus lâche des liens sémantiques dans l’hémisphère droit [43] .

Les cas sont nombreux d’artistes, qui, après une attaque cérébrale suivie d’aphasie ont pu continuer leur œuvre, ainsi le peintre abstrait Afro Basaldella (1912-1979), qui, deux ans après, revint à une inspiration néo-cubiste. Les données montrent que les effets d’attaque cérébrale avec aphasie sur la production artistique sont variables. Certains patients sont affectés, d’autres deviennent plus expressifs ou changent le contenu de leur production. Par ailleurs, les images sont utilisées pour communiquer avec des patients amnésiques et une « Visual Action Therapy » apprend aux aphasiques à communiquer par le dessin. Les phénomènes dépressifs dans la vie de Caspar David Friedrich et leur influence sur son œuvre sont largement connus, mais l’attaque cérébrale l’est moins. Le 26 juillet 1835, le peintre âgé de soixante et un ans souffre d’une attaque cérébrale qui provoque une paralysie du côté droit. La récupération semble rapide, quelques semaines d’alitement, un séjour de cure. Le peintre ne souffrit d’aucune aphasie ou de déficits neuropsychologiques, le diagnostic actuellement avancé à titre d’hypothèse est une attaque subcorticale du côté gauche. Le regard du neurologue [44] décèle dans le dernier portrait de l’artiste fait par Caroline Bardua, Portrait C. D. Friedrich, 1840, quelques mois avant sa mort une paralysie du septième nerf crânien. La main partiellement paralysée, le peintre commence pendant sa cure des études au crayon. Les quatre-vingt œuvres exécutées durant les cinq ans qui séparent l’attaque cérébrale et sa mort sont de petit format, aquarelles, sépias, avec de fréquents motifs funèbres, qui serait le signe d’un phénomène classique, la dépression post-attaque. Et son ultime peinture à l’huile et de grand format, réalisée au début de cette nouvelle période « Meeresufer im Mondschein » est considérée comme son testament artistique.

Le récit d’une attaque cérébrale vécue par un écrivain qui la relaterait ensuite semble inédit, il faudra attendre la traduction du livre du célèbre dramaturge et auteur satirique polonais Slawomir Mrozek, victime d’une attaque en 2002. Pour entraîner sa mémoire et retrouver ses facultés d’expression, l’auteur a rédigé un récit de son attaque cérébrale et de ses conséquences, intitulé Baltazar. Une autobiographie. Cioran est décédé à la suite de la maladie d’Alzheimer. Enfermé dans une maison de santé en France, il avait perdu l’usage du français et ne s’exprimait plus qu’en roumain au personnel hospitalier et aux autres patients qui ne pouvaient le comprendre. La maladie n’a rien ajouté à l’œuvre, elle l’a arrêtée au contraire et transformé l’auteur en personnage d’Ionesco.

V. La représentation de son désordre cognitif par l’artiste lui-même

1. L’épilepsie

La représentation artistique de phénomènes épileptiques est ancienne et l’objet de nombreuses études neurologiques. Suivant les maladies neurologiques, la capacité de continuer une activité artistique diffère chez le plasticien et l’écrivain. L’épilepsie ne constitue pas un obstacle essentiel chez ni l’un ni l’autre. L’épilepsie est un thème littéraire fréquent, que l’écrivain soit lui-même épileptique, comme Dostoïevski ou Huber Aquin, Margiad Evans, Monika Maron, Richard Pollak, Rosita Steenbeek, Herbjorg Wassmo, Ernesto Dalgas, Andreas Burnier, Tryggve Andersen, Margaret Gibson ou que l’écrivain ait observé chez un proche ou par hasard une crise d’épilepsie, comme Kenzaburo Oe et Laura Doermer qui avaient un fils épileptique, Majgull Axelson et Janet Frame qui avaient un membre de la fratrie épileptique, Alfred Tennyson et Klaus Merz avec un père épileptique, Christoph Ramsmayer avec un camarade de classe et Muriel Spark, témoin par hasard dans la rue. Le livre autobiographique de Margiad Evans, A ray of darkness [45] de 1952 décrit de manière détaillée les événements de l’année qui ont précédé sa première grande crise épileptique.

En revanche la représentation de l’épilepsie vécue de l’intérieur par des plasticiens souffrant de ce désordre est récente. Il faut attendre les expériences de Jennifer Hall au début des années 1990 pour que l’épilepsie devienne source d’inspiration revendiquée par les artistes épileptiques [46] , objet d’une représentation visuelle et plastique, thème artistique de la part d’artistes souffrant de cette pathologie. Jennifer Hall, artiste épileptique et directrice d’un centre d’expérimentation artistique, le Do While Studio à Boston, a rassemblé une exposition de travaux de vingt-sept artistes peintres épileptiques sur ce thème. From The Storm est une collection d’œuvres encore visible sur le site du Studio [47] . L’exposition créée à Boston en 1992 fut présentée dans les congrès de neurologie américain, canadien et australien. Ces travaux suggèrent l’expérience de la crise, les hallucinations, et sont accompagnées de commentaires. Jennifer Hal écrit :

L’imagerie que j’utilise dans une série de performances appelées Out of The Body Theatre est tirée du monde dans lequel j’existe lors des crises et de la folie qui vient de ma tempête intérieure. […] Ma capacité à objectiver ces phénomènes est quasi non existante durant une crise, car je suis généralement absorbée par de simples activités de survie ; j’ai connu des crises à répétition qui durent plusieurs jours. […] Mes essais pour communiquer ces expériences se reflètent dans Out of The Body Theatre, dans lequel j’utilise des automates pour incarner les expériences extrêmes que je ne peux verbaliser. D’autres outils incluent des animations digitales, des projections, du théâtre d’ombre, des robots et des marionnettes qui répondent aux mouvements des danseurs humains. [48]

2. La migraine à aura

A l’opposé de l’épilepsie, la migraine est un phénomène neurologique à la fois plus familier et plus discret, mais ces deux désordres neurologiques sont devenus des sources d’inspiration pour les artistes qui les ont expérimentés. Autrefois appelée migraine ophtalmique ou migraine accompagnée, la migraine avec aura précède le plus souvent, la céphalée migraineuse [49] . Dix pour cent des migraines sont accompagnées d’une aura visuelle. Autrefois appelée migraine ophtalmique ou migraine accompagnée, la migraine avec aura précède le plus souvent, la céphalée migraineuse. L’aura est transitoire et disparaît sans laisser de séquelles, en moins de trente minutes habituellement. Elle se manifeste par l’apparition dans le champ visuel des deux yeux, d’un scotome scintillant aux limites polygonales comparé à des « fortifications à la Vauban », ces lignes brisées, brillantes, colorées et mobiles ressemblent aussi à des zigzags, des éclairs. Cette forme de migraine est devenue objet de représentation artistique avec le Migraine-art alors que des relectures neurologiques d’œuvres plus anciennes permettent d’interpréter textes et peintures à partir du scotome typique de la migraine à aura.

Une contribution de Podoll et Robinson a montré l’influence de la migraine ophtalmique dans l’œuvre d’Ignatius Brennan. Ce peintre irlandais contemporain qui souffrait de migraines depuis l’âge de onze ans commente ainsi son travail, décrivant sa perception de l’aura visuelle avec ses zigzags lumineux :

J’ai commencé avec des peintures de mes expériences de migraine, de manière inconsciente plutôt que de manière délibérée, quand j’étais à l’école d’art. Je faisais beaucoup de dessins de paysages à ce moment-là et je trouvais souvent que je dessinais des nuages non pas juste dans le ciel, mais n’importe où, ce qui était, je pense, relié aux vides visuels expérimentés durant la perte de la vision. J’utilisais aussi des formes dentelées en zigzag dans mes dessins, […] Nuages, zigzags et autres images sont partie de mon vocabulaire visuel personnel, mais sont issus certainement de mes expériences de migraine. J’en suis absolument sûr [50].

La galerie des peintres inspirés par la migraine inclurait Hildegard de Bingen, Giorgio de Chirico, Salvador Dali. Depuis Charles Singer, une partie des visions d’Hildegard de Bingen (1098-1179), est interprétée comme des signes d’aura visuelle provenant de migraines [51] , ce qu’Oliver Sack confirma plus tard dans son livre Migraine (1992). Les peintures de Hildegard de Bingen constitueraient le plus ancien témoignage de l’influence de la migraine sur l’inspiration artistique avec dans ses peintures, souvent, la proéminence de points ou de groupes de lumières étincelants et en mouvement. Chirico s’est converti en l’emblème du peintre migraineux du XXe siècle. Le neurologue anglais Fuller et l’historien d’art Gale citaient en 1988 comme exemple de travaux du peintre où se retrouvent l’aura visuelle due à la migraine, les lithographies « Calligrammes » de 1930, « Mythologie » de 1933 et la peinture à l’huile « Le retour au château » de 1969 [52] . Récemment, Ubaldo Nicola et Klaus Podoll ont montré comment les expériences de migraine à aura chez Chirico sont à la source à la fois de peintures mais aussi de textes incluant les Mémoires, Hebdomeros et les essais [53]. . Les visions crées par la migraine ophtalmique se sont transformées en une source d’inspiration artistiques popularisées par la création de manifestations artistiques dans les années Quatre-vingt, mécénées par l’industrie pharmaceutique et par le lancement d’un genre « The migraine art ». La première manifestation, à la fois exposition et compétition, fut organisée à la Clinique de la Migraine de Londres par l’Association britannique sur la migraine avec le soutien du laboratoire pharmaceutique, WB Pharmaceuticals Limited, créateur du Dixarit. Son succès décida du renouvellement de l’opération et de son extension à d’autres pays. En 1991 l’Exploratorium de San Francisco montrait une importante exposition sur « The Migraine Art », intitulée Mosaic Vision. Dans son travail sur la migraine de 1970, Oliver Sacks avait noté une similarité entre les effets visuels de la migraine à aura avec sa vision mosaïque et le style des peintures pointillistes et cubistes. Dans un livre de 1995 sur l’art décoratif, le designer hollandais Arthur O. Eger lançait l’hypothèse d’une source d’inspiration migraineuse chez Picasso. Mais c’est au Congrès mondial des céphalées à Londres en 2000 que l’hypothèse d’un diagnostic de migraine à aura sans maux de tête chez Picasso devint une nouvelle médiatisée comme une information à sensation. Cette thèse reste néanmoins hypothétique dans la mesure où les hallucinations visuelles produites par l’aura peuvent relever aussi d’autre étiologie et qu’il n’existe pas d’observations de contemporains ou d’écrits autobiographiques sur d’éventuelles migraines chez Picasso.

La neurobiologie de l’art regroupe ainsi des activités différentes : localisation cérébrale, étude de la représentation picturale des symptômes dans l’histoire de la peinture et de la littérature, diagnostic de maladies neurologiques chez les artistes, étude de la relation entre le handicap cognitif et la production artistique. Cette neurobiologie de l’art est aussi l’affaire des artistes, dans la mesure où les phénomènes neuropsychologiques sont devenus des sources d’inspiration artistique. Elle s’est enrichie d’une collaboration clinique entre neurologues et créateurs atteints de maladies neurologiques. Elle est devenue un élément incontournable de la connaissance de la littérature, des arts et de la musique.

ps:

ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.), Vol. II, 2008

notes:

[1] Parmi ces revues, Epilepsy, Neurology, Neuropsychologia, Cortex, Brain, European Neurology, Lancet, Nature, Journal of counsciousnes studies.

[2] A. Chatterjee, « The neuropsychology of visual artistic production », Neuropsychology 42 (2004) 1568-1583. [Traduit par nous] « This paper is not intended to describe a brain-based theory of art. Elsewhere, I have discussed (Chatterjee, 2002, 2002) how cognitive neuroscience might advance empirical aesthetics. Here, the goals are modest. I hope to bring together this literature, much of which is dispersed in books and is hidden from search-engines. »

[3] Voir site migraine-aura.org

[4] Marion Roach, La mémoire blessée trad. de l’américain par Gabrielle Rolin, Lyon : La Manufacture, 1986. Alzheimer : pour ma mère, trad. de Gabrielle Rolin ; préf. du Dr Paul Henri Chapuy ; avant-propos de Denise Lallich, Lyon : Éd. Horvath, 1996.

[5] F. Clifford Rose, (éd) Neurology of the Arts, Painting, Music, Literature, Londres, Imperial College Press, 2004.

[6] H. Platel, F. Eustache and J.-. Baron, « The Cerebral Localisation of Musical Perception and Musical Memory » in Clifford Rose, (éd), Neurology of the Arts, Painting, Music, Literature, op. cit., p. 176. « Thanks to the advent of functional neuroimaging about 25 years ago and continuous developments since, it is now possible to map directly brain activity during perceptual and performance tasks in normal subjects. Based on these findings, the last decade has witnessed major breakthroughs in the understanding of the musical brain » [Traduit par nous] Nous nous sommes limité aux relations de la neurologie essentiellement avec la littérature et les arts visuels, mais la neurologie des arts s’est tout autant appliquée au monde de la musique avec la localisation cérébrale de la perception musicale et de la mémoire musicale, l’analyse des déficits neurologiques en matière de la perception, l’amusie, la reconnaissance et production musicale, les diagnostics neurologiques sur certains musiciens : Ravel, Moussorgski, Haendel et l’attaque cérébrale, Haydn et l’encéphalopathie, et le maintien des aptitudes musicales chez deux musiciens pourtant affectés par des lésions cérébrales : Gershwin et Shebalin.

[7] Semir Zeki, Inner Vision : An Exploration of Art and the Brain, Oxford University Press, USA, 2 nde édition, 2000. Voir aussi : Semir Zeki et Balthus Balthus ou La quête de l’essentiel, Paris, Les Belles Lettres : Archimbaud, 1995. ; A vision of the brain, Oxford, Blackwell sciencific publ., 1994.

[8] Semir Zeki, « Neural concept Formation and Art : Dante, Michelangelo, Wagner », in F. Clifford Rose, (éd) op. cit., p. 13. [Traduit par nous] « Spectacular advances in our knowledge of the visual brain allow us to make a beginning in trying to formulate neural laws of art and aesthetics- in short, to study neuroaesthetics. »

[9] Hideaki Kawabata and Semir Zeki, Neural Correlates of Beauty, Journal of Neurophysiolology, vol 91, april 2004, p. 1699. « This work is an attempt to address the Kantian question experimentally by inquiring into whether there are specific neural conditions implied by the phenomenon of beauty and whether these are enabled by one or more brain structures. » Traduit par nous

[10] Jean-Pierre Changeux, L’homme neuronal, Paris, Fayard, 1983, p. 364.

[11] Id, L’âme au corps : philosophie d’une exposition sur Arts et sciences, Paris, Institut de France, Académie des beaux-arts, 1994, p. 6.

[12] Id. « Le vrai, le beau, le bien : réflexions d’un neurobiologiste », phonogrammes, Paris, Bibliothèque Nationale de France, coll Conférences de la Bibliothèque Nationale de France, 2004.

[13] A. Chatterjee, – 2004. « Prospects for a cognitive neuroscience of visual aesthetics. Bulletin of Psychology and the Arts. ». 4, 55-60.
- 2002 « Universal and relative aesthetics : A framework from cognitive neuroscience ». Paper presented at the International Association of Empirical Aesthetics, Takarazuka, Japon.

[14] Vilayanur S. Ramachandran et Sandra Blakeslee, Le fantôme intérieur, préf. de Olivier Sacks, trad. de l’anglais (États-Unis) par Michèle Garène, Paris, Odile Jacob, 2002. Voir aussi : Vilayanur S. Ramachandran Le cerveau, cet artiste, trad. de l’anglais par Anne-Bénédicte Damon, Paris, Eyrolles, DL 2005.

[15] Voir :http://interdisciplines.org/artcogn… et notamment l’article non dénué d’ironie de John Hyman : « Art and Neuroscience ». Il s’agit du site présentant les participations à un séminaire internet sur les rapports entre l’art et la cognition, organisé par le Département d’Etudes Cognitives de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, en 2005.

[16] L. Bec, Art/Cognition, Cyprès/ Ecole d’Art, Aix en Provence, 1994, p. 21-22.

[17] J. Bogousslavsky, F. Boller, (éd), Neurological disorders in Famous Artists, op. cit., p. VIII. [Traduit par nous] « the study of how a neurological disorder can alter productivity in recognized artists and other creative people is a largely unexplored field. »

[18] Bernt A. Engelsen, « Epilepsy in Pictorial Art », in Neurology of the arts, op. cit., pp. 141-153.

[19] Carlos Hugo Espinel, « A medical evaluation of Rembrandt. His self-portrait ; ageing, disease, and the language of the skin », Lancet, 1997 ; 350 : 1835-37.

[20] Id., « Masaccio’s cripple : a neurological syndrome. Its art, medicine, and values », Lancet, 1995 : 346 : 1984-1986. [Traduit par nous] « At the onset of the first millennium Galen, and from the 15th to the 17th centuries Leonardo, Vesalius, and Willis, advanced the study of neuroanatomy. It is only in the 19th century that Brown-Sequard, Duchenne, and Charcot began to correlate the anatomy with physiology in the neurological patient. When, in 1426, Masaccio portrayed a person not only with neuromuscular impairment, but also with functional adaptations, he had already anticipated the discipline of pathophysiology. »

[21] Voir Bernt A. Engelsen, « Epilepsy in Pictorial Art », in F. C. Rose, (éd), Neurology of the Arts, op. cit, p.141.

[22] Pour un rappel de la controverse, voir Bernt A. Engelsen, ibid.

[23] Michel. Bonduelle, « Charcot et les Daudet », Presse Méd., 1992 : 22 : 1641-1648. Michel Bonduelle, médecin et historien de Charcot, raconte comment le fils de l’écrivain est devenu le mémorialiste de Charcot qui lui barra néanmoins l’accès à la carrière tant que Léon Daudet fut marié avec l’une des descendantes de Victor Hugo que Charcot épousa immédiatement après le divorce de celle-ci d’avec Léon…

[24] Voir : – Annoni, JM. Nicola, A. Ghika, J Aybek, S. Gramigma, S. Clarke, S. Bogousslavsky, J. « Troubles du comportement et de la personnalité d’origine neurologique ». Encyclopédie Méd.-chir.,Neurol. 2001- Bogoulavssky, J , Cummings JL, Behaviour and Mood Disorders in Focal Brain Lesions, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.

[25] Bogoulavssky, J , « Guillaume Apollinaire, the Lover assassinated » in Neurological Disorders in Famous Artists, op. cit., p. 7-8. [Traduit par nous] « It is interesting to emphasize that in the case of Apollinaire as well, the organic brain causality of his modified emotional behaviour was not recognized by scholars, who paradoxically preferred to underscore a psychological shock associated with war experience, despite the head trauma […] Given the purely emotional – behavioural nature of the clinical manifestations associated with right lateral temporal damage, it is likely that part of the rarity of this syndrome is due to its lack of recognition and miss-attribution to psychodynamic factors without organic cerebral dysfunction. »

[26] Voir J. R. Hughes, « A reappraisal of the possible seizures of Vincent van Gogh », Epilepsy and behaviour, 6 (2005) 504-510.

[27] Voir A. Carota, G. Iaria, A. Berney, J. Bogousslavsky, « Understanding Van Gogh’s Night : Bipolar Disorder », in J. Bogousslavsky, F. Boller, Neurological Disorders in Famous Artists, op. cit, .pp. 121-131.

[28] Peter Wolf, « Epilepsy in Literature : Writers’ Experiences and Their Reflection in Literary Works », in Neurology of the Arts, op. cit., p. 341. « The most astonishing example, however, is the epileptic character Smerdyakov in The Brothers Karamazov, who fakes seizures to get an alibi for the time when he killed his father, and then the malingering la simulation turns into truth, and he develops a severe, life-threatening status epilepticus. »

[29] Halfdan Kierulf, « The Aetiology of Dostoyevsky’s Epilepsy », ibid., p 353.

[30] F. Cirignotta, CV Todesco, E. Lugaresi, « Temporal lobe epilepsy with ecstatic seizures (so-called Dostoevsky epilepsy) », Epilepsia, 1980 ; 21:705-710.

[31] Voir, Pierre Jallon et Hughes Jallon, « Gustave Flaubert’s Hidden Sickness », in Neurological disorders in Famous Artists, op. cit, pp. 46-55.

[32] H. Gastaut Y. Gastaut et R. Broughton, « Gustave Flaubert’s illness : a case report in evidence against the erroneous notion of psychogenic epilepsy », Epilepsia, 1984 ; 25 : 622-637.

[33] Voir : Carl W. Bazil, « Edgar Allan Poe : Substance Abuse versus Epilepsy », Neurological disorders in Famous Artists, op. cit, pp. 57-64.

[34] Voir : – C. H. Espinel, « de Kooning’s late colours and forms : dementia, creativity, and the healing power of art », The Lancet, 1996, n° 347, pp. 1096-98. – Garrels, G. (1995) « Three toads in the garden. Line, color, and form. In Wilhem de Kooning. The late paintings, the 1980s. Minneapolis : San Francisco Museum of Modern Art and Walker Arts Center.

[35] K. Maurer, D. Prvulovic, « Carolus Horn – When the Images in the Brain Decay » : Evidence of Backward-Development of visual and cognitive Functions in Alzheimer’s Disease, in J. Bogousslavsky, F. Boller, Neurological Disorders in Famous Artists, op. cit, p. 101-111.

[36] K. Maurer, D. Prvulovic, « Carolus Horn – When the Images in the Brain Decay » : Evidence of Backward-Development of visual and cognitive Functions in Alzheimer’s Disease », in J. Bogousslavsky, F. Boller, Neurological Disorders in Famous Artists, op. cit, p. 108. Traduit par nous.

[37] S. J. Crutch, R. Isaacs, M. N. Rossor, « Some workmen can blame their tools : artistic change in an individual with Alzheimer’s disease », The Lancet, 357, 30 juin 2001, pp. 2129-2133. Les auteurs en concluaient par la remise en cause du diagnostic de maladie d’Alzheimer chez de Kooning !

[38] La maladie neurologique de Ravel a été l’objet de diagnostics différents. L’aphasie partielle du musicien n’est que l’un des symptômes d’une maladie neurologique qui n’a pas comporté d’attaques cérébrales. Dans « The Terminal Illness and Last Compositions of Maurice Ravel », in Neurological disorders in famous artists, op.cit., Erick Baeck reprend le diagnostic de maladie de Pick : cette démence frontotemporale est une forme de maladie cognitive irréversible progressive qui détruit des parties spécifiques du cerveau, les lobes temporaux et frontaux, à la différence de la maladie d’Alzheimer qui touche presque toutes les régions cervicales.

[39] Cité par A. Chatterjee, in « The neuropsychology of visual artistic production », op. cit., p. 1575. Traduit par nous.

[40] Ibid., p. 241. « If aphasia destroyed literary language in the writer if it stopped sound expression in the musician, it has left untouched plastic or figurated realizations. » Théophile Alajouanine a écrit aussi sur l’écrivain : Valery Larbaud sous divers visages, Paris, Gallimard, 1973.

[41] A. Cantagallo, S. D. Sala, (1998) « Preserved insight in an artist with extrapersonhalo spatial neglect sense », Cortex, 34, 163- 189.

[42] F. Boller, « Alajouanine’s Painter : Paul-Elie Gernez », in J. Bogousslavsky, J. Boller, (éd), Neurological Disorders in Famous Artists, op. cit., p. 98.

[43] J. Brown, J. Mind, brain and consciousness. The neuropsychology of cognition. New York ; Academic Press. 1977.

[44] Voir B. Dahlenburg, C. Spitzer, « Major depression and stroke in Caspar David Friedrich », in J. Bogousslavsky, F. Boller, (éd), Neurological Disorders in Famous Artists, op. cit..

[45] Margiad Evans, A ray of darkness, 1e éd 1952, London, John Calder, 1978.

[46] Voir HP Lambert, « Art et cerveau : vers la neuro-esthétique ? », in « Rencontre », Recherches en esthétique, Revue du C.E.R.E.A.P./Paris I, n°12, 2006.

[47]http://www.dowhile.org/physical/pro…

[48] Traduit par nous. Le texte de Jennifer Hall se trouve sur le site cité à la note 11.

[49] L’aura est transitoire et disparaît sans laisser de séquelles, en moins de trente minutes habituellement. Elle se manifeste par l’apparition dans le champ visuel des deux yeux, d’un scotome scintillant aux limites polygonales comparées à des « fortifications à la Vauban », ces lignes brisées, brillantes, colorées et mobiles ressemblent aussi à des zigzags, des éclairs.

[50] Cité par A. Chatterjee, in « The neuropsychology of visual artistic production », op. cit. p. 1576. Traduit par nous. Brennan qui a trouvé une ressemblance entre ses sculptures et les œuvres de Chirico a remporté le Prix de la quatrième compétition nationale sur l’art de la migraine en 1987. L’on peut trouver sur le site migraine-aura.org les renseignements sur les compétitions au sujet de l’art de la migraine

[51] C. Singer, “The visions of Hildegard of Bingen”, in From magic to science, New York, Dover, 1958.

[52] G. N. Fuller, M. V. Gale, « Migraine aura as artistic inspiration », British Medical Journal, 297 (6664) 1670-1672.

[53] U. Nicola, K. Podoll, L’aura di Giorgio de Chirico, Milan, Mimesis Edizioni, 2003

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