L’Oulipo a investi et réinvesti les savoirs de manière remarquable, tirant une grande part de sa spécificité de ce réinvestissement. Il s’agit d’abord d’un groupe dont le but est l’élaboration d’outils destinés aux auteurs littéraires, les contraintes : très tôt, les mathématiques sont considérées comme une ressource pour cette élaboration, et donc pour l’élaboration d’oeuvres. Les réunions, de plus, ne sont pas seulement consacrées à l’invention de contraintes, mais au recensement des contraintes anciennes, qui seront très vite appelées des « plagiats par anticipation ». C’est ce qui explique le rôle essentiel d’un des premiers membres, Albert-Marie Schmidt, universitaire spécialiste des grands rhétoriqueurs, et de leurs inventions littéraires. Le partage entre savoirs et production littéraire est donc remis lui aussi en question. Plus généralement, la « curiosité », et l’expertise, scientifiques des deux
fondateurs du groupe, François Le Lionnais et Raymond Queneau, sont bien connues. Rappelons que Raymond Queneau, mathématicien plus qu’amateur, a dirigé l’Encyclopédie de la Pléiade. Est-ce un hasard si le site de l’Oulipo mentionne que la mathématicienne Michèle Audin, membre depuis 2009, « considère que la science fait partie de la culture » ?
Le colloque envisagera cet aspect historique. Il conduira à s’interroger sur la place faite parmi les membres à l’historien Marcel Bénabou, au linguiste Bernard Cerquiglini ou à Valérie Beaudouin (dont la thèse vérifiait informatiquement les théories de Jacques Roubaud sur le vers). Il montrera aussi comment l’Oulipo a contribué à la connaissance des littératures
pré-oulipiennes (avec, par exemple, les travaux sur l’histoire du lipogramme de Perec et ceux de Claude Berge sur la littérature combinatoire). Il conviendrait surtout d’étudier la manière dont les savoirs nourrissent les oeuvres des
oulipiens, depuis les contraintes mathématiques, jusqu’à la pseudo-érudition perecquienne (où le savoir est support de fiction). Il faudrait notamment déterminer l’importance de la combinatoire pour la définition de formes littéraires inédites. Certains auteurs mériteraient par ailleurs un traitement particulier. La manière dont l’oeuvre de Perec répercute les savoirs, de la
psycho-sociologie (dans la définition des personnages des Choses) à la neuro-physiologie, en passant par l’Histoire, l’anthropologie ou la sémiotique, est ainsi frappante. Croisant les préoccupations des sociologues de la revue Cause commune, en définissant l’ « infraordinaire », Perec s’interroge sur la perception et l’appréhension du quotidien comme des objets, à travers notamment la description. L’oeuvre de Perec, pour exemplaire qu’elle soit, n’est pourtant qu’un indice de
l’importance des savoirs pour les oeuvres oulipiennes dans leur ensemble. Raymond Queneau ne s’est-il pas lancé dans l’écriture de son premier roman, Le Chiendent, à partir d’une réflexion sur la langue, voulant par surcroît traduire en français parlé Le Discours de la méthode ? Les Enfants du limon reprend la matière d’une recherche sur les fous littéraires.
L’un des derniers romans, Les Fleurs bleues, est encore une interrogation sur l’Histoire. Il faudrait bien sûr faire une place toute particulière à l’oeuvre de Roubaud, nourrie par la passion de l’érudition, comme à celle de Calvino, dont le seul Cosmicomics mériterait une réflexion sur l’imaginaire scientifique, ou encore à celle de Michèle Audin. Le signe majeur des échanges entr savoirs dits scientifiques et littérature qu’opère l’Oulipo est la manière dont les oeuvres des Oulipiens interrogent ou nourrissent les scientifiques institutionnels. En particulier, le sociologue Howard S. Becker consacre de longs passages à Perec, mais aussi à Calvino, dans Les Ficelles du métier et dans Comment parler de la société, Perec dont la pratique se nourrissait d’échanges ave des sociologues, nous l’avons dit. Michael Sheringham illustre de manière aiguë l’importance de tels échanges à propos du quotidien.
Finalement, il s’agirait de donner l’idée d’un tissu de relations dont la quenine serait le
meilleur symbole : généralisant les permutations observables dans la sextine du troubadour
Arnaut Daniel, Queneau fait oeuvre de mathématicien, en des recherches encore poursuivies
aujourd’hui, à la suite de Jacques Roubaud. Et la quenine sert ensuite l’invention formelle
oulipienne, de manière répétitive, au point de devenir un signe de reconnaissance (ce dont
témoigne notamment la trilogie d’Hortense, du même Jacques Roubaud).
Comité d’organisation :
Cécile De Bary (université Paris Diderot) et Alain Schaffner (université Paris III)
Comité scientifique :
Hélène Baty-Delalande (université Paris Diderot), Évelyne Grossman (université Paris Diderot), Marc Lapprand (université de Victoria), Joëlle Le Marec (Celsa Paris-Sorbonne), Dominique Moncond’huy (université de Poitiers), Jacqueline Nacache
(université Paris Diderot), Dominique Rabaté (université Paris Diderot), Jean-Jacques Thomas (université d’État de New York à Buffalo, chaire Melodia Jones).
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Les propositions d’intervention devront être envoyées avant le 15 février 2017 à Cécile De Bary (cecile.debary@univ-paris-diderot.fr). Elles comporteront un résumé de 5 000 signes au maximum, ainsi qu’une notice bio-bibliographique.