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Introduction

Détrôné au siècle suivant par le savant-chercheur, l’inventeur n’est pas encore au XIXe siècle ce spécimen loufoque qui prêtera à rire dans les futurs concours Lépine. Au contraire, la France postrévolutionnaire voit le sacre de l’inventeur comme figure d’exception, dont la légitimité a été renforcée par l’essor des sociétés d’émulation et la mise en place des systèmes de brevets, maillon indispensable entre l’invention et le capitalisme naissant. La création de la Société des inventions et découvertes composée « d’inventeurs, de savants, d’artistes et d’amateurs […] sans prééminence entre ces quatre classes » comme l’annoncent en 1790 ses statuts, a préparé et facilité l’adoption d’une loi « relative aux découvertes utiles et aux moyens d'en assurer la propriété à ceux qui seront reconnus en être les auteurs », première pierre de notre législation sur les brevets. La monarchie de Juillet va également favoriser l’invention, notamment avec la loi de 1844 qui facilite le dépôt de brevet, puis la fondation en 1849 par le Baron Taylor de l'Association des Inventeurs et Artistes Industriels, qui marque le glissement vers un monde de l’invention divisé entre arts appliqués et mécanique, incluant désormais les ingénieurs. Le premier XIXe siècle est donc particulièrement attentif à l’inventeur, rouage précieux du nouveau système capitaliste ; c’est le temps des David Séchard, à la fois synthèse et référence d’un inventeur idéaliste sorti du rang, et au service du bien commun. Plus loin dans le siècle, en 1867, un pamphlet d’Yves Guyot défend explicitement un idéal de l'inventeur héraut de la société démocratique et républicaine, et constitue de ce fait un marqueur dans la construction médiatique cette fois du personnage d’inventeur.

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Inventer en littérature

Pour bien comprendre le sens de mes réflexions sur l’invention en littérature, il n’est pas inutile de rappeler un certain nombre de faits historiques et juridiques qui ont fait de l’invention un concept à part entière pour désigner dans l’ordre des activités humaines la production du neuf. Historiques et juridiques, car la question de l’invention s’est posée de la sorte dès le XVIIIe siècle dans le monde de l’artisanat et de l’industrie afin d’assurer aux « inventeurs » la reconnaissance et la protection de la propriété intellectuelle de leurs inventions. Ce qui soulève la question du rapport entre l’individuel et le collectif, l’inventeur et la société. Ce cadre juridique a été bien étudié par les historiens, et je renvoie aux travaux de Christine Demeulenaere et de Gabriel Galvez-Béhar. Deux lois importantes à cet égard : celle du 7 janvier 1791 et celle du 5 juillet 1844, qui régissent l’obtention d’un brevet sous forme contractuelle entre l’inventeur et l’Etat dans une société qui, à l’instar de l’Angleterre, entend prendre le pas de l’industrialisation (plusieurs modifications ont été apportées dans le sens d’un assouplissement, notamment des taxes, au moment des grands expositions universelles, dès 1855). Toute découverte ou invention — la loi de 1844 a été d’application jusqu’en 1968 — devant remplir deux conditions : « être nouvelle et avoir un caractère industriel » (Galvez-Behar, p. 30), ce qui exclut d’office le brevetage des découvertes purement théoriques et scientifiques.

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« Le Pise : Ô ma divine maîtresse !… ». L’architecte François Cointeraux (1740-1830) et la poésie du Pise de Terre

La seconde moitié du XVIIIe siècle voit une réévaluation des arts et métiers qui doit beaucoup à des entreprises éditoriales comme les Descriptions des arts et métiers et l’Encyclopédie. Celles-ci sont le fait d’institutions savantes (l’Académie des sciences) ou d’intellectuels rompus aux mots et à leur usage (Diderot et D’Alembert). Si leurs auteurs ont enquêté, visité des ateliers, rencontré des artisans, s’ils se sont informés auprès de praticiens, ils ont ordonné, mis en mots et en discours et finalement théorisé des pratiques et des usages, des tours de main, des « secrets » de métier, des savoir-faire techniques dont ils n’avaient qu’une approche très indirecte et une connaissance déléguée.

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L’obtention végétale au XIXè siècle : fruit du hasard ou de l’industrie ?

Le statut de la nouveauté dans le domaine du vivant se situe en dehors des cadres légaux car les lois sur les brevets ne reconnaissent la qualité d’invention qu’aux objets inanimés.  « Inventer des plantes » reste une expression du domaine de l’imaginaire ou de la métaphore. Cette exclusion procède d’une limite intrinsèque entre la création humaine, qui peut être nouvelle, reproductible et utile, que l’inventeur peut s’approprier, et la création du monde vivant qui appartient, elle, au Créateur. Au XIXe siècle, les préceptes religieux ou philosophiques subsistent tacitement dans les lois et ne suscitent pas de controverse majeure autour de la brevetabilité du vivant avant les années 1920. Cependant, au cours du XIXe siècle, les nouveautés végétales font l’objet d’une évolution radicale, qui concerne les procédés dont elles découlent et les conséquences commerciales qu’elles entraînent.

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Entre vision progressive et enjeux professionnels, l’invention architecturale chez Louis Auguste Boileau (1849 – 1853)

Parmi les nombreux écrits de Louis Auguste Boileau (1812-1896), les textes rédigés vers 1850 témoignent particulièrement d’une réflexion sur l’invention, question qui ne cessera de préoccuper l’architecte dans la suite de sa carrière. Le cas de Boileau mérite l’attention car son œuvre révèle une tension complexe entre sa capacité de projection imaginaire et son aptitude à faire face aux réalités de la profession. Déjà en 1867, l’article du Grand Larousse remarque que l’œuvre novatrice de l’architecte possède à la fois des aspects pratiques et théoriques. Boileau est en effet l’un des premiers expérimentateurs du fer dans les édifices religieux, notamment à l’église Saint-Eugène réalisée à Paris en 1854-1855. Il est également, sur un plan plus spéculatif, l’auteur d’un système inédit de composition architecturale inspirée de l’ossature ogivale. L’application de ce principe permettrait de réaliser des espaces dont l’immensité et l’élancement rivaliseraient avec les grandes constructions médiévales.

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Aucune trace : récits de l’inventeur inconnu dans la vulgarisation de la photographie, 1850-1870

Tout le monde sait que la photographie a été inventée en 1839. Cette année-là, le gouvernement français a rendu public le processus photographique de Louis Jacques Mandé Daguerre ; bien que le daguerréotype soit assez vite dépassé par d’autres processus se faisant à partir d’un négatif, c’est Daguerre qui a exposé le premier moyen fiable de fixer « l’écriture de la lumière ». Il s’était pourtant associé, depuis 1826, avec Joseph Nicéphore Niepce, qui a réussi à créer plusieurs images « héliographiques » très fragiles avant son décès en 1833 ; pendant ce temps, l’anglais William Fox Talbot a également poursuivi des travaux sur le « calotype », une procédure négative-positive qu’il a brevetée en 1841. Une foule de noms entoure donc la naissance de la photographie, dont aucun ne peut réclamer la seule parenté directe. N’empêche que, tout le monde le sait, Daguerre a inventé la photographie en 1839.

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Poésie de l’invention : rôle et discours de la poésie dans l’invention au XIXè siècle

Si la mise en mots de l’invention repose souvent sur des lettres, demandes de brevets et de financement, brochures descriptives, qui toutes relèvent du registre de la communication, la littérature a également contribué au XIXe siècle à la diffusion d’une science rendue visible par ses réalisations techniques, et qui se réaffirme comme proprement humaine en mettant en scène le moment de l’invention. Dans les publications de ce siècle, l’invention technique est en effet portée par deux séries d’œuvres distinctes selon qu’on parle prose ou poésie. D’un côté (et principalement) les œuvres en prose, abondantes et variées, déclinent volontiers l’invention suivant les deux modèles génériques de la biographie et du répertoire d’inventions et découvertes. Parallèlement, persiste une poésie de forme savante qui, sans être nécessairement l’œuvre d’écrivains de profession, s’adresse à un public manifestement plus éduqué et rare : cette poésie scientifique est une pratique constante et également répartie sur le territoire, jusqu’à la fin du XIXe siècle, et participe de ce fait à une forme de dissémination des thématiques scientifiques.

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Tarde. Inventions : Duel et accouplements

Le thème et l’enjeu social de l’invention a pu paraitre un thème désuet tant que la sociologie s'occupait de la reproduction et des mécanismes par lesquels les pratiques autant que les institutions reconduisaient, en vertu de principes structuraux, l’ordre social. Tout vif de l’évènement créatif finissait subordonné au mort de la structure. Les initiatives et alternatives sociales, les échappées et les ruptures étaient reconduites aux significations des intérêts de classe, reconduites aux différences d’éthos entre classes. Dans un livre collectif du début des années 80 et décisif pour la critique de la sociologie de Pierre Bourdieu, Jacques Rancière posait à la sociologie cette question : « comment le nouveau est-il possible en général ?» ; se demandant si la sociologie peut penser l’étrangeté démocratique ou seulement son deuil ? Les transformations récentes dans l’économie, la politique et l’activité démocratique ont sérieusement ébranlé les certitudes scientifiques du structuralisme de la reproduction sociale et c’est peut-être une des raisons pour lesquelles il faut revisiter Gabriel Tarde alors que persistent, pugnaces, les interrogations sur les raisons de le lire et sur la « tardomania » qui depuis bien une vingtaine d’années se serait emparée de certains esprit.

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