15 – « And what does the word ‘city’ mean? » Le langage et la cité comme ruine dans la fiction apocalyptique contemporaine (Angela Carter, Cormac McCarthy, Octavia Butler)
Dans le roman (post)apocalyptique, l’évènement catastrophique marque l’instant où le lien entre le mot et son référent est brouillé par la destruction de l’environnement et des repères spatio-temporels du personnage. La hiérarchie entre phonè et logos établie par Aristote, distinguant l’animal ou le barbare du zoon politicon, semble désarticulée, et avec elle la possibilité d’« habiter la polis » dont seules subsistent des ruines. La fragmentation du discours dans les romans apocalyptiques d’Angela Carter (Heroes and Villains), la nouvelle « Speech Sounds » d’Octavia Butler ou encore le roman The Road de Cormac McCarthy, peut être considérée à la fois comme effet et comme moyen de cette apocalypse. La ruine de la société humaine est liée à sa perte progressive de maîtrise sur son environnement, un phénomène qui s’inscrit dans la représentation de la cité et de l’identité des personnages comme ruine et comme fragments. L’humanité apparaît comme naufragée sur sa propre terre où le témoignage de la fin reste circonscrit à une mémoire traumatique entre effacement et reconstruction. Le roman apocalyptique comble le vide de l’après tout en démontrant l’indicibilité de la catastrophe, et l’incapacité de l’humanité à véritablement habiter son monde. Cette impasse représentationnelle se conçoit dans le paradoxe du langage qui porte en lui-même une lacune essentielle. Comment le langage d’« après la fin » se construit-il ? Pastiche, écho ou latence, il est miroir des ruines du monde moderne et symptôme de cette fin. Au discours millénariste s’opposent le chaos et l’ennui, la « vie nue », et le pouvoir de déconstruction ou de reconstruction du langage.