Maxime Du Camp (1822-1894)
par Jacques Lecarme
«C’est entendu : de tous les écrivains ratés du xixe siècle, Maxime Du Camp serait le plus misérable. Son nom ne survivrait dans la mémoire des lettres que par des fautes mémorables. Ami de Flaubert depuis la vingtième année, il n’aurait été qu’un faux témoin, envieux et dénigreur. Après avoir exigé des coupures dans le texte de Madame Bovary (il en fut le premier éditeur dans sa Revue de Paris), après avoir déconseillé la publication de La Tentation de saint Antoine (celle de 1849), il aurait attendu la mort de Flaubert pour révéler – ou pour imaginer – une épilepsie qui serait le principe d’un relatif échec de Flaubert, au regard de l’absolu de son ambition littéraire (Guy de Maupassant lui adressa de très vifs reproches). Dans son grand âge, il dressa un réquisitoire contre l’insurrection de la Commune (1871), Les Convulsions de Paris, et il dénonça même, semble-t-il, un survivant qu’il croyait mort et qui ne bénéficiait pas encore de l’amnistie. Albert Thibaudet, dont on sait la bienveillance à l’égard des écrivains mineurs, n’hésita pas, vers 1920, à traiter le pauvre Maxime de « dernier des derniers », en citant des vers emphatiques de ses Chants modernes. Mais sont-ils si ridicules ? Ils expriment la pensée saint-simonienne d’un interlocuteur du père Enfantin, passionné par l’ouverture du canal de Suez, par les transformations de l’Égypte, depuis les pharaons jusqu’à Méhémet-Ali, et par la maîtrise du monde par la technologie. Un jour, Maxime Du Camp perdit une foi qu’il avait partagée avec Gustave Flaubert : la littérature était un absolu auquel il fallait tout sacrifier, et le monde, un accident tout juste bon à être décrit, c’est-à-dire une illusion. Un jeune mystique du romantisme devint alors un arpenteur de la planète et un démonteur de mécanismes, plus particulièrement attaché aux ressorts et aux rouages de la transmission. En somme, un médiologue sans le savoir. Il se serait perçu plutôt comme un historien du contemporain immédiat, acharné à le rendre intelligible.»
Jacques Lecarme est professeur émérite de littérature française à l’université Paris III. Dernier livre paru : L’Autobiographie, avec Éliane Lecarme-Tabone (Armand Colin, 2004).