Penser la ligne brisée

Études réunies par

Anne Chassagnol, Camille Joseph et Andrée-Anne Kekeh-Dika

 

ISBN numérique PDF : 979-10-97361-10-5

Table des matières et résumés

Introduction
Anne Chassagnol, Camille Joseph et Andrée-Anne Kekeh-Dika

Généalogie d’une figure : la singularité de la ligne brisée

1. Trois études de cas autour du motif de la ligne brisée dans les sciences mathématiques
Jenny Boucard et Christophe Eckes

Dans cet article, nous nous intéressons à trois corpus de textes mathématiques faisant intervenir des figures ou des représentations diagrammatiques autour de la ligne brisée. Nous déterminons par ce biais les fonctions qui peuvent être assignées à de telles représentations, tantôt dans l’économie des raisonnements, tantôt pour distinguer ou préciser certains concepts mathématiques fondamentaux – nous pensons en particulier à la continuité et à la dérivabilité –, tantôt pour résoudre des problèmes. Dans un premier temps, nous aborderons les exemples
très classiques des propositions I. 14 et I. 27 des Éléments d’Euclide. Dans un deuxième temps, nous montrerons à travers quelques exemples classiques, à savoir la courbe de Peano et la courbe de Koch, comment certaines lignes brisées, devenues génériques, permettent d’aboutir à des résultats contre-intuitifs. Dans un dernier temps, nous nous attarderons sur la polygraphie du cavalier, un problème de situation qui peut être résolu en s’appuyant sur le motif de la ligne brisée. Ce problème admet des ramifications dans les mathématiques récréatives, l’art ornemental, ainsi que la littérature. 

2. La ligne brisée dans les ouvrages d’ornement : diagramme, trace, fil, geste, énergie
Estelle Thibault

Cet article cherche à mieux comprendre le statut et les significations accordées à la ligne brisée dans un ensemble de recueils et traités d’ornement publiés dans la seconde moitié du XIXème siècle. Ces ouvrages rédigés par des artistes, architectes, techniciens, théoriciens ou pédagogues sont souvent très illustrés et décrivent les motifs en conjuguant des analyses géométriques, des commentaires sur leur valeur culturelle ou encore des observations sur leurs caractéristiques matérielles et techniques. Lignes brisées, zigzags, méandres, dents ou grecques sont tantôt
opposés à la ligne droite, tantôt à la ligne ondulée, et font l’objet d’interprétations assez diversifiées. Dans un premier temps, nous tenterons de comprendre ce que la ligne brisée représente dans les méthodes de composition ornementale : de simples diagrammes ou des éléments matériels concrets, traces, fils ou tiges, associés à différents gestes techniques. Dans un second temps, nous nous intéresserons aux valeurs culturelles qui sont associées à certains de ces motifs en fonction des traditions auxquelles ils appartiennent, des zigzags dits primitifs aux grecques classiques qui sont les plus élevées dans la hiérarchie esthétique. Dans un troisième temps, prolongeant l’enquête vers le début du XXème siècle –c’est-à-dire vers une période nettement moins favorable à l’ornement –, nous observerons les tonalités affectives dont ces lignes ont pu être investies, dès lors qu’elles sont envisagées comme des incarnations
de la vie : expression d’émotions, de forces, d’énergie et de mouvements.

In situ, ex situ / Hors la page

 

3. Lignes brisées, recollées et démontées en linguistique informatique
Pierre Zweigenbaum

La parole est linéaire : elle s’écoule dans le temps. Cette linéarité est en réalité brisée à de nombreux niveaux, par contingence (contraintes d’écriture) ou intrinsèquement (unités linguistiques). Elle est de plus une forme de transmission par un locuteur qui génère un énoncé, d’une pensée et d’un matériau linguistique qui sont a priori non-linéaires, que l’interlocuteur doit reconstituer lorsqu’il analyse l’énoncé à partir de cette forme linéaire intermédiaire.
La linguistique informatique, ou traitement automatique des langues, vise à modéliser informatiquement les phénomènes linguistiques et à automatiser le traitement d’énoncés langagiers par des ordinateurs : correction orthographique, traduction automatique, extraction d’information en sont des exemples. Elle doit, de ce fait, concevoir des algorithmes pour résoudre automatiquement de multiples problèmes de passage de lignes brisées à des lignes continues et inversement de segmentation de lignes continues en lignes brisées (ligne continue vs brisée) ou de reconstitution des structures non-linéaires sous-jacentes à la langue (ligne continue vs non-ligne).
Nous verrons, d’une part, comment l’informatique met en place de multiples niveaux de représentation d’un texte dont certains donnent la vision d’une ligne continue alors que d’autres en font une ligne brisée. Nous présenterons, d’autre part, la façon dont le traitement automatique des langues découpe la ligne d’un texte en segments selon les unités linguistiques qui le composent, et au-delà de ces segments cherche à recouvrer l’arbre ou le graphe des relations entre ces unités linguistiques.

4. Anatomy of a Broken Line: Why Zigzags Matter in Picturebooks
Anne Chassagnol

If numerous studies have been devoted to the use of geometry in picture-books, the role of lines in this medium has been overlooked in contemporary research. This article will particularly focus on zigzags and disconnected lines in children’s books. Far from being a graphic accident, they represent a key stage in early literacy. Using Maria Montessori and her concept of psycho geometry, I will show that broken lines help pre-schoolers identify the shapes of the alphabet, preparing them to form letters on the page. This article will also explore the narrative value of broken lines and the manner in which they function as visual metaphors that are indicative of a disruption in the plot. Drawing on Scott McCloud’s analysis in Understanding Comics. The Invisible Art, I will contend that the sudden interruption of a line signals a narrative change. Finally, this article will examine the interactive dimension of broken lines.

5. L’hétérogénéité graphique en bande dessinée
Côme Martin

Asterios Polyp de David Mazzucchelli, publié en 2009, se présente comme un roman graphique très conventionnel. Pourtant, de par son usage original de la couleur, par la représentation graphique de ses protagonistes et de la typographie, il se révèle après analyse un cas exemplaire d’application d’une hétérogénéité graphique au service d’un récit protéiforme et d’une caractérisation complexe du personnage éponyme. En détournant des codes qui semblent contraindre son média et en laissant au lecteur nombre d’espaces interprétatifs au lieu d’expliciter ses intentions, Mazzucchelli produit une œuvre maîtrisée en tous ses aspects et représentative de la bande dessinée d’auteur contemporaine.

Débordements, échappées : espaces entoilés

 

6. Toutes à la ligne : de Arundhati Roy à Chiharu Shiota, la grammaire du fil
Elsa Sacksick

Le roman de Arundhati Roy, The God of Small Things, est traversé de lignes brisées et se construit sur cette dynamique en convoquant la métaphore du fil. Qu’il s’agisse de la ligne narrative, syntagmatique ou des mots eux-mêmes, toutes les lignes sont systématiquement coupées, cisaillées mais aussi dans un double mouvement nouées ensemble autrement et ravaudées. Je me servirai en contrepoint du travail de Chiharu Shiota, artiste japonaise contemporaine, pour voir comment cette thématique de la ligne et du fil brisés emprunte les mêmes chemins sur le plan des arts plastiques. Si les deux femmes présentent systématiquement dans leurs oeuvres des lignes accidentées, elles les font en parallèle bouger, bifurquer, buissonner. Elles explorent ce qui est derrière les lignes : le rêve et le « reste » (au sens de Jean-Jacques Lecercle).

7. Lines of Identity: The Preference for the Broken Line in the Handloom Weaving of the Nagas of Northeast India
Marion Wettstein

This article discusses four hypotheses as answers to the following question: why do the design of the textiles of the Nagas in Northeast India exhibit a strong preference for the broken line?  Starting from the seemingly most self-evident hypothesis and proceeding to more speculative ones, this essay shows that the preference for the broken line is (hypothesis 1) an outcome of technical pre-settings, (hypothesis 2) a habit that leads to a distinctive taste, (hypothesis 3) a result of symbolic identity politics, and (hypothesis 4) a technique within ‘the art of not being governed.’

La ligne brisée : pratiques, gestes, paroles, installations

8. Parcours et paroles d’artiste : lignes brisées, lignes de reliance
Élodie Barthélemy

Élodie Barthélemy dans cet entretien retrace son parcours de plasticienne. Elle aborde dans ses œuvres la mémoire familiale, traite les questions sociales et politiques : la régularisation des sans-papiers, la guerre de Bosnie, historiques : l’héritage esclavagiste de la France, l’histoire d’Haïti et ses répercussions économiques et sociales actuelles. Son goût pour la ligne brisée se développe lors de collectes auprès du public d’empreintes génétiques intuitives en tissus rayés pour son Laboratoire d’art génétique. Elle apprécie les caractéristiques de la ligne brisée au sein de la trame structurelle du tissu : souplesse grâce aux vides et résistance aux tensions. La ligne brisée fait lien générant foisonnement et vie. L’artiste explique ensuite la démarche choisie pour son exposition Un lieu en liens en Martinique (2017) : confronter un dispositif de création à un environnement et l’éprouver pour qu’il puisse créer de la rencontre. Les lignes brisées deviennent alors, non des lignes de rupture, mais des points de contacts entre les participants à sa création. Elle décrit sa place d’actrice et d’artiste dans ce dispositif. La raison du choix des matériaux de prédilection : le fil, les sièges. L’importance de rendre hommage aux participants. La nécessité de relier les tableaux à l’espace d’exposition. Elle reconnait dans la ligne brisée pour l’avoir expérimentée dans son installation Capteurs un vecteur d’énergie. Elle explique en quoi sa sculpture Jalouzi repose sur la dynamique des lignes brisées générant déséquilibre et mouvement. Elle révèle au final l’axe directeur de cette exposition : l’hospitalité.

Les auteurs

 




First call for papers – 4th International conference on science & litterature

ICSL – 4th International conference on science & litterature
– 2-4 july 2020 | Girona, Spain –

Following the successful three International Conferences on Science and Literature which took place in Athens, Poellau and Paris, this Conference is the fourth to be organized under the aegis of the Commission on Science and Literature DHST/IUHPST. The fourth International Conference will be organized by the Càtedra Dr. Bofill de Ciències I Humanitats (Dr Bofill Chair on Science and the Humanities) integrated at the University of Girona (UdG) with the technical support of the Commission on Science and Literature. As it was the case with the first three Conferences, the fourth one does not have a specific theme, as its intent continues to be the creation of an open forum for all scholars interested in Science and Literature. Nevertheless, the Conference will be organized along thematic sessions. Those proposed by the Organizing Committee are:

  • Science in Western Art
  • Literature and Medicine
  • Science and Religion
  • Poetry and Science
  • Scientific Genres in Science Fiction
  • Mathematics, Physics and Literature
  • Women in the History of Science, Philosophy and Literature
  • Other themes, according to the papers accepted by the Scientific Committee, can be organized.

Proposals for individual papers or panels of three or four papers should be submitted from December 1st, 2019, until February 29th, 2020. They must include the title of the paper (or the theme of the panel), name and affiliation of the author(s), an abstract of no more than 350 words and a short CV. Proposals and inquiries about practical matters may be sent to  gvlahakis@yahoo.com and cgamez@unav.es.
An international scientific committee will review the submissions and notice of acceptance will be sent at the beginning of March 2020.

Juan Ortega will be the chair of the Local Organizing Committee.

Registration: March 1st to May 30th, 2020

Registration fees (include coffee, tea, refreshments and Conference material): 100 Euros

Fees for students and early career scholars : 50 Euros

Participants are asked to make their own arrangements concerning their accommodation in Girona, but the Conference organizers will publish useful information.

Further information will be found in www.icscienceandliterature.com and in the second CfP.




Ernest Renan : savoirs de la nature et pensée historique

présentée et soutenue publiquement par
Azélie FAYOLLE

Sous la direction de Mme Gisèle SÉGINGER (Professeure, UPEM),

le 29 novembre 2019,

Université Paris-Est,
École doctorale Cultures et Sociétés.
Thèse pour obtenir le grade de Docteur de l’Université Paris-Est, spécialité : Littérature française.

Jury :
Mme Sophie BASCH (Professeure, Sorbonne-Université) – Présidente
M. Claude BLANCKAERT (Directeur de Recherche, C.N.R.S.) – Examinateur
M. Maurice GASNIER (Maître de Conférences H.D.R., U.B.O.) – Examinateur
M. Thomas KLINKERT (Professeur, Université de Zürich) – Rapporteur
Mme Annie PETIT (Professeure, Université Paul-Valéry) – Rapporteur
M. Michel PIERSSENS (Professeur, Université de Montréal) – Examinateur

 

Résumé:

Inscrite dans le sillage de l’épistémocritique, cette thèse se propose d’étudier les rapports entre histoire et sciences naturelles dans l’ensemble du corpus d’Ernest Renan. Les sciences naturelles ne sont pas, pour l’historien, une préoccupation de premier plan : elles restent cependant, tout au long de ses travaux, un modèle méthodologique constant. Cette thèse vise ainsi à reconstituer l’élaboration du modèle de pensée que représentent pour lui les sciences naturelles, modèle qui remplace progressivement dans ses notes de travail celui des sciences physiques. La première partie de ce travail reconstitue la pensée de la « science idéale », ainsi que son application en une « science positive », pensée que Renan a développée dans L’Avenir de la science (1848, 1890) et dans de nombreux articles. En élaborant une classification des sciences, Renan se fait un des fondateurs des « sciences de l’humanité », tout en favorisant un dialogue interdisciplinaire. La deuxième partie retrace ensuite les méthodes historiques et philologiques de Renan en les replaçant dans le contexte des avancées naturalistes de la période. Ainsi, de l’embryogénie à la philologie comparée, inspirée de l’anatomie comparée de Cuvier puis d’Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, les sciences naturelles constituent pour Renan un réservoir d’outils méthodologiques. Cette reconstitution des méthodes de l’historien débouche sur une analyse des métaphores employées par Renan : l’embryon, mais aussi le germe ou la propagation, construisent patiemment une histoire des religions remotivée par les avancées scientifiques du XIXe siècle, comme la découverte des virus. La troisième partie ressaisit l’idée de nature sous-jacente dans les texte de Renan, pour interroger la fabrique de l’histoire et le statut du document pour l’historien. Renan est le premier en France à réaliser une étude sécularisée et scientifique des textes sacrés, dont la Bible. Ce projet sulfureux le conduit à élargir la notion de document : le texte sacré devient une source pour le philologue, comme la nature et les paysages eux-mêmes. La production du document par l’historien n’est pas en reste : la question du statut du texte de l’historien, faits de conjectures et d’hypothèses, conduit Renan à développer une épistémologie historienne et scientifique qui interroge le statut de la fiction,
placée dans ses Dialogues philosophiques (1876) entre les certitudes, les probabilités et les rêves. L’exemple du corpus renanien permet ainsi non seulement un cas pratique d’épistémocritique, mais un approfondissement des théories de la métaphore et de la fiction dans le contexte de textes scientifiques. La péremption des modèles de pensée et des images de Renan crée en effet d’estrangement, dont la métaphoricité se fait plus sensible.