My pessimism – if pessimism it be – does not involve the assumption that the world is going to the dogs… On the contrary, my practical philosophy is distinctly meliorist. What are my books but one plea against « man’s inhumanity to man », woman, and to lower animals ?… Whatever may be the inherent good or evil in life, it is certain that men make it much worse than it need be…[1]
La parution de The Origin of Species en 1859 ouvre un vaste débat dans l’Angleterre victorienne. La découverte d’une origine commune des espèces et des lois de l’évolution remet en cause l’existence de Dieu, mais aussi toute une conception de la nature et de la place singulière de l’homme dans la création. Si Darwin attend 1871 pour consacrer un ouvrage spécifique à l’évolution humaine – The Descent of Man and Selection in Relation to Sex – le débat se concentre durablement sur cette question et sur ses implications morales et politiques. Les ouvrages de T.H. Huxley[2], Herbert Spencer, ou encore Leslie Stephen marquent des étapes importantes dans cette réflexion, qui met au coeur du débat la possibilité d’appliquer strictement les lois de l’évolution à l’homme, mais aussi de fonder la société humaine sur le modèle des lois de la nature. Outre les textes de Darwin, ses interprétations et prolongements, comme le darwinisme social de Herbert Spencer, inventeur du concept de « survie des plus aptes »[3], auront une influence majeure sur la pensée de l’époque. Dans ce contexte, la littérature victorienne apparaît comme un lieu de passage de la théorie évolutionniste, mais aussi et surtout de son interrogation et de sa mise à l’épreuve. Ainsi, George Eliot et Thomas Hardy figurent parmi les romanciers les plus marqués par Darwin et l’évolutionnisme, et de nombreuses études ont été consacrées à l’influence de cette science sur le roman victorien[4].
L’oeuvre romanesque de Thomas Hardy est à cet égard particulièrement intéressante : s’il ne la présente ni comme une mise en application, ni comme une illustration de la théorie de l’évolution, bien loin du « roman expérimental » zolien, elle est néanmoins une caisse de résonance des découvertes scientifiques de l’époque et le lieu d’une véritable théorisation poétique. En effet, Hardy entre dans le débat ouvert par Darwin et propose, par le détour de la fiction, une conception originale de la nature et de l’inscription de l’homme en son sein. Les personnages hardyens sont souvent inadaptés, en situation de lutte face à un « milieu » hostile. De ce point de vue, Tess of the d’Urbervilles et Jude the Obscure sont particulièrement sombres, et le destin tragique des personnages éponymes semble indiquer toute la cruauté de la « lutte pour l’existence ». Cependant, le « milieu » dans lequel ils ne parviennent pas à trouver leur place est celui de la société industrielle de l’Angleterre victorienne ; dans leur milieu naturel, les personnages hardyens peuvent au contraire évoluer de façon heureuse. Dans Tess of the d’Urbervilles, Hardy décrit la nature comme une « puissance bienfaisante »[5] et régénératrice pour les individus. De récentes analyses ont mis l’accent sur l’origine darwinienne d’une telle conception de la nature, et souligné que l’on verrait à tort chez Darwin une conception mécaniste de la nature, fondée sur une loi impitoyable de compétition[6]. Hardy semble bien alors retrouver l’esprit premier des textes de Darwin pour proposer une conception romantique de la nature, dans laquelle s’inscrit harmonieusement l’existence humaine. Dans Tess of the d’Urbervilles, la nature intervient comme un personnage à part entière : Tess, née dans un milieu rural traditionnel, a grandi en harmonie avec une nature qui lui a enseigné ses valeurs. Mais Hardy souligne que ce milieu est en voie de disparition et ce n’est pas un hasard si les malheurs de Tess naissent de sa rencontre avec Alec, qui la fait sortir de son milieu naturel.
Après une rapide analyse des critiques hardyennes du « roman expérimental », il s’agira de voir comment, dans Tess of the d’Urbervilles, Hardy propose une réflexion romanesque sur la nature, qui est informée par la théorie et l’imaginaire darwiniens. Il s’y interroge surtout sur la possibilité de (re)fonder la société humaine sur la nature, envisagée comme un modèle positif. Auteur athée, proche des cercles darwiniens, Hardy ne se contente pas de mettre en intrigue les lois de l’évolution, mais il choisit la fiction poétique pour présenter la nature comme un recours permettant d’inverser l’évolution pernicieuse de la société qu’il décrit. Son pessimisme, souvent souligné mais dont il se défend en se prétendant tenant d’une philosophie mélioriste, mérite alors d’être reconsidéré : la société peut changer dans le temps long de l’évolution, et d’autres valeurs peuvent encore triompher.
Poésie et Science : roman poétique vs roman expérimental
La façon dont la littérature devait se situer face à la science était au centre du débat littéraire dans les années 1880, alors que s’affirmaient en France Zola et le roman naturaliste. Mais Hardy s’oppose explicitement à ce dernier sur ce point. Rappelons que dans Le Roman expérimental, paru en 1880, Zola explique les enjeux de la « méthode expérimentale appliquée au roman » et se prononce en faveur d’une « littérature déterminée par la science »[7]. Convaincu par la science médicale et par la théorie de Claude Bernard en particulier qu’un déterminisme absolu régit les comportements humains comme il régit la matière brute, Zola définit le roman naturaliste comme un mode d’approche scientifique du réel qu’il oppose au roman « idéaliste » ou « romantique ». Selon lui, il faut en finir avec une littérature qui repose sur l’idée qu’il y a une part d’inconnu dans l’univers, et ne prend pas acte des découvertes scientifiques. Il définit au contraire son œuvre romanesque comme une expérimentation scientifique, mettant à l’épreuve des hypothèses, à partir des apports de la science moderne : elle se veut donc doublement scientifique, à la fois par sa méthode et par ses objets[8]. Pour Zola, deux découvertes ont été décisives : les théories de l’hérédité et la théorie darwinienne, qu’il réduit essentiellement à la question du « milieu ».
En 1891, Hardy répond à Zola en publiant un article intitulé The Science of Fiction : s’il l’ouvre sur une concession sur les termes – on peut en effet considérer qu’il existe une part de science dans l’art – Hardy refuse la conception zolienne du roman et le cite explicitement. Ce qu’il refuse, c’est l’idée que la méthode scientifique puisse être appliquée au roman. En effet, la science « can have no part or share in the construction of a story »[9] car l’art d’écrire une histoire nécessite une intervention forte et subjective de l’auteur. Il qualifie le projet zolien d’ « erreur », même s’il partage son objectif : aboutir à la « vérité vraie »[10]. Hardy définit alors l’art et le talent du romancier tels qu’il les conçoit : le romancier est celui qui possède « a power of observation informed by a living heart »[11], capable d’une « sympathetic appreciativeness of life in all its manifestations »[12]. Il ne peut donc être question d’appliquer une méthode pour être un bon romancier. Pour Hardy, si la fiction est bien un mode de connaissance du réel – puisqu’elle vise à connaître la vérité – elle ne se situe pas sur le même terrain que la science. Si la littérature peut être comparée à cette dernière, ce n’est que par son objet – la connaissance du réel – mais en aucun cas par une méthode. Il prend acte des découvertes scientifiques de son temps, mais il les recontextualise et les interroge dans ses romans.
Le regard que Hardy porte sur le monde est fondamentalement poétique ; dans ses romans, il thématise d’ailleurs l’opposition entre une approche scientifique – ou rationnelle – et poétique de l’existence. Au travers de nombreux personnages se donne à lire la critique d’une forme de positivisme qui voudrait que l’on puisse tout connaître par le biais exclusif de la science[13]. Dans Tess of the d’Urbervilles, l’incompréhension qui nait entre Tess et Angel vient de leur manière opposée d’appréhender le réel. Angel est un raisonneur, un avatar du scientifique, tandis que Tess, selon l’expression même d’Angel, « is brim full of poetry – actualized poetry »[14]. Le narrateur souligne constamment les vues erronées du personnage masculin, dont les convictions prennent le pas sur l’expérience et sur les sens, à l’image de l’homme de science (ou de lettres) qui tenterait de soumettre le réel à ses théories. Au contraire, Tess se fie à ses instincts et agit de façon juste, et ce même si elle finit par mourir condamnée. En outre, son appréhension poétique des choses la conduit à envisager la nature comme un mystère, ce qui contribue à faire d’elle une figure du poète romantique, celui-là même que vise Zola dans son essai et que Hardy, au contraire, semble valoriser dans son roman. L’appréhension poétique de la vie par Tess est opposée à l’approche rationnelle ou scientifique d’Angel : Tess touche à la « vérité vraie » là où Angel se trompe, ce qui suggère que le rapport de Hardy à la science se situe dans une perspective bien plus romantique que naturaliste[15].
C’est d’ailleurs bien à un traitement poétique que Hardy, conformément à ce qu’il énonce dans The Science of fiction, soumet les découvertes darwiniennes qui le marquent profondément : loin de se livrer à un exercice de mise en intrigue de la théorie darwinienne, il en intègre des éléments dans une recréation toute personnelle. Les textes de Darwin apparaissent d’abord comme des intertextes, des réservoirs d’images, des objets de questionnement, parfois réinvestis dans une perspective purement poétique[16]. Il en va ainsi d’une description d’oiseaux qui semble directement puisée dans The Voyage of the Beagle. Lorsque Tess travaille à Flintcomb-Ash, elle aperçoit d’étranges oiseaux arrivant du pôle nord, face auxquels elle a une réaction de rejet :
[…] strange birds from the North Pole began to arrive silently on the upland of Flintcomb-Ash; gaunt, spectral creatures with tragical eyes – eyes which had witnessed scenes of cataclysmal horror in inaccessible polar regions of a magnitude such as no human being had ever conceived, in curdling temperatures that no man could endure; which had beheld the crash of icebergs and the slide of snow-hills by the shooting light of the Aurora; been half blinded by the whirl of colossal storms and terraqueous distortions; and retained the expression of feature that such scenes had engendered. These nameless birds came quite near to Tess and Marian, but of all they had seen which humanity would never see, they brought no account.[17]
Cette espèce d’oiseaux inconnue de nos contrées – « nameless » – est particulièrement inquiétante pour Tess et semble convoquée pour donner une vision de l’immense diversité du vivant à un moment où Tess pense à Angel, parti au Brésil, autre terre lointaine et inconnue qui l’inquiète. Mais cette espèce effrayante apparaît aussi à un moment de grande détresse de Tess, qui travaille seule et abandonnée dans le froid hivernal. Lorsque la nature est dysphorique dans le roman, c’est toujours en résonance avec les malheurs de Tess : il ne s’agit pas ici de donner une vision négative ou positive du milieu, mais plutôt de motiver poétiquement les descriptions, dans la tradition du paysage état d’âme. En outre, l’apparition de ces oiseaux ne leur enlève pas leur part de mystère, ils gardent tout leur secret – « they brought no account ». Hardy s’attache à souligner la part de mystère qui subsiste dans l’existence et dans le vivant. L’importance qu’il accorde au hasard et son utilisation récurrente dans la construction même du roman vont également dans ce sens, puisqu’ils semblent trahir un refus du déterminisme et de la loi, suggérant qu’on ne saurait expliquer scientifiquement la logique mystérieuse d’un destin. Ainsi, par deux fois, Tess est précipitée dans le malheur parce que ses lettres ne parviennent pas à Angel[18]. De même, le narrateur souligne que si Tess et Angel s’étaient rencontrés tout au début du roman, le malheur aurait pu leur être épargné :
Enough that in the present case, as in millions, it was not the two halves of a perfect whole that confronted each other at the perfect moment; a missing counterpart wandered independently about the earth waiting in crass obtuseness till the late time came. Out of which maladroit delay sprang anxieties, disappointments, shocks, catastrophes, and passing-strange destinies.[19]
Un pur « retard » a entraîné toute une série de malheurs, est venu briser toute une belle chaine de causalité. Hardy use des hasards, retards et autres contretemps pour introduire du jeu dans le déterminisme et affirmer son arbitraire de romancier dans la construction du roman.
Une conception darwinienne de la nature ? Organisme et énergie
La théorie darwinienne a pu être considérée comme étant fondée sur une représentation mécaniste de la nature. Ainsi, Philippe Solal[20] évoque le « mécanisme darwinien » et explique que Darwin évacue toute idée de finalité de sa représentation de la nature, la sélection naturelle étant conçue comme un pur mécanisme, sans finalité, sans intention et sans planification. Selon lui, seul le langage de Darwin reste marqué par l’idée de finalité mais cela ne recouvre en rien sa conception de la nature. Il cite ainsi The Origin of Species : « I mean by Nature, only the aggregate action and product of many natural laws, and by laws the sequence of events as ascertained by us »[21]. Cependant, la notion de loi, par laquelle Darwin définit la nature, n’est pas incompatible avec une conception organiciste, Robert J. Richards insiste au contraire sur la proximité de Darwin avec la science romantique, qui repose sur la notion d’organisme : « […] his Romantic assumptions led him to portray nature as organic, as opposed to mechanistic, and to identify God with nature, or at least to reanimate nature with the soul of the recently departed deity. »[22]. Richards s’appuie essentiellement sur une étude de l’imaginaire darwinien dans The Voyage of the Beagle, marqué par l’influence de Humboldt, tenant d’une conception organiciste de la nature, dont il affirme en outre qu’elle est intelligente et morale, et qu’elle agit pour le bien de la création.
L’image de l’organisme et de son animation par une force naturelle est en tout cas présente chez Darwin, et c’est bien cette représentation de la nature que l’on trouve à l’oeuvre chez Hardy. La métaphore de l’organisme apparaît explicitement dans Tess of the d’Urbervilles pour rendre compte de la nature comme un Tout, mais aussi de l’unité de la nature humaine inscrite dans ce Tout. Ainsi, l’idée que la nature est un organisme universel comprenant tout le vivant – végétal, animal, humain – fait la beauté du vivant pour Hardy, comme le montre ce commentaire du narrateur lorsque Tess accompagne des employés de Tantridge à Chaseborough :
They followed the road with a sensation that they were soaring along in a supporting medium, possessed of original and profound thoughts, themselves and surrounding nature forming an organism of which all the parts harmoniously and joyoulsy interpenetrated each other. They were as sublime as the moon and stars above them, and the moon and stars were as ardent as they.[23]
L’homme est en harmonie dans la nature et participe d’un organisme universel. L’adjectif « sublime » souligne le caractère fondamentalement poétique de cette harmonie universelle, montrant que la perception hardyenne de la nature est d’ordre esthétique. Là encore, l’influence de Darwin est patente, comme le confirment de récentes analyses qui soulignent le caractère poétique de la science darwinienne et insistent sur le regard émerveillé que Darwin porte sur le vivant. Le terme « organisme » réapparait plus loin, au moment où Tess connait ses jours les plus heureux en tant qu’employée de laiterie à Talbothays. En effet, les femmes qui y travaillent sont unies entre elles et l’organisme qualifie alors la nature humaine, ou plutôt féminine : « The differences which distinguished them as individuals were asbstracted by this passion, and each was but portion of one organism called sex »[24]. Ce qui semble fasciner Hardy dans les découvertes darwiniennes, c’est donc avant tout l’unité du vivant et l’inscription de l’humain dans le règne naturel, qui le rapproche du végétal et de l’animal. L’image végétale, notamment, sert à qualifier l’homme ainsi qu’en témoignent les pas des danseurs à Chaseborough forment « a sort of vegeto-human pollen »[25]. La marche des hommes dans la nature donne lieu à de véritables tableaux dans lesquels se mêlent harmonieusement les différents éléments de la nature :
[…] the erratic motions seemed an inherent part of the irradiation and the fumes of their breathing a component of the night’s mist; and the spirit of the scene, and of the moonlight, and of Nature seemed harmoniously to mingle with the spirit of wine.[26]
Le terme-clé de tous ces passages est l’harmonie, qui implique une vision euphorique de la nature. Le constat de Robert J. Richards à propos de Darwin pourrait ainsi s’appliquer parfaitement à Hardy : « The nature that Darwin experienced was a cosmos, in which organic patterns of land, climate, vegetation, animals and humans were woven into a vast web pulsating with life »[27]. La nature hardyenne est cosmique et animée du « great passionate pulse of existence »[28]. On retrouve dans Tess, de façon récurrente, l’expression imagée d’une force qui meut la nature, la traverse comme elle traverse les êtres. Ainsi Tess est-elle fréquemment comparée à une plante remplie de sève : « some spirit within her rose automatically as the sap in the twigs »[29]. Ce « spirit » traverse également Angel au contact de la nature, mais Hardy emploie cette fois le terme Life[30]. L’influence vitaliste, encore très présente dans l’air du temps à la fin du XIXème siècle, semble se combiner ici à l’influence darwinienne, puisque la sélection naturelle agit comme une force orientée vers le progrès et même la perfection de l’espèce[31]. L’interprétation nietzschéenne de la sélection naturelle, cette « volonté de puissance » qui se meut sans but et sans intention, n’est pas celle de Hardy, qui insiste au contraire sur l’idée de finalité. Pour lui, l’« énergie » qui traverse les êtres est bien la preuve d’un telos à l’oeuvre dans la nature, comme le montre le passage où Tess, quittant Marlott après la mort de son enfant, est mue par « The irresistible, universal, automatic tendency to find sweet pleasure somewhere […] »[32] ; ou encore celui où elle finit par accepter d’épouser Angel et se sent alors entrainée à nouveau par une force :
The »appetite for joy », which pervades all creation, that tremendous force which sways humanity to its purpose, as the tide sways the helpless weed, was not to be controlled by vague lucubrations over the social rubric.[33]
L’expression « appetite for joy » est présentée comme une citation, mais peut-être faut-il y voir un procédé de soulignement car elle n’apparait que dans Tess. L’adjectif « tremendous » pourrait quant à lui être traduit par l’adjectif « formidable » : il est bien question ici d’une force formidable – et non pas effrayante – qui se répand dans la création et l’emporte vers son but.
L’homme, la femme et l’animal dans l’organisme universel
Hardy s’interroge particulièrement sur la place de l’homme dans la nature et enrichit sa conception globalement darwinienne de la nature par son imaginaire personnel. Ainsi, dans le grand organisme vivant, la femme occupe pour Hardy une place toute particulière. Si l’on a pu reprocher à Darwin d’avoir été influencé par la morale de son temps dans les développements qu’il consacre à la femme dans The Descent of Man[34], Hardy semble bien avoir hérité de cette morale – la femme est plus proche de la nature que l’homme – mais elle ne semble pas reposer chez lui sur les mêmes soubassements idéologiques. En effet, Hardy insiste sur l’union de la nature et de la femme, qui semblent constamment fusionner. Ainsi, lorsque Tess participe à la moisson à Marlott, le narrateur commente le travail des femmes en ces termes :
[…] the charm which is acquired by woman when she becomes part and parcel of outdoor nature and is not merely an object set down therein as at ordinary times. A field-man is a personality afield; a field-woman is a portion of the field; she has somehow lost her own margin, imbibed the essence of her surrounding, and assimilated herself with it.[35]
La femme, lorsqu’elle travaille aux champs, devient « partie intégrante » de la nature. Le narrateur souligne « le charme » que cela produit, posant ici encore un regard esthétique sur la nature. Cette remarque doit être rapprochée des critiques hardyennes de la société industrielle, et notamment de la précarisation des conditions du travail agricole, qui aurait rompu selon lui le contact entre l’homme et la nature. Ainsi, dans l’essai The Dorsetshire Labourer, qu’il consacre en 1883 à la situation des travailleurs agricoles dans le Dorset, Hardy souligne que les travailleurs sans terre sont devenus des « oiseaux de passage » qui ont « perdu contact avec leur environnement »[36]. L’inscription de la femme dans la nature est positive pour Hardy, comme en témoigne notamment le destin de Sue dans Jude l’Obscure : ses malheurs proviennent du fait qu’elle est véritablement une femme dé-naturée. Tess est au contraire absolument femme en tant qu’elle se fond dans la nature, fusionne avec elle, incarne une vie naturelle, même si cela la condamne aux yeux de la société. Lorsqu’elle marche jusqu’à Flintcomb-Ash, elle est « a figure which is part of the landscape »[37]. On retrouve la même image lorsque Tess arpente les alentours de Marlott pendant sa grossesse : « On these lonely hills and dales her quiescent glide was of a piece with the element she moved in. Her flexuous and stealthy figure became an integral part of the scene »[38]. Ces épisodes où Tess vit au rythme de la nature la régénèrent et relancent son destin dans une dynamique positive.
Tess vit également en harmonie avec les animaux, qu’elle considère explicitement comme ses égaux : lorsqu’elle découvre des oiseaux blessés et agonisants, elle n’hésite pas à abréger leurs souffrances et ne comprend pas comment les hommes ont pu s’en prendre à « their weaker fellows in Nature’s teeming family »[39]. Son attitude est la même au moment de la mort du cheval Prince, dont elle se sent responsable, allant jusqu’à se considérer comme une meurtrière. Sa compassion à l’égard des animaux découle de sa conscience d’appartenir comme eux à l’organisme universel de la nature. En ce sens, Jude apparaitra comme un double masculin de Tess, puisque l’un des tous premiers épisodes de Jude The Obscure montre le jeune Jude incapable d’accomplir le travail pour lequel il est payé : chargé de chasser les moineaux qui viennent manger les fruits d’un paysan, il ne peut se résoudre à chasser ses semblables[40]. La compassion des personnages hardyens envers les animaux est une idée que l’auteur puise chez Darwin, comme on peut lire dans The Life of Thomas Hardy :
Few people seem to perceive fully as yet that the most far-reaching consequence of the establishment of a common origin of all species is ethical; that it logically involved a readjustment of altruistic morals by enlarging as a necessity of rightness the application of what has been called « The Golden Rule » beyond the area of mere mankind to that of the whole animal kingdom.[41]
La découverte d’une origine commune des espèces implique avant tout, pour Hardy, une nécessité éthique : l’homme doit considérer l’animal comme son semblable. C’est bien ce que fait Tess et c’est également l’attitude de ses parents, dès le début du roman, avec leur cheval. Par un procédé d’anthropomorphisation, Hardy souligne l’égalité de l’homme et de l’animal, ou plutôt le respect des populations rurales pour les animaux. L’enterrement du cheval Prince donne ainsi lieu à un passage singulièrement comique : l’instant est grave puisque la famille a perdu son principal moyen de subsistance, mais elle semble éprouver une peine véritable si bien que John Durbeyfield enterre Prince dans les règles, après avoir refusé de le vendre pour sa viande :
He worked harder the next day in digging the grave for Prince in the garden than he had worked for months to grow a crop for his family. When the hole was ready, Durbeyfield and his wife tied a rope round the horse and dragged him up the path towards it, the children following in funeral train.[42]
Enterré dans le jardin, le cheval est intégré à l’espace familial. Dans un mode de vie rural traditionnel, nul besoin en effet de rappeler le principal enseignement de la théorie darwinienne ; les populations rurales sont régies par une forme d’éthique que valorise Hardy. Mais dans Tess, il souligne de façon obsessionnelle le recul des sociétés rurales traditionnelles dans le contexte de la Révolution industrielle, qui rend nécessaire un rappel des devoirs de l’homme envers l’animal. La compassion de Tess, dans ce contexte, peut paraître inadaptée – celle de Jude, de façon plus remarquable, le condamne à perdre son travail – alors qu’elle est naturelle et juste.
La lutte pour l’existence : les enjeux des sélections naturelle et sexuelle
L’enjeu éthique des découvertes darwiniennes, que Thomas Hardy souligne à l’exemple des relations entre l’homme et l’animal, s’exprime également avec force à propos des relations humaines. En effet, la théorie darwinienne a immédiatement suscité un débat portant sur son applicabilité à l’homme, débat dans lequel Darwin est intervenu en consacrant The Descent of Man, and Selection in relation to Sex à l’évolution humaine. Il s’agissait pour lui de concilier sa théorie de la sélection naturelle avec le constat que les sociétés humaines ne sont pas (seulement) fondées sur les lois qui régissent la nature puisqu’elles se sont données des lois propres : la religion, la morale, etc. Ainsi, par exemple, les sociétés humaines ont toujours pris en charge les plus faibles – les inadaptés – car les instincts altruistes ont été sélectionnés dans l’évolution humaine pour le bien de l’espèce. Il explique alors que la spécificité de l’évolution humaine est d’avoir sélectionné des instincts sociaux au bénéfice de la survie de la communauté et au détriment de la survie d’un seul. Autrement dit, la loi de la sélection naturelle aurait été largement infléchie dans l’évolution humaine. Si Darwin se borne à analyser le passé, d’autres évolutionnistes utilisent ses analyses pour penser le devenir de la société humaine ; globalement deux théories s’opposent : pour Spencer, la société doit se fonder sur la sélection naturelle et favoriser les plus forts, alors que d’autres, comme Huxley, pensent que la société doit se construire en s’opposant à la nature. Ainsi, dans Evolution and Ethics, il écrit : « That which lies before the human race is a constant struggle to maintain and improve, in opposition to the State of Nature, the State of Art of an organized policy »[43].
Hardy répond à Darwin et à ses successeurs en mettant cette problématique au centre de son roman : la vie en société est-elle/doit-elle être régie par les lois naturelles ? Sa réponse est parfaitement originale puisque les romans hardyens proposent à la fois un constat assez pessimiste – la société contemporaine semble bien régie par les lois de la sélection darwinienne – et un appel plus optimiste à une refondation de la société sur le modèle réel de la nature. Ainsi, les histoires hardyennes peuvent souvent se résumer à une mise en intrigue de la célèbre formule darwinienne de « lutte pour l’existence ». A l’anthropomorphisation des animaux répond l’animalisation de Tess, souvent décrite comme un animal[44], et dont les relations avec les autres sont exprimées à travers la métaphore structurante de la chasse. Comparée à une « hunted soul »[45], Tess passe en effet son temps à fuir les hommes qui la poursuivent comme une proie. Le motif de la sélection sexuelle – la lutte des mâles pour les femelles – donne lieu à l’une des parties les plus sombres du roman. Mais tout se passe comme si Tess était inadaptée à la lutte, voire s’y refusait. Comme Jude, elle semble porteuse de valeurs qui ne lui permettent pas de s’adapter à son environnement, ce qui en termes darwiniens revient à un échec dans la lutte pour l’existence. Ainsi, lorsqu’elle est rejetée par Angel après lui avoir avoué son passé, le narrateur suggère que Tess aurait pu retenir ce dernier si elle avait voulu lutter. Il souligne alors sa « resignation »[46], qui revient comme un leitmotiv pour expliquer son comportement. Cette résignation est explicitement liée à une forme de fatalisme populaire, comme si la capacité d’adaptation à la lutte se situait du côté des élites montantes de la bourgeoisie : Alec, qui séduit Tess (dans la bien nommée forêt de la Chasse), la poursuit tout au long du roman, et parvient finalement à la faire revenir à lui. Il semble parfaitement adapté à son environnement. L’attitude de Tess face à la lutte est remarquable également dans l’épisode de Talbothays, où elle se retrouve de facto en compétition avec d’autres femmes pour obtenir l’amour d’Angel. Significativement, Tess – qui estime que le mariage n’est plus pour elle – se refuse à entrer dans la lutte, même si elle s’impose naturellement comme l’élue d’Angel. En fait, si toutes les employées de la laiterie soupirent pour lui, la compétition chez les femmes est atténuée par une solidarité derrière laquelle se cache une forme de résignation. Tout se passe comme si la nature nous enseignait d’une part le fatalisme – Hardy évoque ainsi « […] the fatalistic convictions common to field-folk and those who associate more extensively with natural phenomena than with their fellow-creatures […] »[47] – et d’autre part, une vie en accord avec la loi de solidarité que Hardy semble privilégier dans sa représentation de la nature. Si Darwin fait reposer la lutte pour l’existence sur les principes complémentaires de la compétition et de la solidarité, Hardy semble placer la compétition du côté de la société et la solidarité du côté de la nature. Il inverse ainsi les termes du débat de son temps puisque la place de la compétition est souvent surévaluée dans la théorie darwinienne de la nature tandis que la solidarité y considérée comme un instinct purement social. Dans l’interprétation que donne Hardy de la lutte pour l’existence, il semble au contraire que la société doive se refonder sur le modèle d’une nature conçue comme totalité solidaire, pour contrer les effets dévastateurs, sur la vie et les sociétés humaines, de la révolution industrielle, de la religion, ou encore de la morale.
Les femmes – et sur ce point l’imaginaire romantique de Hardy s’accorde avec les analyses darwiniennes[48] – sont chargées de répandre les valeurs naturelles d’altruisme et d’amour. Les actions de Tess sont donc toujours motivées par l’amour, qu’il s’agisse de celui qu’elle porte à sa famille et qui la conduit à retourner vers Alec pour les aider ou de celui qu’elle porte à Angel, qui la mène jusqu’au meurtre. Au contraire, les hommes du roman représentent deux types de perversion de la loi naturelle qui sont révélateurs du fonctionnement de l’Angleterre victorienne : Alec met en application exclusivement le principe de compétition tandis qu’Angel, par un excès de rationalisme et par ses préjugés, s’éloigne lui aussi des instincts naturels de solidarité et d’altruisme. Ainsi, si Hardy thématise bien les principes de sélection naturelle et sexuelle, il insiste aussi sur le rôle nécessaire de l’instinct altruiste dans l’évolution. Selon lui, la nature est principalement régie par la solidarité, comme en témoigne l’univers des femmes proche de la nature, alors que le monde triomphant des hommes est régi par la compétition. C’est à travers le personnage d’Angel qu’il thématise la possibilité de se rapprocher de la nature, de la prendre modèle pour régénérer la société.
Talbothays, ou le modèle de la nature
L’épisode de Talbothays se présente à bien des égards comme une mise à l’épreuve de la croyance en une possible régénération de la société par le modèle naturel. En effet, Angel s’y rend pour faire l’expérience de la vie rurale car il projette de devenir fermier. Il y rencontre Tess et découvre avec elle l’amour vécu en accord avec la nature. La période vécue à Talbothays est celle du plus grand bonheur pour Angel comme pour Tess, car leur vie y est totalement en harmonie avec le rythme de la nature. Après la mort de son enfant, c’est un véritable renouveau pour Tess :
Tess had never in her recent life been so happy as she was now, possibly never would be so happy again. She was, for one thing, physically and mentally suited among these new surroundings. The sapling which had rooted down to a poisonous stratum on the spot of its sowing had been transplanted to a deeper soil.[49]
La comparaison récurrente de Tess avec un végétal réapparait ici de façon particulièrement intéressante : Tess a été transplantée, ramenée à la vie naturelle comme par une greffe qui aurait réussi. Enracinée profondément dans une terre meilleure, elle trouve le bonheur. Il est donc possible de se greffer dans un espace naturel pour y refonder sa vie. Pour Hardy, l’enracinement est la condition du bonheur. Dans The Dorsetshire Labourer comme dans Tess of the D’Urbervilles, les migrations imposées aux travailleurs agricoles par les exigences de la Révolution industrielle mettent à mal un mode de vie traditionnel, fondé sur l’ancrage dans un milieu donné. Pour Tess, le malheur fait retour lorsqu’elle est obligée de quitter à nouveau la terre où elle était enracinée et se trouve condamnée à l’errance. Pour Angel, la greffe semble opérer également puisqu’il découvre à Talbothays une vie nouvelle, qui lui fait découvrir la vanité de la vie qu’il avait connue auparavant, et le guérit de « […] the chronic melancholy which is taking hold of the civilized races with the decline of belief in a beneficient Power. »[50], liée ici à une perte de la foi qui semble pouvoir être compensée par une fois en la nature, dont il découvre les « voix » :
He grew away from old associations and saw something new in life and humanity. Secondarily, he made close acquaintance with phenomena which he had before known but darkly – the seasons in their moods, morning and evening, night and noon, winds in their different tempers, trees, waters and mists, shades and silences, and the voices of the inanimate things.[51]
Paradoxalement, Angel découvre en un mode de vie rural ancestral « something new in life and humanity » pour lui. L’enseignement qu’il tire de son expérience est profond et touche à sa conception même de l’existence. L’harmonie qu’il trouve dans la nature est une question de rythme et de déroulement temporel : vivant au rythme de la nature, il retrouve son énergie en même temps que sa place dans le grand organisme du vivant. Le regard que pose Angel sur les habitants de Talbothays, Tess et ses comparses, est analytique. L’enjeu de ses réflexions est constitué par l’opposition entre nature et culture, comme on le voit dans le passage suivant :
Her unsophisticated open-air existence required no varnish of conventionality to make it palatable to him. He held that education has as yet but little affected the beats of emotion and impulse on which domestic happiness depends. It was probable that in the lapse of ages, improved systems of moral and intellectual training would appreciably, perhaps considerably, elevate the involuntary and even the unconscious instincts of human nature; but up to the present day, culture, as far as he could see, might be said to have affected only the mental epiderm of those lives which had been brought under its influence. This belief was confirmed by his experience of women, which, having latterly been extended from the cultivated middle class into the rural community, had taught him how much less was the intrinsic difference between the good and wise woman of one social stratum and the good and wise woman of another social stratum than between the good and bad, the wise and the foolish, of the same stratum or class..[52]
Hardy place son lecteur à l’intérieur des pensées d’Angel, qui oppose le mode de vie de la « cultivated middle class » à celui de la « rural community » pour en déduire que, à ce moment au moins de l’histoire humaine, la culture ne saurait dépasser une vie guidée par des « mouvements naturels », impulse. Tout le passage consacré à la vie de Tess et d’Angel à la laiterie est caractérisé par une réciprocité parfaite des forces qui animent la nature et des sentiments qui agitent les deux amants, l’inscription harmonieuse de leur amour dans la nature étant constamment souligné. Si cet amour échoue à s’inscrire dans la durée, le narrateur souligne pourtant qu’il est en accord avec la nature et que seules les convenances sociales l’ont condamné à l’échec.
Dans cet épisode, et dans son traitement général de la nature, Hardy adopte une position claire et originale au sein des débats du darwinisme social : pour lui, la nature est bien un modèle aux lois de laquelle la société devrait être soumise. Mais ce qui le sépare de Spencer par exemple, c’est sa conception même de la nature, dont on a vu qu’elle était fondée sur l’harmonie et la solidarité. S’il évoque parfois la « cruel Nature’s law »[53], qui repose en effet sur une âpre sélection, le bonheur ne saurait cependant être trouvé hors d’une acceptation de ces lois.
Le temps long de l’évolution et l’agrandissement du monde
Dans le roman, les personnages échouent à refonder la vie et la société sur la nature à cause de leurs préjugés, mais il ne faudrait y voir la preuve d’un pessimisme radical. En effet, Hardy découvre également avec Darwin et les découvertes géologiques que l’évolution humaine se situe dans un temps long, et que la situation de la société contemporaine est à relativiser. Le destin des personnages se déroule dans un lieu marqué par la profondeur de l’histoire, comme l’a bien montré Isabelle Gadoin dans un article sur The Woodlanders :
Comme chez Darwin enfin, cette théorie hardyenne de l’évolution se développe comme pensée historique sur l’origine et le devenir des êtres, et le paysage semble garder mémoire des diverses variations d’une même espèce à travers le temps, dans tous ces fossiles de plantes disparues qui parsèment les bois et que l’on pourrait littéralement nommer « the vestiges of creation » (…) Le paysage de Hardy est un paysage toujours habité par le souvenir des disparus, qui vient hanter les promeneurs dès la toute première page.[54]
Hardy ne cesse en effet de nous rappeler à la petitesse d’une existence humaine dans l’immensité des générations qui se sont succédées sur terre, mais aussi qui s’y succèderont après nous. Ainsi, Tess remonte à Marlott « a street laid out before inches of land had value, and when one-handed clocks sufficiently subdivided the day »[55], mais elle est également faite prisonnière à Stonehenge, temple des vents ayant traversé l’histoire. Si cette profondeur historique peut être vue comme une invitation à abandonner une perspective ethnocentriste – et Tess en a particulièrement conscience[56] – elle indique aussi la possibilité de changer lentement mais profondément le monde. Ainsi, l’avenir de l’évolution est inconnu et laisse l’homme libre d’agir pour inverser le cours de l’histoire. L’évocation des origines de l’humanité – à travers Stonehenge par exemple – va de pair chez Hardy avec la croyance en un recommencement possible, en une régénération toujours possible de l’humanité. Le motif édénique intervient ainsi comme un leitmotiv dans le roman, plus particulièrement lorsque Tess et Angel vivent librement leur amour à Talbothays ainsi qu’à la fin du roman[57]. Hardy ajoute à l’idée darwinienne d’une évolution longue de l’espèce humaine une croyance en un temps cyclique, articulé sur le temps naturel, qui rend toujours possible une refondation de la société.
Ainsi, la théorie de l’évolution peut être lue comme une promesse comme en témoignent ces mots de Hardy lui-même dans The Life of Thomas Hardy :
Altruism, or the Golden Rule, or Whatever ‘Love your Neighbour as Yourself’ may be called, will ultimately be brought about, I think, by the pain we see in others reacting on ourselves, as if we and they were part of one body.[58]
Le « méliorisme » de Thomas Hardy se fonde explicitement sur une conception de la nature et de la place de l’homme en son sein qui va de pair avec une foi dans le progrès à venir. Tess of the D’Urbervilles peut en effet se lire comme une invitation à l’action, ou à la réaction, face à l’orientation qu’a prise la société. Le geste meurtrier de Tess peut être interprété en ce sens, comme une révolte, et s’il la condamne, il ouvre la possibilité d’une nouvelle vie, figurée par le couple formé par Angel et Liza-Lu, dont le dernier chapitre représente l’ascension. En outre, Angel a été converti à l’amour par Tess : ses qualités humaines, naturelles, ont fait d’elle l’« agent d’un changement »[59] dans le roman. Son inadaptation à son milieu, qui l’a conduite à la mort, est liée aux circonstances, mais Hardy la présente comme étant porteuse de ces qualités que l’évolution sera peut-être amenée à sélectionner et à faire triompher à l’avenir.
L’immensité du monde, la diversité du vivant, sont également des promesses pour Hardy, qui y voit une invitation à relativiser les lois morales et sociales en les replaçant dans un contexte mondial. Ainsi, Angel ne comprend l’erreur où l’a conduite la petitesse de ses convictions que lorsqu’il rencontre un homme qui a beaucoup voyagé au Brésil :
[…] to his cosmopolitan mind such deviations from the social norm, so immense to domesticity, were no more than are the irregularities of vale and mountain-chain to the whole terrestrial curve.[60]
La découverte d’une profonde diversité des espèces et de leur origine pourtant commune offre la possibilité de découvrir d’autres modes d’organisation de la société. L’échec d’Angel à s’installer au Brésil ne signifie pas qu’on ne saurait trouver de secours dans le vaste monde ; bien au contraire, c’est au Brésil qu’il découvre la profondeur de son erreur.
Les théories de Darwin apportent un profond changement de perspective sur l’existence humaine, dont Hardy souligne l’impact positif. Dans Tess of the D’Urbervilles, il revient sur les grands aspects de la théorie darwinienne pour les mettre à l’épreuve de son imaginaire. Prenant part au débat scientifique et philosophique qui agite l’Angleterre victorienne, il propose une vision de la nature comme organisme vivant mû par la solidarité et non seulement par la compétition. Il invite ainsi à prendre en considération les implications éthiques du darwinisme, faisant de Tess un personnage idéaliste, apôtre d’une conception de la société et de la vie fondée sur l’altruisme, grâce auquel toutes les parties du grand organisme qu’est l’univers peuvent être unies. La vision hardyenne du monde mêle subtilement les acquis de la science moderne aux croyances romantiques. Si Hardy est conscient des cruelles implications de la théorie de l’évolution, comme par exemple l’athéisme, il est aussi convaincu que « la mort de Dieu » rend l’homme pleinement responsable de l’avenir de l’évolution des sociétés humaines. En ce sens, la théorie de l’évolution, dans la mesure où elle s’accompagne d’une profonde croyance en la nature, peut et doit devenir l’instrument d’une refondation de la société.
ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XIII
[1] William Archer, Real conversations, London, 1904, p.46-47. L’auteur attribue les propos suivants à Hardy : « Mon pessimisme – s’il s’agit de pessimisme – ne signifie pas que j’affirme que le monde va à vau-l’eau… Au contraire, ma philosophie pratique est clairement mélioriste. Que sont mes livres si ce n’est un même plaidoyer contre « l’inhumanité de l’homme envers l’homme », la femme, et les animaux inférieurs ?… Quels que soient le bien ou le mal qui sont inhérents à la vie, il est certain que les hommes la rendent bien pire qu’elle n’a besoin d’être… » (ma traduction)
[2] L’ouvrage Evidence as to Man’s Place in Nature, paru en 1863, est déjà consacré à l’évolution humaine, bien avant la parution de The Descent of Man en 1871.
[3] L’expression « survival of the fittest » est l’interprétation que donne Spencer de la sélection naturelle dans l’ouvrage Principles of Biology, 1864. Spencer s’attache à appliquer les découvertes biologiques de Darwin à la vie en société.
[4] Parmi l’abondante littérature consacrée à ce sujet, voir George Levine, Darwin and the Novelists : Patterns of Science in Victorian Fiction, Chicago, London, University of Chicago Press, 1991; Gillian Beer, Darwin’s plots, Evolution in Darwin, George Eliot, and Nineteenth-Century Fiction, Cambridge, Cambridge University Press, 2000; John Glendening, The Evolutionary Imagination in Late -Victorian Novels, Aldershot, Burlington, Ashgate, 2007.
[5] Tess d’Urberville, traduit de l’anglais par Madeleine Rolland, Paris, Librairie générale française, coll. « Les Classiques de Poche », 1995, p. 149.
[6] Dans The Romantic conception of life, Science and Philosophy in the Age of Goethe (Chicago and London, University of Chicago Press, 2002), Robert J. Richards présente Darwin comme un héritier de la Naturphilosophie allemande et fait de lui un scientifique romantique. George Levine, dans Darwin loves you, Natural Selection and the Re-Enchantment of the World (Princeton and Oxford, Princeton University Press, 2008), fait le même constat et tente également de revenir au texte de Darwin pour souligner la positivité de sa conception de la nature.
[7] Zola, Le Roman expérimental, Paris, édition Charpentier, 1881, p. 1.
[8] Ibid, voir p.8 : « En somme, toute l’opération consiste à prendre les faits de la nature, puis à étudier le mécanisme des faits, en agissant sur eux par les modifications des circonstances et des milieux, sans jamais s’écarter des lois de la nature. Au bout, il y a la connaissance de l’homme, la connaissance scientifique de son action individuelle et sociale. »
[9] Voir Hardy, The Science of Fiction, in Thomas Hardy : Selected Poetry and Non-Fictional Prose, edited by Peter Widdowson, Houndmills, Basingstoke, Hampshire and London, Macmillan, 1997, p. 261. Ma traduction : elle « ne peut avoir aucune part que ce soit dans la construction d’une histoire »
[10] L’expression, chère à Zola, est en français dans le texte.
[11] Hardy, The Science of Fiction, op. cit., p. 264 : « une faculté d’observation informée par un coeur sensible » (ma traduction).
[12] Ibid. : « sensibilité en sympathie avec la vie dans toutes ses manifestations » (ma traduction).
[13] Je renvoie ici aux analyses d’Isabelle Gadoin dans « The Woodlanders : pur darwinisme ou « evolutionary meliorism » ? », Miranda, n°1, 2010. L’auteur évoque la satire des personnages de scientifiques chez Hardy et développe l’opposition entre une pensée rationnelle et une pensée magique, qui recouvre en partie l’idée de pensée poétique.
[14] Tess of the d’Urbervilles, p. 180. En français, édition citée plus haut, p. 193 : « Elle déborde de poésie… de poésie réalisée […] ».
[15] On rappellera seulement ici l’idéal romantique formulé par Schlegel dans les Kristische Fragmente : « Alle Kunst soll Wissenschaft, und alle Wissenschaft soll Kunst werden. » (« Tout art doit devenir science, et toute science doit devenir art », ma traduction). C’est en se référant à cet idéal que Robert J. Richards envisage Darwin comme un romantique.
[16] C’est également le cas pour la théorie de la dégénérescence, qu’Hardy n’applique pas pour expliquer le caractère de ses personnages, comme le fait par exemple Zola à la même époque, mais qu’il utilise comme un motif poétique inquiétant. En revanche, et de façon significative, Angel s’explique fréquemment le comportement de Tess par la théorie de la dégénérescence.
[17] Tess of the D’Urbervilles, Chicago, Penguin, coll. « Signet Classic », 1964, p. 306. En français, p. 314 : « A cette période d’humidité glacée succéda une autre période de gelée sèche où des oiseaux étranges, venant de par-delà le pôle Nord, apparurent silencieusement sur le plateau de Flintcomb-Adh : créatures décharnées et semblables à des spectres, avec des yeux tragiques, des yeux qui avaient contemplé des spectacles d’horreur et de cataclysme dans l’inconcevable grandeur de ces régions inaccessibles, sous des températures glaciales que nul être ne saurait endurer; qui avaient assisté au fracas des banquises et à l’éboulement des montagnes de neige à la lueur fulgurante de l’aurore boréale, qui avaient été à demi aveuglés par le tourbillon d’ouragans colossaux et de convulsions terraquées, et dont l’expression conservait encore le souvenir de pareilles visions. Ces oiseaux sans nom s’approchaient de Tess et de Marianne, mais ils ne révélaient rien de ce qu’ils avaient contemplé et que humanité ne connaitrait jamais. »
[18] Sa lettre d’aveu avant le mariage échoue sous un paillasson, tandis que sa dernière lettre à Angel quand il est au Brésil lui parvient trop tard.
[19] Tess of the d’Urbervilles, p.55. En français, p.70 : « Il suffit que, dans le cas actuel comme dans des millions d’autres, ne se rencontrèrent pas à la minute fatidique les deux moitiés d’un tout qui eût été parfait. L’une d’elles manquait, errant indépendante sur la terre et attendant dans un engourdissement stupide que le moment tardif arrivât. Et de ce retard maladroit devaient s’ensuivre inquiétudes, déceptions, amères souffrances et très étranges destinées. »
[20] Philippe Solal, « Darwin et la question de la finalité », in Miranda, N°1, 2010
[21] Ibid, p.5 : « Je n’entends par nature que l’action d’ensemble et le produit d’une multitude de lois naturelles, et par lois la séquence d’événements telle que nous l’avons vérifiée. » (ma traduction)
[22] The Romantic Conception of Life, op.cit., p.516 : « […] ses hypothèses romantiques le conduisirent à décrire la nature comme un organisme, par opposition à un mécanisme, et à identifier Dieu avec la nature, ou du moins à réanimer la nature au moyen de l’âme de la déité récemment disparue. » (ma traduction)
[23] Tess of the d’Urbervilles, p.80 (je souligne). En français, p.95 : « ils formaient avec la nature environnante un organisme dont toutes les parties se pénétraient avec une joyeuse harmonie. Ils étaient sublimes comme la lune et les étoiles qui les éclairaient et la lune et les étoiles partageaient leur ardeur »
[24] Tess of the d’Urbervilles, p.163 (je souligne). En français, p.177 : « La passion effaçait leurs différences individuelles et chacune n’était plus qu’une partie du même organisme féminin. ». Si l’on choisit une traduction plus fidèle au texte d’origine, il est question ici d’un « organisme que l’on appelle le sexe », et on voit que le sexe féminin est conçu comme un organisme solidaire.
[25] Tess of the d’Urbervilles, p.77. En français, p.92 : « une sorte de pollen à la fois végétal et humain »
[26] Tess of the d’Urbervilles, p.83. En français, p.98 : « les mouvements capricieux de leur marche semblaient faire partie de l’irradiation, les vapeurs de leur souffle produire le brouillard de la nuit, et la scène, le clair de lune, la nature, se mêler harmonieusement aux fumées de la boisson. »
[27] The Romantic conception of life, op.cit., p.525 : « La nature dont Darwin fit l’expérience était un cosmos, dans lequel des motifs organiques – terre, climat, végétation, animaux et humains – étaient tissés en une vaste toile battant du pouls de la vie » (ma traduction). Richards fait ici référence à l’expérience de Darwin pendant le voyage du Beagle.
[28] Tess of the d’Urbervilles, p.175. En français, p.188: « pouls puissant et passionné »
[29] Tess of the d’Urbervilles, p.116. En français, p.131 : « une énergie nouvelle la remplissait, montant, spontanée, comme la sève dans les ramilles ». L‘expression « some spirit », traduite en français par « énergie » peut renvoyer au vitalisme, mais surtout à l’expression d’une forme de mystère liée à cette force qu’il ne tente pas de rapprocher d’une théorie scientifique donnée.
[30] Tess of the d’Urbervilles, p.175
[31] Robert J. Richards cite ainsi L’Origine des espèces : « as natural selection works solely by and for the good of each being, all corporeal and mental endowments will tend to progress toward perfection. » (The Romantic conception of Life, p.537)
[32] Tess of the d’Urbervilles, p.120, en entier : « The irresistible, universal, automatic tendency to find sweet pleasure somewhere, which pervades all life, from the meanest to the highest, had at length mastered Tess. ». En français, p.120 : « l’irrésistible, l’universel instinct qui porte à trouver le bonheur ». L’adjectif « automatic », non traduit en français, renforce l’idée de loi universelle, qui « se répand » (pervades) dans tout le vivant.
[33] Tess of the d’Urbervilles, p.208 (je souligne). En français, p.220 : « cette force terrible qui entraine l’humanité vers le but assigné comme le courant entraine l’herbe impuissante »
[34] Dans le chapitre XIX de The Descent of Man, consacré aux « Caractères sexuels secondaires chez l’homme », Darwin décrit les caractéristiques physiques de la femme et affirme son infériorité par rapport à l’homme, aussi bien du point de vue physique qu’intellectuel. Être intermédiaire entre l’homme et l’enfant, elle apparaît également – entre les lignes cette fois – comme un être intermédiaire entre l’homme et l’animal.
[35] Tess of the d’Urbervilles, p.103 (je souligne). En français, p.119 : « le charme acquis par la femme quand elle devient partie intégrante de la nature et du grand air. Un homme qui travaille aux champs y est une personnalité distincte; une femme s’y confond; elle est, pour ainsi dire, sortie d’elle-même; elle est comme imprégnée de l’essence de ce qui l’entoure; elle s’y est assimilée. »
[36] The Dorsetshire Labourer, in Thomas Hardy : Selected Poetry and Non-Fictional Prose, op.cit., p.275-276 (ma traduction).
[37] Tess of the d’Urbervilles, chapter XLII
[38] Tess of the d’Urbervilles, p.101. En français, p.117 : « elle glissait d’un pas silencieux et tranquille en accordavec l’élément dans lequel elle se mouvait. Sa silhouette souple et furtive devenait partie intégrante du paysage. »
[39] Tess of the d’Urbervilles, p.297. En français, p.305 : « leurs frères sans défense, enfants comme eux de la féconde nature. »
[40] Jude The Obscure, London, Penguin Books, coll. « Penguin Classics », 1998, p.15 : « […] at length his heart grew sympathetic with the birds’ thwarted desires. They seemed, like himself, to be living in a world which did not want them »
[41] The Life of Thomas Hardy 1840-1928, Florence Emily Hardy, London, Macmillan & Co Ltd, 1962, p.349 : « Peu de gens semblent avoir pour l’instant compris complètement que la conséquence la plus importante del’établissementd’une origine commune de toutes les espèces est d’ordre éthique; que cela impliquait logiquement un réajustement de la morale altruiste en montrant la nécessité qu’il y avait à appliquer justement ce qui a été appelé « Le commandement » en l’étendant au-delà de la simple sphère humaine jusqu’au royaume animal tout entier. » (ma traduction)
[42] Tess of the d’Urbervilles, p.46. En français, p.60 : « Le lendemain il se donna plus de peine pour creuser une fosse à Prince qu’il ne s’en était donné pendant des mois pour faire pousser la récolte de la famille. Quand le trou fut prêt, Durbeyfield et sa femme attachèrent une corde autour du cheval et le tirèrent jusque-là sur le sentier, tandis que les enfants suivaient en convoi funèbre. »
[43] Cité par George Levine, Darwin loves you, op.cit., p.51: « Ce qui attend la race humaine, c’est une lutte constante pour maintenir et améliorer, contre l’Etat de Nature, l’Etat de l’Art d’une politique organisée. » (ma traduction)
[44] Semblable à un « wild animal » (293), elle est par exemple décrite aussi comme un « leopard » (204), et de manière générale, la sensualité de Tess, sa façon d’agir en conformité avec les lois de la nature, la rapprochent explicitement de l’animal dans le roman.
[45] Tess of the d’Urbervilles, p.295. En français, p.303 : « pauvre âme traquée »
[46] Tess of the d’Urbervilles, p.280
[47] Tess of the d’Urbervilles, p.220. En français, p.232 : « les convictions fatalistes communes aux campagnards et à ceux qui sont plus souvent en contact avec les phénomènes de la nature qu’avec leurs semblables »
[48] Voir le chapitre XIX de La Descendance de l’homme, Paris, Complexe, 1981, traduction de E. Barbier, sur les « Caractères sexuels secondaires chez l’homme », p.616 : « la femme déploie à un éminent degré sa tendresse à l’égard de ses enfants, par suite de ses instincts maternels; il est vraisemblable qu’elle puisse les étendre jusqu’à ses semblables. »
[49] Tess of the d’Urbervilles, p.145. En français, p.160 : « De longtemps, Tess n’avait été aussi heureuse; peut-être ne devait-elle jamais l’être à ce point! D’abord, elle était faite au physique et au moral pour ce qui l’entourait. Le jeune arbre, qui avait pris racine dans la couche empoisonnée où on l’avait semé, avait été transplanté dans une terre plus profonde. »
[50] Tess of the d’Urbervilles, p.135. En français, p.149 : « la mélancolie chronique qui s’empare des races civilisées avec le déclin de la foi en une puissance bienfaisante (…) ». Cette expression apparaît comme une autre formulation du célèbre « ache of modernism » (p.140) que décrit Hardy.
[51] Tess of the d’Urbervilles, p.135. En français, p.149 : « Il se détacha des anciens souvenirs et découvrit quelque chose de nouveau dans la vie et dans l’humanité. Il fit de près connaissance avec les phénomènes dont il avait jusque-là une idée fort imprécise: les saisons et leurs modes, le matin et le soir, la nuit et le plein midi, les vents et leurs humeurs diverses, les arbres, les eaux et les vapeurs, les ombres et les silences et les voix des choses inanimées. »
[52] Tess of the d’Urbervilles, p.182. En français, p.194 : « Cette vie au grand air, pure et naïve, n’avait besoin d’aucun vernis conventionnel pour lui plaire. Il considérait que l’éducation n’avait eu jusqu’ici que peu d’influence sur les émotions et les mouvements naturels dont dépend le bonheur domestique. Il pouvait se faire que, dans le cours des âges, des systèmes perfectionnés arrivassent à élever et transformer les instincts involontaires et même inconscients de la nature humaine; mais, en attendant, la culture lui paraissait n’avoir guère atteint que l’épiderme mental des êtres qu’elle avait touchés. Sa conviction se trouvait confirmée par son expérience des femmes cultivées de la classe moyenne, qu’il avait pu récemment comparer à celles de la société rustique; elle lui avait appris combien la différence entre la femme bonne et sage d’une couche sociale et la femme bonne et sage d’une autre couche sociale est moindre qu’entre les bonnes et les mauvaises, les sages et les sottes de la même classe. »
[53] Tess of the d’Urbervilles, p.163
[54] Isabelle Gadoin, « The Woodlanders : pur darwinisme ou « evolutionary meliorism » ? », in Miranda, n°1, 2010, p.5
[55] Tess of the d’Urbervilles, p.35. En français, p.50 : « une rue tracée au temps où les pouces de terrain n’avaient pas encore de valeur et où les horloges à aiguille unique suffisaient à partager le jour. »
[56] Tess s’exclame par exemple, p. 142 : « Because what’s the use of learning that I am one of a long row only – finding out that there is set down in soom old book somebody just like me, and to know that I shall only act her part; making me sad, that’s all. The best is not to remember that your nature and your past doings have been just like thousands’ and thousands’, and that your coming life and doings’ll be like thousands’ and thousands’ »
[57] Rappelons que ces analyses s’appliquent à Tess d’Urberville, où il est peu question d’une nature violente, qui s’opposerait justement au mythe édénique d’une nature bienveillante. Voir les analyses de Laurence Estanove dans « « The disease of feeling » : Thomas Hardy et l’évolution excessive », in Miranda, n°1, 2010
[58] The Life of Thomas Hardy, op.cit., p.224 : « L’altruisme, ou le Commandement divin, ou tout ce à quoi renvoie l’expression « Aime ton Voisin comme Toi-même », seront amenés à être mis en application au bout du compte, je pense, par la réaction que la vue de la souffrance chez les autres provoque en nous, comme si nous étions les membres d’un seul corps. »(ma traduction)
[59] Je renvoie ici à l’expression de Virginia R.Hyman, dans Ethical Perspective in the novels of Thomas Hardy, Port Washington, NY and London, National University Publications, Kennikat Press, 1975. Elle y analyse Tess d’Urberville comme faisant triompher l’altruisme, à partir de l’étude de l’influence d’Auguste Comte sur Thomas Hardy.
[60] Tess of the d’Urbervilles, p.360. En français, p.367: « pour son esprit cosmopolite, ces infractions à la règle sociale, qui paraissaient énormes à un esprit bourgeois, n’étaient que les irrégularités de vallées et de montagnes sur l’écorce terrestre. »