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2 – Raconter le virus : Dialogue interdisciplinaire sur la transposition narrative du discours biologique

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Introduction

Commençons par une simplification : pendant que le scientifique modélise le vivant, l’écrivain littéraire le met en récit. Face aux complexités du vivant, l’un comme l’autre donne forme aux relations entre les êtres étudiés, une forme qui permet au lecteur d’imaginer et de donner sens au monde décrit. Lorsque l’écrivain raconte ce que voit et apprend le scientifique, la transposition narrative du discours scientifique fait jouer toute une gamme de procédés de traduction, de la reformulation à la métaphore, voire la transformation de la forme narrative elle-même (Beer 1996).

Et lorsque le biologiste se lance le défi de mettre en récit les connaissances issues de la science, le dialogue avec le littéraire peut apporter des réponses narratologiques aux questions qu’il se pose. Eric Bapteste, directeur de recherche en biologie évolutive, auteur d’un roman et d’un essai de vulgarisation, confronté à la difficulté de mettre en mots la complexité du monde biologique, vient ici débattre avec une chercheuse en littérature contemporaine des procédés narratifs qui lui permettront de mettre cette diversité sous la forme de récits. En retour, ses questions d’écrivain vulgarisateur apportent à Liliane Campos un nouvel éclairage sur les perspectives biologiques de la fiction contemporaine et les formes narratives prises par cet imaginaire. Ensemble, ils interrogent quelques difficultés posées par une mise en récit réaliste du monde complexe des virus, et les procédés qui peuvent permettre de répondre à ce défi. Comment la fiction pourrait-elle s’inspirer des découvertes réalisées récemment sur les virus ? Comment la forme littéraire peut-elle transposer ces relations complexes, impliquant différentes échelles et différentes temporalités du vivant ?  La modélisation en science a-t-elle des cousins dans la littérature, des procédés de formalisation qui pourraient communiquer des idées similaires ? Le dialogue présenté ici dessine cinq champs d’investigation pour répondre à ces questions :

– i) les façons dont la structure narrative, par ses jeux de focalisation et d’échelle, peut tenir compte de l’extrême hétérogénéité de la taille des populations interactives de virus et de leurs hôtes, de la multiplicité des échelles temporelles exploitables, et de la multiplicité des échelles physiques concernées ;

– ii) le potentiel déstabilisateur des virus dans les schémas actantiels classiques, en raison de la dynamique des relations entre les virus et leurs hôtes qui rend difficile leur association avec une fonction actantielle fixe ;

– iii) l’opportunité et la complexité d’une métaphorisation par la littérature d’un discours scientifique non exempt de ses propres métaphores, cette métaphorisation littéraire reposant sur une diversité d’imaginaires mobilisés pour transformer le discours scientifique en récit, surtout dans l’éventualité où le discours scientifique sur l’infiniment petit s’avèrerait attrayant pour l’écrivain de fiction en raison de son potentiel métaphorique pour explorer les relations humaines ;

– iv) la transformation des relations virales en schèmes poétiques à l’issue d’une narrativisation, et donc la transposabilité rhétorique des images structurantes du discours scientifique ;

– v) l’invention de nouveaux personnages pluriels, qui puissent incarner l’association entre différentes formes de vie.

Pour commencer, soulignons que raconter ces virus omniprésents dans nos vies ne semble pas réellement une préoccupation en littérature. Alors que le thème de l’épidémie (souvent bactérienne) a une longue histoire, le virus en tant que tel apparaît peu dans les œuvres littéraires. Lorsqu’on y cherche des récits de relations présentant des caractéristiques proches des relations étudiées par les virologues, ceux qui s’en rapprochent le plus décrivent souvent des relations écosystémiques ou des réseaux dont les agents sont déjà des êtres humains, et non pas des relations systémiques au cœur de l’humain impliquant des agents plus petits et plus nombreux. Nous nous appuyons donc ici sur un corpus hybride, de la science-fiction des années 1980 au roman contemporain, en confrontant des fictions qui intègrent des virus à d’autres qui présentent des relations semblables à celles décrites par les virologues. Nous imaginons surtout le champ du possible, afin de proposer des pistes pour des récits plus réalistes qui intégreraient les connaissances, ou si possible l’esprit des découvertes de virologie. Les deux dernières pistes examinées dans ce dialogue sont les plus prospectives, car elles ont peu servi jusqu’ici à élaborer des récits incluant spécifiquement les virus.

Ce dialogue condense une série de conversations, initiées par une communication d’Eric Bapteste donnée à la Sorbonne Nouvelle en mai 2016, sur « Les bons et mauvais côtés des virus dans la vie et la littérature ». L’image de la vignette a été réalisée par Elina Huneman.

I. Premier défi de la transposition : les échelles multiples de la structure narrative

E. Bapteste: « Les virus sont les entités les plus abondantes sur la planète. Il y aurait 5*1030 bactéries sur terre, c’est-à-dire 5 suivi de trente zéros, et 10 à 100 fois plus de virus. En plus d’être très nombreux, les virus sont extrêmement divers. Ils ne constituent pas une classe homogène. Leur matériel génétique est varié. On trouve en effet des virus porteurs de double-brins d’ADN (acide désoxyribonucléique), tandis que d’autres contiennent de simples brins d’ADN, et d’autres encore de simples brins d’ARN (acide ribonucléique), à polarité négative, à polarité positive, etc. Certaines particules virales ressemblent à des ballons de football, d’autres à des suppositoires. En raison de cette complexité organisationnelle et compositionnelle, il y a aujourd’hui un moratoire sur la classification des virus tant celle-ci pose de problèmes aux scientifiques. Il existe même des virophages, qui sont des virus de virus, découverts en 2008. Plus précisément, ces virophages logent à l’intérieur de l’ADN des virus géants, tapis au cœur de leurs instructions génétiques.

Différents, inclassables, emboîtés, innombrables : il faudrait pouvoir écrire sur des éléments aussi compliqués si on décidait de transposer les connaissances scientifiques en un récit réaliste. Ceci pose au minimum une question triviale : comment inclure autant de « personnages » dans une trame narrative ? La Comédie Humaine de Balzac, déjà fournie, se limiterait à 2472 protagonistes. En outre, les virus se multiplient très rapidement, et ils se transforment très rapidement. Les scientifiques le savent bien : modéliser l’évolution des virus est un défi. Ceci est déjà vrai à court terme, pour les virologues qui tentent de prédire les prochaines formes du virus de la grippe. Et la démarche est évidemment encore plus aléatoire sur des temps très longs, en biologie évolutive. Or les virus sont présents sur la planète depuis des milliards d’années, responsables de nombreuses innovations biologiques. Voilà donc un défi narratif supplémentaire: comment décrire autant de générations successives ? Les Mystères du peuple d’Eugène Sue, réputé comme l’une des œuvres littéraires impliquant un très grand nombre de descendants et d’ascendants, ne couvre que 104 générations, bien trop peu pour rendre compte par le menu des lignées de virus qui se sont succédées au cours du temps. D’autant plus que l’histoire intéressante à retracer n’est pas exclusivement, de façon univoque, celle des virus, mais aussi celle des hôtes qu’ils infectent. Ceux-ci, quand ce sont des humains, ont des temps de générations nettement plus longs que les virus. Sauf malchance, je survivrai à plusieurs grippes. Par conséquent, un récit réaliste sur les virus et leurs hôtes doit pouvoir donner leur place à des événènements caractérisés par des temporalités multiples, imposées par la différence de vitesse de génération entre ces agents.

Le problème peut même être considérablement aggravé par une autre propriété des virus : leur aptitude hors du commun à traverser les échelles de temps. Des virus différents, vieux de 30 000 ans ont pu être facilement réssucités par des biologistes décongelant du permafrost. En raison du réchauffement climatique, cette observation inquiète les scientifiques. Elle pourrait en revanche stimuler les auteurs littéraires. Les virus sont des agents capables d’influencer le devenir d’autres entités sur des échelles de temps géologiques, et sur des échelles de temps instantanées. Mais, si on veut s’appuyer sur ce type de propriétés, comment un récit pourrait-il suivre l’impact des mêmes agents sur des dizaines de milliers d’années et décrire des évènements liés, voire simultanés, qui se déroulent sur des échelles temporelles extrêmement différentes ? Une piste se trouve peut-être dans l’oeuvre de David Mitchell. Cependant, Cloud Atlas, son ouvrage le plus célèbre, ne court malgré tout que sur 472 ans! Enfin, il est notable que les virus, parce qu’ils ont besoin d’hôtes pour se reproduire, doivent s’étudier en analysant comment des organisations biologiques se connectent et s’emboîtent les unes dans les autres. Modéliser scientifiquement ces intrications est compliqué. De façon comparable, cette situation offre à la fois une opportunité et un défi pour les œuvres littéraires : comment produire un récit reposant sur des imbrications multi-niveaux, telle qu’une succession de personnages inclus les uns dans les autres ? Faut-il aussi emboîter les textes, comme dans les Mille et une nuits, ou produire des réseaux de récits, comme dans l’œuvre de Michael Moorcok ? »

Liliane Campos : « Bien souvent la fiction contemporaine inspirée par la virologie ne cherche pas à faire du virus un personnage. Dans les romans d’anticipation, et notamment le genre en vogue du thriller médical, le virus joue surtout le rôle de catalyseur, déclencheur de la catastrophe ou de la course contre la montre dans laquelle se lancent les personnages. Qu’il s’agisse de virus existants, comme celui de la grippe dans Station Eleven d’Emily St John Mandel, ou d’ebola dans Des chauves-souris, des singes et des hommes de Paule Constant, ou de virus fictifs, comme ceux imaginés par Richard Preston, Greg Bear, ou Frank Thilliez, ces perturbateurs sont généralement perçus à l’échelle des vies humaines qu’ils bouleversent. Mais un certain nombre d’auteurs contemporains, inspirés par un imaginaire microscopique, ont exploré les questions narratives que tu soulèves, notamment celle de la focalisation et de la représentation d’échelles non-humaines (qu’il s’agisse du grand nombre d’actants, de différentes échelles physiques et temporelles, ou de niveaux narratifs imbriqués).

L’auteur américain Greg Bear est l’un des pionniers de cet imaginaire du microorganisme, et notamment des scénarios catastrophistes regroupés sous la catégorie « gray goo », dans lesquels des nano-robots introduits dans l’organisme transformeraient l’espèce humaine[1]. Dans son roman La Musique du Sang (1985), Bear imagine ainsi un microorganisme nanotechnologique, le noocyte, qu’un savant crée à partir de ses propres lymphocytes. Le récit alterne entre le point de vue humain et celui des noocytes, qui « parlent à l’aide de protéines et d’acides nucléiques, au travers des liquides et des parois », et même à l’aide de virus et de bactéries « adaptées » et « apprivoisées » par les noocytes (Bear, 101, 267). Un changement d’échelle est réalisé par la double focalisation du récit, et soutenu par l’analogie musicale annoncée par le titre, les entités décrites étant aussi nombreuses que des notes de musique : « Le sang est une autoroute, une symphonie d’information, d’instruction » (267). Dans ces explorations du nano-monde, la science-fiction a exploité des métaphores spatiales permettant de visualiser l’imbrication de niveaux, métaphores souvent dérivées du discours scientifique vulgarisateur. Jérôme Goffette a ainsi démontré la longévité des analogies proposées par Claude Bernard dans les années 1860, telles le « milieu intérieur », le milieu aquatique, l’arbre ou le labyrinthe, dans le roman de Bear et plus généralement dans la science-fiction des années 1960 à 1990 (Grmek ; Goffette, 110-111). Bear entraîne ainsi son lecteur à des échelles non-humaines : échelles spatiales dans La Musique du sang, échelles temporelles dans le plus récent Darwin’s Radio (1999). Dans ce roman d’anticipation, l’enquête scientifique tourne autour de la découverte d’un rétrovirus qui transforme l’être humain, permettant des transformations radicales en une génération. L’interaction entre l’humanité et ses virus est ainsi explorée simultanément à deux échelles : celle, humaine, des quelques années décrites dans la vie des protagonistes, et celle, millénaire, de l’évolution. Bear imagine en effet que l’humanité serait contrôlée, au moins périodiquement, par un virus présent dans tous les génômes humains, qui décident de faire évoluer subitement l’espèce lorsqu’elle est confrontée à une crise. Le défi posé aux personnages et aux lecteurs de ce roman est d’imaginer l’action du virus à l’échelle de l’espèce, émettant des signaux à des millénaires d’intervalle par la « radio » de Darwin.

La focalisation narrative est donc un outil clef lorsqu’il s’agit de changer d’échelle, et de donner une dimension biologique multiscalaire au récit. Certaines fictions inspirées par les relations virales juxtaposent des narrateurs microscopiques aux narrateurs humains. Tu emploies cette focalisation multiple dans ta « fable scientifique » Conflits intérieurs (2015), quant tu donnes la parole non seulement à des microbiologistes, engagés dans une lutte sans merci pour la victoire de leur paradigme, mais aussi aux virus qui orientent discrètement le comportement des protagonistes humains. Le récit est ainsi ponctué par les rapports des « comités de supervision » constitués par ces virus, qui cherchent à défendre « les fruits de plus de cinq millions d’années d’efforts » (Bapteste, Conflits 50). La juxtaposition des points de vue est aussi explorée par le médecin Eric Nataf dans son roman Autobiographie d’un virus, dans lequel le narrateur principal relate la destruction de l’humanité par un virus rendant les hommes stériles. Cette narration humaine est introduite par une voix non-humaine, celle des protagonistes microscopiques qui s’adressent directement au lecteur sur le ton de la menace : « Nous étions là avant vous ; nous vous survivrons. […] Nous sommes des prédateurs. » Dans ces deux romans, tous deux écrits par des scientifiques, le virus prend la parole pour défamiliariser la perspective temporelle.

Sans faire du virus un thème explicite, d’autres auteurs explorent l’imaginaire microbiologique de notre époque en faisant de la relation virale ou parasitaire un modèle narratif. C’est également par la multiplication des narrateurs que David Mitchell construit les relations parasitaires au cœur de ses romans Ghostwritten (1999) et The Bone Clocks (2014). Les différents parasites qu’il imagine, du noncorpum dans Ghostwritten aux Anchorites et Horologistes dans The Bone Clocks, entretiennent des relations plus ou moins symbiotiques ou destructives avec leurs hôtes humains[2]. Cette fascination pour les relations parasitaires s’inspire d’un paradigme biologique que Mitchell souligne par sa terminologie métaphorique : dans Ghostwritten un noncorpum se demande s’il n’est pas lui-même manipulé par des noncorpi dont il n’aurait pas conscience, « like a virus within a bacteria ? » (191)[3]. Dans ces romans, les relations entre hôtes humains et non-humains créent des contrastes entre différentes échelles temporelles, car ces parasites survivent à de nombreuses générations d’humains. Ces entités permettent ainsi à Mitchell de jouer avec la résolution temporelle du récit, et surtout d’interroger les conséquences à long terme de la relation parasitaire au centre de ses préoccupations : celle liant l’humanité à la Terre. L’une des dernières voix narratives de Ghostwritten, qui se présente comme un « zookeeper » protégeant la planète, commente le chaos déclenché par une humanité auto-destructrice depuis une perspective millénaire. Son rôle d’hôte bienveillant est sur le point de prendre fin pour les « visiteurs » humains du zoo planétaire, désormais trop nocifs : « The visitors I safeguard are wrecking my zoo » (428). Ses derniers mots laissent deviner son intervention immanente pour mettre fin à l’humanité qu’il ne souhaite plus préserver. En passant constamment d’une échelle à l’autre, les récits de Mitchell s’appuient ainsi sur des procédés de mise en abyme et de méronymie afin d’interroger la notion même d’agentivité humaine (Childs et Green, 30, 32).

Qu’ils passent ou non par des narrateurs multiples, les changements de focalisation permettent d’interroger l’agentivité des protagonistes et l’échelle temporelle humaine. Les défis narratifs amenés par la biologie rappellent ici les questions soulevées par l’Anthropocène dans la théorie littéraire contemporaine. Le terme « Anthropocène » décrit l’ère au cours de laquelle l’humanité cause de telles transformations que le temps géologique et le temps humain ne sont plus séparables. Or le changement d’échelle temporelle que nous devons effectuer pour imaginer le rapport des virus à leur environnement peut être comparé à celui que nous devons effectuer, à l’inverse, pour entrevoir les conséquences du rapport de l’humanité à son environnement (Vermeulen). Pour Dipesh Chakrabarty, la conscience de l’Anthropocène engendrerait la nécessité de penser l’agentivité humaine à des échelles multiples et incommensurables (Chakrabarty, 1). Le défi épistémo-narratif est donc semblable à celui posé par la microbiologie, et on ne s’étonnera pas de voir que la science-fiction relie souvent l’imaginaire des micro-organismes à celui de la contamination de l’environnement terrestre. Dans La Musique du sang, qui se conclue par la transformation des noocytes en superorganisme terrestre, et plus généralement dans les œuvres de science-fiction qui explorent la menace du « gray goo », l’infiniment petit menace toujours de devenir infiniment grand. »

II. Deuxième défi de la transposition : la déstabilisation du schéma actantiel

E. Bapteste : « En science, les virus sont de plus en plus souvent analysés dans le contexte de réseaux d’interactions. En effet, les virus font circuler, donnent et volent des gènes à leurs hôtes cellulaires. Un nuage de virus nimbe donc les bactéries, les animaux, les végétaux, tous les êtres vivants. Comment transformer un tel réseau, polycentré puisqu’il existe une diversité d’hôtes et de virus, en un texte ? De plus, les virus injectent leurs propres instructions génétiques dans ces hôtes et, ce faisant, les modifient de l’intérieur. Cette dynamique d’entrée-sortie potentiellement transformative implique qu’on ne sait généralement pas comment la relation hôte-virus va ou peut tourner. Cela peut aller d’un résultat catastrophique, avec l’extinction des hôtes ou des virus, à l’évolution de nouvelles potentialités émergentes dans le système. On sait par exemple que les bactéries, sous la pression de sélection des virus, ont développé un système immunitaire appelé système CRISPR-cas qui, en échantillonnant des fragments génétiques des virus ayant attaqué la cellule ou ses ancêtres, constitue au sein de chaque bactérie une mémoire des épidémies passées. Chaque cellule bactérienne dotée de ce système contient donc l’histoire de ses propres interactions avec les virus. En termes littéraires, cela signifie qu’une enquête, une fiction naturalisée sur le vivant, serait possible : des indices se trouvent au cœur des êtres vivants, pour qui veut les suivre, de leurs rencontres et de leurs luttes avec des agents plus petits.

Mais ce qui est encore plus fascinant, tant sur le plan scientifique que littéraire, c’est que ces prélèvements d’instructions virales et ces inclusions mécaniques de virus entiers dans l’ADN de leurs hôtes ont des conséquences hétérogènes. Par exemple, certains virus changent le comportement de leurs hôtes. Dans le cas du « tree top disease », maladie affectant les chenilles, un gène de virus induit un comportement d’ascension. Infectées, les chenilles grimpent le long des plantes aussi haut que possible, se maintiennent en altitude où leur corps malade pourrit, jusqu’à se liquéfier et à libérer une pluie de virus sur leurs congénères restées à terre. Un gène présent dans un virus peut donc avoir la capacité d’exercer des effets sur un autre organisme, une relation causale difficile à modéliser que les scientifiques rattachent au phénomène de « phénotype étendu ». Ces phénotype étendus fournissent donc matière à revisiter les causes des phénomènes voire des actions des êtres vivants puisque la cause n’est pas immédiatement à chercher dans l’agent qu’on pensait responsable.

De ce fait, on peut imaginer de véritables révolutions coperniciennes dans l’interprétation des relations sur la planète, quand on commence à intégrer les effets des virus. Par exemple, nous nous trouvons peut-être ou bien dans un monde de marionnettes (les hôtes) et de marionnettistes (les virus) ou bien dans un monde de « co- » : co-actions, co-responsabilités, co-constructions, co-évolution hôtes-virus. Dans les deux cas c’est un monde inhéremment fluctuant qu’il s’agirait de transposer dans des récits plus réalistes. Les phénomènes concernés sont loin d’être anecdotiques. Par exemple, des virus comme les cyanophages forment des associations mutualistes avec des hôtes photosynthétiques, les cyanobactéries, responsables d’une partie de la production primaire, c’est-à-dire des ressources énergétiques consommées par d’autres organismes. Ces virus ne se comportent pas comme on pourrait l’attendre en simples parasites, exploitant et assassinant leurs proies. Ils injectent dans l’ADN des bactéries des instructions pour les réparer et les faire mieux fonctionner (en particulier des gènes pour prélever du phosphate dans l’environnement, réparer le photosystème, augmenter la production de sucres, matériels de base de l’ADN). Ceci introduit une dynamique évolutive dans laquelle il est difficile de dire à qui la relation profite : aux bactéries mieux à mêmes de se multiplier ? Aux virus, susceptibles de trouver toujours des hôtes ? A un système collectif hétérogène impliquant des organismes et des virus ?

Avec la découverte des virus dits « mutualistes », la problématique des cycles et des collectifs se révèle d’ailleurs très générale. Par exemple, certains virus sont impliqués dans rien de moins que le succès du cycle reproductif de leur hôte. Certains virus aident à la perpétuation des espèces qu’ils infectent ! L’ADN de très nombreuses espèces de guêpes qualifiées de parasitoïdes contient ainsi des mélanges de gènes viraux et de gènes de guêpes qui sont libérés ensembles dans une proie commune, sous forme de particules virales génétiquement hybrides, quand la guêpe parasitoïde pond son œuf dans une larve d’insecte. La larve en question, ayant subi l’injection d’un œuf de guêpe ET de virus, affaiblie par ces derniers, sera ensuite dévorée de l’intérieur par la guêpe en croissance. Celle-ci devenue adulte assurera alors la survie du virus qu’elle abrite. Contre de telles lignées de « guêpes-virus », les scientifiques ont démontré que certaines chenilles résistent en hébergeant une bactérie contenant pour sa part un virus protecteur. On peut donc concevoir ces victimes combattives comme des « chenilles-bactéries-virus ».

C’est pourquoi, en tant que scientifique, je suis très enclin à considérer des équipes hétérogènes, des collectifs multi-espèces comme des agents à part entière de l’évolution biologique. Mais ces collectifs, bien que très communs dans le monde vivant, pourraient-ils figurer parmi les héros/agents typiques de la littérature ? William Burroughs a déjà caressé l’idée que des virus puissent contribuer de manière décisive au devenir de leurs hôtes dans un collectif dérangeant, puisqu’il a proposé que le langage humain, si emblématique de notre espèce, soit en fait un virus. De même, les associations hôtes-deamons décrites par P. Pullman dans A la croisée des mondes reposent aussi sur des collectifs hétérogènes. Mais ces exemples me paraissent des exceptions dans la littérature, alors que l’entrelacement des virus et de leurs hôtes et leurs conséquences équivoques relèvent du quotidien de tous les organismes sur la planète. Serait-il possible d’introduire partout dans les récits des associations aussi complexes ? »

Liliane Campos : « Un élément de réponse à ta question se trouve dans le modèle actantiel proposé par A. J. Greimas. Dans ce schéma, les facettes principales d’une action peuvent être identifiées comme une série de rôles : ceux d’un sujet désirant un objet, d’un destinateur qui commandite la quête effectuée dans l’intérêt d’un destinataire, et d’adjuvants ou opposants à la quête. Le terme d’« actant », proposé par Greimas dans une perspective sémiotique, a l’avantage d’envisager l’action sous une forme structurelle, qui peut donc être dissociée de la notion de personnage, ainsi que de celle d’acteur : l’actant est une fonction dans la grammaire narrative du récit, et peut être incarné par plusieurs acteurs. Dans la forme la plus courante des récits sur les virus, celle du discours d’un médecin généraliste ou d’un roman où une épidémie joue un rôle central, le rôle du virus le range dans la catégorie de l’opposant à la quête de la santé ou bien, éventuellement, d’adjuvant à une quête qui ne peut réussir que grâce à la perturbation apportée par le virus. Mais tes exemples perturbent ce schéma simple : les cyanophages sont-ils adjuvants ou opposants de la santé des cyanobactéries ? La catégorie du virus mutualiste remet en cause la possibilité d’une distinction. Et si, dans le récit en question, l’objet de la quête est la survie de l’hôte, le fait que la survie du virus dépende de celle de son hôte lui donne une polyvalence actantielle dès qu’on considère un groupe ou un collectif au lieu d’un individu : le virus pourra par exemple être l’opposant de la survie d’un individu mais l’adjuvant de celle de sa descendance.

Toute tentative de schéma actantiel sera donc « fluctuante » elle aussi. Dans les exemples cités ci-dessus, le monde des « co-actions, co-responsabilités, co-constructions » fait surgir une multiplicité de passerelles entre les différents rôles actantiels. Mais celui du destinateur ressort de façon frappante dans les découvertes récentes sur les virus, car l’importance de l’influence de ces « marionnettistes » ne cesse de surprendre. Ceux-ci seraient sans doute mieux décrits dans le cadre du schéma narratif canonique développé ultérieurement par Greimas, dans lequel le destinateur se divise en deux composantes : tandis que le « destinateur-judicateur » sanctionne l’action, le « destinateur-manipulateur » détermine le vouloir-faire et le devoir-faire. Si elle décrit mieux le rôle des virus dans ces rapports complexes, la composante « destinateur-manipulateur » sera à son tour fluctuante lorsque l’hôte affecte les gènes du virus. Cette instabilité de la fonction manipulatrice est frappante dans Conflits intérieurs, où les virus manipulés par les chercheurs se révèleront être leurs marionnettistes, mais des marionnettistes bien loin de pouvoir contrôler toute l’action. Greg Bear, quant à lui, fait de l’instabilité actantielle le principal ressort narratif de Darwin’s Radio, dans lequel les trois scientifiques au cœur du roman s’aperçoivent petit à petit que leur opposant n’est pas le virus qu’ils cherchent à analyser, mais le gouvernement américain qui l’a baptisé « grippe d’Hérode » et qui le traite comme une maladie à éradiquer. Pour le gouvernement, le rôle actantiel du rétrovirus reste jusqu’au bout celui d’opposant. Pour les héros du roman, il se transforme d’abord en destinateur-manipulateur, puis, lorsqu’ils comprennent que son activation répond à la nécessité d’une spéciation rapide de l’humanité face à la situation catastrophique de la fin du XXe siècle, en simple adjuvant déclenché par un destinateur supérieur, l’évolution elle-même.

Le fait que certains actants de ces récits biologiques soient des collectifs multi-espèces pose deux problèmes narratifs passionnants : d’une part, le sujet de l’action ne pourra plus correspondre à l’individu, d’autre part l’agentivité devient problématique, ou pour le moins diffuse. Dans le cas de la guêpe, le virus et son hôte agissent l’un à travers l’autre : comme dans tout récit enchâssé dans un autre, le passage d’un niveau narratif à un autre est l’occasion de perturber le schéma actantiel qui semblait s’être installé. Des exemples d’entités multi-espèces sont difficiles à trouver en littérature, mais la question narrative du sujet de l’action est déjà posée par Platon, lorsque Socrate décrit son daimon, cet esprit intérieur qui l’exhorte à ne pas commettre certaines actions, dans le Phèdre, le Théétète, l’Alcibiade et l’Apologie de Socrate. Le sujet socratique paraît double, Socrate étant habité par un inhibiteur d’action, qui ne lui conseille jamais de faire quoi que ce soit, mais le retient lorsqu’il s’apprête à agir malencontreusement. Les deamons qui accompagnent les personnages de la trilogie de Philipp Pullman héritent donc de cet ancêtre socratique, ainsi que du familier des sorcières et de la théorie jungienne de l’animus ou anima, personnalité intérieure et inconsciente dont le sexe est l’opposé de celui de l’individu conscient. Mais ces entités ne font que dédoubler le sujet, tandis que les relations parasitaires construites par David Mitchell complexifient davantage la notion de sujet. Dans sa fiction, les parasites voyageurs fonctionnent dans une logique temporelle bien plus longue que celle de leurs hôtes humains, logique qui les fera alterner entre relations mutualistes et destructives. Chez Mitchell, le décentrement apporté par le parasite affecte non seulement la fonction du sujet, mais la perspective temporelle, ou plutôt, dans la vision pessimiste de l’auteur, la myopie temporelle qui est la nôtre. »

III. Troisième défi de la transposition : la métaphorisation

E. Bapteste : « Les virus sont des vecteurs de changement notamment puisqu’ils transforment le monde vivant de l’intérieur en changeant la génétique de leurs hôtes. La littérature est probablement familière de ces conflits et bouleversements intérieurs, à l’image du roman « Nana » d’E. Zola, qui décrit un second empire rongé de l’intérieur. Pour décrire les relations entre hôtes et virus, les scientifiques emploient déjà leurs propres métaphores. Ils parlent volontiers en termes de courses aux armements, c’est-à-dire de successions d’innovations et de contre-innovations qui permettent soit au virus de se reproduire avec succès dans les cellules, soit au contraire aux cellules de dégrader les instructions génétiques des virus en train de les envahir. Pour leur part, ces brassages d’instructions génétiques sont modélisés par des réseaux représentant les partages de gènes entre virus et hôtes, mais aussi entre virus, résultant de ces échanges. Des monstres de Frankenstein moléculaires sont engendrés par ces processus de combinatoire de fragments d’ADN sous contrainte de la sélection naturelle. Cette représentation des virus non seulement comme des mosaïques d’instructions génétiques, mais aussi comme des agents hybridogènes, impliqués dans l’émergence d’autres mosaïques d’instructions génétiques, souligne la dimension entrecroisée du devenir des virus et des organismes dans la trame du vivant. La grande banalité des chimères génétiques qui en résulte met en avant l’importance des hybridations et du métissage dans la nature. Là encore, ces thèmes scientifiques comptent déjà parmi ceux exploités par la littérature : depuis les récits mettant en scène les créatures chimériques des mythologies grecques à L’île du Dr. Moreau de H. G. Wells. Mais un passage à l’échelle, une démultiplication des hybrides aux racines plurielles, semble encore possible dans des œuvres littéraires qui choisiraient de faire vraiment leur place aux virus, pour inventer des personnages aux histoires complexes et de ce fait aux interactions complexes, comme le fait Zadie Smith dans son roman White Teeth, mais cette fois généralisé également hors de l’espèce humaine. »

Liliane Campos :  « Lorsqu’on observe l’appropriation des termes scientifiques par les écrivains, la tendance analogique est frappante : il semblerait que l’un des principaux attraits du discours scientifique pour l’artiste soit le détournement métaphorique dont il peut faire l’objet. Certaines métaphores, comme celles inspirées par l’évolution ou la sélection naturelle, ont une longue histoire politique et artistique, qui inclut très tôt une dimension parodique (Goodall ; Shepherd-Barr). Gillian Beer, qui analyse dans Darwin’s Plots la circulation de structures narratives et d’images entre la prose de Darwin et les romanciers qui lui sont contemporains, a souligné par exemple l’importance de l’image du « réseau » généalogique (« web ») chez Darwin et du « réseau » des relations sociales chez la romancière George Eliot lectrice de Darwin. Mais l’appropriation politique de certaines métaphores biologiques ancre ces termes dans plusieurs champs discursifs. Ainsi lorsque Margaret Drabble active dans The Radiant Way (1989) la métaphore darwiniste de la survie du plus fort, c’est dans une parodie du discours conservateur et du modèle de la compétition à tout prix prôné par Thatcher : dans les années 1980, « [s]urvival of the fittest seems to be the new-old doctrine » (172).

La métaphore de l’hybridation est elle aussi chargée d’une longue histoire politique et esthétique, et ce n’est pas sans ironie que Zadie Smith l’intègre, dans White Teeth, à son portrait d’une jeunesse londonienne issue de l’immigration. La famille anglaise des Chalfen, qui accueille avec bienveillance les deux jeunes protagonistes Irie et Millat sous leur toit, est une famille de scientifiques qui croit aux bienfaits de l’hybridation : pendant que Joyce Chalfen, passionnée de jardinage, défend la supériorité des plantes hybrides, Marcus Chalfen travaille à sauver l’humanité par le moyen d’une souris hybride surnommée Futuremouse©. Fascinée par cette famille si différente de la sienne, Irie aspire à fusionner avec les Chalfen : « to be of one flesh ; separated from the chaotic, random flesh of her own family and transgenically fused with another » (342). Smith relie toutefois les travaux de Marcus Chalfen au passé eugéniste de la génétique européenne, et satirise, par les mutations de ses personnages, le déterminisme génétique tout autant que le déterminisme culturel. La scène finale du roman, au cours de laquelle Futuremouse© s’échappe allègrement d’une conférence de presse donnée à son sujet, est un joyeux pied-de-nez à toute velléité de programmation ou de théorisation scientifique des Londoniens hybrides du XXIe siècle.

Le discours scientifique sur le virus semble d’autant plus transposable à l’humain qu’il est, comme tu le soulignes, déjà métaphorique. Le terme de « parasite », qui joue lui aussi un rôle analogique dans le récit de Zadie Smith, provient d’un personnage du théâtre antique. Les métaphores employées par les virologues (« course à l’armement », « chimère », « monstre de Frankenstein ») activent un imaginaire menaçant, non seulement mythologique mais anthropomorphe. Or les métaphores anthropomorphes facilitent l’appropriation du discours scientifique par la littérature. La célèbre pièce de Michael Frayn, Copenhagen (1998), dans laquelle la métaphore quantique joue un rôle clef dans la présentation des incertitudes historiques concernant les physiciens Niels Bohr et Werner Heisenberg, dramatise ainsi une analogie (entre personnages et électrons) courante dans la littérature de vulgarisation. L’anthropomorphisation est en effet un outil fréquent dans la vulgarisation de la physique quantique au cours des années 1980 : Elizabeth Leane a souligné la tendance des auteurs de « popular science » à décrire les éléments subatomiques comme de petits personnages dans ce qu’elle nomme des « fables quantiques » (Leane, chap. 4). Le discours scientifique vulgarisateur est non seulement déjà métaphorique, mais riche en procédés narratifs anthropomorphes et, dans le cas de la mécanique quantique, en métaphores théâtrales. Le dramaturge Michael Frayn ou le metteur en scène Claude Régy, qui décrit sa pratique comme un « état d’incertitude » (Régy, 2002), exploitent ainsi un discours déjà empreint de dramaturgie.

Pour revenir au discours biologique, si l’on ouvre le roman de Judith Schalansky, L’Inconstance de l’espèce, à la page intitulée « Chimères », on trouve cette métaphore mytho-biologique appliquée aux utopies communistes. Schalansky, qui donne la parole à une enseignante de biologie, propose en effet à son lecteur de voir la vie d’une petite ville moribonde d’Allemagne de l’est par le prisme de l’évolution. Chaque double page porte le nom d’un mécanisme biologique, qui illustre, souvent de façon ironique, la situation humaine qui s’y trouve. La section « chimères » est donc une discussion entre un enseignant nostalgique des rêves communistes et la narratrice sceptique face à ces « Fantasmes du Far Est » :

Richesse pour tous. Des tartines aux algues. La fraternisation de tous les peuples. Faire fondre les calottes polaires, irriguer les déserts, apprivoiser les ours. Assécher la Méditerranée. Eradiquer le cancer, le vieillissement, la mort. C’était en tout cas plus original que le tourisme spatial ou le clonage de moutons. Ils n’avaient réussi qu’au printemps dernier à créer un embryon hybride. Une créature panachée de vache et d’homme qu’ils avaient détruite au bout de trois jours, après cinq divisions cellulaires. (151)

Lorsque nous tentons d’imaginer les directions que pourraient prendre des métaphores virales, la question est toutefois compliquée par la polyvalence du terme « virus ». Le transfert métaphorique qui a déjà eu lieu de la biologie vers les sciences informatiques brouille en effet la donne. Les premiers programmes informatiques destinés à se répliquer et à se relocaliser eux-mêmes ont été imaginés dans le cadre de jeux dont les noms métaphoriques, comme « Darwin » (créé en 1961) ou « Core War », sont porteurs de conotations évolutionistes et miliaires. Le premier emploi du terme « virus » est attribué à Fred Cohen, qui l’aurait utilisé pour la première fois dans sa thèse en 1986 pour décrire un programme capable d’infecter d’autres programmes afin qu’ils incluent une version potentiellement modifiée de lui-même. L’ubiquité actuelle de la métaphore virale, qui décrit notamment un processus de circulation et de contamination rapide, trouve ainsi ses racines dans un double référent, biologique et informatique.

Il est d’autant plus intéressant de voir que l’imaginaire biologique de la fiction contemporaine, lorsqu’il travaille l’idée d’un réseau vivant qui remet en cause les frontières de l’individu, fusionne parfois avec un imaginaire informatique. Dans la bande dessinée de Frederik Peeters, aâma, c’est un vaste réseau organique et informatique qui prend peu à peu le contrôle de l’humanité. Envoyé sur la planète Ona(ji) pour retrouver un produit précieux supposé resté à un stade expérimental, le narrateur découvre que celui-ci, libéré dans l’environnement, est devenu une « multitude invisible » qui évolue sous une forme hybride, organique et technologique (Peeters 2012). A la fois micro et macro-organisme, l’image du réseau vivant permet des renversements d’échelles dans lesquels les personnages parcourent un paysage semblable au « milieu intérieur » du corps humain, où « d’étranges glandes palpitaient […], des membranes gluantes, saisies de frissons électriques se contractaient subitement » (Peeters 2013, 17). Mais la propagation rapide d’aâma d’un être humain à l’autre passe par les implants qui permettent désormais à toute l’humanité d’être connectée à un réseau d’information et de mémoire. Derrière la contamination organique, c’est l’homme internautique et informatique que Peeters interroge réellement. »

IV. Quatrième défi de la transposition : l’évolution des schèmes poétiques

E. Bapteste : « Précisément, un autre aspect retient l’attention des scientifiques qui étudient les virus : leur capacité à affecter des populations entières. Effrayés par les épidémies d’Ebola, de Zika ou de grippe A, nous sommes tous familiers avec cette situation, que subissent également les micro-organismes attaqués par des virus. Par exemple, pour décrire l’impact des virus sur les populations bactériennes, un modèle intéressant parce que contre-intuitif dans ses effets, a été proposé par des chercheurs espagnols. Ce modèle s’intitule « Mort au vainqueur ». Il explique pourquoi les virus généralistes pourraient contribuer à l’élimination systématique des meilleures bactéries d’une population, des plus efficaces en termes de multiplication, et non pas des plus faibles. En bref, l’idée centrale de ce modèle est qu’une bactérie ayant subi une mutation qui la rend plus efficace va se multiplier davantage que ses concurrentes et laisser plus de descendants. En l’absence de virus, ces bactéries mutées prendraient donc le pas sur leurs consoeurs, et dans la mesure où les ressources sont limitées, les bactéries les moins efficaces disparaîtraient inévitablement des populations. En revanche, en présence de virus, les bactéries les plus abondantes et celles qui se reproduisent le plus vite vont mécaniquement devenir la cible privilégiée des virus, puisque la probabilité de rencontre entre un virus et un type de bactérie est directement lié à la proportion de ces bactéries dans les populations. Ainsi, selon ce modèle, quand un type de bactérie devient efficace, il se fait ratiboiser par un virus plutôt qu’il n’élimine les autres bactéries apparemment moins adaptées que lui.

« Mort au vainqueur » explique pourquoi les populations de bactéries sont hétérogènes et composées d’organismes peu efficaces plutôt qu’homogènes et constituées presque exclusivement des meilleurs du moment. Les virus apparaissent ici comme des vecteurs d’égalité, ou comme les responsables d’un monde peuplé d’une longue traîne d’êtres peu performants. Ce modèle propose un Macbeth à l’échelle industrielle, la décimation de populations de rois ! Dans la même veine, on peut imaginer que des œuvres littéraires tenant compte de l’esprit des découvertes de la virologie puissent recycler d’autres modèles de cette discipline pour décrire des dynamiques populationnelles. »

Liliane Campos : « La transposition que tu évoques ici, celle d’un « modèle » scientifique dans un récit, peut être abordée par la notion de « schèmes » poétiques développée par Fernand Hallyn. Dans ses analyses des structures rhétoriques de la science, Hallyn a démontré qu’une approche « poétique » ou « rhétorique profonde » du discours scientifique fait ressortir un imaginaire tropologique, « producteur d’opérations sémantiques, telles que la métonymie et la métaphore, conduisant à des transformations conceptuelles », et narratif, « producteur de récits tels que des expériences de pensée, à valeur d’exploration et d’argumentation » (Hallyn, 12-13). Hallyn s’intéresse aux schèmes poétiques produits par cet imaginaire dans le discours de la découverte scientifique : en suivant ce modèle, on peut interroger les schèmes produits par l’imaginaire narratif des travaux récents sur les virus. Le modèle de la « mort au vainqueur » (« kill the winner ») est un schème particulièrement intéressant par ses résonances tragiques : le choix des termes suggère une mort apparemment injuste, une structure narrative qui punirait son héros. L’expression serait un sous-titre adéquat pour certaines œuvres fondatrices du répertoire tragique, comme L’Orestie. Le destin tragique des Atrides est en effet de voir les meurtres s’enchaîner après le crime originel d’Atrée : Agamemnon rentre vainqueur du siège de Troie au début d’Agamemnon, mais pour être assassiné dès son retour au palais, et la victoire de Clytemnestre est à son tour punie dans Les Choéphores. Seul Oreste échappe, grâce à l’intervention d’Athéna, à ces représailles.

Le schème de la mort au vainqueur a également des affinités frappantes avec le schéma tragique shakespearien théorisé par Jan Kott, auquel il donne le nom de Grand Mécanisme. Kott décrit le processus à l’œuvre dans les tragédies historiques de Shakespeare comme un mécanisme implacable, un « cortège de rois qui gravissent le grand escalier de l’histoire » et qui, l’un après l’autre, font chuter celui qui parvient au sommet (Kott, 42). Cette schématisation est marquée par le contexte du début des années 1960, et par les comparaisons que Kott opère entre le corpus shakespearien et le théâtre de l’absurde : remplacer le destin par un mécanisme, c’est dire l’absurdité implacable des souffrances humaines. Comme tu le soulignes, le défi narratif des découvertes récentes en microbiologie est d’opérer un changement de focalisation, de l’individu à la population, ce qui éloignerait le récit du schéma tragique. Mais il est remarquable que le choix terminologique des biologistes cités ici demeure, du moins dans le cas de la « mort au vainqueur », au singulier, centré sur l’individu. Car cette rhétorique permet au discours scientifique de dramatiser lui aussi son contenu, en faisant de la bactérie ou du virus un personnage individualisé. »

V. Cinquième défi de la transposition : l’invention de nouveaux personnages pluriels

E. Bapteste : « Tes remarques sont extrêmement intéressantes parce que précisément nous autres biologistes avons parfois du mal à cerner les frontières des individus. De nombreux virus modifient les lignées de leurs hôtes sur le plan physiologique et peut-être sur le plan comportemental. Ceci est vrai pour les animaux, transformés jusque dans leurs entrailles dans le cas de l’évolution de la placentation chez les mammifères, qui repose notamment sur l’acquisition de deux gènes viraux. Et ceci est peut-être aussi en partie vrai pour notre espèce, dans notre génome d’une part et depuis notre intestin d’autre part. Ainsi, bien que les estimations soient difficiles à établir, la littérature de vulgarisation scientifique a retenu deux chiffres marquants au sujet de notre ADN. 8 % du génome humain proviendrait d’ADN de virus. 34 % proviendraient d’autres éléments génétiques mobiles, probablement apparentés aux rétrovirus : les rétrotransposons. Cela fait donc de chacun de nous un « humain-virus ». Et, en dehors de notre ADN, il y a dans notre corps autant de cellules humaines (déjà génétiquement hybrides donc) que de cellules microbiennes. Dans nos vaisseaux sanguins, un tiers des produits chimiques en circulation sont secrétés par des populations microbiennes et virales qui sont nos résidents intérieurs.

Dans la mesure où tant de nos composants sont extra-humains, notre espèce, comme bien d’autres, est le résultat d’un processus de co-construction. Nous formons une sorte de méta-organisme associant des traits provenant de différentes sources phylogénétiques. Et une des questions scientifiques majeures, abordée dans le thriller évolutionniste « Conflits intérieurs : Fable scientifique » est de comprendre comment tous ces univers microscopiques et macroscopiques co-habitent. Que reste-t-il d’humain, de proprement humain en chacun d’entre nous ? Quelle est la part des virus (et des microbes) dans notre psyché et notre développement ? Mon hypothèse, qui rejoint les théories scientifiques actuelles sur les holobiontes, est que nous sommes des Chosmo sapiens, un collectif de cellules humaines, microbiennes et virales. Chosmo sapiens est un néologisme qui mélange cosmos pour décrire la multitude biologique organisée qui grouille en nous et le nom de genre et d’espèce Homo sapiens. Il signifie donc le mélange inéluctable de plusieurs agents en un seul être. Nous sommes humains parce que co-construits par des « in-humains ». Nous n’existons que dans une relation avec des milliards d’autres. Quand les virus ou les microbes déséquilibrent ces relations, notre méta-organisme entre dans une zone de turbulence : virus et microbes font de nous des Chaosmo sapiens jusqu’à l’établissement d’un prochain état d’équilibre. Chaosmo sapiens est un autre néologisme, basé sur la notion de chaos et notre nom de genre et d’espèce, qui décrit l’association perturbante qui surgit quand les relations entre Homo sapiens et ses microbes deviennent désorganisées.

Si cette conclusion est exacte, les travaux de virologie et de microbiologie nous invitent à repenser notre identité et celle de très nombreux êtres vivants. Du même coup, revisiter l’ontologie biologique pourrait conduire, dans un souci de vraisemblance, à revisiter les ontologies du personnnage littéraire. Un des attraits de ces études pourraient être d’encourager l’écriture d’œuvres dont les héros assumeraient leur nature de méta-organismes. Après tout, il y a déjà une littérature des cyborgs. Les méta-humains aussi, comme les humains augmentés, voire plus qu’eux puisque Chosmo sapiens peut être augmenté tant dans sa dimension humaine que dans sa dimension microbiologique, méritent probablement la considération de nos plumes et de nos claviers. Les méta-humains pourraient au minimum inciter les auteurs à multiplier les points de vues narratifs, viraux, humains et communs. Enfin, la littérature pourrait aider à nommer de manière plus poétique ces nouveaux méta-êtres que les scientifiques ont seulement commencé à révéler durant ces dix dernières années. »

Liliane Campos : « Les travaux récents de la recherche universitaire dans le domaine artistique et littéraire témoignent d’une fascination croissante, mais encore très théorique, pour le microbiote et la déstabilisation identitaire apportée par une vision de l’humain comme méta-organisme[4]. Les résonances post-humanistes, ou du moins post-anthropocentristes, de ces découvertes les rendent en effet très attrayantes pour les théoriciens de l’art et de la littérature cherchant à formuler le décentrement du sujet contemporain. Mais pour l’instant le méta-organisme qui semble le plus intéresser les écrivains est celui d’une planète considérée comme vivante, et dont nous ne serions plus les symbiotes mais des parasites destructeurs. Dans aâma de Peeters, la « multitude invisible » que découvre le narrateur est à la fois intérieure et extérieure, hôte de l’humain dans les deux sens du terme car elle est portée en lui mais devient également son environnement extérieur. Dans The Stone Gods de Jeanette Winterson, autre roman d’anticipation qui imagine une planète malade, prisonnière d’une boucle temporelle qui mène toujours à sa destruction, ce sont les humains qui transforment la terre en chair à vif (ou en Chaosmo Sapiens pour détourner tes termes), dont ils sont condamnés à parcourir les plaies béantes : « we walked through a world dark-coloured now in purple and red, livid, raw, exposed, like a gutted thing, and always around us, high cries of rage and fear » (101).

Cette vision de l’environnement comme méta-organisme n’est pas limitée aux œuvres de science-fiction : elle constitue un trope récurrent de la Cli-Fi (Climate Fiction) et plus généralement de la littérature inspirée par le rapport de l’homme à son environnement naturel. La compagnie de théâtre Complicite, dans son adaptation récente du roman de Petru Popescu Amazon Beaming, invite ainsi le public à visualiser la forêt amazonienne comme un vaste cerveau, un organisme vivant temporairement parasité par l’homme mais dont l’échelle temporelle le dépasse[5]. L’art contemporain se fait ainsi l’écho, volontaire ou non, de l’hypothèse Gaïa proposée par Lovelock et Margulis dans les années 70 et développée plus récemment par Bruno Latour. Décrite comme « constitué[e] d’un ensemble de boucles de rétroactions en perpétuel bouleversement » (Latour), Gaïa se rapproche du méta-organisme et pose des questions semblables d’agentivité diffuse et divisée, car elle ne peut être considérée comme une entité souveraine : elle est, selon Latour, aussi mystérieuse que l’être humain. L’analogie est tentante, car elle puise dans une longue tradition poétique de mise en regard de l’humain et de son environnement : gageons qu’elle le sera aussi pour les écrivains du Chaosmo sapiens. »

Conclusion

Eric Bapteste : « D’un point de vue scientifique, les virus sont des acteurs biologiques essentiels. Dans un souci de vraisemblance, il semble contre-intuitif de ne pas leur accorder une place plus considérable dans nos récits, et de laisser ces héros du quotidien ignorés dans le seul champ, aussi fécond soit-il, de la science-fiction. D’autant plus que les connaissances au sujet des virus offrent de multiples opportunités narratives, bien théorisées en littérature comme tu l’as remarquablement souligné. Pour autant, une littérature plus réaliste parce qu’encore plus inspirée de la virologie serait manifestement confrontée à de nombreux défis. Sans perdre le lecteur, il lui faudrait parvenir à décrire un monde extraordinairement divers, emboîté, presque cybernétique, plein de boucles de rétroactions, d’interactions multi-espèces, aux temporalités multiples, et fourmillant d’agents chimériques. Pour qui voudrait relever ce défi, il y a probablement une saga des méta-organismes à écrire. »

Liliane Campos : « Si l’imaginaire du virus biologique est désormais lié à celui du virus informatique, l’imaginaire de l’holobionte sera peut-être nourri lui aussi par d’autres images, planétaires cette fois, d’un méta-organisme aux actants multiples. Car la richesse métaphorique de ces termes, « virus » ou « organisme », leur donne une capacité remarquable à relier entre eux différents champs discursifs, différentes échelles et différents univers. Les métaphores de l’organisme ont peut-être perdu le rôle dominant, politique, sociologique et artistique qu’elles ont joué au XIXe siècle, mais les analogies virales et immunitaires témoignent de leur tenacité au XXIe. Reste à voir quelles interactions, quelles hybridations narratives surgiront en littérature face aux actants surprenants de la microbiologie. »

Remerciements :

Merci à Pierre-Louis Patoine, Aude Leblond, Marc Silberstein, François-Joseph Lapointe et Chloé Vigliotti pour leurs conseils et coups d’œil précieux.

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ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XVII


[1] « Le gray goo représente le rique hypothétique d’une catastrophe généralisée résultant de la perte de contrôle du processus d’auto-réplication des nanorobots. » (Maestrutti, 39). Proposé par Eric Drexler en 1986 dans son texte Engines of Creation, ce terme décrit un processus semblable à celui imaginé par Greg Bear, mais inscrit la multiplication de nano-robots dans un scénario catastrophiste, où ces minuscules réplicateurs imiteraient et remplaceraint le monde vivant.
[2] Pour une analyse détaillée de ces romans, voir l’article de Claire Larsonneur dans ce même numéro d’Epistémocritique.
[3] David Mitchell a également souligné dans une interview l’ancrage biologique des relations symbiotiques qu’il explore, en proposant une définition plurielle de l’humain : « A human being is an interconnected system of colonies of different life forms that evolve symbiotically » (Wallace).
[4] On a pu, par exemple, noter la prépondérance de ces notions dans les communications regroupées dans le panel « Bactéries » au congrès 2016 de la Society for Literature, Science and the Arts, tenu à Stockohlm sur le thème « Control ».
[5] Complicite, The Encounter, spectacle créé au festival d’Edimbourg en 2015.