2 – L’immanence de la catastrophe lente à travers Soumission de Michel Houellebecq
Dans Apocalypses sans Royaume, Jean-Paul Engélibert attire l’attention sur ces « récits qui véhiculent la croyance à une prochaine fin du monde dans son immanence » (179). Là où la dimension spectaculaire de la catastrophe-événement instaure une ligne de démarcation nette entre un avant et un après, « la catastrophe lente et pervasive », caractéristique du monde contemporain, nous met face à un présent où « la véritable fin [serait] déjà effective » (Engélibert, 179). La catastrophe en tant que destruction d’une antériorité symbolique est ainsi considérée non pas comme un événement unique, mais comme une succession à peine perceptible de dérèglements funestes. Soumission (2015) de Michel Houellebecq cristallise ce genre de perception catastrophiste. Au-delà d’un brouhaha médiatique qui a eu raison de la finesse de son traitement, la thèse décliniste de cette dystopie politique se déploie dans ce que Michel Maffesoli appelle « les signes irréfutables dans le ciel de la société » (17). Nous essayerons dans cet article de démontrer que l’émergence de l’islamisme, en tant que projet sociétal et politique, n’est pas envisagée comme un renversement apocalyptique. Il s’agit davantage d’une mise en œuvre judicieuse d’une « esthétique de la disparition » (Virilio, 123). Qu’elles soient quotidiennes, élémentaires, ou alimentaires, les habitudes des personnages ne cessent de muter, creusant un ordre symbolique nouveau. Le caractère insidieux et irréversible du changement se fait à peine sentir dans un monde qui se voit déjà comme « ruines du futur » (Jeudy, 111).