3-Géopoétique de la catastrophe. The Book of the Dead de Muriel Rukeyser

Summary :

The Book of the Dead was published in 1937 in the collection U.S.1. The American poet Muriel Rukeyser composed this set of poems following a stay in Gauley Bridge, West Virginia (USA), where 764 workers had just died of silicosis while working on a hydro-electric construction site. In order to grasp the legacy of this deadly project, she imagines a modernist poetry that borrows as much from documentary aesthetics as from objectivist experimentations. This article offers a geopoetic reading of the The Book of the Dead which investigates a poetics troubled with the geographical and geological disruptions it witnesses. In doing so, it redefines the social catastrophe.

Résumé :

The Book of the Dead est paru en 1938 dans le recueil U.S.1. La poétesse états-uniennes Muriel Rukeyser a composé cet ensemble de poèmes à la suite d’un séjour à Gauley Bridge, en Virginie-Occidentale (Etats-Unis), où 764 ouvriers venaient de mourir de la silicose en travaillant sur un chantier hydro-électrique. Pour saisir ce que le chantier mortifère a laissé en héritage, elle élabore une poésie moderniste qui emprunte tant aux esthétiques documentaire quaux expérimentations objectivistes. Cette article propose d’en faire une lecture géopoétique : The Book of the Dead manifeste une poétique qui, troublée par les perturbations géographiques et géologiques qui sous-tendent la catastrophe sociale, redéfinit cette dernière. 


Le régime colonial a cristallisé des circuits et on est contraint sous peine de catastrophe de les maintenir. Il faudrait peut-être tout recommencer, changer la nature des exportations et non pas seulement leur destination, réinterroger le sol, le sous-sol, les rivières et pourquoi pas le soleil.Frantz Fanon, Les Damnés de la terreÉditions de la Découverte, 2004, p. 97.

The Book of the Dead de Muriel Rukeyser est écrit sur les vestiges dune catastrophe industrielle qui a percuté Gauley Bridge, ville de Virginie Occidentale située à la confluence entre la New River et la Kanawha River, au début des années 1930. A cette époque, pour les besoins dun projet hydro-électrique, lUnion Carbide, un consortium regroupant des compagnies de chimie et de métallurgie, fait venir des centaines de travailleurs pauvres du Sud des Etats-Unis pour creuser un tunnel à travers la Gauley Mountain. Le chantier visait originellement à détourner une partie des eaux de la New River retenues par un barrage pour alimenter une centrale hydro-électrique située en aval. En sondant la montagne à Hawk’s Nest, la compagnie découvre des gisements de silice très purs, particulièrement utiles dans l’électro-traitement de lacier et décide alors d’élargir le tunnel pour lextraire. Travaillant sans masque ni système d’aération, les ouvriers du tunnel d’Hawk’s Nest respirent abondamment la poussière de silice. Rapidement, ils dépérissent par centaines, atteints dune maladie débien identifiée à l’époque, la silicose1. Suite aux centaines de plaintes déposées par les ouvriers et leur famille, le désastre attire lattention de la presse de gauche qui lui donne un écho national à partir de 19352. Une enquête est ouverte à la Chambre des représentants au cours de laquelle témoins et experts sont auditionnés.

L’intérêt de Muriel Rukeyser, poétesse proche des milieux progressistes, pour cette catastrophe ne surprend pas. Frappées par la Grande dépression, les années 1930 voient saffirmer un mouvement documentaire qui anime aussi bien la photographie et le cinéma que la littérature, suscitant lessor de styles et de pratiques traduisant une attention aux réalités sociales brutales de l’époque. Le reportage sest ainsi imposé comme une forme favorisant la rencontre entre la littérature et lhistoire comme lont montré Paula Rabinowitz et Catherine Gander3. En surgissant dans lespace médiatique en 1936, la catastrophe de Gauley Bridge aimante les critiques faites à la société industrielle capitaliste et fournit un terrain denquête privilégié à plusieurs écrivains.

Correspondante pour le journal communiste Daily Worker, mais proche du Partisan Review, qui défend une ligne nettement anti-stalinienne, Muriel Rukeyser est aux prises avec les conflits politiques et éditoriaux animant la presse de gauche et les différentes positions littéraires qui s’élaborent dans cette proximité4. Se sentant requise, elle se rend sur place en 1937 en compagnie de son amie, la photographe Nancy Naumburg5. Elle sentretient avec des ouvriers, leur famille, des travailleuses du social, des habitant·es, elle parcourt la ville de Gauley Bridge, visite le tunnel à Hawk’s Nest, la centrale hydro-électrique, laciérie dAlloy, les cimetières. Elle rassemble enfin des documents liés au désastre : articles de presses, dépositions de plaignants, auditions de témoins (200 pages de témoignages sont produits au cours de lenquête ouverte à la Chambre des représentants). Dans sa riche monographie consacrée à l’ouvrage, Tim Dayton relate que Rukeyser planifiait « un assaut multimédia sur le problème de la silicose » (64) mais c’est finalement une série de poèmes quelle publie. Une éthique documentaire sy manifeste clairement, apparaissant tant dans les pratiques – séjour sur place, entretiens et les valeurs mobilisées – l’empirisme que dans les expérimentations formelles usage du document6, montage, référence au camera eye7. Publié dans le recueil U.S.1., lensemble de poèmes rassemblés dans The Book of the Dead composent une carte sensible de la catastrophe d’où se dégage un ensemble de voix.

Écrit deux ans après lirruption médiatique du désastre, occupant donc le temps de l’après, il élabore un imaginaire de ce qui a été touché et attaqué par le chantier hydro-électrique. À la parution du recueil, la place prépondérante qu’il accorde aux rivières, à la montagne a été remarquée… et critiquée. John Wheelwright du Partisan Review estimait par exemple que la présence d’éléments naturels distrayait dune compréhension de lexploitation des travailleurs et des liens entre le désastre et le système capitaliste. Dans leurs monographies respectives, Dayton et Gander ont depuis souligné la précision dune écriture topographique, qui loin de lornementation pittoresque, cartographie méticuleusement les Etats-Unis de la Grande dépression. Mais cette contrariété critique dans la première réception du livre met au jour une attente particulière dans la critique marxiste de l’époque: que le travail de nature poétique rende compte dune catastrophe sociale et révèle les rapports historiques de classe. Il nous paraît intéressant de prendre au sérieux cette attente politique et lhorizon quelle donnait au poème à partir dune hypothèse : lattention à la géographie, loin de diluer la compréhension de la catastrophe, éclaire les liens écosociaux qui sous-tendent celle-ci. Le chantier du tunnel a en effet employé conjointement la silice volatile, la rivière et les travailleurs immigrants. L’épuisement de ces derniers est lié à un trafic violent que lUnion Carbide a introduit entre les sols et les corps. Le paysage est donc interrogé dans The Book of the Dead en tant quil est un document8, une production historique de ce chantier mortifère.

Cet article se penche sur un mode dattention qui, fixé sur le sol et ce quil recouvre, sonde les perturbations géographiques et géologiques en cours. Il ne sagit pas didentifier ici une sensibilité précoce, annonce ou amorce dune crise écologique qui nous percute aujourdhui, mais plutôt de considérer la manière dont ce mode nous intéresse aux histoires, aux socialités et aux violences de la terre. Nous proposons une lecture géopoétique de The Book of the Dead qui considère trois lieux : la rivière détournée, la silice volatile, le corps des travailleurs du tunnel. Il sagit ici de pister une poétique, qui, telle que la définit la géographe Angela Last, constitue le géo comme un sujet problématique, travaille à sa lisibilité et à sa réimagination, et exprime la violence des rapports de pouvoir dans lesquels il est engagé.

I. Une rivière détournée

Les deux poèmes qui ouvrent The Book of the Dead , « The Road » puis « West Virginia », posent comme cadre une histoire longue de la Virginie Occidentale, qui débute avec l’arrivée des colons européens et se poursuit par l’émergence de villes minières : « Found Indian fields, standing low cornstalks left, / learned three Mohetons planted them; found-land / farmland, the planted home, discovered! […] Live country filling west, / knotted the glassy rivers; / like valleys, opening mines, / coming to life »9. Le thème filé de l’ouverture du territoire exhibe la continuité entre les dits pionniers qui écrivaient leurs mythes en effaçant les mondes et territoires autochtones, et l’essor des mines : deux jalons constitutifs de la production historique du pays. C’est sur cette première partition que les rivières sont invitées à jouer : « rivers and spring […] Here is your road, tying / you to its meanings: gorge, boulder, precipice. / Telescoped down, the hard and stone-green river / cutting fast and direct into the town »10. Compagnes de route des colons européens à qui elles rendent le territoire lisible et hospitalier, elles s’affirment comme des lignes-repères d’une géographie nationale émergente. Une telle profondeur de champ pour contextualiser une catastrophe industrielle toute récente est étonnante, elle indique pourtant l’espace de résonance ambitieux que The Book of the Dead offre au désastre. La New River qui serpente d’un poème à l’autre, laçant la vallée endeuillée aux infrastructures industrielle, est un motif unifiant dans la dramaturgie du recueil, mais elle surgit surtout comme un opérateur historicisant. Elle rappelle le temps profond de l’histoire tout en logeant la catastrophe dans une mémoire collective au long cours. Les poèmes font porter une autre charge à la New River : le titre du recueil fait référence au Livre des morts des anciens Egyptiens11 dont quelques formules funéraires – aux motifs aqueux abondants – sont insérés dans les poèmes (« I have gained mastery over the waters / I have gained mastery over the river » dans le poème « Absalom » par exemple). La New River qui passe à Gauley Bridge accueille cette hydromythographie funéraire, dessinant une liaison entre vivants et morts.

Si elle est convoquée en premier lieu pour retisser la catastrophe au sein dune histoire longue, la New River est aussi saisie pour elle-même12. Le mouvement du recueil va en effet vers la réalité particulière de la rivière. Celle-ci savance comme le dernier terme dun triptyque industriel – « Alloy », « Power », « The Dam », qui remonte le courant, depuis laciérie, passant par la centrale hydro-électrique jusquau barrage en amont. À l’époque de la mise en eau du barrage de Hawks Nest, plusieurs chantiers hydroélectriques massifs redessinent le cours de grands fleuves et le paysage national. La réalité matérielle et sociale des rivières est en train de changer13, et le poème « The Dam » fait précisément de leur lisibilité un problème. Il laisse sengouffrer une cacophonie de discours où différents registres ingénieriques, mathématiques, juridiques, élégiaques comparaissent. La rivière apparaît comme une arène où entrent en conflit différents langages du monde et régimes de lisibilité, différentes manières de la sémantiser. Mais les représentations ingénieriques dominent, caractérisant les processus aqueux comme mus par des causes quantifiables : « How many feet of whirlpools? / What is a year in terms of falling water? / Cylinders; kilowatts; capacities. / Continuity: Σ Q = 0 / Equations for falling water. The streaming motion ». L’économie adjectivale tend à enserrer la rivière dans un principe de constance (« This is a perfect fluid, having no age nor hours, / surviving scarless, unaltered, loving rest »)14, où la force hydrique est disponible, réduite à un flux. A cet endroit, il semble que le poème enregistre la construction hégémonique de leau par la modernité qui la fixe conceptuellement et matériellement, notamment par les aménagements hydro-électriques15. Conséquemment, il se fait témoin dun appauvrissement du mode de présence de la New River.

La chercheuse et éditrice Louise Kertesz, autrice dun ouvrage pionnier sur la poétique de Rukeyser, dit de la New River quelle est le personnage principal du livre16. Son hypothèse force le trait car la construction polyphonique veille justement à singulariser sans surclasser les différents personnages, mais elle nous invite à interroger la puissance dagir effectivement reconnue à la rivière. Au sein du poème « The Dam », celle-ci émerge justement dans toute son ambivalence. Le poème entretient un trouble : la rivière a pu être une compagne de route familière, une alliée psychopompe, mais ici, elle semble se prêter au jeu de la puissance industrielle et tolère sans problème sa configuration mortifère (« this is the river Death, diversion of power, the root of the tower and the tunnel’s core, this is the end »). Que le chantier emploie conjointement les travailleurs et la rivière ne débouche donc pas naturellement sur leur solidarité. Dans son essai Les Fruits du cyclone, l’écrivain Daniel Maximin met en garde contre un matérialisme qui senchanterait de lagentivité des entités géophysiques et de leur disponibilité aux alliances que nous souhaiterions nouer avec elles : leur puissance dagir reste problématique. Elles peuvent être tour à tour partenaires, adversaires ou indifférentes, toute composition est temporaire et périlleuse. A la fin du poème « The Dam », la lisibilité de la rivière est remise en jeu (Nothing is lost, even among the wars, / imperfect flow, confusion of force. / It will rise)17. Le poème, dégageant celle-ci de son destin de puissance industrielle, lui reconnaît une capacité d’échappée. Ni puissance domptée, ni compagne familière : à terme, cest son indisponibilité qui lui est restituée.

Ainsi, le programme de Fanon qui invitait à « réinterroger les rivières » rencontrent ici un écho troublant. La caractérisation fine et provisoire de la New River ne la libère pas dune position ornementale pour la resituer nettement au sein dune nature exploitée, qui partagerait une condition subalterne avec les ouvriers. Elle met au contraire en tension les questions posées à sa réalité matérielle, sociale, historique et sensible, et ne produit que des réponses instables et inconfortables.

II. La silice volatile

Forme naturelle du dioxyde de silicium, la silice est présente dans de nombreux minéraux et est l’un des composants les plus abondants de l’écorce terrestre. Que ce soit en tant que matière première ou matériel de charge, ses usages industriels sont nombreux ans la verrerie, loptique, la métallurgie, elle peut être utilisée comme isolant ou comme abrasif. Soluble dans leau, elle devient toxique sous forme de poussière en suspension dans lair. Les fines particules de silice pénètrent par les voies respiratoires jusquaux alvéoles pulmonaires et sy déposent. Des nodules se forment jusqu’à obstruer et détruire peu à peu le poumon. Ce processus de destruction est lent, se déclenche parfois longtemps après linhalation, et se poursuit même après quait cessé l’exposition à la silice. La personne silicosée s’essouffle de plus en plus, et devient vulnérable à d’autres infections pulmonaires, comme la tuberculose.

Dans Slow Violence and the Environmentalism of the Poor, Rob Nixon observe les formes de violence qui se produisent graduellement et hors de la vue. Celles qui induisent par exemple une destruction diffuse, dusure, dispersée dans le temps et lespace, sont telles quelles peuvent ne pas être perçues comme des violences du tout. La « violence lente », par son caractère imperceptible, représente dit-il « un défi stratégique, narratif et représentationnel »18. Le mouvement indolore des poussières de silice vers les alvéoles pulmonaires des travailleurs du tunnel est de cet ordre. Face à lui, Muriel Rukeyser déploie une phénoménologie de la toxicité. Elle sappuie sur deux régimes optiques qui sentrecroisent : le panoramique, suggéré par lessor de la photographie documentaire, et la radiographie, qui connaît à l’époque un intense développement médical. Lun lui offre une possibilité de déplier lenvironnement perçu, lautre daccéder à ce qui nest pas visible à l’œil nu.

Dans le paysage composite déployé dans les poèmes topographiques (« Power», « Alloy » , « The Dam ») le blanc, attribut de la poussière de silice, contraste sur l’étendue du créé des zones de contrastes au sein du paysage. La présence déréglée et bégayante de cette couleur (« the white white hills standing upon Alloy »19) renseigne tout autant sur une circulation dangereuse des matières de la terre que sur lemballement paranoïaque de lappareil optique enclenché par le poème. Sa langue hallucinée manifeste la perception nouvelle des maladies industrielles à l’époque et les paniques sanitaires quelles entraînent, panique qui se mêle de fascination. À ce titre, le motif du verre, signifiant glissant désignant la silice, fait lobjet de plusieurs variations dun poème à lautre : « hundreds breathed value, filled their lungs full of glass », « my face becoming glass », « our street our river a deadly glass to hold »20. Cette image obsessionnelle totalise lactivité industrielle, faisant des corps des matières à transformation.

La blancheur colore et déborde (« excess of white. / White brilliant function of the land’s disease », « The power-house stands skin-white at the transmitters’ side »21), elle est déclinée et relancée par des métaphores puisant dans lunivers domestique (la silice comme farine) et surtout météorologique (la silice comme neige). Ces métaphores sont déroutantes car elles introduisent une menace dans des référents quotidiens ou inoffensifs, tout en signalant un trouble dans les catégories de la naturalité. La métaphore de la neige interpelle en particulier. Voyons sur quel support elle circule, ici entre le poème « The Disease » et le poème « Alloy » :

[1] Now, this lung’s mottled, beginning, in these areas.
You’d say a snowstorm had struck the fellow’s lungs.
About alike, that side and this side, top and bottom.22

[2] Crystalline hill: a blinded field of white
murdering snow, seamed by convergent tracks;
the travelling cranes reach for the silica.23

Dans la première situation, il sagit dun rendez-vous médical, la radiographie contraste la marque de la silicose sur les poumons la faisant apparaître telle une tempête de neige. Lorsquelle revient dans une seconde image, la métaphore délire cette fois les abords de lusine d’électro-métallurgie située à Alloy, où la silice est acheminée et traitée, hallucinant « un champ aveuglé de neige blanche et mortelle ». Ce glissement de support, des poumons au paysage, est central dans la phénoménologie de la toxicité déployée par les poèmes. Extraite du sous-sol, la silice est stockée à l’usine comme dans les poumons des travailleurs du tunnel. Son économie est donc en partie intérieure, le tunnel et les alvéoles pulmonaires où se concentre sa circulation mortifère sont soustraits au regard. Or, si la radiographie peut révéler sa présence dans le corps des malades, la pratique est onéreuse et peu accessible. Cest donc le paysage entier qui est mobilisé pour donner à voir la maladie : il déploie en grand lattaque mortelle localisée sur les poumons. Un tel jeu avec les intériorités du corps est de nature à troubler l’intégrité du sujet. Le poème « Mearl Blankenship », du nom dun ouvrier atteint de silicose, condense cette impression, le verbe tousser s’y échappant de son sens littéral pour faire signe vers une condition commune des ouvriers du tunnel : « I wake up choking, and my wife / rolls me over on my left side; / then I’m asleep in the dream I always see: / the tunnel choked / the dark wall coughing dust »24. Corporéité du paysage minier, minéralisation des corps, la poétique déployée par Muriel Rukeyser renverse les propriétés des sujets et des matières. Elle dessine les contours dun corps poreux, dangereusement exposé aux matières de la terre, en proie à une rupture ontologique produite par la modernité extractiviste.

III. Dérive géologique

The Book of the Dead observe chez les travailleurs du tunnel une dérive géologique qui se manifeste tant dans leurs poumons minéralisés que dans leur destin souterrain mortel. Il est ainsi possible de la lire à l’aune de l’analyse que la géographe Kathryn Yusoff fait du paradigme minier (A Billion Black Anthropocenes or None , 2021). Elle décrit le chantier d’extraction comme introduisant un ensemble de séparations, entre ceux qui se rendent dans le tunnel (en majorité des travailleurs africains-américains) et ceux qui n’y entrent pas, ceux qui portent des masques et ceux qui n’y ont pas accès, ceux qui accumulent bénéfices matériels et ceux qui sont exposés à la toxicité et à la violence de la terre. Pour Yusoff, le langage de la géologie ne décrit pas le monde de façon neutre et innocente, il est profondément intéressé aux relations de pouvoir très inégal à la terre, aux possibilités de l’acquérir, de la remodeler, d’en tirer profit accumuler des bénéfices matériels. L’ouverture de mines et le détournement des rivières s’inscrivent ainsi dans une continuité avec le colonialisme d’installation et ses pratiques de dépossession. Yusoff précise que si la raison géologique propose un modèle de connaissance et de maîtrise des processus géologiques, son activité ne se cantonne pas au sol. Il faudrait plutôt la comprendre comme « un régime qui produit à la fois des sujets et des mondes matériels, où la race est établie comme un effet de pouvoir à l’intérieur du langage des objets géologiques. »25 (2018 : 15). La géologie est selon elle un des modes par lesquels la racialisation s’opère dans la mesure où ce langage et cette pratique s’adresse à certains sujets d’après les propriétés qu’elle leur reconnaît pour les transmuter en catégorie de la matière. Cette définition de la géologie nous paraît pertinente ici, même si nous reviendrons sur le sort que réserve Muriel Rukeyser à la dimension raciale du régime extractiviste.

Le cinquième poème de The Book of the Dead, intitulé « The Face of the Dam: Vivian Jones », met au jour le régime d’épuisement à l’œuvre. Vivian Jones, conducteur de train, est érigé en témoin du creusement du tunnel :

There, where the men crawl, landscaping the grounds / at the power-plant, he saw the blasts explode / the mouth of the tunnel that opened wider / when precious in the rock the white glass showed. […] On the quarter he remembers how they enlarged / the tunnel and the crews, finding the silica, how the men came riding freights, got jobs here / and went into the tunnel-mouth to stay.26

Enchâssée dans sa réminiscence, lactivité des travailleurs du tunnel apparaît comme intriquée à celle du sol, participant des forces géophysiques. Leurs corps indifférenciés sont dores et défriables, leur tâche les exténue. La parataxe, disséminant la logique qui sous-tend labsorption des corps des ouvriers à l’intérieur du tunnel, naturalise leur destin vital.

Tout en enregistrant la politique de mort à l’œuvre, la dramaturgie mise en place dans The Book of the Dead semploie à défaire la friabilité qui affecte les corps des ouvriers. Elle convoque en effet une galerie de personnages, chacun présidant à un poème. Marqués par une forte référentialité, ils sont recrutés parmi les vaincus de lhistoire : Emma Jones, mère de quatre garçons et épouse dun homme décédé de la silicose ; Vivian Jones, conducteur de train ; Mearl Blankenship, mineur ; Georges Robinson, mineur ; Juanita Tinsley, travailleuse sociale ; Arthur Peyton, mineur. Tim Dayton a qualifié ces poèmes nominatifs de « monologues lyriques ». Soulignons également que ces monologues sont situés, les personnages parlent depuis les lieux (domicile, lieu de travail, etc.) dont ils sont usagers. Tandis que la parole des vainqueurs, employeurs, médecins corrompus, avocats soudoyés, surgit par bribes, souvent sans locuteur déterminé, inefficiente, Dayton observe que la polyphonie des vaincus fait émerger à l’échelle du recueil une perspective transindividuelle sur lhistoire du désastre qui s’élabore. Aux ouvriers identifiés à des matières à extraction, le monologue ménage un point de vue singulier, pourvu dautorité, un rapport sensible au lieu doù ils parlent. Luttant en somme contre leur devenir fongible27,le poème restaure un espace subjectif quils peuvent sapproprier.

Si la géologie domine la connaissance et les pratiques du sol, tout en occultant et en naturalisant les processus dextraction, une géopoétique peut et doit lui être opposable. Les poèmes de Muriel Rukeyser ne réclame pas seulement un droit de regard sur lextraction, ils élaborent un savoir et une sensibilité à ce qui circule entre les corps et le sol.

IV. Effacement du trafic racial

L’espace subjectif ouvert par le poème est cependant « cerné par un silence »28. Les sujets à la dérive qui peuplent The Book of the Dead sont retranchés dun des aspects essentiels qui détermine leur exposition aux violences de la terre : leur racialisation. Inscrivant la catastrophe dans un temps long, Muriel Rukeyser élude une histoire pourtant particulièrement éclairante, celle de lenrôlement spécifique des Noirs dans les mines, dans laquelle lUnion Carbide sinscrit pleinement. Les Africains-Américains sont historiquement surexposés aux accidents miniers, aux maladies des poumons, aux contaminations diverses et aux pollutions environnementales29. Sur le chantier du tunnel, lUnion Carbide a œuvré à diviser la population locale des travailleurs immigrants majoritairement noirs. Ces derniers étaient surreprésentés dans le tunnel, leurs pauses étaient souvent supprimées, ils étaient logés dans des baraquements surpeuplés, sans électricité; les témoignages faits devant la Chambre attestent de nombreux abus. Au cours des procès lopposant aux familles douvriers, la compagnie a détourné l’attention de sa responsabilité en mettant en cause les mœurs des ouvriers par des procédés qui ciblaient explicitement les travailleurs immigrants30. Ainsi, en unifiant la population attaquée en quête d’une condition commune à la classe ouvrière, The Book of the Dead entretient un silence sur les violences matérielles et symboliques qui touchent spécifiquement les travailleurs noirs.

Ainsi, le poème « George Robinson : Blues », adapté du témoignage produit par un ouvrier africain-américain, est éclairant. Ce dernier avait affirmé, face au Congrès, que les mineurs sortaient du tunnel si noirs de poussière qu’on n’aurait pas su dire quel travailleur était blanc, quel était noir. Or la poussière de silice est blanche. Comme l’ont fait remarquer David Kadlec31 et Kyle Evans, cette caractérisation erronée respectait en réalité les codifications raciales qui structuraient le contexte de sa prise de parole. Il était impensable pour un travailleur noir de dire qu’il pouvait passer pour blanc, le congrès s’est d’ailleurs gardé de corriger son erreur. Muriel Rukeyser a choisi de rectifier le témoignage dans le poème : « As dark as I am, when I came out to [sic] morning after the tunnel at night with a white man, nobody could have told which man was white. / The dust had covered us both, and the dust was white32 ». Elle contourne de fait le contexte racial qui détermine la production du poème.

V. Mémoires de la terre

Edward Saïd désignent les processus impériaux et coloniaux comme des « actes de violence géographique »33. Le paysage que The Book of the Dead scrute est oublieux des histoires violentes qui le traversent. Les victimes de la silicose ont été enterrées en toute hâte par les pompes funèbres qui travaillaient main dans la main avec la compagnie. Il fallait en effet soutirer les corps aux vivants car les poumons silicosés pouvaient constituer des pièces à conviction lors des procès; un champ de maïs a été détourné pour enfouir les corps des travailleurs immigrants dont la famille ignorait le sort. Le poème « The Cornfield » se met justement en quête de ces derniers. Il enregistre un brouillage des espaces qui empêche l’accès aux défunts. Le détournement du champ de maïs complique la lisibilité de la catastrophe et travaille déjà à sa méconnaissance. Les traces à suivre sont précaires, à peine plus sensibles qu’un filet de voix : « Stands bare against a line of farther field, / unmarked except for wood stakes, charred at tip, / few scratched and named (pencil or nail). / Washed-off. Under the mounds, / all the anonymous34 ». Par le soin topographique dont il fait preuve, le poème s’emploie localiser les morts, leur faire une place, les matérialiser35. Il se met aussi en quête d’un pouvoir : inquiéter le panorama industriel, activer la mémoire des histoires violentes qu’il recouvre. Le panorama industriel d’alors est un parc national aujourd’hui, la retenue du barrage accueille de nombreuses activités de loisirs nautiques : « le Civilian Conversation Corps a installé un charmant point de vue en pierre donnant sur ce qui est devenu la vue la plus incomprise et la plus photographiée de l’État : la New River, endiguée et amassée au-dessus du tunnel d’Hawk’s Nest »36, comme l’écrit Catherine Venable Moore. Face à de puissants processus d’oubli qui œuvrent à enfouir les actes de violence géographique et à bloquer leur compréhension, les mémoires de la terre s’élaborent ici en les éclairant, en cherchant à les rendre perceptible. Ce faisant, elles resémantisent le paysage qui peut dès lors fonctionner comme une archive.

Tandis que les récits de lanthropocène imaginent un protagoniste humain le nez au ciel, appréhendant la venue du cataclysme quil a provoqué, The Book of the Dead interpelle les lecteurs et lectrices contemporaines car il renverse la perspective. Il se penche vers le sol pour inviter à hériter des désastres passés dont il est porteur, interrogeant ce quil recouvre, ayant pour lui des gestes de soin et de délicatesse. Une lecture géopoétique de louvrage met au jour un mode dattention nouveau, qui sonde la surface de la terre pour dégager des socialités et les violences qui sy intriquent pour mieux nous situer parmi les histoires de la terre.


Ouvrages cités

Cherniack, Martin. The Hawk’s Nest Incident, Yale University Press, 1986.

Dayton, Tim. Muriel Rukeyser’s The Book of the Dead, University of Missouri Press, 2003.

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1La silicose est une maladie pulmonaire due à l’inhalation de silice, qui se manifeste par une fibrose progressive. Avec la mécanisation des mines qui s’accroît au début du XXe siècle, le nombre de travailleurs touchés par la silicose explose. Si cette dernière est connue depuis longtemps sous différentes formes selon les métiers – « asthme des mineurs », « phtisie des souffleurs de verre » « schistose des ardoisiers » – son ampleur suscite alors une nouvelle inquiétude. Dans le cas des travailleurs du tunnel de Gauley Bridge, elle a pris des formes aiguës, avec dégradation rapide de la capacité respiratoire et décès.

2Les journaux New Masses et The People’s Press publieront d’abondants dossiers sur la question dès 1935.

3Voir Rabinowitz, Paula. They Must Be Represented: The Politics of Documentary. London: Verso, 1994 et Gander, Catherine. Muriel Rukeyser and Documentary. The Poetics of Connection, Edinburgh University Press, 2013.

4Voir Thurston, Michael. “Documentary Modernism as Popular Front Poetics: Muriel Rukeyser’s The Book of the Dead.” Modern Language Quarterly 60:1 (1999): 59–83. ; Nelson, Cary. Repression and Recovery: Modern American Poetry and the Politics of Cultural Memory, 1910–1945. Madison: University of Wisconsin Press, 1989 ; Shulman, Robert. The Power of Political Art: The 1930s Literary Left Reconsidered. Chapel Hill: University of North Carolina Press, 1999.

5Un compagnonnage qui en rappelle d’autres : on pense évidemment à Let Us Now Praise Famous Men par James Agee et Walker Evans (1936-1940) ou encore You Have Seen Their Faces de Margaret Bourke-White et Erskine Caldwell (1937).

6Un rapport au document qui fait écho à la poésie objectiviste porté entre autres par William Carlos William, dont Muriel Rukeyser était proche, ou encore Charles Reznikoff. Monique Claire Vescia fait état de cette proximité dans Depression Glass: Documentary Photography and the Medium of the Camera Eye in Charles Reznikoff, George Oppen, and William Carlos Williams, New York and London: Routledge, 2006.

7Voir Catherine Gander, ouvrage cité plus bas.

8Il s’agit d’une expression du photographe allemand Renger Patzsch dans Sylt. Cité par Olivier Lugon dans Le style documentaire d’August Sqander à Walker Evans, 1920-1945, Editions Macula.

9« Trouvèrent des champs indiens, des tiges de maïs courtes, /apprirent comment trois Mohetons les avaient plantés ; terre nouvelle, terre arable, la terre natale, découverte ! […] Pays en vie, croissant vers l’ouest, / laçant les rivières vitreuses ; / telles des vallées, ouvrant des mines, / en venant à la vie. »Toutes les traductions des extraits de The Book of the Dead en notes sont de Emmanuelle Pingault pour Le livre des morts, ed. Isabelle Sauvage, 2017.

10« rivière et renouveau. […] Voilà ta route, elle te relie / à ce qu’elle signifie : gorge, rocher, précipice / Téléscopée vers le bas, la rivière ure et verte comme pierre / défile vite, droit vers la ville. »

11Compilation des milieux sacerdotaux de Thèbes rassemblant un ensemble de textes funéraires laissés auprès des morts au cours de l’Ancien et du Moyen Empire égyptien.

12Pour un approfondissement de ce que peut signifier représenter un être ou un élément naturel dans les esthétiques de la nature voir Zhong Menghal, Estelle. Apprendre à voir. Le point du vue du vivant, Actes Sud, 2021, p. 139.

13Voir Linton, Jamie. « Fixing the Flow » in What is Water. The History of a Modern Abstraction, UBC Press, 2010. p 3-23

14« Combien de mètres de tourbillon ? Que vaut une année en termes de chute d’eau ? / Cylindre ; kilowatts ; contenances. Continuité : Σ Q = 0 / Equations pour une chute d’eau. Mouvement du torrent » ;  « Ce fluide est parfait, il n’a ni âge ni heures, il survit sans cicatrices, sans marques, aime le repos ».

15Voir Linton, Jamie. Ouvrage déjà cité.

16Louise Kertesz, The Poetic Vision of Muriel Rukeyser, Louisiana State University Press, 1980, p. 100.

17« Voici la rivière de la Mort, détournement de puissance, / la racine de la tour et le coeur du tunnel, / c’est la fin. »; « flot imparfait, confusion de la force. / Elle se levera. Voici les phases de son visage. / Elle connaît les saisons, l’attente, l’instantané. Elle change. Elle ne meurt pas ».

18« I mean a violence that occurs gradually and out of sight, a violence of delayed destruction that is dispersed across time and space, an attritional violence that is typically not viewed as violence at all. I believe, to engage a different kind of violence, a violence that is neither spectacular nor instantaneous, but rather incremental and accretive, its calamitous repercussions playing out across a range of temporal scales. In so doing, we also need to engage the representational, narrative, and strategic challenges posed by the relative invisibility of slow violence. » Ouvrage cité plus bas, p. 2.

19Dans le poème « Arthur Peyton » : « les blanches blanches collines qui dominent Alloy ».

20Dans le poème « Arthur Peyton » : «  par centaines, ils ont inspiré la richesse, empli leur poumon de verre », « mon visage vitrifié », « notre rue notre rivière un verre mortel à prendre. »

21Dans les poèmes « Power » : « la centrale à la peau blanche jouxte les transmetteurs », et dans « The dam » : « excès de blancheur. Effet blanc et brillant de la maladie de la terre ».

22Dans le poème « The Disease » : « Donc, ce poumon-ci est marbré, légèrement, à ces endroits. / On dirait qu’une tempête de neige a frappé les poumons du gars. / Presque pareil, ce côté-ci et ce côté-là, en haut et en bas ».

23« Colline cristalline : un champ aveuglé de neige / blanche et mortelle, balafrée de rails convergents ».

24Dans le poème « Mearl Blankenship » : « Je me réveille en m’étranglant, et ma femme / me tourne sur le côté gauche ; / après, je suis dans le rêve que je fais tout le temps : / le tunnel étranglé, le mur sombre tousse de la poussière ».

25Traduction par l’autrice de ce texte. « To understand geology as a regime for producing both subjects and material worlds, where race is established as an effect of power within the language of geology’s objects. Specifically, the border in the division of materiality (and its subjects) as inhuman and human, and thus as inert or agentic matter, operationalizes race ».

26« Ici, là où les hommes rampent à travailler le paysage / de la centrale électrique, il a vu les explosions déchirer / la gueule du tunnel qui s’élargissait / quand trésor, dans la roche, le verre blanc est apparu. […] Au premier quart d’heure il se rappelle comment ils ont agrandi / le tunnel et les équipes, trouvé la silice, / comment les hommes arrivaient dans des fourgons, étaient embauchés / et entraient dans la gueule du tunnel pour y rester ».

27Saidiya Hartman caractérisent les êtres fongibles comme étant des sujets destinés à être consumés dans l’usage qui est fait d’eux. Voir Scenes of Subjection, New York: Oxford University Press, 1997.

28Cette formule est employée par Toni Morrison dans Jouer dans le noir. Blancheur et imagination littéraire, Christian Bourgeois éditeur, trad. Pierre Alien, 1992, p. 43.

29Voir Robbins, Nicholas. Mercury, Mining, and Empire: The Human and Ecological Cost of Silver Mining in the Andes. Bloomington: Indiana University Press, 2011.

30Voir la comparaison proposée par Tim Dayton entre le témoignage de Philippa Allen et le poème élaboré à partir de ce dernier, Muriel Rukeyser’s The Book of the Dead, University of Missouri Press, 2003, p. 62-83 et Cherniack, Martin. The Hawk’s Nest Incident, Yale University Press, 1986, p. 17-19.

31Kadlec, David. “X-Ray Testimonials in Muriel Rukeyser.” Modernism/Modernity 5.1, 1998, p. 23-47. Web. 3 Mars 2013. Evans, Evans. « Muriel Rukeyser and Authorial Power in “The Book of the Dead” », en ligne: http://murielrukeyser.emuenglish.org/2013/08/14/kyle-evans-muriel-rukeyser-and-authorial-power-in-the-book-of-the-dead/

32« Noir comme je suis quand je sortais le matin après une nuit au tunnel / à côté d’un Blanc, personne n’aurait pu dire lequel était blanc. /La poussière nous recouvrait pareil, et la poussière était blanche ».

33« S’il est un trait distinctif absolu de l’imaginaire anti-impérialiste, c’est la primauté de la géographie. N’oublions pas que l’impérialisme est un acte de violence géographique, par lequel la quasi-totalité de l’espace mondial est explorée, cartographiée et finalement annexée. » dans Culture et Impérialisme, Fayard, 2000, p. 320.

34« pas de repères sinon des piquets en bois, carbonisés à la pointe / certains écornés et marqués (stylo ou ongle)/ Délavés. »

35Cette quête se trouve prolongé par le projet mené par l’écrivaine Catherine Venable Moore, voir hawksnestnames.org.

36Traduction de l’autrice : «the Civilian Conservation Corps built a charming stone overlook at what has become one of the most misunderstood and most photographed vistas in the state: the New River, dammed and pooling above the Hawk’s Nest Tunnel. » Ouvrage cité plus bas.