Langage intérieur / Espaces intérieurs. Inner Speech / Inner Space

Pourquoi se parler, intérieurement ? De quoi nous parlons-nous ? Comment se structurent nos espaces mentaux ? L’abondance des études sur le langage intérieur ces dernières décennies est spectaculaire. Néanmoins, des lacunes subsistent et des pans entiers restent à explorer, comme la question des espaces intérieurs. La représentation des espaces intérieurs n’a généralement été abordée que sous un angle métaphorique, ou indirect. Les liens entre espaces intérieurs et langage intérieur n’ont guère été explorés au sein d’une discipline et encore moins à l’interface entre plusieurs disciplines. L’objectif de ce numéro d’Épistémocritique est de poser des premiers jalons dans cette direction, à la convergence entre linguistique, neurosciences, études littéraires, théâtrales et cinématographiques.

Why do we talk to ourselves? What do we talk about, when we do? How does inner speech represents inner space? And how is such inner space structured? During the last decades, studies of inner speech have multiplied. However, many questions remain unexplored within this emerging field, such as that of the relation between inner space and inner speech, which has essentially been treated as a metaphor, or indirectly, by the concerned disciplines, or at their interdisciplinary interfaces. This issue of Epistemocritique endeavors to remediate this lack through contributions at the crossroads of linguistics, cognitive neuroscience, and literary, theater and film studies.

Epistémocritique, volume 18

Langage intérieur / Espaces intérieurs. Inner Speech / Inner Space

Introduction « Voix et représentations intérieures de l’espace » 

Introduction « Inner voices and represantation of inner space »

Smadja Stéphanie, « Le langage intérieur : un nouveau protocole d’enquête. Fait linguistique et fait endophasique. »

Smadja Stéphanie, Paulin Catherine, « Espaces et parole intérieure en prison » 

Bloch Béatrice, « Habiter en nomade le « je » (Lecture et écriture du « je » dans Prison, de François Bon) » 

– Jaén Portillo Isabel, « Body, Interiority and Affect in Memoria Histórica Cinema: Can Cinema of Empathy Advance the Cause of the Victims of Fascism?» 

– Diem Christophe, « “How Can I Return to Form, Now My Formal Thought Has Gone?”: Meandering Thought, Contested Subjectivity, and the Struggle for Form in Sarah Kane’s 4.48 Psychosis » 

– Caralp Jean-Michel, « De la chambre biographique à la chambre comme métaphore du psychisme dans l’œuvre de Kafka. Ou la littérature comme mode auto-thérapeutique du syndrome d’Asperger » 

– Lœvenbruck Hélène, « What the neurocognitive study of inner language reveals about our inner space » 

– Patoine Pierre-Louis, « Lecture incarnée et endophasie : avec quel corps (genré) habite-t-on The Sun Also Rises de Hemingway et The Aspern Papers de Henry James ? »

Article hors série :

Thomas M. Byron, « Limitations in Experimental Method in Balzac’s La Peau de chagrin » 

Notes sur les auteurs

ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XVIII




Introduction : Voix et représentations intérieures de l’espace

Qu’est-ce que cette petite voix dans notre tête ? À quoi sert-elle ? Pourquoi se parler, en son for intérieur ou à voix haute ? Quelles sont les formes et les modalités de langage intérieur ? Et quel rôle joue-t-il dans notre rapport au texte littéraire, théâtral ou cinématographique ? Malgré d’abondantes publications ces quarante dernières années, principalement en anglais, la plupart des études sur la parole intérieure commencent par un sempiternel constat de méconnaissance. Récemment encore, le sociologue Norbert Wiley (2016) ne déroge pas à cette règle tacite. Il faudrait en réalité distinguer soigneusement les questions qui ont polarisé l’attention, les disciplines qui restent peu impliquées, et les lacunes qui s’en suivent (pour un état de l’art plus complet sur le langage intérieur, voir Bergounioux, 2001, et Smadja, à paraître). Au sein d’un domaine où il subsiste encore des pans entiers à explorer, l’espace intérieur, c’est-à-dire les représentations mentales de l’espace, a un statut particulier, puisqu’il n’est quasiment pas abordé ou seulement de façon indirecte et/ou métaphorique. Pourtant, notre parole intérieure participe de l’élaboration des espaces imaginés que nous habitons au quotidien, qu’il s’agisse de nous remémorer des environnements familiers, de nous projeter dans des espaces fictionnels lors de la lecture d’un roman ou à l’occasion d’une rêverie, ou de planifier un déplacement vers un lieu réel. Le présent numéro d’Épistémocritique – Revue de littérature et savoirs vise à remédier à ce manque, en explorant les liens entre parole et espace intérieurs. Afin de nous mieux orienter dans cette exploration, nous vous proposons maintenant quelques repères qui ont jalonné l’histoire de ce domaine.

Pendant la deuxième moitié du xixe siècle, le langage intérieur fait l’objet de plusieurs ouvrages, principalement en France mais aussi en Allemagne. En France, une opposition très nette se dégage entre le philosophe Victor Egger d’un côté (1881) ; et les médecins Gilbert Ballet (1886) et Georges Saint-Paul (1892, 1905, 1912) de l’autre, tous deux dans la lignée de Ribot et Charcot. Il s’agit moins d’une querelle de personnes que d’une opposition disciplinaire et idéologique entre, d’une part, une tradition philosophique qui inclut une réflexion théologique, psychologique, linguistique, littéraire et, d’autre part, la revendication d’un nouveau discours savant médical, qui mêle approche physiologique et réflexions psychologiques. La création du terme endophasie, synonyme de parole intérieure, par Georges Saint-Paul est tout à fait significative à cet égard. En parallèle, l’écrivain français Dujardin publie le tout premier monologue intérieur (1887), dont la nouveauté reste inaperçue jusqu’aux années 1920. La poésie, le théâtre et la musique participent également, en ce tournant du xxe siècle, d’une convergence vers la représentation de l’intériorité (voir Jenny 2002).

Jusqu’à la Seconde guerre mondiale, l’invention de la notion d’inconscient et la création de la psychanalyse modifient la conception du sujet et l’appréhension de la parole intérieure : l’effet en est déjà visible chez les disciples de Charcot, contrairement à Victor Egger qui ignore totalement ce nouveau champ. Deux psychologues contribuent par ailleurs à déplacer la question du langage intérieur vers celle du langage égocentrique, autrement dit le monologue à voix haute des enfants : le Suisse Jean Piaget, qui invente le terme, et le Russe Vygotski, mort précocement en 1934. L’ouvrage majeur de ce dernier, Pensée et langage, paraît de façon posthume cette même année. À l’étranger, il reste méconnu de nombreuses années, jusqu’à une traduction en anglais, lacunaire et fautive (1962), puis une traduction intégrale en français par Françoise Scève (1985), suivie d’une nouvelle publication anglaise, plus complète, au cours de la même décennie. Vygotski révolutionne totalement les études sur l’endophasie. Il en envisage les formes linguistiques mais aussi les fonctions positives, jusque-là peu mises en valeur si ce n’est à travers les représentations littéraires.

La traduction française de Vygotski intervient à une période post-structuraliste. Un certain nombre de notions reviennent alors en force sur la scène scientifique, telles que la conscience, le sujet, la subjectivité[1]. Bien qu’on puisse citer d’illustres prédécesseurs, à commencer par tous les aphasiologues mais aussi Freud, les neurosciences constituent une source de renouvellement épistémologiques et scientifiques, en particulier depuis les années 1970. C’est dans ce contexte que la recrudescence et l’explosion des études sur le langage intérieur prennent tout leur sens. Si les neurosciences, la psychologie et la philosophie sont extrêmement présentes, les études littéraires le sont tout autant mais rarement en discussion avec les précédentes, et la linguistique se démarque par une absence presque totale, heureusement démentie par les travaux du linguiste Gabriel Bergounioux (2004) et de la neurolinguiste Hélène Lœvenbruck (2014, 2016). Il faudrait également ajouter en France les travaux de Guillaume et dans une moindre mesure de Culioli, ainsi que quelques articles récents. À l’étranger, citons également Katherine Nelson (1989, 2005), dont les recherches s’élaborent à partir des monologues de la petite Emily, avant de dormir (monologue in the crib). Dans la perspective du programme interdisciplinaire Monologuer, ce numéro d’Épistémocritique ouvre un dialogue entre ces champs disciplinaires afin de mieux comprendre l’articulation entre langage et espace intérieurs.

Bien que les articles réunis ici dépassent largement les frontières des études littéraires, le numéro relevant pleinement le pari de l’interdisciplinarité en accueillant notamment un article de neurolinguistique (celui d’Hélène Lœvenbruck), ils fournissent tous des outils, conceptuels ou méthodologiques, pour comprendre la littérature, cette pratique artistique qui mobilise la parole intérieure, celle du lecteur comme celle de l’écrivain, pour nous immerger au sein d’espaces intérieurs. En ouvrant ses pages à des savoirs construits par des méthodes peu utilisées en études littéraires (protocoles expérimentaux et enquêtes de terrain linguistiques, par exemple avec Smadja et Paulin dans le cadre d’une enquête en milieu carcéral), ce numéro d’Épistémocritique fournit des observations précises sur les mécanismes cognitifs et corporels par lesquels le texte advient. Résolument contemporaine, l’épistémocritique se saisit ici des recherches les plus actuelles menées sur la parole intérieure, et nous permet ainsi d’interroger à nouveaux frais la manière dont celle-ci traverse les textes littéraires, théâtraux et cinématographiques. Neuves, ces interrogations s’inscrivent dans une histoire des idées où les études littéraires, tout au long du xxe siècle, se nourrissent des apports de la linguistique, une histoire que décrit Stéphanie Smadja dans son article « Le langage intérieur : un nouveau protocole d’enquête ». Le pari pris par ce numéro est que les recherches, menées ces dernières années dans ce champ qui s’est constitué autour de la parole intérieure, sont à même de poursuivre cette histoire.

Quel est le bilan aujourd’hui de ce champ florissant ? En français, nous avons plusieurs termes pour désigner la parole intérieure, qui ne sont pas tous synonymes. Le « langage intérieur » est plus large et désigne le langage verbal mais aussi visuel ou sonore. Le « discours intérieur » est davantage utilisé par des stylisticiens ou des linguistes, tout comme la notion d’« endophasie », créée par un médecin mais rarement employée aujourd’hui en dehors des deux disciplines précédemment évoquées. La « parole intérieure » est un hyponyme de « langage intérieur » et désigne la composante verbale de la vie intérieure. Les fonctions du langage intérieur et ses contenus ont été abondamment analysés. Les composantes de la vie intérieure (paroles, images, émotions, sensations) ont notamment été étudiées par Hurlburt et ses collègues (2011). Bien que le fonctionnement neuronal du langage intérieur ait été moins exploré que celui du langage extériorisé, il est devenu, ces dernières années, l’objet d’un certain nombre d’études. Le projet ANR Inner Speech, porté par Hélène Lœvenbruck au sein du laboratoire de Psychologie et Neurocognitition à l’Université de Grenoble, a favorisé des avancées dans le domaine, synthétisées dans l’article que présente la chercheure dans ce numéro. La même équipe a souligné la différence entre parole délibérée et vagabondage mental, vagabondage dont traite l’article de Christof Diem dans le contexte de la dramaturgie de Sarah Kane. Les « formules endophasiques », pour reprendre l’expression de Georges Saint-Paul (se parler / lire sa pensée / écrire sa pensée / etc.), ont été moins étudiées. La principale lacune dans le domaine reste les formes linguistiques de la parole intérieure, faute de disposer de méthodes de collecte et d’un corpus d’analyse : pallier cette lacune est l’un des objectifs du protocole 2R Monologuer.

Depuis 2010, Monologuer[2] est le premier programme de recherche, interdisciplinaire et international, à aborder le langage intérieur selon un empan disciplinaire très large : la linguistique comme discipline socle, mais aussi la littérature, les neurosciences, la philosophie, la médecine, la musicologie, la sociologie, etc. Plus de quarante-cinq chercheurs sont aujourd’hui impliqués, mais aussi des artistes et des acteurs de la société civile. Nous comparons des représentations artistiques et des restitutions de vie réelle pour étudier le langage intérieur sous tous ses aspects. Notre démarche relève à la fois de la recherche fondamentale, de la recherche-action (projet avec Médecins du Monde, projets en hôpital) et de la recherche-création (pour l’instant essentiellement autour de la danse et du théâtre). Une collection éditoriale correspond au programme de recherche : la collection « Monologuer » aux éditions Hermann (directrice de collection : Stéphanie Smadja).

Les études de terrain sur la parole intérieure se fondent en général sur deux types de méthodes : la méthode du bip aléatoire ou DES (Hurlburt 2011) et le questionnaire rétrospectif (Georges Saint-Paul 1892). Il faudrait également considérer les séances de psychanalyse, qui sont évidemment en lien avec une parole intérieure que l’on extériorise bien que la présence de l’analyste soulève de multiples questions du point de vue énonciatif. L’inconvénient des questionnaires rétrospectifs réside précisément dans leur caractère rétrospectif : la représentation est alors reconstruction. Or, s’il est impossible d’accéder directement au langage intérieur, il est néanmoins nécessaire de limiter les biais. Le bip aléatoire d’Hurlburt suppose que le participant conserve sur lui une petite machine qui sonne de façon aléatoire six à huit fois par jour, sur trois à sept jours. Quand la machine sonne, le participant reporte ce qui se passait dans son esprit à ce moment-là. À l’issue de ces trois à sept jours, un entretien en face à face est organisé pour expliciter les expériences intérieures des participants. La méthode d’Hurlburt combine deux avantages, précieux : d’abord, le participant n’est pas influencé a priori par un cadre épistémologique donné, puisqu’il note ses ressentis avant l’entretien et avant la moindre question des chercheurs. Ensuite, le bip sonne de façon aléatoire et le participant ne sait jamais à l’avance quand il va noter son expérience intérieure. En revanche, la transcription reste légèrement rétrospective, avec un décalage réduit. Plus problématique, le nombre d’occurrences pour chaque expérience et chaque participant ne permet pas tout à fait d’élaborer des hypothèses quantitatives générales. Ce serait plutôt le nombre d’expériences combinées sur plus de trente ans par Hurlburt et ses collègues qui favoriserait les hypothèses générales.

Dans le cadre du programme Monologuer, un protocole d’enquête a été créé par Stéphanie Smadja en 2014 (voir les ouvrages de Smadja et Paulin à paraître, et Smadja à paraître, pour un descriptif détaillé du protocole ; ainsi que leurs articles dans le présent numéro). Ce protocole a été amélioré depuis par les chercheurs qui travaillent sur les corpus de vie réelle (notamment par Catherine Paulin, Gabriel Bergounioux, Hélène Lœvenbruck, Louisa Hsiang-I Lin) comme par les participants aux enquêtes Monologuer, dont les suggestions ont été prises en compte au fur et à mesure. En octobre 2018, 113 participants avaient suivi ce protocole, ce qui permet d’élaborer des hypothèses à la fois qualitatives et quantitatives sur les formes et les fonctions du langage intérieur. Enfin, les expérimentations neuroscientifiques permises par les avancées technologiques récentes ouvrent la voie à une confrontation inédite entre résultats de l’introspection et corrélats neuronaux ou physiologiques, menée par plusieurs équipes (par exemple Fernyhough et Alderson-Day).

À partir de ces différentes sources d’informations, nous pouvons interroger les formes que prend un aspect précis de la vie intérieure ou du langage intérieur. Ce numéro d’Épistémocritique porte sur l’espace intérieur, qui reste impensé en tant que tel dans presque toutes les disciplines précédemment évoquées. L’espace intérieur relève à la fois de la dimension verbale et de la dimension visuelle et kinesthésique de la vie intérieure. Pour la seconde, l’espace a été essentiellement envisagé par rapport à la question de l’orientation (spatial navigation : voir par exemple Epstein 2008, Kravitz et al. 2011 ; ou les travaux menés autour des cellules de lieu et des cellules de grille) ou de la situation dans l’espace et de la saisie des objets qui nous entourent (voir Filimon et al. 2007). Ce n’est donc pas l’espace en tant que tel mais ce qui s’y passe qui fait l’objet d’étude, autrement dit le mouvement dans l’espace. La représentation verbale de l’espace est analysée de quatre façons : d’un point de vue sémantique, en linguistique (voir notamment la thèse de Jeanne-Marie Barbéris 1998, qui ne concerne cependant que les représentations de l’espace lors d’échanges extériorisés) ; du point de vue de la compréhension, soit de textes littéraires soit de langage ordinaire (voir en particulier Irrazabal & Burin 2016 mais aussi AbdulSabur et al. 2014 ; Chow et al. 2013 ; Ferstl et al. 2007 ; Speer et al. 2009 ; Zwaan et al. 1999) ; du point de vue poétique et philosophique (voir Papasogli 2000, Beugnot 2002 et Chrétien 2014) ; enfin, dans le cadre d’études sur la mémoire de travail (voir l’ouvrage de Logie en 1995 mais aussi les articles de Brunye & Taylor 2008 ; De Beni et al. 2005 ; Gyselinck et al. 2007). C’est finalement principalement en lien avec la mémoire ou la lecture silencieuse que les représentations de l’espace en parole intérieure sont envisagées (voir dans le présent numéro l’article de Pierre-Louis Patoine sur les déplacements dans les espaces imaginés dont le lecteur fait l’expérience à travers un langage intérieur incarné).

Des métaphores spatiales sont souvent utilisées pour représenter le temps. Nous pourrions supposer qu’il serait donc plus simple de représenter l’espace, mais ce dernier suscite lui aussi, bien souvent, des discours indirects ou métaphoriques, quand il n’est pas passé sous silence, comme simple condition d’énonciation allant pour ainsi dire de soi. L’espace, comme le temps, peut se définir au moins de deux façons : l’espace physique, dont la représentation se fondait sur des critères stables et mesurables jusqu’aux nouveaux paradigmes de la physique quantique, et l’espace perçu subjectivement. Bernard Beugnot commente en 2002, dans un article portant sur « quelques figures de l’espace intérieur » :

[…] l’espace est une imagerie, omniprésente certes, mais souvent nimbée de flou et toujours sous la menace d’antithèses simplistes (extérieur / intérieur ; public / privé) ou d’une contamination par la modernité. Sorte donc de forme vide qui n’accède à l’existence que par l’habitat qu’elle appelle et suscite, par les formes qu’elle accueille ou invente, par l’investissement graphique ou visuel de représentations mentales, ce par quoi la catégorie générale acquiert une spécificité, devenant territoire, c’est-à-dire espace porteur de la signature du singulier. (30)

Contrairement à l’article de Bernard Beugnot, ce numéro d’Épistémocritique n’est consacré ni à un espace « intérieur » au sens d’espace intime (donc un espace physique extérieur), ni à un espace « moral ou spirituel » en tant que tel ni aux métaphores spatiales pour décrire la vie intérieure, mais aux représentations intérieures de l’espace, c’est-à-dire aux représentations spatiales telles qu’elles peuvent résonner en langage intérieur. Il peut s’agir de représentations d’espaces privés ou publics, à travers une enquête de vie réelle (Stéphanie Smadja et Catherine Paulin à partir d’une enquête sur la vie intérieure en milieu carcéral) ou à travers des corpus littéraires (Béatrice Bloch sur le romancier François Bon ; Jean-Michel Caralp sur Kafka ; Pierre-Louis Patoine sur Hemingway et Henry James), cinématographiques (Isabel Jaén Portillo sur Benito Zambrano) ou dramaturgiques (Christof Diem sur Sarah Kane). Ce numéro reflète l’approche interdisciplinaire appelé par son objet, le langage intérieur, dans la mesure où la neurolinguistique est représentée (Lœvenbruck), mais aussi la linguistique (Stéphanie Smadja et Catherine Paulin), les études littéraires (Béatrice Bloch), la psychanalyse (Jean-Michel Caralp), la philosophie et les études dramaturgiques (Christof Diem) ou cinématograhiques et cognitives (Isabel Jaén Portillo).

Au sein d’un parcours qui commence par la linguistique et s’achève avec la neurolinguistique, des sous-ensembles se dessinent, comme les représentations de l’espace en milieu carcéral (restitutions de vie réelle : Catherine Paulin et Stéphanie Smadja ; représentations littéraires ou cinématographiques à partir d’expériences réelles : Béatrice Bloch et Isabel Jaén Portillo) ou encore l’apport des neurosciences avec la synthèse des avancées les plus récentes par Lœvenbruck et l’article de Patoine qui montre l’utilité de celles-ci pour comprendre la lecture littéraire, dans la perspective de la « cognition incarnée » également adoptée par Jaén. Au-delà de sa dimension cognitive, la parole intérieure est également discutée en lien avec des moments historiques particuliers, comme la période franquiste, dont Jaén analyse la représentation filmique dans La voz dormida et son impact empathique et politique sur le spectateur, ou la postmodernité et sa remise en question du sujet cartésien, sujet dont la désintégration est mise en scène dans le texte de Sarah Kane, 4.48 Psychosis, étudié par Christof Diem. L’article de Diem nous permet d’envisager le rapport entre parole intérieure et dysfonctionnement psychique (ici, la psychose), un rapport également éclairé par les recherches menées par Lœvenbruck sur l’hallucination auditive dans la schizophrénie, ou celles de Jean-Michel Caralp sur le rapport à l’espace intérieur chez Kafka, qui révèlerait un un possible syndrome d’Asperger, diagnostic a posteriori qui ne sera pas sans provoquer débats et controverses. Au final, plusieurs questions restent ouvertes : les représentations intérieures de l’espace se fondent-elles plutôt sur la parole intérieure ou sur les images ? Quel est le sens du passage d’une modalité à l’autre ? Que révèlent les constructions intérieures des espaces intimes de la représentation de soi ? Les espaces privés et les espaces publics sont-ils représentés différemment ? Et que nous apprennent nos représentations intérieures de l’espace de notre façon d’habiter le monde et de vivre ensemble ?

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ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XVIII


[1] Cette hypothèse générale serait à nuancer, dans la mesure où le structuralisme n’a pas entièrement négligé la question du sujet. Il suffit par exemple de penser aux travaux de Benveniste, centrés sur l’énonciation, qui impliquent nécessairement la subjectivité du locuteur.

[2] https://cerilac.univ-paris-diderot.fr/monologuer

 

 




Le langage intérieur : un nouveau protocole d’enquête. Fait linguistique et fait endophasique.

Au sein des innombrables enquêtes qui caractérisent aujourd’hui le champ des études sur le langage intérieur, plusieurs questions croisent des enjeux épistémologiques fondamentaux. D’abord, l’interdisciplinarité représente un défi majeur : de trop nombreuses approches dans le domaine restent disciplinaires et deux disciplines dominent nettement le champ, la psychologie et les neurosciences, que nous pourrions résumer en une locution, les sciences cognitives, si ces trois termes ne renvoyaient pas à des champs disciplinaires connexes mais partiellement différents à maints égards. À côté de ces disciplines dominantes, nous pouvons également citer la philosophie et la sociologie. La linguistique reste très peu représentée, ce qui semble paradoxal dès lors qu’il s’agit de langage. Ensuite, il subsiste parfois plus d’écarts que de convergences entre les approches théoriques et les enquêtes de terrain. Enfin, les enquêtes de terrain impliquent nécessairement une modification de ce dernier, puisque le sujet d’étude est un être humain, à qui l’on demande un effort d’introspection. De plus, les méthodes peuvent varier grandement, si bien qu’une question centrale réunit les trois points précédemment cités : qu’est-ce qu’un fait endophasique ?

La diversité des approches dans les enquêtes de terrain ouvre différentes possibilités qui ne mettent pas en valeur les mêmes aspects du phénomène et qui ne permettent donc pas de l’appréhender de la même façon. Dans le cadre du programme Monologuer, nous avons créé un nouveau protocole d’enquête fondé sur les représentations et les restitutions du langage intérieur (protocole 2R). Ce protocole implique le participant, qui devient en quelque sorte chercheur de lui-même, et se fonde sur sa liberté et son envie de contribuer à un projet de recherche. Néanmoins, pour notre protocole comme pour tous les autres, la question qui se pose est celle de la construction de l’objet : quels sont les faits linguistiques que permet d’étudier le protocole 2R à travers les représentations et restitutions endophasiques ordinaires ? Bien plus, la question de la définition d’un fait endophasique, reposant par nature sur la subjectivité, au croisement de l’individuel et du social, de l’idiosyncrasie et d’un dialogisme originel, a-t-elle même du sens ?

1. Langage intérieur et fait linguistique 

Pour définir un fait endophasique d’un point de vue linguistique, il faut au préalable répondre à une autre question : qu’est-ce qu’un fait linguistique ? Que sont les « faits de langue », locution qui figure au tout début du Cours de linguistique générale de Saussure (Saussure, 1905/1931, 13) ?

Selon Christian Puech et Anne Radzynski, Saussure définit le fait linguistique comme un fait social, afin de le distinguer des autres faits sémiologiques :

La nouveauté saussurienne consiste moins dans la définition de la langue comme institution que dans sa détermination comme « système formel », jeu de valeurs arbitraires, système sémiologique : autant de caractérisations qui concernent, d’un même mouvement, le mécanisme de la langue et le lien social primordial. La langue est donc « sociale » deux fois (qui n’en font qu’une) : elle est sociale parce que le principe qui la régit (l’arbitraire) la fait échapper à toute maîtrise rationnelle, individuelle ou collective ; elle est sociale également parce qu’elle est un héritage, une tradition, bref, une temporalité fondatrice d’un ordre de faits spécifiques, les faits sémiologiques, et fondatrice de l’arbitraire lui-même. (Puech, Radzynski, 1988, 81)

En définitive, il s’agit de déployer les enjeux de la linguistique, discipline nouvelle, et de la distinguer de la sémiologie. Selon Saussure, la linguistique est une « institution sans analogue » (Puech, Radzynski, 1988, 80). Pour Meillet, imprégné des théories de Durkheim, la scientificité de la linguistique repose sur le rapport entre structure sociale et structure linguistique : « il faudra déterminer à quelle structure sociale répond une structure linguistique donnée, et comment, d’une manière générale, les changements de structure sociale se traduisent par des changements linguistiques. » Selon Meillet, en effet, « le langage est éminemment un fait social » et sa réalité est double :

Elle est linguistique : car une langue constitue un système complexe de moyens d’expression, système où tout se tient et où une innovation individuelle ne peut que difficilement trouver place si, provenant d’un pur caprice, elle n’est pas exactement adaptée à ce système, c’est-à-dire si elle n’est pas en harmonie avec les règles générales de la langue.

À un autre égard, la réalité de la langue est sociale : elle résulte de ce qu’une langue appartient à un ensemble défini de sujets parlants, de ce qu’elle est le moyen de communication entre les membres d’un même groupe et de ce qu’il ne dépend d’aucun des membres du groupe de la modifier ; la nécessité même d’être compris impose à tous les sujets le maintien de la plus grande identité possible dans les usages linguistiques ; le ridicule est la sanction immédiate de toutes les déviations individuelles, et, dans les sociétés civilisées modernes, on exclut les principaux emplois par des examens ceux des citoyens qui ne savent pas se soumettre aux règles du langage, parfois assez arbitraires, qu’a une fois adoptées la communauté. (Meillet, 1921, 1936/1982, 16-17)

La tension entre système général de la langue et usage individuel implique un écart entre langue et discours, dont il est impossible de faire l’impasse pour étudier le langage intérieur. Christian Puech et Anne Radzynski commentent la position de Meillet :

Tout le destin de la linguistique se joue bien chez Meillet dans cet écart entre « l’historique particulier » et le « général systématique » où oscille l’analyse des faits de langue, du refus des « lois nécessaires » adoptées comme un dogme par la science antérieure, à l’exigence explicative qui caractérise la modernité. (Puech, Radzynski, 1988, 83)

La quête d’un équilibre entre fait particulier et fait général aboutit chez Meillet à l’idée d’une linguistique générale au cœur de l’interdisciplinarité, tandis que Saussure prône plutôt une restriction du champ. L’un et l’autre partent de l’hypothèse que le langage « est une institution ayant son autonomie » (Meillet, 1921, 1936/1982, 17). Meillet postule à partir de là que le langage « a des conditions anatomiques, physiologiques et psychiques et il relève de l’anatomie, de la physiologie et de la psychologie qui l’éclairent à beaucoup d’égards et dont la considération est nécessaire pour établir les lois de la linguistique générale » (Meillet, 1921, 1936/1982, 17). Saussure lui place la linguistique au cœur de l’interdisciplinarité mais au prix d’une double orientation, vers les disciplines qui s’occupent de la « valeur » des faits.

Tout l’enjeu est bien la définition et la légitimité de la linguistique, autrement dit la scientificité de la démarche linguistique. C’est du reste par là que commence le Cours de Saussure lorsqu’il évoque « la science qui s’est constituée autour des faits de langue » afin d’en retracer l’historique et d’en analyser l’objet, condition préalable à la scientificité de la linguistique pour Saussure. Ainsi commente-t-il les limites de la grammaire comparée :

Mais cette école, qui a eu le mérite incontestable d’ouvrir un champ nouveau et fécond, n’est pas parvenue à constituer une véritable science linguistique. Elle ne s’est jamais préoccupée de dégager la nature de son objet d’étude. Or, sans cette opération élémentaire, une science est incapable de se faire une méthode. (Saussure, 1905/1931, 16)

Dès lors, Saussure assigne trois tâches à la linguistique :

a) de faire la description et l’histoire de toutes les langues qu’elle pourra atteindre, ce qui revient à faire l’histoire des familles de langues et à reconstituer dans la mesure du possible les langues mères de chaque famille ;

b)  de chercher les forces qui sont en jeu d’une manière permanente et universelle dans toutes les langues, et de dégager les lois générales auxquelles on peut ramener tous les phénomènes particuliers de l’histoire ;

c)  de se délimiter et de se définir elle-même. (Saussure, 1905/1931, 20)

Benveniste, commentant les objectifs décrits par Saussure, met en valeur le troisième point :

C’est ici que Saussure se présente, d’emblée, dans la méthodologie comme dans la pratique, à l’exact opposé de Peirce. Chez Saussure la réflexion procède de la langue et prend la langue comme objet exclusif. La langue est envisagée pour elle-même et la linguistique se voit assigner une triple tâche :

1) décrire en synchronie et diachronie toutes les langues connues ; 2) dégager les lois générales qui sont à l’œuvre dans les langues ; 3) se délimiter et se définit elle-même.

Programme dont on n’a pas remarqué que, sous des dehors rationnels, il recèle une étrangeté, qui en fait justement la force et l’audace. La linguistique aura donc pour objet, en troisième lieu, de se définir elle-même. Cette tâche, si on veut bien l’entendre pleinement, absorbe les deux autres et, en un sens, les détruit. (Benveniste, 1939-1964/1998, 45-46)

Que signifie « définir la linguistique » aux yeux de Benveniste relisant Saussure ? Il s’agit de définir un fait linguistique :

Tout se commande dans cette exigence, et le linguiste ne peut tenir l’une de ses tâches distincte des autres ni en assumer aucune jusqu’au bout, s’il n’a d’abord pris conscience de la singularité de la langue entre tous les objets de science. […] Là est la grande nouveauté du programme saussurien. La lecture du Cours confirme aisément que pour Saussure, une linguistique n’est possible qu’à cette condition : se connaître enfin en découvrant son objet. (Benveniste, 1939-1964/1998, 46)

Pour Benveniste, Saussure fonde la linguistique comme étude de la langue à travers l’étude du langage :

La préoccupation de Saussure est de découvrir le principe qui domine la multiplicité des aspects où nous apparaît le langage. Seul ce principe permettra de classer les faits de langage parmi les faits humains. La réduction du langage à la langue satisfait cette double condition : elle permet de poser la langue comme principe d’unité et du même coup de trouver la place de la langue parmi les faits humains. Principe de l’unité, principe de classement, voilà introduits les deux concepts qui vont à leur tour introduire la sémiologie.

Ils sont l’un comme l’autre nécessaires à fonder la linguistique comme science : on ne concevrait pas une science incertaine de son objet, indécise sur son appartenance. Mais bien au-delà de son souci de rigueur, il y va du statut propre à l’ensemble des faits humains. (Benveniste, 1939-1964/1998, 47)

La définition de l’objet de la linguistique et, à partir de là, le choix d’une méthode, renvoient donc à un enjeu crucial, celui de la définition et de la scientificité même de la discipline. Concrètement, la linguistique construit son objet davantage qu’elle ne le définit. Ou elle le définit en le construisant. Louis Marin commente (Marin, 1975, 51) : « La science a pour objet ce qui la rend possible. Elle se construit en construisant son objet. » Il souligne le paradoxe d’une exclusion inclusive :

Autrement dit, le geste de découpe théorique est à la fois fondamental pour qu’il y ait connaissance objective et dénié puisque la prétention de la science est bien de maîtriser théoriquement la totalité des faits du langage. L’exclusion des pratiques vécues du langage est nécessaire si une connaissance du langage est possible, mais cette exclusion semble niée par l’opération qu’elle fonde et qu’elle permet puisque c’est bien le langage qui sera désormais objet de connaissance, puisque c’est bien la « réalité » du langage qui est connue avec et par la construction de l’objet théorique, « langue » qui a permis cette connaissance.

5. Il n’est pas alors surprenant de voir l’exclu — ainsi les pratiques vécues, inconscientes du langage — revenir hanter la construction théorique, ne serait-ce qu’en soulignant l’opération d’exclusion elle-même.

Quand bien même l’objet de la linguistique serait la langue et non le langage, la première ne saurait être appréhendée qu’à partir du second : tel est bien le défi de la linguistique telle que la définit Saussure et la source de maintes querelles épistémologiques.

Benveniste attire l’attention sur un adjectif fondamental, commun à plusieurs disciplines : humain. Qu’est-ce qu’une science de l’humain ? Un tel concept est-il réellement envisageable ? C’est aussi l’enjeu sous-jacent à toute étude du langage intérieur. Comment analyser d’un point de vue scientifique des phénomènes relevant de l’humain ? Existe-t-il même des « faits » de ce point de vue ? L’une des réponses a été proposée par le structuralisme : évacuer le sujet et la subjectivité, réfléchir aux « systèmes », aux structures, en un mot aux langues ou, à la rigueur s’il faut aborder le discours, aux sociolectes. Dans une telle démarche, les notions d’idiolecte et d’idiosyncrasie impliquent une échappée hors du domaine de la science, ni le style ni la stylistique n’ont leur place dans l’ensemble des « sciences humaines », encore moins le « langage intérieur », bien trop proche d’une subjectivité jugée inaccessible à toute analyse scientifique. Après les années 1970, la linguistique de l’énonciation, la sociolinguistique et l’analyse du discours se construisent en partie contre les exclusions du structuralisme dominant depuis la Seconde guerre mondiale. Le champ des études endophasiques se restructure également à partir de présupposés radicalement différents. La question des implicites théoriques et de la scientificité de ces approches n’en demeure pas moins cruciale.

Sur quels critères fonder la scientificité ? Entre la falsifiabilité de Popper et la pensée en termes de paradigmes de Kuhn, par exemple (nous pourrions, a minima, ajouter Foucault à la liste), les conditions de scientificité ne sont pas les mêmes et les rapports entre théorie et histoire de la linguistique changent grandement, comme le résume Bahner en 1984 :

Tout d’abord, par sa conception de l’histoire des sciences, Kuhn a nettement lancé un défi à la théorie positiviste de la science. En effet, la doctrine de Kuhn constitue une tentative pour présenter les facteurs épistémologiques et les facteurs socio-psychologiques dans leurs interdépendances mutuelles. Kuhn les considère comme un ensemble dans l’histoire des sciences ; Au contraire, la théorie dite analytique de la science à laquelle bien des théoriciens des sciences du langage ont donné leur assentiment vise à séparer radicalement la théorie de la science et l’histoire des sciences. D’après Popper, un des tenants les plus célèbres de cette théorie d’empreinte néopositiviste, l’évolution progressive des disciplines scientifiques s’effectue par bonds fréquents. Ceci serait un processus tout à fait autonome s’étendant purement sur le plan épistémologique. Dans cette optique, l’évolution progressive ressemble à une révolution permanente. Kuhn attaque cette doctrine puisqu’elle ne tient compte que des aspects cognitifs dans l’histoire des sciences. (Bahner, 1984, 24)

Pour Kuhn, aucune science sociale ne relève de cette structuration par paradigmes, en raison d’une absence de rigueur dans les critères de définition et de précision dans les instruments d’analyse. Pour le dire autrement, dans la mesure où l’objet d’étude relève de l’humain, la diversité et la variabilité des faits est irréductible à l’unicité d’une structure paradigmatique et résiste à toute étude rigoureusement scientifique. Bahner conclut qu’il « n’est pas recommandable d’employer la notion de paradigme pour l’histoire de la linguistique. Il s’agit d’une notion-clé devenue assez ambiguë et aux implications théoriques non pertinentes » (Bahner, 1984, 27). Il n’en déduit pas pour autant que la linguistique ne serait pas une science mais souligne les variations méthodologiques, qui impliquent des constructions différentes des « faits » linguistiques, et donc, une définition différente de la discipline. Enfin, il rappelle la particularité des sciences du langage, entre particulier et général, langue et discours :

Quant à l’étude des processus scientifiques se déroulant dans l’histoire de la linguistique, il me semble nécessaire d’entrelacer le plan épistémologique et les facteurs socio-historiques. Les sciences du langage ne constituent pas seulement un ensemble de connaissances liées à des procédures épistémologiques mais aussi un système d’activités sociales à caractère spécifique. (Bahner, 1984, 28)

Lorsque l’on aborde de surcroît l’endophasie, la difficulté épistémologique s’accroît puisqu’il faut également prendre en compte les variations individuelles. Faut-il donc, dès lors, renoncer à toute scientificité ? Ou, comme l’affirme Gabriel Bergounioux (2004), l’endophasie remet-elle en question les cadres théoriques de la linguistique ? Oblige-t-elle à forger d’autres outils ?

Décrire en diachronie et en synchronie les langues, dégager des lois générales, se circonscrire et se définir : ces trois objectifs saussuriens traversent les décennies, avec des variations parfois très fortes pour les deux premiers. Ces variations, qui se fondent sur la prise en compte ou non d’une dimension socio-historique et d’une dimension individuelle, soulèvent la même question : sur quoi se fonde la scientificité de la linguistique ? ou dans quelle mesure la linguistique est-elle une science : selon quelles conditions et à quel prix ? Enfin, pour ce qui nous concerne, une linguistique endophasique est-elle possible ?

2. Représentations du langage intérieur entre style individuel, variation idiolectale et fait social

Les représentations du langage intérieur à travers les siècles ont évolué dans une tension entre particulier et général, individuel et social. Je n’évoquerai ici que quelques jalons représentatifs (voir également Smadja, Paulin à paraître et Smadja à paraître).

Selon Victor Egger, le premier chercheur français à avoir consacré un essai entier à La Parole intérieure (1881), Platon n’a pas analysé la parole intérieure mais la pensée, qu’il définissait comme un « dialogue » de l’âme avec elle-même (voir Théétète). Les premiers à avoir véritablement envisagé le processus dynamique de la parole intérieure, ce sont des théologiens au XVIIe siècle. Que l’on se réfère à Bossuet ou à Fénelon, opposés dans la querelle sur le quiétisme et la possible définition d’une parole intérieure mystique, un point commun surgit : c’est dans le silence que l’on transcende l’humain pour accéder au divin. C’est dans le silence intérieur que l’on ouvre un espace de rencontre potentielle avec Dieu. La parole intérieure est implicitement renvoyée à un fait humain et à des particularités, voire des « bruits », qu’il faut taire. Pour le philosophe Victor Egger, ce phénomène mental est bien de l’ordre de la « parole » dans tous les sens du terme :

À tout instant, l’âme parle intérieurement sa pensée. Ce fait, méconnu par la plupart des psychologues, est un des éléments les plus importants de notre existence : il accompagne la presque totalité de nos actes ; la série des mots intérieurs forme une succession presque continue, parallèle à la succession des autres faits psychiques ; à elle seule, elle retient donc une partie considérable de la conscience de chacun de nous.

Cette parole intérieure, silencieuse, secrète, que nous entendons seuls, est surtout évidente quand nous lisons : lire, en effet, c’est traduire l’écriture en parole, et lire tout bas, c’est la traduire en parole intérieure ; or, en général, on lit tout bas. Il en est de même quand nous écrivons : il n’y a pas d’écriture sans parole ; la parole dicte, la main obéit ; or, la plupart du temps, quand nous écrivons, il n’y a d’autre bruit perçu que celui de la plume qui court sur le papier ; la parole qui dicte ne s’entend pas ; elle est réelle pourtant ; mais le bruit qu’elle fait, ce n’est pas l’oreille qui l’entend, c’est la conscience qui le connaît ; il n’agite pas l’air qui nous entoure, il reste immobile en nous ; ce n’est pas la vibration d’un corps, c’est un mode de moi-même. Ce bruit est vraiment une parole ; il en a l’allure, le timbre, le rôle ; mais c’est une parole intérieure, une parole mentale, sans existence objective, étrangère au monde physique, un simple état du moi, un fait psychique. (Egger, 1881, 1-2)

Pour Egger, la parole intérieure est un phénomène continu et incarné. Elle vibre dans un corps, elle a un timbre, nous pourrions ajouter un rythme et des mélodies.

Le médecin Georges Saint-Paul, qui consacre quatre livres à l’« endophasie » (néologisme qu’il forge) entre 1892 et 1912, considère que Victor Egger est un « verbo-auditif » et qu’il existe différentes « formules endophasiques » : ceux qui entendent leur pensée, comme Egger (verbo-auditif), ceux qui la lisent (verbo-visuel), ceux qui la prononcent (verbo-moteur). Ces trois premières formules correspondent aux trois types de Charcot, auxquels Saint-Paul ajoute des formules mixtes, les plus nombreuses selon lui. De plus, un même individu peut changer de formule endophasique au cours de sa vie, mais aussi au cours d’une même journée :

Ainsi, dans la même journée, le même homme peut successivement parcourir tous les stades d’une série allant du visuelisme pur — qui est généralement l’apanage du demi-sommeil ou de la rêverie faite toute éveillée, et où son esprit ne se représente que les images visuelles des choses et non les mots qui les désigne — pour aboutir au terme opposé, le verbalisme pur, — qu’il emploiera au cours d’un raisonnement algébrique où sa pensée se concrètera toute en des mots seulement, parce qu’elle est uniquement abstraite — en passant, bien entendu, par un moyen-terme, celui des raisonnements imposés sans cesse par les conditions banales de l’existence, et dans lesquels le mot et l’image auront une égale importance, parce que ces raisonnements comportent à peu près autant de termes abstraits que de termes concrets.
(Saint-Paul, 1892, 18)

La conclusion de Saint-Paul sur les formules endophasiques est particulièrement révélatrice :

il n’est pas une formule endophasique, il n’en est même pas trois ; on en trouve autant que d’individus, car si beaucoup emploient les mêmes procédés, la similitude n’est jamais complète : ainsi trouve-t-on des visages, des physionomies voisines ressemblantes, on n’en n’a jamais vu d’exactement identiques. (Saint-Paul, 1892, 53)

Une telle variation semble constituer un obstacle infranchissable du point de vue épistémologique. Egger n’en rend pas compte et s’interroge sur « la » parole intérieure, d’un point de vue à la fois philosophique, psychologique, avec des rudiments de linguistique et de littérature. Il se fonde sur des lectures abondantes, souvent philosophiques, et probablement l’auto-observation quoiqu’il ne la mentionne jamais explicitement et qu’il réfute l’accusation d’être un auditif et d’avoir érigé des lois générales à partir de son cas particulier. Saint-Paul procède à partir d’un double mouvement. D’une part, il applique une grille préétablie aux cas qu’il analyse, puisqu’il forge un questionnaire qui oblige ses participants à choisir entre les trois types de Charcot et à se catégoriser. D’autre part, il se fonde sur ses résultats de terrain (plus de 200 réponses en moins de six mois, dont celles de Zola et des Daudet) pour modifier en retour cette théorie préalable et la remettre partiellement en cause. Son objectif n’est pas d’analyser les spécificités individuelles mais de dégager des catégories communes, qui permettraient ensuite de diagnostiquer des troubles du langage et d’appliquer un traitement adapté en fonction de la « formule endophasique » de chacun. Le rapport de l’un comme de l’autre à l’interdisciplinarité varie : Egger convoque d’autres disciplines sans les hiérarchiser, tandis que Saint-Paul, sous l’égide de son directeur de thèse, le médecin Alexandre Lacassagne fondateur de l’anthropologie criminelle en France, annonce la couleur dès les premières pages de son premier ouvrage :

Dans nos sociétés modernes, le rôle du médecin doit grandir ; il doit être non-seulement, un pathologiste, un chirurgien, un hygiéniste, un thérapeute, un guérisseur, il doit par excellence être le philosophe, je dirais — si j’étais très âgé et que mes pensées fussent les mêmes l’éducateur, le prêtre. (Saint-Paul, 1892, 3)

Le changement terminologique de parole intérieure à langage intérieur et surtout endophasie correspond ici à une véritable territorialisation disciplinaire.

Dans l’entre-deux-guerres, ce sont cette fois-ci deux psychologues qui font évoluer le champ des études endophasiques : le Français Jean Piaget et le Russe Lev Vygotski. Le premier ne s’intéresse pas tant au langage intérieur qu’au langage égocentrique, locution qu’il forge, pour désigner le monologue à voix haute des enfants. Le second emprunte au premier cette notion de « langage égocentrique », mais dans une perspective radicalement différente, notamment parce qu’il s’agit pour lui d’étudier le langage intérieur à travers le langage égocentrique. Pour Piaget, le langage égocentrique disparaît après l’âge de sept ans et n’a aucune fonction en dehors de la décharge émotionnelle. Le mouvement est celui d’une extériorisation progressive du langage. Pour Vygotski, le langage égocentrique et le langage intérieur, dont le premier révèle la structuration, ont des fonctions fondamentales du point de vue cognitif, comme l’auto-régulation, et l’articulation langage extériorisé / langage intérieur relève plutôt d’une intériorisation progressive. L’enfant se parle parce qu’on lui a parlé. Ainsi, Vygotski met-il en valeur le caractère éminemment social du langage intérieur. Il mène une enquête de terrain, puisqu’il fonde ses analyses sur des observations d’enfants (sortis cependant de leur contexte quotidien), relayées dans son ouvrage par des exemples littéraires pour illustrer et expliciter son propos. Comme Saint-Paul, il a à cœur de dégager des structures communes et des lois générales : Vygotski élabore l’hypothèse, déjà esquissée par Egger avant lui, d’un fonctionnement radicalement différent du langage intérieur par rapport au langage extériorisé. Tout en soulignant son inintelligibilité pour tout autre que l’individu lui-même, Vygotski tente de dégager des lois communes et des traits communs pour définir le langage intérieur. C’est l’hypothèse que j’appelle Vygotski-Egger :

Même si nous pouvions extérioriser les processus implicites et les enregistrer sur une plaque sensible ou sur le cylindre d’un phonographe, ils pourraient se présenter sous une forme si abrégée, si économe, avec tant de court-circuits qu’ils en seraient méconnaissables, à moins qu’on n’ait observé leur formation depuis le point transitoire où ils sont complets et ont un caractère social jusqu’à leur stade final où ils serviront aux adaptations individuelles et non plus sociales. Même si nous pouvions l’enregistrer sur un phonographe, le langage intérieur apparaîtrait ainsi abrégé, décousu, incohérent, méconnaissable et inintelligible comparativement au langage extériorisé. (Vygotski, 1934/1997, 472)

Le langage intérieur se présente donc selon Vygotski sous une forme « abrégée, décousue, incohérente » qui en rend l’étude malaisée. L’enjeu reste cependant bien d’analyser, pour reprendre les mots de Vygotski, la « transformation de la grammaire de la pensée en grammaire des mots » (Vygotski, 1934/1997, 445), si tant est que cela soit possible. L’hypothèse de Vygotski, déjà défendue par Egger avant lui, d’un fonctionnement radicalement différent de l’endophasie, représente une véritable révolution épistémologique mais constitue le principal défi de la linguistique aujourd’hui. Si l’endophasie ne fonctionne pas selon les règles du langage extériorisé, à partir duquel ont été conçues la majorité des théories linguistiques et forgés la quasi-totalité de ses outils d’analyse, dans quelle mesure un fait endophasique peut-il être construit comme un fait linguistique ? Quelle prise pour l’analyse linguistique ? Le constat de Gabriel Bergounioux, qui pose frontalement la question de « l’échec de la linguistique » dans Le Moyen de parler, est de ce point de vue sans appel :

Dès lors que la linguistique ne savait plus ce que voulait dire parler, puisqu’à la dynamique des interactions était préférée la détermination des structures phonologiques ou syntaxiques, se trouvait entérinée une disjonction de l’ontologique et du linguistique, du locuteur et de sa parole, du sujet et du parlant. De la parole, il n’était tenu compte qu’à proportion de ce qu’elle était enregistrée et reportée, quand elle se présentait réduite à pas beaucoup plus que des tracés acoustiques en sorte que son principal emploi, endophasique, en vienne d’avance à être éliminé.

Partant au contraire de l’évidence qu’on se parle, on voudrait montrer en quoi la réintégration de l’endophasie dans la théorie linguistique, et plus généralement dans le champ des sciences sociales, prélude à une critique des problématiques établies et renoue avec les investigations d’une philosophie du doute ou du soupçon, de la psychanalyse, de la théorie des formations historiques et de la science du langage quand elles remettent en cause, dans le registre qui leur est propre, les assurances doxiques, à partir du moment où elles s’enquièrent de la nature de leur objet au lieu de l’accepter comme un donné. (Bergounioux, 2004, 21-22)

Comment les linguistes qui se sont intéressés au langage intérieur l’ont-ils défini ? Chomsky, dont les théories ont été parfois citées comme l’exemple d’un nouveau paradigme linguistique, au sens de Kuhn, tente de proposer une sorte de grammaire universelle de la pensée. Selon le sociologue Norbert Wiley, à trop vouloir dégager des lois générales (en l’occurrence universelles), Chomsky échoue à saisir la nature et le fonctionnement propre du langage intérieur :

In addition to concentrating on inner speech, he also restricts his science to linguistic forms or rules. He calls these rules competence as opposed to performance. This is similar to Saussure’s distinction between langue (language) and parole (speech). These then are Chomsky’s starting points.

I will show that these commitments create serious problems for Chomsky’s linguistics. Inner speech is quite irregular, much more so than interpersonal or outer speech. It is also difficult to say there is a “competence” or “langue” dimension for inner speech. The competence aspect is primarily rules, but inner speech, being private, has no audience to carry or enforce the rules. In fact its major rule is efficiency, whatever that might imply for any given individual. (Wiley, 2014, 1)

Le jugement du sociologue est sévère :

His theoretical scheme might work for interpersonal speech but it is unrealistically idealized for inner speech. To put it another way inner speech is an anomaly or puzzle, in Thomas Kuhn’s sense, for Chomsky’s linguistic paradigm. (Kuhn, 2012, p. 53) (Wiley, 2014, 2)

L’articulation entre langage intérieur et langage extériorisé d’une part, fait individuel et fait social d’autre part varie d’une théorie linguistique à l’autre. Saussure a consacré une note au langage intérieur et l’a beaucoup plus pris en compte que ce qui a été généralement retenu de ses théories. Guillaume revient plusieurs fois sur le sujet même si l’objet principal de ses théories reste les opérations mentales sous-jacentes à toute production langagière. Guillaume, comme Culioli ensuite, mais dans une perspective très différente, s’est attaché à dégager des lois communes. Contrairement à Culioli, il fonde ses hypothèses autant voire davantage sur le système de la langue que sur les usages en discours.

Pour Gabriel Bergounioux, Culioli fait bien partie des rares linguistes qui ont pris en compte l’endophasie :

L’endophasie, cosa mentale, qui est l’actualisation constante d’un propos par un locuteur, a été peu traitée en linguistique. Les études sont plutôt issues de la philosophie, de la critique littéraire, de la psychiatrie, de la psychologie ou de la psychanalyse. Les références les plus nombreuses se lisent dans la littérature soviétique de l’entre-deux-guerres, en particulier chez Vygotski et Bakhtine, où Jakobson est allé chercher le motif de ses propres analyses. Peu de linguistes, donc, mais A. Culioli est indéniablement du nombre. Dans la constitution d’une analyse exhaustive des faits linguistiques, il rappelle, en plus d’une occasion, qu’un locuteur est en même temps l’auditeur de son discours et c’est dans cette involution vers le « miroir de l’énonciateur », le « co-énonciateur (intérieur) » (2005 : 155) qu’il inscrit la nécessité d’une résonance de la parole dans le sujet parlant. (Bergounioux, 2006, 110)

L’article de Gabriel Bergounioux met précisément en valeur la question des « observables », déployée à partir de l’articulation culiolienne entre épilinguistique et métalinguistique. Le retour sur soi dans le cadre d’une activité langagière relevant de l’imprévisibilité et de la variation échappe à la conscience (représentations épilinguistiques), tandis que le métalinguistique implique une distance consciente : la différence est plus de degré que de nature. Une telle hypothèse est précieuse pour appréhender l’endophasie : comment l’étudier, si ce n’est par l’intermédiaire des représentations épilinguistiques du sujet lui-même et par le biais de sa capacité à restituer les échantillons les plus proches possible de son discours endophasique ? Or, nombreux sont les linguistes qui refusent la prise en compte des représentations épilinguistiques, sous prétexte de subjectivité et d’inexactitude.

Le nom le plus inattendu dans la liste des rares linguistes qui ont réfléchi à la question du langage intérieur est Benveniste. La citation en général évoquée à son propos est issue du tome 2 des Problèmes de linguistique générale et concerne sa définition dialogale du monologue :

[…] le “monologue” est un dialogue intériorisé, formulé en « langage intérieur », entre un moi locuteur et un moi écouteur. (Benveniste, 1998, 85-86).

Selon Gilles Philippe (2001), Benveniste développe un modèle « communicationnel » du langage intérieur, face à un modèle « cognitif » incarné par Husserl et Guillaume (Philippe, 2001, 96-105). Grâce à la publication en 2012 de ses dernières leçons au Collège de France, nous savons désormais que la position de Benveniste est bien plus nuancée, et en réalité assez proche de l’hypothèse Vygotski-Egger. Pour Benveniste, en effet, le langage intérieur diffère du langage extériorisé et il se caractérise par son caractère fragmentaire et son agrammaticalité :

Le langage intérieur a un caractère global, schématique, non construit, non grammatical. C’est un langage allusif. (Benveniste, 2012, 94)

Le langage intérieur est rapide, incohérent, parce qu’on se comprend toujours soi-même. C’est toujours une langue située, dans un contexte présent, qui fait partie de la condition de langage, donc intelligible pour le parlant et pour lui seul. Mais transférer ce langage intérieur, conditionné par le rapport du locuteur avec lui-même dans une expérience et une circonstance uniques, changeantes, dans une forme intelligible à d’autres et perdant sous son aspect écrit toute relation naturelle avec l’occasion qui a été celle du langage intérieur, est une tâche considérable et qui exige une attitude toute différente de celle que nous avons acquise par l’habitude de transférer la pensée à l’écriture. (Benveniste, 2012, 95)

« Global, schématique, non construit, non grammatical » : ces adjectifs situent l’hypothèse de Benveniste exactement dans la même perspective que celles de Vygotski. Le langage intérieur fonctionne selon des règles qui lui sont propres et qui diffèrent du langage extériorisé (d’où l’idée de « non grammatical » : c’est-à-dire non conforme aux normes des usages extériorisés). De plus, il est abrégé, condensé et donc peu compréhensible par tout autre que celui qui en est le locuteur-auditeur. Si la seconde hypothèse, curieusement prédominante dans le champ des études sur l’endophasie, est à nuancer fortement, la première fait apparaître des obstacles épistémologiques immédiats et incontournables, tout en ouvrant une perspective extrêmement stimulante.

Gabriel Bergounioux rejoint certains de ses prédécesseurs : la parole intérieure est pour lui comme pour Egger un phénomène continu, dont on peut étudier l’acoustique et la prosodie ; son fonctionnement est radicalement différent des usages extériorisés. Il élabore l’hypothèse féconde que le locuteur est bien plutôt l’auditeur de sa propre parole intérieure. L’un des points forts des théories de Gabriel Bergounioux, outre qu’il est le seul linguiste à avoir consacré un essai à l’endophasie, est d’avoir démontré à quel point cette dernière remet en réalité en question la linguistique ou plutôt les sciences du langages telles qu’elles ont été conçues et pratiquées jusqu’à présent : « la question de la parole intérieure dérange les constructions d’un savoir positif qui s’élabore autour du fait social et psychique » (Bergounioux, 2004, 33), d’où une désaffection disciplinaire pour un sujet pourtant central non seulement pour les sciences du langage mais pour la totalité des sciences humaines. Comme le résume Gabriel Bergounioux, le langage intérieur n’a pas d’équivalent parmi l’ensemble des activités cognitives humaines :

[…] par sa permanence et sa démultiplication, par son ampleur aussi (des dizaines de milliers de mots, des centaines de milliers de phonèmes chaque jour), l’endophasie est un phénomène unique dans l’ensemble de l’activité intellectuelle. (Bergounioux, 2004, 23)

Catherine Paulin et moi-même proposons d’étudier le langage intérieur en termes de variations idiolectales (op. cit., à paraître). Si l’on suit la réflexion de Gilles Philippe sur l’histoire de la stylistique, une telle définition pourrait revenir à ancrer la réflexion dans le domaine de la linguistique à l’exclusion de la stylistique française, dans la mesure où celle-ci s’est construite « contre l’approche idiolectale » :

Si l’on prend sur tout ceci un peu de recul historique, on s’aperçoit que c’est contre l’approche idiolectale des styles littéraires que s’est constituée la stylistique française, telle que nous la connaissons aujourd’hui, et que c’est ce choix qui a l’empêchée de se reconnaître comme la branche des sciences du langage qui analyse les singularités langagières, même dans le cadre spécifique de leurs réalisations écrites. (Philippe, 2005, 78)

Il est cependant possible d’envisager, comme Gilles Philippe le suggère dans le même article, à la suite de Rastier (1994), une stylistique qui soit véritablement articulée à la linguistique de corpus, j’ajoute : et qui ne soit pas exclusivement littéraire. L’analyse du langage intérieur comme fait de style et variante idiolectale, autrement dit l’analyse du style endophasique comme fait idiolectal, permet d’en souligner la dimension individuelle et sociale (voir également la définition de l’idiolecte par Barthes, 1965/1993, 1475-1476) et permet de le penser en termes de traits saillants et non d’écarts.

Comment étudier le langage intérieur d’un point de vue scientifique ? Comment appréhender un phénomène qui se caractérise par la variation individuelle et l’impossibilité de l’appréhender directement ? Quel objet construisent les protocoles de recherche mis en œuvre dans les enquêtes de terrain ?

3. La création d’un nouveau protocole de recherche : quels faits endophasiques ?

La création d’un protocole d’enquête sur le langage intérieur rencontre plusieurs défis, qui peuvent se résumer en trois séries de questions : d’abord, comment rendre intelligible l’inintelligible ? Ensuite, comment prendre en compte les variations individuelles ? Avec quels outils ? Peut-on effectuer un va-et-vient entre variations idiolectales et grammaire(s) endophasique(s) ? Enfin, sur quels critères fonder la scientificité d’une étude du langage intérieur ? En un mot, qu’est-ce qu’un « fait endophasique » ou existe-t-il des faits endophasiques ? En l’occurrence, la question peut être reformulée : quels « faits endophasiques » les protocoles d’enquête construisent-ils ?

Si le langage intérieur se caractérise par son inintelligibilité pour autrui, comment le rendre accessible ? Quelles sont les conditions de possibilité d’une étude sur ce phénomène ? Trois grands types d’approches se dégagent : réflexion théorique (Egger, Bergounioux), expérimentation neuroscientifique, enquête de terrain fondée sur l’introspection. Les approches théoriques ont contribué à diffuser l’hypothèse Vygotski-Egger d’un langage abrégé, décousu, inintelligible pour autrui, largement prédominante dans les théories du langage intérieur ordinaire, même s’il existe bien deux modèles concurrents, centrés sur une phrase courte et inachevée (Egger, Vygotski, Dujardin, Bergounioux, Wiley) ou une phrase qui s’allonge (Cohen, Beckett). Fernyhough évoque la coexistence de deux modèles, comme Hélène Lœvenbruck dans le présent numéro d’Épistémocritique, mais aussi Gilles Philippe à travers ses analyses des modélisations littéraires de l’endophasie. Il n’en reste pas moins que si la théorisation stylistique a toujours fait état de ces deux possibilités depuis Gilles Philippe, les représentations du langage intérieur ordinaire font la part belle à l’hypothèse Vygotski-Egger (Voir Smadja, à paraître). À ces deux modèles, nous pouvons ajouter celui d’un flux, dépourvu de phrases (Voir Smadja, Paulin, à paraître, chapitre six « Phrases »).

Les expérimentations neuroscientifiques se développent depuis une quarantaine d’années. Si elles tendent à se positionner au croisement des sciences exactes et des sciences humaines, elles ne répondent pas nécessairement au test de falsifiabilité de Popper dans la mesure où elles ne concernent pas des données empiriques et physiques mais des activités cognitives humaines. Elles constituent un apport précieux pour préciser l’étude du langage intérieur et mettre certaines hypothèses à l’épreuve. Les trouvailles de l’équipe de Grenoble, dont un projet ANR, Inner Speech (2014-2018) est porté par Hélène Lœvenbruck et consacré à l’endophasie, sont résumées dans l’article d’Hélène Lœvenbruck dans le présent numéro et seront déployées dans un essai à venir, du même auteur (collection Monologuer)[1]. Ils ont mis en valeur l’existence d’états de parole intérieure (parole délibérée / vagabondage mental), liés à des réseaux neuronaux différents, ils ont souligné les proximités et les différences d’activation neuronale entre la parole extériorisée et la parole intérieure, et ont démontré que le langage intérieur n’est pas le langage extériorisé moins le son mais le langage extériorisé plus l’inhibition[2].

Les enquêtes de terrain, quant à elles, se fondent sur deux temporalités (rétrospectives ou dans l’instant présent) et trois orientations méthodologiques : usage d’un questionnaire (Saint-Paul 1892), introduction d’un bip aléatoire (Hurlburt 1973), carnet endophasique (Smadja 2014). À ces trois méthodes d’enquêtes de terrain s’ajoute une autre possibilité pour collecter des représentations de parole intérieure : l’étude des discours intérieurs autophoniques, c’est-à-dire les pensées auto-rapportées en langage extériorisé (voir Marnette, 2002 et 2006 ; Verine 2006 ; Rendulic, 2013). Les discours intérieurs autophoniques offrent l’avantage de relever des échanges extériorisés, donc de cadres linguistiques traditionnels, et de mettre en valeur un type de discours rapporté à part. Ils sont aisément identifiables en tant que faits linguistiques : s’agit-il pour autant de faits endophasiques ? Du langage intérieur, nous ne pouvons étudier que des représentations indirectes. La question est donc celle du degré de médiation. Jusqu’à quel point cette représentation est-elle biaisée et quels sont les biais à prendre en compte dans l’analyse ? Comme les questionnaires, les discours intérieurs autophoniques élaborent une représentation rétrospective, à une distance temporelle plus ou moins grande. Le locuteur-auditeur est éloigné des conditions d’énonciation originelles et le degré de proximité avec la parole intérieure est donc sujet à caution. En revanche, contrairement au questionnaire rétrospectif, où la représentation est sollicitée par le chercheur, il s’agit bien d’un fait de discours ordinaire, spontané, sans influences extérieures préalables. Les discours intérieurs autophoniques constituent de ce point de vue des ilots énonciatifs où l’endophasie affleure à travers les échanges extériorisés, sans que l’on puisse mesurer l’écart discursif.

Le questionnaire invite nécessairement le sujet à élaborer une représentation rétrospective de sa vie intérieure et de son langage intérieur. Il restitue de mémoire des « faits endophasiques » qu’il reconstitue à distance. L’accès est donc doublement biaisé : s’il est impossible, même dans l’instant présent, d’accéder directement à sa propre parole intérieure, un récit rétrospectif multiplie les biais. De plus, le choix des questions et le type d’entretien (guidé, semi-guidé, libre) infléchissent les représentations proposées. L’enquête de Saint-Paul a cependant représenté une première étape dans la reconfiguration du champ par le biais d’enquêtes de terrain.

La méthode du psychologue américain Russell Hurlburt, qu’il créée dans les années 1970 et appelle Descriptive Experience Sampling (DES), a ouvert une sorte de refondation des études sur l’endophasie. Le participant est doté d’une machine qui sonne aléatoirement huit fois par jour. Lorsque le son retentit, le participant, s’il le peut, note ce qui se passait à l’instant dans sa vie intérieure. Au bout de trois ou cinq jours (maximum huit), l’expérience s’arrête et un entretien a lieu en face à face, pour que le participant puisse expliciter et contextualiser ses notations. Après un recul sous l’ère structuraliste, l’introduction d’un facteur aléatoire dans la méthode d’investigation fonde l’espoir d’une scientificité de la démarche plus démontrable et suscite un regain d’intérêt à travers plusieurs disciplines, notamment les neurosciences. L’idée est de supprimer au maximum tout biais subjectif, d’objectiver en quelque sorte la vie intérieure. De plus, le fait que l’entretien ait lieu après l’expérience laisse libre champ au participant, qui n’a pas en tête la moindre catégorisation venant de l’équipe de recherche. L’inconvénient de cette méthode reste le petit nombre d’occurrences conservées (six sur huit, par jour, sur un maximum de huit jours), assez peu représentatives de la vie intérieure. Cependant, ces expérimentations ont été menées depuis maintenant plus de quarante ans, si bien que les résultats ont pu être corroborés ou rectifiés au fil du temps. La somme des données offre désormais un aperçu extrêmement significatif (voir Hurlburt 2011 pour une synthèse).

Depuis 2014, un nouveau protocole de recherche, que j’ai créé et qui  a été amélioré collectivement (notamment par Gabriel Bergounioux, Romain Grandchamp, Louisa Hsiang I-Lin, Kuan-Min Huang, Sophie Lespinasse, Hélène Lœvenbruck, Frédéric Martin-Achard, Ladislas Nalborczyk, Pénélope Patrix, Catherine Paulin), est expérimenté au sein du programme de recherche interdisciplinaire Monologuer (https://cerilac.univ-paris-diderot.fr/monologuer). Après une phase de test de deux ans, auprès d’un petit nombre de participants, le protocole a été déployé à plus large échelle, parfois en combinaison avec des expérimentations neuroscientifiques (à Grenoble, en 2016). Il a été pour l’instant expérimenté auprès d’adultes, au nombre de 113 en octobre 2018, et que toute l’équipe remercie profondément. Intitulé protocole 2R (pour Représentations et Restitutions du langage intérieur), il part d’un double constat, transformé en point de départ épistémologique : une étude directe du langage intérieur est impossible, toute restitution est nécessairement subjective. La discipline socle du programme Monologuer est la linguistique, articulée aux neurosciences, à la médecine, aux études littéraires et théâtrales, à l’esthétique, à la philosophie, à la sociologie, à la psychologie et la psychanalyse, etc. L’objectif n’est pas qu’une discipline l’emporte sur l’autre, mais de fonder les réflexions sur une base méthodologique commune, tout en maintenant l’autonomie de chaque discipline : travailler seuls-ensemble, tout en préservant les deux pôles de cet équilibre interdisciplinaire complexe. Le protocole 2R comporte deux phases[3] : une phase de collecte de données pour le chercheur et d’exploration de soi pour le participant, puis une phase plus créative où alternent l’exploration libre et les exercices de parole intérieure. Chaque phase commence et s’achève par un entretien, entre les deux se déploie une période de « carnet endophasique » (création du programme Monologuer), pendant laquelle le participant garde trace de sa vie intérieure sous la forme qu’il souhaite et à la fréquence de son choix. Je présente essentiellement dans cet article la première phase, puisque la seconde est encore en test et n’a été expérimentée que par très peu de participants.

Le premier entretien de la phase 1 commence par la signature des documents de confidentialité, garantissant la préservation de l’anonymat. Il est enregistré en audio (chaque participant se voit doté d’un numéro, de telle sorte que son nom ne soit pas mentionné). Les entretiens 1 durent entre 20 minutes et 1h30 (la moyenne actuellement est d’environ 40 minutes) : la différence est liée au caractère semi-guidé de cette première expérience. Les premières questions sont assez larges et relèvent de l’état civil. Puis, l’entretien progresse vers la vie intérieure et le langage intérieur, en sept rubriques. L’objectif est pluriel : mettre le participant en confiance, préserver sa liberté. Il est libre de répondre ou non et de répondre comme il le souhaite. Aucune question ne contraint à dévoiler de son intimité et de soi-même ce que le participant ne veut pas transmettre. À la fin de ce premier entretien, le participant remplit un questionnaire écrit, sous forme de tableau, qui lui permet de proposer une évaluation de fréquence pour un certain nombre de phénomènes liés à sa vie intérieure. Cette évaluation est subjective, de la même façon que l’entretien 1 révèle les représentations épilinguistiques initiales du participant, ou plutôt ses représentations métaendophasiques, qui incluent des représentations métalinguistiques.

L’entretien 1 est suivi d’une période de carnet endophasique, de trois semaines à trois mois, pendant laquelle le participant garde trace de sa vie intérieure, sous la forme et à la fréquence de son choix. Un carnet lui est offert à l’issue du premier entretien, avec une page de titre personnalisable et une quatrième de couverture résumant les consignes qui lui ont été données. Le participant peut choisir d’écrire dans ce carnet ou sur un autre, il peut noter dans son téléphone portable ou sur ordinateur, il peut envoyer des sms, il peut s’enregistrer en audio ou en vidéo. Le carnet endophasique n’est pas un journal intime : il ne s’agit pas de noter rétrospectivement. Au moment où le participant décide d’ouvrir une session de carnet endophasique, il inscrit le lieu la date et l’heure puis il note sur le vif les pensées qui lui traversent l’esprit, en essayant de conserver leur forme le plus fidèlement possible : si les mots endophasiques n’ont aucun sens, il s’agit de les écrire tels quels, sans jugement. Si le participant hésite intérieurement entre trois mots pour en choisir un quatrième, il faut noter les quatre mots (les trois écartés et celui qui a été choisi). En bref, il s’agit de rester le plus proche possible du déroulement discursif du flux endophasique, dans ses hésitations et dans ses ruptures comme dans sa continuité.

Enfin, la phase 1 s’achève par l’entretien 2, qui se présente sous le même format que l’entretien 1 : un entretien en face à face (de 30 minutes à 1h30, avec une moyenne de 45 minutes) puis un questionnaire écrit. Les questions de l’entretien 2 sont partiellement les mêmes que lors du premier, avec des questions nouvelles, plus précises. Le questionnaire est exactement le même. Le participant a le choix de confier son carnet à l’équipe de recherche, ou non. Il lui est demandé d’en lire des extraits et de les commenter pendant l’entretien 2, dans tous les cas de figure.

Le carnet endophasique joue un rôle central dans le protocole 2R, qui se fonde sur plusieurs paris. Le participant est en réalité invité à être partie prenante de l’expérimentation scientifique à plus d’un titre : la durée du protocole et le dispositif qui lui est proposé lui permet d’accroître la conscience qu’il a de sa vie intérieure et de son langage intérieur si bien qu’il est de plus en plus apte, au fur et à mesure de l’avancée dans le carnet endophasique, à retranscrire sa parole intérieure et à décrire les phénomènes relevant de sa vie intérieure. Les représentations évoluent toujours, entre l’entretien 1 et l’entretien 2, plus ou moins fortement, et la plupart des participants affirment que l’expérience a modifié leur conscience de leur parole intérieure. De toute évidence, le biais principal impliqué par le protocole 2R est le prisme de la subjectivité du participant lui-même : c’est lui qui restitue, librement, ce qu’il souhaite de sa vie intérieure et quand il le souhaite. Ses choix, conscients et inconscients, construisent donc des faits endophasiques qui seront très représentatifs, si le participant a beaucoup noté (certains carnets sont longs et abondamment remplis) ou qui risquent de l’être beaucoup moins dans le cas contraire. Le problème n’est pas, en soi, la sélection, mais son caractère subjectif contrairement aux possibilités offertes, par exemple, par la technique du bip aléatoire. Pour autant, est-il possible d’objectiver l’endophasie ? Dans le programme Monologuer, nous renonçons d’emblée à toute étude « objective » ou directe de l’endophasie. Puisque c’est impossible, au lieu d’en faire un obstacle qui empêche toute tentative d’obtenir des échantillons à analyser d’un point de vue linguistique, nous en faisons un point de départ et construisons à partir de là. Les représentations et restitutions que nous obtenons sont subjectives et biaisées : il s’agit de limiter les biais au maximum, notamment, grâce à l’écriture du carnet endophasique dans le respect d’une temporalité immédiate et non à distance, et d’en tenir compte ensuite dans l’analyse.

Tous les participants ont choisi la forme écrite, majoritairement dans le carnet, pour sept d’entre eux sous forme numérique. Une seule participante a testé en parallèle, une fois, un enregistrement en audio et n’a confié ni son carnet ni l’enregistrement à l’équipe de recherche. Spontanément, malgré les difficultés engendrées et signalées parfois par les participants eux-mêmes (notamment, pour certains, la différence de vitesse entre le langage intérieur et l’écriture et l’impossibilité de tout saisir), ils ont donc tous choisi une modalité de retranscription qui répond précisément à l’un des enjeux soulignés par Benveniste :

Rendre intelligible le langage intérieur est une opération de conversion qui va de pair avec l’élaboration de la parole et l’acquisition de l’écriture. (Benveniste, 2012, 95)

Pour Benveniste, en effet, l’écriture, loin de nous éloigner du langage intérieur, en constitue la transposition par excellence : « l’acte d’écriture ne procède pas de la parole prononcée, du langage en action, mais du langage intérieur, mémorisé. L’écriture est une transposition du langage intérieur » (Benveniste, 2012, 94). Le carnet endophasique serait-il un mode de transposition privilégié du langage intérieur ?

 

Comme le résume Anna Jaubert dans son résumé d’un article à paraître, la question de l’observable est centrale en linguistique comme en stylistique depuis Saussure :

Le parti pris de l’observable est la principale caractéristique, et même un trait définitoire, de la mutation épistémologique capitale qui a marqué la linguistique d’après Saussure, et dont nous n’avons pas fini de mesurer les retombées. Cette mutation qui confronte la puissance explicative des systèmes en langue aux réalités du discours s’est affirmée dans les années 1970 ; elle apparaît, avec le recul qui est le nôtre aujourd’hui, comme une révolution méthodologique. Mais disons-le d’entrée de jeu : l’observable ne se réduit pas aux données sensibles, et il ne se confond pas non plus avec l’existant ; il s’agit d’une notion éminemment « relationniste » qui prend en compte l’interdépendance entre les conditions de l’observation, le regard du chercheur, et l’objet de la recherche. C’est bien pourquoi la mise au jour simultanée du rôle de la subjectivité dans le langage (E. Benveniste, C. Kerbrat-Orecchioni), et son intégration scientifique, n’ont en l’occurrence rien de paradoxal. Je reviendrai sur la place de l’humain et sur les déterminations subjectives à l’honneur dans le changement de nos pratiques, l’abandon de l’immanentisme, et la montée en puissance des linguistiques du discours, parmi lesquelles se situe la stylistique pragmatique […] (Jaubert, à paraître)

Comment caractériser le langage intérieur, activité langagière éminemment subjective, et que l’observation modifie nécessairement ? Selon Gabriel Bergounioux, l’endophasie n’est pas un fait de langue :

La langue comme concept se situe au croisement de deux perspectives : chaque agent en représente une actualisation et ses rapports algébriques dont la somme détermine un système de relations croisées sont calculées indépendamment des agents qui l’actualisent. Que la structure de la langue soit mentalisée la rapproche de l’endophasie. Qu’elle soit commune à tous les locuteurs et indépendante des situations socio-historiques l’en sépare. C’est pourquoi la première est accessible à des formalisations à quoi la seconde résiste. (Bergounioux, 2004, 56)

Fait de langage et certainement pas fait de langue, fait de discours intérieur de surcroît, fait de style (au sens large), fait humain par excellence, le langage intérieur semble à la fois un point de départ pour toute étude de l’humain, et un point d’achoppement. Il existe aujourd’hui d’innombrables études sur le langage intérieur, caractérisées par des approches théoriques, des expérimentations neuroscientifiques et des enquêtes de terrain, dans une ouverture interdisciplinaire à la fois assez large et très lacunaire car centrée presque exclusivement sur trois disciplines. Egger et Saint-Paul ont représenté un premier tournant épistémologique à la fin du XIXe siècle, Vygotski un second, et non des moindres, dans l’entre-deux-guerres, Hurlburt probablement un troisième (il faudrait un peu plus de recul temporel pour pouvoir en juger), décisif pour l’intégration des neurosciences dans le champ des études sur l’endophasie. Le protocole 2R, récent, s’inscrit dans la lignée des enquêtes de terrain sur le langage intérieur ordinaire. Son atout principal réside dans l’invention du carnet endophasique. Ce dernier représente probablement un nouveau genre discursif et constitue quoi qu’il en soit un instrument particulièrement pertinent pour approcher le langage intérieur : plus que le journal intime ou le discours intérieurs autophonique et malgré une distance inévitable et difficile à évaluer, il permet d’approcher au plus près le langage intérieur ordinaire, dans ses formes mêmes. Combiné aux entretiens en face à face et aux questionnaires de fréquence sous forme écrite, le carnet participe d’un dispositif nouveau, permettant d’avoir accès à des échantillons observables et analysables, quel que soit le point de vue disciplinaire choisi. Jusque là, et en dehors des discours intérieurs autophoniques, la désaffection de la linguistique pouvait aussi s’expliquer par l’impossibilité de constituer un corpus. C’est une difficulté à laquelle répondent le protocole 2R et le carnet endophasique. Le langage intérieur apparaît ainsi comme un fait de discours et un fait de style, combinant variation idiolectale et grammaire endophasique, à analyser avec des outils qui restent largement à inventer. Défi épistémologique, il ne remet pas seulement en cause les sciences du langage mais toutes les sciences humaines qui s’en approchent et tentent d’en rendre compte, obligeant à une refondation théorique et méthodologique.

Notice biographique :

Maître de conférences HDR à l’Université Paris Diderot, Stéphanie Smadja étudie les formes, les fonctions et les troubles du langage intérieur ainsi que la prose littéraire et la prose scientifique, selon une démarche qui combine la stylistique, la neurolinguistique, la linguistique et la linguistique clinique. Responsable du programme Monologuer [https://cerilac.univ-paris-diderot.fr/monologuer], elle s’attache à créer des protocoles de linguistique clinique actuellement centrés sur l’endophasie. Elle dirige une collection aux éditions Hermann. Après avoir consacré deux ouvrages à la prose littéraire (La « Nouvelle Prose française ». Étude sur la prose narrative au début des années 1920, 2013 et Cent ans de prose française 1850-1950. Invention et évolution d’une catégorie esthétique 2018), Stéphanie Smadja va prochainement publier aux éditions Hermann cinq essais consacrés à la parole intérieure, parmi lesquels La Parole intérieure. Qu’est-ce que se parler veut dire ? ; Pour une grammaire endophasique (volumes 1 et 2) ; Les Troubles du langage intérieur. Vers une linguistique clinique. Elle est également l’auteur, avec Catherine Paulin, d’un essai sur La Parole intérieure en prison (à paraître aux éditions Hermann, coll. « Monologuer »).

Contact : stephanie.smadja@univ-paris-diderot.fr

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ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XVIII


[1] Plusieurs éléments sont abordés à travers des articles et des chapitres d’ouvrage collectif : voir notamment Nalborczyk 2017, Perrone-Bertolotti 2014 et 2016.

 

[2] Pour plus de précision, voir les articles précédemment cités, l’article d’Hélène Lœvenbruck dans ce numéro et Smadja Stéphanie, La Parole intérieure. Qu’est-ce que se parler veut dire ?

 

[3] Voir également pour une description et une analyse du protocole Smadja Stéphanie, Paulin Catherine, La parole intérieure en prison, éd. cit. et Smadja Stéphanie, La Parole intérieure. Qu’est-ce que se parler veut dire ?, éd. cit.

 

 

 

 

 

 




Espaces et parole intérieure en prison

L’espace constitue, avec le temps, une catégorie qui structure notre rapport au monde. Dans une démarche d’analyse des productions verbales, l’espace apparaît souvent non pas comme un objet de réflexion que l’on définirait en soi mais plutôt comme un paramètre de la situation d’énonciation. Pour Benveniste, il existe « deux catégories fondamentales du discours » : le « moi par rapport à toi et lui » (« Le langage et l’expérience humaine », 1998, 67) et le temps. L’espace n’est pas considéré en tant que tel. Il intervient dans le cadre de l’étude de l’ancrage spatio-temporel pour analyser un discours donné (1998, 79-88). Autrement dit, un discours est toujours situé dans un temps et un lieu de production précis, énoncé par un locuteur, adressé à un co-locuteur présent ou implicite et reconstruit (2000, 260).

Dans le cas d’une parole qui n’est pas adressée, les paramètres de l’énonciation tels qu’ils sont définis pour appréhender la parole extériorisée sont-ils directement transposables ? L’analyse de l’espace comme objet d’étude en soi ne permet-elle pas de mettre en valeur les spécificités de la parole intérieure ? En ce sens, nous prenons le contrepied de la définition de l’espace proposée par Victor Egger  dans La Parole intérieure (1881, 110) :

[…] en affirmant l’espace, nous affirmons le non-moi ; en affirmant la durée, nous affirmons le moi : l’inétendu qui dure, c’est le moi : je suis une pure succession ; les faits qui ne sont ni étendus ni localisés, mais qui ont une durée propre, des antécédents et des conséquents, ce sont mes faits, et les faits à la fois étendus et successifs ou la succession des faits étendus, c’est le monde extérieur en tant que je le connais, c’est le non-moi dans son rapport avec le moi.

Si pour Egger, la notion d’espace renvoie nécessairement à l’extériorité, et à ce que je ne suis pas, nous définirons à l’inverse l’espace comme une catégorie structurante à la fois de notre rapport au monde et de notre parole, extériorisée ou intérieure. Les études récentes établissant un lien entre parole intérieure et espace intérieur, en psychologie ou en neurosciences, se situent souvent dans le cadre d’une réflexion sur les hallucinations auditives, verbales ou visuelles. Dans le cas des hallucinations auditives, inner space s’oppose à outer space pour distinguer en réalité voix intérieure et voix extérieure (voir par exemple Massoud et al. 2003 ; MacCarty-Jones et al. 2012). L’espace est également convoqué en tant qu’espace mental. Dans ces études, l’espace est utilisé dans un sens métaphorique. La représentation de l’espace reste relativement peu étudiée et n’intervient en neurosciences qu’à travers la question de l’orientation dans l’espace, de la proprioception ou de la compréhension (lecture ou compréhension orale). Le lien avec la parole intérieure n’est guère effectuée (ou reste métaphorique). À l’inverse, notre propos est plutôt d’analyser des représentations d’espaces, réels ou fictifs, en parole intérieure. Nous allons donc considérer les catégories du temps et de l’espace, en tant qu’elles peuvent structurer notre rapport au monde extérieur ou nos représentations intérieures.

La présente étude se situe dans le cadre d’un programme de recherche interdisciplinaire, Monologuer, qui comporte actuellement une quarantaine de chercheurs, en France et à l’étranger. L’un des objectifs est d’analyser la parole intérieure à travers la comparaison entre des corpus de vie réelle et des corpus artistiques. Dans Monologuer, l’interdisciplinarité (de la philosophie et la littérature aux neurosciences) se construit à partir d’une discipline socle, en l’occurrence la linguistique. L’enjeu est double : d’une part, la parole intérieure n’est généralement pas abordée en linguistique[1].  D’autre part, la parole intérieure, « envers non formalisable du projet scientifique de la linguistique »  (Bergounioux, 2004, 60), en déplace les cadres et en remet en cause les instruments, comme l’a montré Gabriel Bergounioux :

Dès lors que la linguistique ne savait plus ce que voulait dire parler, puisqu’à la dynamique des interactions était préférée la détermination des structures phonologiques ou syntaxiques, se trouvait entérinée une disjonction de l’ontologique et du linguistique, du locuteur et de sa parole, du sujet et du parlant. De la parole, il n’était tenu compte qu’à proportion de ce qu’elle était enregistrée et reportée, quand elle se présentait réduite à pas beaucoup plus que des tracés acoustiques en sorte que son principal emploi, endophasique, en vienne d’avance à être éliminé.
Partant au contraire de l’évidence qu’on se parle, on voudrait montrer en quoi la réintégration de l’endophasie dans la théorie linguistique, et plus généralement dans le champ des sciences sociales, prélude à une critique des problématiques établies.

Les enquêtes Monologuer se fondent sur un protocole (voir l’article de Smadja, dans ce même volume et l’ouvrage à paraître) comportant deux entretiens semi-directifs (entretien 1 et entretien 2), séparés par une période de trois semaines à trois mois pendant laquelle le participant est invité à garder trace de sa parole et de sa vie intérieures. L’une des enquêtes s’est déroulée en milieu carcéral, sur une durée de quatre mois. Pour des raisons éthiques, l’identité du lieu, des participants comme les dates précises ne seront pas indiquées. La participation à l’expérience se faisait sur la base du volontariat, comme avec les sujets des autres enquêtes. Les deux entretiens ont pris la forme de questionnaires écrits. Chaque participant a reçu un carnet (sans obligation de confier le carnet à la fin de l’expérience). Dix bilans oraux ont ponctué les quatre mois. Les sujets interrogés sont des prisonniers de longue durée de 32 à 67 ans. Le corpus comporte 10 entretiens 1, 5 entretiens 2 et 3 carnets (10, 14 et 25 pages), sous forme écrite. Il n’était pas possible d’introduire un enregistreur en prison. Ces documents sont donc complétés par des comptes rendus détaillés de chaque séance de bilan, de 2 à 8 pages, relatant les échanges et les questions.

Dès la seconde séance, les conditions de vie particulières et l’enfermement ont suscité des commentaires de la part des sujets. L’un des participants soulignait le paradoxe d’une enquête portant sur l’intime dans un lieu où selon lui leur droit à la vie privée est constamment bafoué. D’autres expliquaient les conséquences de l’enfermement sur leur parole intérieure, dans le sens d’une intériorisation de la censure extérieure ou d’une violence accrue. Parmi les facteurs de changement, l’absence de contacts et d’échanges avec autrui, la solitude et le caractère répétitif de leur calendrier ont été évoqués par les sujets eux-mêmes.

Les entretiens écrits et les bilans oraux se sont déroulés à l’occasion de séances collectives. L’incursion du chercheur, donc du monde extérieur, permet aux sujets de recréer un cercle de sociabilité, qui est cependant mis à mal par leurs conditions de vie. En dehors de l’un des sujets, qui vit dans un quartier à régime différencié, encore expérimental, tous les sujets doivent regagner leur cellule peu après 18h et y restent enfermés plus de 12h. Les contacts avec le monde extérieur sont réduits, et strictement surveillés. Les situations d’énonciation sont donc des séances collectives pour les entretiens et les bilans et, souvent, la solitude de la cellule pour le carnet endophasique.

La perception et la représentation de l’espace se déclinent à travers les restitutions de parole intérieure en différents axes : distinction entre la prison et le monde extérieur, entre des espaces au sein de la prison, importance des lieux de transition ; les espaces présents et les espaces passés ; les espaces symboliques créés et recréés. Ainsi, dans ce contexte, l’espace intérieur apparaît-il central dans la (re)construction de la représentation de soi.

1. Perceptions et représentations intérieures des espaces carcéraux

La prison est-elle un lieu particulièrement propice au développement de la parole intérieure ? L’enfermement en cellule, au moins 12h par jour, et la rareté ou l’absence d’interactions avec le monde extérieur favorisent l’activité langagière entre soi et soi. Dès la deuxième séance de bilan oral, les participants manifestent leur souffrance et l’impact de leurs conditions de vie sur leur parole intérieure. Ils soulignent que, pour la plupart, de 19h à 7h, ils sont tous enfermés dans leur cellule sans possibilité d’en sortir et que pour certains, la parole intérieure tourne alors en boucle et explose au petit matin. Il arrive que lorsque des gardiens ouvrent une cellule, le prisonnier les agresse, tant la violence, verbale ou autre, s’est accumulée pendant la nuit. De plus, expliquent-ils, ils n’ont guère l’occasion d’interagir entre eux ou avec les gardiens : si, par exemple, ils croisent un gardien ou un prisonnier, ils échangent souvent juste un bonjour et une phrase, banale. Ils insistent aussi sur une seconde barrière : le caractère hétérogène de la population carcérale, aux origines socio-culturelles très diverses. La parole extériorisée semble donc réduite à la seule fonction phatique. La cellule devient le lieu par excellence de la pratique de la parole intérieure mais aussi du monologue à voix haute. Dans l’ensemble, ils évitent de monologuer à voix haute à l’extérieur de leur cellule, de peur que cela ne soit interprété comme un symptôme psychiatrique. Du reste, toujours au cours de la deuxième séance, ils évoquent cette question des symptômes, particulièrement sensible pour eux.

1.1. Représentation de la cellule dans les carnets

Notre propos n’est pas d’analyser la réalité des espaces carcéraux mais la représentation qu’en ont proposée les participants dans leurs restitutions de parole intérieure. La cellule n’est évoquée dans le carnet que de deux façons : soit le mot « cellule » apparaît comme indication du lieu d’écriture, soit, par métonymie, à travers la dénomination d’objets tels que des robinets hors d’état de fonctionner.

D’abord, les participants avaient pour consigne d’indiquer dans leur carnet le lieu, la date et l’heure, puis de noter leurs pensées sur le vif. Autrement dit, il ne s’agit pas pour eux d’écrire rétrospectivement mais de saisir sur le moment même leur vie intérieure. Le passage au code écrit implique une variation entre la parole intérieure et sa retranscription. Il s’agit de se rapprocher au plus près d’une parole intérieure qui par essence demeure inaccessible. La « cellule » est ainsi le seul lieu de notation relevé dans les carnets. Lorsque les participants écrivent en dehors de leur cellule, ils précisent la date et l’heure, mais pas le lieu. Même si elle n’est ni identifiée référentiellement comme lieu de l’intime, ni décrite, la cellule apparaît néanmoins comme l’unique lieu de reconstruction d’un espace intime. Selon le participant 8, cette possibilité paraît menacée : lors du second bilan, il s’énerve à plusieurs reprises contre leurs conditions de vie et affirme que leurs droits sont constamment bafoués, qu’ils sont filmés partout, même aux toilettes. La restitution du ressenti du participant met en exergue l’écart entre l’espace environnant et la représentation intérieure qui en est donnée, puisque selon un rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté, datant de 2014, il n’y a pas de caméras dans les cellules.

Ensuite, un dysfonctionnement matériel est signalé dans le carnet du participant 8[2] :

4 / XI : […]
Robinet !

4 / XI : 10h.30 : ROBINET !

Le statut de cette phrase nominale ne comportant qu’un substantif sans déterminant et de surcroît ponctuée est difficile à établir : s’agit-il d’un résumé de la parole intérieure telle qu’elle a résonné dans l’esprit du participant ou un seul mot a-t-il surgi à ce moment-là ? De ce point de vue, le carnet du sujet 8, contrairement aux autres, est ambivalent : il est difficile de savoir s’il s’agit d’un ensemble de notes résumant des événements ou des pensées ou s’il s’agit véritablement d’un carnet de parole intérieure. Toujours est-il que l’instanciation d’un mot prédicatif seul, sans déterminant, souligne le problème matériel, tandis que l’exclamation encode l’agacement du participant. Le caractère paratactique et hautement synthétique de l’énoncé lui confère un haut degré d’expressivité. De plus, sa brièveté n’est pas sans évoquer le modèle syntaxique d’une parole intérieure fondée sur des phrases courtes et inachevées (Vygotski, 1934) comme le rappelle Alain Morin (2012, 436)[3] : « Predicativeness The syntactically compressed, condensed, abbreviated quality of inner speech. In inner speech, the speaker tends to only articulate the predicate, not the subject, for example, ‘hungry’ as opposed to ‘I am hungry.’ »

L’espace privé, déjà restreint à la seule cellule, peut faire l’objet de visites imposées. La violence ressentie de ces intrusions transparaît à travers la brièveté et la récurrence des énoncés nominaux, issus du carnet du participant 8 :

12/X/16 […]
15h.30 : « descente »… 16h… ! (et le 11 aussi)
13/X : […]
15h.30 : « descente »… 16h … !

17/X : 15h.15 (« fouille ») …. […]
FOUILLE (16h…) […]

27/X : fouille 15h …

3/XI : Fouille

À nouveau, la question de savoir si le participant résume sa parole intérieure ou s’il a réellement pensé à un substantif, comme « fouille », se pose. Néanmoins, la fréquence des fouilles, parfois très rapprochées, ne permet guère à ce participant de s’approprier l’espace de la cellule. L’usage des majuscules retranscrit le sentiment de violation dont ce participant a fait état par ailleurs pendant les bilans oraux.

1.2. Les espaces non visibles de la prison

La représentation d’espaces qui ne sont pas visibles dans la situation d’énonciation présente s’oppose aux représentations de l’environnement immédiat des participants. Cette distinction n’est pas sans évoquer la différence établie par Marie-Jeanne Barbéris (1995, passim) entre un espace en idem et un espace en ipse, dans une thèse consacrée aux représentations des espaces urbains. Elle suggère un parallèle entre représentations de soi et représentations spatiales : l’idem ne présuppose pas de distinction entre ici et ailleurs, personne et non-personne, tandis que l’ipse se construit à partir d’un écart entre le même et l’autre, ici et ailleurs, personne et non-personne. Ces espaces auxquels le participant n’a pas accès dans l’immédiat font ainsi l’objet d’interrogations et de spéculations sur ce qui s’y passe, ce qu’« il » ou « ils » y font, comme en témoigne le carnet du participant 1 :

21-10. 201*
9h45
Non, je ne suis pas dans
Les forces spéciales.
Pourquoi je me pose
autant de questions.
Mais où va T’il celui-là ?
11h18 où il est partit
celui-là ? !!!

Contrairement aux autres espaces, qui sont posés de façon thétique, l’espace est évoqué ici à travers le pronom interrogatif « où » qui présuppose l’existence d’un lieu en attente d’identification référentielle et de caractérisation précises. Il semble ici que l’intérêt pour tout mouvement vers un espace autre que celui dans lequel on se trouve soit exacerbé. La restriction de l’espace provoque comme un suspens de la parole intérieure et le participant passe ensuite à un autre sujet.

L’enfermement en prison ne retranche pas seulement le sujet du monde extérieur, il produit aussi une distinction entre des espaces internes à la prison, accessibles pour les uns, interdits pour les autres et donc déclencheurs de spéculations. Si les échanges extériorisés étaient possibles, ces espaces inaccessibles donneraient peut-être lieu à des commérages. En l’occurrence, la rareté des communications interpersonnelles favorise une forme de rumination spéculative. Bien plus, l’impossibilité de se déplacer librement et l’absence de contrôle de l’environnement semblent anxiogènes, comme le montre le même carnet :

30-11-201* 12H00
J’ai froid et le Soleil
brille. Comme je suis
fatigué. Que fou le
Surveillant. impossible
de Savoir ce qui ce
Passe là, dedans.

Le mouvement empêché entraîne une ignorance du sujet qui ne peut pas répondre ou trouver des réponses à ses propres questions. La spéculation ne prend pas ici une forme interrogative-percontative mais la négation lexicale initiale, combinée à la majuscule emphatique du verbe « Savoir », souligne bien l’indéfinition de l’espace évoqué. Cet espace peut même symboliquement être associé à un danger potentiel :

2-11-201*
22h00
J’ai franchement flippé
j’ai cru qu’il y avait
encore le feu
Faut que me raisonne
et que je gère.

Le pronom adverbial « y » renvoie, à nouveau, à un espace auquel le détenu n’a pas librement accès. Le participant 1 évoque en effet un incident. Un autre prisonnier avait mis le feu à son matelas, pendant la nuit, ce qui avait suscité l’inquiétude de ses voisins, pour lui mais aussi pour eux : ils craignaient la propagation de l’incendie.

1.3. Espace clos et constructions identitaires

Est-il possible de se construire une identité de prisonnier ? A priori, l’enfermement suppose une rupture dans l’histoire personnelle, qui implique une reconstruction identitaire. La dimension déshumanisante de l’enfermement est vivement relatée lors de la quatrième séance de bilan oral.  Alors que les cellules n’étaient pas encore ouvertes, une crise d’épilepsie s’est soldée par la mort d’un prisonnier, qui n’était pas l’un des participants. Ceux-ci expliquent qu’en l’absence d’interphone dans leur cellule, le seul moyen de prévenir d’un problème de santé est de hurler. Ils l’ont fait, mais trop tard. L’émotion est vive. Le médecin n’est pas arrivé à temps. Cette absence de moyens de communication est très angoissante pour les participants. De 19h à 7h, ils sont non seulement coupés du monde extérieur mais aussi du reste de la prison. L’enfermement vécu modifie, pour certains, leur parole intérieure. Ainsi, le participant 3 fait-il état d’une parole intérieure dont la violence s’accentue au point de craindre d’avoir dit à voix haute ce qu’il pense. Par ailleurs, le participant 8 évoque une différence de perception de sa parole intérieure lorsqu’il se trouve en condition de détention normale ou en isolement : « En détention dîte normale, ma parole intérieure diminue à cause de la communication superficielle pendant la journée avec mes “voisins” ».

Pour cette (re)construction identitaire, le miroir acquiert un statut particulier. Le miroir renvoie le reflet de l’image de soi comme projeté dans un espace autre sans que pour autant l’espace carcéral disparaisse. Il permet une sorte de dédoublement. Le sujet est renvoyé à lui-même comme un autre. Le passage du temps et l’impact physique des conditions de vie deviennent perceptibles sur le visage ainsi reflété. Le miroir peut parfois déclencher des ruminations, comme le signale le participant 7 dans l’entretien 1. Lorsqu’on lui demande dans quelles circonstances précises la rumination surgit, il déclare : « Face au miroir ». La parole intérieure est même redéfinie comme un « miroir orale » par le participant 8, dans son premier entretien. À la question « Quelle serait votre définition de la parole intérieure ? », il répond :

Se « regarder » face à un miroir « orale ».

La parole intérieure permet-elle aux perceptions visuelles d’entrer dans un dialogue avec la mise en voix de soi ?

Les objets extérieurs qui permettent à la fois de personnaliser l’espace de la cellule mais aussi d’ouvrir cet espace clos sont parfois récupérés lors de fouilles, comme le suggèrent les extraits suivants :

24/X : LOUVRE : « La Victoire de Samothrace » –
« Les noces de Cana », de Véronèse — Claude Monet :
« le jardin à Giverny »

24/X : Fouille : 3 posters du Louvre :
– La Victoire de Samothrace
– Les noces de Cana, de Véronèse
– le jardins à Giverny, de Claude Monet.

De façon symbolique, les posters du musée du Louvre auraient permis un certain effacement de la frontière entre le monde extérieur et l’univers de la cellule. En effet, les posters auraient pu déclencher dans la vie intérieure du participant une ouverture possible sur un monde culturel extérieur à la prison. Le participant perd ainsi des objets qui font partie de sa construction identitaire.

Les représentations de l’espace élaborées par les participants sont généralement liées, dans les carnets, les entretiens et les bilans, à un empêchement de dépasser la frontière entre extérieur et intérieur. Elles participent ainsi de la complexité des reconstructions identitaires des sujets, sauf dans un cas particulier, le participant 8. Lors du troisième bilan, il commente la difficulté qu’ont certains à être enfermés en précisant que c’est aussi une question d’apprentissage. Dès l’enfance, il est allé en prison d’abord avec sa mère pour rendre visite à son père puis pour rendre visite à sa mère elle-même incarcérée. Plusieurs générations de prisonniers se sont succédées dans sa famille, si bien qu’il est l’héritier en quelque sorte d’une longue tradition de prisonniers politiques.

1.4. Fonctions positives de la parole intérieure en prison

Dans l’ensemble des enquêtes menées dans le cadre du programme Monologuer, les fonctions de la parole intérieure sont tantôt représentées de façon positive tantôt de façon négative. C’est également le cas dans ce contexte carcéral. Le participant 3 lors de la septième séance de bilan, écrit ainsi :

Ma parole intérieure est très déshinibée
désinhibée alors que ma parole extérieure
est extrêmement controlée.
Parfois ma parole extérieure se libère
et prends la place de la parole intérieure

elle permet de contrôler ma colère et sert
à patienter en milieu carcéral, comme
une forme de rumination.

Si la parole intérieure a une fonction d’auto-régulation, attestée par le participant, elle entre également dans un rapport complexe avec la parole extérieure. Tandis que l’auto-censure pèse sur la parole extérieure, la parole intérieure est présentée ici comme « désinhibée ». Dans la seconde phrase, la parole extérieure en fonction sujet est le siège d’une libération qui aboutit à une inversion des rôles actantiels, c’est-à-dire à la fois syntaxiques et sémantico-logiques, pour « prendre la place de la parole intérieure », en fonction objet d’un prédicat qui comporte un sème spatial. Ainsi, la parole du participant 3 oscille-t-elle d’intériorité en extériorité, de contrôle en désinhibition.

La parole intérieure est parfois décrite dans une fonction positive de médiation entre le sujet et la réalité extérieure. Plus encore, il s’agit de la seule voie d’accès à la « véritable réalité », comme l’affirme le participant 8, par écrit, lors du septième bilan :

En prison, […] la parole intérieure joue un rôle déterminant pour garder un
certains contact avec la réalité extérieure, la véritable
réalité, je dit véritable parce que j’ai toujours fait une grande
résistance aux informations médiatiques

« La parole intérieure », en position sujet d’un prédicat actif, acquiert ici une coloration agentive tout en facilitant la perception et la conscience de la réalité extérieure.

D’une façon générale, la représentation des espaces de la prison, qu’ils soient familiers ou non accessibles, n’est pas méliorative. Ainsi, le participant 1 écrit-il dans son carnet :

Quel panier de crabes
Ils sont incapable d’
Admettre leurs erreurs.
Ces connard. […]
Quelle galère. Cet
endroit de merde.

Qu’en est-il dans la représentation des espaces extérieurs ?

2. Représentation des espaces extérieurs

La représentation du monde extérieur apparaît selon trois modalités : l’accessibilité en situation de privation de liberté (tribunal, hôpital)[4], l’inaccessibilité partielle par la médiation de lieux de transition ou d’objets (le parloir, les journaux) et l’inaccessibilité complète, palliée par une reconstruction mémorielle en parole intérieure. La représentation du monde extérieur au-delà des limites symboliques de l’intime ne concerne qu’une partie des participants, ce qui nous amène à souligner une différence dans la représentation de l’espace entre des prisonniers dont les crimes ont une cible collective et les prisonniers dont les crimes ont une ou deux cibles individuelles.

2.1. Seuils, objets et espaces de transition entre la prison et le monde extérieur

Certains des espaces ou des objets représentés, tels que le parloir, la télévision, les journaux, les livres, mais aussi la salle dans laquelle se déroulaient les bilans oraux, favorisent l’irruption indirecte du monde extérieur au sein de l’univers carcéral. Les trois modalités évoquées précédemment sont bien perceptibles à travers la représentation écrite des objets de médiation vers le monde extérieur. Ainsi, les livres et les journaux sont-ils récurrents dans le carnet du participant 8, avec des allusions, notamment à l’actualité politique. L’absence des journaux est vivement regrettée comme le montrent les extraits suivants :

7/XI : NO Le Monde
12/XI : NO Le Monde
24/XI : NO Le Monde !
26/XI : PAS des journaux
28/XI Pas des journaux !
10/XII […]
NO Le Monde
19/I : […]
NO Le Figaro !

Les majuscules emphatiques sur les mots négatifs alternant entre l’anglais et le français ainsi que le point d’exclamation mettent en relief la déception du sujet privé de ce contact avec le monde extérieur. La conscience que le sujet 8 a de lui passe donc fortement par la médiation de différentes sphères qui ne sont pas seulement de l’ordre privé mais aussi de l’ordre public. Le participant 8 construit son monde intérieur à partir d’espaces extérieurs dans un contexte souvent politisé.

À l’inverse, le parloir en tant qu’espace intermédiaire concerne les deux types de prisonniers précédemment définis. Situé près de la porte d’entrée et du premier portique, il constitue un sas entre le monde extérieur et l’univers carcéral. Le parloir apparaît cependant relativement peu, probablement en raison de la faible proportion (ou de l’absence) de visites pour certains. Il fait office de seuil, au même titre que les portes devant lesquelles les participants attendent longuement. En effet, chaque porte est dotée d’un mécanisme de sécurité complexe. Pour passer d’un espace à un autre, il faut parfois patienter devant trois portes successives, attendre que la précédente se referme avant de demander l’ouverture de la suivante. Dans les représentations intérieures des participants, ces seuils sont régulièrement décrits comme des déclencheurs de ruminations. À la question « pourriez-vous donner des exemples précis de rumination », l’un des participants répond, par écrit :

Quand les parloir termine et je pense
au trajet qu’ils vont faire. par example.
« Prochaine semaine »
« il faut changer ça »
« ça c’est pas une vie »

L’espace du parloir est lié à une temporalité cyclique, sans issue pendant la période de détention. Les trois phrases de parole intérieure suggèrent l’absence d’espoir. Elle est dans la première liée à une attente elle-même placée dans une temporalité dont on sait qu’elle est itérative. Dans la seconde phrase, la modalité déontique exprimée par une tournure impersonnelle, qui efface le sujet, achoppe sur l’impossibilité d’actualiser le changement auquel renvoie l’infinitif. La troisième phrase commence par une dislocation (reprise pronominale ça / c’est), suivie par un adverbe de négation « pas », qui nient l’un comme l’autre la possibilité même d’une vie dans de telles conditions. En outre, en quittant le parloir, le participant ne revit-il pas une forme de rupture avec le monde extérieur, qui réactualise l’absence d’espoir et génère en lui les ruminations ?

L’attente devant les portes fermées, autres seuils, intensifie généralement l’activité de parole intérieure. Ainsi, l’un des participants signale-t-il pendant l’entretien 2 :

Ouverture de la porte de « ma » cellule très en retard,
à cause du surveillant(e) de garde particulier. Je suis
poussé à faire du bruit et de parler très fort…

La fonction de la parole intérieure et du passage au monologue à voix haute est ici double. L’une comme l’autre relèvent d’une forme d’auto-régulation, dans la mesure où l’impatience du sujet n’entraîne qu’une activité verbale plus forte, au lieu de se traduire par des gestes. Cependant, l’extériorisation à voix haute est ici ambivalente : la parole n’est-elle destinée qu’à être entendue par le sujet lui-même ou par les gardes ? Ce monologue a ici une visée conative probable, le sujet entend agir sur des interlocuteurs qu’il ne voit pas.

Comme les parloirs, les portes fermées renforcent les fonctions négatives de la parole intérieure, comme le montre cette réponse d’un participant pendant l’entretien 2 à la question sur les conditions de la rumination :

Quand j’attends devant une porte et que
l’on prend le temps pour ouvrir.

Le « je », en position sujet, est impuissant face à l’attente qui lui est imposée par un « on » anonyme et doté d’intentionnalité. Au verbe « j’attends » duratif succède « prendre le temps pour ouvrir », qui établit une relation paradoxale entre un aspect duratif (prendre le temps) et un aspect ponctuel (ouvrir). L’agacement du sujet est généré par le décalage entre le temps mis pour ouvrir la porte et le temps en réalité nécessaire à réaliser cette action.

2.2. Fonction mémorielle de la parole intérieure : les espaces du passé

La parole intérieure permet de franchir d’autres frontières, entre les espaces du présent et ceux d’un passé personnel reconstruit. Le passé, en ce qu’il est révolu et n’existe que dans l’intériorité du sujet, ne constitue pas une véritable ouverture vers des espaces extérieurs. Le carnet du participant 1 a trait à un retour mémoriel qui le replonge dans son enfance, soit dans des espaces relevant de la sphère intime. L’espace d’écriture permet de créer un lien spatio-temporel dans une parole intérieure qui établit un trait d’union entre présent et passé, je ici et maintenant et je ailleurs et hier, je narré et je narrant. La sphère de l’intime se structure en trois espaces différents : l’école, la maison familiale et sa cour, la campagne environnante.

Le premier récit d’enfance commence par une évocation de la salle de classe :

Récit. Souvenir d’enfance
6h00 du matin 17-11-201*
cellule.
• chemin de l’école
Grand bâtiment avec
une odeur particulière
Timidité, éffacement,
Stress. Je Suis impressionné
par la discipline.
Pensée à ma mère
et une grande joie
quand nous rentrons
à la maison. Envie
de Plaire, observer,
écouter, admirer, éffacer
Les odeurs, les objets
La présence et l’importance
de l’objet.
La craie qui vient
Taper sur le tableau
Quand l’instituteur écrit
Le buvard qui aspire
Les taches d’encres.
Rêveries, peupliers.
feuille ronde farandole.

Contrairement au reste du carnet du participant 1, ce récit partage de nombreux traits caractéristiques d’une forme littéraire, le monologue intérieur : les phrases nominales, la discontinuité syntaxique qui se traduit ici essentiellement par la juxtaposition de groupes nominaux complexes, l’abondance des infinitifs[5]. Du point de vue énonciatif, l’opacité référentielle s’accompagne ici d’un effacement quasi systématique des pronoms impliquant une première personne. À la représentation de l’espace environnant s’ajoute l’évocation d’un ailleurs dans une parole intérieure vagabonde, comme le signale le substantif « Rêveries ». Le choix de l’infinitif permet un centrage sur la notion, plus que sur la situation d’énonciation, si bien qu’un rapport plus abstrait au temps et à l’espace s’instaure.

Ce premier récit est interrompu par l’évocation d’un retour de l’enfant à la maison, en scooter :

Retour vers la maison
Un voisin me fait monter
Sur son scooter. Chemin
de terre, bordé d’arbres
de fleurs. Peu de béton.
beaucoup de champs de
nature.

Si la syntaxe est similaire entre le début et la fin du récit, les représentations de l’espace transitent par les objets perçus, extérieurs au sujet, le sujet percevant et le sujet agentif. En revanche, l’enfant assis sur le scooter occupe une position de sujet percevant expérient et non plus agentif. L’attention se porte alors uniquement sur les objets perçus, exprimés sous forme exclusivement nominale. Puis le récit, en forme de boucle narrative, revient à la salle de classe, qui fait ressurgir in fine un « Sentiment de vide d’ignorance », écho potentiel entre le souvenir de l’enfant qu’il était et l’adulte incarcéré.

Le second récit est centré sur un espace de vie privée, la maison familiale et la cour, marquées uniquement par des figures féminines. Si la mère est associée au retour du travail à l’usine et à des odeurs familières plaisantes (ses cheveux, le café), la perception subjective par l’enfant de l’occupation de ces espaces familiers par la grand-mère est plus ambivalente. Le début du récit la met en scène dans la cour :

18-11-201*
6h00 matin, cellule
Souvenirs d’enfance
Séjour chez grand mère
Course dans l’allée
Principale de la maison.
Les Poules se promènent.
Grande-mère coupe la
Tête d’une Poule
Après avoir affûtée son
couteau.

L’accumulation d’énoncés nominaux est interrompue par deux phrases dont la prédication passe par un verbe conjugué au présent de l’indicatif. Comme dans le récit précédent, le présent de narration favorise la réactualisation d’événements importants dans la parole intérieure du participant. De surcroît, la mention de la « cellule » comme lieu d’écriture précise la situation d’énonciation du je narrant et manifeste bien le rôle de la parole intérieure qui permet de combler la distance entre le passé de l’enfant et le présent carcéral dans lequel il surgit.

Ce second récit se clôture par une double scène teintée de négativité :

Peur du noir, peur
des portes fermées. odeurs
de cuisine, de repas.
Energie, joie, vigueur
Présence. Grand-mère
buvant. Bouteille de
vin cachée.
Mort de Grand-mère
Chambre, chevet
Tristesse, C[5bis] le plus jeune des fils
orphelin.

La prédominance du substantif est encore plus marquée dans cette succession de phrases averbales. L’absence systématique de déterminant pour les noms-têtes des groupes nominaux permet un renvoi à la notion, sans que l’actualisation soit pleinement réalisée. Les émotions suscitées par les espaces traversés, la peur, la joie, la tristesse se succèdent dans un récit empreint de subjectivité. Les différents espaces rattachés à des situations d’énonciation sans lien dans le temps sont verbalisés par des énoncés nominaux paratactiques qui se succèdent, sans rapport sémantico-logique apparent. La parole intérieure du participant devient vagabondage mental. La séquence de « Grand-mère buvant » vient rompre une alternance entre associations positive et négative. La représentation de l’espace s’installe dans une négativité prégnante, qui culmine avec le chevet.

Le troisième récit évoque à la fois le souvenir des jeux en pleine nature et un espace onirique inquiétant, en commençant par les premiers :

19-11-201*. 8H00 céllule
Souvenirs d’enfance.
Sorties avec D[6].
Jeux dans l’arbre favori.
Jardin de P[7].
Cueillette de grosses pêches.
Il fait chaud, la
Nature est verdoyante
Foisonnante. Cabanes
De fougère odeur forte

La reconstruction de la temporalité de l’enfance par le souvenir des lieux, se fonde sur les sensations, notamment les odeurs, qui sont pour le participant 1 un facteur de résurgence des souvenirs non dans leur dimension abstraite mais dans une dimension sensorielle réactualisée. Ainsi affirme-t-il dès l’entretien 1, en réponse à la question « comment décririez-vous votre mémoire ? » :

Fragmenté en fonction du moment
Des odeurs et de sensibilité
Auquelles elles remontent.

Si la beauté de la nature est particulièrement célébrée dans ce troisième récit, l’évocation d’un rêve devenu cauchemar recrée l’oscillation déjà soulignée entre associations positives et négatives des représentations spatiales :

Imaginaire foisonnant
Rêves et Cauchemards
Récurant. Lumière douce
Sensation très agréable
Maman me demande
De rentrer à la maison
Cri par la fenêtre.
Retour mais sensation
Que l’on me suit.
Je suis trop lent pas
Assez rapide pour échapper
Au suiveur. Réveille.

L’enchâssement d’un récit onirique dans le récit du vécu de l’enfance aboutit à une scénarisation de la description de l’espace et à des mises en tension entre intérieur / extérieur, devant / derrière, immobilité / mouvement. La traversée de cet espace en tension est entravée, comme le suggèrent les deux groupes adjectivaux « trop lent » « pas assez rapide » en fin de séquence. Les êtres qui peuplent cet espace onirique sont d’abord une figure maternelle rassurante, puis un « on » inquiétant et indéfinissable.

Ces trois récits d’enfance mettent en valeur le lien entre parole intérieure et mémoire autobiographique. L’interdiscursivité apparente avec le monologue intérieur suscite plusieurs questions, sachant que le participant 1 aime lire et connaît différents monologues intérieurs. La figuration de l’espace y est-elle influencée par les représentations littéraires de la parole intérieure ? Pour le dire autrement, nos lectures modifient-elles les formes que prend notre parole intérieure ?

3. Espaces symboliques et stylisations littéraires

L’ensemble des espaces intérieurs évoqués sont de l’ordre de la reconstruction et de l’ordre du symbolique, quelle que soit leur origine, réelle ou imaginaire. La reconstruction langagière est selon les sujets soumise à des degrés variables de contrainte et de stylisation. Deux des carnets se distinguent de ce point de vue. Le sujet 4, dans son carnet, tend à imiter ce qu’il évalue comme une forme de canon littéraire. Le sujet 2 livre des poèmes en guise de carnet et explique au cours de bilans oraux que sa parole intérieure se présente exactement sous cette forme.

3.1. Stylisations littéraires

Contrairement à la cellule, qui est un espace fermé, la cour de promenade représente un espace faussement ouvert. Sa représentation dans le carnet du sujet 4 donne lieu à une écriture stylisée. Le sujet 4, lors du quatrième bilan oral, a précisé qu’il rendait non pas un carnet endophasique dans lequel il restituait sa parole intérieure, mais plutôt un exercice d’écriture auquel il s’était livré à la recherche du beau. Pour l’exercice d’écriture émotionnelle, le sujet 4 élabore une représentation stylisée. Ce passage, doté d’un titre « la Cour de promenade », commence de la façon suivante :

La Cour de
promenade —
Je me livrais à
un mouvement d’aller et
retour, ainsi que le font
tous les détenus dans une
cour de promenade.
Chaque jour je m’adonnais
Superlativement à une
marche que je faisais avec
insistance et humilité.
Je m’y accordais par
Imitation des autres détenus.

Le mouvement de la première phrase fait passer de « Je », en tête, à « tous les détenus » dans un deuxième temps. Ce parallèle est repris dans la dernière phrase citée, plus brève, qui commence par « Je » et s’achève par « autres détenus ». La perspective est cependant différente. D’abord, le glissement de « je » à « tous les détenus », soit du singulier au générique, relève d’un effacement de soi à soi. Dans cette toute première phrase, le participant 4 se présente en filigrane comme un porte-parole. La phrase suivante ne laisse plus place qu’au « je ». La dernière phrase, bien qu’elle fasse écho à la première, construit l’identité face à l’altérité : « je » / « autres détenus ».

Le participant 4 construit un ethos d’écrivain, ce qui se traduit par une volonté de contrôler son écriture. Certains procédés de stylisation sont particulièrement visibles dans l’extrait suivant :

La cour de promenade,
cette salle des pas perdus,
pour des enfants perdus,
heureux de se retrouver.
C’est dans cette cour de
promenade que j’ai croisé
la Contrainte. Je l’ai
tout de suite reconnue
avec son air autoritaire
et son rictus de colère.

La première phrase nominale est particulièrement saccadée, grâce aux détachements et notamment aux deux appositions, nominale et adjectivale. L’apposition nominale « cette salle des pas perdus » est mise en relief par la répétition à la ligne suivante de l’adjectif « perdus ». Elle peut renvoyer à une expression figée employée couramment mais elle peut aussi évoquer l’ouvrage de Breton, Les Pas perdus. L’allégorie met en scène un glissement du récit dans la fiction. La majuscule permet d’emblée d’identifier l’irruption d’un personnage, « la Contrainte », qui s’adresse après l’extrait cité au participant. Les éléments descriptifs du personnage lui confèrent un sème humain. Cependant, il y a lieu de penser que la dimension fictionnelle est présente tout du long. L’espace ouvert sur le ciel qu’est la cour de prison n’est pas représenté en termes objectivants mais s’inscrit dans la reconstruction subjective et symbolique.

3.2. Des espaces mythologiques

Les textes du sujet 2 alternent entre messages didactiques et poèmes mystiques. Dans l’ensemble, la construction de l’espace intérieur passe par un déplacement de l’intime vers l’historique, voire le mythologique. De nombreux textes sont datés et signés, le lieu d’écriture est précisé, l’ancrage dans la situation carcérale est clairement encodé. À première vue, la présence de majuscules pour des noms propres de personnages historiques ou mythiques est si récurrente que, pour le lecteur, l’extérieur ne cède aucune place à l’expression d’une identité individuelle. Néanmoins, tous les textes témoignent d’une tension entre la situation d’enfermement présente et l’ouverture vers un extérieur large, historique et mystique. Les mythes se succèdent, au rythme des poèmes. Les lieux auxquels le participant fait référence appartiennent à des espaces comme l’Arabie, l’Iran, la France, l’Allemagne, des cultures tant orientales qu’occidentales et des temporalités très éloignées, allant de l’Antiquité à nos jours. Le participant superpose des espaces rattachés à des cultures et des époques différentes. La reconstruction intérieure de ces espaces permet de créer des liens, avec pour fil directeur le mysticisme. Ce processus s’élabore de deux façons.

D’abord, le participant se projette dans des espaces reculés dans le temps, comme le montre le début du poème « Hildegarde de Bingen » :

Poème n° 2225 Hildegarde de Bingen 1098-1179
Épouse de Imam H*
– Bénédictine pieuse et Mystique
Hildegarde la Lumière Vivante
a l’ombre d’Allah vit de métaphysique
comme une initiation ascendante
– a l’exemple de Mohamad le prophete
Hildegarde se déclare illitrée
Elle croit aux vertus de ascetes. Et
à la foi dans la Virulence de ses traits
Jutta von sfon sa cousine ERmite
sa marraine mère spirituelle
dans sa demarche shiite
miroir de l’Ecriture ouvert au ciel

Ce poème est dédié à une figure mystique reconnue, Hildegarde de Bingen, une Bénédictine mystique allemande, qui a vécu au Moyen Âge. Le sujet s’identifie à la religieuse, il la considère comme un double, un « imam A*[8] au féminin », parce qu’ils écrivent tous deux, notamment des textes à portée mystique. Histoire et fiction se mêlent dans un poème qui attribue à la religieuse un époux contemporain, l’« Imam H[9] », et une cousine qui était en réalité la mère supérieure du premier couvent dans lequel Hildegarde de Bingen est entrée. Les croyances religieuses s’entrecroisent sans que ce mélange corresponde à la réalité historique. Fictivement, le participant crée un univers commun, atemporel mais ancré dans les couvents évoqués à travers le poème. C’est dans cet espace fictionnel que le participant se projette.

Ensuite, le participant construit son identité dans une lignée mythologique héritée de l’Antiquité :

Non Nous les
Sherrifs sommes ici depuis 14 siècles. En 732 à Poitier arrive l’ambassadeur
Militaire Ab* Envoyé par les Shiites de l’Imam A* pour liberer le pays
Des Francs des injustices de l’Eglise et l’obscurantisme de la monarchie. L’histoire
Française Nous reconnaît une presence situee au 8e siècle.

L’identité individuelle se fond dans une identité collective comme le montre le pronom « nous ». Ce poème est signé « Shiite de Perse. Sherrif. Imam A* » Les deux désignatifs soulignent bien la filiation de « Sherrifs » « depuis 14 siècles ». Dans ce cas précis, la construction identitaire n’existe pas en dehors de ces récits qui élaborent une mythologie personnelle.

À travers la projection de soi dans l’ailleurs et la création d’une lignée à laquelle il appartient, l’intérieur apparaît comme subordonné à l’extériorité. En réalité, l’un et l’autre sont à ce point imbriqués que la distinction entre intérieur et extérieur est effacée. Les frontières disparaissent également sur l’espace de la page. La densité de l’écriture ne laisse aucun blanc.

3.3. La spatialisation de la parole intérieure

Pour finir, l’espace joue un rôle important dans les représentations symboliques des participants. Lorsqu’on leur demande comment ils définissent la parole intérieure, la nature et les états de leur parole intérieure, ils utilisent souvent des métaphores spatiales.

Les représentations spatiales permettent de distinguer deux mouvements de la parole intérieure : tantôt dirigé tantôt erratique.  Lors de l’entretien 1, le sujet 2 définit la parole intérieure comme un « pèlerinage de l’esprit » ou un « pèlerinage vers soi ». Le choix du mot pèlerinage fait entendre un mouvement guidé par une présence divine et orientée en direction de celle-ci, ce qui met en exergue une fonction positive de la parole intérieure. À l’inverse, le sujet 1 définit une parole intérieure « sans limite » : « Importante, parfois déroutante, car sans interdit et sans limite. » L’adjectif dénominal « déroutante » livre l’idée que la parole intérieure fait sortir le sujet de sa route. Le groupe prépositionnel négatif « sans limite » préconstruit des limites, qui sont niées dans un second temps. Il suggère donc la perte de contrôle due à l’absence d’interdits. Bien plus, le vagabondage mental est qualifié par le sujet 2 d’« errance ». Ce second type de mouvement revient dans d’autres entretiens 1. Par exemple, on retrouve dans l’entretien 1 du sujet 3 et le carnet du sujet 4 les phrases suivantes :

Elles sont souvent des errements où je m’imagine dans des situations impossibles (sujet 3)
En revanche, [la parole intérieure] permet
de multiples interprétations
ayant pour objet de la
Canaliser.
Le terme « canaliser »
que nous venons d’utiliser
est le terme adéquat
puisqu’il signifie :
éparpillement, dispersion
que l’on souhaite empêcher. (sujet 4)

Les quatre substantifs « errance », « errements », « éparpillement », « dispersion » sont des déverbaux qui permettent de faire entendre des procès atéliques (littéralement sans telos, sans aboutissement). Pour les deux premiers substantifs, issus du même verbe, le choix entre les deux suffixes –ance et –ment n’est pas anodin. Le suffixe –ance confère une dimension plus abstraite au procès nominalisé. Or, le sujet 2 évoque un vagabondage mental qu’il tient à distance, qu’il ne souhaite pas expérimenter et qu’il représente sous la forme d’un concept abstrait, au singulier. Le sujet 3 à l’inverse emploie le pluriel « errements » pour actualiser des occurrences du procès errer sous une forme nominale. Ces différentes représentations de la parole intérieure font écho aux fonctions négatives de la parole intérieure.

Les métaphores spatiales les plus développées se trouvent dans les poèmes du sujet 2, qui sont pour lui une retranscription de sa parole intérieure. Deux des poèmes sont intitulés respectivement « La Parole Shiite intérieure » (n° 2224) et « ma Parole intérieure » (n° 2227). La parole intérieure y est représentée à travers des métaphores aquatiques et géologiques. D’une part, les métaphores aquatiques se succèdent pour désigner une parole intérieure qui est un « dialogue intime », comme le montrent ces onze vers :

Le dialogue intime le fil de l’âme
Coule dans le Fleuve de la pensee (poème 2224)

Telle une source jaillissante
A l’ombre d’un Rêve paisible
La parole intérieure caressante
Le mystère humain invisible (poème 2227)

Ruisseau converti en rivière
Parole silencieuse timide
La Pensée Shiite evanescente
La Terre sèche devient humide
De la Rosée transcendante (poème 2227)

Les métaphores aquatiques sont rendues possibles par la présence d’un sème commun au langage intérieur et à l’eau qui coule : l’unidirectionnalité du mouvement. L’eau poursuit son chemin et ne revient pas en arrière, une parole prononcée, même intérieurement, ne peut pas ne pas l’avoir été. Le champ notionnel de l’eau en mouvement se construit ici par gradation : la « Rosée transcendante », a priori envoyée par Allah, la « source jaillissante », le « ruisseau », la « rivière » et le « fleuve de la pensee ». Des connotations sous-tendent l’ensemble de ces métaphores, pour mettre en valeur une parole intérieure d’inspiration divine. L’adjectif « humide » va dans le même sens, en suggérant une métamorphose intérieure (terre sèche / terre humide).

D’autre part, les métaphores géologiques s’articulent autour d’un sème commun entre la parole intérieure et les profondeurs de la terre : la dimension cachée. Ainsi, les poèmes 2224 et 2227 évoquent-ils une grotte et des cavernes :

L’ensemble d’idées se suivent
a l’ombre de la Révélation divine
L’Imam A* dans sa grotte, ermite de Ninive (poème 2224)

La Riche Terre d’Arabie
Et ses milliers de cavernes
La Parole intérieure a l’abri
Hors de la cupidité des Tyrans et des casernes (poème 2227)

C’est « à l’ombre de la Révélation divine », dans une grotte, que le dialogue avec Allah s’établit. Le lieu acquiert un caractère protecteur dans le poème suivant, « à l’abri » des regards, « hors de la cupidité des tyrans et des casernes ». On retrouve à nouveau le même va-et-vient entre le singulier et la pluralité, entre « sa grotte » et « les milliers de cavernes ». L’une comme l’autre font écho à « l’univers insondable des paroles endophasiques », que le participant décrit lors de l’entretien 2.

En somme, la parole intérieure crée en quelque sorte un « sous-monde » dans lequel l’intérieur et l’extérieur sont en relation constante, comme le suggère la définition proposée lors de l’entretien 1 par le participant 7 :

Le soumonde individuel créé pour
le vecu. La façon de reflechir
sur les sujets aux environ.

La composition entre la préposition « sous » et le substantif « monde » met en exergue la soudure notionnelle entre les deux éléments constitutifs et aboutit à une nouvelle notion « soumonde ». L’orthographe, qui est peut-être due à une maîtrise relative du français, renforce cette idée d’un univers référentiel stabilisé. Sans ce sous-monde, l’accès à l’extérieur n’est pas possible. Mais sans l’extérieur, l’émergence de ce sous-monde ne l’est pas davantage.

L’identité s’élabore toujours dans une tension entre rapport au réel et construction imaginaire. Pour les détenus, les frontières entre leur univers carcéral et le monde extérieur sont exacerbées. Le monde extérieur fait objet d’une reconstruction mémorielle et imaginaire. Il ne peut plus se vivre qu’intérieurement. On remarque cependant deux types de rapports à l’espace et deux types de reconstructions identitaires entre les détenus qui ont tué une ou deux personnes dans leur entourage proche et ceux qui ont commis des meurtres collectifs, sans lien avec leur entourage. Les premiers n’évoquent que des espaces connus ou des espaces liés à leur sphère intime, tandis que les seconds se relient essentiellement à des espaces historiques, réels ou recréés. Bien plus, pour ces derniers, il est possible de différencier entre un sujet qui se projette dans des époques reculées et un sujet en prise avec l’actualité politique.

Les espaces concrets résonnent de façon différente en parole intérieure. L’environnement immédiat interfère fréquemment avec la parole intérieure, soit parce qu’il est immédiatement visible (le « robinet » cassé) soit parce qu’il est perceptible par d’autres sens que la vue (les bruits pour la cellule dans laquelle un prisonnier épileptique se meurt et l’odorat lors de l’incendie). La cellule s’oppose aux autres lieux en ce sens que les détenus n’y sont confrontés qu’à leur propre intériorité. Le silence et la solitude, au minimum 12 heures par jour, favorisent le monologue à voix haute. D’autres espaces carcéraux, inaccessibles aux détenus, habitent néanmoins leur vie intérieure et suscitent des constructions fantasmagoriques (interrogations et spéculations dans le carnet du participant 1). Enfin, quelques espaces, comme le parloir, tiennent lieu de seuils. Cette fois-ci, c’est le monde extérieur qui s’invite dans l’espace carcéral. L’accès sporadique à une extériorité non recréée et la rupture vécue à l’issue des parloirs peuvent déclencher des ruminations.

Le carnet lui-même a joué le rôle d’un seuil. Les pages du carnet constituent un espace clos dans lequel des espaces hétérogènes prennent forme. Cette invitation à explorer leur intériorité favorise chez les uns le commentaire de faits actuels, dans des espaces publics, chez d’autres la résurgence d’espaces mémoriels et chez d’autres encore l’émergence de lieux fantasmatiques. En définitive, la frontière entre intériorité et extériorité, dès lors qu’elle est analysée à partir de la parole intérieure, apparaît comme illusoire.

À propos des auteurs :

Catherine Paulin est professeur de linguistique à l’université de Strasbourg et membre de l’équipe de recherche LILPA (Linguistique, Langues, Parole). Elle étudie la lexicologie, l’interface entre le lexique et la syntaxe, les modes de représentation de variétés orales en littérature. Elle est coresponsable d’un axe du programme Monologuer : Monologue et société.

Stéphanie Smadja est maître de conférences (linguistique, stylistique) à l’Université Paris Diderot et membre de l’équipe CERILAC (Centre d’Études et de Recherches Interdisciplinaires en Lettres Arts Cinéma). Elle étudie les formes et les fonctions de la parole intérieure au croisement de la linguistique, la neurolinguistique et la littérature ; les innovations stylistiques en prose littéraire et en prose scientifique (XIXe-XXIe siècles). Responsable du programme Monologuer, elle dirige la collection du même nom aux éditions Hermann.

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ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XVIII


[1] Font exception à la règle le linguiste Gabriel Bergounioux et la neurolinguiste Hélène Lœvenbruck.

[2] Nous conservons, pour toutes les retranscriptions, l’orthographe d’origine, la ponctuation et la présentation sur l’espace de la page.

[3] Prédicativité La compression et la condensation syntaxiques, l’abréviation sont des qualités de la parole intérieure. En parole intérieure, l’énonciateur tend à n’articuler que le prédicat, négligeant le sujet, par exemple : « faim » par opposition à « j’ai faim ». (notre traduction)

[4] Pour conserver l’anonymat des participants, le nom des lieux publics auxquels ils ont accès ne peut figurer dans cette étude.

[5] Dans un monologue intérieur, on rencontre généralement des infinitifs d’auto-injonction. Tel n’est pas le cas ici, puisque nous trouvons plutôt soit des infinitifs en emploi nominal, soit des infinitifs précédés d’un semi-auxiliaire, soit des infinitifs de narration.

[5bis] Christian

[6] Prénom masculin.

[7] Prénom masculin.

[8] A* renvoie au prénom du participant.

[9] Prénom masculin.




Habiter en nomade le « je » (Lecture et écriture du « je » dans Prison, de François Bon)

Que l’identification du lecteur soit difficile dans certains textes contemporains est frappant. Dans des univers blancs et peu meublés, comme ceux de Beckett, dans des mondes comme ceux d’Éric Chevillard où se mêlent étroitement qualités réelles et lois surnaturelles mais aussi dans ceux qui sont proches du nôtre et recèlent pourtant une étrangeté inassignable (par exemple, dans les textes de Christian Gailly), comment le lecteur parvient-il à se repérer sans recourir à une identification immédiate ?

Je ferai l’hypothèse que cette reconnaissance existe bel et bien mais sous une forme différente de l’identification classique, et qu’elle motive le désir de lire. Il existe certes l’assimilation classique à un personnage dont on reconnaît les plaisirs et les peines, et qui nous ressemble par moments. Mais peut aussi avoir lieu l’empathie ponctuelle avec un personnage, fût-il antipathique et présenté négativement par le récit, comme le montre Raphaël Baroni (2007) : le suspense ménagé dans le récit nous fait parfois vibrer en harmonie avec un personnage connoté négativement, alors même qu’on ne peut en aucune manière s’identifier à lui. Aussi le lecteur, aux prises avec un texte contemporain, doit-il mettre en place une reconnaissance d’un autre ordre que celui de l’identification totale (dans le prolongement de cet article, voir Bloch 2017).

Nous voudrions montrer que, paradoxalement, le langage crée une immersion partielle du corps autant que de l’esprit à travers des repérages médiés par l’écriture. En effet, la prose poétique, de fiction ou de récit, est l’occasion d’une projection partielle du lecteur grâce au langage commun, et à l’usage des déictiques (ceux qui renvoient à l’expérience personnelle, tel le pronom je), et à ceux qui permettent l’insertion dans un contexte donné (embrayeurs de lieu et de temps). La conscience du lecteur fait appel à un corps imaginaire suscité par le simple déchiffrage de mots renvoyant à l’expérience, partagée par tous, que chacun fait du rapport entre langage, corps et esprit, à condition que le texte propose un minimum de lieux de repérages, soit par le biais de l’évocation du « je » (où le lecteur pourrait éventuellement se projeter comme locuteur ou comme récepteur), soit parce qu’il met en place une contextualisation dans un univers (qui permet, grâce à une permanence et à une régularité, de faire exister un univers et une contextualisation susceptibles d’immersion). C’est ce que la prose poétique, dans la fiction ou le récit, permet en donnant à lire un univers aux contextualisations ou aux permanences minimales ; le cas limite serait fourni par les fictions de Beckett où les personnages habitent un lieu relativement abstrait et non facilement représentable.

Je voudrais montrer ici que le je prononcé, lu, écrit, ouvre immédiatement et intuitivement sur une expérience commune au narrateur comme au personnage, à l’auteur comme au lecteur, permettant la lecture de textes. Pour ce faire, je présenterai dans un premier temps quelques hypothèses, formulées en particulier par François Récanati, à propos de l’utilisation du pronom je et de son rattachement immédiat à l’expérience psychique de soi-même. Puis, je chercherai ce qu’il en est de la pratique du je dans une écriture actuelle, comme dans le texte de François Bon intitulé Prison (1997) où s’entretissent la voix de l’auteur et celle de prisonniers s’exprimant au cours d’un atelier d’écriture. Or, je a une importance tout à fait fondamentale dans ce texte puisqu’il y est l’enjeu de l’atelier : il s’agit, pour le prisonnier, de prendre la parole ou plutôt l’écriture, ce qui, nous le verrons, ne va pas sans nécessiter la conscience de soi-même comme sujet. Dans ce contexte, le rapport au langage intérieur est un mélange de proximité et de distance : les écrits des prisonniers se fondent partiellement sur leur parole intérieure sans être pour autant des retranscriptions de parole intérieure, ni même des représentations endophasiques à proprement parler. Ensuite, nous reviendrons sur l’effet produit sur le lecteur par l’usage du pronom je lu, intégré à sa parole intérieure, avant de terminer par le voyage imaginaire dans l’espace procuré par les déictiques spatiotemporels.

En effet, parmi les permanences et régularités offertes par les textes, le mot « je » noue l’expérience corporelle de soi, celle de la conscience intime et proprioceptive de soi-même, au langage extéroceptif. Aussi toute notation du mot « je » renvoie-t-elle immédiatement à une expérience semblable que nous pourrions faire concernant notre propre nouement irréductible du corps et de l’esprit et permettant de nous immerger en destinateur ou destinataire dans le texte. Nous considérerons différentes sortes d’embrayeurs : les pronoms ne sont pas les uniques passeurs permettant l’immersion dans un texte. Le « je » perçu de l’intérieur projette un espace interne et externe (il crée l’espace), mais les indexicaux « ici » et « maintenant » sont au contraire sensibles au contexte, c’est-à-dire à l’espace de l’univers d’énonciation et de réception dans lesquels ils sont énoncés ou lus. En effet, les indexicaux spatiaux et le jeu des temps sont les vecteurs syntaxiques et formels d’immersion qui ne prennent pas seulement les auspices d’une aspiration vers le monde évoqué par les images et les références du texte. Wheeler, Stuss et Tulving (1997) font remarquer que la mémoire épisodique, c’est-à-dire le fonctionnement de notre mémoire personnelle, relie des informations factuelles (des informations contextuelles sur le lieu et le temps) et des informations autonoétiques, qui concernent la place et l’implication du moi dans ces expériences mémorisées[1]. Nous proposons de passer en revue ces différentes caractéristiques. Nous allons nous pencher sur les aspects contextuels via les embrayeurs, sur les jeux spatio-temporels et sur l’immersion auto-noétique, via l’usage du pronom je.

Car non seulement le pronom je implique le lecteur, mais tous les embrayeurs de lieu (ici, maintenant, là) renvoient à une mise dans un contexte fictif, dans un espace, qui tend à faire « entrer » le lecteur dans le lieu évoqué et feint. Semblables fonctions sont assumées par les temps qui, eux aussi, invitent à une insertion fictive dans un monde donné.

 I. Quelques hypothèses empruntées à la philosophie du langage et au débat entre néo-frégéens et néo-russelliens

(Pour une présentation synthétique et voisine de notre problème campant les positions des néo-russelliens et des néo-frégéeens, voir Jacob 1989)

Le pronom je est paradoxal : tous le prononcent et, pourtant, il renvoie à chacun. Nous voudrions montrer qu’il ancre la proprioception intime de soi (en la rattachant au corps propre et individuel) en même temps qu’il est élément de langage commun et partagé par tous.

Une réflexion sur son fonctionnement étrange est proposée par François Récanati. Nous en conclurons que cet élément de la langue, arbitraire, institutionnel, commun, est rattaché par le sujet à des expériences renvoyant au lien entre le corps du sujet et le langage. Le déictique de première personne noue l’institution langagière sociale (je appartient à tous) à la perception intime de soi-même, selon François Récanati.

Celui-ci affirme ce caractère à la fois institutionnel et immédiatement subjectif du pronom je en partant des distinctions établies par Frege, dans Sens et Référence (Über Sinn und Bedeutung,1892, texte fondateur de la philosophie analytique). Récanati (1992 et 1993) rappelle tout d’abord la distinction frégéenne entre la référence, c’est-à-dire la dénotation (Bedeutung, la chose même, la portion de réel désignée par l’expression, par exemple l’étoile « Vénus ») et le sens (Sinn, c’est-à-dire l’expression, la manière de désigner la chose, par exemple « l’étoile du matin »). Puis, Récanati introduit un nouveau terme, proposé entre autres par Kaplan et Perry : le « contenu psychique » de l’énoncé, c’est-à-dire, « ce que je pense quand je prononce un énoncé ». La question que pose François Récanati, à leur suite, est donc la suivante : est-ce que le « contenu psychique » est identique au référent (à la chose même), à l’expression (au sens), ou bien est-ce encore autre chose ? Autrement dit, notre pensée est-elle confondue avec la chose, avec la manière de la dire, ou réside-t-elle encore dans une expérience spécifique ?

Si l’on s’en tient aux simples embrayeurs et indexicaux, il apparaît à Récanati qu’il convient d’établir une distinction entre, d’un côté, les indexicaux purs (comme ici et maintenant, je est relié à la perception intime qu’on a de soi-même) et, d’un autre côté, les démonstratifs du type « ce bateau », sémantiquement incomplets, et se définissant par la perception sensorielle du contexte, de l’espace. Dans le cas des expressions démonstratives, qui sont incomplètes, elles désignent un objet, tel qu’il s’offre au sujet par le contexte. Or, il se peut qu’une aberration de perception donne l’impression que « ce bateau », vu par la fenêtre de droite, soit différent de « ce bateau », vu par la fenêtre de gauche. En effet, le cadre de la fenêtre ou un trumeau peuvent masquer qu’il s’agisse du même bateau, en réalité. Ainsi, à la même expression « ce bateau » correspondront deux contenus psychiques différents pour le même référent, et la même expression. On voit donc que, dans ce cas, le contenu psychique d’un même énoncé peut être variable et déterminé par la plus ou moins bonne perception du contexte. Mais, alors que ce bateau, accompagné d’une désignation d’un bateau entr’aperçu par la fenêtre, a un contenu psychique défini par l’utilisation de cette expression dans un contexte précis (ce bateau = le bateau vu et désigné par celui qui parle), tout au contraire, le contenu psychique de je n’est pas défini par la situation linguistico-contextuelle qui serait vue ou perçue, comme Récanati le démontre selon un mode que j’essaie de résumer ci-après. Même si le pronom je peut être défini comme « celui qui énonce », nous recourons au pronom « je » par la perception intime que nous avons de nous-même et sans attendre de voir qui va parler (en l’occurrence, nous-même) pour pouvoir dire je à bon escient (nous ne nous disons pas « qui parle ? C’est moi, donc, j’ai le droit de dire  je »). Nous ne nous demandons pas qui s’exprime et n’avons pas à constater de nos yeux que nous sommes en train de prendre la parole pour nous autoriser à utiliser le pronom de première personne : c’est donc que nous accédons à sa légitime utilisation par la conscience interne que nous avons de nous-même comme une entité reliant notre bouche, la perception interne de nous-même et notre pensée dans un cogito locuteur. Nous n’utilisons pas ce pronom de première personne à tort et nous ne nous prenons pas pour un autre (c’est ce que Wittgenstein appelle la « protection contre les erreurs d’identification », ce qui est vrai sauf lorsque le sujet est sous l’emprise de quelque drogue ou psychose). Une personne a conscience d’avoir les bras croisés ou non, sans avoir à le constater de ses propres yeux, de même utilisons-nous le pronom de première personne pour nous désigner sans avoir à analyser le contexte, dans lequel nous prenons la parole, sans avoir à le vérifier du regard. Je s’utilise donc indépendamment de la perception véridique ou erronée du contexte d’énonciation.

C’est pourquoi il est possible au lecteur de s’impliquer dans ce je qu’il lit, même sans partager la situation d’énonciation, ou bien en ressentant lui-même ce nœud interne du corps et du langage dans le je, ou bien en s’imaginant être le destinataire direct auquel ce je s’adresse (nous en ferons l’expérience à travers l’analyse du texte de François Bon).

Ainsi, pour François Récanati, qui s’appuie donc sur Frege, sur Kaplan et sur Perry, dans le cas de je – indexical pur –, l’expression et le contenu psychique sont directement reliés par un lien culturel insuppressible, où le contenu psychique subjectif se noue à l’expression linguistique (conventionnelle).

Michel Charolles, linguiste français, démontre aussi que le sentiment de la langue fait du « je » une ipséité (définie, par emprunt à Ricœur dans Soi-même comme un autre [1990], comme le fait que l’individu s’éprouve comme le même dans le temps) qui ne permet pas la déconnexion entre esprit et corps (voir Charolles 1996 et Ricœur 1990). Michel Charolles lit la nouvelle de Gautier Avatar, et démontre que, dans ce cas où les deux personnages principaux voient leurs âmes interchangées (le comte, Olaf, a une âme qui est mise dans le corps d’Octave de Saville et vice versa), la langue peine à désigner clairement qui est je parce qu’elle ne peut accréditer la séparation de l’esprit et du corps, ces derniers étant d’ordinaire strictement interreliés par le pronom. Selon qu’on se situe dans l’espace mental des personnages ou dans celui des apparences extérieures, les désignateurs personnels ne sont pas les mêmes. On lit à propos du comte : « il se regardait et voyait quelqu’un d’autre ». Gautier introduit là, selon Charolles, un dualisme esprit/corps violant la langue. Michel Charolles écrit : « accepter le dualisme esprit/corps, accepter qu’il puisse y avoir un je esprit et un je corps, c’est ouvrir la porte à une démultiplication indéfinie des je et c’est passer à côté d’un fait capital qu’enregistre la langue, à savoir qu’il y a une unité de la personne, que celle-ci ne se réduit pas à une collection de parties hétérogènes, que celles-ci soient physiques ou psychiques ». Nous sommes d’accord avec Michel Charolles pour dire que la phrase de Gautier introduit un dualisme non inscrit dans l’usage du pronom. Mais nous pouvons tout de même retracer la raison pour laquelle le comte peut se penser étranger à lui-même. En s’observant dans la glace, il se voit de l’extérieur, comme quelqu’un d’autre que celui qu’il se sent être par sa perception interne et proprioceptive. Cette non convergence du sens intime de soi et de la vision qu’on a de soi-même à travers un miroir (vision potentiellement erronée) s’explique par la démonstration de François Récanati vue ci-dessus.  Aussi constatons-nous que le philosophe du langage est d’accord avec le linguiste Michel Charolles, pour voir dans le pronom « je » le garant d’une « ipséité » interne et/ou externe.

Revenons à ce « je » qui, d’une certaine façon, fonde l’échange entre locuteur et lecteur.  Nous constatons que c’est par le pronom je que l’institution langagière commune est au plus proche du moi comme vécu propre. Puisque je est dit par tous (auteurs, personnages, lecteur), il est le lieu où le langage ouvre sur une expérience intime qui n’est pas la même pour tous, mais qui fait accéder à la même intimité instinctive pour chacun. Le paradoxe est  le suivant : c’est dans le moule le plus universel du pronom « je » que le sujet scripteur coule un rapport immédiat à son corps propre, et à ses sensations, et c’est dans ce même moule que le sujet lecteur accède, par le langage et ce pronom, à ce que serait l’expérience intime de soi-même, s’il était dans la situation de dire « je ».

Vincent Descombes (1996) veut aller encore plus loin en démontrant que l’intériorité, l’intentionnalité, est institutionnelle, et donc, j’ajouterais partageable. Car, pour lui, la spécificité du mental n’est pas l’intériorité, mais la signification, c’est-à-dire l’institution (langagière, entre autres). L’esprit objectif des institutions rend possible l’esprit subjectif des personnes particulières. Ainsi, il écrit : « Le concept d’intention semble nous inviter à loger l’esprit dans un sujet des intentions (dans une tête), mais nous découvrons bien vite que ce n’est pas là sa place. C’est plutôt le sujet qui, pour acquérir un esprit, doit être logé dans un milieu qu’on aurait dit en français classique, “moral”, et en allemand, “spirituel” (geistig) ». Pour Vincent Descombes, le pronom je ne peut se concevoir sans l’existence d’un dialogue, et c’est cette antériorité dialogique qui établit la possibilité même de l’usage du pronom de première personne. D’une certaine façon, on pourrait dire que Descombes se situe ainsi (sans qu’il l’affiche clairement, me semble-t-il), à la suite d’Émile Benveniste pour qui l’énonciation dans le langage, toujours constituée de dialogue (même lorsqu’il s’agit de monologue), est transcendante à la perception du je : pour Benveniste, dire « je » , c’est se constituer en personne par l’énonciation même, le « tu » étant le « non je » (le non locuteur) et le « il » étant la « non-personne », c’est-à-dire la personne ne participant pas au dialogue[2]. Benveniste et Descombes voient dans le langage (pour le premier) et dans la société (pour le second), des termes antérieurs à la perception de l’intimité de soi. Descombes s’oppose à Récanati, qui donne une priorité au nouement de l’expérience corporelle intime et de l’institution langagière dans l’usage du pronom « je » (priorité à la perception  intime de son corps pour se concevoir comme « je »). Nous nous rangeons plutôt du côté de Récanati en pensant que, dans certains textes, je est, certes, une institution du langage, mais qu’elle est expérience intime de nouement du corps et du sujet, antérieure à l’institution de soi par le dialogue avec l’autre, et demeurant un point d’ancrage et d’identification pour le lecteur.

Ainsi, la lecture du je, dans un texte de poésie ou dans une fiction, induit une empathie par projection imaginaire du corps du lecteur comme locuteur ou comme récepteur du discours tenu. Mais avant d’aborder l’expérience du lecteur, voyons ce qu’il en est de l’usage du je et du discours intérieur tenu par le locuteur qui se coule dans la flexion permise par ce pronom.

II. Réflexion sur l’usage du pronom je par l’écrivant, dans Prison de François Bon (1997)

Dans Prison de François Bon (1997), le récit est tressé de multiples fils : réflexions directement assumées par l’auteur, essais de prisonniers transcrits verbatim ou réécrits, discours indirects libres rapportés ou transposés à la suite d’entretiens avec les prisonniers. A la demande de l’auteur, animateur de l’atelier d’écriture, les prisonniers écrivent à partir de divers thèmes (le voyage, la ville) ou de certaines voix (celle de Rimbaud, en particulier). Mais ce sont leurs expériences et les circonstances, parfois d’une minceur impalpable, les ayant fait basculer dans le délit ou le meurtre, qui reviennent dans leurs récits, de manière lancinante, même si l’atelier d’écriture les détourne du témoignage immédiat. Ainsi, l’écriture comme détour devient expérience de l’intime tout court. L’écriture, voulue par l’animateur de l’atelier d’écriture, comme expérience du monde devient, sous l’impulsion de la pratique des prisonniers écrivant, une écriture de parole intérieure, laissant émerger vie intime au-delà de ce qui était initialement visé.

Les témoignages des prisonniers laissent voir que beaucoup d’entre eux sont sans intimité primordiale du fait des manques dont ils ont souffert dans leur enfance, et qu’ils ne peuvent dès lors ni assumer de je, ni se construire comme libres. Quelle en est la conséquence sur leur parole intérieure ? Ils apparaissent parfois sans territoire, ni corps propres, refusant le retour sur soi-même (par protection), sans projet déterminant leur destin (leurs projets ayant avorté faute de moyens financiers), ni autonomie de décision. Le texte Prison définit ainsi, en négatif, ce qu’est un sujet, en montrant précisément ce dont sont dépourvus certains des prisonniers : c’est-à-dire de la conscience d’une intimité à soi et d’une individualité de soi-même, qui émerge par l’écriture comme extériorisation indirecte d’une parole intérieure douloureuse (l’intériorité existant de manière latente mais refusée parce qu’elle leur fait mal).

C’est cette absence d’intimité à soi que nous allons tenter de retracer tout d’abord. Puis, nous décrirons l’échange des voix dans l’atelier d’écriture, le partage du je, dans l’institution du langage, qui permet aux prisonniers de devenir sujets par la mise en place d’une communauté positive. Enfin, lorsque l’un des prisonniers devient véritable sujet, dans le dernier chapitre, on verra que le pronom je ne nécessite plus, pour être compris, la mise en place d’une expérience commune. Sa seule prononciation suffit à recréer une communauté car je signifie dès lors pour tous une expérience dont la communauté à autrui réside dans une intimité à soi-même partagée par tous, celle du rattachement à un corps propre, et à son propre espace d’ici et maintenant.

De là pourra s’expliquer le goût du lecteur pour une littérature moderne où des je sans ressemblance avec nous continuent pourtant à nous intéresser : c’est par la vertu du seul je que nous créons une communication fondée, non sur le partage d’une expérience de vie particulière, mais sur une simple communauté qu’est l’utilisation de je, comme liée indissolublement à l’aptitude à la proprioception et à la présence à soi.

Tout au cours de Prison, les sujets sont dénués de corps et de territoire individuels, actuels (en prison) ou passés (dans leur enfance). Ce sont des « je » privés de maison dès le jeune âge : « le mot maison n’est pas le leur, c’est moi qui avais proposé un jour qu’on travaille sur ce seul mot » (88) et qui y substituent automatiquement, parlant de leur jeunesse, le mot foyer, comme ici détourné de son sens premier pour signifier dès lors ce non-lieu, cette impossible individuation du territoire, seule susceptible de donner un corps propre (« celui qui avait fait tant de foyers lui aussi (c’était tellement presque tous) )», 65). Dans cet échange permanent entre le dedans et le dehors propre à des individus privés de constitution heureuse du moi, toute identité se constitue dans l’externalité territoriale, où la cité, communauté envahissante, se substitue à la coque ordinaire du sujet (la maison, l’appartement…) : ainsi l’individu est nommé par le nom de la cité (« affublé de tel surnom que ça vous poursuit où que vous alliez, ce surnom qu’on ma donné, cité Lumineuse », 13) et il se crée lui-même, à demi individué pourtant, dans la solidarité clanique autour de la cité opposant dans des combats de rue Californie 1 à Californie 2  (38). Pourtant ce seul marqueur d’identité, la cité, en est aussi le dévoreur ou le disloqueur, puisque la cité crée un temps où l’on « glande » : elle ourdit un non-temps, un non-lieu dans lequel l’extérieur colle à la peau sans transition. Dans une constitution du moi plus apaisée, comme on en a fait l’hypothèse ci-dessus dans le passage consacré à l’approche linguistique et philosophique, la perception du corps propre et de l’énonciation du « je » sont solidaires, transcendantes et premières par rapport au dialogue et à l’espace, à condition que le moi ait pu se constituer par les bons soins primordiaux prodigués dès l’enfance, comme corps propre, avant l’intrusion de l’espace externe.

La syntaxe choisie par Bon pour retranscrire cette intrusion d’une extériorité de la ville dans le destin individuel le montre clairement, qui associe en un raccourci saisissant, et dénué de ponctuation forte, les sujets animés et inanimés à la ville : « et, quand quelqu’un passe, le pas sonne longtemps dans la rue droite, ailleurs la ville est blanche sous le ciel bleu et j’avais froid, le jour a oublié les fureurs de la nuit et les maisons fermées ne disent rien de leur histoire au-dedans » (Bon, 1997, 10)[3]. Ainsi l’extérieur est soudainement collé au sujet sans transition ni point, la ville avoisinant le je dans un brusque décrochement où des phrases à sujets différents se trouvent précipitées les unes contre les autres, sans un quelconque liant autre que cette agression permanente du dehors sur le dedans, rendue ici par une rythmique constituée d’anacoluthes. Cependant, l’extérieur (la ville) vient délimiter le sujet en se juxtaposant à lui, en l’envahissant par l’absence de ponctuation forte (la ville/je), sans pourtant lui donner assez de force pour lui conférer une véritable essence (« les maisons ne disent rien de leur histoire au-dedans »). C’est là tout le paradoxe de cette présence de la ville qui détermine tout individu, sans pour autant lui conférer assez de caractère, ni d’essence proprement individuelle pour le constituer vraiment.

Dans la prison, les prisonniers retrouvent cette même absence de territorialité, la prison étant située, comme la cité, dans un espace de no man’s land aux confins de la ville (le chapitre II est intitulé « au bord des villes ») : « s’éloignant de la prison on longe un centre commercial abandonné aux rideaux de fer tirés » (8). C’est que l’individu entrant en prison, même pour une visite, est dépossédé de son identité : « alors que je sortais, ayant franchi la première porte-sas du bloc et repris ma carte d’identité » (7). Le sujet social est laissé à l’extérieur de la prison, ainsi que le montre une des premières phrases de ce livre, révélant de manière inaugurale cette privation de soi.

Le sujet prisonnier se retrouve, par essence, sans protection corporelle et, partant, sans intimité à soi ; aussi est-ce l’image du mollusque sans coque qui revient dans un des témoignages : « on est comme des bestioles molles dans des coquilles, et l’instant qu’il n’y a plus de coquille, qu’on est dans les couloirs devant la porte ou dans le sas avant la cour, il faut respecter le code et montrer qu’on en dispose, sinon cela se retourne contre vous » (103). Ce dénuement de toute carapace contraint dès lors à échapper à une vulnérabilité extrême par l’acceptation d’une violence supplémentaire. Retournement paradoxal : ce n’est plus seulement la violence de la prison et de l’enfermement qui assujettit, mais avec plus de radicalité, l’imposition de la loi du gang, celle qui s’édicte dans les murs par les prisonniers et à laquelle nul ne peut déroger.

Aucun comportement individuel ne peut plus subsister qui ne soit au préalable déjà édicté par le groupe. C’est que les prisonniers se tyrannisent eux-mêmes dans un espace clos où nulle échappatoire ne demeure. Seule solution dès lors : cette absurde intériorisation des règles comportementales où l’on peut se moquer d’un autre à condition de s’excuser, code de l’honneur étrange où toute dérogation devient violence ou exposition à être abaissé : « Il y en a qui sont forts pour les plaisanteries […]. Si à la fin il n’y a pas ce salut qui réinverse les rôles, c’est le lendemain que ça se paye. Et si ça ne se paye pas, tant pis pour celui qui s’est laissé bafouer, c’est tous les autres qui lui marchent dessus » (103).

C’est que le je du prisonnier est en échange avec les autres prisonniers dans un espace perpétuellement collectif où ne peut se recueillir l’individualité. Le je n’y est pas sujet, ni loi générale, mais tyrannie de la force. Ainsi, la prison représente à la fois un territoire fermé qui est l’absence de tout territoire, mais elle est aussi un non-lieu, à la frontière des villes, où survivent en commun des prisonniers non individués (ça se fait, on lui prend : autant de phrases où une loi extérieure, un non-sujet, se substituent à la volonté individuelle). C’est donc un lieu de non-subjectivité.

Mais si les prisonniers n’ont pu se constituer dans leur enfance par ce manque d’espace propre, ils ont également du mal comme adultes, à se concevoir comme sujets, en un autre sens. Il leur est en effet impossible de revenir sur eux-mêmes, tant cette anamnèse est perçue comme douloureuse. Et c’est sans doute aussi la haine de soi qui les empêche d’écrire je. Depuis l’expression « ce qui pousse aux voyages, je n’en parle pas, parce que ce n’était pas dans l’honnêteté » (69), jusqu’à « est-ce qu’on peut dire qu’on n’aime pas les voleurs, si on en est un ? » (47), tout signale la conscience taraudante de la faute que chacun veut éviter. D’où les réticences à l’atelier d’écriture : « je pourrais le faire mais c’est trop, il faudrait combien de jours », ou bien cette pathétique déclaration : « Monsieur, je ne ferai point le texte que vous attendez de moi quand vous me dites de faire un texte sur mes souvenirs, ah non, surtout pas/ car vous ne ressentez pas ce qu’est-ce que ça me fait d’évoquer un souvenir […] / car si vous le ressentiez vous auriez tellement mal[…] » (96). Dire je est accepter la roide présence de la conscience à soi. Or, tel est précisément ce que les prisonniers ne peuvent affronter : ce retour sur eux-mêmes serait recollection de soi en un concept, qui embrasse l’individu et qui risque d’empêcher une dissimulation, un mécanisme de défense relevant de l’enfouissement.

Enfin, dernière définition possible de la subjectivité et dont on voit a contrario combien elle manque aux prisonniers, outre l’espace et le corps propre, outre la recollection de soi, c’est la possibilité de déterminer son avenir. Prison montre combien cette détermination est absente : les sujets y sont des objets perdus dans un destin qu’ils ne maîtrisent pas, où le je s’égare dans la diversité du monde.

La manière de définir ce destin est en effet très caractéristique : « le destin, c’est quand tu commences à faire quelque chose et qu’il t’arrive des choses que l’on n’avait pas pensé à faire » (76), que François Bon commente lui-même (« la dissolution du tu passant de sujet à complément, avant la disparition impersonnelle, comme intériorisée par ce verbe pensé pris négativement »). En outre, le choix d’infinitifs par l’auteur, pour préciser ce qui motive à agir ou à voyager, se lit comme une syntaxe montrant la non-présence à soi : « poursuivre juste un éblouissement, danser sur » (81). Autant d’impulsions à agir qui traversent le moi et le transforment, sans pour autant qu’elles émanent directement du moi comme pouvoir de décision.

On voit que cette perte des sujets dans la diversité de ce qui arrive est l’une des caractéristiques de cette absence à soi-même. Le texte montre ainsi, en négatif, qu’une absence d’intimité à soi empêche de se construire comme différent, et individualisé. Le je est dès lors défini en creux, par les prisonniers du texte, comme tout ce qui peut faire défaut : absence de corps propre, incapacité à affronter l’intimité de soi-même (comme rapport au passé), incapacité à envisager l’avenir. Enfin, le prisonnier apparaît comme celui qui n’a pas de propriété comportementale autre que celle de la cité, ou celle de la prison, qui s’impose à lui, celle d’une fausse loi, donc, mais qui n’est que la force. La loi du langage, au contraire, peut autre chose.

Comment faire advenir un je ?

Comment dès lors recréer une certaine intimité à soi, indispensable pour pouvoir dire  je ? Parier sur l’écriture pour réussir à faire apparaître le je, c’est penser, me semble-t-il, que c’est parce que des semblables ont dit je pour se désigner comme capables de retour sur soi et de décision vers l’avenir, que moi qui suis comme ceux qui ont dit je, je vais pouvoir le dire à mon tour. Ne crée-t-on pas l’intimité de soi-même en copiant quelqu’un de semblable qui affronte déjà (ou qui a affronté) de créer l’identité de soi-même (tout comme l’enfant, ayant d’abord commencé à se désigner lui-même par la troisième personne, finit par se concevoir et se dire en première personne) ?

Vincent Descombes ne serait pas d’accord avec une telle proposition puisqu’il fait reposer la subjectivité sur l’application de la loi générale à l’individu et non sur la communauté de destin ou la ressemblance entre les individus[4]. Je fais, quant à moi, deux hypothèses concomitantes, à partir de Prison : celle que le langage institutionnel et général s’applique au sujet individuel, mais qu’il ne s’applique qu’à condition que l’individu se reconnaisse par ressemblance, à d’autres individus à qui s’applique la loi générale du langage.

En suivant les traces de Rimbaud, en décrivant ses propres voyages de fugitif comme ceux que Rimbaud a pu faire, et en constatant que Rimbaud a su constituer un certain rapport à l’intimité de soi-même qui lui permette d’écrire et de dire je (fût-ce pour dire « je est un autre »), pourquoi moi prisonnier, qui ai bourlingué comme Rimbaud, n’arriverais-je pas à constituer une certaine intimité de moi-même jusqu’à dire je  ? Si Rimbaud est un voyou et un voyageur comme moi, pourquoi ne pourrais-je m’emparer de l’écriture comme lui ?

Telle est sans doute la stratégie de l’atelier d’écriture choisie par François Bon qui s’appuie sur une communauté d’expérience du poète et des prisonniers pour faire advenir le sujet (« et comme Rimbaud disait que j’avais cité pour leur suggérer de parler de leurs propres routes », 76).

Même si apprendre à écrire je nécessite d’abord, du point de vue du développement psychique,  une expérience commune d’actions et de vie avec tous ceux qui disent je  pour pouvoir le dire à son tour, une fois acquise cette capacité à se concevoir comme individu, la simple prononciation du je suffit à créer une communauté qui ne résiderait plus cette fois dans l’expérience commune, mais dans la simple aptitude à écrire je (c’est-à-dire à se concevoir comme un être persistant dans le temps, ayant une recollection de soi-même, acceptant l’intimité avec son passé et se projetant dans le futur). Car n’est-ce pas dans cette définition que consiste l’expérience commune de dire ou d’écrire je ? Non dans le fait de partager des expériences spécifiques de vie avec d’autres, mais dans la capacité universellement répandue, d’être un je capable de proprioception. Tout se passe comme si la possibilité d’utiliser je et la perception d’une expérience commune (création d’une communauté d’intimité à soi et non nécessaire communauté d’action) étaient liées. Mais pour arriver à ce stade, il faut sans doute distinguer l’étape d’apprentissage du je, de l’étape de son utilisation ordinaire. Dans l’apprentissage du moi — celui qui est en jeu dans l’atelier d’écriture —, la communauté d’action prime et c’est par elle que François Bon fait entrer chacun en possession de soi, afin de lui donner les moyens de s’écrire comme je. Ensuite, seulement, les prisonniers pourront appréhender tout je comme simple application du sens de cet indexical pur qui désigne et construit la capacité d’intimité à soi.

C’est donc, paradoxalement, en introduisant une communauté d’expérience que l’intimité et la subjectivité peuvent se créer (on s’éloigne ici de Vincent Descombes). Aussi est-ce par l’échange des voix que ceux qui sont dépourvus d’existence spécifique réellement individuée se trouveront enfin dans la capacité d’écrire et de dire je à leur tour. Pour le lecteur, en revanche, et pour ceux chez qui la conscience du je existe, il n’est pas nécessaire de partager quelque communauté d’action avec les personnages pour éprouver un certain intérêt à les imaginer : il suffit de voir dans le je une même règle linguistique en prise sur une expérience de l’intimité de soi. C’est là que nous rejoignons Vincent Descombes : chacun est à même distance de l’autre par la règle de l’institution (ici, linguistique). Tel est sans doute le ressort de la lecture qui explique qu’on puisse, dans la littérature actuelle, s’assimiler à ce qui est différent, mais qui se coule dans le pronom je.

L’écriture en commun est donc la mise en état de se rassembler soi-même sous une même entité, désignée de l’extérieur par le concept de je et perçue de l’extérieur/intérieur par l’animateur de l’atelier d’écriture, proche de moi, qui essaie de rendre compte de mes expériences propres. De là, il n’y a qu’un pas jusqu’à devenir capable de prendre soi-même la parole pour se raconter, avec une perception interne, cette fois.

Individualisation du sujet

En prison, la présence des autres est excessive, importune. Comment, alors, la communauté de l’écriture pourrait-elle être positive ? C’est qu’elle n’est pas communauté de l’être, arasé à sa plus grande ressemblance avec autrui, mais expérience commune de l’être soi. Et l’écriture du je est le rassemblement du soi comme vu à la fois de l’extérieur (puisque désigné) et perçu de l’intérieur, dans une expérience proprioceptive, ainsi qu’on l’a vu grâce aux démonstrations de François Récanati. « Écrire, ça fait quelque chose à l’intérieur de soi » s’exclame un prisonnier (79).

Certains des prisonniers parviennent à être sujets, comme celui du dernier chapitre intitulé « Isolement » (101). Exilé dans un quartier d’isolement, il doit en passer par cet amoindrissement de son existence pour arriver à se saisir lui-même. Tout le chapitre est écrit en une focalisation interne avec le prisonnier, mais passe insensiblement du il au je. La percée de la subjectivité se fait peu à peu, au détour de phrases désaccordées qui trahissent l’émergence erratique du sujet. Parlant de son isolement total au mitard, le prisonnier/ François Bon écrit : « on est tellement bien au calme et séparé de tout et d’abord du temps comment eux ils comprendraient (même les dix jours je ne les comptais plus) » (104)[5]. Dans le heurt de soi contre le monde et dans la conflagration de cette inadéquation se joue l’explosion du système des voix, passant du on au je. Le retournement de la punition en surcroît de bien-être se dit à la fois par le contenu de la phrase et par sa forme, où un progrès se fait dans la reprise de possession de soi-même.

Tout cela permet d’aboutir à la prise de parole et à la capacité concomitante de se connaître soi-même, puisqu’on passe de la phrase « un jour il y aura être devant la porte, un sac de plastique à la main. Il y aura reprendre un bus vers la ville » (120), à la prise en main de son destin, sur laquelle finit le texte : « Je serai devant la porte et j’aurai mon sac et j’irai dans la ville » (121). La transition s’opère depuis des sujets de phrases arrimés à un simple infinitif, à de véritables actions dont le substrat est le sujet : il ne s’agit plus seulement  d’être devant la porte, mais de dire je serai devant la porte. Ainsi, la capacité à dire je est concomitante du pouvoir de prendre en main son destin.

D’abord dire je en imitant ceux qui partagent le même destin que soi et qui ont osé le dire. De là, grâce à une communauté de destin, en venir à une communauté de paroles qui permet, à l’ultime étape, de dire je sans ces modèles. Ainsi émergerait, dans l’idéal, le moi.

Nous venons de voir ce que signifie l’usage de je pour l’écrivant.

III. La place du lecteur lisant  « je »

De façon générale, le lecteur, lisant « je », s’identifie presque immédiatement à un je percevant (c’est-à-dire ayant une perception interne de son corps, mais aussi voyant, entendant, etc.), car, étant lui-même en situation de perception de signes écrits, il lui est aisé de s’assimiler à un je du narrateur/personnage, présenté en situation de perception et décrivant au lecteur tel ou tel contexte. Christian Metz, pour le domaine du cinéma, a souligné, dans Le Signifiant imaginaire, le phénomène de projection du spectateur qui s’établit irrépressiblement dans tout film, où le spectateur s’identifie à l’instance voyante[6]. Nous faisons ici l’hypothèse que de semblables phénomènes ont lieu davantage encore dans la lecture d’un texte à la première personne (ou la vision d’un film en caméra subjective). Le lecteur s’identifie au corps percevant qu’il devient.

Si écrire je, c’est actualiser une certaine forme de présence à soi qui provoque un rapport immédiat à la perception de son propre corps, pouvons-nous en déduire que la lecture du je provoque chez le lecteur semblable perception ?

Tout dépend de la phrase considérée. Nous pouvons dire que le lecteur a affaire à une communication mimant l’oral, s’il lit les phrases « je suis content » ou « je suis triste ». Au contraire, s’il lit une phrase comme « je suis debout » ou « j’ai les jambes croisées », cette phrase ne peut être prononcée dans le cadre d’une communication orale directe, car il serait inutile de donner une telle information à l’interlocuteur, celui-ci pouvant voir, de ses yeux, la situation corporelle de l’énonciateur. Dans le cas d’une phrase comme « je suis assis », la situation d’énonciation ne mime donc plus la communication naturelle et le lecteur est encore moins un auditeur (sauf à supposer une communication distante du type de la communication téléphonique). Il se projette désormais dans le je comme s’il s’agissait de son propre courant de conscience, certes représenté conventionnellement (car nous ne nous disons jamais « je suis assis » puisque nous le savons intuitivement), mais dans un courant de conscience qui traduirait, par la convention de la narration, le type d’information que chacun possède intuitivement sur soi-même, indépendamment de la situation d’interlocution. Nous pensons que de tels énoncés sont une représentation conventionnelle qui s’approcherait le plus possible d’une mimésis des informations intérieures qui, d’ordinaire, ne sont pas verbalisées par le sujet, mais connues intuitivement par lui, grâce à la proprioception[7]. Il faudrait peut-être introduire ici la distinction proposée par Kuroda (telle qu’elle est présentée dans l’ouvrage de ses traductions constitué par Sylvie Patron), entre les pensées dont un être peut être conscient qu’il les a et les pensées qu’il a sans en être pleinement conscient[8]. Peut-être s’agit-il en effet, dans cette représentation de la proprioception, d’états mentaux qui traversent le sujet sans qu’il en soit autrement conscient que par une autoréflexivité irréfléchie, comme S.-Y. Kuroda en fait l’hypothèse (sortes de pensées qui traversent un sujet sans qu’il se les verbalise, et que le lecteur reconstitue, comme « psycho-récit », associant à un personnage référent des prédicats de pensées non forcément consciemment sues par lui [S.-Y. Kuroda (2012)]).

  On peut résumer ces remarques de la façon suivante :

* Je + présent + état interne psychique (ex. « Je suis content »), alors le lecteur est en situation de dialogue imité : il peut  se concevoir comme un tu auquel s’adresse le locuteur

*Je + présent + état corporel visible (ex. « Je suis assis »), alors le lecteur n’est pas destinataire d’une information déjà possédée par sa vue, mais il s’identifie au je locuteur, parce que, dans ce mode narratif, on peut avoir l’impression qu’il s’agit d’une imitation des informations intérieures disponibles à chacun par proprioception (et non par situation d’interlocution).

Cette hypothèse peut être illustrée à partir du chapitre intitulé Isolement, dans Prison (Bon, 1999). Le texte y désigne d’abord à la troisième personne le prisonnier, décrit à la tombée de la nuit, dans le moment où, fenêtres ouvertes, les prisonniers se rassérènent après les tensions de la journée. Nous suivons les pensées et les actions du prisonnier mis en cellule d’isolement et désigné par il : « Le bruit. Il est devant la fenêtre ouverte, comme c’est le premier étage, il s’est accroupi. Mais il ne fait pas comme les autres, d’avoir dehors les jambes et les pieds. Il reste dans le noir, on ne le voit pas, il écoute » (Bon, 1999, 102). Le lecteur est confronté à une situation fictionnelle (il + focalisation interne dans « il écoute »), selon la théorie qu’en a proposé Käte Hamburger (1986) : il s’agit là d’une énonciation propre à la fiction et non d’une feintise, ce type d’énonciation ne renvoyant à aucune expérience de dialogue réel. Trois pages plus loin, cependant, le même moment est décrit par l’auteur, mais cette fois-ci à la première personne, et par le choix d’une tournure syntaxique imitative de ce qui précède : « Je suis devant les barreaux rectangulaires de fer noir et j’attends. La fenêtre est ouverte et les cris ont cessé ». Cette fois-ci, l’utilisation de la première personne, pour désigner le même personnage-focalisateur (qui devient locuteur), du présent, et de l’indication corporelle visible, dans « je suis devant les barreaux », entraîne un rapprochement inattendu opéré par le lecteur vers l’expérience vécue par le prisonnier ; le lecteur peut désormais se projeter partiellement dans ce dernier, par opposition avec le texte identique décrit plus haut, mais à la troisième personne. La proximisation, pour le lecteur, est un phénomène d’autant plus étonnant qu’elle se produit sans que le reste des tournures ni du contexte n’aient changé. Il ne peut s’agir d’une feintise de dialogue (on n’indiquerait pas à son interlocuteur où l’on se trouve : en l’occurrence ici, « derrière les barreaux »), mais d’une « traduction verbalisée » de la sensation intuitive, qu’a chacun, de son corps et de l’endroit où il se trouve (ici, le fait d’être devant les barreaux). Le je  est dit par tous. Dans ce contexte, le je, lu, branche le lecteur sur la présence à soi de son propre corps.

Ainsi, l’expérience d’une intimité de soi-même, expérience de perception de son corps (liée à des verbes d’états, d’états du corps, comme à des verbes de perception, percevoir, être assis, debout…), semble rattachée par chacun à la prononciation/lecture du je, et, plus largement, est partageable par tous. Ce mode d’écriture, contrastant avec ce qui précède, provoque une proximisation puissante et induit une implication du lecteur, dans la posture décrite, sans qu’il soit nécessaire que le lecteur partage des caractéristiques ou des systèmes de valeurs avec le personnage-narrateur[9].

Mais le lecteur ne s’identifie plus, même partiellement, à un courant de conscience mental dès que l’action du je est décrite au passé : elle apparaît alors comme un récit d’événement mais non comme un partage direct d’expérience intime de soi. Il ne s’identifie pas non plus lorsque l’expérience décrite introduit une particularité de l’action ne correspondant pas aux pensées, ni au vécu du lecteur. Ainsi, page 106 de Prison : « quand j’ai tapé ça lui a cassé le nez » ne permet pas irrépressiblement de se projeter dans ce je engagé dans une action spécifique à un contexte donné, d’une part,  et d’autre part, l’usage du passé composé met à distance l’action présentée comme « achevée », n’imitant plus un courant de conscience dans un reportage en direct.

On voit que l’utilisation du pronom « je » propose une actualisation variable. Ainsi, toute lecture d’une énonciation à la première personne induit une identification à une situation d’auditeur, mais parfois aussi une identification minimale à un je percevant (perception interne de soi-même, ou perception externe, comme imitation d’une réelle perception visuelle et auditive, ainsi que chez Christian Metz le dit du spectateur de cinéma). À suivre ces deux propositions, on voit qu’existe même dans L’Étranger de Camus une implication minimale du lecteur : là où le lecteur ne s’identifie ni à la psychologie (elle est absente), ni aux actions (un meurtre n’est pas une expérience partagée par tous), il s’identifie au moins à la voix et au point de vue, dans le cas d’une énonciation de perceptions par le locuteur.

Deux conclusions peuvent être tirées de ces remarques. La première est que partager le je de la voix narrative (accompagné de verbes de perception ou d’état, au présent), au cours de la lecture d’un texte en première personne, c’est aussi partager la vision : dans ce cas, voix et focalisation narratives sont confondues dans un mode narratif que le lecteur investit directement. La deuxième est plus générale : dans un texte recourant à un narrateur/personnage fantomatique à la première personne, la lecture induit pourtant le recours à une identification partielle, non à un sujet total. Le lecteur devient le support du sujet du récit, selon un processus fragmentaire, celui de l’identification partielle à une instance énonçante.

Mais outre la proximisation lectorale par immersion dans un courant de conscience, soit comme penseur, soit comme auditeur témoin, une immersion plus totale peut avoir lieu, grâce à la participation feinte à un contexte fictif, à un lieu et à un temps évoqués, potentialités liées au fonctionnement de notre mémoire épisodique qui permet un voyage imaginaire dans l’espace et dans le temps, passé, futur ou hypothétique. Or, ce voyage lectoral est rendu possible par la capacité à relier de façon autonoétique, par une conscience de soi immédiatement traduite en immersion, les lieux et les temps traversés par le moi.

IV. L’imaginaire permet le déplacement, le voyage, d’un corps fictif dans l’espace et dans le temps

Une telle supposition converge avec celle de Käte Hamburger. Dans Logique des genres littéraires (1986), elle montre que c’est un lecteur comme je-origine fictif qui se projette dans la description de la maison des Buddenbrook, parce que la description l’implique grâce à l’usage du pronom « on » (servant de support corporel au lecteur percevant) et à l’expression « à main gauche » (qui désigne le lieu où se projette le corps support) : sans s’identifier complètement à un personnage et sans être capable de « voir » vraiment ce qui lui est décrit, le lecteur se figure grossièrement par un corps imaginaire les différents espaces décrits. Elle écrit : « c’est le je-origine de chaque lecteur qui se trouve sollicité : il peut alors se construire une représentation de la pièce en partant de sa propre image corporelle » (123). La question est cependant celle du degré de concrétude de ce corps imaginaire. Est-il vrai que le lecteur projette son corps dans la fiction  ou simplement qu’il imagine un je origine fictif ?

Réponse controversée selon les auteurs. Un tel débat a été proposé, en particulier par Reuven Tsur, théoricien de la poésie. Tsur critique l’idée que la poésie inciterait le lecteur à projeter un corps imaginaire à l’intérieur du texte via les centres déictiques tels qu’ils ont été définis de façon détaillée par Stockwell (2002). Il est cependant d’accord avec David Miall pour dire que l’usage du pronom je a un impact sur le lecteur : « Considérons la question de David Miall : ‘est-ce que la deixis cognitive positionne le lecteur en relation avec les points de vue offerts par le récit [ou le poème] ?’ L’analyse qui s’ensuit suggère : ‘Oui, probablement’ »[10]. Et Tsur, comme nous, semble partager cet avis, bien qu’il ne le trouve pas suffisant.

Car, Tsur insiste sur le fait que, dans beaucoup de cas, la poésie met en place des usages d’indexicaux sans pourtant que ces indexicaux aient un caractère d’orientation corporelle précise, comme par exemple dans ce poème de Nathan Alterman. Là, la deixis est dégagée d’une aptitude à mettre en place la désignation précise d’une référence :

This night.
The estrangement of these walls.
A war of silences, breast to breast.
The cautious life
Of the tallow candle[11].

En effet, au lieu d’écrire : « ces murs étranges », le poète a choisi de donner une densité à « l’étrangeté », en lui conférant le rôle de thème de la phrase : « l’étrangeté de ces murs ». Ainsi, les adjectifs sont transformés en noms  (« étranger » devient « étrangeté ») et les noms sont manipulés pour devenir des lieux référentiels. Ainsi, ce ne sont plus les objets concrets qui sont au centre du message, mais leurs caractéristiques, leurs attributs qui n’ont pas de « forme visuelle stable et caractéristique »[12]. Certes, deixis il y a, comme en témoigne l’usage du démonstratif « cette », « ces » (« cette nuit », « l’étrangeté de ces murs »). Mais les deixis ont plutôt ici valeur autre que d’orientation spatiale du corps du lecteur, selon Tsur qui conteste l’implication d’un corps du lecteur : il s’agit d’une densification, d’un épaississement des prédicats d’étrangeté devenus concrets, comme si l’étrangeté était devenue elle-même un objet précis. L’usage du déictique, dès lors, selon Tsur, ne serait pas de poser une orientation du corps propre du lecteur dans l’espace, mais de donner un poids de réalité aux qualités, aux expériences psychiques (ici, l’étrangeté), de les actualiser en tant qu’expériences psychiques, comme si elles étaient réellement matérielles, mais non pas en tant qu’expériences où le corps se situerait dans un espace et un temps précis. L’actualité de la sensation surgit, mais détachée de la perception du corps propre comme d’un corps unifié.

Or, tout dépend du texte considéré. Si nous sommes d’accord avec Tsur pour dire que certains textes ont un rapport aux déictiques désancré d’une réalité référentielle du corps du lecteur (comme le texte à résonance mystique choisi ci-dessus), cependant d’autres textes permettent d’impliquer un je-origine, même fictif, dans une représentation de l’espace que se fait le lecteur, même parcellaire.

Le concept de « centre de deixis » permet d’appuyer nos propositions. Pour caractériser l’embrayage lectoral, les deux linguistes David Zubin et Lynne Hewitt (voir Duchan et al., eds, 1995) recourent au concept de « centre de deixis », qu’ils définissent comme étant les coordonnées spatiales, temporelles et psychologiques du personnage focalisateur de la perspective. Selon eux, il existe une dissynchronie entre Qui et Où utilisés tout au cours de la fiction. Le Qui représente un individu ou un groupe qui voyage(nt), tandis que le Où est à la fois lieu de destination finale et les lieux par où les personnages passent tout au cours de leur trajet. Or, ce qui permet la dynamique de l’action est ce perpétuel changement du Où tandis que le Qui demeure structure stable, comme si les différents lieux que le(s) sujet(s) serai(en)t amené(s) à traverser étaient déjà présents dans le texte de la fiction. Ainsi existe une dissynchronie entre le sujet et le lieu, qui permette d’expliquer que le lecteur soit capable de s’imaginer un lieu fictif où il n’est pas, mais qui soit tout de même défini par un corps, sujet potentiel présent en ce lieu.

Dans le même ouvrage, David Mark et Michael Gould, prouvent que les deixis de lieux lus ou dits sont perçus par les sujets en fonction de leur propre corps (voir Duchan et al., eds, 1995). Dans une expérience réalisée en sous-sol de supermarché, ils ont montré que les personnes à qui on demandait des indications pour se rendre à tel endroit, étaient capables de projeter leur corps mentalement hors du parking souterrain où elles étaient pour conseiller à leurs interlocuteurs d’aller « à main droite », « devant vous », autant d’expressions indexicales qui permettent de projeter en esprit, de mentaliser, une situation corporelle imaginaire différente de la situation corporelle réelle (on donne une indication à quelqu’un à partir de son propre corps au sujet de l’espace qu’on se représente mais où l’on ne se trouve pas). En somme, les centres déictiques corporels peuvent être nombreux et différents, et pourtant, ils permettent aux individus — et nous dirons, donc, aux lecteurs — de se projeter ailleurs que dans leur emplacement corporel réel. Aussi serait-il envisageable que le lecteur investisse partiellement un espace à partir d’un je origine fictif qui lui permette de projeter un corps imaginaire dans un lieu décrit : nous ne suivrons donc pas ici Tsur. Quel degré de concrétude ce corps spatial a-t-il ?

Tsur rappelle les constats suivants. Des chercheurs en neuroscience ont travaillé sur les états cérébraux des moines et des religieux lors des expériences de prière ou des expériences mystiques : ils ont montré (par tomographie par émission de positrons) que ces états de méditation (l’expérience a lieu chez les méditateurs tibétains et des nonnes franciscaines) semblaient être corollaires d’une désactivation de la partie du cerveau qui concerne la conscience spatiale du corps actuel, l’aire d’orientation située dans l’hémisphère gauche et qui serait reliée à la sensation mentale d’un corps limité et défini autour d’un moi. Mais ils ont montré que l’aire d’orientation de l’hémisphère droit, celle qui donne les coordonnées matricielles de l’espace dans lequel le corps peut se mouvoir (délimitant ainsi le lieu plus ou moins virtuel), continuait à être active pendant la méditation et la prière. L’aire gauche serait occupée à bloquer les informations venant du canal sensoriel relevant du corps propre, tandis que l’effort d’attention porté par les religieux méditant rendrait très active la perception mentale imaginaire de « l’objet » intellectuel ou matériel permettant de motiver la prière ou la méditation. Ce sont ces effets et ces impressions, sans formes, qui prennent le dessus sans doute aussi, dans la lecture dans la poésie méditative où les attaches au moi sont coupées, et où demeurent de simples orientations dans un espace imaginaire. On passerait dès lors en mode d’orientation diffus[13]. C’est pourquoi Tsur pense que le lecteur n’active pas de corps imaginaire.

Je prendrais, quant à moi, la position inverse. Il est en effet vraisemblable qu’une expérience méditative ou imaginaire, désactive partiellement la présence à soi du corps réel (ce dont nous faisons l’expérience quand nous sommes captivés par un livre et ce que Jean-Marie Schaeffer a appelé le désamorçage des réactions pragmatiques). Cependant, que le corps réel soit désactivé ne signifie pas que la capacité à projeter un corps imaginaire soit inactivée, comme en témoignent aussi bien l’expérience des religieux que les expériences pouvant donner lieu à des promenades imaginaires et spatiales virtuelles, suscitées par le discours.

Dans le domaine temporel également, des embrayeurs et des tactiques d’énonciation permettent de créer une véritable ubiquité du lecteur.  Marcel Vuillaume, dans Grammaire temporelle des récits, montre que l’utilisation du présent de narration par Alexandre Dumas, dans Les Trois Mousquetaires, induit une présence du lecteur en de multiples temps et lieux à la fois : avec le narrateur qui le prend à témoin et, en même temps, avec les acteurs du duel qui se déroule, sous les yeux fictifs du lecteur. « Un jeune homme… – traçons son portrait d’un seul trait de plume : figurez-vous don Quichotte à dix-huit ans, don Quichotte décorcelé, sans haubert et sans cuissards », place le lecteur en concomitance avec le locuteur narrateur. Mais peu après, le lecteur est contemporain du duel, alternant ainsi la place de confident du locuteur-narrateur et celle de témoin « visuel » des exploits de D’Artagnan (Vuillaume, 1990). L’implication imaginaire du lecteur se fait par points de capiton : celui-ci se projette en un lieu, et en un temps, voire en plusieurs temps contradictoires en même temps, même sans identification totale avec un personnage. D’où l’hypothèse que le lecteur réel soit capable de se pourvoir, un temps, d’un corps imaginaire mobile, d’un esprit et de capacités perceptives virtuelles qu’il endosse pendant sa lecture.

Conclusion

Dès lors se profile l’hypothèse, selon laquelle le récit et la fiction en prose, parce qu’ils utilisent le langage de l’expérience humaine, et par là, les déictiques qui renvoient à la proprioception de soi, ou à la localisation d’un soi, permettent la projection d’une conscience lectorale qui soit aussi un corps imaginaire, voyageant dans un univers fictif ou réaliste.

A travers le « je » habitable par tous (comme nous l’avons vu en suivant les démonstrations de François Récanati), à travers les embrayeurs de lieu qui incitent à promener un corps imaginaire (selon Deixis in narrative et les travaux de Käte Hamburger), et l’usage des temps multipolaires présentés par Marcel Vuillaume, expliquant l’ubiquité du lecteur, les analyses fondées sur la philosophie du langage et la pragmatique tendent à étayer l’hypothèse selon laquelle le lecteur projette un corps imaginaire, et non seulement un esprit, lors de l’immersion dans sa lecture dans un espace créé à partir d’un corps propre, surtout quand lui sont donnés à lire des déictiques de première personne ou des coordonnées spatiotemporelles égo-centrées. D’où la force de la littérature et la capacité qu’elle aurait à permettre la mise en jeu du lecteur, dans son imaginaire total, à l’intérieur d’un univers et d’un espace.

La perception interne de son moi comme ego ayant une proprioception de son propre corps, arrime la référence d’un je à l’énonciateur. Nous faisons l’hypothèse que cette proprioception est transcendante et antérieure à l’usage du pronom de première personne, suivant en cela Récanati, et non les propositions de Benveniste ni de Descombes. Aussi se peut-il que la construction d’un discours intérieur ne soit possible pour celui qui le crée qu’à partir de cette existence d’un « ego ».

Si ce moi ne s’est pas constitué de manière paisible, comme c’est le cas pour les prisonniers de l’atelier d’écriture que fait travailler François Bon dans Prison et dont la vie psychocorporelle a été troublée dès le plus jeune âge, alors l’espace externe constitue le moi, tout autant que celui-ci est constitué comme corps propre. Le prisonnier existe en fonction de son lieu d’origine et se remplit par sa détermination sociale : son intériorité se définit de l’extérieur parce qu’il vient de telle « cité », de tel quartier de la ville. Ce n’est alors qu’en prenant la parole (et particulièrement en première personne) que se construit pour lui un discours intérieur et une vie intérieure, qui priment sur le rattachement du moi à l’espace.

Du point de vue du lecteur, au contraire, et si le lecteur  n’a pas subi de traumatisme dans la construction de son moi, la lecture a été décrite comme une capacité à la projection d’un corps-esprit dans des espaces et dans des lieux, à partir des considérations linguistiques fondées sur les embrayeurs de personnes, de lieux et de temps.

Une des spécificités du texte littéraire, dans son jeu avec ces déictiques, est que la perception du lecteur devient configuration d’un voyage imaginaire et de modes d’être dans l’espace, constitué à partir d’un discours centré sur une « je ». Le discours intérieur permet alors l’imagination de sensations et la projection d’un espace. Ainsi, lire permet de vivre une situation en réalité virtuelle.

À propos de l’auteur

Maîtresse de conférences HDR à l’université Bordeaux Montaigne, Béatrice Bloch a publié deux ouvrages sur le roman contemporain (1998) et le récit poétique contemporain (2017). Elle est également l’auteur de nombreux articles sur la fiction contemporaine, la lecture, la théorie du cinéma, la poésie contemporaine et l’imaginaire littéraire. Elle est spécialiste de Claude Simon, Julien Gracq, Chloé Delaume, Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Marie-Claire Ropars-Wuilleumier. Elle dirige depuis 2017 le département des lettres.

Ouvrages cités :

Baroni R., La Tension narrative ; suspense, curiosité, surprise, Paris, Seuil, 2007.

Benveniste É., Problèmes de linguistique générale, Tome I, Paris, Gallimard, 1958.

Bloch B., Une lecture sensorielle, le récit poétique contemporain, Gracq, Simon, Kateb, Delaume, Rennes, PUR, 2017.

Bon F., Prison, Lagrasse, Verdier, 1997.

Charolles M., « Lecture et identification des personnages dans les récits de métamorphose », in  La lecture littéraire, n° 1, Paris, Klinksieck, nov 1996, p. 125-159.

Cohn D., Le Propre de la fiction, traduit de l’anglais par Claude Hary-Schaeffer, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2001.

Descombes V., Les Institutions du sens, Paris, Éditions de Minuit, 1996.

Duchan F., Bruder G.A., Hewitt L. E. (eds), Deixis in Narrative, a Cognitive Science Perspective, New Jersey, éd. Erlbaum Associates Inc., 1995.

Genette G., Figures III, Paris, Seuil, coll. « Poétique »,1972.

Hamburger K., Logique des genres littéraires (1977), Paris, Seuil, 1986.

Jacob P., « Sémantique et psychologie : la sémantique des attributions de croyance », Recherches sur la philosophie et le langage, Cahier du groupe de recherche sur la philosophie et le langage, département de philosophie, Université de Grenoble II, UA1230 CNRS, Vrin, 1989, p. 181-211.

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Kuroda S.-Y., Pour une Théorie poétique de la narration, Introduction de Sylvie Patron, Paris, Armand Colin, 2012.

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ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XVIII

 


[1] Un état de conscience dit « autonoétique » offre à l’individu la capacité de se voir soi-même « voyager mentalement dans le temps », de se représenter consciemment les événements passés et de les intégrer à un projet futur (Wheeler, Stuss et Tulving, 1997). La conscience autonoétique donne la possibilité à l’individu de prendre conscience de sa propre identité dans un temps subjectif (le « Self ») qui s’étend du passé au futur et lui offre une impression subjective du souvenir (Tulving, 1995 ; Wheeler et al., 1997). Ainsi, lors de la récupération d’un souvenir épisodique, la conscience autonoétique permet la reviviscence consciente de l’événement.

[2] Émile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Tome I, 1958, p. 259 : « Or cette “subjectivité”, qu’on la pose en phénoménologie ou en psychologie […], n’est que l’émergence dans l’être d’une propriété fondamentale du langage. Est “ego” qui dit “ego” ».

[3] C’est moi qui souligne les sujets.

 

[4] Voir le débat où il reproche à Lévi-Strauss de croire que toute société est fondée sur le partage de destins entre individus qui se retrouveraient dans la même situation et non sur l’application de la loi sociale à des individus aux rôles fonctionnellement différents dans la société (Les Institutions du sens, p. 264-266).

 

[5] C’est moi qui souligne.

 

[6] Christian Metz, dans Le signifiant imaginaire, écrit  p.119: « Il ne s’agit pas ici de l’identification du spectateur aux personnages du film (elle est déjà secondaire), mais de son identification préalable à l’instance voyante (invisible) qu’est le film lui-même comme discours, comme instance qui met en avant l’histoire et qui la donne à voir ». C’est d’autant plus le cas si l’instance voyante est aussi un sujet.

 

[7] De tels modes d’assertions correspondraient peut-être à ce que Dorrit Cohn appelle « psycho-récit » ou à ce que Genette, dans Figures III, trouvait problématique à rendre, de manière mimétique, par la narration : «  le récit de pensées », cf. Figures III, p. 189 sq.

 

[8] Introduction par Sylvie Patron au texte de S.-Y. Kuroda, Pour une Théorie poétique de la narration, Armand Colin, 2012.

 

[9] Raphaël Baroni, La Tension narrative ; suspense, curiosité, surprise. Paris : Seuil, 2007, p. 269 : on peut éprouver un suspense primaire par empathie avec un personnage repoussoir, et connoté négativement, dans lequel on ne fait que se projeter partiellement et non s’identifier.

 

[10] « Consider David Miall’s question : ‘does cognitive deixis position the reader in relation to the points of  view on offer in a narrative [or poem]’. The ensuing analysis suggests : ‘probably yes’ », in Reuven Tsur, Toward a Theory of Cognitive Poetics, Brighton and Portland : Sussex Academic Press, 2008, p. 610 (ma trad.).

 

[11] « Cette nuit. / L’étrangeté de ces murs. / Une guerre de silences, poitrine contre poitrine. / La vie précautionneuse / de la chandelle  de suif » (je traduis la traduction anglaise donnée par Tsur), cité par Reuven Tsur, Toward a Theory of Cognitive Poetics, Brighton and Portland : Sussex Academic Press, 2008, p. 610.

 

[12] « Thus, […] not the concrete objects are manipulated into the psychological centre of the message, but their attributes that have no stable characteristic visual shapes », Reuven Tsur, Toward a Theory of Cognitive Poetics, p. 611.

 

[13] Reuven Tsur, Toward a Theory of Cognitive Poetics, op. cit., fait ici allusion, dans les pages 613 à 615, à l’expérience menée par Andrew Newberg, Eugene d’Aquili, et Vince Rause, et rapportée dans Why God Won’t Go Away : Brain Science and the Biology of Belief, New York : Baltimore Books, 2001.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




Body, Interiority and Affect in Memoria Histórica Cinema : Can Cinema of Empathy Advance the Cause of the Victims of Fascism?

Introduction

Whether fictional narratives can make us more empathic has been widely discussed and is still a controversial topic. Can fiction help us feel the pain of others? Can it promote pro-social behavior to aid the victims of human rights abuse? In this essay, I explore these questions in connection to the cinema of memoria histórica [Spanish historical memory], born from the need to revisit the trauma of the Spanish fascism that originated in 1936 in the Spanish Civil War and terrorized Spaniards until the end of Franco’s dictatorship in 1975[1]. To do so, I first discuss empathy and its relation to film, introducing the notion of cinema of empathy. Next, I present as a case study what I consider a prototype of cinema of empathy within the memoria histórica genre, the film La voz dormida [The Sleeping Voice], directed by Benito Zambrano and released in 2011. Finally, I discuss the potential effects of empathic cinematic strategies in the ideological context of contemporary Spain, as well as their potential benefits for the advancement of historical memory activism[2].

Theoretical Considerations: Empathy, Narrative, and Film

Empathy (feeling in or with) is generally understood as the sharing of emotion, the ability to feel what another person is feeling[3]. This notion has been explored from different standpoints both in the sciences and the humanities. A definition that captures the complexity of the empathic phenomenon (including not just its cognitive-emotional aspects but also its social-behavioral ones) is the one provided by neuroscientist Jean Decety: “the natural capacity to share, understand, and respond with care to the affective states of others” (vii)[4]. The inclusiveness of Decety’s definition is in line with my own view on empathic processes and, thus, it will be my starting point in this essay. From a narrative theory perspective[5], Suzanne Keen has described empathy as “a vicarious, spontaneous sharing of affect, [which] can be provoked by witnessing another’s emotional state, by hearing about another’s condition, or even by reading” (Empathy, 4). Keen’s work is particularly useful to help us problematize the idea that fiction not only may promote empathy but also that empathy may lead to pro-social behavior (empathy-altruism hypothesis)[6], since she offers a critical view that discusses empathy’s limits as well as the need to account for phenomena such as empathic inaccuracy, failed empathy, false empathy, and personal distress[7]. In the last section of the essay, I will get back to these phenomena, which are particularly relevant for a discussion of the potential effects of strategic empathy (how filmmakers employ certain filmic strategies to elicit an empathic reaction in the audience)[8].

Just as we are moved by literary characters as readers, we are emotionally aroused as spectators by what is presented to us on the screen. In fact, as Carl Plantinga and Greg M. Smith remind us, “The cinema offers complex and varied experiences; for most people, however, it is a place to feel something. The dependability of movies to provide emotional experiences for diverse audiences lies at the center of the medium’s appeal and power” (1). In this sense, we may argue that in many ways films provide us, just as literature, with an emotional education. However, moving pictures possess the advantage of tapping directly into our biological abilities for mimicking and understanding others and film images can be manipulated by filmmakers to emotionally and strategically guide spectators’ emotional responses. Arguably, movies make us feel with more intensity and, thus, they may constitute powerful vehicles for human empathy.

Different models have been proposed to discuss the connection between empathy and film[9]. Here, I highlight two that I find particularly useful to frame our discussion on the potential empathic effects of what I will characterize as cinema of empathy (a definition will be provided later on in this article)[10]. These two models are Ed Tan’s “resonance-enactment” and Carl Plantinga’s “scene of empathy.” Let us begin with Tan’s model.

Considering the ideas and definitions of thinkers such as Theodor Lipps, Frans de Waal, and particularly Simon Baron-Cohen, Tan begins by distinguishing empathy from empathic emotion: “Empathy comprises all cognitive operations on the part of the viewer that lead to a more complete awareness of what is it like to experience the situation virtually standing in the shoes of the character […].” He continues on to explain that “[o]perations may be elementary, such as grasping intentions underlying an action and recognizing emotional states, or more elaborate, such as perspective taking, inferring goals and plans for actions, and categorizing the other person in terms of stable dispositions, like beliefs, wants, and needs” (338-39). For Tan, the processes involved in empathy lead to the understanding of the other’s mind, enabling empathic emotion, which requires appraisal: “The distinguishing element of empathic emotion is that it has another person, his or her feelings, and his or her situation as its object […]. For instance, in pitying another person who is sad, my appraisal of the situation that gives rise to my pity includes his or her appraisal of a loss that cannot be undone” (339). Based on this distinction, Tan places under the label “resonance” the automatic (or automated) empathy, that is, those processes that consist simply of emotional replication (emotional contagion[11] and mimicry) and under “enactment” a more complex type of empathy, willful, which requires dual appraisal of the situation (both from the perspectives of the character and the viewer) and the understanding of the other’s states of mind and, thus, “makes use of inference, reasoning, imagination, and introspection” (352). Beyond these two types of empathy, Tan places mindreading (Theory of Mind or ToM)[12], which, according to him, “refers to common-sense knowledge about the contents of other minds and how other minds work” (353)[13]. Through this empathy-conscious reflection link, Tan’s model not only allows us to include both the feeling and understanding aspects of empathy (two dimensions often identified with affective and cognitive empathy[14]) but also, by including its reflective aspects, helps us to explore the question (if we go back to Decety’s view) of whether film narratives can take us from the understanding to the responding with care stages of empathy. In fact, Tan’s concept of enactment empathy, both enriches and finds a continuity in Decety’s multi-staged definition of empathy.

In the context of Spanish historical memory film narratives, and taking into account both Decety’s definition and Tan’s model, we may articulate a working hypothesis as follows: as audiences of a memoria histórica film, we share the pain of the fascist regime’s victims embodied by film characters (automatically empathize), understand their pain (we make use of inference, reasoning, imagination, and introspection to willfully empathize with them), and respond with care (we adopt a position favorable to their cause and perhaps engage in some kind of activism, such as making others aware of the fact that those victims and their families have not yet received any adequate or sufficient recognition or reparations from the Spanish government).

Having enunciated this hypothesis, let us move on to the discussion of Plantinga’s model of the “scene of empathy.” He defines this type of scene as one:

[…] in which the pace of the narrative momentarily slows and the interior emotional experience of a favored character becomes the locus of attention […] we see a character’s face, typically a closeup, either for a single shot of long duration or as an element of a point-of-view structure alternating between shots of the character’s face and shots of what she or he sees. In either case, the prolonged concentration on the character’s face is not warranted by the simple communication of information about character emotion. Such scenes are also intended to elicit empathic emotions in the spectator. (“The scene,” 239)

The empathy that these scenes may elicit depends on factors such as allegiance to characters—“we are more likely to catch the emotions of those with whom we construe our relationship as one of relatedness and/or likeness” (“The scene,” 250)—and narrative context—“scenes of empathy must be put in moral context that assumes a good deal of information about the character in question. For this reason, scenes of empathy often occur at the film’s end, after such a context has been developed” (“The scene,” 252-53). Another factor is affective congruence—“between narrative context, character engagement, various uses of film style and technique, and the psychological impressions and responses they generate” (“The scene,” 253). Finally, Plantinga tells us: “Scenes of empathy are often used sparingly, and the most powerful instances are reserved for a kind of emotional and cognitive summation of the ideological project of the film” (“The scene,” 253). Although I agree with the idea that these scenes are intrinsically tied to the ideological project of the film and are dependent on contextual factors, including not only narrative context but also genre and “conditioners of response such as viewing context and individual differences” (“The scene,” 248), I consider context in a wider sense that includes socio-political factors such as different forms of activism, thus connecting the audience’s empathic response to the behavioral dimension of empathy (Decety’s “respond with care”). In the memoria histórica film genre, this connection is particularly relevant, as we shall further discuss in the last part of this essay.

Based on studies on the centrality of the face in human communication and emotion[15], Plantinga foregrounds the role of facial expression in filmmaking, making it the central piece of his model: “Indeed, facial expression is one of the dominant ways human beings communicate and express emotion, whether honestly or deceptively […]. It is not surprising, then, that narrative films, which communicate largely through realistic photographic representations, would make extensive use of close-ups of the human face” (“Facing,” 293). This emphasis on the face and the close-up in cinematic affect communication and empathy is definitely consistent with what we know of human social and emotional interaction, both in real life and in filmic representations, however, it eclipses other embodiment aspects of the sharing of affect. In this regard, the model of cinematic empathy that I propose here seeks to recover the importance of the body, not just as a self-contained agent-object of empathy via resonance and enactment but also, and more importantly, as a site of affective transmission. I advocate for an inter-embodied perspective based on the ideas of thinkers such as Teresa Brennan on the transmission of affect. Brennan tells us that, “[t]he transmission of affect, whether it is grief, anxiety, or anger, is social or psychological in origin. But the transmission is also responsible for bodily changes [… it] alters the biochemistry and neurology of the subject. The ‘atmosphere’ of the environment literally gets into the individual” (1). Brennan focuses on the chemical aspects of transmission—a process analogous to what neurologists call “entrainment,” stating that, “[t]he form of transmission whereby people become alike is a process whereby one person’s or one group’s nervous and hormonal systems are brought into alignment with another’s” (9). Brennan’s ideas of the affective communication centered on the physiology of the body in relation with other bodies challenges self-containment notions of individuality, while questioning and enriching views of entrainment as effected solely by sight. She argues:

If entrainment is effected by sight, then on the face of it, our boundaries stay intact. We become like someone else by imitating that person, not by literary becoming or in some way merging with him or her. I think it is true that entrainment (whether it is nervous or chemical) can work mimetically, but not only by sight. That is to say, people can act alike and feel alike not only because they observe each other but also because they imbibe each other via smell. (10)

Finally, she reminds us that sight is in itself a complex phenomenon, rather than a pure one: “Visual images, like auditory traces, also have a direct physical impact; their reception involves the activation of neurological networks, stimulated by spectrum vibrations at various frequencies. These also constitute transmissions breaching the bounds between individual and environment” (10). When considering these ideas, it is obviously important to make a distinction between what happens among bodies in proximity in a real setting and what happens between characters and audiences—we are not able to “smell” film characters but we are able as spectators, as I maintain in this essay, to pick up on visual cues and react to the effects of the hormonal alignment of the bodies that we are following on the screen. The most relevant aspect for us here, is that such a physiological perspective, based on the emotional energy and the processes generated in the interaction of bodies, can take us beyond current theories of cinematic empathy relying mainly on facial expression while also pointing to the importance of possessing and exercising a Theory of Body (ToB)—not just a Theory of Mind—in the processes of resonance and enactment (feeling and understanding others) that enable film empathy.

Cognitive literary scholar Howard Mancing has discussed this inseparability of ToM and ToB stressing its centrality in our engagement with fictional minds: “If we treat literary characters [and, I will add, film characters] as if they had minds and thoughts we must necessarily also treat them as if they had physical bodies, for there is no thought without embodiment” (“Embodied,” 38). My own view, in relation to the ideas previously discussed in this section, is that possessing a ToB implies, in addition to an intuitive understanding—or common-sense knowledge—of other people’s and characters’ bodies and their functioning, an understanding of how those bodies interact and change in contact with one another. Humans constantly use these abilities to make sense of their social worlds, whether real or engineered by storytellers. In this regard, an awareness of both ToM and ToB as indivisible and essential in both our real and fictional experiences can help us theorize on the ways bodies are represented on the screen, as well as how they are received by spectators.

Within this context and going back to Plantinga’s model, I consider that a scene of empathy can be established by the filmmaker not only by using the close-up as the main empathy strategy, but also by recreating the energy of bodies in affective connection or alignment[16]. I am not referring here (not exclusively) to how characters “read” each other’s bodies and how the audience “reads” the bodies of characters nor about how body posture may affect emotional experiences—a field that remains undeveloped[17]—, but, specifically, about a more complex phenomenon: the transmitted affect that flows from organisms to the environment, creating an energy or atmosphere that in turn modifies those organisms. In the context of our discussion, we may call this energy “empathic energy.” Such empathic energy is responsible for creating what we could also call an “empathic mood,” which connects or aligns characters, as well as characters and audiences.

Greg M. Smith, a theorist of mood in film, offers a functional view of mood as “an orienting state that asks us to interpret our surroundings in an emotional fashion” (42). He continues on to explain that “Film structures seek to increase the film’s chances of evoking emotion by first creating a predisposition toward experiencing emotion: a mood” (42). Mood and emotion go hand in hand, they “sustain each other. Mood encourages us to experience emotion, and experiencing emotions encourages us to continue in the present mood” (42). Finally, he states:

Because emotions can be evoked using a wide range of stimuli linked in an associative network, films can use the full range of perceptual cues to evoke emotion […]. Filmic cues that can provide emotional information include facial expression, figure movement, dialogue, vocal expression and tone, costume, sound, music, lighting, mise-en-scène, set design, editing, camera (angle, distance, movement), depth of field, character qualities and histories, and narrative situation. Each of these cues can play a part in creating a mood orientation or a stronger emotion. (42)

To these cues we must add the empathic energy generated by the transmission of affect among bodies, paramount to the empathic emotion.

Plantinga himself has built on Smith’s mood cue approach to further highlight the centrality of mood to the film experience, pointing to the link between mood and genre: “Since mood relates to nearly all of the conventional elements of genre, mood assists writers and filmmakers in quickly establishing expectations, and informs readers and viewers about established frameworks through which a given narrative is meant to be experienced” (“Art moods,” 469). This connection is particularly prominent in the intersection between the memoria histórica genre and the cinema of empathy that I am discussing here, where the empathic mood constitutes a framework. From the beginning of the film, the audience receives mood cues that evoke empathic emotion. The two most important cues in the cinema of empathy that we have singled out are facial expression and the empathic energy generated by the bodies on screen. It is important to remember, however, that these emotional cues include all those mentioned above (music, lighting, costume, etc.) working together in congruence. Plantinga also pertinently makes evident the connection between mood and social judgment, stating that, “[m]oods play a role in the relationship of narrative films to ethics and ideology” (“Art moods,” 473). This connection is important in the memoria histórica cinema of empathy, where mood may lead to reflection and judgment on an ethical-socio-political problem in a given ideological context.

Finally, my model also differs from Plantinga’s in the density and placement of the scene of empathy. Rather than representing the summation or climax of a character’s trajectory and the ideological project of the film that most often appear at the end, I believe that scenes of empathy may occur in different moments of the film, with different purposes. In fact, what I consider cinema of empathy presents a high density and a wide variety of this type of scenes, which may appear at the beginning (to strongly set an emotional tone and create character allegiance), at any given time in the narrative (to guide character engagement), and/or at the end of the film for climatic and moral purposes.

Having clarified the differences between Plantinga’s model and my own, my working description for cinema of empathy can be expressed/stated as follows:

Cinema of Empathy: A type of cinema—often tied to a film genre that features human rights abuse as a central theme, such as the historical memory genre—featuring a high density of scenes of empathy. In these scenes, the human face, the eyes, and the energy created among human bodies are employed as a strategy to both portray and elicit resonance and enactment empathy—among characters and between the characters and the audience—potentially inducing a pro-social behavioral response in the audience, in connection to an ethical-socio-political problem presented in the film.

We may also think of cinema of empathy as a form of filmmaking that is mainly “affect-driven,” where emotion—inner but also, and particularly, shared—occupies a central role, as opposed to a “plot-driven” film, where narrative and action are predominant. This does not mean that cinema of empathy does not provide a solid narrative structure and well-constructed plot, however, this plot is employed as a background to the foregrounded affective states of the characters. Often, it is a plot that the audience already knows, i.e., a historical event whose outcome we are aware of (such as WWII, the Spanish Civil War) or we can partially predict (a particular episode or sub-event within that known event), enabling the circumstance that Richard Gerrig calls anomalous suspense, when “readers often experience suspense even when they know what will happen” (79). My own intuition is that such circumstance “liberates” to some extent spectators from having to follow closely the events displayed in their attempt to reconstruct the plot, allowing them to focus on the affective cinematic features. Thus, we may argue that suspense—which is experienced when we “lack knowledge about the outcomes of events that have reasonably important consequences” (Gerrig, 77)—is transferred from plot to character: since we know the outcome of the main event that serves as the narrative background (e.g., WWII), we can concentrate more locally on obtaining the knowledge we lack on the characters’ affective states, circumstances, and development in coping with their fate (e.g., how are those desperate soldiers imprisoned in a camp going to react to what happens to them?). In this type of films, our attention shifts to the characters, we focus on their predicaments and emotional responses as we are guided by the filmmaker’s cinematic strategies previously discussed, intended to make us care for those human beings. That is when cinema of empathy occurs. Interestingly, Gerrig himself had the intuition that empathy plays an important role in the experience of suspense, when he stated: “To a large extent, a theory of suspense must include within it a theory of empathy: Under what circumstances do we care sufficiently about other people to engage in active thought about their fates?” (80). I claim that in cinema of empathy this connection between empathy and suspense is particularly strong and enabled by both the use of empathic filmic strategies and by employing a genre that allows for anomalous suspense and for the shift of the audience’s focus from plot to character. Thus, although cinema of empathy can in principle exist in connection to any portrayal of human struggle against a situation of injustice and violence, it often occurs in films of historical memory that seek to revisit a tragic event while foregrounding the emotional experiences of the human beings affected by it.

Background: Spanish Historical Memory and Historical Memory Film

As I have argued elsewhere, the memory of the Spanish Civil War revolves around its condition of unresolved conflict (Jaén, “Fascism,” 804). To talk about Spanish historical memory is to talk about a past that is presently materialized in the often called “memory wars” (or “memory war”), where some complain about the tiring and constant revisiting of Spain’s traumatic Civil War past and advocate for forgetting and moving on, while others denounce the impunity of Franco’s torturers and murderers—never held accountable for their crimes, living today among the Spanish population—and keep searching for their missing families, perhaps buried in one of the many still unopened mass graves that are scattered around the Iberian peninsula. Although, arguably, these are the two main perspectives involved in these memory wars—and we may tend to think of Spanish society as polarized on the subject of the Civil War and historical memory—they are by no means the only two attitudes exhibited by the population. On the contrary, a diversity of views, ranging from rejection to apathy to fervor, with myriad emotions and reactions in between, can be found with respect to this important issue.

Remembering and forgetting are indeed very charged and controversial notions in the context of the recent history of Spain. When democracy was reestablished after Franco’s death in 1975, the pacto del olvido (pact of forgetting or agreement to forget) was imposed on Spanish society and an amnesty law that protected those who violated human rights during the dictatorship was passed in 1977. The efforts of families to find their relatives who had been executed and buried anonymously in mass graves were blocked for decades. Initiatives such as the Asociación para la Recuperación de la Memoria Histórica [Association for the Recovery of the Historical Memory] (ARMH), born in 2000 and the promulgation of the Law of Historical Memory by the socialist government in 2007 attempted to fight the blockage of memory and evasion of responsibility by conservative groups and fascist sympathizers. However, the conservative government, presided over by Mariano Rajoy (2011-2018), pushed back against the initial success of ARMH and their allies in exposing the past (Jaén, “Fascism,” 805). A key piece in this struggle is the fact that many Spanish families have not been able to locate and mourn their loved ones to this date. According to the site of the ARMH, there are still more than 100,000 missing persons forgotten in approximately 3,000 mass graves (see Bernardo). The funding provided by the socialist government led by José Luis Rodríguez Zapatero (in power during 2004-2008 and 2008-2011) for exhuming the graves was stopped during the conservative term of Rajoy and associations devoted to this task then depended on donations and volunteer work to go beyond the 2,000 graves already exhumed (see Azpiroz). More recently, in 2018, the socialist government led by Pedro Sánchez has proposed a reform of the Law of Historical Memory that will have the State lead the exhumation efforts as well as the search for the babies stolen during the Franco era[18]. Other proposed measures include the creation of a commission of truth, a census of victims of the Spanish Civil War and Franco’s regime, a policy of reparations, the removal of fascist symbols (including the controversial exhumation of Franco’s grave from the Valley of the Fallen in Madrid to open a National Center of Memory), and the creation of “lugares de memoria” (places or sites of memory), among other initiatives[19]. In addition to these governmental proposals, judicial efforts have been carried out to hold Franco’s criminals accountable, such as those initiated in 2008 by Spanish judge Baltasar Garzón[20], who was accused of exceeding his jurisdiction, and, more recently, a petition from Argentinean judge María Servini to extradite 20 people accused of crimes of Francoism (including the torturer Juan Antonio González Pacheco, alias “Billy el niño”), which was blocked by Rajoy’s government[21]. Despite the many obstacles that these initiatives have faced, the number of lawsuits filed in Spain continues to grow and new hopes for justice have been recently raised[22], aided by increased international recognition of the need to further investigate the crimes of Francoism. An example of the international support is the 2014 “Report of the Special Rapporteur on the promotion of truth, justice, reparation and guarantees of non-recurrence, Pablo de Greiff,” where the United Nations urges the Spanish government to—among other recommendations—“[c]onsider alternatives to and annul the effects of the Amnesty Act that impede all investigations and access to justice with respect to the serious human rights violations committed during the Civil War and the Franco regime” (22), so that the necessary investigations can be conducted[23].

It is also important to consider that the memory wars are being fought to a great extent by the post-memory generation (the children and grandchildren of the victims). The term post-memory, coined by Marianne Hirsch, describes “the relationship of the second generation to powerful, often traumatic experiences that preceded their births but that were nevertheless transmitted to them so deeply as to seem to constitute memories in their own right” (103). The post-memory generation—myself included in this group—grew up hearing the stories of how family members were imprisoned, executed, or disappeared during the war and the dictatorship, with some developing a sense of responsibility towards echoing the trauma of Francoism and helping the cause of finding justice for Franco’s victims. Moreover, the efforts to recover Spanish historical memory not only rest on the many initiatives proposed by activist groups and sympathizing governments (the exhumations, historical law reform, etc.) but also on the cultural representations aimed at raising public awareness about the horrors of the war and the dictatorship, among them, storytelling in different forms (oral narration, literary works, films—both documentary and fictional—, and so on). These cultural representations are often part of a genre that I have called narratives of memoria histórica: “multimodal narratives commonly expressed via novels, plays, films, and soap operas, but also through administrative and popular media discourses in legal and human rights settings” (Jaén, “Fascism,” 803). Novels and films are prominent vehicles to materialize these narratives and often share the same story. Such is the case of the historical narrative I am analyzing here, La voz dormida, created in a novelistic format and then recreated in the cinematic realm.

Moving on to the genre that will provide us with our case study, the memoria histórica genre, we find an alternation of plot-driven and affect-driven narratives. Interestingly, affect-driven memoria histórica films often feature female protagonists, such as Las trece rosas [13 Roses] (2007)—based on the tragic story of thirteen young women executed by Franco’s regime shortly after the war ended[24]—or the one that I am discussing in this essay, La voz dormida. These female protagonists appear sometimes in a coming of age context, as it happens in El laberinto del fauno [Pan’s Labyrinth] (2006)—where Ofelia struggles to cope with her fascist stepfather’s cruelty and her abused mother’s vulnerability—or El viaje de Carol [Carol’s Journey] (2002)—which narrates the story of the daughter of an international brigades American pilot and a liberal Spanish woman as she moves (with her mom) to a Spanish village during the war and, upon her mother’s death, is adopted by her fascist relatives. However, when tracing scenes of empathy in the memoria histórica genre, we also find “female-focused” films, such as Libertarias (1996), that are fundamentally plot-driven as well as films mainly constructed around male’s affective experiences that can be considered affect-driven, such as El lápiz del carpintero [The Carpenter’s Pencil] (2003)—the story of a left-wing doctor imprisoned by the fascists—or La lengua de las mariposas [Butterfly] (1999)—also a coming of age tale, centered on the relationship between a young man and his teacher, a free thinker persecuted by fascism. Hence, I stand with Plantinga when he tries “to counteract the assumption that scenes of empathy focus only on female characters and are aimed only at women in the audience” (“The scene,” 240). In fact, the memoria histórica cinema of empathy, fundamentally affect-driven, does not seem to be conditioned by the gender of the main characters.

Although a taxonomy of the memoria histórica cinema is outside the scope of this essay, it is, nonetheless, important to provide readers with a description of this genre and its context. I define memoria histórica films as those focused on the Spanish Civil War and its human tragedy, often in the context of the Spanish socio-political project of recovering the historical memory of the victims of fascism. These films may be set during the actual war (1936-1939), during the post-war repression and Franco’s dictatorship (1939-1975), or during the democracy (1975-today). They are often placed in the category of drama but can also be constructed as comedy or tragicomedy (e.g., ¡Ay Carmela! (1990)—the story of three itinerant performers trapped on the fascist side during the war), fantasy (e.g., El laberinto del fauno) or horror films (e.g., El espinazo del diablo [The Devil’s Backbone] (2001)—Del Toro’s predecessor to El laberinto—, centered on a post-war haunted orphanage). Some of these films present the empathic strategies outlined above and, thus, may be considered examples of cinema of empathy. La voz dormida is arguably the most prototypical of these examples.

Case Study: La voz dormida[25]

La voz dormida was first conceived as a novel by Spanish poet and novelist Dulce Chacón[26]. The novel was later reinterpreted and re-elaborated in the 2011 eponymous movie directed by Benito Zambrano, who wrote the script in consultation with Chacón. Zambrano has pointed to the novel’s emotional content as the main reason he decided to adapt it for the screen, as well as to his own commitment to continue Chacón’s work[27] of raising awareness in Spanish society about the need to hold accountable those responsible for the fascist regime’s repression and atrocities. Indeed, this intention seems very clear and, thus, I will argue that with this film Zambrano seeks to elicit an empathic response in favor of Spanish fascism’s victims within the context of the memoria histórica recovery movement, a context that is conditioned by the “memory wars” between those who seek to recover the memory of Franco’s victims and the ideological inheritors of fascism. The latter group attempts to block the recovery efforts, claims their status as co-victims in the war, and advocates for “forgetting and moving on,” dismissing the almost forty years of fascist brutal repression that the opponents of fascism had to endure.

La voz dormida follows the two main characters of the novel: Hortensia (a resistance fighter, pregnant and locked up in Franco’s inhumane female prison of Ventas in Madrid)[28] and Pepita (her sister, who moves to the city to help Hortensia and soon sees herself also involved in the resistance against fascism)[29]. The film is structured around the affective experience of the characters and features a high density of scenes of empathy centered on the human face and the eyes. However, more importantly, it focuses on the body and the affective energy created and communicated among bodies: bodies abused, bodies assembled in solidarity, bodies that show, hide, and leak their emotional interiority.

By employing the energy of the bodies as the central empathic strategy, La voz dormida takes us beyond the assumption that empathic filmmaking must rely on prolonged exposure to the face to elicit audience empathy. Due to the high density of its inter-embodied scenes of empathy, which function as the articulating spine of the film from the beginning to the end, this film also defies the idea that the empathic scene must be contained and used in a particular climatic context in the film narrative, not to risk falling into what Plantinga calls “sentimentality” that is “unearned or misplaced emotion” (“The Scene,” 251). Moreover, since La voz dormida places its empathic charge on an assembled unity of moving bodies that channel emotional interiority (rather than a close-up of a main character morally evolving throughout the film), it proves the potential for another kind of scene of empathy to move the spectator not simply in a cathartic moment but throughout the film, in a sustained empathic elicitation that may stimulate with more intensity both resonance and willful empathy. Let us discuss a few examples of how this film portrays the energy created by the interaction of bodies and its role in the sharing of affective interiority, creating an affective atmosphere that in turn alters the individual. I argue that this inter-embodied portrayal constitutes a powerful filmic strategy to communicate affect (both between characters and between characters and audience) and elicit empathy (both automatic and reflective) in the spectator, beyond facial expression. Thus, it is paramount to a cinema of empathy, which can be particularly effective when practiced in the historical memory cinema, where it may induce an empathic emotion potentially leading to empathic behavior for the victims of human rights abuse.

These scenes of empathy particularly focused on the body are constant throughout the film. Zambrano emphasizes embodied affect by foregrounding with his camera the emotional flow among bodies: the piled imprisoned bodies, the bodies trembling in synchrony before the firing squad and then inert after the executions, the tortured bodies, those witnessing and feeling other bodies being tortured, the bodies of relatives lining up by the entrance of the prison to visit their loved ones, the crowded bodies in the fascist courtroom moments before a death sentence is read. Indeed, Zambrano’s film constitutes an embodied emotional journey through the affective experiences of the human beings who struggle to cope with oppression, abuse, violence, and imminent death. I will now discuss briefly three representative scenes that illustrate the strategies I have identified as constituting a cinema of empathy.

The first of these scenes takes place at the beginning of the film, where a saca (the taking out of inmates for an execution at dawn) is taking place. Ángeles, a member of Hortensia’s close circle, is called. She shakes with fear while she cries “qué lástima de mi madre” [what a pity, my mother] and keeps repeating that she did not do anything. Unable to control her bladder, she also wets her clothes. Her close friends help her prepare for the moment and their bodies desperately agglutinate and cling together in an effort to cope with fear and anger, as the sentenced are torn off from the group. The murderers and their victims are finally gone, lights go off, and next we spectators find ourselves facing a wall where several inmates stand in front of the firing squad. To the sound of the gunshots, which loudly resonate in the prison gallery, the inmates respond with cries of “¡asesinos!” [murderers!] and “¡fascistas!” [fascists!], as a crescent whispering shapes into “The Internationale.” The camera then shows us Hortensia singing in dim light, while raising her fist along with her peers. The anthem continues in the background as Zambrano moves us back outside, where the executed prisoners are being placed in wooden boxes and we get a close-up of Ángeles’s dead body.

In this scene, the emotional contagion among the characters, whose nervous and hormonal systems are brought into alignment with each other[30], builds a powerful mood of indignation and resistance that permeates the audience, whose emotions are likely heightened by the diegetic music intended to create affective congruence, “the matching of affective meaning in both music and visuals [that] heightens the spectator’s experience of the overall effect” (J. Smith, 160). Rather than relying on a long-duration close-up of the central character (Ángeles, about to be called for execution), the scene is constructed around the bodies of the inmates and the emotions they project, absorb, and reflect, creating a powerful affective energy that both shapes the mood of the scene and is prompted by it. The filmic cues that contribute to the creation of this mood, and, consequently, to an enhanced emotional experience in the audience are, among others, the facial expressions of agony and compassion, the shaking movement of the bodies, the vocal expression (crying, singing), the music (a tune of resistance), and the chiaroscuro lighting. The knowledge of the contextual aspects of the narrative—those relative to the genre (the violence perpetrated against the victims of fascism) as well as the wider sociological context (the lack of reparations for those victims and the current Spanish memory wars)—contribute to the construction of this mood of indignation in the audience.

The second scene I will be discussing is the gathering of the inmates for the Christmas honoring of Jesus Christ (at 00:56:57 in the film). This is a form of humiliation for many of the inmates, whose ideological convictions are contrary to the impositions of the Catholic Church and doctrine. The scene begins with the mandatory singing of the fascist anthem, the “Cara al sol” [Facing the Sun], as the inmates raise their right arms in fascist salute. The fascist music contributes once more to creating a mood of oppression, as Zambrano shows us the gallery crowded with these confined bodies. The prisoners are forced to listen to a speech about the birth and significance of Jesus, and how worshiping constitutes part of their “reeducation.” Zambrano interrupts this mortifying speech with the whispering of the inmates’ comments of rejection, as well as their facial expressions and bodily gestures of distress and frustration as they glance at each other. Next, the nun announces that they will all have to kiss a baby Jesus doll’s foot in a sign of love and submission or face the punishment of not being allowed to see their loved-ones during the Christmas visitation. Tension mounts, the prisoners become agitated, some comply, others refuse and get beaten, others debate what to do before their turn comes. In solidarity, Tomasa, a close member of Hortensia’s group, steps forward before Hortensia’s turn is up and challenges the command: “El reglamento no dice nada que haiga que besar imágenes” [the rules say nothing about kissing images] (00:59:08). The nun insults her, tries to force her and eventually, the porcelain Jesus doll falls and breaks. Possessed by wrath, the nun brutally beats up Tomasa with a stick as she yells at her “¡puta!” [whore!] and “¡comunista!” [communist!].

Here, Zambrano skillfully takes us from resonance to enactment empathy. Engagement in this situation, both for the characters and the audience requires not only emotional contagion—as they/we witness humiliation of those who submit and kiss the doll and the physical pain of those who refuse and are beaten—but also reasoning within an ideological context: we willfully empathize with the characters, both with the submissive ones (out of our understanding of their difficult situation, as they will be severely punished if they do not obey) and with the rebellious ones (for we know the additional hell that awaits them). Allegiance to the characters that we perceive as morally superior (those who prefer to be loyal to their principles and refuse in spite of the consequences) is an important factor in our empathic response, along with the narrative context—both at the micro (the story of the inmates) and the macro (the historical background integral to the memoria histórica genre) levels—and the congruence created by the music, facial expressions, body language, and discourse of intimidation of the guards on the one hand and, on the other, the affective reactions of the inmates, which flood the gallery with an atmosphere, once more, of indignation and moral conflict in the face of a choice between their values and their loved ones. Moreover, through this moral dilemma, Zambrano creates what we could call an ideological suspense: will the main characters betray their beliefs? Finally, Tomasa’s brave act and her brutal beating shock us and bring us back from enactment to an automatic empathic response; indignation becomes physical pain as we witness the uncontrolled violence exerted on Tomasa’s body and the emotional responses of the other witnessing characters. In this scene, the filmmaker has managed to lead us on an empathic journey where we, the audience, can potentially both share and understand the affective state of the characters, as they do so among themselves through their predicament.

The third and final scene I will be discussing is the conversation between Hortensia and Pepita through the prison bars during visitation time. Visitation scenes appear several times throughout the film as a crucial empathic strategy on Zambrano’s part and are instrumental in foregrounding the transmission of affect among the bodies. Since the bodies are actually separated by two lines of bars while they talk in the visitation gallery, with a large gap between them, the flowing emotional energy and the affective atmosphere are particularly highlighted by the physical void between the organisms, further demonstrating the lack of self-containment of affect. These scenes often begin in the film with Zambrano’s camera showing us the bodies of the relatives who line up waiting before the prison’s gate. With cues such as facial expressions of worry, hope, weariness, and resignation; body postures (e.g., shoulders hunched because of the cold); the dark color and humble clothes of the characters; and hard lighting, Zambrano conveys the emotions that circulate among those bodies, creating a mood of desperation that orients the spectators and prepares them for the visitation scene. As the gates open, the bodies of the relatives flow in a torrent into the visitation corridor, their faces full of expectation. Likewise, the camera shows the hopeful bodies of the inmates, who also rush to meet their loved ones.

The particular visitation scene that I am discussing here takes place right after Hortensia gives birth. It is constructed mainly as a shot-reverse-shot, with close-ups alternating between each sister’s face, as they talk to each other across the bars. The sisters talk about the baby, Pepita’s new boyfriend—who also fights in the guerrilla, alongside Hortensia’s husband—and the inconvenience of falling in love in such turbulent times. They try to find some joy in the midst of their desperate situation. The lighter tone of the dialogue contrasts with the facial expressions of sadness and the sordid atmosphere of the gallery. The filmic cues described above for this type of visitation scenes are present here too and Zambrano chooses to further mark its heightened emotional tone by musically framing the encounter with the main theme of the film, “Nana de la hierbabuena,” whose lyrics speak of a mother condemned to death and saying goodbye to her baby daughter before being executed, a situation parallel to Hortensia’s, whose sentence is to be executed shortly after giving birth. Sung by the protagonists, the nana [lullaby] permeates the gallery, silencing the other voices, and suspending the action during a few seconds, as we spectators are mesmerized by the eyes of these two women and drift into the emotions that flow between them. In this scene, the slowing down of the narrative, the use of the close-up with the camera alternating between the facial expressions of both sisters—eyes locked on each other’s—and the congruence created by the use of the music all contribute to building a bittersweet mood that frames the complex affective states of the sisters.

Implications, Conclusion and Further Directions

Let us now go back to the framing question of this essay, can cinema of empathy advance the cause of the victims of fascism? First, it is important to clarify two points: 1) I am not suggesting that directors such as Zambrano are consciously building a cinema of empathy. Although filmmakers can be conscious to a certain extent of the strategies that they employ to elicit audience empathy, the notion of cinema of empathy I introduce here is a category born of critical observation rather than creative production itself; 2) the model of a cinema of empathy that I outlined in this essay remains at the speculative level, as empirical studies on the empathic impact of film are still in their infancy; my observations may or may not be validated by future studies of audience emotional response to film, and in particular, response to filmic representation of inter-embodied affect. This being said, the main question can be approached from a theoretical perspective in the context of the Spanish historical memory of fascism and its status as unresolved conflict.

Whether a cinema of empathy, a cinema that features empathic strategies based on embodied affect and shared interiority, may help advance the cause of the recovery of the victims of Franco’s repression in Spain is a question that needs to be considered from a perspective that includes both the complexity of the notion of empathy and the ideological complexity of contemporary Spain. Let us now go back to Keen’s theory of narrative empathy and the notions of empathic inaccuracy—“the discordance arising from gaps between a[n] author’s intention and a reader’s experience of narrative empathy[31]”—, failed empathy—“the inefficiency of shared feelings in provoking action that would lead to positive social or political change”—, false empathy—“the self-congratulatory delusions of those who incorrectly believe that they have caught the feelings of suffering others from a different culture, gender, race, or class [we may add here ideology]”—, and personal distress—, where empathic over-arousal may lead to “aversion to the source of the negative feelings[32].” In view of these phenomena, we may infer that an empathic response in audiences will depend on the particular ideological group spectators identify with (as well as their individual specific contexts). Contemporary Spain is a diverse society where different ideological groups with different attitudes towards historical memory exist, and, thus, it is impossible to find a correlation between empathic intention and empathic response. Whereas empathy may be elicited in spectators that already support the cause of the memory recovery (the in-group), for others, who might be indifferent to this cause—i.e., those not having any family members affected by it, not having been exposed to it, or declaring themselves “apolitical”—the result may be failed empathy or personal distress. Moreover, for those who are opposed to the cause, failed empathy may result in a negative reaction, further emboldening their anti-memory attitudes. Finally, the question remains to what extent an empathic reaction may promote pro-social behavior of any kind. If this is at all possible—the empathy-altruism hypothesis continues to be hotly debated—the assumption could be that such behavior will depend on and correlate to a certain extent with the level of personal involvement in memory recovery activities that each spectator has in real life. Those who already belong to memoria recovery activist groups will likely be inspired to further participate in activities organized by those groups. Others may be prompted to compile relevant information and/or share it through social media. Yet others may participate in protests, donate money to help families of victims locate and open the mass graves where their loved ones might be buried. Those who are relatively new or unexposed to the cause might be sufficiently moved to join an activist group or do research on their own. There is a wide array of possibilities at the crossroads of social and individual contexts.

In conclusion, although a correlation between empathic intention, empathic filmic strategies, and empathic audience responses cannot be established and despite the lack of sufficient empirical studies on empathic response to film as well as on the empathy-altruism connection, I maintain that 1) a cinema of empathy as a distinct type of film currently exists and is practiced in connection to certain genres centered on human rights abuse, such as the memoria histórica genre and 2) insights from a diversity of disciplines in the humanities and the sciences (narrative and film studies, social neurosciences, sociology, history, etc.), efficiently channeled through the interface known as cognitive approaches, may provide the grounds for future empirical studies to help us corroborate, nuance, and/or reject our initial hypotheses on the power of fiction to elicit empathy and pro-social behavior.

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Zambrano, B. (director), La voz dormida [The Sleeping Voice], Warner Bros, 2011.

Zillman, D., “Empathy: Affect from bearing witness to the emotions of others” in B. Jennings and D. Zillman (eds.), Responding to the screen: Reception and reaction process, Hillsdale, Lawrence Erlbaum, 1991, p. 135-141.

Zunshine, L., Why we read fiction: Theory of mind and the novel, Columbus, Ohio State UP, 2006.

 

 

ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XVIII


[1] On the historical memory of the Spanish Civil War and Franco’s dictatorship and its status today, see among others the website for the ARMH (Asociación para la Recuperación de la Memoria Histórica [Association for the Recovery of Historical Memory]); Labanyi; Junquera, Valientes. On fictional representations of Spanish historical memory, see Valis; Leggott and Woods; Mayoral and Mañas.

[2] This essay is related to a previous piece entitled “Fascism, Torture, and Affect in Post-War Spain: Memoria Histórica Narratives and Audience Empathy,” centered on the political context of the Spanish memory problem and La voz dormida narrative both in its film and novel formats. Here, I solely focus on the film version of the story and on the cinematic strategies employed to elicit empathy.

[3] Empathy is also described in relation to sympathy or feeling for someone (feeling concern without necessarily sharing the same emotion). On sympathy as a precursor of empathy, deriving from the classical idea of pity or compassion, see Jaén, “Empathy.”

[4] On the complexity and multidimensionality of empathy, see Batson, “These things.”

[5] On empathy and narrative, see also Hammond and Kim.

[6] See among others Batson, “The empathy-altruism;” Echols and Correll; Oatley, Mar, and Djikic; Nussbaum; Pinker.

[7] In her 2007 book Empathy and the Novel, Keen describes these phenomena as follows. Empathic inaccuracy: the “discordance arising from gaps between a[n] author’s intention and a reader’s experience of narrative empathy” (xiii); failed empathy: “the inefficiency of shared feelings in provoking action that would lead to positive social or political change” (159); false empathy: “the self-congratulatory delusions of those who incorrectly believe that they have caught the feelings of suffering others from a different culture, gender, race, or class [we may add here ideology]” (159); personal distress: where empathic over-arousal may lead to “aversion to the source of the negative feelings” (19).

[8] See Keen, Empathy and “A theory.”

[9] See among others Zillman; Neill; Oatley.

[10] Although the notion of “cinema of empathy” has been employed in different contexts, usually within the field of film criticism (see for instance Roger Ebert’s review of the 1966 film “Au Hasard Bathalsar”), there does not exist to my knowledge a systematic effort to describe in detail what constitutes a cinema of empathy. In this essay, I take the initial steps towards theorizing this notion in connection to the cinema of historical memory.

[11] On emotional contagion, see Hatfield, Cacciopo, and Rapson.

[12] On Theory of Mind or mindreading and the different approaches to the notion, see among others Baron-Cohen; O’Connell; Gallagher; Gopnik and Meltzoff; Goldman; Gordon; Ratcliffe. On the connection between Theory and Mind and fiction, see among others Jaén, “Cervantes” and “Literary;” Kidd and Castano; Leverage et al.; Mancing, “Sancho;” Simon, “Celestina” and “Psychologizing;” Zunshine.

[13] A key piece of Tan’s model is its reliance on studies such as Keysers and Gazzola on empathic processes and Theory of Mind: “They propose that TOM (i.e., general knowledge of other minds and people in their particular social and cultural context) informs reflection on what situations could be like for observed persons that you do not know” (353-354).

[14] On the cognitive and affective views of empathy, see Strayer; Shamay-Tsoory.

[15] See for instance Ekman; Izard; Tomkins.

[16] See Brennan, 9.

[17] See G. M. Smith, 26.

[18] Babies of women executed under Franco’s dictatorship were often given away to families sympathizing with the regime. The case of “la monja que repartía bebés” [the nun who dispensed babies], Sor María Gómez Valbuena, who died while awaiting trial in 2013, recently shook Spanish society (see Junquera, “Recé”).

[19] See the complete socialist party’s proposal, “Propuestas: Memoria histórica,” on the party’s website.

[20] On Garzón’s efforts, see “La denuncia” on Baltasar Garzón’s website.

[21] See Mannarino.

[22] On the current state of the judicial efforts to recover historical memory, see the documentary El silencio de los otros [The Silence of Others] (2018), directed by Robert Bahar and Almudena Carracedo.

[23] See also the 2017 Addendum to the “Report of the Working Group on Enforced or Involuntary Disappearances,” 143.

[24] For more information on the story of Las trece rosas, see Fonseca.

[25] For a more detailed version of this analysis of La voz dormida, see Jaén, “Fascism ».

[26] On Chacón’s novel, see Colmeiro; De Grado.

[27] See Velázquez Jordán. Unfortunately, Chacón died of cancer before the movie was released.

[28] On Franco’s women prisons, see Aguado; Mangini, chapters 6-8.

[29] On the participation of women in the Spanish Civil War and the resistance, see Lines; Mangini; Nash.

[30] See Brennan.

[31] See also Ickes, Empathic accuracy and “Empathic accuracy: Its links.”

[32] See the beginning of the essay for more details on these definitions.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




“How Can I Return to Form, Now My Formal Thought Has Gone?”: Meandering Thought, Contested Subjectivity, and the Struggle for Form in Sarah Kane’s 4.48 Psychosis

Instead of the outmoded conventions of dialogue and so-called characters

 lumbering towards the embarrassing dénouements of the theatre,

[] [she’s] offering us no less than the spectacle of [] existence.

Martin Crimp—Attempts on Her Life (254-255)

 

4.48 Psychosis is Sarah Kane’s last play. When the play was first produced at the Royal Court Jerwood Theatre Upstairs in 2000, the young playwright had already taken her own life following repeated bouts of severe depression. Kane’s personal tragedy might account, in part, for the prevalent tendency amongst critics to read her play autobiographically, i.e. as an elaborate and poetic “declaration of suicide” (Clapp). Guardian theatre critic Michael Billington, for example, has famously called it a “75-minute suicide note” (Billington). In his introduction to the Methuen edition of Sarah Kane’s Complete Plays, fellow playwright David Greig rejects this reductionist trend: “4.48 Psychosis is not a letter from one person to another but a play, intended to be voiced by at least one and probably more actors. The mind that is the subject of the play’s fragments is the psychotic mind. A mind which is the author, and which is also more than the author” (Greig, “Introduction,” xvi). Fully agreeing with Greig’s objection, I contend that the dominance of autobiography in much of the play’s reception is not merely due to its often depressive and, at times, suicidal content, but also due to its radical flouting of theatrical conventions. Kane’s eradication of both character and plot, in their traditional sense, has led some critics to overlook the play’s powerful performative potential and reduce it to the alleged solipsism of the private (and privative) ruminations of inner speech. The absence of clearly delineated characters and of an overt, easily identifiable political narrative also places the play in opposition to what Greig calls a tradition of “English realism”: “English realism prides itself on having no ‘style’ or ‘aesthetic’ that might get in the way of the truth. It works with a kind of shorthand naturalism which says, ‘This is basically the way I see it.’ Distrustful of metaphor, it is a theatre founded on mimicry” (Greig, “A Tyrant”). 4.48 Psychosis, on the contrary, abounds in metaphor and all but offers a clear and comprehensive vision of the world, let alone “the truth.” Rather, the play’s form meticulously mirrors its content, for, as Laurens De Vos states, “[a] psychotic state demands a free form […] language does not merely serve as a support, a bearer of a representation or meaning, but it becomes the message itself” (133).Kane’s move towards the volatility of performance, her insistence to present and (both linguistically and structurally) evoke schizophrenia and depression rather than re-present them—mimetic representation being the defining feature of realist theatre—have made her later work the target of the very criticism habitually directed against postmodernism at large: in such a reading, the play’s investment in form and the liberties it takes with regard to character and plot are considered detrimental to the viability of its politics. This kind of criticism is voiced, for example, by fellow playwright Phyllis Nagy, who deplores that,

[a]s we move through [Kane’s] work […] we begin to find an absence of character, and sometimes characters are stripped of their identities—literally—and given ‘letters’ instead of names, for instance. These characters begin to speak into a void. This is what I find somewhat problematic. Because the technique tends to render an audience morally passive. One either cannot or is not required to respond to characters who float in a void. (in Saunders, 158)

Kane was well aware of the unsettling effects of innovative form: “All good art is subversive, either in form or content. And the best art is subversive in form and content. And often, the element that most outrages those who seek to impose censorship is form” (Kane, quoted in Stephenson and Langridge, 130). To call 4.48 Psychosis an apolitical play, to read it as a mere suicide note that fails to transcend autobiography, does not do Kane’s work justice: the play is politically viable precisely because its fragmented form refuses to incorporate and own the Other through a teleological mimesis based on the Aristotelian “imitation of [allegedly] inherent ends or entelechies” (Redner). The play thereby allows (and encourages) inconsistencies, contingencies, and intensities and ultimately supports a perpetual re-imagining of the concept of subjectivity in general.

The aim of this article is to take a closer look at Kane’s subversion of theatrical conventions and discuss the cognitive dynamics of what I will call, drawing and expanding on Spinoza’s notion of conatus, striving or meandering thought and (inner) speech in the playwright’s final play. I will come to define meandering thought as, at times, conflicted and disorganised, equivocal speech which includes frequent derailment and circumstantiality, i.e. non-linear thought patterns. Referencing neuroscientific theories of neural plasticity, inner speech, and mind wandering, and then engaging them in a dialogue with philosophy of mind, I will show that meandering thought deterritorialises speech, makes it stutter and stumble, and constantly weaves and un-weaves the subject and its understanding of the world. I will further argue that striving thought shares a number of characteristics with what has been described, in psychiatric textbooks, as schizophrenic language: a language that eschews the boundaries between internal and external, between self and other—a language, in short, that in many cultures is ‘unthinkable’ (Séguin). As cognitive scholars invested in Darwinian epistemology have convincingly argued, however, it is culture that restricts nature and thereby defines the limits (and the form) of thought—and not, as has often been maintained, vice versa. The feminist theorist Elizabeth Grosz, for example, suggests that a specific culture only ever actualises a minute subset of potentialities latent in nature, binding it according to the needs of a specific human moment:

[…] culture diminishes, selects, reduces nature rather than making nature over, or adding to it social relevance, significance, and the capacity for variation. Nature itself may be understood as perpetual variation […] culture rather than nature is what impoverishes nature’s capacity for self-variation and becoming, by tying the natural to what culture can render controllable and what it sees as desirable. (48)

Following Grosz, I will argue that the kind of conative thought presented by Kane in 4.48 Psychosis—her undoing of traditional dramatic form—can be understood as a character’s attempt to open up that culture-specific actualisation of nature so as to express innovative and, often, culturally subversive ideas. Kane’s meandering thought attests to new (cognitive) needs, new “lines of flight” (Deleuze and Guattari, A Thousand Plateaus, 3) that cast light on both the expediencies and the limitations of the Cartesian notion of an ontologically bounded and clearly delineated subjectivity—situated, first and foremost, in the safely detached realm of the cogito—and its pervasive consequences for how we perceive the relationship between body, world, and mind-brain. Approaching a text like 4.48 Psychosis—a text so deeply invested in problematising the post-Cartesian dilemma that “[b]ody and soul can never be married” (Kane, Psychosis, 212)—from a perspective of mental autonomy and “Cartesian isolationism” (Pouivet, 83) is cumbersome at best, and counterproductive at worst. Such a take on the play will inadvertently divorce the play’s formal innovation from its epistemic impact and consider the lack of “ontological security” (Laing, 42) it stages as a hindrance to its politics: a view expressed, for example, in Nagy’s aforementioned critique that the play “speak[s] into a void,” and all too often legitimised by evoking Kane’s troubled biography. To avoid this critical fallacy, I propose a different “lecture machine” (McKenzie, 19[1]) to make sense of the continuous striving, in the plays of Sarah Kane, to “feel physically like [one] feel[s] emotionally” (Kane, Crave, 179): a lecture machine based on the Spinozist thesis—increasingly corroborated by contemporary neuroscience—of the affective parallelism of mind and body, of mental events and physical events, of mental striving and bodily striving. In developing my argument, I will draw equally on scholars invested in the cognitive sciences and on poststructuralist theorists, pointing to productive interfaces between proponents of the respective schools. For, as Ellen Spolsky points out in an essay on “Darwin and Derrida,” it is precisely the cognitive flexibility of the human mind-brain that makes change inevitable—a neurological assertion, she claims, of the poststructuralist instability of meaning.

Striving to Persevere: Minding the Human Body

In proposition 7 of part 3 of his Ethics, Spinoza describes the conatus principle by stating that “[t]he striving [conatus] by which each thing strives to persevere in its being is nothing but the actual essence of the thing” (159). According to Spinoza, striving is not only the basis of our desire to increase our power of acting, and thus the basis of all our affects and emotions, but constitutes our very, porous selves: the human subject is indistinguishable from its striving. Unlike Descartes, Spinoza thus envisions a form of subjectivity that does not pre-exist its unqualified and unstructured bodily affects but is, rather, constituted by them (Malabou, 7). For Spinoza, the human mind is a complex idea of the body that “cannot exist without an object whose existence it affirms through its judgements […]. For the mind the striving to exist is the striving to affirm” (Koistinen, 183). The body—and thus the mind—never perceives an external thing itself but always the way it is affected and, ultimately, constituted by it. For the mind to think is to have ideas; and ideas are coextensive with the things they represent: “The order and connection of ideas is the same as the order and connection of things” (Spinoza, E2p7, 119). Catherine Malabou emphasises that the conatus implies that both the body and the mind endeavour to persist in their own being, but that the conatus must not be understood as a third term: just like the affects of which it is the basis, it is a striving in intensity only; it is never subjectivated (Malabou, 38). In striving, desire and ontology cannot be differentiated. The striving of perseverance can therefore be understood as “a consistent, insistent and resistant dynamic affirmation” (Bove, 187). Not unlike Deleuze and Guattari’s much later concept of the “desiring-machine,” which we could also call the striving-machine, the conatus embodies an immanent ethic, an immanent production, which is “not the production of something by someone—but production for the sake of production itself, an ungrounded time and becoming” (Colebrook, 55). It is, in short, neither entirely in the mind-brain nor in the body, but in nature. The striving or machinic subject comes into being precisely because it is unstable and, like a machine, perpetually engages in a myriad of connections and assemblages. It is the sum total of its ever-expanding, deterritorialising associations:

[…] the subject [is] produced as a residuum alongside the machine [i.e. the connections and assemblages of human interaction with the world, other human beings, animals, inanimate things, technology, ideas, etc.] This subject itself is not at the center, which is occupied by the machine, but on the periphery, with no fixed identity, forever decentered, defined by the states through which it passes. (Deleuze and Guattari, Anti-Oedipus, 20)

Spinoza’s early modern philosophy as well as Deleuze and Guattari’s poststructuralist, posthumanist ideas about the self strongly resonate with contemporary cognitive theories and insights. Spinoza, whom acclaimed neuroscientist Antonio Damasio depicts as a pioneer in neurobiology (Looking for Spinoza, see also Malabou, 50), insists upon the importance of affects and feeling in the very process of reasoning. As Catherine Malabou explains, “Spinoza’s nondualistic conception of the relationship between mind and body implies a definition of the conatus in which the ontological and the biological are intertwined” (50). In a similar vein, reverberating both Spinozian and Deleuzian claims, contemporary neurosciences refrain from thinking of subjectivity as a biologically determined, nativist, monolithic entity. Rather, the neural self is considered as an ever-evolving, ever-adapting, plastic structure in whose development experiences, memories, and affects are of central importance. Studies continue to show that the nervous system is neither centralised nor autonomous, but constituted by highly modifiable neural connections which are receptive to external phenomena (Malabou, 26-28)—or, as I will argue in a later section of this article, to misattributed, externalised instances of internal speech. Not unlike the Deleuzian body without organs, this anti-nativist view of neural plasticity allows for an almost incomprehensible array of potential linkages—“figurative cognitive [inner] space[s] [that are] physically embodied in the very real space of the possible collective activities of some proprietary population of appropriately devoted neurons within the human […] brain” (Churchland 25-26). These linkages are then ‘mapped’ by experience into more or less durable conceptual frameworks and structural, representational spaces but, at the same time, remain flexible and dynamic enough to (at least temporarily) realign and respond to external influence and change. This plasticity exposes the nervous system to both external and, as in the case of neurological disorders, internal danger: damage to our brain entails damage to our sense of self (Malabou, 28; Solms and Turnbull, 4). Many cognitive philosophers such as Daniel Dennett or Thomas Metzinger thus conclude that, contrary to popular belief, the view of the stable, centred self is an illusion:

No such thing as selves exist in the world: Nobody ever was or had a self. All that ever existed were conscious self-models that could not be recognized as models. The phenomenological self is not a being, but a process—and the subjective experience of being someone emerges if a conscious information-processing system operates under a transparent self-model. (Metzinger, 1)

Striving to Connect: Voicing the Conatus

What are the consequences for the way we produce and receive literature, if “nobody ever was or had a self”? How can a playwright depict the immanently porous interiority of a striving human mind-brain, let alone one on the verge of psychotic disintegration? Most conspicuously, Sarah Kane chose to do away with conventional notions of dramatic character: in 4.48 Psychosis individual enunciations are no longer attributed to distinct individuals. In a radical move towards depersonalisation, dialogical turn-taking is marked by the mere use of dashes, making it impossible, at least for the reader of the play text, to identify a definite number of discrete characters. The play thus depends to a large degree upon the reader’s creative participation, for what one reader may understand as an interaction of multiple characters, another might construe as an interchange of interior voices. The same openness holds true for the play’s race and gender distributions. Many, but by no means all, directors have opted to cast three actors for their staging of 4.48 Psychosis, following the suggestion within the play text that alludes to a threefold configuration of “Victim. Perpetrator. Bystander” (Kane, Psychosis, 231).

Even though a scenic production of the play will eventually have to rely upon a decision as to the number of actors that appear on stage, one cannot speak of unitary characters, of dramatis personae in the traditional sense of the concept. Ehren Fordyce argues that Kane’s work, from her debut Blasted up to 4.48 Psychosis, shows a pronounced tendency to substitute the dramatic technique of character for that of (dis)embodied voice (107). Just as the schizophrenic’s sense of self, his or her ontological security is threatened by the presence of commenting inner voices, the adoption, by Kane, of bare voice, of juxtaposed “language surfaces” (Lehmann, 18[2]) facilitates what Elinor Fuchs calls “the Death of Character”: the eschewal of any pretence to unity in a postmodern age marked by “a dispersed idea of self” (9). Voices, both in the theatre and in the lived experience of clinical schizophrenia, have a pronouncedly destabilising quality that forces us to question our received, Cartesian assumptions about selfhood. As Fordyce explains,

[t]he ability to situate the self, to establish a secure ground for the ethos of character, disintegrates as voices crowd in; as they speak simultaneously with other characters; as they whisper instructions in the ear to harm oneself. Voice has this odd, de-situating power: to be embodied and disembodied at the same time; to trouble the boundary between inner and outer, local and remote, phantasmatic and real. […] Voice creates a world that is radically immanent, where no form guides one to know how to be stable and secure. (108)

(Inner) voice thus has a pronouncedly striving quality: due to its indeterminate ontological status (whence does it originate?) as well as its often contradictory content (what does it mean?), voice renegotiates the territories and boundaries of the self. Being simultaneously embodied and disembodied, the pondering and imaginative nature of voice in 4.48 Psychosis evokes the Spinozist notion of unqualified conatus, for it engages with the environment without any preconceived judgement: striving, in the words of Zadie Smith, does not have “a fixed point, no specific moral system, not, properly speaking, a morality at all. It cannot be found in the pursuit of transcendental reward […]” (33). Instead, as exemplified by the voice(s) Kane conjures, its sole movement in the world is to persevere in its own being: “to communicate, to converse / to laugh and make jokes / to win affection of desired Other / […] to form mutually enjoyable, enduring, cooperating and reciprocating relationship with Other, with an equal / to be forgiven / to be loved / to be free” (Psychosis, 235). In striving, the desire to increase one’s power of acting is always directed towards the world, towards the ‘socius’: both the satisfactions and frustrations it affords—for striving is a serious matter: the willingness to engage can just as easily lead to a diminishment of one’s power to act—are “not transcendental, but of the earth” (Smith, 38).

The radical openness of the conatus can be overwhelming because it exposes the fictitious boundedness of Cartesian subjectivity: “Hatch opens / Stark light / the television talks / full of eyes / the spirits of sight / […] Where do I start? / Where do I stop? / […] perhaps it will save me / perhaps it will kill me” (Psychosis, 225-227). In striving, life and ideas, life and desire, conflate. This is why true striving always entails hope: the good we strive for is nothing other than “what we […] know to be useful to us” (Spinoza, E4d1, 200). Arriving at this knowledge may take some time; it will entail both the satisfaction and the frustration of our desire, but, according to Gilles Deleuze, this indeterminate nature of striving is precisely “why Spinoza calls out to us in the way he does: you do not know beforehand what good or bad you are capable of; you do not know beforehand what a body or a mind can do, in a given encounter, a given arrangement, a given combination” (quoted in Smith, 36). The voice(s) in 4.48 Psychosis seem to agree: despite the omnipresent feeling of loss, frustration, and desperation, virtually no other word is repeated as tenaciously as “light” and its evocation of an (as yet unattainable) mental peace and cognitive clarity: it occurs fourteen times throughout the short play. Moreover, the play famously ends with the request to “please open the curtains” (245), presumably to let in further light and open the enclosed space of the theatre—metonymically standing in for the bounded and enclosed subject—to the bustle of the city (which, given that the Royal Court Jerwood Theatre Upstairs, for which the play was intended and where it ultimately premiered, does have windows, was a viable dramaturgical option). In his fascinating Spinozist reading of Walt Whitman’s poetry, Ibon Zubiaur argues that a poem is “the verbal register of an affective process” (375): the conatus captured in Whitman’s poetry locates both body and mind in a causal relationship with their environment. Kane’s use of voice achieves a similar effect: it verbalises the human processes of desire, the intensities of conative flows, that ultimately constitute the subject as an entanglement of mind, body, and world.

What is more, the radically immanent world of voice-hearing evoked in 4.48 Psychosis is closely related to the linguo-cognitive phenomenon called inner speech. Equally referred to as inner voice, inner speech is a quotidian human experience that plays a crucial part in human consciousness. Operating at the interplay of thought and language (Perrone-Bertolotti et al., 221), inner speech has been defined as “the subjective experience of language in the absence of overt and audible articulation” (Alderson-Day and Fernyhough, 931). A “mental stimulation of speech” (Perrone-Bertolotti et al., 221), inner voice serves various cognitive, epistemological, and ontological functions: it plays an important role in the self-regulation of cognition, is said to interact with working memory, enhances executive functions and cognitive flexibility, facilitates the planning and rehearsing of (future) actions, and balances emotions, for example, by increasing self-confidence or assisting self-relaxation (Alderson-Day and Fernyhough, 931, 937-8; Perrone-Bertolotti et al., 221; Huebner). Structurally speaking, inner voice, though often highly idiosyncratic, has a number of features that guarantee its inherent logic and heuristic efficiency. As first theorised by Lev Vygotsky, inner speech is (a) “predicative,” i.e. it condenses syntactic elements and only uses the minimal amount of information required by the thinking subject; (b) it relies on “semantic embeddedness,” meaning that words are attributed idiosyncratic meanings and connotations; (c) the meanings of its words are thus “egocentric;” and (d) it employs sense imagery (Huebner, 1587. Cf. Vygotsky). Drawing on Vygotsky’s theory of inner speech as the result of a process of internalisation in the cognitive development of the child, Charles Fernyhough distinguishes between overt “external dialogue;” gradually subvocalised “private speech;” “expanded inner speech”—fully internalised speech that still retains its dialogic quality; and “condensed inner speech”—abbreviated, highly individualised dialogic fragments presenting “alternate perspectives on reality,” (55) corresponding to the kind of “thinking in pure meanings” described by Vygotsky (249).

Inner speech is further associated with Dialogical Self Theory (DST) which, drawing on the psychology of William James, the philosophy of Friedrich Nietzsche, and the literary scholarship of Mikhail Bakhtin, considers the self as an assemblage of / as an interplay between, a multitude of internal and external self-positions wherein the self, often via the deliberations of inner speech, serves as the dialogical narrator (de Sousa et al., 885; cf. Hermans). Internal self-positions refer to our different representations of who we are or take ourselves to be as well as of the social roles we play; external self-positions refer to the affective relationships we maintain with other people. According to DST, a coherent, albeit fleeting and processual, sense of self “is dependent on the communication or dialogue between the different self-positions that can be either complementary or contradictory. Internal coherence is achieved and sustained through the dynamic generated by this inner dialogue and by outer dialogue with others” (de Sousa et al., 885). A collapse of the dialogical self-system, however, may lead to the disturbances and disruptions of self-experience typically identified with schizophrenia. Concomitantly, dysfunctions of inner speech—insistent imperative voices, uncontrolled mind wandering, and excessive negative ruminations—have been linked to the emergence of depressive states, anxiety, as well as auditory-verbal hallucinations (Alderson-Day and Fernyhough, 944-48). According to these hypotheses, a deficit in inner speech source-monitoring can cause internal thoughts to be misattributed to external voices (Perrone-Bertolotti et al., 236).

Applying the insights of inner speech theory to a discussion of Kane’s 4.48 Psychosis may prove fruitful on several levels. First, it accounts for the variability and differing accessibility of the “language surfaces” we encounter throughout the play, which alternate between (a) (potentially) “external dialogue” [e.g. the voice’s (imagined?) interaction with a doctor figure]; (b) “expanded inner speech,” i.e. increasingly opaque internal ruminations that do, however, retain dialogic overtones [e.g. “Come now, let us reason together / Sanity is found in the mountains of the Lord’s house on the horizon of the soul that eternally recedes / The head is sick, the heart’s caul torn” (229)]; and (c) “condensed inner speech” whose “telegraphic style captures the speed with which clusters of thoughts emerge” (John-Steiner, 141-42), yet remains positively obscure to the reader/spectator even when read against the play’s context and cotext [cf., for example, the following list of verbs which is preceded by the blank ascertainment that “Nothing’s forever / (but Nothing)”: “slash wring punch burn flicker dab float dab / flicker burn punch burn flash dab press dab / wring flicker float slash burn slash punch slash / press slash float slash flicker burn dab” (231)]. Second, the intricate web of contesting voices also accounts for the play’s performative plasticity and helps to explain why different readers/directors have, as mentioned above, identified varying numbers of characters within the play. Moreover, the reader’s cognitive challenge of attributing individual statements to either internal, external, or externalised sources replicates the aforementioned deficits in inner speech monitoring that have been said to prompt auditory-verbal hallucinations in schizophrenic patients. The effect of experiencing the radical immanence of somebody else’s inner speech—somebody else whose dialogic self-system is potentially perturbed—is simultaneously liberating and disconcerting.

The expansive cognitive instability of auditory-verbal hallucinations and the mental striving it entails is exactly what Kane was aiming at with 4.48 Psychosis. In a conversation with Dan Rebellato about the ambitions in writing her play, Kane explained:

It’s about a psychotic breakdown and what happens to a person’s mind when the barriers which distinguish between reality and different forms of imagination completely disappear, so that you no longer know the difference between your waking life and your dream life. And also you no longer know where you stop, and the world starts. So, for example, if I were psychotic I would literally not know the difference between myself, this table and Dan. They would all somehow be part of a continuum, and various boundaries begin to collapse. Formally I’m trying to collapse a few boundaries as well; to carry on with making form and content one. (Kane in a public interview with Dan Rebellato, quoted in Saunders, “Love Me or Kill Me,” 111-12)

Kane’s use of an abundance of unidentified and polyvalent voices rather than unitary characters marks a decisive step in her endeavour towards making schizophrenic “form and content one.” The voices are a constant reminder/remainder of the Real that comes to subvert the fictitious pretence of symbolic integrity. Throughout the play, the protagonist’s pain stems from the Cartesian separation of mind and body, of subject and object—a separation that also informs much of contemporary medical and psychiatric praxis. Kane was deeply critical of this tradition. In the spirit of Spinozist monism, she claimed that 4.48 Psychosis is a play “about the split between one’s consciousness and one’s physical being. […] The only way back to any kind of sanity is to connect physically with who you are emotionally, spiritually and mentally” (quoted in Saunders, “Love Me or Kill Me,” 113). Ruminating on the alleged incongruity of body and mind/soul—“Body and soul can never be married” (Psychosis, 212)—the voice expresses her/his deep dissatisfaction with this fundamental dichotomy and ponders over ways to transcend it:

I will drown in dysphoria
in the cold black pond of my self
the pit of my immaterial mind
How can I return to form
now my formal thought has gone? (Psychosis, 213)

This passage implies the lingering Spinozist possibility of a “return to form” even as the cogito, the “formal thought,” which is the foundational prerequisite of the Cartesian conception of subjectivity, has been shed: a return to form, as it were, that allows for new (dis)identifications that are, in the words of Julia Kristeva, “anterior to the One” (191) and thus anterior to “Man.” At the same time, the passage speaks to the difficulty of expressing this posthumanist (prehumanist?) anteriority through language which, as Lacan has claimed, constitutes the very essence of the symbolic order. How can one approximate the fragmented and polyvocal schizology of psychosis, of the excessively striving self, without the “formal thought” of the signifying chain? Is it even possible?

Striving to Form: Staging the Conatus

Evoking Derrida, Neil Badmington argues that Kane’s call for a new poetics of dramatic form can never be absolute, for an incumbent “return to form” is unavoidable: “Precisely because Western philosophy is steeped in humanist assumptions, [Derrida] observed, the end of Man is bound to be written in the language of Man” (9). Kane was well aware that, writing a dramatic play and not envisaging a silent performance, she could not do away with words altogether—even though the repeated silences and the supremacy of voice over character clearly attest to an increasing mistrust of language[3]. Her words are, however, marked by a pronounced tendency toward verbal reduction, lifting their poetic function over their narrative and representational function (Quay, 297). Following a heated debate with the therapist figure, the protagonist  agrees to “do the chemical lobotomy” (Psychosis, 221) of psychotropic drugs as her/his thought patterns becomes increasingly abstract:

abstraction to the point of
unpleasant
unacceptable
uninspiring
impenetrable
[…]
No native speaker
[…]
derailed
deranged
deform
free form
[…]
drowning in a sea of logic
this monstrous state of palsy. (221-23)

The “sea of logic” in which the voice is “drowning,” a logic to which s/he is “no native speaker,” indicates the inadequacy of the Lacanian name-of-the-father to express a multitude of polyvocal selves, incommensurable with the dominant Western “metaphysics of presence” (Derrida, 60). Kane’s diction here allows for what Lyotard called “the differend” (xii) of speech: those uncanny, “unpleasant,” “unacceptable,” and “impenetrable” (Psychosis, 221) associations that constantly weave and un-weave the subject-in-process (sujet-en-procès), giving “expression to those parts of our selves, or those voices, which have been marginalized or rendered inexpressible by the demands of unity and stability—demands which violate the heterogeneous nature of language and the self” (Haber, 19). The poetic quality of the following fragment illustrates Kane’s move toward a “free form” (Psychosis, 223) that is reminiscent more of Kristeva’s ‘semiotic’ and its pre-linguistic remnants of “alliteration and vocal and gestural rhythmicality” than of the “logical and grammatical structures of the symbolic” (Macey, 348):

a consolidated consciousness resides in a darkened banqueting hall near the ceiling of a mind whose floors shifts as ten thousand cockroaches when a shaft of light enters as all thoughts unite in an instant of accord body no longer expellent as the cockroaches comprise a truth which no one even utters. (205)

The “consolidated consciousness” of this free-floating passage has momentarily overcome the debilitating limitations of Cartesian dualism: in an instance of “light,” “all thoughts unite” and the body accords with the mind. Unlike the “cold black pond” of the Cartesian “immaterial mind” (Psychosis, 213), the sanity of the consolidated mind/body is found “where madness is scorched from the bisected soul” (Psychosis, 233). Again, Spinozist philosophy can help to elucidate this passage: unlike Descartes, who distinguishes between passive, representational ideas and active, non-representational volitions (i.e. judgements), Spinoza refuses to bifurcate—to “bisect,” as Kane has it—mental states. For Spinoza, affirmation is always internal to an idea, undergirding its inherent epistemic status. This has important repercussions for our analysis of Kane’s play: since affirmation is not external to an idea, and since ideas have epistemic value of their own, mental striving is an act in and of itself, consolidating the relation of consciousness and environment, connecting the mind/body with the world (cf. Della Rocca, 134-135). When, in a move towards posthumanist deterritorialisation, the soul/mind/body is no longer bisected, it loses its need to expel: the inside is already part and parcel of the outside, and vice versa. These passages stand in stark contrast to the play’s doctor-patient interactions which, partaking of a Cartesian logic of “sensible” (Psychosis, 209) and externalised judgement, stifle the voice’s ability to strive: “Inscrutable doctors, sensible doctors, way-out doctors […] ask the same questions, put words in my mouth, offer chemical cures for congenital anguish and cover each other’s arses until I want to scream […]” (209).

Julie Waddington has argued that posthumanism represents a critical re-evaluation rather than a clear-cut discontinuation of humanism (141); similarly, Kane’s use of language documents a crisis in symbolic signification rather than a complete break with it. Rather, Kane’s poetic use of language answers Deleuze and Guattari’s call for a “minor” literature (Kafka): the attempt to deterritorialise and transgress linguistic standards and dramatic conventions from within by using a major language in a minor way. The poeticisation of dramatic diction is one viable example of “minoring” a discursive standard. It is often achieved through a concentration of metaphors, and, in the context of schizophrenic disintegration, a progressive literalisation of these metaphors. In an interaction with the therapist figure, the voice expresses suicidal thoughts and elaborates on the implications of metaphoric speech. Whereas the therapist expressly distinguishes between metaphors and reality, s/he conflates the two concepts:

– […] I’m tired of life and my mind wants to die.
– That’s a metaphor, not reality.
– It’s a simile.
– That’s not reality.
– It’s not a metaphor, it’s a simile, but even if it were, the defining feature of a metaphor is that it’s real. (211)

According to Aleks Sierz, the negotiation of “rival realities” is an essential characteristic of the “metaphor-rich” arts of the 2000s (195) which is reflected in the source-monitoring challenges that 4.48 Psychosis presents to both its ‘character(s)’ and the reader. Sierz argues that the dissection of “objective” reality into a multitude of interrelated mind spaces offers “a completely subjective route into the subject” and challenges conventional notions of form (196). The importance of the metaphor in fragmented postmodern writing lies within its transformational potential, its ability, not unlike that of the theatre in general, to create alternative worlds, however fleeting they may be: “Metaphor is analogous to fiction, because it floats a rival reality. It is the entire imaginative process in one move” (Wood, 202). To the schizophrenic protagonist, metaphor is real because it mirrors the “imaginative process” of her/his own existential, her/his own rival reality.

Both the poeticisation of language (robbing language of its expressly representational function) and the aforementioned absence of discrete characters (thereby challenging the notion of the discrete self) do not only entail a “minoring” of major language codes, but also result in a re-structuring of dramatic plot that has little in common with the conventions of English realism. The ‘plot’ of 4.48 Psychosis is a mere assemblage of ambivalently ordered fragments and polyvalent vignettes, lacking the conventional teleology of narrative closure. Christine Quay thus identifies in the play an overall proclivity for disintegration, engulfing its form (fragmentation, absence of character, etc.), its language (poeticisation, metaphorisation, silences, pauses, etc.), and its content (the disintegration of the unitary and discrete subject) (298). Kane’s formal choices implicitly express a socio-political awareness—an awareness not immediately tangible in the play’s seemingly privative content. Kane, at first glance, does not pursue any political purpose. To claim that Kane’s eschewal of genre-specific dialogicity implies a renunciation of political responsibility, however, is to ignore the fact that “minor” literature in the Deleuzian sense does not only attempt to transform formal conventions but also seek to breach a major discourse.

The discourse on trial in 4.48 Psychosis is, of course, the belief in a transcendent cogito, in the alleged sanity of a Cartesian body/mind split wherein the mind is indivisible and disembodied, yet ever present to itself. Deciding to follow a “line of flight” and disavow the dualistic logic of what s/he perceives as “the moral majority,” the voice exclaims: “I have reached the end of this dreary and repugnant tale of a sense interned in an alien carcass and lumpen by the malignant spirit of the moral majority […] I sing without hope on the boundary” (214). The Cartesian notion of subjectivity and the forms of social interaction it enables are described as a “repugnant tale of […] sense” precisely because they are premised on the exclusion of difference, on the jingoism of a territorial self. Whereas the bounded subject of Cartesian inscription seeks to expel difference in order to foster its own identity, its own distinctiveness, the conative protagonist of Kane’s play embraces and “love[s] the absent” (Psychosis, 219). Evoking the neural plasticity and the associated dynamicity of meaning mentioned above, the voices of 4.48 Psychosis illustrate a wildly Spinozist form of subjectivity, a striving desiring-machine in the Deleuzian sense, that is volatile and performative, avoiding rigid fixation at all costs[4].

What ensues throughout the play is an uncanny and perpetual tension between the requirements of the name-of-the-father—the post-transitional chain of signifiers that, following Lacan, constitute and validate the subject—and the schizophrenic’s “foreclosure of the Father”(Lacan, 156)—the renunciation of the Law which throws the subject back into a pre-linguistic and pre-transitional realm of plenitude and boundlessness. It is a tension between the familiar territorialism of the ‘I’—the “solo symphony” of the symbolically castrated self and his or her “castrated thought” (Psychosis, 242)—and the unfamiliar, simultaneously pleasurable and terrifying limitlessness of the deterritorialised desiring-machine: “Where do I start? / Where do I stop? How do I start? / (As I mean to go on) / How do I stop?” (226).

This tension is especially traceable in those fragments of the play that involve therapeutic encounters. Here, the voices’ desire for pre-symbolic plenitude is forcibly undermined by the dualistic imperative of the ‘major’ Western discourse and its normalising practices and institutions. The National Health Service is condemned as one such institution. Similar to Joe Penhall’s Blue/Orange, which was first produced at the Royal Court a mere two months earlier, 4.48 Psychosis “is an impassioned critique of the hospitalization and treatment of those with mental illness, in which the individual is questioned, diagnosed and treated with powerful combinations of antidepressant and anxiolytics” (Saunders, “Just a Word,” 105). The play’s protagonist, however, is reluctant to undergo psychiatric treatment: “Please. Don’t switch off my mind by attempting to straighten me out” (220). S/he fears that the “attempt to straighten [her/him] out” will rob her/him of her/his “truth” (205): the psychotic moment at 4.48 when “all thoughts unite in an instant of accord body no longer expellent as the cockroaches comprise a truth which no one ever utters / I had a night in which everything was revealed to me” (205). In a reversal of conventional psychiatric logic, the “truth which no one ever utters” is her/his conviction that the monolithic, unitary self is ultimately a fraud, “a fragmented puppet, a grotesque fool” (229). At 4.48, when psychosis breaks, her/his self gradually disintegrates. What is important, however, is that s/he perceives her/his ontological weakening as a moment of “sanity” (229) and “clarity” (242), during which s/he defies Cartesian inscription and refuses to be attuned to the socio-economic demands of what Herbert Marcuse (36) has called the performance principle: “to achieve goals and ambitions / to overcome obstacles and attain a high standard / to increase self-regard by the successful exercise of talent / to overcome opposition / to have control and influence over others […] to vindicate the ego” (Psychosis, 233-34). The play seems to suggest that change is possible precisely “in those moments where comfortable designations break down (woman/man, victim/victimizer, native/foreigner, self/other) and everything must be rethought” (Urban, 69): “at 4.48 / the happy hour / when clarity visits / warm darkness / which soaks my eyes” (42)[5].

At a first glance, Kane’s attribution of a metaphysical insight to schizophrenia—an insight that escapes “the chronic insanity of the sane” (Psychosis, 229)—is reminiscent of R. D. Laing’s distinction between “true” irrationality and “false” rationality (Divided Self and Politics of Experience). Some have consequently accused her of romanticising madness, of metonymically imposing “subgroups of human existence […] as a picture of the whole of society” (Nikcevic, 269). The play’s identity politics are much more ambiguous than that, however. The moments of psychotic “clarity,” in which the protagonist seems to take pleasure in her/his newfound limitlessness [“I know no sin / this is the sickness of becoming great / this vital need for which I would die” (242)], are always followed by a nostalgia, a frightful longing for the groundedness of an “essential self” (Psychosis, 229), for the Jaspersian “Halt im Begrenzten” (Jaspers, 269). In these moments the name-of-the-father is reinstated, the subject re-stabilised, and the schizophrenic transgression of ontological boundaries is renounced as a “vile delusion of happiness, / the foul magic of this engine of sorcery” (229). The protagonist thus yearns for both the deterritorialisation and the reterritorialisation of the One; s/he simultaneously repels and desires the comforts and restrictions of the discrete self. Throughout the play, s/he repeatedly falters under the terrifying implications of personal dissolution: “and now I am so afraid / I’m seeing things / I’m hearing things / I don’t know who I am / […] I beg you to save me from this madness that eats me / a sub-intentional death” (225-26). Her/his experience “as the Other” (Fink, 38) consequently leads to harshly conflicting emotions, to the co-occurrence of both excessive pleasure and excessive pain: “beautiful pain / that says I exist” (232). Instead of romanticising or reviling mental illness, depicting it as either a breakthrough or a breakdown, Kane thus provides an impartial and sympathetic account of the wide array of schizophrenic intensities. There is no dénouement of these conflicting responses at the end of the play: the reader/spectator is left uncertain as to the future effects of the protagonist’s disintegration—and is consequently forced to question his or her own subjectivity: “It is myself I have never met, whose face is pasted on the underside of my mind” (245).

Deleuze and Guattari’s conception of the subject as desiring-machine—indebted, as it is, to the Spinozist notion of conatus—might serve as a possible solution to the perpetual enmity between the ontologies of being and becoming. Since their subject is “produced as a residuum alongside the machine” (Anti-Oedipus, 20), alongside the machine’s interactions and assemblages—an assertion that is increasingly validated by accounts of the plasticity and dynamicity of the human brain—the dissolution of ontological boundaries does not effect the annihilation of the self, precisely because these clear subjective boundaries are a humanist construction to begin with. To posthumanists such as Deleuze and Guattari but also to a cognitive philosopher like Metzinger, the existence of a discrete, monolithic subject, an “essential self” (Psychosis, 229), is a myth. The striving, neural self is understood as the source of desire. Desire, in turn, is not an indication of lack but a source of action (Lublin, 118). The voice acknowledges this when s/he realises that, in order to embrace who s/he already is, namely a machinic, deterritorialised ‘subject,’ s/he must overcome the Cartesian mind/body, subject/object split: “I need to become who I already am and will bellow forever at this incongruity which has committed me to hell” (212).

Furthermore, the striving, machinic self refutes the alleged egotism of madness [“Some will call this self-indulgence” (208)] because, unlike the Cartesian subject who excludes difference to secure its own fixity, the machinic self cannot exist without a ‘you.’ Mark Seem contends that the dialogicity of the machine—it is inherently dia-logical insofar as the ‘I’ comes to exist only through the ‘you’—enables “a politics of desire directed against all that is egoic—and heroic—in man” (xix). In stark contrast to many medical handbooks that tend to portray the schizophrenic as an isolationist loner, Kane’s protagonist accordingly yearns for social inclusion—the very premise of the desiring-machine and the (neural) dialogical self. Throughout the play the central voice expresses a deep desire for a ‘you’: “RSVP ASAP” (214); “But now you’ve touched me somewhere so fucking deep I can’t believe […]” (215); “Sometimes I turn around and catch the smell of you and I cannot go on I cannot go on without expressing this terrible so fucking awful physical aching fucking longing I have for you” (214); “Validate me / Witness me / See me / Love Me” (243).

It is crucial to note, however, that this ‘you’ is never identified and designates different referents. In the psychoanalytic encounters with a doctor figure quoted above, the ‘you’ signifies, in Lacanian terms, the imaginary phallus: it is the “original lost object” and “the original object-cause” (Homer, 64) of the central voice’s desire. This early ‘you’ does not exist; it is a “seeming value” (Rose, 66) that exemplifies the protagonist’s phallic jouissance, her/his attempt, as it were, to ascribe to an Other all that s/he has seemingly lost. This ‘you’ thus sustains her/his “belief in the excessive jouissance of the Other” (Homer, 90). The voice eventually comes to acknowledge as much: “[…] most of all, fuck you God for making me love a person who does not exist” (215).

During her/his psychotic break, “at 4.48 / the happy hour / when clarity visits” (242), on the contrary, the ‘you’ is no longer an object of possession but, in an instance of Other jouissance, machinically entangled with the ‘I.’ In a schizoanalytic move towards an “enjoyment as the Other” (Fink, 38), the protagonist sheds the territorial distinctions between ‘you’ and ‘I,’ reaching what s/he describes as a “warm darkness / which soaks my eyes [I’s]” (242): “this is the sickness of becoming great / the vital need for which I would die / to be loved […] watch me vanish” (242-44)[6]. Conceptualising the human condition as a complex interplay of innumerable striving desiring-machines thus allows for a play with transgression “into the abyss of the Unspeakable,” resonating with an identity politics that transcends the Freudian daddy-mommy-me triangle, but never fully renounces the subject (De Vos, 136). Instead, the neural plasticity of the dialogical desiring-machine enables the subject to embrace its status as a subject-in-process.

4.48 Psychosis does not suggest that to find oneself in a process of schizophrenic disintegration is easy or (fully) desirable. If anything, the play concurs that the dissolution of the traditional subject is a terrifying experience, often entailing both intense pleasure and intense pain. But the play also points to the inherent deficiencies and the cultural constructedness of the Cartesian self, which, much to the playwright’s displeasure, is all too often portrayed as ideologically neutral. Change, the play seems to suggest, is neither accidental nor fortuitous, but a result of the continuing attempt of the mind to deal with its own limitations, to make hypotheses that might move it beyond those limitations.

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ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XVIII

 

 


[1] McKenzie defines a “lecture machine” as “any system that processes discourses and practices, any assemblage that binds together words and acts or, alternatively, that works to disintegrate their bonds and erode their forms and functions” (21).

[2] “Language surfaces” is a translation of Elfriede Jelinek’s concept of Sprachflächen.

[3] See, for example, the voice’s (momentary) refusal, midway through the play, to speak again: “After 4.48 I shall not speak again” (213). In his review of the play’s original production, David Chadderton remarks that the evening opened “with probably the longest (deliberate) pause I have ever witnessed on stage” (quoted in Singer, 159). Accordingly, the first line of the play text runs as follows: “(A very long silence)” (205).

[4] Christine Quay argues that Kane’s protagonist abandons all forms of what Karl Jaspers once called the self’s “Halt im Begrenzten” (Jaspers, 269).

[5] In this passage the homophony of “eyes” and “I’s” is essential.

[6] Here, the dying of the ‘I’ does not suggest suicide in the traditional meaning of the word. Rather, it evokes the death of the subject as a discrete territoriality, a process that is inevitable once the protagonist acknowledges her/his machinic composition.




De la chambre biographique à la chambre comme métaphore du psychisme dans l’œuvre de Kafka, ou la littérature comme mode auto-thérapeutique du syndrome d’Asperger

En mémoire de ma mère

Comment un discours intérieur peut-il se muer en espace intérieur ? Sans doute faut-il d’abord, pour exposer cette conversion, souligner les sens différents que prend le mot « intérieur » dans les deux occurrences de cette interrogation. Si le discours intérieur correspond à la mentalisation dans l’intériorité psychique d’une parole, d’une pensée, voire d’un rapport sensible à l’autre, l’espace intérieur sera celui de l’espace fermé conçu par l’imaginaire et projeté comme une réalité par l’entremise de la métaphore. La transposition dans l’espace concret – dont on finit par oublier la nature purement métaphorique – d’un discours intérieur fait de parole, d’émotions, apparaît centrale dans les conceptions sensibles qui forment la Weltanschauung de Franz Kafka.

« Ma cellule — ma forteresse [1]» écrit en effet Kafka dans le Journal à la date du 2 février 1920. Considérer un lieu clos comme sa forteresse, un espace physique comme une protection mentale, telle est l’issue de la prise de conscience par Kafka d’une ipséité singulière, celle d’être vraisemblablement atteint du syndrome d’Asperger – dont il ne pouvait pas davantage connaître le nom que le concept[2] – et de la transposition — ou métamorphose…— du discours intérieur de l’écrivain en un espace clos fictionnel : la chambre. Grâce à une œuvre qui le libère ainsi de « sa » réalité psychique en la projetant dans l’imaginaire, il a déjoué, par intermittence, la fatalité neuro-psychologique d’un Asperger, dont, pour l’instant, nous lui supposons simplement la pathologie.

Car Kafka était-il vraiment atteint de ce syndrome[3] ? Et un tel trouble a-t-il pu conditionner sa représentation esthétique romanesque ? Peut-on aller jusqu’à avancer que l’œuvre kafkaïenne a joué pour l’écrivain un rôle auto-thérapeutique — aux seules époques où il a trouvé autour de lui ou par elle suffisamment d’équilibre pour la produire — en constituant la ligature du symptôme ou du « sinthome » par lesquels Lacan pense que peut être renoué le nœud borroméen lorsqu’il menace de rompre et qu’il y a risque d’enfermement dans la psychose (Lacan, Séminaire XXIII, 77) ?

Nous devons avancer des réponses à ces interrogations avec une extrême prudence. Tout d’abord, un diagnostic posthume ne peut être qu’hasardeux ; un diagnostic, a fortiori s’il est d’ordre psychologique et neurologique, n’a son fondement épistémologique que dans le discernement des altérations de l’homéostasie et des équilibres psychiques d’un patient vivant. Cependant, dans L’Erreur de Descartes, Antonio R. Damasio a introduit une brèche dans ce principe en analysant avec brio, plus d’un siècle après la disparition de John Gage, le rapport entre la lésion cérébrale de cet homme, survenue après un accident de chantier, et la modification significative de son comportement (Damasio, 21-82).

Certes, dans le cas de Kafka, nous ne possédons aucune archive d’ordre neuroanatomique ; en revanche, nous disposons d’un matériau d’une extrême richesse concernant la vie intime, relationnelle de Franz Kafka, et sa transformation dans une œuvre imaginaire. À l’orée de leur diagnostic, peu de thérapeutes possèdent un surplomb diachronique et synchronique aussi vaste et aussi précis tant de la vie psychique que du comportement que celui que nous possédons de Kafka vu par lui-même et par ses proches. Telle base d’analyse nous permet d’émettre l’hypothèse d’un syndrome d’Asperger chez Kafka non pas par les voies neurologiques mais par le biais de matériaux cognitifs et, comme dans certaines approches très contemporaines, par le nombre important d’analogies avec la réalité de l’Asperger « de l’intérieur »  (Noël-Winderling, 73).

Au seuil de notre analyse existe aussi le risque que nous soyons leurrés par la surinterprétation propre à certains neuroscientifiques qui, forts de leur appui sur une science « exacte » et sur l’imagerie médicale qui met en évidence l’effectivité d’une activité neuronale donnée en la reliant à une action ou un phénomène cognitif, tendent à classer définitivement tel écrivain dans tel syndrome ou tel trouble psychiatrique comme le syndrome d’Asperger. Plus qu’aucun autre, le discours médical, a fortiori le discours psychiatrique, dont une part des symptômes est de l’ordre de l’immatériel, nous investit d’un effet pygmalion qui nous rend prompts à cataloguer l’objet de notre regard dans la pathologie dont nous venons de prendre connaissance. Être conscient de ces leurres de la surinterprétation ou d’une exactitude qui manque de multiples dimensions du réel peut nous être en contrepartie précieux : nous voilà invités à avancer à pas prudents, et à intégrer à notre analyse avant tout la singularité de chaque individu liée à son histoire génétique et culturelle, et d’autres dimensions, voire d’autres hypothèses, que celles que les neurosciences, parfois exagérément mécanistes, imposent comme seules possibles. En effet, nous nous trouvons à un carrefour épistémologique historique où certains neuroscientifiques lancent un discours dominateur[4] dont la prééminence n’est pas sans rappeler celle du positivisme et du scientisme qui s’imposaient à la fin du XIXème siècle, balayant la figure du « praticien philosophe[5] » chère à Flaubert, grâce à la si visible efficacité de l’imagerie radiographique dont l’imagerie cérébrale est le pendant contemporain. Tout discours scientifique qui écrase sur un seul plan l’humain, et a fortiori cette dimension si rhizomatique et évolutive[6] de l’humain qu’est la vie cérébrale, siège de la pensée et des interactions neurobiologiques entre le corps et le monde, ne peut que conduire à des impasses. Le cerveau possède en outre une capacité à se reconditionner : « on définit la plasticité par la capacité du système à se reconfigurer au fur et à mesure des stimulations qui changent la connectivité entre les neurones […] »  (Noël-Winderling, 44). Une telle complexité cérébrale doit renforcer notre prudence.

De ces prémisses épistémologiques découle la démarche épistémo-critique que nous nous assignons. Ayons tout d’abord la prudence de ne pas dissocier, autant qu’il est en notre mesure, les niveaux de discours aujourd’hui disponibles pour aborder une question qui engage la transversalité entre la littérature, donc l’esthétique, et les diverses approches métapsychologiques comme la psychanalyse, psychologiques, ou assumées comme exactes telles que la neurologie. Il s’agit de s’approcher du rhizome de l’esprit, tout au moins aussi près que nous le permettent les écrits que Kafka nous a laissés.

La deuxième précaution consiste à tendre au plus haut niveau de pertinence d’un état de la connaissance qui, en matière psychiatrique plus qu’aucune autre, peut connaître des évolutions étonnantes. La symptomatologie et la nosographie, mais aussi les critères limites de la pathologie, ont été si évolutifs que le syndrome d’Asperger, qui va nous occuper, a été (et c’est un cas quasi unique) rétrogradé entre le DSM-IV de 2000 et le DSM V[7] publié en 2013, de la pathologie au simple trouble psychiatrique.

Enfin tenons compte des variations du degré de trouble autistique ; la classe des autistes de haut niveau que sont les Asperger souffre des nuances dans les formes symptomatologiques et dans les capacités de résilience liées à l’environnement dans lequel l’enfant a grandi, a pu, ou n’a pas pu, trouver des modes compensatoires à ses difficultés. De ce fait, la symptomatologie peut être trompeuse dans la mesure où elle pousse à se focaliser sur des traits le plus souvent comportementaux. Or chaque personne atteinte du syndrome d’Asperger apporte la singularité d’une histoire et d’une personnalité dans son vécu du syndrome. Ainsi des spécialistes comme Myriam Noël-Winderling considèrent aujourd’hui que certains patients peuvent ne pas manifester l’ensemble des symptômes du trouble autistique d’Asperger tout en souffrant de cette altération. Le syndrome se manifeste en quelque sorte avec une géométrie variable : « Nombre d’Asperger estiment ne pas souffrir de troubles décrits par la littérature, ou évoquent d’autres signes généralement omis. » (Noël-Winderling, 51).

Par ailleurs, des manques à être, des symptômes négatifs qui s’évaluent dans les approches comportementalistes de l’Asperger sont remis en cause quand on envisage les phénomènes à l’échelle intérieure de « l’éprouvé ». Ainsi, traditionnellement, le syndrome d’Asperger était caractérisé par l’absence d’empathie. Une telle absence s’avère aujourd’hui remise en cause car cette empathie est manifestement ressentie par les personnes atteintes de ce trouble, mais reste « sous forme de couleurs, d’impressions, d’émotions brutes » envahissantes : « Il peut lui arriver d’être tellement envahi par les émotions d’autrui qu’il perçoit, qu’il s’y fond littéralement et peut y perdre la notion de soi-même, par un vertige qui lui fera ensuite rechercher le repos dans l’atonie émotionnelle. » (Noël-Windeling, 53). Existe donc une nuance majeure entre ressentir et manifester de l’empathie. Cette nouvelle approche modifie considérablement le regard porté sur l’autisme ; elle tend à déplacer l’interrogation vers l’intériorité marquée par une hyperacuité émotionnelle, souvent masquée par la diversité symptomatologique à l’échelle comportementale. Or la prise en compte de cette dernière a longtemps été prépondérante, et cette vision pouvait faire hésiter quant au cas de Kafka.

Sur cette base, considérons les traits qui, chez Kafka, pourraient relever du syndrome d’Asperger ou, au contraire, qui semblent l’écarter d’une telle hypothèse diagnostique[8].

Tout d’abord, si Kafka ne fit jamais l’objet d’un internement ou d’un examen psychiatrique, il présenta des troubles que l’on pourrait qualifier de borderlines si l’on en juge par le diagnostic empirique de ceux qui connaissent le mieux le jeune et le moins jeune Kafka — ses parents —, avis que nous pondérerons par ce qui peut intervenir des enjeux œdipiens parentaux dans le regard porté sur Kafka. En témoigne la page du 23 décembre 1911 du Journal :

Si ceux qui considèrent l’ensemble de ma façon de vivre, laquelle s’engage dans une direction fausse dont mes parents et amis ne peuvent se faire la moindre idée, en viennent à craindre, et si mon père dit ouvertement qu’il craint que je ne devienne un second oncle Rudolf, c’est-à-dire le fou de la seconde génération de la famille, un fou légèrement retouché pour les besoins d’une autre époque, je vais pouvoir désormais sentir se rassembler et se fortifier en ma mère, dont l’opposition contre une telle opinion n’a cessé de diminuer au cours des années, tout ce qui parle pour moi et contre l’oncle Rudolf et s’introduit comme un coin entre les deux images qu’elle se fait de nous. (Journal, III, 189)

Comme en témoigne toute la Correspondance, ainsi que les Journaux, Kafka lui-même avait le sentiment d’une différence, et même d’un état à la lisière de la maladie qui confine à ce « fou légèrement retouché » : « Voilà déjà assez longtemps que je me plains d’être toujours malade, mais sans jamais avoir de maladie déterminée qui me contraigne à me mettre au lit » (Journal, III, 122). On pourrait certes nous objecter que nous importons dans le domaine psychologique un concept de maladie qui pourrait relever de la physiologie, mais c’est sans compter ce qui suit cette plainte dans le Journal à la date du 24 octobre 1911, et le « désir [d’entendre la voix de sa mère qui] tient sûrement en grande partie à ce que [Kafka sait] combien la présence de [sa] mère peut être consolante ». En 1911, Kafka a 28 ans, donc n’est plus l’enfant Marcel qui, dans Du côté de chez Swan de Proust, redoute l’absence prévisible de sa mère au moment de l’endormissement. En revanche, cette figure et présence maternelle reste une égide affective vitale pour un Asperger[9], dans son désir de protection contre l’inattendu, l’ingérable, peut-être la résurgence de ce que l’école psychanalytique a nommé la « Grande Chute » (Tustin, 121 et suivantes). Le témoignage sincère de Kafka tend à valider cette hypothèse et on ne peut en tout cas le soupçonner d’avoir écrit au cœur du débat actuel entre tenants de l’explication psychanalytique ou de l’explication neurologique du syndrome d’Asperger.

Si le regard des parents ou de Kafka sur lui-même ne permet pas de trancher en faveur d’un diagnostic d’Asperger, celui-ci nous permet de revenir sur l’isolement qui marque sa vie relationnelle et qui est propre aux Asperger. Certes Kafka connut une vie amicale qui semble en contradiction avec le goût de l’isolement d’un Asperger. Cependant, force est de constater que ces amitiés étaient toutes fondées sur la passion pour la littérature, tant avec Max Brod dont Kafka commente à maintes reprises les œuvres dans son Journal, qu’avec Klopstock lorsqu’il décrit sa rencontre[10] au sanatorium, ou avec le philosophe Hugo Bergmann. Nous pouvons dès lors nous demander si la littérature ne constitue pas, davantage qu’un champ d’intérêt qui serait commun entre ces amis, une passerelle vitale qui relie dans l’amitié Kafka au monde des hommes et lui évite l’isolement. Car Utiz, son camarade d’enfance, décrit un Kafka dont l’isolement traduit l’absence d’empathie extérieurement caractéristique des Asperger : « Nous l’aimions tous bien et nous l’appréciions, mais jamais nous n’avons pu devenir avec lui tout à fait intimes, il était toujours comme entouré d’une paroi de verre. Avec son sourire paisible et aimable, il permettait au monde de venir à lui, mais lui se fermait au monde. » (David, 45) Face à tel isolement, l’écriture a pu être le viatique condensant par contrecoup toutes les formes de désir, comme Kafka le montre dans le journal à la date du 3  janvier 1912 :

On peut parfaitement discerner en moi une concentration au profit de la littérature. Quand il fut devenu évident dans mon organisme que l’orientation de ma nature vers la création littéraire était la plus productive, tout se pressa dans ce sens et laissa inoccupés ceux de mes talents qui se tournaient vers les joies du sexe, du boire, du manger, de la réflexion philosophique et, en tout premier lieu, de la musique. […] Je n’ai naturellement pas découvert ce but de façon indépendante et consciente, il s’est trouvé de lui-même, et seul le bureau y fait encore obstacle, mais radicalement.  […] il ne me reste qu’à chasser mon travail au bureau de cette vie commune pour commencer ma vraie vie, dans laquelle mon visage pourra enfin vieillir naturellement avec les progrès de mon œuvre. (Journal, III, 213)

A contrario de ce surinvestissement de la libido dans l’écriture, Kafka aura à plusieurs reprises la tentation du suicide durant les périodes stériles : il écrit à Félice Bauer le 1er novembre 1912 : « […] mais lorsque je n’écrivais pas, j’étais par terre tout juste bon à être balayé » (Lettres à Felice, IV, 27). Seule l’écriture le sauve de ce « vide effroyable » qu’il décrit dans la même lettre, et sans doute de la honte, inhérente aux Asperger, de celui qui pourrait être « balayé » comme une salissure. Cependant elle ne pourra constituer ni le palliatif du désir ni le viatique amical quand il s’agira pour Kafka de se livrer à la nudité sensible du rapport sexuel et sentimental.

Car les relations amoureuses de Kafka – que d’aucuns pourraient objecter à l’isolement de l’Asperger – ne sont pas caractérisées par la même continuité que sa vie amicale. La relation avec Felice Bauer ne se développa par exemple qu’à travers une longue correspondance de plus de 500 lettres conservées qui tend à nous leurrer sur l’effectivité de la relation. Comme le note Claude David, « la bien-aimée lointaine est presque imaginaire, elle est une ombre à l’horizon » (David, 141). Car hors de cette communication épistolaire différée, où la dimension non verbale de la communication, problématique pour un Asperger, a peu de place, les rencontres et les tentatives de vie commune avec Felice ne dépassent guère quelques semaines. Là encore, l’écrit, voire la littérature[11], compense la difficulté relationnelle de Kafka, comme d’une partie non négligeable des Asperger qui fuient la communication directe. Dès qu’il se retrouve sans cette ressource, en présence physique de l’autre féminin, Kafka entre dans la peur, voire l’angoisse, caractéristique du rapport aux autres des Asperger :

6 juillet [1916] Nuit de détresse. Impossibilité de vivre avec F. Impossibilité de supporter la vie en commun avec qui que ce soit. Ne pas le regretter ; regretter l’impossibilité de ne pas être seul. Un pas de plus : absurdité du regret, se soumettre et comprendre enfin. Se relever. Tiens-toi à ton livre. (Journal, III, 417)

Le constat de l’impossibilité de la relation rend Kafka à la compensation du « livre » ; celui-ci redevient l’objet d’un recentrage, mais aussi potentiellement une béquille.

Ainsi la biographie de Franz Kafka, considérée avec un certain recul, laisse-t-elle apparaître des périodes où l’écrivain a des velléités amoureuses, associées à des tentatives de départ du domicile familial ; après chaque échec suit le retour sur l’écriture, jusqu’au jour où, emporté par les difficultés de son trouble et ne trouvant plus dans l’écriture (où ne trouvant plus la force psychique de s’y livrer) la force compensatrice qu’il lui avait conférée, il l’abandonne comme un navire à la dérive et — c’est notre hypothèse — confie à Max Brod le soin testamentaire de détruire une œuvre qui, d’une certaine manière, n’était à son premier titre compréhensible que par le rôle d’auto-thérapie et de viatique relationnel qu’elle avait jouée pour son auteur. En outre, comme nous allons le montrer, l’œuvre était vouée à rester pour partie étanche à la compréhension du lecteur. En effet, Kafka s’y livre à un jeu purement intérieur grâce à un codage très personnel de la difficulté psychique de l’Asperger de manière à en projeter la représentation dans la réalité d’un espace spatial intérieur. Le talent de l’écrivain est de nous faire oublier que l’espace physique n’est sans doute qu’une métaphore du discours intérieur et de ce que Didier Anzieu a appelé, en utilisant une autre métaphore in praesentia pour désigner les limites de l’être, le Moi-peau (1985).

Avant de pénétrer dans cette œuvre en suivant les contours d’une possible sensibilité d’Asperger, il convient de préciser à quelle échelle d’appréhension nous l’abordons. Alors que tant de critiques de Kafka privilégient l’approche herméneutique, multipliant les lectures les plus diverses d’une œuvre destinée à rester pleinement ouverte et à accueillir une infinité d’interprétations, « […] afin que le lecteur puisse poursuivre éternellement sa lecture du texte aux niveaux multiples » (Manguel, 143), nous choisirons de nous placer au point d’émergence de l’écriture, au point où l’expérience d’un syndrome, qui s’ignore en tant que tel et qui n’a même pas été encore découvert par les scientifiques, mais dont les manifestations entrainent des gênes, trouve une expression modifiée de manière plastique au sein de l’esthétique kafkaïenne. Il nous appartient, en tout cas dans cette étude, de ne pas chercher ce que l’œuvre veut dire, mais d’assister, autant qu’il nous est possible, à la naissance de ce dire dans la singularité sensible de l’esprit de Kafka.

Adoptons un cheminement basé sur la nosographie pour observer cette genèse. Un trait majeur de l’Asperger, repéré dès 1943 par Kanner, est la tendance au repli sur soi, à l’isolement, à l’aloneness (Kanner, 242). Du point de vue biographique comme romanesque, l’espace cloisonné de la chambre matérialise cet isolement. Ainsi en va-t-il de l’espace biographique fondateur de l’appartement de la Niklasstraße sur lequel Kafka porte un regard amusé qui augure du plaisir avec lequel il s’amusera des chambres dans ses romans.

Kafka décrit la chambre qu’il occupait dans l’appartement familial à Prague[12] : en position centrale, elle était située de telle sorte que les parents, ou les sœurs, devaient sans cesse la traverser pour aller des pièces de vie commune à leurs propres chambres : « Les sœurs de Kafka dormaient toutes dans la même chambre. À 24 ans, pour la première fois de sa vie, Kafka put disposer de sa propre chambre — même s’il s’agissait plutôt d’un passage menant de la chambre de ses parents au salon et à la salle de bain collective. » (Begley, 28). Lieu normalement intime, la chambre devient pour Kafka en fait lieu carrefour, lieu de passages incessants et intempestifs. Plus encore, on peut supposer que les membres de la famille, dans les multiples allers et retours conjecturables dans la chambre de Kafka ne prenaient pas la peine de frapper à la porte à chaque fois. Ce lieu supposément intime devenait donc, à toute heure du jour, un lieu marqué par des irruptions surprenantes, comme le rapporte le Journal à la date du 5 novembre 1911 (1954, 121-122) [13] :

Et je veux écrire, avec un tremblement perpétuel sur le front. Je suis assis dans ma chambre, c’est-à-dire au quartier général du bruit de tout l’appartement. J’entends claquer toutes les portes, grâce à quoi seuls les pas des gens qui courent entre deux portes me sont épargnés, j’entends même le bruit du fourneau dont on ferme la porte dans la cuisine. Mon père enfonce les portes de ma chambre et passe, vêtu d’une robe de chambre qui traîne sur ses talons, on gratte les cendres du poêle dans la chambre d’à-côté, Valli demande à tout hasard, criant à travers l’antichambre comme dans une rue de Paris, si le chapeau de mon père a été bien brossé, un chut ! qui veut se faire mon allié soulève les cris d’une voix en train de répondre. La porte de l’appartement est déclenchée et fait un bruit qui semble sortir d’une gorge enrhumée, puis elle s’ouvre un peu plus en produisant une note brève comme celle d’une voix de femme et se ferme sur une secousse sourde et virile qui est du plus brutal effet pour l’oreille. Mon père est parti, maintenant commence un bruit plus fin, plus dispersé, plus désespérant encore et dirigé par la voix des deux canaris. Je me suis demandé, mais cela me revient en entendant les canaris, si je ne devais pas entrebâiller la porte, ramper comme un serpent dans la chambre d’à côté et, une fois là, supplier mes sœurs et leur bonne de se tenir tranquilles.

On pourrait penser qu’il s’agit d’une simple scène cocasse de la vie familiale, que Kafka dramatise avec humour. Or l’hypothèse Asperger nous permet de ressaisir pleinement le potentiel de souffrance que recèle ce passage. Pour une personne souffrant d’Asperger, rien n’est plus déstabilisant que les événements imprévus qui surviennent dans un quotidien familier et ritualisé, surtout au cœur du lieu sécurisant entre tous qu’est la chambre. Rien n’est aussi perturbant que le bruit. Le surgissement de l’imprévu peut générer de véritables crises de panique et de figement de la personne dans l’incapacité à agir, sans doute par retour dans la « capsule autistique » :

La défense contre la terreur issue de la Grande Chute sera le retrait dans la capsule autistique, sorte de module confondu avec le proto-self, dénué de tout contact avec l’extérieur et dans lequel règnent l’homéostasie et l’immuabilité. L’autisme capsulaire est un état a-verbal, a-mnésique, a-mental, a-temporel. (Noël-Winderling, 83)

Même si, avec l’humour qui le caractérise, Kafka parvient à créer – mais a posteriori seulement – une distance verbale, mnésique et temporelle par sa narrativité, la chambre kafkaïenne réalise au degré le plus intense l’ambivalence déjà explorée par Freud du mot Heimlich en allemand : familier/caché (Freud, 215 et suivantes). Supposée cocon protecteur où, justement (et c’est caractéristique dans l’extrait du Journal cité plus haut) l’écrivain parvient à se raccrocher à lui-même et aux autres par le biais de l’écriture, elle devient pour l’Asperger Kafka, soumis au régime des entrées impromptues, le lieu de la terreur, d’un « tremblement sur le front » qui en est caractéristique. Le familier se mue en inquiétant : il serait intéressant d’y lire par ailleurs les racines du fantastique kafkaïen. Certes, les autistes de haut niveau peuvent sortir de cette capsule autistique, faute de quoi ils n’auraient aucune socialisation. Mais force est de constater que les replis qu’ils opèrent à l’occasion d’événements qui les déstabilisent (voir plus haut) les terrifient.

Les neuroscientifiques offrent un deuxième niveau de lecture de cet isolement dans la chambre-esprit. La théorie qui semble prédominer aujourd’hui est celle du « monde intense » proposée par Kamilla et Henry Markram, chercheurs au Brain Mind Institute de l’école polytechnique de Lausanne. Ce modèle n’expose pas au départ des « déficits particuliers mais postule un type possible de fonctionnement de la matière cérébrale ». (Noël-Winderling, 83) :

Selon cette théorie, l’autiste aurait une perception des stimuli externes trop intense et fragmentaire en raison d’un traitement des informations trop performant dans les zones sensorielles spécifiques. Couplé à ce phénomène, un hyperfonctionnement de l’amygdale expliquerait une réactivité émotionnelle amplifiée. Face à ce déferlement de stimuli et de sensations, l’autiste n’aurait d’autre ressource que de se replier dans un « cocon » interne où les sensations seraient réduites a minima, fuyant les stimuli de l’environnement, et particulièrement des humains. (Noël-Widerling, 43).

            Une telle approche fait écho à la dualité de Kafka, à la fois hypersensible et porté au repli sur soi dans la chambre-forteresse et l’écriture, et permet d’envisager la chambre-forteresse comme le lieu de la rétractation d’où, dans les deux romans que nous envisagerons, tout et tous tendent soit à déloger (Le Procès) soit à repousser (La Métamorphose) le héros. À cette échelle métaphorique de la fiction, elle devient le lieu du repli sécurisant de Grégoire, repoussé dans sa chambre par sa sœur, qui referme la porte derrière lui : « D’ailleurs il éprouva une sensation de bien-être relatif. » (Métamorphose, II, 239).

Alors même que Kafka fait l’expérience susdite si traumatisante pour un Asperger de la chambre de la Niklasstraße, il va transformer et adopter ce lieu comme espace majeur de ses doubles romanesques que sont Grégoire Samsa et Joseph K.. Ce passage du biographique au romanesque est rendu bien sensible par la transformation de l’extrait du Journal consacré à cette chambre bruyante en un texte autonome, supposément fictionnel, intitulé Vacarme, au point que certains éditeurs modernes de Kafka retirent ce fragment du Journal, où il se trouvait originellement, pour le placer dans l’œuvre romanesque, puisqu’il fut initialement publié par Kafka[14]. En passant du biographique au fictionnel, le statut de ce texte se modifie, ce qui augure, au propre comme au figuré, la « métamorphose » de la chambre. Notons que la publication du texte Vacarme, en octobre 1912, coïncide avec le début de la rédaction de La Métamorphose, où la chambre joue un rôle central ainsi qu’avec celle du Procès où son rôle est augural. Ainsi, par un subtil glissement, la réalité spatiale biographique se mue en espace de signification imaginaire dans l’univers romanesque. À ce titre, Kafka manifeste un humour ironique et jubilatoire quand il inverse dans La Métamorphose son expérience de la chambre de la Niklasstraße : « “Quelle vie tranquille a menée la famille !” pensa Grégoire en regardant fixement dans le noir, et il se sentit très fier, car c’était à lui que ses parents et sa sœur devaient une existence si calme dans un si bel appartement. » (Métamorphose, II, 209). Les rapports du personnage, et plus particulièrement de Grégoire dans La Métamorphose, ne sont dès lors plus la transposition de ceux qui existent dans l’espace biographique, mais bien leur négatif. Au lieu des irruptions incessantes de la famille, comme dans la chambre de la Niklasstraße, le récit fictionnel offre bien plutôt les multiples tentatives avortées de Grégoire de rejoindre les personnes à l’extérieur.

Dans La Métamorphose, le mouvement opposé de retour brutal de Grégoire dans la chambre, repli où s’inverse la terreur biographique, intervient au moment œdipien de rupture avec la mère où celle-ci perd connaissance parce qu’elle a découvert Grégoire collé à une image de femme en fourrure. On notera la possible pudeur de Kafka dans l’évocation à travers un rapport à l’image féminine, de l’acte sexuel et, plus sûrement, le repli du désir sexuel dans un imaginaire onaniste. Cette scission si symbolique avec le personnage de la mère, qui semblait lier Grégoire à l’extérieur de la chambre, comme elle liait Kafka au monde, scelle, dans la panique, le début du repli définitif de Grégoire dans la chambre. Plus encore que chez Proust, où la terreur nocturne de l’absence de la mère est fondatrice, cette perte de la mère ou de la présence maternelle chez Grégoire/Kafka signe l’échec définitif des relations avec l’extérieur, les autres, et donc l’obsession de l’échec et de la mort. Comment ne pas retrouver dans ce cheminement de repli le rôle vital de la mère pour un Asperger plus encore que pour un individu neurotypique : « La mère demeure, à proportion égale, celle dont la présence est la condition indispensable à la continuation de la vie, et l’instrument de la séparation quand survient l’inéluctable séparation : mère sauveuse, mère tueuse. »  (Noël-Winderling 77). Kafka entretint avec sa mère, en tout cas avec la partie de la branche familiale maternelle un rapport d’identification, voyant en elle la part intellectuelle et spirituelle[15], à l’inverse du matérialisme mercantile qu’il rejetait dans la branche paternelle. Le détachement de la mère de Kafka dans l’extrait vu précédemment du Journal du 23 décembre 1911 semble suivre la même progression que celui de la mère de Grégoire, jusqu’à la rupture mortelle.

Dans cette cohérence métaphorique, le rapport à l’espace et les mouvements du personnage romanesque dans Le Procès et La Métamorphose peuvent se lire comme une spatialisation des troubles spécifiques de l’Asperger dont a pu souffrir Kafka. Si l’on considère l’incipit du Procès, c’est l’irruption de l’autre dans l’espace intime de la chambre de Joseph K. qui va générer l’entrée dans ce que nous pourrions appeler l’ère de la culpabilité. En effet, le réveil de Joseph K. est marqué par l’irruption de l’inattendu dans ce qui pourrait nous paraître anodin, mais qui est souvent très ritualisé chez chacun, le petit déjeuner : « La cuisinière de sa logeuse, Mme Grubach, qui lui apportait tous les jours son déjeuner à huit heures, ne se présenta pas ce matin-là. Ce n’était jamais arrivé » (Procès, I 259). La réaction révèle l’incompréhension de Joseph K., son inquiétude, son immédiate hyper-vigilance, toutes manifestations qui excèdent la réaction normale d’un individu face à l’anodin et tendent à décrire celle d’un Asperger devant le surgissement de l’inattendu. Aussitôt, le regard de Joseph K. est marqué par l’hyper-attention[16], par exemple dans la description en focalisation interne de l’homme entrant :

À ce moment on frappa à la porte et un homme entra qu’il n’avait encore jamais vu dans la maison. Ce personnage était svelte, mais solidement bâti, il portait un habit noir et collant, pourvu d’une ceinture et de toutes sortes de plis, de poches, de boucles et de boutons qui donnaient à ce vêtement une apparence particulièrement pratique sans qu’on pût cependant bien comprendre à quoi tout cela pouvait servir. (Procès, I, 260)

On notera que la description se limite au vêtement : aucun trait concernant l’attitude ni surtout le visage qui pourraient traduire du langage non-verbal et, de ce fait, déclencher ou en tout cas manifester l’empathie de Joseph K.. Le regard traduit à la fois une grande acuité aux détails et une incapacité à former une interprétation d’ensemble, synthétique. Le personnage de Grégoire se replie immédiatement dans une distance au monde qui rappelle le manque d’empathie apparente dont sont si souvent taxés les Asperger. Au contraire, ce regard s’avère froid, fuyant toute émotion, toute interprétation de l’expression de l’intrus au profit d’une approche cérébrale et analytique inhérente aux Asperger : Joseph K. « essai[e]d’abord muettement de découvrir par déduction qui pouvait être ce monsieur. » (Procès, I, 259). Voyons en Grégoire un double sensible de son créateur. Car on pourrait observer chez Kafka lui-même le même détachement émotionnel et la même acuité focale ; ainsi dans le Journal à la date du 4 janvier 1912 : « Depuis deux jours, je constate en moi, quand je le veux, de la froideur et de l’indifférence. Hier soir, en me promenant, le moindre bruit de la rue, le moindre regard jeté sur moi, la moindre photographie dans une vitrine m’importaient plus que moi-même. » (Journal, III, 215)

De ce fait, le tout premier échange verbal — qui n’a que l’apparence du dialogue — du Procès débouche sur l’incompréhension mutuelle des intentions et des implicites ; on constate l’absence de perception des visages qui pourraient, de part et d’autre, signifier la dimension non-verbale et orienter la compréhension :

« — Il veut qu’Anna lui apporte le déjeuner ! »
Un petit rire suivit dans la pièce voisine ; à en juger d’après le bruit, il pouvait se faire qu’il y eût là plusieurs personnes. Bien que l’étranger n’eût pu apprendre de ce rire rien qu’il ne sût auparavant, il déclara « C’est impossible » à K sur un ton de commandement.
« Voilà qui est fort, répondit K. en sautant à bas de son lit pour enfiler son pantalon. Je voudrais bien voir qui sont ces gens de la pièce à côté, et comment Mme Grubach m’expliquera qu’elle puisse tolérer qu’on puisse venir me déranger de la sorte. »
L’idée lui vint bien aussitôt qu’il n’eût pas dû parler à aussi haute voix, car il avait l’air, en le faisant, de reconnaître en quelque sorte un droit de regard à l’étranger. (Procès, I, 261)

Absence de langage non verbal que pourraient livrer le corps et les visages – oblitérés par l’absence de regard ou la dissimulation dans la pièce voisine – mais présence de la parole : on peut penser au titre de cette comédie, que Kafka avait écrite et qui n’a pas été conservée, intitulée Des Photographies qui parlent (David, 61) où l’immobilité photographique implique un figement de l’expression non-verbale pendant que le flux de la parole se poursuit. S’il tirait un motif comique de ces voix liées à des visages photographiés immuables, Kafka va se servir du procédé dans Le Procès pour créer de la confusion dans l’interprétation des événements par Joseph K.. Le malentendu qui va se perpétuer dans tout le roman se noue sur cette communication tronquée de la part non-verbale qui pourrait orienter le sens des propos, restaurer les implicites et, de ce fait, ôter la part d’incertitude angoissante inhérente au monde kafkaïen. Aussitôt Joseph K. regrette le ton inadapté qu’il a adopté dans le rapport à l’autre, ton qui porte la reconnaissance tacite d’une forme de culpabilité. Et il convient de remarquer que la mention de la culpabilité a précédé l’entrée même de l’homme dans la chambre, et suit immédiatement le surgissement de l’inattendu, de l’absence de petit déjeuner : « On avait sûrement calomnié Joseph K., car, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin. » (Procès, I, 260). On peut donc penser que cette culpabilité est un sentiment préalable, qu’elle n’est pas effet, mais qu’elle est cause de l’interprétation du monde par Joseph K. qui lui fera suite dans tout le roman. C’est parce qu’il est hanté par la culpabilité propre aux Asperger que le personnage va interpréter toute parole et tout acte, en l’absence de compréhension du langage non verbal, comme des indices entrant dans un réseau d’accusation. En d’autres termes, Joseph K. n’est véritablement arrêté que par lui-même, victime définitive, comme beaucoup d’Asperger, de la culpabilité dont il a été fait mention précédemment.

L’incipit de La Métamorphose rappelle celui du Procès avec un réveil brutal de Grégoire dans sa chambre. Cependant le regard du personnage est cette fois-ci tourné vers lui-même et, à la manière de l’hyper-focus utilisé par certains auteurs de littérature fantastique comme Edgar Poe dans Le Sphinx, Grégoire observe son corps avec une telle hyper-attention aux détails coupés de leur totalité et donc de leur sens, une déprise sensible telle qu’elle finit par générer une vision monstrueuse de soi :

Un matin, au sortir d’un rêve agité, Grégoire Samsa s’éveilla transformé dans son lit en une véritable vermine. Il était couché sur le dos, un dos dur comme une cuirasse, et, en levant un peu la tête, il s’aperçut qu’il avait un ventre brun en forme de voûte divisée par des nervures arquées. La couverture, à peine retenue par le sommet de cet édifice, était près de tomber complètement, et les pattes de Grégoire, pitoyablement minces pour son gros corps, papillotaient devant ses yeux.
« Que m’est-il arrivé ? » pensa-t-il. Ce n’était pourtant pas un rêve : sa chambre, une vraie chambre d’homme, quoique un peu petite à vrai dire, se tenait bien sage entre ses quatre murs habituels. (Métamorphose, II, 192)

Il en est de même du mouvement du corps de Grégoire au réveil qui, décomposé à l’extrême par l’esprit, finit par acquérir une dimension étrange. Kafka s’y ingénie à une autodérision pleine d’humour envers un réveil paresseux ou ankylosé mais aussi envers son propre trouble :

Pour en sortir, il essaya d’abord de commencer par l’arrière-train ; malheureusement cet arrière-train, qu’il n’avait pas encore vu et dont il ne se faisait pas une idée précise, se révéla à l’expérience très difficile à mouvoir ; la lenteur du procédé l’exaspéra ; il réunit toutes ses forces pour se jeter en avant, mais, ayant mal calculé sa trajectoire, il se heurta violemment contre l’un des montants du lit, et la cuisante douleur qu’il en ressentit lui apprit que la partie inférieure de son corps était sans doute la plus sensible.
Il voulut donc, changeant de tactique, commencer par le haut du corps et tourna prudemment la tête vers le haut du lit. Il y réussit sans peine, et le reste de sa masse, malgré son poids et son volume, finit par suivre et s’orienter du même côté. Mais quand la tête fut sortie et qu’elle pendit dans le vide, Grégoire eut peur de continuer ; s’il tombait dans cette position, il se briserait le crâne à moins d’un miracle, et ce n’était pas le moment de perdre ses moyens ; mieux valait qu’il restât au lit. (Métamorphose, II, p. 196)

Ainsi La Métamorphose, dont les esquisses sont contemporaines de celles du Procès, va explorer une variante de la culpabilité — qui vient du rapport à l’autre — de l’Asperger, en l’espèce de la honte — liée quant à elle au rapport à soi. D’un côté, Le Procès lance le personnage dans une procédure sans fin, dont il ignore les tenants et les aboutissants, comme un Asperger voué à la fois à l’hyper-attention aux détails et à l’absence de compréhension des implicites des actes et paroles d’autrui avec lesquels, par retrait en lui-même, il ne parvient pas à entrer en empathie. La Métamorphose expose en revanche sous forme de métaphore filée, jouant sur l’indécision fantastique, le sentiment de honte et le rejet dont est victime une personne souffrant d’Asperger. Là encore, une approche « de l’intérieur », comme celle qu’a effectuée Myriam Noël-Winderling, s’avère particulièrement précieuse pour comprendre Kafka car, loin de nous enfermer dans ce qui pourrait être l’extérieur de la capsule — ou de la chambre — elle nous permet d’entendre le ressenti d’un Asperger :

Il faut se référer à ce tout premier stade du développement psychique autistique pour comprendre l’intensité de la honte communément éprouvée par les Asperger : ils ont conscience que les terreurs qui ont occupé leur enfance ne sont pas partagées par les autres, et que l’objet de leur angoisse est ce que tout être humain normalement constitué apprécie et recherche le plus naturellement du monde : être avec les autres. (Noël-Winderling, 78)

Sur cette base, nous pouvons lire tout autrement la métamorphose de Grégoire en vermine, non plus comme une hybridation progressive d’ordre fantastique tendant vers l’animalité, mais comme l’indice de sa honte de plus en plus grande, d’un dégoût qu’il projette sur lui-même à mesure qu’il tente d’aller vers les autres – de sortir de la chambre – et qu’il se trouve de plus en plus lourdement en échec. Ce dégoût émane clairement des images que Kafka projette sur lui-même, comme en témoigne le Journal à la date du 13 décembre 1911 :

Je n’ai pas écrit parce que j’étais fatigué et je suis resté couché sur le canapé dans la chambre chaude, puis froide, avec des jambes malades et des rêves dégoûtants. Un chien était couché sur moi, une patte tout prés de mon visage, cela m’a réveillé, mais pendant un bon moment encore, j’ai eu peur d’ouvrir les yeux et de le regarder. (Journal, III, 179)

Avec quelle merveilleuse plasticité Kafka va-t-il mettre ces sensations oniriques au service du dégoût que le personnage de Grégoire génère en se transformant en vermine ! On sait d’ailleurs que la référence au traitement que reçoit un chien est l’ultime sentiment éprouvé par Joseph K. dans ce que Kafka nous a laissé comme la dernière page du Procès, de même que la bonne désignera Grégoire mort à la fin de La Métamorphose par une image animale connotée de mépris : «  il est crevé comme un rat. » (Métamorphose, II, 240).

La chambre apparaît comme une métaphore de la clôture psychique séparant le moi des autres. Davantage que des déplacements dans l’espace, les tentatives de sortie de la chambre opérées par Grégoire matérialisent par du mouvement les tensions psychiques vers l’autre de l’Asperger, la douleur de l’échec relationnel. Cet échec a été codé par Kafka par des images à valeur symbolique universelle, comme celle de la clé. L’épisode de la clé inaccessible de la chambre dans La Métamorphose traduit l’inadaptation de Grégoire pour sortir de cet espace intérieur – cellule du moi et forteresse envers les autres -, équivalent de l’espace psychique : « […] il se reposa un moment de son effort ; après quoi il essaya d’ouvrir la serrure avec sa bouche. Comment saisir la clef ? » (Métamorphose, II, 203). Privé de mains, ou inapte à en faire l’usage voulu, le personnage va multiplier les positions les plus acrobatiques et incommodes jusqu’aux limites de la torture :

Et dans l’idée que toute la famille suivait ses efforts avec une attention passionnée il se cramponnait à pleine mâchoire, de toutes ses forces, presque à tomber inanimé. Suivant la position de la clef, il dansait autour de la serrure, se maintenant simplement de la bouche, ou se pendait après l’anneau et le ramenait en bas de tout le poids de son corps. Le déclic clair du pêne qui avait cédé sonna le réveil de Grégoire. « Je me suis passé du serrurier », se dit-il avec un soupir de soulagement, et il posa sa tête sur la poignée pour finir d’ouvrir. (Métamorphose, II, 203)

Certes Kafka insère vraisemblablement dans cette image un souvenir biographique puisque « Max Brod rapporte que [le grand-père paternel de Kafka] pouvait soulever du sol un sac de farine avec les dents » (David dans Kafka, 1976, p. XIX) mais l’inadaptation organique pour la préhension des clés peut devenir l’équivalent métaphorique du handicap ressenti par un Asperger. En ce cas, au prix d’efforts inouïs, Grégoire semble réussir sa sortie de la chambre mais le lecteur saura qu’il ne tente sa sortie que pour mieux y être repoussé, et pour y mourir.

Cet épisode des clés permet aussi de comprendre à quel point la réaction des autres — de ceux qui entourent un Asperger en ignorant le nom de son trouble — pour tenter d’entrer en contact avec Grégoire s’avère mécaniste et totalement inadaptée. Ainsi, alors que la mère, peut-être plus proche de la réalité pathologique de son fils (comme la propre mère de Kafka), réclame un médecin car elle conjecture Grégoire malade dans sa chambre, le père crie « Allez vite chercher un serrurier. »  (Métamorphose, II, 202). Ainsi s’opposent sans cesse deux mondes, l’extérieur et l’intérieur de la chambre, qui matérialisent respectivement d’une part les autres dans l’extériorité problématique et la tension qu’ils suscitent. La sortie brusque et inadaptée de Grégoire, qui ignore « si son discours a été compris », ne pourra qu’entraîner la panique et le rejet :

Et sans même s’inquiéter de savoir s’il pourrait aller bien loin ni si son discours avait été compris — ce qui semblait peu vraisemblable — il abandonna son battant de porte, passa par l’ouverture pour rattraper le gérant (qui se cramponnait déjà des deux mains à la rampe d’une façon tout à fait ridicule), chercha vainement un appui et tomba sur ses pattes grêles en poussant un petit cri. Il ressentit aussitôt pour la première fois de la matinée une impression de bien-être physique ; il avait mis le pied sur le sol ferme, il remarqua joyeusement que ses pattes lui obéissaient à merveille et brûlaient même de le porter où il voudrait ; et déjà il se prenait à croire que la fin de ses maux était venue. Mais tandis qu’il se balançait sur place sous l’influence de son besoin de courir, tout près de sa mère gisante, il la vit subitement faire un bond, tout évanouie qu’elle parut, lancer ses bras dans l’espace en écarquillant les doigts, et hurler : « Au secours, à l’aide, à l’aide ! » après quoi elle pencha la tête pour mieux le voir, puis contradiction flagrante, se mit à reculer follement sans songer à la table encore couverte, la heurta, s’assit dessus en toute hâte à la façon d’une personne distraire, et sembla ne pas s’apercevoir qu’auprès d’elle la cafetière renversée répandait un fleuve sur le tapis.

   « Maman, maman », souffla le fils en levant les yeux. Le gérant lui était complètement passé de l’esprit : voyant le café se répandre, Grégoire ne put s’empêcher d’esquisser plusieurs fois dans le vide le mouvement de mâchoires de quelqu’un qui mange. Là-dessus, la mère se remit à crier, abandonna brusquement la table et tomba dans les bras du père qui accourait au-devant d’elle. Mais Grégoire n’avait plus le temps de s’occuper d’eux ; le gérant était déjà dans l’escalier ; le menton sur la rampe il jetait un dernier regard en arrière. Grégoire prit son élan pour tâcher de le ramener ; le gérant, soupçonnant sans doute quelque chose, sauta d’un bond plusieurs marches et disparut en poussant un : « Ouh !… / ouh !… » qui retentit dans toute la cage d’escalier. Cette fuite eut le malheureux résultat de faire perdre complètement la tête au père qui, jusque-là, était resté relativement maître de lui ; au lieu de courir lui-même après le gérant, ou tout au moins de ne pas entraver Grégoire dans sa poursuite, il empoigna de la main droite la canne que le visiteur avait abandonnée sur une chaise avec son pardessus et son chapeau, saisit de la main gauche un journal qui traînait sur la table et se mit en devoir de taper des pieds tout en agitant le journal et la canne pour repousser Grégoire dans ses quartiers. Nulle prière n’y fit, nulle d’ailleurs ne fut comprise ; Grégoire avait beau tourner vers lui une tête suppliante, si humble qu’il se montrât, son père n’en prenait note que pour redoubler ses piétinements. (Métamorphose, II, 206/207)

Quel merveilleux humour jubilatoire de Kafka envers son trouble, sans que jamais ne soit perdue de vue la signification seconde de ce contact houleux. En fait, quand Grégoire-Asperger retrouve ainsi l’équilibre, ce sont les autres qui le perdent : une logique psychique chasse l’autre et deux mondes ne peuvent se rencontrer. Face à l’irréductibilité de deux logiques de communication antagonistes, va exister ainsi — et tel est un sens majeur de « métamorphose » — une communication seconde, une tentative de lien avec l’extérieur par l’intuition, que l’on trouve dans le substitut organique des « antennes » : « Pour savoir ce qui s’était passé il se traîna lentement vers la porte en tâtant gauchement autour de lui avec ses antennes dont il commençait à apprécier enfin l’utilité. » (Métamorphose, II, 208). Ces antennes purement métaphoriques apparaissent ici comme un instrument ou un procédé prothétique substitutif aux langages traditionnels partiellement inaccessibles à un Asperger.

Car il reste des langages accessibles. Une des rares possibilités de sortie de la chambre offerte à Grégoire, se présentera par l’entremise de la musique dont Kafka était si friand : « Attiré par la musique, Grégoire — audace ! — s’était avancé légèrement et il avait déjà toute la tête dans la salle. » (Métamorphose, II, 233). On sait combien les langages non verbaux comme l’image, la musique, constituent pour nombre d’Asperger un biais de communication avec autrui. Henri Rey-Flaud évoque les « dons restés mystérieux de certains autistes pour la musique ainsi que de la prédilection générale de ces sujets pour cet art » (Rey-Flaud, 360 et suivantes). Grégoire n’a pu brièvement sortir de son enfermement que par son intermédiaire.

Au terme de cette visite analytique de l’espace métaphorique de la chambre dans l’œuvre narrative, proposons une articulation possible entre le plan neurologique du « monde intense » de l’esprit de Kafka, et le niveau métapsychologique où l’écrivain invente une parade à son trouble par un mécanisme de sublimation dans l’écriture.

Kafka fait preuve d’un humour par lequel il prend des distances avec lui-même, avec « sa » réalité douloureuse, mais aussi tente de (re-)nouer par l’écriture avec l’autre — et avant tout avec le premier lecteur qui est souvent un ami — la relation émotionnelle si ardue. Dans cet humour au deuxième degré, le romancier inverse l’ordre des causalités à son profit, ou plutôt au profit de son double-personnage – tous les romans de Kafka ont une dimension autobiographique partielle. Les formules fatalistes de Grégoire Samsa deviennent ainsi des traits d’autodérision et de distanciation ironique, de détachement face à une réalité quotidienne douloureuse qui est aussi celle d’un Asperger victime de sa différence. Par opposition au désordre qui entoure la chambre biographique de Kafka, le personnage de Grégoire établit un rapport égocentré dans lequel il aurait l’apanage de l’ordre – mais aussi de l’impuissance : « […] désespérant de trouver aucun moyen de restaurer la paix et l’ordre dans cette société despotique » (Métamorphose, II, 209).

Dans la création, Kafka réussit à restaurer une distance humoristique et salvatrice à une réalité, à « sa » réalité vécue et à la transposer dans la création. Le journal du 11 février 1918 proclame : « Vivre signifie : être au milieu de la vie ; voir la vie avec le regard dans lequel je l’ai créée. » (Journal, III, 476 — nous soulignons). La réalité de Kafka réside dans la spécificité du monde intense qui est le trait neurologique majeur de l’Asperger, réalité qui l’accable. On perçoit cette tension où ce que Lacan nommera le nœud borroméen pourrait se déchirer le 5 juin 1912 : « Le monde prodigieux que j’ai dans la tête. Mais comment me libérer et le libérer sans me déchirer. Et plutôt mille fois être déchiré que le retenir en moi ou l’enterrer. Je suis ici pour cela, je m’en rends parfaitement compte. » (Journal, III, 300). Ainsi, très significativement, dans l’espace intérieur métaphorique de la chambre de Grégoire, seul le bureau, qui forme une métonymie de l’écriture, ne peut être enlevé : « le bureau devait rester à sa place » (Métamorphose, II, 221) dans la chambre vidée. L’écriture a dû être intégrée à la réalité de l’espace immuable, à l’immutable sameness (Kanner, 245), auxquelles les Asperger sont attachés. Elle est devenue essentielle, vitale dans l’espace psychique, pour éviter ce « vide effroyable » dont il a déjà été question.

À titre de conclusion, chassons toute tentation d’interprétation univoque de l’œuvre kafkaïenne. Toutes les lectures de Kafka ont, sinon leur pertinence tout au moins leur cohérence, comme le résume Alberto Manguel :

[…] un lecteur peut être saisi de désespoir et un autre éclater de rire. Ma fille Rachel a lu La Métamorphose à treize ans et l’a trouvée désopilante ; Gustav Janouch, ami de Kafka, l’a lue comme une parabole éthique et religieuse ; Bertold Brecht comme l’œuvre du seul véritable écrivain bolchevique ; le critique hongrois Gyorgy Lukacs comme le produit caractéristique d’une bourgeoisie décadente ; Borges comme une nouvelle version des paradoxes de Zénon ; la critique française Marthe Robert comme un modèle de la langue allemande dans sa plus grande clarté ; Vladimir Nabokov comme (en partie) une allégorie de l’Angst adolescente. (Manguel, 143-144)

On sait que Primo Levi tomba en dépression juste après avoir traduit en italien Le Procès, peut-être parce qu’il retrouvait dans l’univers kafkaïen apparemment dénué d’empathie l’insensibilité à l’humain inhérente à l’univers concentrationnaire nazi dont il ne cessait de vivre le souvenir traumatique. Kafka n’était pourtant pas susceptible de complaisance envers le nazisme qui n’avait pas émergé de son vivant. Il « inspire à Levi un amour ambivalent « proche de l’effroi et du refus » (Quillot, 239- 240). Mais le vécu coupé de la dimension non-verbale et émotionnelle d’un Asperger ne fait que coïncider avec la résultante insensible à l’humain de l’idéologie nazie : il y a de l’un à l’autre la différence entre un état subi et une intention délibérée. Lire l’écriture de Kafka comme une écriture de l’Asperger nous permet de concevoir l’étanchéité des univers « psychonormatifs » pour l’individu possédant des traits autistiques. Une part de notre émerveillement esthétique face aux œuvres de Kafka tient à cette impénétrabilité radicale. Et finalement, au-delà même du probable déficit autistique de Kafka qui nous permet de comprendre le cheminement si créatif qu’il parcourt pour sortir de sa « capsule autistique », son lecteur ne peut qu’être ébloui de la créativité incroyable, de la prodigieuse et si fine intelligence, de l’humour fabuleux qu’il manifeste envers ses troubles relationnels et affectifs au point de nous les livrer à travers une réalité spatiale dont il nous fait oublier qu’elle est et n’est qu’une métaphore de l’immatérialité sensible du psychisme. Nous demeurons admiratifs devant sa capacité à avoir inventé dans l’écriture une forme d’auto-thérapie empirique face à un trouble qui n’a même pas encore été décrit. Enfin ce constat peut achever de nous convaincre, s’il en était encore besoin, du pouvoir de résilience de l’écriture et de la littérature, et de la nécessité de ne pas enfermer les êtres humains dans des protocoles thérapeutiques trop mécanistes.

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ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XVIII


[1] Journal, 2 février 1920, op. cit., p. 501. Nos références sont celles de l’édition Gallimard, collection de la pléiade, des Œuvres complètes de Kafka. Nous indiquons entre parenthèses après chaque citation, dans le corps du texte, successivement l’œuvre, le tome et la page.

[2] Rappelons que le syndrome d’Asperger ne sera décrit qu’en 1944, 20 ans après la mort de Kafka, par Hans Asperger à partir des travaux précurseurs sur l’autisme infantile de Leo Kanner. Alors que Léo Kanner publie en 1943 son article « Autistic disturbances of affective contact » dans Nervous Child (2 (3) p. 117-250), Hans Asperger soutient l’année suivante sa thèse Les Psychopathies autistiques pendant l’enfance  l’année suivante et publie l’article original « Die autistischen Psychopathen in Kindesalter » dans Archiv fûr Psychiatrie und Nervenkrankheiten (117, p. 76-136). Le syndrome porte aujourd’hui son nom.

[3]Sans jamais être démontrée, cette hypothèse a été alléguée dans la presse populaire : « Franz Kafka, Bob Dylan, Lawrence d’Arabie, l’acteur de Matrix, Keanu Reeves, Woody Allen ou encore Bill Gates sont tous suspectés d’avoir des troubles autistiques. »  » Syndrome d’Asperger : un autisme aux frontières de la normalité  » Sciences et avenir, n° 679, 1er septembre 2003, p. 50.

[4] Chris Frith s’invente ainsi un contradicteur dans son ouvrage de vulgarisation neuroscientifique en l’espèce d’un professeur de littérature adepte de psychanalyse » p. 17. Ainsi le discours de la psychanalyse, qui repose sur la parole du patient, son ressenti, son histoire, est-il qualifié de « littérature », au sens péjoratif que ce terme peut avoir chez un scientifique surinvesti dans la croyance à sa propre démarche : « je n’ai pas envie de gâcher la soirée en suggérant que Freud était avant tout un conteur d’histoires, dont les spéculations à propos de l’esprit humain étaient largement erronées. » Chris Frith, Comment le cerveau crée notre univers mental, traduit de l’américain par Mathias Pessiglione, Paris, Odile Jacob, 2010, p. 17.

[5] L’expression désigne le docteur Larivière, médecin qui ne pourra que constater l’échec sur Emma Bovary empoisonnée des traitements prescrits par les thérapeutes excessivement rationalistes et voltairiens que sont le docteur Canivet et le pharmacien Homais. Gustave Flaubert, Madame Bovary, Paris, Seuil, L’Intégrale, tome 1, 1964, p. 682.

[6] Alors que l’imagerie médicale visualise avec une précision sans cesse accrue l’activation des réseaux neuronaux en fonction d’opérations, elle distingue à peine leur statut entre opérations réelles et imaginaires (parce que en effet elles sont extrêmement semblables au niveau neurologique, ce qui est tout à fait intéressant pour nous, littéraires), et ne prend que partiellement en compte d’autres dimensions non visualisables (mais qu’on commence tout de même à mesurer, certes pas par fMRI ) et qui se produisent à une autre échelle de temps, comme les phénomènes chimiques ou endocriniens. Par ailleurs cette imagerie nous offre la plupart du temps des instantanés, au mieux des séquences d’opérations, mais elle ne peut pleinement prendre en compte la manière dont le sujet, au cours de l’ontogénèse investit et réinvestit des zones du cerveau avec une part de singularité plastique, ainsi qu’on l’observe chez des personnes cérébro-lésées en rééducation fonctionnelle.

[7] Le DSM IV, Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, de l’American Psychiatric Association (APA) a été publié en mai 2000 ; la version IV TR de 2005 accessible en ligne sur http://web.archive.org/web/20070630225757/http://dsmivtr.org/coding.cfm (consulté le 19 février 2015). Le DSM-5 est paru en mai 2013 : Diagnostic and statistical manual of mental disorders, 5e édition, Washington D.C. American Psychiatric Association, 2013 (ISBN 9780890425541)

[8] Mes remerciements vont à Hervé-Pierre Lambert et Robert Kahn qui ont été des contradicteurs avisés du diagnostic d’Asperger en ce qui concerne Kafka.

[9] Bien au-delà des thèses aujourd’hui périmées de Bruno Bettelheim sur le rôle de la « mère rejetante » dans l’autisme, la figure maternelle constitue une présence singulière pour l’Asperger, sans doute parce qu’elle parvient à communiquer avec la personnalité atteinte du syndrome autistique sous des formes émotionnelles non conventionnelles.

[10] « […] très ambitieux, intelligent, très littéraire […]. Jésus et Dostoïevski sont ses maîtres […] » Lettre à Max Brod, IV, 1026.

[11] Kafka fit de Felice la dédicataire du Verdict, ce qui était une manière de lui offrit en gage de séduction sa première œuvre littéraire.

[12] Kafka, qui ne quitta le domicile de ses parents qu’en 1914, occupa la chambre de cet appartement familial, Niklasstraße 36, de fin 1906 à novembre 1913.

[13] Nous utilisons exceptionnellement cette édition car l’édition de la Pléiade ne reproduit pas ce passage à la page 143 du tome 3, où elle devrait se trouver à la date du 5 novembre 1911, en expliquant en note « Ici figure dans le Journal le texte ensuite publié dans le recueil Regard (Betrachtung) sous le titre Vacarme (T. II, p. 169). Notons que le terme Betrachtung ne signifie pas seulement « contemplation » mais qu’il dénote une forme de retrait de l’observateur, comme le rappelle Claude David.

[14] Ainsi Marthe Robert laisse ce passage aux pages 121 et 122 du Journal, paru à Paris, chez Grasset en 1954 alors que l’édition de la pléiade des Œuvres complètes de Kafka le rapporte dans le recueil Regard (Betrachtung) où il était initialement paru en 1912 sous le titre Vacarme (T. II, p. 169).

[15] Le grand-père et l’arrière-grand-père maternels sont tous deux décrits dans le Journal comme très pieux et très savants par Kafka.

[16] L’hyper-attention aux détails, l’absence de communication non-verbale et d’empathie, le fractionnement de la réalité observée sans solution de continuité sont trop universelles dans l’œuvre fictionnelle kafkaïenne pour qu’on puisse, selon nous, leur dénier une origine dans la sensibilité d’Asperger que nous attribuons à Kafka. Il a eu le génie de faire contribuer ces tendances à un univers absurde au plan esthétique.

 

 

 




What the neurocognitive study of inner language reveals about our inner space

Introduction

Our inner space is furnished with verbal material which contributes to enriching our inner life. Our internal voice plays a central role in self-awareness, helping us to remember our past, to imagine and plan our future, to interpret our present environment, to get a better control of situations, to solve problems, to encourage, comfort or regulate ourselves. Engaging in mental verbalisation shapes our inner existence and is instrumental in the maintenance of a coherent self-narrative.

The claim that our mental space contains inner verbalisation can be traced back to Ancient Egyptian sages and Ancient Greek philosophers. Early Medieval scholars were inspired from these ancient views on inner experience. Augustine’s Confessions, which appeared in 397-398, are considered as the first book using a subjective tone and focusing on inner experience. In the Confessions and in many of Augustine’s later works, it seems that language invades the author’s inner space.

Since then, inner language has been under the scrutiny of philosophers, writers, poets, filmmakers, artists, literary scholars, psychoanalysts, and linguists, through the practice of careful introspection and reflection. Their investigations suggest that silent self-talk and inner dialogues or conversations take an important part of our inner space. Inner language is often reported as pervasive or even ubiquitous. The French philosopher, psychologist and epistemologist Victor Egger for instance claimed :

A tout instant, l’âme parle intérieurement sa pensée. Ce fait, méconnu par la plupart des psychologues, est un des éléments les plus importants de notre existence. Il accompagne la presque totalité de nos actes ; la série des mots intérieurs forme une succession presque continue, parallèle à la succession des autres faits psychiques ; à elle seule elle retient donc une partie considérable de la conscience de chacun de nous. (Egger, 1881, p. 1).[1]

John Locke (1970) similarly asserted: “it is in constant use, accompanying many language-related activities such as writing, silent reading, learning, thinking, listening and, possibly, dreaming.” (Locke, 1970, p. 7). Such a stance is also taken by the linguist Gabriel Bergounioux (2001, p. 107):

Pas d’activité vigile qui ne soit accompagnée d’une sonorisation intériorisée, fût-elle réduite aux inepties de l’avant-sommeil, aux remembrances du vieillard idiot, à un ressassement ou une ritournelle, et pas non plus d’activité onirique.[2]

A similarly extreme position is taken by Baars (2003) who claimed that “Overt speech takes up perhaps a tenth of the waking day; but inner speech goes on all the time”. Even Chomsky affirmed: “Now let us take language. What is its characteristic use? Well, probably 99.9% of its use is internal to the mind. You can’t go a minute without talking to yourself. It takes an incredible act of will not to talk to yourself”. (Chomsky, 2012, p. 11).

Some of these introspective accounts can be examined, tested and complemented using recent experimental methods and technology developed in psychology and cognitive neuroscience. Findings from these latter fields may provide a new window of insight into the format, properties, qualities and mechanisms of inner language and may allow us to better describe what our inner space consists of.

In this article, introspective views of inner language are juxtaposed with empirical data, many of which are reviewed elsewhere, e.g. in Perrone-Bertolotti et al. (2014), Alderson-Day & Fernyhough (2015) or Lœvenbruck et al. (2018).

This article first assesses the significance of language in our inner space and the proportion it takes. Several variants of inner language are then described, including wilful vs spontaneous instances, condensed vs expanded forms, silent vocalisation during reading or writing, contained vs ruminative occurrences, and self-controlled vs hallucinatory cases. It is then shown that some variants of inner language have multisensory qualities, with the presence of auditory, somatosensory and visual elements. It is argued that wilful versions of inner language may recruit also motor processes. Finally, a neurocognitive model of the production of inner language is drawn, in the framework of predictive control, speculating on the neural mechanisms that underlie one of the most significant components of our inner space.

1.         The importance of inner language in our inner space

1.1       Evidence for the occurrence of inner language

Inner language is claimed to be an essential part of our inner space. But is our inner space filled with language, with all of its clothes, or rather by meaning? Can we find evidence that this mental activity that we refer to as inner language is indeed spelled out in a linguistic form, that it does use ordinary words and syntax? Augustine himself made a distinction between the verbum in corde, the interior verbalisation, and the locutio, the exteriorised oral form (Cary, 2011; Panaccio, 2014). If the latter obviously uses words and is expressed in a given language, the former, according to Augustine (in De Trinitate) is universal, it precedes overt language production, and it is not associated with any particular language. As we will see below (in 1.2) several introspective works and language impairment case reports suggest indeed that cognitive activity can occur without using natural language. Yet, introspectively, we can sometimes hear a little voice in our head. Is these instances, is our little voice expressed in a given language, is it shaped by the language(s) we use?

Examining inner experience in bilingual and multilingual speakers can contribute to better qualifying our inner space. In her book entitled “The Bilingual Mind”, Pavlenko (2014) dedicated a chapter to bilingualism and inner speech, in which she reviews several studies of inner language use in bilingual and multilingual speakers. Another survey by Dewaele (2015) provides further interesting data. These reviews show that the age of acquisition of the second language (L2) (or of the third, fourth, fifth, or more languages, LX) is a strong factor in determining which language is dominant in the inner speech of participants. Another factor is the linguistic context of the cognitive event entertained in the inner speech. Autobiographical memory retrievals tend to be mentally uttered in the language used when the event took place. Context of acquisition and socialisation are factors that facilitate the shift from L1 to LX in inner speech. Acquiring the LX in a naturalistic environment (rather than an instructed setting) will increase its use in inner speech. Self-perceived proficiency also influences the language choice in inner speech and mental activities (mental calculation, reasoning). Higher frequency of social speech in the LX also increases the likelihood of its use for inner speech. Inner LX use is also proportional to the size of the speaker’s social network in LX. The dominant language in inner speech is also predicted by length of residence in the new country and the language predominantly used in overt speech. In a very recent study, Resnik (2018) has found that in addition to these factors (high frequency of L2 use, naturalistic exposure to L2, high self-reported proficiency in L2), a high bilingualism index and the overall number of languages known all contributed to boost L2 use in inner speech.

As shown in the growing number of studies on inner speech in multilingual speakers, our inner space does seem to contain verbal material that is not abstract, or purely semantic, but expressed in given natural languages, with full syntactic and lexical clothing. Our inner space incorporates our cultural, social and linguistic environment.

1.2       Other components of inner space: images, emotions, sensations, unsymbolised elements

It seems safe to conclude that our inner space is furnished with an important amount of verbal material. But how much? Although the contention that inner language is pervasive is widely held, quantitative descriptions of its occurrence in the general population are more nuanced. In a thought sampling study, Klinger & Cox (1987) had students carry a beeper for up to seven days and describe properties of their mental content at each random beeper signal. They found that 51% of thought samples contained some interior monologue. Even lower occurrences are found when using more careful inner experience sampling. Hurlburt has created a method, called Descriptive Experience Sampling (DES), designed to obtain more accurate accounts of inner experience (Hurlburt, 1993; 2011). Traditional questionnaires on inner experience are biased, since participants use language to describe their experience, which places them in a verbal thinking mode and leads them to overestimate the amount of inner speech. In addition, questionnaires contain pre-defined questions, which can orient the participants’ descriptions. Instead, DES does not specify in advance what characteristics to explore. After having carried the beeper for a day and having jotted down notes about their inner experience before each beep, subjects participate in an “expositional interview” with the investigators, during which they are guided to describe their inner experience with the highest possible fidelity. This sequence of beeped reports and detailed interviewing is repeated, leading to increasing skill in the reporting. Using DES with hundreds of people for more than thirty years, Hurlburt and colleagues have routinely met participants who reported no moments of inner speaking at all. They conclude that the frequency of inner speaking displays a large inter-individual variability, ranging from about zero to nearly 100%, with a mean of about 26% of sampled moments (Heavey & Hurlburt, 2008). They suggest that the rest of our inner experience consists of four other components: inner seeing, feeling, sensory awareness and unsymbolised thinking. Inner seeing is visually imagining something that is not present. Feeling corresponds to “affective experiences, such as sadness, happiness, humor, anxiety, fear, joy, nervousness, anger, embarrassment, etc”. Sensory awareness is paying attention to a sensory aspect of the environment (cold, wind, hunger). Unsymbolised thinking is “thinking a particular definite thought without the awareness of that thought being conveyed in words, images or any other symbols”. It is argued to be a distinct phenomenon, not a precursor to any other phenomenon, and to be clearly articulated and specific. Even if this classification can be debated and if some authors reject the existence of unsymbolised thinking (Carruthers, 2009), it has been acknowledged that non-verbal thinking may exist. Hurlburt’s notion of unsymbolised thinking is for instance reminiscent of Paivio’s (1990) Dual Coding Theory, according to which stimuli can be coded and mentally manipulated in a verbal or visual mode.

Hurlburt is not alone in defending that our inner space is not entirely filled with language. Other authors have estimated that approximately one quarter of our conscious waking life consists of inner language (e.g. Uttl, Morin, Faulds, Hall & Wilson, 2012). Furthermore, inner language, when it occurs, can be intertwined with non-linguistic fragments. According to Wiley (2014), words can be combined with “sounds, numbers, visuals, colors, tastes and odors, tactile feelings, kinesthetics and emotions.” These elements can be placed into syntactical slots, producing inner utterances that are only partially verbal (e.g. the words “I’d like” followed by the image of a hamburger).

Our inner space is therefore not fully occupied by language: on average, approximately a quarter of our inner space consists of inner verbalisation, the rest is made up of images, emotions, sensations and unsymbolised elements.

2.         Various instances of inner language

2.1       Wilful inner language vs verbal mind wandering

Inner language manifests in various ways. We often deliberately engage in short instances of inner speech, for instance when we count, make a list, or schedule our weekly objectives. We can engage in longer sophisticated inner talk, carried out in full sentences, when we prepare a lecture, think hard about an argument, or imagine possible future conversations. These short and long instances of inner language can be referred to as “wilful” or “deliberate” inner language. But sometimes our internal monologue is less wilful, less active and “more passive” (Bonald, cited in Egger, 1881). The more passive form of inner language was seized by Plato who drew a distinction between opinion and fancy: “[thought] is a silent inner conversation of the soul with itself. […] when this arises in the soul silently by way of thought, can you give it any other name than opinion? […] And when such a condition is brought about in anyone, not independently, but through sensation, can it properly be called anything but seeming, or fancy? » (Plato, Sophist, 263e-264a). This fanciful inner language has been referred to as “verbal mind wandering” (Perrone-Bertolotti et al., 2014), and often occurs during “resting states” (mind wandering can also take a non-verbal form, such as visual imagery, hence the adjective “verbal”). Verbal mind wandering consists of flowing, spontaneous, unconstrained, external-stimulus-independent verbal thoughts. Mind wandering (MW) has been the focus of several recent neurocognitive studies. Smallwood and Schooler (2015) have recognized several beneficial outcomes of mind wandering (see also Mooneyham and Schooler, 2013, Schooler et al., 2014, Smallwood and Andrews-Hanna, 2013). According to them, the first benefit of MW is prospection. The thoughts that occur during MW are often future-oriented, helping to improve daily life. A second beneficial outcome is creativity. MW seems to be associated with the capacity to generate novel, creative thoughts. A third value is to add meaning to personal experience. By engaging in mental time travel, MW enables people to integrate past and future events into a meaningful life narrative. Other beneficial outcomes include mental breaks to relieve boredom from monotonous activities, and day-dreaming to prepare for potential obstacles or threats. It can be speculated that among the many forms of VM, the verbal one (unwilful inner language) is the most likely to play the first three of these roles: prospection, creativity and meaning.

2.2       Condensed vs expanded inner language

In addition to the various intentional degrees of inner language, various degrees of unfolding have been identified. Some variants are condensed relative to other fully formed, or expanded, versions (e.g. Fernyhough, 2004; Alderson-Day and Fernyhough, 2015 or Geva, Jones, Crinion, Price, Baron & Warburton, 2011b). Condensation seems to operate at different levels: articulation, phonology, lexicon and syntax. Introspective accounts of condensation are abundant. It has been argued for instance that because inner language is directed to oneself, it is shortened compared to overt speech addressed to an external listener. Egger (1881, p. 69-71) was the first to clearly list physiological and social constraints for why inner language may be shorter. First, he argued that we cannot overtly articulate as quickly; the speed of our tongue movements being physiologically limited (“à parler trop vite la langue s’embarrasse[3]” ). Moreover, when we speak aloud, we need to take breath between fragments of speech, as speech only occurs during expiratory phases. Because it is not subjected to these physiological constraints, inner speech is accelerated compared with overt speech. Secondly, Egger noted social constraints. When we speak to someone, we need to articulate clearly and slowly, in order to be understood. When we use inner speech, this social constraint can be abandoned and our articulation can be more “sketchy”. Furthermore, according to Egger (1881, p.71), some expressions that we use mentally bear meanings that are explicit only to ourselves. In order for them to be understood, we would need to provide contextual information and to replace these expressions by a detailed and explicit discourse.

Therefore, inner speech is not only physically shortened with respect to overt speech, it can also be syntactically condensed, or left elliptical. Vygotsky further developed this notion (Vygotsky, 1934/1986). His theory is based on introspection, and on examination of children’s private speech (or egocentric speech), in which children talk to themselves aloud, and which he claimed to be a precursor of adult inner speech. He asserted that important words or grammatical affixes may be dropped. According to him, the syntax of inner speech is “predicated,” in the sense that only necessary information is supplied. The subject, and even the verb, might be omitted. Bergounioux follows this notion of abbreviation, condensation and predication, providing detailed linguistic descriptions of the phenomenon. According to Bergounioux (2001, p. 120), “l’endophasie ne semble différer de la parole explicite ni par sa grammaire ni par son lexique, à la réserve d’un emploi généralisé de l’asyndète et de l’anaphore, et d’une surreprésentation de la prédicativité.[4]

Examples of such linguistic operations can be found in literary or artistic works, typically those associated with the “monologue intérieur” (Dujardin, 1887, 1931) or “stream of consciousness” movement, initiated by Dujardin (Smadja, in press). Although Dujardin depicted internal monologue as swarming with syntactically expanded sentences, later renditions – such as Molly Bloom’s monologue in Joyce’s Ulysses, the disjointed monologue in Samuel Beckett’s The Unnamable or the human monologues overheard by angels in Wim Wender’s Wings of Desire – are closer to the introspective descriptions of Egger, Vygotsky or Bergounioux, in that they are more fragmentary, abbreviated, predicated and condensed, at both the syntactic and lexical levels.

Empirical grounding for the condensed quality of inner speech at the syntactic and lexical levels can be found in an astute study of the rate of spontaneous covert speech production (Korba, 1990). Participants were asked to mentally solve a series of short verbal problems. They reported the elliptical inner speech used to solve each problem, which gave an estimation of the number of words used in this type of mentation. They were then instructed to expand the same volume of words into a full ostensive statement of their internal problem-solving strategies, which provided an extended word count. The extended word count represented an equivalent rate of speech in excess of 4000 words per minute, which cannot possibly be reached in overt mode. These findings are in favour of the introspective claim that inner verbalisation is condensed with respect to overt public speech, at least at the syntactic and lexical levels.

In line with Egger’s claim that inner speech is less articulated, it has further been suggested that the phonological form of inner words may itself be abbreviated. Several soviet psychologists suggested that inner speech is phonologically reduced, with many phonemes being dropped, typically vowels, and only the word-initial sounds being clearly produced (e.g. Vygotsky, 1934/1986, p. 237, 244; Anan’ev cited in Sokolov, 1972, p. 50). This claim receives support from studies that show that word production is faster in inner than overt mode, even when lexical content is controlled (Marshall and Cartwright, 1978; Anderson, 1982). Marshall and Cartwright (1980) examined both word and sentence productions in a recitation task. They found that silent recitation was faster than overt recitation for lists of one- and three-syllable words as well as lists of grammatical and ungrammatical sentences. MacKay (1981) also examined sentence production. Participants were asked to produce identical sentences as rapidly as possible, either overtly or covertly. Results indicated that both internal and overt speech improved with practice and that overt sentence production took longer. These controlled studies imply that inner speech is abbreviated with respect to overt speech, even at the phonological level, in line with introspective views. This could suggest that some of the phonological or articulatory processes involved in overt speech are absent in covert mode. An alternative interpretation, described in Section 3.4, is that inner speech involves the same operations as overt speech but that the execution of articulator movements takes longer than their simulation.

Another source of information on the lower levels (phonological and articulatory) of covert production are error patterns. As explained by Oppenheim and Dell (2008), speech errors display a lexical bias, a bias towards creating words (e.g. REEF LEECH leading to LEAF REACH) rather than nonwords (e.g. WREATH LEAGUE leading to LEATH REEG), in both overt and covert speech modes. This bias has been interpreted by these authors as evidence for the spreading-activation model of Dell (1986), which posits an interactive flow of activation between phonological and lexical levels. The lexical bias suggests that inner speech activates not only conceptual but also lexical as well as phonological representations.

A second bias has been reported, called the “phonemic similarity effect,” a tendency to exchange phonemes with common subphonemic articulatory features (e.g. REEF slips more often to LEAF, with /r/ and /l/ sharing many features such as voicing and approximant, than REEF to BEEF, with /r/ and /b/ only sharing voicing). This effect is explained by Oppenheim and Dell with reference to reciprocal activations between articulatory and phonological levels. Oppenheim and Dell (2008, 2010) have only found this effect in overt mode or with inner speech accompanied with mouthing. This has led them to claim that inner speech is fully specified at the lexical and phonological levels, but that it is impoverished at the lower subphonemic (or articulatory) level. As we will see in Section 3.4, there are several empirical arguments against this claim, however, so the conclusion on the articulatory poverty of inner speech should be considered with caution.

To summarise, some variants of inner language have been claimed to be sketchy and impoverished at many levels, including syntactic, lexical, phonological and articulatory. This abbreviation bestows inner language an abstract quality that has led some researchers to consider it as an amodal phenomenon. MacKay (1992) stated that inner speech is nonarticulatory and nonauditory. According to him, articulatory movements “are irrelevant to inner speech. Even the lowest level units for inner speech are highly abstract.” For MacKay, “[t]he seemingly auditory quality of our internal speech cannot be automatically attributed to events within an auditory or acoustic system, or even, as we will see, to any strictly sensory system.” This strong stance is in line with Bergounioux’ (2001) claim that “endophasia, phenomenologically speaking, is speech without a signal”, i.e. without a “dépense d’énergie quantifiable et capturable” (“quantifiable and capturable energy expenditure”). This would implie that inner language is divorced from bodily experience and includes, at most, faded auditory representations.

As we will see in the following sections, inner language is not always condensed and some variants of inner language are in fact fully expanded. Neurocognitive data do not corroborate the strong claim that inner language is impoverished and lacks articulatory or auditory specification (see 3). Some instances of inner language, including mental sentence repetition, instructed mental sentence generation, silent reading, verbal working memory are dependent on perceptuo-motor processes and their operational details. These instances may be considered as embodied, involving physical processes that unfold over time and leading to the creation of articulatory and auditory percepts. They presumably integrate a variety of representations, from semantic concepts to articulatory features, via lexical items and phonological representations.

These seemingly opposite views on the condensed and expanded quality of inner language are not mutually exclusive, however. Fernyhough (2004) has suggested that inner speech varies with cognitive and emotional conditions between these two forms. The expanded form can even be considered as an outcome of the condensed form, which itself can be construed as the conceptual message cast in a pre-verbal form, that involves lemmas[5] , linearly ordered, but that does not yet have the full phonological (articulatory, acoustic) specification that expanded inner language has (see e.g. Levelt, 1989). A similar position is defended in Vicente & Martínez-Manrique (2016). Inner language can be defined as truncated overt verbalisation, but the level at which the production process is interrupted (abstract linguistic representation vs. articulatory specification) depends on which variant of inner language is at play. The less wilful variants of inner language, such as verbal mind wandering, might take on a more condensed format, whereas wilful forms might be more expanded.

Interestingly, the variant of inner language that is most studied in experimental psychology and cognitive neuroscience is the wilful form, because it can be examined in controlled settings, in a replicable fashion. But the variant that has been the focus of most introspective works by literary scholars, philosophers, artists, is unbidden interior monologue, a subset of verbal mind wandering (which also includes interior conversations). This variant is the most difficult to examine experimentally, as it is spontaneous. This could explain why introspective and empirical accounts sometimes differ. A few neuroimaging studies have endeavoured to compare wilful and spontaneous inner language, but they are far too rare for any conclusion to be drawn (Hurlburt, Alderson-Day, Kühn & Fernyhough, 2016; Grandchamp and colleagues, in preparation).

2.3       Inner language during reading

Another variant of inner language is the silent vocalisation that accompanies reading. According to Egger (1881), inner speech is in fact easiest to notice when one reads. Egger (1881) and Ballet (1886) suggested that during reading, one does not only mentally articulate the words that are read, but one can experience hearing them too. Several experimental psychology studies have examined this claim and have shown that reading does involve an inner voice. It has been shown for instance that silent reading is influenced by pronunciation characteristics. Alexander & Nygaard (2008) have shown that silent reading of a text is influenced by the knowledge we have of its author’s speaking rate. Participants take longer to silently read a text when they are told that it was written by a slow talker rather than a fast talker. Silent reading is also modulated by the reader’s regional accent. Filik & Barber (2011) compared the eye movements of English participants with different regional accents who were reading limericks. Limericks are short poems in which the final word rhymes with the end words of the first two lines. The authors created limericks in which the final word would rhyme or not, depending on the regional accent. When the final word did not rhyme in the reader’s accent, a disruption in the eye movement record was observed, compared to when it rhymed. This finding suggest that silent reading includes properties of the reader’s own pronunciation habits.

The occurrence of inner speech during silent reading has also been confirmed by recent intracranial electroencephalography recordings. Perrone-Bertolotti and her colleagues (2012) measured activity in the temporal voice area (TVA) of epileptic patients. This region in auditory cortex is selectively activated during human voice perception (Belin, Zatorre, Lafaille, Ahad, & Pike, 2000). The patients were instructed to silently read words. The results show that silent reading activates the TVA. Moreover, TVA activity was found to strongly increase when participants were reading attentively. This suggest that the inner voice heard during silent reading is not an automatic process, which would be triggered in response to any written word, but that it is modulated by attention.

It should be noted, however, that silent reading is not systematically associated with inner speech production, even when attention is high. Levine, Calvanio & Popovics (1982) have reported the case of a patient, who as a result of a stroke, became mute and was unable to speak covertly. He could not tell whether two words rhymed, which suggests he could not evoke the auditory representations associated with words. Yet his reading abilities remained intact. His visual imagery was strongly developed (he could make highly accurate drawings from memory). This case report therefore suggests that when visual imagery is proficient, then reading processes may sometimes bypass phonological mediation (covert pronouncing and inner voice hearing), directly linking the word’s written form to its semantic content.

2.4       Inner language during writing

Writing is generally considered to involve an inner voice. In the film Paterson, Jim Jarmusch lets us follow Paterson, a bus driver who writes poetry. The film suggests that Paterson elaborates his poems mentally before writing them down. We can hear his inner voice as he composes each poem, and then as he writes the lines in his notebook. Studies in experimental psychology have shown that writing involves many processes, including idea generation, concept and word retrieval from semantic and lexical memory, syntactic processing and access to graphemic forms (letters in the words). A debated question is whether the transformation from lexical to graphemic forms recruits inner speech. According to the “phonological mediation hypothesis,” spoken forms of words are retrieved before graphemic forms can be accessed. This hypothesis is supported by studies of brain-lesioned patients, which show that deficits in spoken language are associated with impairments in written language production (e.g. Luria, 1966).

An alternative view is that orthographic forms can be accessed from abstract lexical knowledge without phonological mediation. A few brain-lesioned patient studies have reported dissociations between writing and speaking impairments. The patient in the study by Levine et al. (1982) discussed above was deprived of inner speech but could still read and write. Rapp et al. (1997) presented the case of a stroke patient who suffered from speech deficits. He was often unable to provide the correct spoken name of an object, although he could write it. These cases therefore seem to argue against the phonological mediation hypothesis, in that writing can be achieved without spoken language mediation, when word production is impaired, due to a stroke. It cannot be ruled out, however, that the seemingly direct link between grapheme and meaning, was initially (before the stroke) mediated by covert speech and that the direct connection was gradually learned. The recent study of a child with congenital oral apraxia is more compelling (Cossu, 2003). Despite his inability to produce any articulation, this child had normal reading and writing skills. He presumably did not rely on a covert version of his own articulation to read and write. Therefore, articulatory mediation is not always necessary during writing. Nevertheless, since this child had preserved auditory capacities, we could argue that writing is still associated with auditory representations, and that the lexicon-grapheme transformations may well rely on auditory-phonological representations. Therefore, this study does not fully contradict the phonological mediation hypothesis, even though it makes it weaker. The representations at play in this child are auditory at best, and not articulatory.

2.5       Contained vs ruminative inner language

Inner speech plays a central role in human consciousness at the interplay of language and thought (Morin, 2005) and is beneficial to many cognitive operations. It interacts with working memory to encode new material (Baddeley & Hitch, 1974). It is involved in remembering personal past episodes, including conversations, situations and emotions, i.e. it plays a role in autobiographical memories (Morin, 2012). It is used in future planning, in reasoning, in problem solving (Sokolov, 1972; Baldo et al., 2015), in cognitive control, executive function, cognitive flexibility (Emerson & Miyake, 2003), in consciousness, self-awareness, self-regulation, self-motivation (Morin, 2009), in self-encouraging and self-comforting (Pavlenko, 2014).

Inner language can sometimes play a detrimental role, however, when it becomes repetitive and negative. Dostoyevsky’s Crime and Punishment provides illustrative descriptions of how ruminative forms of inner language may become intrusive, such as when the ex-student and future murderer Raskolnikov, sitting in a tavern, reflects upon the mysteries of chance and destiny: « A strange idea was pecking at his brain like a chicken in the egg, and very, very much absorbed him » (part 1, chapter 6).

Self-reflection, pondering about ourselves, our feelings, thoughts and behaviours, can contribute to clarifying the meaning of past and present experiences (Nolen-Hoeksema, Wisco, & Lyubomirsky, 2008). However, it can lead to unconstructive consequences when self-referent thoughts transform into verbal rumination, i.e. repetitive and self-critical inner speech (Watkins, 2008; Nalborczyk et al., 2017). It has been shown that rumination alters cognitive performance in depressed or dysphoric patients and that it can predict and exacerbate the maintenance of dysphoric or depressive states (Davis & Nolen-Hoeksema, 2000).

It still remains to be understood why excessive, negative inner speech impairs performance whereas more contained and positive inner speech improves cognitive performance.

2.6       Self-controlled vs hallucinatory forms

Another dysfunctional case of inner language are auditory verbal hallucinations. As argued by Fernyhough (1996, 2004) and Alderson-Day and colleagues (2016), inner language is often dialogic, mirroring the external experience of communication. We can have imaginary conversations and we can then hear the others’ voices, their timbre, their pitch. When we do so, we usually know that these voices are self-generated and we do not mistake these imaginary voices for external voices. This is because we are endowed with a self-monitoring mechanism. It has been suggested that when this mechanism is defective, auditory verbal hallucination may occur.

Auditory verbal hallucination (AVH) or “hearing voices” can be considered as speech perceptions in the absence of any relevant external acoustic input. It affects 50-80% of the patients who suffer from schizophrenia (Nayani & David, 1996). Patients report hearing voices, which are often distressing and engender suffering and functional disability as well as social marginalisation (Franck, 2006). Auditory verbal hallucination is, however, a complex phenomenon with multiple forms and causes (Larøi & Woodward, 2007). It also occurs in non-psychiatric populations, and it is estimated that 4-10 % of the healthy population experience it (Linden et al., 2011).

Many theoretical models have been proposed to explain AVHs in schizophrenia (see, David, 2004, for a review). An influential model formulates AVHs as dysfunctions of the monitoring of inner speech (Feinberg, 1978; Frith, 1992). The model claims that due to a failure of the self-monitoring mechanism, the inner speech of the patient is not identified as self-generated and is experienced as coming from an external source.

However, voice hearers (patients with schizophrenia as well as healthy individuals) can also use inner language deliberately, without experiencing voices. Inner language in voice hearers is not always dysfunctional. Some researchers have focused on the distinction between AVH and inner speech in non-clinical hallucinators. Linden and colleagues (2011) have argued that the distinction is related to subjective control: AVH occurs spontaneously, while wilful inner speech occurs under volitional control. This claim is in line with studies by Rapin et al. (2012) and Lavigne et al. (2015) who suggest that the supervisory processes that are at play during willful inner speech can serve to normalise the activity in sensory cortex. The absence of such processes could explain why hyperactivity in sensory cortex is observed in hallucinatory experience. It can therefore be speculated that wilful inner speech engages supervisory control that modulates sensory activity, whereas more spontaneous forms of inner language, deprived of supervisory and self-monitoring processes, may end up being attributed to external sources.

3.      Various formats of inner language

3.1       Auditory sensations

Early introspective works (Egger, 1881, Ballet, 1886) have claimed that inner speech is endowed with auditory qualities. Egger (1881) wrote that “[l]a parole intérieure a l’apparence d’un son[6]”  and that “[l]es caractères de la parole [rythme, hauteur, intensité, timbre] […] se retrouvent tous dans la parole intérieure[7]” .

The concept of a mind’s ear finds support in psycholinguistic data. The « Verbal Transformation Effect » (VTE) refers to the perceptual phenomenon in which listeners report hearing a new percept when an ambiguous stimulus is repeated rapidly (Warren, 1961). Rapid repetitions of the word “life”, for example, produce a soundstream fully compatible with segmentations into “life” or “fly”. Smith, Wilson, and Reisberg (1995) further examined the VTE, and found that it also occurs in a covert mode. In addition, they observed a reduction of the effect during auditory interference. These findings suggest that subjects rely on the mind’s ear to detect transformations. The neural correlates of the VTE have been examined by Sato and colleagues (2004). Participants were asked to silently repeat pseudo-words. Active search for verbal transformation increased activity in several brain regions, including auditory cortex.

Findings of error detection during covert tongue-twister repetition also indicate that inner speech has auditory qualities that can be attended to. Several studies (see Dell & Oppenheim, 2015 for a review) have investigated error slips reports. They show that participants are able to attend to and report the “errors that they hear,” like they do with slips produced in audible speech. This can be interpreted as a role for the mind’s ear in inner speech monitoring.

Further empirical arguments for the auditory nature of inner speech come from neuroimaging studies. Several fMRI (functional Magnetic Resonance Imaging) studies of covert speech production reveal auditory cortex, specifically superior temporal gyrus, activation (Perrone-Bertolotti et al., 2014 for a review). Although this activation is lesser than the one observed in overt speech, it implies that an auditory experience accompanies inner speech. In that line, an fMRI study by Lœvenbruck, Baciu, Segebarth and Abry (2005) suggested that covertly produced speech can include prosodic characteristics, with distinctive auditory features that correspond to objectively measurable cerebral correlates.

To sum up, behavioural and neuroimaging data suggest that auditory sensations are present during several variants of inner language.

3.2       Somatosensory sensations

The phenomenological intuition that inner language involves a voice that can be heard in the mind’s ear is not controversial and meets with empirical findings. But other sensory qualities may be attributed to inner language, typically imaginary proprioceptive and tactile sensations. Taine (1870) himself was a precursor of that idea when he wrote: “À l’état normal nous pensons tout bas par des mots mentalement entendus, ou lus, ou prononcés, et ce qui est en nous c’est l’image de tels sons, de telles lettres, ou de telles sensations musculaires et tactiles du gosier, de la langue et des lèvres. (je souligne)[8]” . Paulhan (1886) wrote that lengthy verbal thinking can cause fatigue in articulatory muscles, which implies that inner speech involves somatosensory sensations. According to Lackner and Tuller (1979), overt speech errors can be detected by means of proprioceptive information on articulatory configurations as well as tactile information about labial or lingual contacts. It has been suggested that proprioceptive and tactile feedback play a role in speech motor control (Levelt, 1989; Postma, 2000). It can therefore be speculated that imagined proprioceptive and tactile feedback could be part of inner speech, just as imagined voice is. In addition to the mind’s ear, the “mind’s touch » should also be considered. Neuroimaging studies corroborate this assumption. Several studies reviewed by Perrone-Bertolotti and colleagues (2014) show somatosensory cortex activation during tasks that involve inner speech.

3.3       Visual images

Introspection suggest that the « mind’s eye » also plays a role in inner language. Paulhan (1886) claimed that inner speech may sometimes include visual images. By visual images he meant the form, shape and colour of the letters that compose written words. But other visual elements may also be included.

Recent works on inner verbalisation in deaf individuals suggest that it may contain visual elements related to articulation or sign. Bellugi, Klima, and Siple (1975) compared the properties of short term memory in normal hearing participants and deaf participants whose native language was American Sign Language (ASL). Lists of words were presented to the deaf participants in the visual modality as signs on a videotape. The same words were presented in the auditory modality on an audiotape to the hearing controls. The task was to recall the signed or spoken words and to write them in English orthography. The errors made by hearing subjects were mainly sound-based (e.g. “vote » misrecalled as “boat”). This suggests that hearing subjects had been encoding and remembering the words in terms of their phonological properties. In signing subjects, many substitution errors coincided with words that were visually (not auditorily) close to the target, such as « noon” replaced by “tree,” which corresponds to a similar arm position in ASL. Other behavioural studies of verbal working memory in deaf signers similarly reflect a transfer from the auditory to the visual modality. Wilson and Emmorey (1998) observed a sign length effect in deaf users of ASL, analogous to the auditory word length effect in spoken language. Poorer memory performance was found for long signs compared to short signs, independently of the auditory word length. Manual suppression (repetitive movements of the hands) produced a drop in performance, just like articulatory suppression (repetitive syllable production) disrupts verbal working memory in hearing subjects. These studies suggest that sign language is stored in memory in terms of its gestural properties. Therefore, inner language in deaf signers presumably involves visual representations.

Gestures are not only used in the deaf population. They accompany speech in normal hearers and play a fundamental role in thought and speech (De Ruiter, 2007). Gesture and speech are coordinated to form coherent multimodal messages. Moreover, speech is audiovisual: lip reading enhances speech comprehension when the acoustic signal is degraded by noise (Sumby & Pollack, 1954). Lip reading occurs even with nondegraded acoustic signals, such as in the McGurk effect (McGurk & MacDonald, 1976). This illusionary effect occurs when an auditory syllable (such as /ba/) is synchronously presented with the video of a face uttering a discrepant visual syllable (such as /ga/). Most participants report hearing a syllable corresponding to the fusion of the auditory and visual channels (/da/ or /ða/). Based on this audiovisual integration effect and other studies, it has been argued that auditory and visual speech information include common stages of processing (Nahorna, Berthommier, & Schwartz, 2015). It can therefore be assumed that visual information (facial and manual) may be involved in inner speech, even in hearing subjects. A preliminary work by Arnaud, Schwartz, Lœvenbruck, and Savariaux (2008) provides tentative suggestions that speakers can have visual representations of their own lip movements. More research is needed to confirm that inner language involves visual (labial, facial, manual, written) representations, even in the hearing population.

To sum up, inner verbalising appears to involve the reception of imaginary sensory signals, including auditory, somatosensory and visual elements, handled by the mind’s ear, touch and eye. The format of inner language can therefore be described as multisensory.

3.4       Motor representation

In parallel with the sensory accounts, it has been suggested that inner speech requires motor processes. The earliest claims concerning the motor quality of inner speech probably date back to Erdmann (1851) and Geiger (1868), who, as cited by Stricker (1885), introspectively observed that inner speech is accompanied by feelings of tension in the speech musculature. Bain himself wrote in 1855: “When we recall the impression of a word or a sentence, if we do not speak it out, we feel the twitter of the organs just about to come to that point. The articulating parts, — the larynx, the tongue, the lips, — are all sensibly excited; a suppressed articulation is in fact the material of our recollection.”

Stricker (1885, chapter II) designed a clever introspective exercise to experience this orofacial activity. He hinted that, when one’s mouth is positioned into the rounded shape required to pronounce the sound of an « o, » if one tries to imagine uttering that of an « m, » a slight contraction is felt in the lip muscles, as if one was pressing lips to pronounce the labial sound. Stricker (1885) claimed from several introspective exercises that inner speech is accompanied by sensations in the oral musculature similar to those driving the actual pronunciation of articulated sounds. He introduced the notion of motor representations associated with inner speech and speculated that word representations consist in the awareness of impulsions driven from cerebral speech centres to speech muscles.

In the same vein, Watson (1919) described inner speech (which he referred to as “implicit language”) as a weakened form of overt speech. He explicitly considered inner speech (which he equated with thought) as a “highly integrated bodily activity » (Watson, 1919, 325). According to him, inner speech involves “abbreviated, short-circuited and economised processes” (323), but it is not clear whether he actually postulated that inner speech systematically involves overt movement, or rather motor programs, i.e. simulated actions. The extreme view that inner speech requires actual movement has been refuted by Smith and colleagues (1947). Curare was administered to a healthy volunteer, inducing a temporary skeletal muscular paralysis. Although the volunteer became incapable of mouth movement and of overt speech, he was still aware of the questions asked and was able to correctly report them after recovery. This experiment suggests that some form of inner speech must have been present during muscular paralysis. Therefore, verbal thinking, memory storage and presumably inner speech can take place even when articulation is completely prevented. Thus, the extreme version of Watson’s view cannot be upheld. A more nuanced view, referred to as the Motor Simulation hypothesis, is that inner speech is a mental simulation of articulation, without actual movement. As such, it may feature physiological correlates with recordable physical signals. In this physicalist or embodied view, inner speech production is described as similar to overt speech production, except that the motor execution process is blocked and no sound is produced (Grèzes & Decety, 2001; Postma & Noordanus, 1996). Under the Motor Simulation hypothesis, a continuum exists between overt and covert speech, in line with the continuum between imagined and actual actions proposed by Decety and Jeannerod (1996). This hypothesis has led some authors to claim that inner speech by essence should share features with speech motor actions (Feinberg, 1978; Jones & Fernyhough, 2007). The Motor Simulation hypothesis is supported by empirical findings, including physiological measurements, neural evidence and psycholinguistic data.

Physiological and neural evidence

Objective measurements of respiratory rate, speaking rate, muscular activity and cerebral patterns all suggest that inner speech involves motor processes.

As concerns respiratory rate, Conrad and Schönle (1979) have shown that the respiratory cycle varies along a continuum, from rest to overt speech, via inner speech. During rest, the breathing cycle is symmetrical, with inspiration and expiration phases displaying similar durations. In overt speech, the cycle is strongly asymmetrical with a short inspiration and a long expiration during which speech is emitted. Inner speech is also characterised by a prolonged expiratory phase. They concluded that this modification of the respiratory cycle from rest to inner speech suggests that motor processes are at play during inner speech (see Chapell, 1994, for similar findings).

Speaking rate findings are more debated. As mentioned in Section 2.2, silent recitation has been found to be faster than overt recitation by many researchers. (Anderson, 1982; Korba, 1990; MacKay, 1981; Marshall and Cartwright, 1978, 1980). Some studies of inner speech rate have found similar results for recitation in covert and overt modes, however (Landauer, 1962; Weber & Bach, 1969; Weber & Castleman, 1970). This would suggest that inner and aloud speech may involve common central processes, at least during recitation of stored words, sentences or discourses (alphabet, numbers, pledges). Netsell and colleagues have examined more spontaneous sentence production in both covert and overt modes (Netsell, Kleinsasser, & Daniel, 2016). Participants generated full sentences by saying the first thing that came to their mind. Spontaneous sentence generation involves conceptual preparation and formulation (including morphological, phonological, and phonetic encoding) before articulation can take place (e.g. Levelt, 1989). In inner speech, articulation is inhibited, but conceptual preparation and formulation involve processes that unfold over time. Using spontaneous sentence generation, Netsell and colleagues found that the rate of inner speech (5.8 syllables per second) was significantly faster (5.2 syllables per second) than that of overt speech. But the fact that the difference is relatively small implies that speaking aloud may only differ from inner speech by the additional time needed to overtly articulate, once the speech motor plan is fully designed. As advocated by Netsell and colleagues, more research is needed to provide precise measures of speaking rate during covert and overt speech, and to allow for informative conclusions on the time course of the two processes.

Concerning muscular activity, Stricker’s introspective observation that inner speech is accompanied with muscular contraction finds support from a few electromyographic (EMG) studies during controlled tasks involving inner speech. Using electrodes inserted in the tongue tip or lips of participants, Jacobson (1931) was able to detect EMG activity during several inner speech tasks. Sokolov (1972) carried out surface EMG measurements of lip and tongue muscles. He recorded more intense muscle activation when participants had to perform complex tasks, such as problem solving, which, according to him, necessitated substantial inner speech production. Surface EMG recordings carried out by McGuigan and Dollins (1989) indicated that the lips were significantly active when silently reading the letter “P” (bilabial articulation), but not when reading the letter “T” (alveolar articulation) or a nonlinguistic control stimulus. The reverse pattern was observed for the tongue. The authors concluded that the speech musculature used for overt production of specific phonemes is selectively active in covert production of these phonemes. Livesay, Liebke, Samaras, and Stanley (1996) measured EMG activity in the lips of participants during rest and several mental tasks. They found a significant increase in EMG activity during silent recitation compared to rest, but no increase during non-verbal visualisation. A study on speech muscle activity during dreamed speech using inserted electrodes suggests that the silent (non-phonated) speech that occurs in dream is associated with EMG activity in orbicularis oris and mentalis muscles (Shimizu & Inoue, 1986). Surface EMG activity has also been detected in orbicularis oris during auditory verbal hallucination (which has been described as inner speech attributed to an external source, see Section 2.6) in patients with schizophrenia (Rapin, Dohen, Polosan, Perrier, & Lœvenbruck, 2013). A study by Nalborczyk and colleagues (2017) on induced mental rumination, which can be viewed as a form of excessive negative inner speech (see Section 2.5), has also found an increase in labial EMG activity during rumination compared with a relaxed state. In addition, after rumination induction, an orofacial relaxation session reduced labial EMG activity and had a beneficial (decreasing) effect on mental ruminations. Although more work needs to be carried out to disentangle the factors that modulate lip activity during rumination (negative affects may influence labial activity), this study suggests that the motor system is involved during mental rumination.

A further argument for the motor nature of inner language comes from cerebral patterns. As reviewed in Perrone-Bertolotti and colleagues (2014, see also Perrone-Bertolotti et al., 2016 and Lœvenbruck et al., 2018), covert and overt speech production both recruit essential language areas in the left hemisphere. These include motor and premotor cortex in the frontal lobe including Broca’s area (left inferior frontal gyrus), sensory areas (bilateral auditory areas and Wernicke’s area in superior temporal gyrus), and an associative region, the left inferior parietal lobule, including the left supramarginal gyrus. However, there are differences. Consistent with the Motor Simulation hypothesis and the notion of a continuum between covert and overt speech, overt speech is associated with more activity in motor and premotor cortices than inner speech (e.g. Palmer et al., 2001). Moreover, overt speech more strongly activates sensory areas, and typically auditory areas (Shuster & Lemieux, 2005). This suggests that overt speech includes sensory activation associated with the processing of one’s own uttered speech. Reciprocally, inner speech involves cerebral areas that are not activated during overt speech (Basho, Palmer, Rubio, Wulfeck, & Müller, 2007). Some of these activations (cingulate gyrus, left middle frontal gyrus) can be attributed to the inhibition of overt response. Overall, these findings support the claim that inner speech is a motor simulation of speech, and that, as such, it shares most of the processes dedicated to overt speech production, including motor planning but excluding motor execution. The processes involved in overt speech therefore include those required for inner speech (except for inhibition). Some brain lesion studies support this view: when overt speech is impaired, inner speech is either intact (Baddeley & Wilson, 1985; Vallar & Cappa, 1987) or altered (e.g. Levine, Calvanio & Popovics, 1982; Martin & Caramazza, 1982), depending on the processes impacted.

A few studies have reported a dissociation that goes against this view, however (e.g. Geva, Bennett, Warburton, and Patterson, 2011a; Langland-Hassan, Faries, Richardson, and Dietz, 2015). They found that the patients’ performance in covert speech tasks was poorer than in overt speech tasks. As explained in Lœvenbruck et al. (2018), this dissociation can be explained by limitations in the tasks used. Covert speech was only tested using rhyme judgment, which does not reflect genuine speech production and which may well be easier overtly (even in healthy patients).

Psycholinguistic data

Psycholinguistic data further indicate that motor processes and articulatory representations are part of inner speech production.

As explained in Section 2.2, some researchers have suggested that inner speech is impoverished at the articulatory level. This claim is still debated however, since a phonemic similarity effect has in fact been found by Corley, Brocklehurst and Moat (2011) during tongue-twister production, even in a covert mode. Furthermore, a study by Smith, Hillenbrand, Wasowicz, & Preston (1986) shows that articulatory content influences speaking rate in both overt and covert modes. Certain repeated stimuli required more time to produce because they included articulatorily complex sequences, typically alternations of similar phonemes in the same syllable position (e.g. “wristwatch” longer than “wristband”, because involving two gestures with the same articulator /r/-/w/ instead of two gestures with two different articulators /r/-/b/, which are easier to anticipate and coordinate). The finding that articulatorily complex stimuli also took longer to produce covertly suggests that subphonemic coordination and anticipation principles are at play during inner speech.

Moreover, Scott, Yeung, Gick and Werker (2013) have examined the influence of concurrent inner speech production on speech perception. Scott and colleagues showed that the content of inner speech orients the perception of ambiguous syllables. In a first experiment, they found that ambiguous /ɑ’bɑ/ – /ɑ’vɑ/ sequences were perceived differently depending on the concurrent inner production (more perception of /ɑ’bɑ/ when inner producing /ɑ’bɑ/ and the opposite pull when producing /ɑ’vɑ/). In a second experiment on the same ambiguous syllables, they tested subphonemic effects. They found that inner production of /ɑ’fɑ/ biased perception towards /ɑ’vɑ/, and imagining /ɑ’pɑ/ biased perception towards /ɑ’bɑ/. This suggests that subphonemic content is still present in inner speech. Overall, these findings suggest that, contrary to Oppenheim and Dell’s (2010) findings and in line with Corley and colleagues’s (2011), inner speech can be specified at the articulatory level. A recent fMRI study suggests that inner speech during reading codes detail as fine as voicing (Kell, Darquea, Behrens, Cordani, Keller & Fuchs, 2017). In this study, the number of voiceless and voiced consonants in the silently read sentences was systematically varied. Increased voicing modulated voice-selective regions in auditory cortex. Overall, these data suggest that inner speech may be specified at the articulatory level.

To wrap up the arguments presented in Section 3, the format of some variants of inner language (at least the expanded deliberate form, see Section 2) is both motor and sensory. It can be construed that imaginary acts give rise to multisensory percepts. But these acts themselves could stem from prior sensory goals, as Paulhan hinted in 1886, which could themselves be derived from more abstract representations (condensed inner speech).

4. Neural mechanisms of inner speech: simulation, prediction and the feeling of agency

These many facets of inner language, one of the most significant components of our inner space, can be accounted for when a predictive control perspective is taken. In predictive control accounts, any action is accompanied with a prediction of its sensory consequences. Motor and sensory aspects are thus tightly linked. The “Action” view (Jones & Fernyhough, 2007) and the “Activity” view (Martinez-Manrique & Vicente, 2015) hold that inner language is itself an action. In line with these views, and in the framework of Frith and colleagues’ predictive account of action control (Frith, 1992; Frith, Blakemore & Wolpert, 2000), we have designed a neurocognitive predictive model of the last stage of inner speech production (i.e. articulatory programming: from phonetic goals to the motor program), which accounts for the sensory as well as motor qualities of inner speech (Lœvenbruck et al., 2018).

It can be speculated that predictive control also operates at the earlier stages of inner language production. Hierarchical predictive control has been applied to overt speech control by Pickering and Garrod (2013, 2014). Pickering and Garrod’s model includes pairs of controllers and predictors that use efference copy mechanisms to implement monitoring at each level of speech production (semantics, syntax, phonology). Vicente & Martínez-Manrique (2016) suggest that this type of modelling can be applied to inner language production. In Lœvenbruck (in preparation), I elaborate on these suggestions and I propose a hierarchical predictive control model of language production, from communicative intention to articulatory program, that includes a detailed account of inner speech production (see also Grandchamp et al., in preparation). This model, illustrated in Figure 1, includes semantic, syntactic and articulatory levels.

At the lowest hierarchical level, i.e. articulatory programming, wilful inner speech is considered as deriving from desired phonetic goals, in a heteromodal format that integrates multiple sensory representations. As explained in Lœvenbruck et al. (2018), these desired goals are transformed into motor commands by a controller (or “internal inverse model”). The motor commands are inhibited and their efference copy is assigned as input to a predictor (or “simulator”, “forward internal model of the vocal apparatus”) that generates simulated acts, which themselves provide predicted multisensory percepts (voices, somatosensory sensations, facial visemes). These predicted percepts unfold over time. The inner voice in wilful, expanded inner speech, precisely consists of these predicted signals. This simulated experience occurs earlier than the actual experience would, which explains why inner speech may take shorter to be delivered than overt speech (see Section 2.2). An integrator transforms these multisensory percepts into a heteromodal representation. A comparison between predicted heteromodal states and desired phonetic goals provides an error signal which can be used to monitor inner speech. It has been claimed that the comparison between desired goals and predicted states also contributes to the sense of agency, of feeling in control of one’s inner speech (Rapin et al., 2013, 2016, revised from Frith, 1992). If desired and predicted states match, then the perceived stimuli are self-generated. A defect in this mechanism can explain the phenomenon of auditory verbal hallucination. If the prediction is faulty, there is no match between predicted and desired states, agency is defective and the inner voice (predicted experience) can feel alien.

At the higher levels, the predictors are not simulators of the vocal apparatus (contrary to Pickering & Garrod’s account), because there is no physical apparatus to simulate. Instead, I speculate that predictors are computational procedures that transform one type of mental representation into another. Comparisons between desired and predicted states play a role in monitoring at each level in the hierarchy. They presumably also play a role in agency.

At the formulating level (syntax-phonology encoding), the desired pre-verbal message is transformed into a phonetic plan by a controller. A predictive transformation converts this plan into a predicted pre-verbal message, which can be compared with the desired pre-verbal message. If the prediction does not match the goal, then the controller receives an error signal and is adjusted, and the lower (articulatory planning) level is affected (i.e. before articulatory programming even takes place).

Similarly, at the conceptualising level, a predicted communicative intention is generated by the highest controller-predictor pair in the hierarchy. This prediction is compared with the original desired communicative intention. If they do not match, then the controller can be adjusted and lower levels in the hierarchy are affected.

A hierarchical predictive model of speech production, inspired from suggestions by Haruno et al. (2003), Pacherie (2008), Pickering & Garrod (2013) and Duffau et al. (2014).

As shown in Figure 1, following suggestions and models by Indefrey (2011), Guenther and Vladusich (2012), Hickok (2012) Tian and Poeppel (2013), Duffau and colleagues (2014), I speculate that the articulation level engages the auditory cortex (posterior superior temporal gyrus, superior temporal sulcus), as well as the somatosensory cortex (anterior supramarginal gyrus and primary sensory cortex, in parietal lobe), together with the temporo-parietal junction, cerebellum, left inferior frontal gyrus, insula, supplementary motor area, ventral premotor cortex and lower primary motor cortex (see Lœvenbruck et al., 2018). Similarly, I propose that the formulating level involves the arcuate fasciculus, left inferior frontal gyrus, posterior part of the temporal lobe and of the superior longitudinal fasciculus and posterior middle temporal gyrus. Finally, the conceptualising level presumably engages the dorsolateral prefrontal cortex, orbito-frontal cortex and temporal pole.

This hierarchical model accounts for the difference between wilful and spontaneous inner speech. Wilful inner speech consists of predicted multisensory percepts that unfold over time and that result from computations of pairs of controller and predictor models, all through the hierarchy, down to the lowest articulatory level. Spontaneous inner speech (unbidden thoughts) is subjectively more evanescent and tenuous. I speculate that it corresponds to mere desired sensory states, deriving from higher levels (semantic and syntactic). In that case, inner speech production is cut short before articulatory programming. Therefore, the sensory states are not transformed into simulated acts and their predicted sensory consequences, resulting in a more fleeting experience. I further assume that during wilful inner speech, top-down executive signals may be issued in prefrontal cortex to launch the last prediction mechanism as well as well as to inhibit motor execution. These signals are hypothesized to be absent in spontaneous inner speech, hence the absence of simulated acts and their predictions. The absence of a prediction itself makes for the weaker feeling of agency which characterizes spontaneous inner speech (Gallagher, 2004). As this model shows, the predictive control mechanism, when functional, therefore contributes to creating the rich sensory qualities of inner speech, as well as the feeling of agency, of awareness of our wilful verbal thoughts. Flaws in the prediction or in the comparison processes could explain the disruption in agency observed in auditory verbal hallucination. Further research needs to be carried out to better describe how top-down signals and comparator mechanisms at different hierarchical levels all contribute to agency.

Conclusion

Inner language takes a significant part of our inner space, with many beneficial outcomes, which span from improving cognitive performance to contributing to autonoetic consciousness. It can become excessive (in verbal rumination), and even run amok (in auditory verbal hallucination) thus becoming detrimental, and engendering suffering and functional disability. The integrated approach presented here, in which inner language is conceived of as a multimodal act with multisensory percepts, offers interesting insights into the various forms of beneficial and detrimental inner language. But many issues still need to be resolved. A deeper understanding of how the oscillations between wilful and spontaneous forms of inner language may enhance cognitive performance could help people with high concentration needs. It could also be beneficial to the understanding of verbal rumination as well as auditory verbal hallucinations. In addition, although many of the subcomponents of inner language production can be associated with specific neural networks (see Section 4), several operations remain ill-described. It is still unclear which networks process the outcomes of the comparisons supposed to occur after predictions are made at each level and how an efficient cognitive control mechanism might integrate these outcomes. More research is needed also on the processes by which we can generate inner speech with someone else’s voice. Do we have a predictor for each of the voices we know?

In summary, although an integrative neurocognitive model, gathering findings from introspection and empirical works, can shed light on the format of inner language, many issues are far from resolved. I believe that endeavouring to further combine introspective efforts with objective behavioural and neurophysiological measurements, should help to better portray our inner linguistic space.

Acknowledgements

This research was funded by the ANR project INNERSPEECH [grant number ANR-13-BSH2-0003-01], http://lpnc.univ-grenoble-alpes.fr/InnerSpeech. I sincerely thank my colleagues Lucile Rapin, Marion Dohen, Pascal Perrier, Monica Baciu, Marcela Perrone-Bertolotti, Romain Grandchamp, Jean-Philippe Lachaux, Ladislas Nalborczyk, Mircea Polosan, Stéphanie Smadja, Ernst Koster, Elsa Spinelli who contributed to many of the ideas and hypotheses developed in this paper. I also thank Anne Vilain, Maëva Garnier, Luciano Fadiga, Cédric Pichat, Yanica Klein, Laurent Lamalle, Jean-Luc Schwartz, Irène Troprès, Christopher Moulin, Agustin Vicente, Peter Langland-Hassan, Charles Fernyhough and Ben Alderson-Day for helpful suggestions and discussions.

À propos de l’auteur

Hélène Lœvenbruck, Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition (LPNC), UMR CNRS 5105, Université Grenoble Alpes.

Hélène Lœvenbruck est chargée de recherche au CNRS en Langage et Cognition et a reçu la médaille de bronze du CNRS en 2006 pour ses travaux sur les corrélats neuraux du pointage verbal. Ingénieure en traitement numérique de l’information, titulaire d’un DEA de sciences du langage et d’un doctorat en sciences cognitives, elle s’inscrit dans une démarche interdisciplinaire pour étudier trois fonctions essentielles du langage : la fonction communicative, la fonction cognitive d’élaboration et d’expression de la pensée, et la fonction métacognitive d’autonoèse. Elle mène dans ce but des expérimentations neurocognitives avec des adultes, des enfants et des nourrissons, chez des participants sains et pathologiques, sur trois axes principaux : (i) la prosodie et le pointage multimodal, (ii) le développement multimodal du langage chez les enfants typiques et les enfants présentant des troubles du langage ou de l’audition, (iii) le langage intérieur, les ruminations mentales et les hallucinations auditives verbales.

Hélène Lœvenbruck is a CNRS researcher in the field of Language and Cognition. She was awarded a bronze medal from the CNRS in 2006 for her work on the neural correlates of prosodic pointing. She received the engineering degree in electronics, signal processing, and computer science from the Institut National Polytechnique de Grenoble, a master’s degree in phonetics and a PhD in cognitive sciences from Grenoble University. She develops a interdisciplinary approach to explore three essential functions of language: the communicative function, the cognitive function of thought construction and expression and the metacognitive function of autonoesis. To this aim, she conducts neurocognitive experiments on adults, children and infants, in healthy as well as pathological populations, along three main axes: (i) prosody and multimodal pointing, (ii) multimodal language development in typical children and children with language or hearing impairments, (iii) inner language, mental rumination and auditory verbal hallucination.

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ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XVIII


[1] At every moment, the soul is speaking its thought internally. This fact, ill-recognized by many psychologists, is one of the most important elements of our existence. It accompanies nearly all of our acts; the series of interior words forms a nearly continuous succession, in parallel with the succession of other psychic facts; it thus retains, in itself, a considerable part of our consciousness.

[2] No wakeful activity is unaccompanied by some interiorised sound, be it pre-sleep nonsense, a foolish old man’s reminiscing, brooding or a music earworm, and no oneiric activity either.

[3] “when speaking too quickly the tongue gets tangled up”.

[4] “endophasia does not seem to differ from explicit speech, neither by its grammar, nor its lexicon, except perhaps in a generalised use of asyndeton, anaphora and an over-representation of predication”.

[5] The term lemma in Levelt and colleagues’ terminology refers to the word’s syntax, see Levelt et al. (1999). It is different from the lexeme which denotes the word’s phonological features and from the lexical concept which refers to the word’s semantics.

[6] “Inner speech has the appearance of a sound.”

[7] “The characteristics of speech [rhythm, pitch, intensity, timbre] (…) are all found in inner speech. ”

[8] In the normal state, we silently think with words that are mentally heard, read or uttered, and what is inside of us is the image of certain sounds, of certain letters, or of certain muscular and tactile sensations in the throat, tongue and lips. (emphasis is mine)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




Lecture incarnée et endophasie : avec quel corps (genré) habite-t-on The Sun Also Rises de Hemingway et The Aspern Papers de Henry James ?

I started out trying to beat dead writers that I knew how good they were. (Excuse vernacular) I tried for Mr Turgenieff first and it wasn’t too hard. […] Mr Henry James I would just thumb him once the first time he grabbed and then hit him once where he had no balls and ask the referee to stop it.

–Ernest Hemingway (lettre à Charles Scribner, 1949)

Hemingway contre Henry James… Un combat de boxe fantasmé, où Hemingway nie la virilité de son adversaire (he had no balls) et lui refuse l’honneur de l’affrontement (ask the referee to stop it). En réalité, c’est sur le ring de l’écriture que les deux auteurs américains se font face. S’ils ont tous deux vécu en expatriés, tous deux écrit sur l’Europe, sur ses villes et ses campagnes, du point de vue du style, tout les oppose : d’un côté, les phrases courtes et drues d’un Hemingway minimaliste qui reprend les codes d’une parole hyper-masculinisée ; de l’autre, les formules longues et rusées de James qui, dans leur élégance, seraient moins viriles. Comment ces styles modulent-ils la voix intérieure du lecteur, cette voix qui suit les inflexions du texte ? Et dans quelle mesure le texte littéraire, en modulant ainsi la voix intérieure du lecteur, lui fait-il endosser un corps marqué par les normes régulant l’identité de genre, normes anatomo- et biopolitiques (Foucault 1994) définissant les standards de la masculinité et de la féminité ? Ces normes influencent-elles la manière dont le corps genré, que secrète la voix intérieure du lecteur, habite les espaces écrits par James et Hemingway ?

L’objectif de cet article est d’expliciter les a priori qui se cachent derrière l’opposition simplificatrice entre le style « viril » de Hemingway et celui plus « féminin » de James, en étudiant la forme que ceux-ci donnent à la voix intérieure du lecteur et, à travers elle, comment ils disposent de son corps genré, le faisant déambuler –ou non– dans les rues de Paris ou de Venise, aux côtés des héros-narrateurs de The Aspern Papers (James 1888) et de The Sun Also Rises (Hemingway 1926). À travers cette enquête, nous verrons comment la question de la parole intérieure est à même de renouveler la manière dont nous pensons la lecture littéraire, son articulation aux normes de genre et sa capacité à nous immerger dans des espaces textuels. Nous nous pencherons tout d’abord sur la manière dont Hemingway relie masculinité et style littéraire en se positionnant face à Henry James, avant de nous intéresser à la construction d’un corps empathique autour de la voix intérieure du lecteur, voix dont le rythme, notamment respiratoire, module notre manière d’habiter les espaces du texte.

Le tournant du XXe siècle est un moment clé pour étudier les formes que prend, au sein de la culture américaine, la masculinité. Celle-ci y est en effet mise en crise par l’émergence et la structuration de mouvements féministes toujours plus importants (Kimmel 1996). Les femmes se négocient alors une place dans des espaces socio-professionnels que le siècle précédent leur interdisait, et font face à la critique, par exemple celle que le jeune Henry James adresse, dans une chronique parue en 1865, au roman de Harriet Prescott, Azarian: An Episode, en raison de son style, qu’il juge excessivement fleuri (donc en des termes proches de ceux que Hemingway utilisera à son égard, un demi-siècle plus tard), un style trop romantique alors que l’heure serait au réalisme et à sa vision « scientifique » du monde, développée par des auteurs masculins que James admire, tels que Balzac et Mérimée (Boyd 2017, 118-120). Le style littéraire devient donc ici l’enjeu d’un affrontement entre masculinité et féminité, tels qu’ils se conçoivent en cette seconde moitié du XIXe siècle.

Ce dénigrement d’un style qui serait trop féminin n’est cependant pas nouvelle puisque, comme nous le rappelle la poétesse et historienne Anne Carson (1995, 119), la Grèce antique critique déjà la volubilité excessive et la voie aiguë de la femme : pour Aristote, les créature braves et justes (lions, taureaux, coqs et hommes) ont toutes des voix graves. La voix, incluant la voix intérieure, est toujours produite à l’interface d’une vie individuelle et collective (Michlin 2005, 197), elle est marquée par la place qu’elle occupe au sein de divisions socio-économiques, raciales et de genre, place qui limite ou amplifie sa légitimité au sein du paysage discursif et sonore que nous habitons (d’où la célèbre question que pose Gayatri Spivak en 1983 : « le subalterne peut-il parler ? »). Si James critique l’écriture de Prescott dès 1865, c’est peut-être avec le naturalisme (Stephen Crane, Jack London) et ses évocations de la sociabilité et de l’amitié masculines, que la littérature américaine devient le lieu d’une construction spécifique de la masculinité moderne (Town 2004). Chez Crane et chez London, l’écriture et la vie littéraire permettent de remplir le vide nostalgique laissé par la fin de la conquête de l’Ouest, qui implique la disparition (symbolique) d’un certain héroïsme. Le naturalisme américain s’intéresse ainsi à des usages particuliers de l’espace (l’aventure masculinisée contre la domesticité féminisée), une configuration que nous retrouverons chez Hemingway. Ce dernier hérite en effet de cette nostalgie d’un monde permettant le déploiement d’une certaine masculinité, et cherchera à développer un style, une voix qui reflète cet idéal.

Cette recherche se manifeste notamment dans les commentaires machistes de Hemingway à propos de James. Dans une lettre à son ami peintre Waldo Peirce, datée du 13 décembre 1927, Hemingway évoque une lecture à haute voix d’un texte de James, que lui aurait fait sa seconde femme, Pauline :

Pauline has been fine and has read Henry James (The Awkward Age) out loud–and knowing nothing about James it seems to me to be shit. […] the men all without exceptions talk and think like fairies except a couple of caricatures of brutal « outsiders. » (Hemingway 1981, p. 266)

Ce jugement de qualité littéraire (seems to me to be shit),  Hemingway le prononce au nom du caractère efféminé des voix et des pensées des personnages de James, ici qualifiés de « tantes » (fairies ; comprendre : homosexuels). Il n’est pas étonnant de retrouver chez cet auteur un tel entrelacement du stylistique et du masculin et ce, dès 1927, un an après la publication de The Sun Also Rises et deux ans avant celle de A Farewell to Arms. Cet entrelacement sera en effet central à sa carrière d’écrivain, placée sous le signe « viril » de la vitalité, de l’authenticité et de l’esprit aventurier. Chasseur, boxeur, reporter de guerre, marié successivement à quatre femmes, Hemingway s’efforcera tout au long de sa vie d’incarner au mieux les formes visibles de ce que Robert Connell (1995) nomme la masculinité hégémonique (notamment militaire et sportive), nous proposant une performance genrée qui, dans son exagération, se trouve à la limite du camp (voir l’essai classique de Susan Sontag, Notes on Camp, publié en 1966, et, plus récemment, la discussion du straight camp par le cinéaste Bruce LaBruce, 2012). Par son caractère spectaculaire, cette performance de la masculinité révèle son caractère construit, artificiel mais aussi (et donc) artistique, lorsqu’elle se transpose avec génie dans le domaine de l’écriture. Par son articulation stylistique, la masculinité se libère paradoxalement des normes sociales et devient un objet esthétique (Worden 2011, 107). Comme le gay camp dynamise l’écriture d’un Oscar Wilde ou le cinéma d’un John Waters, le straight camp apparaît comme un style de vie, un mode d’existence et une sensibilité qui nourrit l’écriture de Hemingway, et oriente la manière dont la lectrice s’incorpore cette écriture, la manière dont elle lui donne voix, intérieurement.

Le côté camp, excessif et affecté, du rôle viril joué par Hemingway apparaît également dans des lettres plus tardives, adressées à son éditeur Charles Scribner, et dans lesquelles il fait aussi référence à James. Comme dans la lettre citée en épigramme, avec son combat de boxe imaginaire, Hemingway relie, dans cette correspondance de 1950, performance du genre et style littéraire. Il y raconte une journée mouvementée et festive, passée à Fossalta di Piave, la commune vénitienne où il aura été blessé à la jambe le 8 juillet 1918, alors qu’il officie comme infirmier pour la Croix-Rouge :

I do not imagine this is the type of life which would have agreed with Henry James but fuck all male old women anyway. He wrote nice but he lived pretty dull I think too dull maybe and wrote too nice about too dull. (Hemingway 1981, p. 703)

L’écriture de James, que Hemingway juge trop gentille et ennuyeuse (wrote too nice about too dull) est ici encore associée à un manque de vigueur et de virilité (fuck all male old women anyway) qui contraste avec l’esprit baroudeur, bourlingueur (évoqué ici sous le vocable « the type of life ») que s’attribue l’auteur de Men Without Women (1927). Cet esprit ne définira pas uniquement la manière dont Hemingway vit, mais également celle dont il écrit ; il informe son style minimaliste si particulier, qui changera la face de la littérature américaine au XXe siècle.

C’est cette transposition littéraire qui nous intéressera ici, et ses effets sur le corps empathique du lecteur (j’emploie ici le terme « empathie » dans le sens que lui donne son inventeur, le psychologue Edward Titchener, qui traduit ainsi en 1909 le concept allemand d’Einfühlung en évitant les tonalités émotionnelles du terme « sympathie », et en soulignant le caractère essentiellement sensori-moteur du phénomène ; voir Jorland 2004). Ce corps empathique se construit autour de la voix intérieure de lecteur, et lui permet d’habiter les univers textuels dans lesquels il s’immerge, comme un scaphandre permet au plongeur d’explorer les fonds marins. Nous nous pencherons sur les formes que ce corps sonore et spatial prend chez Hemingway (actives et conquérantes) et James (contemplatives). Mais auparavant, il nous faudra clarifier le fonctionnement de la voix intérieure du lecteur, et la manière dont celle-ci sollicite son corps sensori-moteur. Pourquoi l’adhésion de notre voix intérieure à un style littéraire particulier implique-t-elle une mise en phase plus globale de notre corps avec les configurations sensorielles et motrices véhiculées par ce style ?

Comme la musicienne interprète une partition, suivant avec son instrument les contours de la mélodie qui s’y trouve inscrite, la lectrice interprète le texte à travers sa voix intérieure. Le style du texte, sa prosodie, son registre et son ton impriment alors à sa parole intérieure ordinaire des formes littéraires plus ou moins inouïes. Des formes porteuses d’états affectifs et sensoriels, évoquant les cris, les pleurs et les rires, les grognements et les gémissements, les essoufflements qui collent à la langue et au corps parlant depuis nos toutes premières expériences vocales. Comme la voix du poupon donne une forme sonore à ses passions corporelles (faim, fatigue, contentement), l’écriture d’un James ou d’un Hemingway propose des manières d’être au monde, des configurations sensori-motrices particulières. Comment la lectrice empathique adopte-t-elle ces états de corps, et plus particulièrement ceux liés à l’expérience de l’espace, à travers sa voix intérieure ?

Dans sa « Nota sobre (hacia) Bernard Shaw », publiée en français en 1957, Jorge Luis Borges écrit : « un livre est plus qu’une structure verbale, ou qu’une série de structures verbales ; il est le dialogue engagé avec le lecteur, une intonation imposée à sa voix, et les images changeantes et durables qu’il laisse dans sa mémoire » (p. 244 – je souligne). Ne serait-ce donc pas cette intonation imposée à la voix du lecteur qui véhiculerait l’expérience imaginaire, ces « images changeantes » qui s’actualisent avec plus ou moins d’intensité lors de la lecture, et qui relèvent de toutes les modalités sensorielles : images visuelles, bien sûr, mais aussi images sonores, gustatives et olfactives, images tactiles, proprioceptives, musculaires et viscérales. Des décennies de recherches sur la cognition incarnée (voir Dokic et Perrin 2017, ou Shapiro 2010 pour un aperçu), menées notamment en neuropsychologie et en philosophie de l’esprit, ont démontré que ces « images changeantes » reposent sur des simulations neuronales des actions et des sensations qui les constituent. Par exemple, un lecteur comprendra le récit d’une course épuisante en activant les patrons sensori-moteurs normalement actifs lorsqu’il court (Holt et Beilock 2006), mais dans une version atténuée et inhibée, de telle sorte que, sans qu’il se mette à courir réellement, on pourra détecter des activations neuromusculaires au niveau de ses jambes (voir par exemple Decety et al. 1991).

Comme le suggère Borges, cette sollicitation empathique du corps de la lectrice passe par la subvocalisation et le partage de la voix ou de l’intonation. Le texte littéraire donne une forme particulière à notre appareil phonatoire, à notre souffle, à notre langue, et, par là, à notre corps imaginant (simulant) des situations perceptives et affectives, des situations qui n’échappent pas aux discours régulateurs des identités de genre (Butler 1990) : un texte nous mettant dans la peau d’un ouvrier du bâtiment fan de foot et de voitures sports (!) ne nous invitera pas à simuler les mêmes images sensori-motrices (ni ne nous imposera les mêmes intonations) qu’un récit narré par une assistante maternelle qui passerait sa vie à se maquiller… Nous verrons maintenant comment les recherches menées en neuropsychologie de la lecture et de l’endophasie nous permettent de mieux comprendre le lien entre voix intérieure et corps empathique, et la manière dont ce lien module notre expérience spatiale des univers construits par James et Hemingway.

1. Neuropsychologie de la voix intérieure : une question lexicale et rythmique

Dans son ouvrage de 2007, Les Neurones de la lecture, Stanislas Dehaene explique que la lecture implique presque toujours deux voies parallèles et complémentaires : celle de la conversion des graphèmes (signes écrits) en phonèmes (unités de son, qui mobilisent donc la voix intérieure) et celle de la reconnaissance lexicale directe (54). Selon Dehaene, des mots familiers, reconnus rapidement, se passent plus facilement de l’articulation intérieure que des mots plus rares, qui seront plus fréquemment prononcés intérieurement, en amorce de leur traitement sémantique. Qu’en est-il dans The Aspern Papers et The Sun Also Rises, deux courts romans narrés à la première personne par leur protagoniste principal ?

Publié en 1888, alors que James est au milieu de sa carrière littéraire, The Aspern Papers met en scène un critique américain, obsédé par le poète romantique (fictif) Jeffrey Aspern, et qui tente de s’emparer des lettres d’amour que ce dernier aurait écrit à Juliana Bordereau, qui est maintenant plus que centenaire et qui s’est retirée dans son palazzo vénitien avec sa nièce Tita, protégeant jalousement ces lettres des regards profanateurs des curieux. Le héros-narrateur (jamais nommé, et à travers lequel le récit est entièrement focalisé) va donc élaborer un stratagème pour s’emparer de ces « papiers » : espérant séduire la nièce et convaincre Juliana, il loue pour l’été une partie du palazzo des Bordereau. Dans l’extrait suivant, notre critique littéraire s’y est installé depuis quelques semaines, et attend l’occasion de se lier d’amitié avec Tita. Il décrit ici ces jours passés dans le jardin :

I had an arbor arranged and a low table and an armchair put into it; and I carried out books and portfolios (I have always some business of writing in hand), and worked and waited and mused and hoped, while the golden hours elapsed and the plants drank in the light and the inscrutable old palace turned pale and then, as the day waned, began to flush in it and my papers rustled in the wandering breeze of the Adriatic. (183)

Si on reprend le modèle de Dehaene, où les mots plus rares ont tendance à pousser le lecteur vers la conversion graphème/phonème et donc vers la subvocalisation, on peut penser que l’écriture de James, d’une grande richesse lexicale (arbor, portfolios, elapsed, inscrutable, waned, Adriatic), sollicitera la voix intérieure du lecteur. Nous verrons bientôt quel type de corps se constitue à travers cette voix intérieure. Pour l’instant, contentons-nous de comparer le vocabulaire jamesien avec celui de The Sun Also Rises.

L’extrait suivant porte également sur une expérience spatiale, celle d’un déplacement en taxi à travers la Rive gauche parisienne. Dans ce premier roman, publié en 1926, le héros-narrateur Jake nous entraîne de Paris à Pampelune (en Espagne), en quête d’une vie pleine et festive malgré une blessure sexuelle reçue pendant la guerre (Jake est donc impuissant ; il suggère d’ailleurs, dans une conversation avec son ami Bill, que « Henry » –Henry James– aurait été victime d’un accident similaire, 178). Dans ce passage qui se trouve au tout début du roman, nous sommes à la fin d’une tournée de bars bien arrosée, et Jake fait une promenade en taxi avec la séduisante Brett, l’aristocrate britannique dont il est amoureux (malheureusement amoureux, car impuissant) :

The taxi went up the hill, passed the lighted square, then on into the dark, still climbing, then leveled out into a dark street behind St. Etienne du Mont, went smoothly down the asphalt, passed the trees and the standing bus at the Place de la Contrescarpe, then turned onto the cobbles of the Rue Mouffetard. There were lighted bars and late open shops on each side of the street. We were sitting apart and we jolted close together going down the old street. Brett’s hat was off. Her head was back. I saw her face in the lights from the open shops, then it was dark, then I saw her face clearly as we came out on the Avenue des Gobelins. The street was torn up and men were working on the car-tracks by the light of acetylene flares. Brett’s face was white and the long line of her neck showed in the bright light of the flares. The street was dark again and I kissed her. Our lips were tight together and then she turned away and pressed against the corner of the seat, as far away as she could get. Her head was down. (106)

Mis à part les toponymes (St. Etienne du Mont, Place de la Contrescarpe…) et certains termes plus techniques (asphalt, cobbles, acetylene flares), les mots qu’emploie Hemingway sont plutôt courants, et solliciteraient donc moins la subvocalisation. En passant directement par la reconnaissance lexicale, le lecteur aurait tendance à parcourir plus rapidement le texte, mimant ainsi les déplacements constants du narrateur à travers la ville. Cette rapidité provient également du rythme des phrases qui accumulent les verbes (went, passed, leveled, went, passed, turned) pour un seul sujet (taxi), créant une succession de mouvements saccadés, notamment dans l’énumération qui ouvre le passage. La répétition des termes (dark street, street, saw, dark, saw, street, street, dark) favorise également la reconnaissance lexicale. Mais ce rythme rapide et ces répétitions, s’ils accélèrent la lecture, créent aussi une musique particulière qui peut nous pousser à porter attention à l’aspect sonore de la phrase, incitant ainsi à la subvocalisation.

Nous reviendrons à ces deux extraits, mais rappelons d’abord que cette subvocalisation n’est pas une activité purement cérébrale, abstraite et séparée de la vie du corps parlant. Nous l’avons mentionné plus haut, la parole intérieure active, de manière atténuée, l’appareil vocal et articulatoire qui entre en action lors de la parole à haute voix. Cette mobilisation de l’appareil phonatoire, des muscles des lèvres, de la langue, de la gorge et du système respiratoire, est révélée par de nombreuses études (Grèzes & Decety 2001 ; Jones & Fernyhough 2007) que présente Hélène Loevenbruck en partie 3.4 de sa contribution au présent numéro. Le caractère incarné de la parole intérieure influence notamment son tempo, comme l’a démontré une équipe de psycholinguistes (Smith et al. 1986), qui a observé qu’elle était généralement plus rapide que la parole extérieure (qui, elle, doit aller jusqu’au bout du processus phonatoire), mais que la difficulté de prononciation d’un mot à haute voix ralentissait de façons congrue sa prononciation intérieure (par exemple, en anglais, wrist-watch sera plus long à prononcer que wristband, à haute voix comme en voix intérieure). Un virelangue (tongue twister) sera ainsi également difficile à prononcer à haute voix que silencieusement.

Un texte dont la prononciation est laborieuse, ou au contraire fluide, mettra donc plus ou moins à l’épreuve le corps parlant du lecteur. Qu’en est-il dans les extraits précédents ? Si, du point de vue lexical, le style de Hemingway semble limpide, servant une syntaxe qui suit un rythme rapide, ce rythme est syncopé, haché par les répétitions, la ponctuation, et l’extrême concision des syntagmes. La voix intérieure du lecteur est tenue en alerte par ce rythme qui lui impose une intonation (pour reprendre l’expression de Borges) haletante (The taxi went up the hill, passed the lighted square, then on into the dark, still climbing, then leveled out…). En contraste, la phrase jamesienne s’écoule avec fluidité, portée par les conjonctions (and worked and waited and mused and hoped, while the golden hours elapsed and the plants drank in the light and the inscrutable old palace turned pale). Cette musicalité nous berce, et repose l’appareil phonatoire du lecteur. Un tel repos dispose le corps du lecteur à la contemplation esthétique, à une perception libérée de toute action, comme celle par laquelle le héros-narrateur déguste ces après-midi dorés, caressé par la brise de l’Adriatique. Le style jamesien nous invite à nous détendre avec ce personnage narrateur, à entrer avec lui dans une temporalité itérative et routinière, au sein d’un espace clos et domestiqué (I had an arbor arranged and a low table and an armchair put into it; and I carried out books and portfolios…). Au contraire, chez Hemingway, la scène ne se produit qu’une fois, et se constitue d’une succession d’instants (I saw her face in the lights from the open shops, then it was dark, then I saw her face clearly…). Cette succession, en passant par la voix intérieure du lecteur, lui donne un corps en mouvement, un corps qui perçoit activement son environnement.

Ces rapports distincts à l’espace, produits par des intonations particulières imposées à la voix de la lectrice, nous permettent-ils de mieux comprendre les a priori genrés qui motivent les commentaires de Hemingway à propos de James ? Par son lexique précieux, ornemental, James nous invite à savourer chaque mot, comme un promeneur dans un jardin s’arrête de fleur en fleur. Sa syntaxe mélodieuse nous invite à habiter tranquillement cet espace domestique sensuel, où les déplacements sont rares, tellement rares que le narrateur y tourne en rond, attendant une rencontre fortuite avec les Bordereau. L’énumération (…and worked and waited and mused and hoped…) nous berce, nous immerge dans un quotidien empreint d’une certaine douceur. Est-ce cette configuration que Hemingway rejette comme un style trop gentil (wrote too nice) servant des thèmes trop ennuyeux (about too dull), configuration qui dénoterait un manque de vigueur et de virilité (fuck all male old women anyway) ? Il est en tous cas certain que l’énumération, chez Hemingway, est plus nerveuse, décrivant des mouvements précis, non pas dans un espace domestique mais dans un espace public, toponymique, cartographique (rue Mouffetard, Avenue des Gobelins…) parcouru à toute vitesse et décrit de manière plus factuelle que sensuelle. Le corps du lecteur, corps phonatoire et empathique se déplaçant dans le Paris nocturne, n’est pas invité à la contemplation, mais à rester sur le qui-vive. Le style minimaliste de Hemingway nous entraîne ainsi dans une cavalcade moderniste, urbaine, où l’éclairage artificiel (lighted bars… I saw her face in the lights from the open shops, then it was dark… the light of acetylene flares) alterne brusquement avec l’obscurité. Contrairement au style évocateur de James, tout semble décrit ici de manière frontale et directe… Pourtant, un aspect crucial de cette scène est évoqué de manière indirecte et délicate : les émotions du héros-narrateur, son amour pour Brett et la souffrance que son impuissance lui cause dans de telles circonstances. La litote (ou ce que Hemingway appelait la « théorie de l’iceberg ») joue ici un rôle essentiel : le lecteur doit inférer, derrière l’accumulation de faits, tout ce qui est de l’ordre de l’affectif. Ce style, qui maîtrise activement, objectivement l’espace urbain et impose à la voix intérieure du lecteur un rythme saccadé porteur d’un corps dynamique, apparaît comme la performance d’une parole hyper-masculinisée, performance à la limite du straight camp qui aura fait émerger le minimalisme dans la prose américaine (puisqu’en poésie, Emily Dickinson (1830-1886) est déjà minimaliste). Nous avons vu que cette performance passait par une modulation du rythme de la lecture. Ce rythme possède aussi une dimension respiratoire, qui dispose le corps du lecteur empathique, et va conditionner son immersion dans des espace imaginés.

2. Moduler la respiration du lecteur

Le rythme respiratoire est essentiel en poésie, mais il joue également un rôle dans notre expérience de la prose. Ce rythme est porteur d’états de corps : une respiration qui s’accélère est liée à une intensification d’un état émotionnel (colère, passion…), sensoriel (douleur…) ou moteur (effort physique), alors que la décélération et la régularité sont associées à la relaxation et au repos. Chez le nourrisson, mais aussi en musique ou en poésie, une voix qui augmente en puissance ou en hauteur est liée à une intensification de l’effort expressif et à l’intensité de l’émotion (Sessions, 1941, p. 105 -109). Or, la voix intérieure module notre rythme respiratoire, comme l’ont démontré Conrad et Schönle (1979, étude présentée par Lœvenbruck 2018, partie 3.4). Ces chercheurs ont en effet observé que, lors d’épisodes endophasiques, le rythme respiratoire s’apparentait à celui de la parole à voix haute plutôt qu’à celui du repos. Au repos, le cycle respiratoire est symétrique, avec des phases d’inspiration et d’expiration de longueur comparable. Mais lorsque nous parlons, ce rythme devient asymétrique, avec de courtes inspirations et de longues expirations qui nous permettent d’émettre une variété de phonations. On peut ainsi penser qu’une écriture qui ménage peu, trop, ou juste assez de pauses créera des effets d’essoufflement ou au contraire de respiration régulière et aisée. Ces états respiratoires contribuent à moduler l’expérience que le lecteur fait des espaces décrits par le texte.

Examinons dans cette perspective un dernier extrait de The Aspern Papers, que nous comparerons ensuite avec un passage de The Sun Also Rises. Vers la fin de la novella de James, le narrateur décrit Venise, qu’il s’apprête à quitter, ayant pratiquement renoncé à s’emparer des lettres d’Aspern :

I don’t know why it happened that on this occasion I was more than ever struck with that queer air of sociability, of cousinship and family life, which makes up half the expression of Venice. Without streets and vehicles, the uproar of wheels, the brutality of horses, and with its little winding ways where people crowd together, where voices sound as in the corridors of a house, where the human step circulates as if it skirted the angles of furniture and shoes never wear out, the place has the character of an immense collective apartment, in which Piazza San Marco is the most ornamented corner and palaces and churches, for the rest, play the part of great divans of repose, tables of entertainment, expanses of decoration. And somehow the splendid common domicile, familiar, domestic, and resonant, also resembles a theater, with actors clicking over bridges and, in straggling processions, tripping along fondamentas. (248-249)

Comme dans l’extrait précédent, qui évoque les moments que passe le narrateur dans le jardin des Bordereau, nous suivons ici la description d’un rapport quotidien à l’espace, et non d’une scène unique. Cet aspect habituel, confortable, apparaît bien sûr dans l’imagerie domestique qui domine le passage (corridors of a house, furniture, collective apartment), mais également par la construction élégante et équilibrée des phrases qui rythme la respiration de manière assez lente, quoique possiblement retardant le souffle du lecteur par l’accumulation de propositions (where people crowd together, where voices sound as in the corridors of a house, where the human step circulates). Cette respiration paisible correspond à la position de spectateur réceptif qu’adopte le narrateur. Par ailleurs, le rapport au lieu est indirect (et donc apaisé car évitant la confrontation) : il passe en effet par l’intermédiaire de la métaphore domestique (as in the corridors of a house […] as if it skirted the angles of furniture). Ce caractère indirect, ces énumérations quelque peu labyrinthiques (in which Piazza San Marco is the most ornamented corner and palaces and churches, for the rest, play the part of great divans of repose, tables of entertainment, expanses of decoration) peuvent entraver et ralentir notre respiration, entraînant notre voix intérieure vers des formes inhabituelles, littéraires, hors du quotidien, créant un corps habitant un monde esthétisé (transformé en spectacle à contempler), un monde domestiqué.

Chez Hemingway, ce n’est pas la ville qui devient domestique, mais au contraire la vie intime qui se fond dans celle de l’espace public. À la fin de la soirée lors de laquelle il aura fait un tour de taxi avec Brett, le héros-narrateur rentre chez lui :

I went out onto the sidewalk and walked down toward the Boulevard St. Michel, passed the tables of the Rotonde, still crowded, looked across the street at the Dome, its tables running out to the edge of the pavement. Some one waved at me from a table, I did not see who it was and went on. I wanted to get home. The Boulevard Montparnasse was deserted. Lavigne’s was closed tight, and they were stacking the tables outside the Closerie des Lilas. I passed Ney’s statue standing among the new-leaved chestnut-trees in the arc-light. There was a faded purple wreath leaning against the base. I stopped and read the inscription: from the Bonapartist Groups, some date; I forget. He looked very fine, Marshal Ney in his top-boots, gesturing with his sword among the green new horse-chestnut leaves. My flat was just across the street, a little way down the Boulevard St. Michel. (110)

Cette description circulaire, qui commence et se termine avec la destination du narrateur (Boulevard St. Michel), se fait, comme la précédente, sur un rythme assez rapide, décrivant des actions et des perceptions de manière objective (bien que nous ayons ici droit à deux marques de subjectivité : I wanted to get home […] He looked very fine). La succession de propositions factuelles, définitives, de moments présents (I went out onto the sidewalk and walked down toward the Boulevard St. Michel, passed the tables of the Rotonde, still crowded, looked across the street at the Dome), crée ici encore un rythme haché que la voix intérieure suit, haletante. Ce caractère haletant, essoufflé du lecteur empathique renforce son impression de déambuler avec le narrateur qui, contrairement à celui de James, use ses chaussures sur les pavés de la ville. Et alors que James compare Venise à un théâtre, c’est ici le domaine militaire qui est évoqué (He looked very fine, Marshal Ney in his top-boots, gesturing with his sword), inscrivant le lieu dans une histoire masculine. The Sun Also Rises, par le rythme enlevé qu’il imprime à la voix intérieure de la lectrice, la dote d’un corps en action, tendu vers un but, qui traverse énergiquement les espaces du roman sans se soucier des contraintes sociales (I did not see who it was and went on). Au contraire, chez James, c’est à travers un corps contemplatif, construit par le rythme posé de son écriture, que nous nous immergeons dans un espace urbain domestiqué.

3. En guise de conclusion : influence de la persona de l’auteur et construction du style vocal

J’aimerais terminer avec quelques observations générales concernant l’impact que peut avoir le style de Hemingway et de James sur la voix intérieure du lecteur, sur son immersion spatiale et sur la manière dont cette configuration stylistique et spatiale s’inscrit dans une performance de la masculinité.

Dans son article, Hélène Loevenbruck (partie 2.3) évoque une étude de Alexander et Nygaard (2008) qui démontre que nous lirons plus rapidement un texte si nous avons été exposés à la voix rapide de son auteur, et que nous le lirons plus lentement si nous lui connaissons au contraire une diction lente. Notre voix intérieure semble donc imiter le style vocal que nous attribuons à l’auteur. À l’inverse, notre accent régional module notre voix intérieure, qui fera par exemple rimer ou non certains mots (Filik & Barber 2011). Il semble donc que notre interprétation vocale d’un texte résulte d’une négociation entre le caractère propre de notre voix et les formes prosodiques et phonologiques associées à un texte, qu’elles soient inscrites directement dans son écriture même, ou qu’elles soient associées de manière paratextuelle à celui-ci (connaissance de la voix de l’auteur, ou de l’idiolecte ou sociolecte parlé par un personnage, par exemple). L’image publique d’un auteur, sa persona, influence donc la manière dont nous interprétons vocalement ses textes. Les attitudes plus ou moins masculinisées de Hemingway ou de James vont donc informer notre manière de donner voix à leurs textes.

Si notre connaissance de la persona de l’auteur, ou notre accent régional module notre voix intérieure lors de la lecture, cette même lecture peut en retour modifier notre manière de parler intérieurement. Les recherches nombreuses menées sur l’apprentissage d’une langue seconde montrent que la manière dont nous parlons change en fonction de notre parcours géoculturel et social, ainsi que du contexte. Dans son article, Loevenbruck (partie 1.1) passe en revue des études de psycholinguistique (notamment Resnik 2018) qui montrent que la parole intérieure, chez les expatriés, se transforme en fonction des années de vie à l’étranger et des modalités de l’usage de la deuxième langue, qui peut finir par remplacer, dans la parole intérieure même, la langue maternelle. On peut penser, avec Gabriel Bergounioux (2004), mais aussi Smadja et Paulin (2018) que la littérature peut aussi jouer sur cette malléabilité remarquable, et que, par exemple, un lecteur obsédé par Proust, lisant et relisant A la recherche du temps perdu tout au long de sa vie, finira par voir sa parole intérieure prendre des formes proustiennes, et se développer une sensibilité proustienne, un corps proustien. Cela sera tout aussi vrai d’une lectrice assidue de Hemingway ou de James, qui intégrera peut-être son style lexical, syntaxique et le style perceptif (voire moteur) qui l’accompagne.

Parce qu’elle impose à notre voix intérieure des formes qui échappent en partie au quotidien, la littérature permet d’endosser temporairement des états de corps différents de ceux que nous imposent les discours et les pratiques qui régissent notre identité de genre et la manière dont nous apprenons à habiter l’espace (« marcher comme un homme », « s’assoir comme une femme », etc.). C’est donc l’étrangeté constitutive de la littérature, l’extériorité de ses formes phonologiques et articulatoires, rythmiques et prosodiques imposées à nos voix intérieures qui est porteuse de son potentiel à déstabiliser les normes de genre auxquels nous sommes soumis. Si on peut critiquer l’hyper-masculinité que campe Hemingway dans ces lettres (injurieuses) et dans son style, ou s’ennuyer avec l’écriture de James, qui serait trop affectée, ces œuvres contrastées nous permettent de prendre conscience des a priori genrés concernant nos manières d’habiter l’espace (l’association traditionnelle entre, d’une part, masculinité, activité et espace publique et, d’autre part, féminité, passivité et espace domestique). Mais, au-delà de cette prise de conscience et du jugement moral qu’elle implique, ces textes nous invitent à adopter des manières variées d’habiter l’espace, le temps d’une lecture, grâce au corps empathique que constitue notre voix intérieure. Ainsi, s’immerger dans les styles de James et de Hemingway, c’est faire l’expérience d’une diversité sensori-motrice qui élargit notre monde et ses conceptions étriquées du genre.

Ouvrages cités

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ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XVIII

 




Hors dossier. Limitations in Experimental Method in Balzac’s La Peau de chagrin

When considering questions of epistemology or the theory of science in Balzac’s La Peau de chagrin, it is tempting to focus on the text’s many descriptions of science as an institutional artifact of Balzac’s time period. A few examples will serve to briefly highlight this aspect of the text. As the main character Raphaël’s despair increases in inverse proportion to his fateful skin’s size, he resorts to a cross-section of practicing scientists in his quest to reverse the skin’s progressive disappearance. His first step is a visit to a zoologist (La Peau, 230-235) whose “rhetorical overkill” complete with “empty explanations” (Thiher, 50) seems to track a number of the naturalist Buffon’s ideas and verbose style. This initial meeting culminates in a referral to a professor of mechanics who, in conjunction with a colleague, vainly submits the skin to a compression device (La Peau, 245). In a final effort to alter the skin, Raphaël seeks out the help of a chemist, whose attempts to alter the skin either by razor or acid bath (La Peau, 247-248) prove just as fruitless as his predecessors’ in the task. In a final parodic turn, the chemist is left only to ask Raphaël, “Gardons-nous bien de raconter cette aventure à l’Académie, nos collègues s’y moqueraient de nous” (La Peau, 248). The traditional sciences, then, seem both incapable of making the transition from the theoretical to the applied, and of escaping the rigors of an established institution that incentivizes the non-disclosure of anomalous results. This is science as historically-based, culturally-bound, and curiously, anti-scientific. It is also science in a struggle with the apparently supernatural as it would seem to fall beyond the materialist, empirical scope of the field (Goulet).

Raphaël’s later consultations with four of the finest medical minds in Paris only serve to expand Balzac’s parody of science. Three of the four physicians, the text clarifies, adhere to a medical système. Maugredie – whose name is a clear reference to the early experimental physician and mentor of Claude Bernard, Magendie – tracks his real-life model inasmuch as he “ne croyait qu’au scalpel” (La Peau, 256). Brisset and Caméristus each subscribe to different vitalist systems – the former, Bichat’s[1], and the latter, Van Helmont’s archea. Joining the three système physicians is Bianchon, a young colleague whose future career promises to build “le monument pour lequel les siècles précédents ont apporté tant de matériaux divers (La Peau, 255). Yet despite the diversity of opinions and quantity of expertise, the doctors are no more effective than the theoretical scientists. After taking only “une apparence d’intérêt” (La Peau, 254) in their patient, they reach the fairly routine consensus that Raphaël requires treatment by leaches, a change in diet, and a stay at the baths in Auvergne or Savoie (La Peau, 261-62). Here, again, the practice of an ostensibly scientific field is shown to be quarrelsome as an institutional matter and feckless in its palliative charge. Even at this high level, Balzac’s parody of the science of his times is clear[2].

Yet to focus solely on the parodic presentation of scientific practitioners in La Peau de chagrin is to ignore a deeper and more fruitful epistemological instability in the text. This textual instability depends on a question that is never answered in the text – specifically, does the skin actually have an effect on its ill-fated owner? The most obvious response to this question is an affirmative one. Raphaël acquires a skin that clearly states the conditions of its ownership – the skin will realize any desire of its owners, but in so doing, will shrink in lockstep with the remaining days of the owner’s life. This serves as a statement-function, to use Popper’s language (52), which need only have a specific term – or here, person – inserted into its terms to become a statement that is at least theoretically falsifiable. One may argue over whether this categorization is the best fit under Popper’s theory, but the latter characteristic – falsifiability – is the more relevant criterion in an investigation of the efficacy of the titular peau de chagrin. And indeed, the remainder of La Peau de chagrin does not ostensibly seem to bring about such a falsification of the skin’s statement-function. Whenever and whatever Raphaël wishes seems to be granted to him – he initially desires a bacchanalian feast which happens almost exactly as he imagines it. He seeks monetary fortune and finds himself declared the sole legal heir to a deceased maternal uncle’s estate (La Peau, 194). He desires to win a duel when challenged at the baths where he is recovering, and wins the duel despite possessing supposedly poor aim and firing randomly (La Peau, 277). And with each of these desires granted, the skin seems to shrink. The terms of the contract at least appear fulfilled, or at the least, not falsified.

As Popper would be the first to note, however, not falsified is not the logical equivalent of verified, leaving another potential response to the question of the skin’s efficacy. It is equally possible – as Allen Thiher points out – that the skin has no effect whatsoever on Raphaël’s existence (48). Under this line of reasoning, each of the purportedly granted wishes above was merely the result of circumstances unrelated to the enchanted skin[3]. Raphaël was alternately lucky to attend a wild party and inherit millions, and unlucky to die at a young age of an apparent case of tuberculosis. The skin may have shrunk during this time period, but it did so independently of anything that was happening to Raphael. This proposal would run counter to much of the science of Balzac’s time, which, according to Bachelard (La formation, generally), relied heavily on variety, conjecture, and coincidence rather than experimental method. Lending credibility, or at least, feasibility, to this reading skeptical of late XVIIIth and early XIXth century science are certain minor details. Even before Raphaël acquires the skin, his trip to the gambling house finds him in a sorry state of health that doctors “auraient sans doute attribué à des lésions au cœur ou à la poitrine le cercle jaune qui encadrait les paupières, et la rougeur qui marquait les joues.” (La Peau, 14). Perhaps medical opinions are not worthy of full faith and credit in the text, as discussed above; but there is already evidence in this passage – before Raphaël’s first wish – of the very symptomology that the four physicians would later observe, if not cure. Hypothetically, the disease might have developed in exactly the same way in the absence of the skin. Still other timing curiosities call the efficacy of the skin into question. Immediately after Raphaël’s acquisition of the skin, he happens upon his friends who will take him to his desired party. Their almost immediate comment to Raphaël: “nous te cherchions” (La Peau, 47), allows us to think that the search for Raphaël could well have begun prior to Raphaël’s possession of the skin, meaning that the party that he was to attend would have occurred independently of his wish to celebrate excessively. A similarly non-synchronized detail marks the announcement of Raphaël’s inheritance, where the functionary delivering the news declares that he has sought Raphaël for fifteen days – undoubtedly far longer than the party that Raphaël has just attended immediately after acquiring the skin. So unless one is willing to grant the skin powers over Raphaël even before he knew that it existed, there is at least a feasible reading that the events of the story would have occurred in exactly the same way had Raphaël not acquired it. Raphaël simply would have pursued the final months of his life while the skin separately shrunk amid the bric-à-brac of a Parisian boutique.

Much like its primary character, the question of whether the skin has an effect seems to subsist in a liminal state of purgatory. But where Raphaël’s existential limbo pits his apparent power over his surroundings against his will not to use such power, the skin’s effect is relegated to a zone of falsifiability without actually being falsified. Either of the two interpretations of the skin, as causal factor or merely coincident phenomenon, remains a valid possibility. What is interesting about the skin’s equivocal nature is why the question of causation or mere coincidence is never resolved. After all, Raphaël shows interest in observing the process of the skin’s gradual disappearance. Perhaps his observations could have (or should have) led to a more scientific understanding of the skin’s behavior. Yet such observations remain fruitless, a result due in part to Raphaël’s insufficient approach to his role as a scientific experimenter or observer. To demonstrate such insufficiency, Raphaël’s experimental technique may be compared, by way of anticipation, to Claude Bernard’s later model of experimental medicine outlined in Introduction à l’étude de la médecine expérimentale (which first appeared in 1865). By this measuring stick – and others – like Bachelard’s theory of obstacles épistémologiques, Raphaël’s shortcomings as experimenter become clearer. Raphaël is hopelessly relegated to a space of experimental indeterminacy, where conflation between object and subject cannot help but lead to a Heisenbergian reading of Balzac’s text.

Even upon his first attempt at experimentation in La Peau de chagrin – the initial encounter with the allegedly enchanted skin, Raphaël’s surroundings already evoke Bachelardian epistemological obstacles consistent with the esprit préscienfitique. Amid the bric-à-brac of the Parisian boutique, he is first shown the skin, but only after a lengthy tour of the store’s curiosities, which draw their origins from seemingly all points of the globe and all time periods in human history. The items on display span pipes and weaponry; sculptures and paintings; random machines, slippers, and idols (La Peau, 23). The view of these spectacles cannot help but affect their spectator:

La vue de tant d’existences nationales ou individuelles, attestées par ces gages humains qui leur survivaient, acheva d’engourdir les sens du jeune homme, le désir qui l’avait poussé dans le magasin fut exaucé : il sortit de la vie réelle, monta par degrés vers un monde idéal, arriva dans les palais enchantés de l’extase où l’univers lui apparut par bribes et en traits de feu, comme l’avenir passa jadis flamboyant aux yeux de saint Jean dans Pathmos. (La Peau, 24-25)

Here is a moment that simultaneously encapsulates numerous hindrances to the development of scientifically based knowledge[4]. The first is the distinction between variety and variation (Bachelard, La formation, 36). Where the latter is the proper object of scientific inquiry within the bounds of a single set of related phenomena, the tant d’existences evidenced by the artifacts surrounding Raphaël suggest the former only – an overflowing, turbulent pre-scientific variety that prizes excess over precision. Such variety is not the target of objective study, but the site of concentrated interest. That the existences nationales ou individuelles are attested by so many gages humains only supplements the play of variety here. Access to the historical moment and place of the creators of these artifacts is strictly forbidden; a speculative leap of the imagination alone can bridge the gap between object and prior existence. The initial variety in the artifacts themselves thus feeds an additional cycle of generative variety, at a level even farther removed from the concrete and observable. The text terms the décor of the boutique a chaos d’antiquités (La Peau, 24), but such chaos is far from consonant with a post-thermodynamic sort of chaos. Chaos in the latter sense means a noisy channel propagating error and an associated passage to a state of disordered equilibrium – similar to a sort of chaos underpinning David Bell’s description of le hasard as the unstructured sort of chance limiting knowability in Balzac’s texts (156-57). While Bell’s point is fundamentally applicable here in that the specter of pure, irreducible randomness could present an alternative explanation for Raphaël’s ultimate failure as experimenter, chaos in this specific case means something very different. Here is the continual generation of information without payment in energy – Carnot’s or Clausius’s burning of an imperfectly efficient energy source (Duhem, L’évolution, 411) recast (or pre-cast) as an entire universe seen in strokes of fire. The probability-based, tripartite structure of cloud/dike/downpour that characterizes a cataract’s fall (Mehlman, 22) is supplanted by a progressive flaming climb par degrés to a higher state of energy and consciousness.

There is, however, a temptation to view this progressive internal climb as a sort of metaphor for the advancement of knowledge. In this respect, one might evoke François Jacob’s image of science as “partiel[le]” and “provisoire” (11) or Bernard’s view that even if phenomena are subject to rigorous determinism, the theories describing them are not so assured (371). These images directly index the limits of human knowledge in developing theoretical constructs, but they implicitly speak to the continual possibility of advancement and improvement in a particular construct. As Bernard states, theories are “toujours mobiles” and “toujours perfectibles” (371). Bernard emphasizes this point when proposing an ostensibly Comtean or positivist set of three ages that characterize the evolution of medicine. Where Comte proposes the theological, metaphysical, and positivist ages (59), Bernard offers the Hippocratic, the passive empirical, and the active experimental (355, for example). In each system, it is the third age that represents the most perfected stage in an evolutionary process. This perfected period marks a passage from the speculation of metaphysics or the système of the empiricist to the monde idéal of order and progress for Comte and perfected experimental method for Bernard. At its asymptotic limit, the latter development moves from mere medical practice to the absolute and certain description of a real phenomenon. This final stage surpasses an artificial boundary where theoretical science is no more than a rationalist construct that reflects its human creators more than its natural objects (Bachelard, Le nouvel esprit, 5-7). With Bernard, experimental medicine’s accurate knowledge of determined phenomena reflects something like Duhem’s “classification naturelle” (La théorie physique, 53-54) or Lamarck’s “ordre naturel” (241, for example)[5]. When revelations of this order are reached – in a curious combination of logic, observation, and faith – a metaphorical curtain is pulled back, and the universe begins to appear, just as in Raphaël’s case, where “l’univers lui apparut par bribes.” Supplementing this similarity is a passage from the present to the future for both Raphaël and the experimental scientist. For one and the other, the future shifts from the indeterminate to the knowable and predictable, be it in Raphaël’s flames or Bernard’s absolute certainty in a cure. Through these parallels between Raphaël’s internal reaction to the boutique and certain models of scientific progress, what might be cast as pure reverie in the former case would actually seem to offer a potential reflection of the latter.

A more compelling argument rejects such similarities between Raphaël’s boutique experience and perfected, realist scientific modeling, however. It may be noted in this respect that Lamarck’s ordre naturel and Duhem’s classification naturelle each function in a marginal space informed as much by theology as scientific inquiry. For Lamarck’s construct, there is never a question that it owes its origin to a “Sublime Auteur” (650); Newton generally retained a deity in his scientific edifice both because a deity was needed to regulate the energy of the universe and lest he be seen as seeking final causes rather than scientific relations (Koyré, 273-276, 285). Duhem, for his part, is compelled to go to great lengths to prove that his theory of physics is entirely unrelated to his personal Catholic faith (La théorie physique, 373-423). Still Duhem acknowledges that the existence of a classification naturelle is a matter of faith for the practicing physicist. Raphaël’s vision and ecstasy in the boutique falls in this same liminal space, where an evocation of Saint John of Patmos, the author of the Biblical book of Revelation, informs, and perhaps overwhelms, the development of empirical knowledge. This is, indeed, a revelation, and not a mere observation. Yet the relationship between legitimate scientific inquiry and Raphaël’s ecstasy in the boutique is more than a simple matter of theologically-tinged worldview. Again, traces of Bachelard’s epistemological obstacles may be observed here in a direct similarity between Raphaël’s ecstasy and the traditional practice of alchemy. For the alchemist – and Balzac separately describes the life of one in La recherche de l’absolu – the synthesis of precious metals was only one part of experimental practice. Bachelard observes that alchemy is as much an initiation to an order with its own ritualistic structure (La formation, 56-59). This structure is based on a profound equivalence between the internal meditations of the alchemist and the set of symbols that can be applied to the external world. A realization of the alchemist’s goal is not only possible; it is ever realized by virtue of the alchemist’s participation in the symbolism and process of alchemy. In this way, the alchemist is at all times both unsuccessful due to an expectation that may never be achieved[6], and successful precisely because that hopeful expectation is a necessary aspect of alchemy. Assisting the alchemist in navigating these poles is a scale of symbols advancing in perfection that serve as a double for a series of intimate meditations. In view of this background, Raphaël’s moment of ecstasy in the boutique is less a tribute to the perfectibility of scientific knowledge and more the result of a collapsed process of alchemy. The set of external symbols surrounding Raphaël in the boutique numb (engourdir) his empirical senses and trigger a turn inward, where the increasing complexity and variety of the artifacts parallels the increasing perfection of the degrés vers un monde idéal. Here is the internal scale that each alchemist must climb, the necessary state that is at once process and realization, or for Raphaël, ascent and pinnacle. Truth, for the alchemist as for Raphaël in this passage, is a reconciliation of his own nature and the nature of the universe (Bachelard, La formation, 60). The evocation of that universe seen in fire only heightens the parallel in view of the importance of the fiery “element” to the alchemist’s process.

As a catalyst for a figurative move upward in his scientific revelation, the turn inward for Raphaël, away from the empirical, recalls an important potential dichotomy in Balzac’s texts, between realism and romanticism, explored by a number of commentators. Andrea Goulet, for example, has argued that Balzac’s texts straddle these opposing tendencies, with the scientific side of Balzac captured in a progressive move to the empirical, materialist, and realist, away from the visionary, supernatural, and intangibly abstract that remains beyond the scope of scientific inquiry. If Balzac’s texts exceed the space of realism, those points of excess are necessarily outside the space of scientific inquiry, and can even be likened to “mumbo-jumbo” (Goulet, 48). Other commentators have persuasively questioned this strict dichotomy. Thomas Klinkert, for example, views Balzac’s work in Louis Lambert and La Peau de chagrin as organizing a triangular relation between science, poetry, and mysticism, with the former two combining synthetically to produce the third. Mysticism associated with visionary romanticism is not a non-scientific space, it is an outgrowth of science itself. In fact, Klinkert probably does not go far enough in his characterization, as Balzacian science is not merely a generative counterpoint to poetry feeding towards mysticism. Balzacian science often seems to surpass the limits of traditional scientific or experimental method to espouse a mystical or animist view of the epistemological quest, within the bounds of science. This is precisely Göran Blix’s view, which explicitly rejects Goulet’s dichotomy in favor of just such an inclusion of the apparently supernatural as a proper element of scientific inquiry. To this point, Blix cites Ursule Mirouët as an example of the normalization of the supernatural, where a Mesmerist séance leads to a description by a seer, at a distance, of empirically verifiable facts, not Swedenborgian visions of angels and demons (268). The very concept of a séance yielding tangible results supports Blix’s arguments in a manner which he does not directly highlight – if Bergson argued in L’énergie spirituelle that scientific skepticism regarding paranormal activity was misplaced due to such activity’s falling outside the bounds of scientific testability, Balzac in Ursule Mirouët would propose that Mesmerism actually renders the supernatural testable. Balzac’s texts do not reflect a dichotomy between the realist-scientific and the romantic-unscientific; science is capable of an all-encompassing view, even if scientifically observable and verifiable phenomena remain difficult to explain, couched in the language of imponderable magnetic fluids.

Raphaël’s decision to apply scientific techniques to a purportedly enchanted skin, then, is not misplaced. The achievement of that epistemological goal is complicated, however, both by the object of experimentation and by Raphaël’s mental state, which, as he first approaches the skin, is entirely consonant with the esprit préscientifique. That state only persists as he conducts his first experimental activities on the skin. When first confronting the skin, Raphaël is immediately struck by its seemingly supernatural luminosity in the midst of a boutique then darkened in dying twilight. This provokes an initial examination of the skin:

Cependant, animé d’une curiosité bien légitime, il se pencha pour la regarder alternativement sous toutes les faces, et découvrit bientôt une cause naturelle à cette singulière lucidité : les grains noirs du chagrin étaient si soigneusement polis et si bien brunis, les rayures capricieuses en étaient si propres et si nettes que, pareilles à des facettes de grenat, les aspérités de ce cuir oriental formaient autant de petits foyers qui réfléchissaient vivement la lumière. Il démontra mathématiquement la raison de ce phénomène au vieillard, qui, pour toute réponse, sourit avec malice. Ce sourire de supériorité fit croire au jeune savant qu’il était dupe en ce moment de quelque charlatanisme. (Balzac, La Peau 39)

This indeed seems légitime, both as a matter of the curiosity provoked by the skin and the method by which Raphaël analyzes it. If Bernard’s challenge, as a successor of Newton’s, was to reduce all phenomena to the predictable due to their inherent determinism, Raphaël would seem his forerunner in this scene. The skin’s unusual luminosity is an unknown at first; but upon closer inspection of the tissue, Raphaël is able to reduce if to a sort of if x, then y functional or deductive relationship, a scientific normalization of the purportedly supernatural. If, among other things, a skin has a particular texture and has been polished in a particular way, then the skin’s ability to capture and reflect light is a certainty that can be demonstrated mathématiquement. This much can be shown without violating one of the central tenets of scientific inquiry – the prohibition on seeking the final causes of a given phenomenon (see generally Duhem, Sauver les apparences). Raphaël thereby avoids treating the curiosity of the skin either as an aspect of the tissue somehow exceeding experimentation or as motivation to discern some divine or diabolical intervention.

Yet the last two sentences of this passage fundamentally invert this initial appeal to experimental normality. This observation first turns on the text’s use of the word mathématiquement. Raphaël’s demonstration does not result in a chemical, physical, biological, or mechanical certainty; it is a mathematical certainty. The reduction of a phenomenon to mathematical proof underscores the connection between Raphaël’s methodology and the philosophy of Descartes. It may be recalled in this respect that Descartes’ foundation in proposing the cogito is a profound doubt as to the nature of his existence and surroundings. The text alludes precisely to this doubt when Raphaël first encounters the elderly shopkeeper who will show him the skin, “pendant le rapide intervalle qui sépara sa vie somnambulique de sa vie réelle, il demeura dans le doute philosophique recommandé par Descartes” (La Peau 33). Even without going too deeply into Descartes’ interpretation of sleep versus waking states (let alone an interval between the two states), it may be argued that Cartesian doubt is as much a touchstone for Balzac in La Peau de chagrin as it was for Descartes himself. Precisely because Descartes possessed this doubt, he could readily prove to himself that he at the very least existed (La recherche, 90-91). Having established his existence through doubt, Descartes was able to move beyond this point, thanks to divine intervention, to prove to his own satisfaction that the material world surrounding him was not presented in error. That Raphaël remains [demeura] in a state of doubt begins to highlight the impossibility of such a transition to certainty. Even here, the chain of Cartesian logic is broken, some tie to the empirical is needed, as Goulet would highlight, and may be missing. Returning to the use of the word mathématiquement to describe Raphaël’s initial proof of the skin’s luminosity, the initial break in the chain later proves a more fundamental inversion of the Cartesian progression. As the Fifth Meditation highlights, Descartes’s doubt had its limits, most notably as regards what Descartes deemed immutable truths. Figuring prominently among such truths are mathematical formulae and geometric relations (Méditations 159-161). So when Raphaël is able to make a mathematical showing as to the character of the skin, he is proposing an immutable, abstract truth not limited by the instabilities of the chemical or the mechanical. He is initially able to pass from doubt to certainty in the same manner as Descartes. Yet the next sentence flips the polarity of this relation, as Raphaël worries “qu’il était dupe en ce moment de quelque charlatanisme.” This sentence sounds a retreat to original doubt. Perhaps a simultaneous shift from an abstract truth to a concrete illusion, and from the mathematical to the chemical or mechanical, explains this retreat. Yet mathematical proofs in Descartes’ view should not be susceptible to such shifts, least of all due to some charlatanism, and all, in Descartes’ view was susceptible to quantification and reduction to very few essential characteristics like figure, division, and movement (Œuvres, 179). The better reading of this passage, instead, is a chiasmatic inversion of Cartesian thought. Where Descartes moves from profound doubt to abstract mathematical certainty and truth, Raphaël moves from abstract mathematical certainty and truth to profound doubt. Coincident with the initial appearance of the skin, the text undermines the very foundations of experimental and scientific logic and method.

If the initial encounter with the skin effects a fundamental inversion in Cartesian methodological practice, Raphaël’s experimental attempts, once he has the skin in his possession, tend to illustrate further limitations in his method. This much may be shown as early as his first attempt to observe empirically the purported effect that his desires have on the skin’s surface area. At that moment, Raphaël has enjoyed a long night of celebration – possibly the very party that he had wished for – and expansively recounted his earlier life to his friend Émile. As he and Émile express an interest in observing the possible shrinking of the skin as a reply to Raphaël’s desire for monetary fortune, Raphaël:

animé d’une adresse de singe, grâce à cette singulière lucidité dont les phénomènes contrastent parfois chez les ivrognes avec les obtuses visions de l’ivresse, sut trouver une écritoire et une serviette, en répétant toujours : — Prenons la mesure ! Prenons la mesure !
— Eh ! bien, oui, reprit Émile, prenons la mesure !
Les deux amis étendirent la serviette et y superposèrent la Peau de chagrin. Émile, dont la main semblait être plus assurée que celle de Raphaël, décrivit à la plume, par une ligne d’encre, les contours du talisman, pendant que son ami lui disait : — J’ai souhaité deux cent mille livres de rente, n’est-il pas vrai ? Eh bien, quand je les aurai, tu verras la diminution de tout mon chagrin. (La Peau, 189-90)

As with Raphaël’s initial inquiry into the unusual luminosity of the skin, Raphaël’s technique when attempting to discern the behavior of the skin here seems to withstand at least cursory scrutiny. To draw these two experimental scenes together does not seem misplaced, due to a critical equivalence between the scenes – each repeats the particular phrase “singulière lucidité.” While we shall return to this unusual equivalence below, we may begin by observing again how Raphaël’s method superficially compares favorably to Bernardian experimental technique. For Bernard, experiments structure around a passage from sentiment to reason to experiment (74). The first of these three steps precedes any testing itself, and reflects the mere development of a more emotional or intuitive idée préconçue (Bernard, 57, for example). It is this idea or hypothesis that serves not as a rigid frame into which experimental results are to be forced, but as a baseline to be measured in view of observed experimental results. So far, so good for Raphaël at the outset of this passage, as he comes in with just such an idée préconçue – the idea that the skin will shrink while granting his wishes. The next step for Bernard is the application of reason in the development of the hypothesis and its related experiment. Depending on the scope of the latter, very little “reason” may be needed. Bernard favorably notes an experiment conducted by Pascal involving no more than two barometric measurements taken at the top and bottom of the Tour Saint-Jacques (57). Such limited observation may suffice to begin to demonstrate the set of relations between the objects and phenomena that form the basis of the experiment. Once again, Raphaël’s technique here is in line with this experimental design as a matter of reason. If it is believed that the realization of a desire will somehow cause a skin to shrink, it is reasonable to follow Pascal’s lead and take two measures – for Raphaël, one before realization of the wish and another following.

Yet with the shift to the third stage of Bernardian experimental technique, the experiment itself, the fissures in Raphaël’s approach begin to show. For it is not Raphaël, but his friend Émile who traces the initial plot of the skin. He might be a less partial observer with a steadier hand; but the image of this latter hand, disembodied as it were in its own clause above, suggests yet another of Bachelard’s obstacles, the unconscious. An undue focus on symbols associated with the unconscious – precious metals or disembodied hands – may speak to an inability on Raphaël’s part to conduct an empirical observation. Only amplifying the force of Émile’s hand tracing the skin is its likeness to the Biblical image of the hand applying the fatal inscription to Belshazzar’s wall[7]. The idée préconçue for Raphaël is not a baseline to be accepted or rejected according to empirical results or application of the experimental method; it is the fatal commitment of a hypothesis to ink-bound, immutable truth. The third experimental stage is not an experiment at all, but a resignation to predetermined future events. Raphaël’s comment at the end of the passage reinforces this – a summary of the wish and a sentence using two future tense verbs – aurai and verras – to cast the mechanism of the skin as a necessarily closing loop.

To whatever extent a judgment might even be possible when assessing the outcome of Raphaël’s experiment, such a judgment necessarily will suffer from another critical limitation – the lack of experimentum crucis. The latter is an experiment that will serve as an additional and final proof of a hypothesis. Such experiments will often take the form of a process of elimination that sieves the universe of hypotheses until only one remains (Duhem, La théorie physique, 263-266). Bernard proposes such an elimination by resort to a contre-épreuve, a scenario where the change in a critical experimental condition brings a corresponding change in experimental outcome (114-15). The findings of the original experiment are, in Bernard’s estimation, thereby proven as the changed phenomenon is responsible for the changed outcome. This is a particularly potent technique in cases where the number of hypotheses is limited. If we imagine that a given experiment admits only two hypotheses, for example, two experiments would suffice to establish a contre-épreuve and resolve all unknowns. Interestingly, perhaps, this theory reduces actual experiment in a science like physics or chemistry to the mere mathematical question of solving a system of equations – as long as there are more experiments (or in the algebraic case, equations) than unknowns, all unknowns can be discovered (or the system can be shown to have either no or infinite solutions). If Duhem and Bernard notably disagree on the very possibility that an experimentum crucis might occur, Duhem seems to have theory in his favor in holding that such an experiment is impossible outside of pure mathematics. Where a certain number of mathematical equations will always suffice to solve (or demonstrate that there is either no or an infinite solution) for the same number of variables, physical, chemical and biological conditions are not so easily reduced to a limited number of rigid interactions due to the fundamentally stochastic nature of what is measured. In Duhem’s view, hypotheses related to real-world phenomena can be multiplied ad infinitum, so the elimination of one or many will never lead to a single remaining truth to the exclusion of all others (Duhem, La théorie physique, 265-66). Under either Duhem’s or Bernard’s view of the experimentum crucis, Raphaël’s technique promises no absolute results. Taking Bernard’s view, it would be necessary for Raphaël to change an experimental condition that would change the experimental outcome. This would require the impossible – the complete removal of the skin from his life. To be probative, this would require a parallel, non-existent Raphaël to refuse the skin initially and continue to live his life (that is, not commit suicide after leaving the boutique) in the skin’s absence. It would then be possible, under this Bernardian experimentum crucis, to determine if Raphaël’s premature aging and demise are the result of the skin. Even in this view though, Raphaël’s experimentation will not lead to certain results. Yet we might also reject the possibility of an experimentum crucis more generally in light of Duhem’s view. The necessary complexity of the two systems involved – Raphaël’s physiology and the bizarrely luminescent, ever-shrinking skin – make for highly indeterminate and changing conditions that would seem to surpass any distillation to two simple hypotheses. And as in the introduction above, if those hypotheses posit either a causal or a coincidental relation between the skin’s behavior and Raphaël’s existence, there remain a near infinite number of possible combinations and permutations of relations to supplement these two over-general possibilities. By accepting the possibility of an ever-growing series of hypotheses, no experimentum crucis would ever be possible for Raphaël, even in the Bernardian sense of the term.

Still other complications prevent Raphaël from conducting effective experimentation on the skin and his relation to it. One is Raphaël’s continual passage from the exercise of a particular type of human reason to behavior consistent with other categories in zoological taxonomy[8]. In the scene above, he behaves with an adresse de singe, thereby shifting from the group bimane to the group quadrumane, according to Lamarck’s taxonomy (297-98). Even for the latter zoologist, who as a precursor to Darwin was favorable to the possibility that humans could have descended from other primates (298-300), there appears to remain a substantial gulf between these two categories. So in transitioning from man to monkey, Raphaël has plainly surrendered his ability to reason experimentally. An application of Buffon’s concept of the homo duplex – of which Balzac was particularly fond – only reinforces this point of surrender within the single taxonomical group of humans. The homo duplex, Buffon posits, is a construct by which all humans contain two interior principles (133). One principle, associated with the soul, is the source of all science, reason, and wisdom (“la science, la raison, la sagesse,” 134). A contrasting principle, associated with the animal, is tempestuous, and brings about only passion and error (134). This oppositional dichotomy is an entirely appropriate tool to apply to the works of Balzac generally, not just because of Balzac’s personal interest in it. The entire arc of Lucien de Rubempré in Illusions perdues is a long meditation on the young arriviste’s tendency to obey his material and error-prone animal instincts in abdication of the pure spirituality offered by a life of work and symbolized by the Cénacle. Much the same structure overlays neatly on the rise of the soulless and ambitious poet Canalis in Modeste Mignon, Benassis’ confession and redemption in Le Médecin de campagne, or Rastignac more generally in Le Père Goriot (and elsewhere throughout La Comédie humaine). In these latter two texts, however, the prevailing side of the homo duplex differs, with Benassis obeying the spiritual role of physician and community developer while Rastignac squanders his inheritance and amasses debts by spending on fleeting whims. Balzacian texts were frequent in their reliance on the homo duplex, and Raphaël is no exception to this. In the passage above, the word souhaité serves as a reminder that Raphaël’s life, upon acquisition of the skin, reduces to a series of wishes and desires – first, the grandiose desires souhaités, and then the desire not to desire that dominates his existence once he believes that the skin is effective. This is doubly problematic for an experimenter. First, to behave in a manner consistent with the animal half of Buffonian dichotomy translates to an existence of not only passion, but error. The Raphaël who abandons his treatise on human will and the “soul” associated with that activity cannot possibly analyze his own existence without error, even if potentially supernatural aspects of that existence might hypothetically remain within the purview of scientific inquiry. Further, the complex struggle pitting desire and the desire not to desire for Raphaël only re-stages the issue of fatality already discussed. If Raphaël desires not to desire, it is because he has already concluded that the skin performs as advertised on its face. He is not capable of testing an idée préconçue as an objective observer would.

Raphaël’s limits as an experimenter – summarized well by an abortive desire to know ceding in the face of fatalistic resignation – has one final critical dimension. This dimension flows from the repetition of the phrase singulière lucidité in both the scene when Raphaël first encounters the skin and in the scene where he first attempts to observe the skin’s shrinking. Not only does the re-use of this phrase underscore a point of resonance between the scenes, it underscores an equivalence between elements in the scenes. In the first scene, the singulière lucidité is characteristic of the skin itself. In the second scene, it is associated with Raphaël. Once Raphaël possesses the skin, then, he and the skin become, to a certain extent, one and the same. In view of this equivalence, any attempt by Raphaël to experiment on the skin runs into the limits of the Heisenberg uncertainty principle, which Balzac could be said to foreshadow here. This principle dictates the impossibility of simultaneously knowing an electron’s precise position and exact velocity. This limit follows from the idea that in attempting to detect these characteristics of an electron (or electron beam), the experimenter necessarily exercises an influence on the very electron or electrons being tested, thereby disturbing the examined system (Popper, 233). Popper argues against the rigidity of Heisenberg’s principle as a general matter (234), as he viewed its limit as a reflection on the limits of then-current human technique, and not experimental technique as an absolute matter. The specific case of Raphaël and the skin has no such escape from the rigors of Heisenberg. In part, this is because Raphaël himself serves as both experimenter and experimentee, object and subject. When acting in one capacity, he fundamentally alters the observations or realities of the other. This view only complicates when expanded to include the skin. For if one of the two sites of singulière lucidité is affected at a given time, it would follow that the other site would undergo a corresponding effect. When Raphaël desires to know about the skin, his desire should work a change in the skin itself if the skin in fact functions as advertised. Here is the would-be scientist facing a phenomenon ever recoiling from the span of his calipers. This is experimental method as a downward spiral, a cycle of recursion where the base case is not knowledge, but death.

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ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XVIII


[1] The connections between Balzac and Bichat have been highlighted well by Anne Vila. Without unduly anticipating the argument here, her reading of Louis Lambert posits that the titular character in that text reflected a pathological inversion of Bichat’s organic/animal hierarchy to be destroyed at the conclusion of the text in a return to the normative. As Louis Lambert is closely linked to La peau de chagrin by story arc, including the philosophical works on human will undertaken by the main character in each text, Vila’s reading resonates here insofar as the unknowability contained within Bichat’s vitalist system reflects the argument proposed here that science in Balzac includes unknowability within its boundaries.

 

 

[2] This raises a secondary question – “what to make of this parody?” One possible response is that Balzac is admitting to his own shortcomings as a scientific author. While this seems reasonable, I believe that the better argument is that adopted by Thiher – that is, that Balzac viewed his attempts at scientific advancement through textuality better than anything that science could do in the early XIXth century. (“Only through successful competition with science, or so believed Balzac and a good many of his successors, could the novel justify its claims to offer access to reality in ways that might even be superior to scientific discourses with their claim to represent the totality of knowledge.” Thiher, 39, emphasis added.)

 

 

[3] In this respect, the skin’s efficacy sits in a space of limbo, like the famous thought experiment of Schrödinger’s cat.

 

 

[4] And perhaps, to the development of La Comédie humaine project in its scientific aims. Yet as already noted, it may equally be contended that Balzac viewed his own work as exempt from such hindrances.

 

 

[5] Foucault would deny the completeness of concepts like these, at least as a matter of a totalizing discursive strategy – “Il n’y a pas une taxinomie naturelle qui aurait été exacte, au fixisme près” (97).

 

 

[6] It should be recalled in this respect that in Balzac’s La recherche de l’absolu, Balthasar Claës dies immediately after reaching his εύρηκα moment.

 

 

[7] This image, it should be noted, is referenced elsewhere in La Peau de chagrin, when Raphaël finally decides to seek the counsel of the scientific community: “ Quoi ! s’écria Raphaël quand il fut seul, dans un siècle de lumières où nous avons appris que les diamants sont les cristaux du carbone, à une époque où tout s’explique, où la police traduirait un nouveau Messie devant les tribunaux et soumettrait ses miracles à l’Académie des Sciences, dans un temps où nous ne croyons plus qu’aux paraphes des notaires, je croirais, moi ! à une espèce de Mané, Thekel, Pharès ?” (La Peau, 230-31).

 

 

[8] It should be recalled, in this respect, that Balzac’s Avant-Propos de la Comédie Humaine promised a zoological classification of the members of contemporary human society.

 

 

 




Introduction : Inner Voices and Representation of Inner Spaces

What is this little voice in our head? What is it used for? Why talk to ourselves, silently or out loud? What are the forms and modes of inner language? And what role does it play in our relationship to literature, theater, film? In spite of the abundant studies that have been published these last forty years, mostly in English, most account of inner speech begin with the avowal of a lack of comprehension (see for example, the recent monograph by sociologist Norbert Wiley, 2016). Let us attempt to go beyond such avowal by distinguishing the questions that have polarized research, the disciplinary configurations of this research, and their possible deficiencies (for a fuller state of the art on inner speech, see Bergounioux, 2001, and Smadja, forthcoming). Within the study of inner speech, important zones remain unexplored; one of these is inner space – the mental representation and experience of space – as it has mostly been discussed in an indirect and/or metaphorical manner, when it is discussed at all. This can be surprising, as inner speech appears as a crucial tool for the construction of the imagined spaces that we daily inhabit, when we remember familiar environments, when we project ourselves in the fictional spaces of a novel, when we daydream, or when we plan a trip to an actual place. The current issue of Epistemocritique – A journal of literature and knowledge explores this zone, at the conjunction of inner space and inner speech. To orient ourselves in this exploration, we propose in this introduction a few milestones that have been structuring the field of inner speech studies.

During the second half of the XIXth century, inner speech is the object of a number of reflections, mainly in France but also in other European countries such as Germany. In France, a clear opposition appears between philosopher Victor Egger (1881), and physicians Gilbert Ballet (1886) and Georges Saint-Paul (1892, 1905, 1912), both of whom are followers of Ribot and Charcot. This opposition is not so personal as it is disciplinary and ideological; Eggers defends a philosophical tradition which includes theological, psychological, linguistic and literary aspects, while Ballet and Saint-Paul represent the new medical discourse, proclaiming its scientific nature, and approaching psychology through physiology. That Georges Saint-Paul would coin the term endophasia, a synonym of inner speech, is symptomatic of this new positivist discourse. Beside these scholarly debates, French writer Édouard Dujardin publishes the very first interior monologue (1887), an innovation recognized only in the 1920s. Other arts like poetry, painting, theater and music also participate, at the turn of the XXth century, in this new interest for interiority and its representation (see Jenny 2002).

In the decades that precede the Second World War, the emergence of psychoanalysis, with its central notion of the unconscious, change the way we understand subjectivity and thus inner speech: this evolution is perceptible in the work of Charcot’s disciples, but not in that of Egger. During this period, two psychologists appear, who will push the study of inner language toward that of egocentric speech (the monological discourse of children): the Swiss Jean Piaget, who invents the term, and the Russian Lev Vygotski, who dies in 1934 (at the young age of 37), before seeing the publication of Thought and Language, maybe his most remarkable work, that same year. This monograph will remain unknown in the West until 1962, when it is finally translated in English. This first translation, however, is incomplete, and we have to wait until 1985 for a first integral translation, in French, by Françoise Scève, followed by a new, more complete English version. With this work, Vygotsky revolutionizes the study of endophasia, considering its linguistic forms but also its beneficial functions, mostly neglected until then, except maybe in its literary representations through interior monologue and stream of consciousness.

When Vygotsky’s French translation appear, in the 1980s, structuralism is becoming a thing of the past, and a number of notions such as consciousness and subjectivity are once again attracting the attention of scholars and scientists[1], favoring a renewed interest in inner speech. The new dynamism of neuroscience, starting in the 1970s – but prepared by illustrious ancestors, notably specialists of aphasia and psychologists such as Freud – also contributed to the field’s explosive development during the last decades of the XXth century. This development is equally due to researches made in psychology and philosophy and, quite independently, in literary studies; all the while, linguistics has been slow to consider the topic, except, in France, with the works of linguist Gabriel Bergounioux (2004) and of neuro-linguist Hélène Lœvenbruck (2014, 2016). Also in France, Guillaume, and to a lesser extent, Culioli, have explored the topic, along a few others. In the United States, developmental psychologist Katherine Nelson (1989, 2005) has produced important work from the study of young Emily’s monologues in the crib.

What is the state of this expanding field, today? How do we now think about inner speech? In French, we use a number of slightly diverging phrases to designate it. « Inner language » is the broadest, evoking not only linguistic, but also visual or auditory languages. « Inner discourse » is mostly used by specialists of stylistics or by linguists, and the same holds true for « endophasia, » even though the expression originally comes from medicine. « Inner speech » is a hyponym for « inner language » and designates the verbal component of inner life. In recent years, the functions and contents of inner language have been abundantly analyzed. The components of inner life (speech, images, emotions, sensations) have been studied by Hurlburt and colleagues (2011). Although less studied than that of overt speech, the neuronal functioning of inner speech has become the object of attention these last years. The research program Inner Speech (funded by the French National Agency for Research, and directed by Hélène Lœvenbruck at the Neurocognition and Psychology lab at Grenoble University) has generated crucial developments in the domain, synthetically presented in her article in the present issue. Her team has for example helped us distinguish between deliberate inner speech and mental wandering, a form of « meandering thought » central to Christof Diem’s study of Sarah Kane’s play 4.48 Psychosis. « Endophasic formulae, » to re-use Georges Saint-Paul’s expression (talking to oneself, writing and reading one’s thoughts) have been less frequently studied, and the main lacuna in the domain remains the linguistic forms of inner speech. This is due to the lack of methods for collecting and establishing a corpus, a lack the 2R Monologuer protocol presented by Smadja in this issue aims at remediating. Since 2010, Monologuer[2] is the first international research project to account for inner speech through an extensively interdisciplinary framework, using linguistics as a platform to reunite specialists coming from literary studies, neuroscience, philosophy, medicine, musicology, and sociology. Over forty-five researchers are now involved, but also artists and other civil society actors. We are comparing artistic representations and real-life restitutions to examine inner speech under its many guises. Our approach combines fundamental research, research-action (through our collaborations with Doctors of the World, or with hospitals), and research-creation (for the moment essentially focused on dance and theater). A dedicated collection (« Monologuer ») has also been created by Hermann editions, under the direction of Stéphanie Smadja.

While staying true to its literary vocation, the current issue of Epistemocritique reflects the interdisciplinarity of this research program, which is essential if we are to better understand the complex relation between inner speech and inner space. Indeed, if most of the contributions here reunited cross the borders of literary studies (or sit squarely outside it, for example: Lœvenbruck’s neurolinguistic article), they all supply us with methodological or conceptual tools to approach literature, an artistic practice that mobilizes inner speech (that of both reader and writer) with particular strength. By opening its pages to forms of knowledge built through methods little used in literary studies (for example, experimental protocols and fieldwork in the case of Smadja’s and Paulin’s investigation of inner speech in prison environments), this issue of Epistemocritique endows us with precise observations on some of the cognitive and bodily processes through which texts come to life. Resolutely contemporary, epistemocritique here benefits from the most up-to-date researches on inner speech to ask fresh questions to literature, theater or film. Such interrogations prolong a history of literary studies borrowing tools from linguistics, a history on which Smadja, in her contribution « Inner speech: a new protocol, » builds a methodological proposition for the study of this elusive phenomenon.

Psychological studies of inner speech have generally adopted one of two methods: the random beeper (or DES, for « descriptive experience sampling, » described in Hurlburt 2011) or the retrospective questionnaire (Georges Saint-Paul 1892). We could also consider psychoanalytical sessions, when inner speech is exteriorized, as a possible approach, although the presence of the analyst might constitute a disruptive factor. Likewise, the retrospective questionnaires present a major disadvantage, residing precisely in their retrospective character: representation then becomes reconstruction. Is this an inescapable problem? Although inner speech cannot be accessed directly, measurement bias can still be limited, for example through the use of the random beeper. Developed by Hurlburt and colleagues in the 1970s, it is kept by participants at all time, and it rings from six to eight times a day, during three to seven days. When it rings, the participant reports what was passing though her mind. After three to seven days, an interview is conducted in person by the experimenter, to discuss explicitly the inner experience of the participant. This method has two main advantages: firstly, the participant is not influenced a priori by an epistemological framework, as he takes notes before any interview or question by the researchers; secondly, the beeper rings randomly so the participant never knows when she will have to note her inner experience. The transcription remains however slightly retrospective. More of a problem, maybe, is the relatively small number of occurrences for each experiment and participant, which does not allow the elaboration of general quantitative hypotheses. Such general hypotheses have however been elaborated through the combination of more than thirty years of research by Hurlburt and his team.

In 2014, a new research protocol was elaborated for the Monologuer program (see the monographs by Smadja, and Smadja and Paulin (both forthcoming) for a detailed description of the protocol; see also the related article in the present issue). This protocol has been refined by the research team working on real-life corpora (notably Catherine Paulin, Gabriel Bergounious, Hélène Lœvenbruck, and Louis Hsiang-I-Lin) and by the participants, whose suggestions have been incorporated as the project evolved. In October 2018, 113 participants had experimented the protocol, a number that allowed the elaboration of qualitative and quantitative hypotheses on the forms and functions of inner speech. Finally, the neurological experiments recently made possible by the development of neuroimaging techniques have opened the way to a new confrontation of results gained by introspective methods and by physiological measurements (see for example Fernyhough and Alderson-Day).

Starting from these various sources of information, we can interrogate the forms taken by specific aspects of inner life and language, such as its relation to inner space. Inner space appears linked to the verbal, but also to the visual and kinesthetic aspects of inner life. The latter, sensorimotor dimension, has mainly been considered through the question of spatial navigation (see for example Epstein 2008, Kravitz et al., or the studies of grid cells and place cells), or of our interactions with the objects that surround us (Filimon et al. 2007). As for the verbal representation of space, it has been analyzed from four main angles: from a semantic angle, within a linguistic perspective (see for example Jeanne-Marie Barbéris 1998, which however deals only with overt expression of spatial representations); from the angle of comprehension, within literary texts or ordinary language (see especially Irrazabal & Burin 2016, but also AbdulSabur et al. 2014, Chow et al. 2013, Ferstl et al. 2007, Speer et al. 2009, Zwaan et al. 1999); from poetical or philosophical angles (Papasogli 2000, Beugnot 2002, Chrétien 2014); and finally in the context of studies on working memory (Logie 1995, Brunye & Taylor 2008, De Beni et al. 2005, Gyselinck et al. 2007).

In this issue, it is through embodied cognition and elements extracted from Lœvenbruck’s researches on inner speech that Pierre-Louis Patoine discusses the reader’s embodied, gendered experience of movement through imagined spaces during her encounter with Hemingway’s The Sun Also Rises and Henry James’ The Aspern Papers. It is also through literature that Béatrice Bloch (discussing the novelistic work of François Bon) and Jean-Michel Caralp (on Kafka) investigate the inner experience of private and public spaces, an experience also explored through on site, real-life investigation (Smadja and Paulin’s work on the inner speech of prisonners). Finally, film (Isabel Jaén on Benito Zambrano) and theater (Christof Diem on Sarah Kane) are examined in their relation to inner life. This issue reflects the interdisciplinary approach integral to the study of inner speech, with contributions coming from neuro-linguistics (Lœvenbruck), linguistics (Smadja and Paulin), literary studies (Bloch), psychoanalysis (Caralp), philosophy and theater studies (Diem), and film studies and cognitive science (Jaén). The issue begins with linguistics and ends with neuro-linguistics, and forms along the way subcategories such as the representation and experience of space in prison (Smadja and Paulin, Bloch, Jaén), the synthesis of recent findings in neuroscience (Lœvenbruck) and their application to embodied literary reading (Patoine) or film viewing (Jaén). Beyond its cognitive dimension, inner speech is explored in relation to specific historical moments such Francoist Spain, which Jaén discusses through the analysis of the film La voz dormida and its empathic and political impacts, or postmodernity and its disintegration of the Cartesian subject, at the center of 4.48 Psychosis analyzed by Diem. Diem’s article allows us to consider inner speech under psychic dysfunction, a situation also touched upon by Lœvenbruck’s discussion of auditory verbal hallucination in schizophrenia, or by Caralp’s discussion of Kafka’s possibly Asperger-like rapport to inner space, an a posteriori diagnostic that will surely provoke interesting debates. In the end, many questions remain open: is the mental representation of space based on inner speech or images? How do we pass from one modality to the other? Are public, private and intimate spaces represented differently in inner speech? And what can we learn, from our representation of inner space, of our ways of inhabiting and of sharing our world?

 

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ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XVIII


[1] Let us remember however that structuralism did not completely neglect the question of the subject, a crucial question in, for example, the researches of Emile Benveniste on enunciation, which necessarily imply consideration of the speaker’s subjectivity.




Notes sur les auteurs

Maîtresse de conférences HDR à l’université Bordeaux Montaigne, Béatrice Bloch a publié deux ouvrages sur le roman contemporain (1998) et le récit poétique contemporain (2017). Elle est également l’auteur de nombreux articles sur la fiction contemporaine, la lecture, la théorie du cinéma, la poésie contemporaine et l’imaginaire littéraire. Elle est spécialiste de Claude Simon, Julien Gracq, Chloé Delaume, Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Marie-Claire Ropars-Wuilleumier. Elle dirige depuis 2017 le département des lettres.
beatrice.bloch@orange.fr

 

Thomas M. Byron holds a J.D. from Emory University and more recently completed a Ph.D. at Boston University upon defending his dissertation : Of Evolution, Information, Vitalism and Entropy: Reflections on the History of Science and Epistemology in the Works of Balzac, Zola, Queneau, and Houellebecq. His most recent published work has taken an interdisciplinary approach to the legal sphere – his article in the Pace Law Review employed a Bergsonian lens to propose a deconstruction of the legal notion of creativity in copyright law, and his most recent article applies Pierre Duhem’s philosophy of science to copyright’s treatment of scientific theory.
tbyron@bu.edu

 

Qualifié comme maître de conférences, Jean-Michel Caralp est chargé de cours en littérature française à l’université de Montpellier. Sa thèse a été consacrée au « Vertige de la prémonition de Maeterlinck au surréalisme », sujet qu’il explore avec une approche à la fois littéraire ou esthétique et neurobiologique. À partir de 2010, il a été chargé de former et de piloter un réseau d’écoles doctorales arts et médias réunissant 13 universités. Il consacre à présent sa recherche aux questions de temporalité dans la littérature française aux xixeet xxesiècles et aux relations de la littérature avec les sciences ou technologies, plus particulièrement avec la psychiatrie et la neurobiologie. Il est membre associé du RIRRA21.
jmcaralp@gmail.com

 

Qualified as a lecturer, Jean-Michel Caralp teaches French Literature at the University of Montpellier. His thesis studied « The Vertigo of Premonition in Modern Literature from Maeterlinck to Surrealism » both with literary or aesthetic and neurobiological approaches. Since 2010, he was commissioned to organize and lead a network connecting thirteen French universities around the Arts and Medias research fields. His current research deals with temporality in the xixthand xxthcenturies French Literature and with the links between literature and the sciences, technologies and above all psychiatry and neurobiology. He is an associate member of RIRRA21.
jmcaralp@gmail.com

 

Christof Diem is a university assistant at the Department of English at the University of Innsbruck (Austria). He is currently working on his PhD project on mind wandering and grotesque thought structures in Shakespearean drama. He studied English Philology and Linguistics as well as French Literature and Linguistics at the University of Innsbruck and at Université René Descartes, Paris 5, Sorbonne. His research interests include British theatre, cognitive literary studies, postmodernism/poststructuralism and gender studies/queer studies.
christof.diem@uibk.ac.at

 

Dr. Isabel Jaén holds PhDs from Purdue University and the Universidad Complutense de Madrid (Spain). She is Professor of Spanish at Portland State University (United States). Her research fields include early modern literature and psychology, cognitive literary studies, contemporary literature and film, historical memory, women studies, migration, and transatlantic studies. Dr. Jaén is co-president of LALISA (Latin American, Latino, and Iberian Studies Association) and co-director of Cine-Lit(a partnership between several Oregon universities and the Portland International Film Festival aimed at promoting Hispanic film and fiction). She is also co-founder and former co-director (2005-2015) of the Literary Theory, Cognition, and the Brain Working Group at the Whitney Humanities Center in Yale University, former executive member of the MLA Division for Cognitive Approaches to Literature (2008-2012, chair in 2011), and former member of the Purdue Cognitive Literary Studies Steering Committee (2008-2010). Her publications include Cognitive Literary Studies (University of Texas Press, 2012), Cognitive Approaches to Early Modern Spanish Literature (Oxford University Press, 2016), and Self, Other, and Context in Early Modern Spain (Juan de la Cuesta, 2017). Dr. Jaén is currently co-editing Cervantes and the Early Modern Mind, which includes the work of humanists and scientists from the US, Spain, France, and the UK (forthcoming with Routledge).
isabel.jaen@gmail.com

 

Hélène Lœvenbruck (Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition (LPNC), UMR CNRS 5105, Université Grenoble Alpes) est chargée de recherche au CNRS en Langage et Cognition et a reçu la médaille de bronze du CNRS en 2006 pour ses travaux sur les corrélats neuraux du pointage verbal. Ingénieure en traitement numérique de l’information, titulaire d’un DEA de sciences du langage et d’un doctorat en sciences cognitives, elle s’inscrit dans une démarche interdisciplinaire pour étudier trois fonctions essentielles du langage : la fonction communicative, la fonction cognitive d’élaboration et d’expression de la pensée, et la fonction métacognitive d’autonoèse. Elle mène dans ce but des expérimentations neurocognitives avec des adultes, des enfants et des nourrissons, chez des participants sains et pathologiques, sur trois axes principaux : (i) la prosodie et le pointage multimodal, (ii) le développement multimodal du langage chez les enfants typiques et les enfants présentant des troubles du langage ou de l’audition, (iii) le langage intérieur, les ruminations mentales et les hallucinations auditives verbales.
helene.loevenbruck@univ-grenoble-alpes.fr

 

Hélène Lœvenbruckis a CNRS researcher in the field of Language and Cognition. She was awarded a bronze medal from the CNRS in 2006 for her work on the neural correlates of prosodic pointing. She received the engineering degree in electronics, signal processing, and computer science from the Institut National Polytechnique de Grenoble, a master’s degree in phonetics and a PhD in cognitive sciences from Grenoble University. She develops a interdisciplinary approach to explore three essential functions of language: the communicative function, the cognitive function of thought construction and expression and the metacognitive function of autonoesis. To this aim, she conducts neurocognitive experiments on adults, children and infants, in healthy as well as pathological populations, along three main axes: (i) prosody and multimodal pointing, (ii) multimodal language development in typical children and children with language or hearing impairments, (iii) inner language, mental rumination and auditory verbal hallucination.
helene.loevenbruck@univ-grenoble-alpes.fr

 

Pierre-Louis Patoine est maître de conférence de littérature américaine à la Sorbonne Nouvelle, où il co-dirige avec Liliane Campos le groupe de recherche Science/Littérature [litorg.hypotheses.org]. Co-rédacteur-en-chef d’Épistémocritique, ses travaux se situent à l’intersection des sciences du vivant et des études littéraires. Ses recherches portent sur la littérature contemporaine, la biosémiotique, l’écocritique et la neuroesthétique. Son premier ouvrage, intitulé Corps/texte. Pour une théorie de la lecture empathique est paru en 2015 chez ENS Éditions.
pl_patoine@yahoo.fr

 

Catherine Paulin est professeur de linguistique à l’université de Strasbourg et membre de l’équipe de recherche LILPA (Linguistique, Langues, Parole). Elle étudie la lexicologie, l’interface entre le lexique et la syntaxe, les modes de représentation de variétés orales en littérature. Elle est coresponsable d’un axe du programme Monologuer : Monologue et société.
cpaulin@unistra.fr

 

Stéphanie Smadja est maître de conférences (linguistique, stylistique) à l’Université Paris Diderot et membre de l’équipe CERILAC (Centre d’Études et de Recherches Interdisciplinaires en Lettres Arts Cinéma). Elle étudie les formes et les fonctions de la parole intérieure au croisement de la linguistique, la neurolinguistique et la littérature ; les innovations stylistiques en prose littéraire et en prose scientifique (xixe-xxiesiècles). Responsable du programme Monologuer, elle dirige la collection du même nom aux éditions Hermann.
stephaniesmadja@yahoo.fr