4 – La ville sonore : Quelles sources pour l’histoire du bruit urbain ?

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Aimée Boutin

S’il était possible d’enregistrer le paysage sonore d’une rue parisienne d’avant la révolution industrielle, quels bruits recenserions-nous ? Nous aurions entendu des cliquetis de calèches sur les pavés, des grondements d’omnibus, des cris de colporteurs résonnant dans les allées médiévales étroites, des conversations étouffées et des hurlements assourdissants. La ville bourdonnerait des voix des musiciens de rue, des enfants qui jouent, des militaires qui défilent, des travailleurs qui fredonnent, des chiens qui aboient, des pigeons qui roucoulent. Les tintements de cloches d’église se mêleraient aux martèlements de machines émanant d’ateliers et de boutiques. Du côté de la Seine, le bruit du clapotement des eaux s’ajouterait à la rumeur de la ville. Le soir, dans le quartier des théâtres, les aboyeurs et les calèches rempliraient la rue de vacarme. Il y aurait un tapage affreux, mais nous n’avons que notre imagination pour reconstruire l’histoire du bruit urbain à une époque antérieure à l’avènement de l’enregistrement sonore.
Nous disposons d’un certain nombre de méthodologies qui peuvent être combinées avec succès pour cataloguer et donner un sens au passé sonore. Étudier l’histoire du bruit, en effet, nécessite une approche pluridisciplinaire articulant musicologie, histoire de l’art, études littéraires, histoire, architecture et urbanisme. Cette étude de cas examinera la gamme de sources qui peuvent éclairer une compréhension du passé sonore en l’absence de sources primaires « directes » telles que les enregistrements (si de telles preuves sont en fait non médiatisées). Bruce R. Smith, Alain Corbin, Mark M. Smith, John Picker et Jonathan Sterne (pour ne citer que quelques chercheurs qui ont considérablement fait avancer l’étude de l’histoire du paysage sonore et des sound studies dans les années 1990 et 2000) ont mis en place des méthodologies (écologie acoustique, histoire culturelle, histoire des médias) qui peuvent servir de modèles pour comprendre le rôle du son dans les sociétés passées. Mes recherches — notamment le projet qui a mené à la publication en 2015 de mon livre City of Noise: Sound and Nineteenth-Century Paris — ont été spécifiquement axées sur le bruit urbain et la modernité européenne ; pour présenter ma propre méthodologie, je puiserai des exemples dans mon travail1. Il est clair qu’une approche pluridisciplinaire peut donner une appréciation plus profonde des riches textures sonores des siècles passés, mais comment choisir les sources, qu’elles soient visuelles ou sonores, fictives ou documentaires, les plus pertinentes ? Il s’agira d’analyser ce que les différents types de sources apportent à l’analyse du paysage sonore. Après avoir cherché quels bruits quotidiens ont le mieux capté l’attention des auditeurs et résonné à travers les âges, cette étude examinera la tâche de l’historien.ne du paysage sonore, se demandant si elle se caractérise plutôt par la reconstruction ou par l’interprétation du passé sonore et esquissant quelques exemples de chaque approche.

Il existe de nombreux types de sources d’information sur la perception des sons, nous renseignant notamment sur la façon dont ils ont façonné les récits identitaires individuels et collectifs dans les sociétés passées. Les premiers enregistrements sonores datent de l’invention du phonautographe par Edouard-Léon Scott de Martinville en 1857 et de l’invention simultanée du phonographe par le Français Charles Cros et l’Américain Thomas Edison en 1877. Avant l’enregistrement sonore, cependant, le son se caractérisait par l’impermanence et l’évanescence. La question « Comment entendre le passé ? » prend une toute nouvelle dimension et nécessite une méthodologie différente lorsque nous nous efforçons d’écouter le passé. Dans les années 1970, l’écologiste du son Murray Schafer a développé la notion de « paysage sonore » pour sensibiliser le public à la disparition de certains sons et à l’empiètement de la pollution sonore dans des zones autrefois calmes. Bien qu’une partie de ce plaidoyer reste attachée au terme paysage sonore, je l’utilise ici pour décrire l’environnement sonore sans aucune référence directe à l’écologie, bien qu’il soit utile de rappeler que la recherche sur l’histoire du bruit urbain est souvent guidée ou motivée par nos préoccupations et nos intérêts actuels (notamment la question des nuisances sonores).

Sources : compositions musicales et sources musicologiques

Les sources musicales sont peut-être les sources les plus évidentes à consulter pour comprendre la perception des paysages sonores urbains des siècles précédents. Depuis le Moyen-Âge, la capitale se caractérisait par ses Cris de Paris ; des vocalisations qui ont inspiré de nombreux compositeurs de la Renaissance, tels que Clément Janequin et Jean Servin, ainsi que du XIXème siècle, comme Georges Kastner.2 Ces compositions musicales n’étaient pas destinées à représenter le paysage sonore des rues parisiennes avec une précision ou un réalisme authentiques, mais leur persistance en tant que motif musical au fil des siècles suggère que les cris de rue avaient une signification culturelle de premier ordre. De plus, la façon dont les voix étaient arrangées, opposées et superposées, en somme leurs caractéristiques formelles, reflète le désir de l’époque d’orchestrer les bruits urbains. La polyphonie en tant que forme musicale peut s’entendre comme une tentative d’harmoniser ce qui autrement devenait cacophonie et de la rendre esthétiquement agréable. Les Voix de Paris de Kastner, suivi des Cris de Paris. Grande Symphonie humoristique vocale et instrumentale, est un ouvrage composite qui combine, d’une part, un essai d’érudition contextualisant l’importance du cri en musique, le situant dans l’histoire et classifiant les cris des marchands, avec, d’autre part, une partition qui se délecte à recréer une ambiance sonore imaginaire. Emily Laurance a comparé l’œuvre de Kastner à une flânerie musicale (55) ; s’y adonant également, le musicologue Joseph Mainzer a contribué par une série d’esquisses sur les petits métiers au chef-d’œuvre de la flânerie littéraire, Les Français peints par eux-mêmes (1840-42). Mainzer craint que les cris des marchands parisiens qu’on entendait dans le premier dix-neuvième siècle disparaissent ; par conséquent, il s’applique à insérer des partitions de chaque cri afin qu’on puisse les « conserv[er] dans un cabinet de raretés acoustiques » (887). C’est un peu la même volonté de préserver les sons d’autrefois pour la postérité qui motive Ferdinand Brunot lorsqu’il inclut des crieurs dans ses Archives de la Parole. Cependant, ses enregistrements, les premiers des bruits de la ville que nous possédons, sont des reconstitutions par Jean Péheu, un humoriste de la Belle Époque, qui imite le marchand de quatre saisons et autres crieurs3. Au-delà des partitions et des enregistrements, les protocoles de performance musicale, les systèmes de mécénat musical et la réglementation des zones de silence et des espaces bruyants peuvent également fournir un « enregistrement » des divisions soniques-spatiales, des pratiques d’écoute, ou de la relation entre musique, son, et pouvoir4.

Sources : arts visuels

Bien que les arts visuels ne fassent pas de bruit au sens littéral, les estampes, les photographies et les tableaux s’avèrent être des sources d’information très utiles sur l’histoire sonore. Interpréter le sonore à travers le visuel n’est pas seulement méthodologiquement efficace, cela invite aussi à la réflexion sur l’intersensorialité. Dans son livre Sinister Resonance, David Toop utilise le terme « clairaudience5 » pour définir l’audition de sons inaudibles et considère les arts visuels comme des « enregistrements silencieux d’événements auditifs, certains plus silencieux que d’autres. Le son hante leur silence comme un spectre de l’histoire qui ne peut jamais être entendu dans son intégralité, mais sa présence est enterrée dans leur création » (Toop, xiii). Dans mes recherches sur les Cris de Paris, j’ai examiné les gravures sur bois médiévales ainsi que les suites de colporteurs de rues du XVIIIème siècle d’Edmé Bouchardon afin de mieux comprendre la variété de bruits de la ville.6 J’ai trouvé dans les caricatures d’Honoré Daumier, mais surtout de son contemporain Bertall, d’excellentes sources documentaires sur les significations sociales des paysages sonores urbains précisément en raison de leurs commentaires sociopolitiques humoristiques, mais incisifs. J’ai découvert que Bertall avait inclus des partitions musicales dans ses Cris de Paris, et j’ai réalisé que ma méthodologie devait être attentive à la façon dont les documents encodaient les événements sonores (Boutin 92). La disposition spatiale de ces documents fournit des informations sur la façon dont les auditeurs bourgeois ont tenté d’harmoniser les bruits de rue en séries, suites ou grilles visuellement ordonnées (et donc en ensembles agréables ou harmonieux). En recherchant des indices sur les pratiques d’écoute et les paysages sonores urbains dans les arts visuels, j’ai cherché des analogies picturales et musicales : la disposition en grille dans l’illustration de Bertall « Où il faut de la voix » joue sur la spatialisation (axes horizontal, vertical, diagonal) afin d’insister sur les rapports entre les crieurs comme s’ils étaient des notes dans une partition musicale7. La grille était donc l’analogie visuelle de la polyphonie musicale.

D’autres types d’œuvres graphiques, en particulier les caricatures, servent de véhicule aux distinctions sociales qui séparent les classes bruyantes (ou perçues comme telles) et les élites qui prétendent à un droit au silence. Reprenant un thème représenté par William Hogarth dans The Enraged Musician (1741), Honoré Daumier et J. J. Grandville ont chacun illustré un charivari moderne, dans lequel les oreilles des bourgeois sont agressées par des musiciens de rue dans un espace public. Dans la première des six estampes de la série « Les musiciens de Paris » parue dans La Caricature en 1841, Daumier représente un vieillard qui sort la tête de ses persiennes et qui maudit les musiciens sous sa fenêtre, en leur criant : « v’là deux heures que vous me criez Adieu…, mais fichez-moi donc le camp une bonne fois pour toutes!…. sacrrristi ». Grandville illustre également l’interaction entre interprètes et auditeurs, mais la légende « Ils commencèrent à l’instant même leur effrayant charivari » est plus explicitement politique, car elle fait référence à une pratique ancienne de réprobation par le bruit. Cependant dans ce cas, ce sont les deux flâneurs assourdis qui condamnent les musiciens et non le peuple qui proscrit la personne humiliée par le bruit comme dans le rituel traditionnel du charivari. Daumier et Grandville représentent un acte d’écoute qui encode les préjugés de classe et de genre, voire la xénophobie puisque les musiciens de rue étaient souvent étrangers8. Dans The Sight of Sound (1993), Richard Leppert attire l’attention sur la présence ou l’absence du corps de l’interprète, source de musique ou du bruit, dans la peinture. Leppert soutient par exemple que la visualisation du son acousmatique (le son dont la source n’est pas visible) dans un tableau tel que « En écoutant du Schumann » de Fernand Khnopff représente une nouvelle forme d’écoute moderne, caractérisée par son intensité et son auto-absorption. Ce tableau représente une femme seule qui écoute, soustraite à son contexte habituel ; en l’absence du/de la musicien·ne ou d’un auditoire qui nous renseigneraient sur la production ou la réception des sons, le tableau déplace le centre d’intérêt vers l’expérience aurale. C’est ce déplacement qui fait la modernité du tableau par rapport à la dynamique socio-politique de la performance musicale, du mécénat ou de la consommation plus typique des représentations pré-modernes de l’expérience musicale dans les contextes sociaux (salons, tribunaux, foires champêtres). Ces derniers sont visibles et audibles dans une gravure de François Dequevauviller intitulée « Le Rassemblement au concert » dans laquelle personne n’écoute les musiciens isolés dans le coin de la pièce malgré les tentatives d’un mécène de calmer la salle9. Les arts visuels peuvent donc encoder l’expérience sonore soit en représentant le contexte social des pratiques d’écoute (interaction entre interprètes et auditeur·trice·s), soit en se concentrant sur l’intériorité psychique de l’auditeur·trice montré·e seul·e et séparé·e de la source sonore. J’ai constaté que les caricatures des petits métiers représentaient souvent les interactions entre les artistes de rue et les passants qui les entendaient ; en revanche, les sources textuelles sur les Cris de Paris mettaient plus souvent l’accent sur l’expérience de l’écoute.

Sources : textes historiques et littéraires

Je me suis surtout appuyée sur des sources textuelles pour écouter le passé. Les sources abondent sur les paysages sonores urbains étant donnée la tradition satirique des descriptions du vacarme insupportable de la ville, qui remonte au moins à Juvénal et à ses Satires du bruit à Rome au début du 2ème siècle av. J.-C., ou bien à Nicolas Boileau et Les embarras de Paris au XVIIème siècle. En effet, j’ai constaté que les caricatures et les textes satiriques étaient très riches en descriptions du bruit de la ville, les gens de toutes les périodes historiques étant plus susceptibles d’écrire sur les bruits qui les irritent que sur ceux qui ne les affligent pas. De même, les étrangers ont l’oreille plus sensible au paysage sonore d’une nouvelle destination de voyage que les résidents locaux, faisant des récits de voyage et des guides touristiques des enregistrements éloquents, ou ce que Murray Schafer (1994) a appelé des récits de « témoin auditif », des paysages sonores parisiens du XIXème siècle. Les nombreux voyageurs à Paris qui ont décrit leurs premières impressions de la grande ville ne manquaient pas d’évoquer les Cris de Paris – c’était même un cliché des guides touristiques et de la littérature panoramique de l’époque, en l’occurrence le Nouveau Tableau de Paris au XIXème siècle, où Henry Martin décrit son dépaysement par le bruit :

Nous n’oublierons jamais notre premier réveil de provincial à Paris, le lendemain de notre débarquement : ces mille intonations qui forcent l’attention par leur bizarrerie affectée, et ressemblent souvent à des chants monotones de maniaques, produisent sur celui qui les entend pour la première fois un effet que ne soupçonne pas le Parisien de race bercé dès l’enfance par ces voix étranges.10

Les récits à la première personne comme celui de l’historien picard Henry Martin renseignent sur la sélection de sons « qui forcent l’attention » et donnent une idée des sentiments bizarres et étranges suscités par l’environnement sonore.

Les écrivains du XIXème siècle ont évoqué en détail non seulement les spectacles visuels, mais aussi auditifs de la ville qui ont façonné une modernité multisensorielle. Les impressions auditives dans la poésie de Charles Baudelaire ou dans les romans naturalistes d’Émile Zola font du bruit un effet de la fragmentation de la vie moderne, des foules et du mal de vivre, mais servent aussi de sources d’inspiration créatrice d’un art sensuel. L’importance du bruit urbain et des dissonances chez Baudelaire n’est plus à démontrer11, le cri strident du vitrier dans « Le Mauvais Vitrier » en fournit un excellent exemple. Dans ce poème en prose, le sommeil du narrateur est interrompu par le cri matinal du marchand ambulant, mais rien n’explique (sinon le Diable… ou les sentiments étranges et bizarres décrits plus haut par Henry Martin) pourquoi il décide de faire « une action d’éclat » en cassant les vitres du marchand avec un pot de fleurs. Sans rien concéder au mode réaliste, « Le Mauvais Vitrier » offre une réflexion qui déconcerte sur les effets du bruit de la ville sur la psyché et sur le texte12. Si Zola, au contraire, a pour but d’être fidèle à la réalité vécue dans ses descriptions du paysage sonore du Second Empire, l’hypersensibilité auditive dans ses romans (que ce soit les criailleries des femmes dans Le Ventre de Paris ou L’Assommoir, le branle des machines dans Au Bonheur des dames ou Germinal ou les sifflets des trains dans La Bête humaine) amorcent néanmoins un commentaire socio-psychologique très moderne sur les effets du bruit sur les mentalités et leurs déterminants sociaux.

Les sources littéraires sont donc importantes pour comprendre l’imaginaire de l’écoute et offrent un traitement détaillé, même si fictif, des effets psychologiques de l’audition. Pour une perspective plus inclusive, on peut combiner les sources fictives (littéraires, subjectives) et factuelles. Romans, poèmes, journaux intimes, mémoires, éditorial dans la presse, ainsi que législation, traités médicaux, manuels de conduite religieuse, archives civiques, etc… peuvent être exploités pour retrouver la trace de sons perdus et pour analyser l’importance socioculturelle attribuée à l’expérience auditive. Les ordonnances municipales, parfois même la culture matérielle, fournissent les preuves sur lesquelles étaient basées les jugements qui déterminaient ceux à qui il était interdit de faire du bruit. Dans mon travail, les médaillons de colporteur qui servaient de permis de vente dans des zones spécifiques, ainsi que les ordonnances municipales qui identifiaient les zones et les horaires dans lesquelles les marchands ambulants pouvaient circuler, m’ont permis d’analyser le contexte historique sous-entendu dans le texte littéraire. Les sons ont-ils été jugés suffisamment incivils pour que des poursuites soient intentées, et si oui, lesquels13 ? Comment l’environnement sonore a-t-il été réglementé et quels bruits étaient sujets au contrôle des autorités pour maintenir un paysage sonore urbain ordonné ? La littérature médicale, telle que les rapports sur la neurasthénie provoquée par le bruit, peut également expliquer les significations et les valeurs attribuées à l’audition à une époque donnée14. Utilisées ensemble, les sources fictives et factuelles fournissent une compréhension nuancée de la dimension sociale, politique, économique et esthétique de la ville bruyante (Smith, 2004).

Sources : architecture, plan de ville, et urbanisme

En ce qui concerne le bruit urbain et plus particulièrement la relation entre le son et l’espace, l’architecte et expert en études sonores Olivier Balaÿ (2003, 2017) a fait valoir que les changements matériels dans l’environnement urbain ont un impact sur la façon dont le passé a été entendu. Le passé sonore continue de résonner dans une certaine mesure à travers l’architecture. Balaÿ s’appuie à la fois sur l’analyse historique et sur la reconstruction architecturale et acoustique pour montrer que l’élargissement des rues étroites pour faire place à des boulevards et l’élimination des surplombs et des auvents ont eu un impact sur la perception du bruit de la rue. Il a montré que la rénovation urbaine au XIXème siècle à Lyon, comme dans le Paris du Baron Haussmann que j’ai analysé dans City of Noise, tendait à baisser les fréquences, à produire plus de bruit continu et à empêcher la propagation de sons humains intermittents et aigus. Les sons humains seraient beaucoup moins faciles à entendre en raison de la diminution de la réverbération dans les artères agrandies. Si l’acoustique architecturale aide à déterminer la perception des espaces, la cartographie localise les ambiances. La cartographie sonore peut restituer visuellement où se situent les sons, comment ces lieux évoluent au fil du temps, et comment l’audible constitue un élément clé de l’expérience spatiale urbaine, en traçant les niveaux de bruit ou les qualités sonores d’espaces spécifiques, ou les réponses affectives attachées aux lieux (comme dans les cartes psychogéographiques de Guy Debord [1957] ou les cartes sonores de Norie Neumark [2015]).

Il existe donc une variété de sources textuelles et non textuelles sur les sons historiques, mais au moins deux méthodologies devraient être communes à tout·e chercheur·e : les approches formalistes et pluridisciplinaires. Le formalisme se concentre sur les techniques et les dispositifs qui construisent le sens autant que sur les significations produites. Une attention soutenue au rôle de la forme et de la langue dans la détermination du sens permet de se prémunir de toute tentative de ramener le passé sonore pleinement à la vie. Bien que le colportage soit une pratique « réelle », historiquement documentée, la représentation des colporteurs en tant que Cris est une construction discursive. Des caractéristiques formelles et organisationnelles précises — mais sans rapport avec la pratique — sont prépondérantes dans les sources musicales, visuelles et textuelles des Cris de Paris que j’ai utilisées, et elles façonnent toujours / déjà la réalité historique à laquelle j’étais à l’écoute. Je n’entendais pas pleinement Paris au XIXème siècle, je ne pouvais l’écouter que sous la forme des Cris. Le mérite des méthodes pluridisciplinaires ne peut être surestimé, car les disciplines de la musicologie, de l’histoire de l’art, des études littéraires, de l’histoire, de l’architecture et de l’urbanisme, ainsi que les disciplines que je n’ai pas abordées comme le génie acoustique, la psychoacoustique, l’anthropologie et la géographie culturelle, fonctionnent mieux de concert pour améliorer la clairaudience. On peut ainsi remédier au silence des archives et des sources où le son n’existe qu’à un état fantomatique (Toop) par la combinaison des sources et par ce que Biddle et Gibson appellent « l’inclusivité méthodologique » (2).

Sélection : quels sons sont distinctifs, tolérables ou bruyants ?

Étant donné qu’il est impossible d’avoir un accès complet et sans médiation aux bruits du passé, comment choisir les sons qui résonnent à travers les âges et captent l’attention soutenue des auditeurs ? Qu’est-ce qui rend un son assez distinctif non seulement pour être entendu, mais pour être écouté, ou inversement, pour être qualifié de bruit ? Plus que la quantification, nous avons besoin d’une idée des seuils d’audibilité. Nous devons la notion de seuils de tolérance à l’historien Alain Corbin, pour qui le raffinement sensoriel sert à distinguer les classes sociales, le peuple étant considéré plus grossier, bruyant et malodorant par rapport au bourgeois qui s’arroge une sensibilité délicate15. Dans son livre Les cloches de la terre (1994), il montre que le développement de nouveaux seuils d’intolérance aux sonneries de cloches le matin dans la ville coïncide avec une nouvelle revendication à la tranquillité matinale de la part des citadins de la classe moyenne. Lorsque Corbin identifie qu’un nouvel horizon d’attente pour le silence s’est développé en Europe au XIXème siècle, il énonce une pratique méthodologique importante : les chercheur·e·s doivent localiser les changements historiques dans la perception du temps et de l’espace afin d’examiner les distinctions sociales qui pourraient autrement sembler naturelles. Ces hiérarchies sociales se mêlent d’ailleurs souvent aux distinctions esthétiques ou génériques. C’est ce que rappellent Sarah Kay et François Noudelman dans l’introduction à Soundings and Soundscapes :

Une fois que nous avons cessé de séparer les sons privilégiés qui valent la peine d’être écoutés, de ceux que nous refoulons dans les zones peu recommandables du naturel, de l’animal, du plébéien, du laid ou du trivial, nous pouvons commencer à décomposer et à recomposer avec de nouvelles oreilles les combinaisons de sons qui peuvent être entendues dans les voix, les textes, les milieux sociaux et naturels.16

Néanmoins, les transformations de la culture auditive se produisent lentement ; souvent, anciens et nouveaux paysages sonores se chevauchent pendant de longues périodes. Il s’ensuit que les sons qui franchissent le seuil de tolérance sont historiquement déterminés par rapport à l’évolution des pratiques d’écoute (ce que les gens écoutaient attentivement à différentes époques, cultures, espaces). Dans Le temps, le désir, l’horreur, Corbin commente que « Le bruit de la circulation automobile tend aujourd’hui à disparaître de l’évocation ou de la description des grandes métropoles, sans qu’on sache trop s’il a cessé d’être perçu, du fait de son omniprésence et de l’inattention qu’il suscite, ou bien si son extrême banalité conduit insidieusement à le taire » (239). Une fois qu’un catalogue de bruits historiques a été établi, l’étape suivante consiste à identifier les sons passés inaperçus et qui ont provoqué des réactions parmi les auditeurs. Le bruit de la circulation, nuisance qui est si préoccupante aujourd’hui dans les grandes villes, n’a pas vraiment atteint le seuil de perturbation définitif avant la fin du XIXème siècle.17

Sélection : Amplitude et fréquence ; avant et arrière-plan

Le seuil de tolérance est-il une fonction des caractéristiques physiques des sons eux-mêmes ? Les sons indésirables qui sont stridents et forts sont difficiles à ignorer lorsqu’ils se déplacent au premier plan de l’environnement acoustique. C’est l’une des conclusions que j’ai tirées des cris des petits métiers : les cris de rue s’élevaient au-dessus du bruissement de la ville pour agresser les oreilles des passants et cela peut expliquer pourquoi ils ont laissé une marque indélébile sur la façon dont les siècles passés imaginaient les bruits de la ville. En consultant les sources textuelles, j’ai souvent rencontré des témoignages de bruits intrusifs et j’ai constaté que les bruits à haute fréquence, perçus comme des cris stridents, étaient généralement le type de sons qui marquaient les consciences. Les sources textuelles étaient riches en adjectifs qui connotaient des sons forts ou intenses, criants ou stridents, et, dans le cas des cris de rue, la notation musicale codait également la hauteur du cri. Les notions de « pollution sonore » et d’« espaces tranquilles » qui ont fait partie de la défense des écologistes du son reposent également sur la distinction entre les seuils de tolérance, les environnements de basse-fidélité et de haute-fidélité, et les contextes d’écoute.

Sans aucun doute, il y a aussi des sons à peine enregistrés comme audibles : bruissements de tissu, tintements de bijoux, le tintement d’horloges, les battements de pas, les sifflements du vent dans les arbres, le bourdonnement des machines, le bruit mythique de l’herbe qui pousse… ces sons évoquent l’impermanence du son, le silence et les traces sonores des choses passées. Les romanciers et les poètes sont particulièrement doués pour la perception de bruits de fond qui franchissent à peine le seuil de l’audibilité. Nous nous devons de prêter attention aux sons ambiants dans les paysages sonores historiques, mais aussi de tenir compte du non verbal, de l’animal ou du monde naturel, malgré la puissance de la parole humaine. Une méthodologie qui vise à entendre le passé devra nécessairement effectuer, dans une certaine mesure, du mixage sonore et décider combien de « bande sonore » dédier au bruit ambiant et combien au signal, surtout quand il s’agit de la voix humaine. Dans mon propre travail, j’ai donné une place privilégiée aux vocalisations des musiciens de rue et des petits métiers, mais d’autres approches ciblent un récit moins anthropocentrique du passé historique18.

Objectif : reconstruction ou interprétation ?

Une fois que les sources ont été identifiées et exploitées et qu’une sélection a été faite pour déterminer quels sons étaient les plus pertinents dans un contexte spécifique, l’historien·ne des paysages sonores doit s’attacher à reconstruire ou d’interpréter le passé sonore. Aujourd’hui, les chercheur·e·s peuvent utiliser le multimédia pour simuler des paysages sonores historiques. Un exemple pionnier de la reconstruction du paysage sonore, le Projet Bretez, a été conçu par la musicologue Mylène Pardoen et une équipe d’historien·ne·s, de sociologues et d’experts des médias de l’Université Lumière Lyon 2 en France. Basé sur la carte Turgot de Paris préparée par Louis Bretez en 1739, il s’appuie sur une variété de sources pour recréer les sons que l’on aurait pu entendre au cœur du Vieux Paris, près du Grand Châtelet sur la rive droite de la Seine près des abattoirs. Le but d’une telle « restitution » est de faciliter l’analyse des paysages sonores historiques par les chercheur·e·s en recontextualisant objectivement les faits de l’expérience sensorielle ; pour le grand public, les avantages sont dans l’expérience immersive19. Bien que cet exemple d’« archéologie du paysage sonore » soit sans aucun doute un projet fantastique, il a ses limites qu’il est important de considérer si nous développons une méthodologie sur les paysages sonores historiques. Le projet multimédia ne peut pas transmettre le ressenti, donc nous ne saurons pas comment les gens ont vécu le bruit de la ville et comment ils se sont représenté et ont analysé les sons dans les circonstances historiques spécifiques dans lesquelles ceux-ci ont été produits. Les Parisiens du XVIIIème siècle ont-ils écouté activement ces sons comme nous le pouvons (les écouteurs sont recommandés), ou ces sons sont-ils restés sous un seuil de perception ? Quels étaient les modes d’attention ? À quel moment, voire jamais, les Parisiens du XVIIIème siècle percevaient-ils ces sons comme un bruit intolérable ? Les simulations du passé dans le présent n’abordent pas directement ce que le bruit de rue signifiait dans son contexte historique et culturel, comment le son reflétait et produisait des distinctions de classe, de sexe, de religion, de génération, d’identités régionales ou nationales. Ce sont ces questions qui ont motivé mes recherches. Un autre aspect que le projet Bretez contourne est la présence vocale dans les villes : il n’y a pas de corps humains dans ce paysage sonore de sorte que tout le son est déconnecté de sa source physique, et nos sens de l’ouïe et la vue ne sont pas toujours en accord. Néanmoins, les projets historiques d’archéologie du paysage sonore comme celui-ci — ou d’autres approches fondées sur la pratique qui font partie des expositions muséales20 — ont une valeur certaine parce qu’ils nous permettent d’imaginer — ou mieux — de ressentir le passé, même si nous devons garder à l’esprit la nécessité d’une contextualisation. L’archéologie du paysage sonore a sa place aux côtés de la contextualisation afin que nous puissions nous occuper de la façon dont la perception des sons et des pratiques d’écoute ont changé au fil du temps.

Alain Corbin a posé un certain nombre de ces questions dans son travail pionnier sur l’histoire des sens. Il fait référence à l’œuvre de Guy Thuillier (1977) qui a catalogué et quantifié les bruits qui pourraient atteindre l’oreille d’un villageois dans le Nivernais au milieu du XIXème siècle et offre une évaluation critique de cette approche qui « aide à l’immersion dans le village d’autrefois » au détriment de « l’historicité des modalités de l’attention » et de l’évaluation

du tolérable et de l’intolérable (1998, 229). Jugeant « trop charitable » l’évaluation de Thuillier par Corbin, Mark M. Smith se demande « si oui ou non nous pouvons (ou devrions) essayer de restituer le passé sensible » : « sans une tentative dévouée et soigneuse d’interroger le sens de ces bruits, le catalogage est non seulement d’une valeur heuristique très modeste, mais est, en fait, tout à fait dangereux dans sa capacité à inspirer une foi spontanée en la véracité et l’immuabilité des sons du passé » (« Futures of Hearing Pasts », ma traduction, 2014, 20).

But : historiciser l’écoute

Les mérites relatifs de la reconstruction ou de l’interprétation du passé sonore peuvent être encore pesés lorsqu’ils sont placés dans le contexte spécifique de la musicologie. Si les débats sur « l’authenticité musicale » et la performance « historiquement informée » ne sont pas notre préoccupation immédiate, l’examen de ce qu’on appelle « the period ear » (l’oreille historicisée) peut servir l’historien·ne des paysages sonores. Le musicologue israélien Shai Burstyn a écrit une série d’articles sur « the period ear » dans les années 1990 (lorsque le débat faisait rage) dans lequel il demandait si l’écoute était intuitivement pratiquée. Burstyn envisageait « la possibilité que [les praticiens de la musique] n’entendent pas la musique du passé comme leurs contemporains l’avaient fait » (693 ; ma traduction). L’article met en avant la façon dont les perceptions et les attitudes culturelles à l’égard du temps, de l’espace, ainsi que d’autres habitudes mentales et compétences d’interprétation sont autant de facteurs qui situent historiquement l’écoute21. L’histoire du métronome racontée par Alexander Bonus, par exemple, montre comment la réinterprétation historique de l’écoute intuitive implique la remise en cause de nos hypothèses sur les sons quotidiens que nous tenons pour naturels ou acquis. Bonus examine le « tournant métronomique » du début du XXème siècle, un « moment charnière dans la compréhension du temps musical » (77) lorsque le rythme orienté vers la précision et réglé mécaniquement supplante l’expérience incarnée ou intuitive du rythme comme idéal positif. Bien que le métronome ait été développé par Johann Maelzel pour servir d’instrument de musique, Bonus soutient que l’idéal de précision mécanique a d’abord été adopté par les psychologues expérimentaux. Ainsi leur norme de laboratoire faisait du rythme intuitif une erreur humaine. C’est seulement après que les musiciens, les compositeurs et les professeurs de musique se sont abonnés aux entrainements quotidiens synchronisés au métronome suivant une pratique conçue pour le laboratoire (97).

L’étude des paysages sonores historiques est un riche domaine pluridisciplinaire. Une gamme de sources issues de la musicologie, de l’histoire de l’art, des études littéraires et culturelles, de l’histoire et de l’architecture, peut travailler de concert pour nous aider à entendre le passé sonore. Si les reconstitutions des sons historiques ont l’avantage de nous faire sentir le passé, leur force est d’autant plus convaincante lorsqu’elles sont accompagnées d’interprétations, afin de mieux contextualiser la nature historiquement variable et idéologiquement déterminée des pratiques d’écoute et des seuils de tolérance. La nécessité d’historiser le son s’impose même si a priori l’écoute nous paraît innée ou naturelle.

Ouvrages cités

Ensemble Clément Janequin, avec Dominique Visse, L’Écrit du cri. Renaissance and 19- 21st-Century Songs, Harmonia Mundi, HMC 902028, 2009, disque compact. Enregistré en août 2008. Comprend la musique de Janequin, Kastner et Servin.

Balaÿ, Olivier, « The Soundscape of a City in the Nineteenth Century », in Ian Biddle et Kirsten Gibson (dir.), Cultural Histories of Noise, Sound and Listening in Europe 1300-1918, Londres, Routledge, 2017, p. 221-234.

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Aimée Boutin est professeure d’études françaises à l’université d’état Florida State University. En 2015, elle a publié City of Noise : Sound and Nineteenth-Century Paris (University of Illinois Press), un ouvrage sur la flânerie et le paysage sonore parisiens. Dans le Paris d’Haussmann, plusieurs cultures sonores anciennes et modernes co-existent, mais les Cris de Paris demeurent une référence dans le discours panoramique, musical, pictural et poétique. Auteure d’un livre Maternal Echoes (2001) sur Marceline Desbordes-Valmore et Alphonse de Lamartine, Boutin a publié sur la poésie romantique et moderne (notamment Charles Baudelaire) et s’intéresse également aux études des femmes. En 2021, elle est accueillie par le Collégium de Lyon – Institut d’études avancées.

1 Il va sans dire que la méthodologie en question peut être appliquée à d’autres contextes, à la fois occidentaux et non-occidentaux. Cet article est une version remaniée, en français d’une contribution au Bloomsbury Handbook of Sonic Methodologies (Bloomsbury Publishing, 2020).

2 Janequin, Clément, Les Cris de Paris (1547) ; Jean Servin, La Fricassée des cris de Paris (vers 1578). Jean Georges Kastner, Les voix de Paris : essai d’une littéraire histoire et musique des cris populaires de la capitale depuis l’Âge Moyen jusqu’à nos jours : grande symphonie humoristique vocale et instrumentale (1857). Pour un enregistrement, voir Ensemble Clément Janequin (2009). Voir le numéro de la revue Early Modern French Studies dirigé par Hamilton et Hammond (2019) pour une analyse plus détaillée des cris sous l’Ancien régime.

3 Les Archives de la Parole, Gallica, BnF, ark:/12148/bpt6k1279113. Les cris parisiens : scène d’imitations ; Ressemblance : monologue, dit par Jean Péheu, c.1911, Gallica, BnF, ark:/12148/bpt6k127305d, consulté le 13 avril, 2020.

4 À cet effet, il faut signaler les travaux récents sur le pouvoir politique et le paysage sonore de l’Ancien régime de Hammond (2019) et de Farge (2018), et ceux un peu moins récents mais influents de Johnson dans Listening in Paris (. La section « Sound Politics » dans le collectif Biddle et Gibson (2017) est également d’un apport très riche à la réflexion sur sons et pouvoirs.

5 « Clairaudience » est employé avec une signification différente chez Murray Schafer (1994), pour qui il s’agit d’un synonyme de « nettoyage de l’oreille » (4).

6 Par exemple, Bouchardon, « Revendeuse », Musée Carnavalet, http://parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/les-cris-de-paris-revendeuse#infos-principales, (consulté le 17 mars, 2020).

7 Voir par exemple Bertall, « Les petits métiers de Paris, 3e catégorie, Où il faut de la voix », Le Diable à Paris, 1845, https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Gavarni_-_Grandville_-_Le_Diable_%C3%A0_Paris,_tome_3.djvu/303, consulté le 13 avril, 2020. Pour une analyse, voir Boutin, chapitre 2.

8 W. Hogarth, The Enraged Musician, estampe, 1741, Tate, https://www.tate.org.uk/art/artworks/hogarth-the-enraged-musician-t01800#3 (consulté le 17 mars, 2020). H. Daumier, Les Musiciens de Paris, The Daumier Register, http://www.daumier-register.org/werkview.php?key=919 (consulté le 17 mars 2020). « Ils commencèrent à l’instant même leur effrayant charivari » dans J.J. Grandville et Old Nick, Petites misères de la vie humaine, (Paris, Fournier, 1846), Bibliothèque numérique de Lyon, https://numelyo.bm-lyon.fr/f_view/BML:BML_00GOO0100137001100380281/IMG00000434 (consulté le 17 mars 2020). Pour une analyse plus détaillée de Grandville, voir City of Noise, p. 28-31.

9 Fernand Khnopff, En écoutant du Schumann (1883), peinture, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, https://www.fine-arts-museum.be/fr/la-collection/fernand-khnopff-en-ecoutant-du-schumann?artist=khnopff-fernand (consulté le 15 avril 2018). Dequevauviller, François-Nicolas-Barthélemy, L’Assemblée au concert / Un rassemblement lors d’un concert (fin du XVIIIème siècle), photographie, Bibliothèque du Congrès, www.loc.gov/item/miller.0219a/ (consulté le 23 avril 2018).

10 Henry Martin, « Paris moderne », Nouveau Tableau de Paris, p. 162. Les Cris de Paris constituent un sujet incontournable de la littérature panoramique, du Tableau de Paris de Louis-Sébastien Mercier aux Français peints par eux-mêmes, Le Diable à Paris, et Paris-Guide, etc.

11 Voir Ross Chambers et John Jackson, entre autres.

12 Voir City of Noise, chapitre 4.

13 Ces questions ont été développées par Picker 2003 et Hahn 2013.

14 La valeur pathologique et notamment « traumatique » du bruit, des vibrations et du « choc » ferroviaire au XIXe siècle telle qu’elle a été proposée par John Eric Erichsen dans son traité On Railway and Other Injuries of the Nervous System (1866) est un exemple pertinent d’un son qui aujourd’hui paraît banal. Voir l’analyse de Trower (Senses of Vibration 2012).

15 Voir notamment l’entretien « Bruits, excès, sensations, discipline » (1994).

16 « Once we stop ejecting sounds from the privilege of being ‘worth listening to’ into the unsavoury zones of the natural, the animal, the plebeian, the ugly or the trivial, we can begin to decompose and recompose with fresh ears the combinations of sounds that can be heard in voices, texts, social and natural milieus…. » (Kay et Noudelmann, 4)

17 Les chercheurs débattent de la perturbation relative du bruit de la circulation, voir Baron (1982) et Bijsterveld (2008) pour un aperçu.

18Pour en savoir plus sur la puissance de la voix humaine, voir Neumark, 2017.

19Consulter Projet Bretez https://sites.google.com/site/louisbretez/home. Pardoen décrit ses objectifs (« restitution ») et sa méthodologie à (consulté le 20 avril 2018). Parmi les autres reconstructions de réalité virtuelle, mentionnons : Projet virtuel de la cathédrale Saint-Paul : Une recréation virtuelle du culte et de la prédication à la cathédrale Saint-Paul à Londres, https://vpcchass.ncsu.edu/john-donne-preaching/ (consulté le 20 avril 2018). Passage musical, un voyage à 1688 Jamaïque,http://www.musicalpassage.org/(consulté le 20 avril 2018). Sarah Eyerly, Moravian Soundscapes, https://moraviansoundscapes.music.fsu.edu/ (consulté le 17 mars 2020).

20 Par exemple, voir Gétreau d’après une exposition tenue à l’Historial de la Grande Guerre, Péronne, France, 27 mars 2014-26 avril 2015.

21 Voir Pearse et al. (2017) qui ont dépassé les contraintes du débat sur l’authenticité pour puiser dans la pratique de la performance musicale ancienne et reconstruire les sons du passé dans une œuvre artistique qui fait la médiation entre le passé et le présent.

Aimée Boutin
Plus de publications

Aimée Boutin est professeure titulaire au département d’études françaises et francophones à l’université Florida State. Elle est l’auteure de Maternal Echoes: The Poetry of Marceline Desbordes-Valmore and Alphonse de Lamartine (University of Delaware Press, 2001) sur la voix maternelle dans la poétique romantique et a contribué aux recherches sur les femmes poètes du XIXe siècle. Ses recherches portent également sur les études urbaines et l’histoire des sens, en particulier les « sound studies » au XIXe siècle. Elle s’est penchée sur les rapports entre flânerie et les cinq sens dans “The Flâneur and the Senses” (2012), un numéro spécial de la revue Dix-Neuf, avant de publier le livre City of Noise: Sound and Nineteenth-Century Paris (University of Illinois Press, 2015) sur les bruits urbains. Ses recherches actuelles prolongent son travail sur la marche urbaine et les flâneuses en considérant comment les écrivaines du XIXe siècle ont réagi aux contradictions posées par le chemin de fer, véhicule d’une liberté de mouvement nouvelle et instrument de normes restrictives et différenciées pour les voyageuses.

Aimée Boutin

Aimée Boutin est professeure titulaire au département d’études françaises et francophones à l’université Florida State. Elle est l’auteure de Maternal Echoes: The Poetry of Marceline Desbordes-Valmore and Alphonse de Lamartine (University of Delaware Press, 2001) sur la voix maternelle dans la poétique romantique et a contribué aux recherches sur les femmes poètes du XIXe siècle. Ses recherches portent également sur les études urbaines et l’histoire des sens, en particulier les « sound studies » au XIXe siècle. Elle s’est penchée sur les rapports entre flânerie et les cinq sens dans “The Flâneur and the Senses” (2012), un numéro spécial de la revue Dix-Neuf, avant de publier le livre City of Noise: Sound and Nineteenth-Century Paris (University of Illinois Press, 2015) sur les bruits urbains. Ses recherches actuelles prolongent son travail sur la marche urbaine et les flâneuses en considérant comment les écrivaines du XIXe siècle ont réagi aux contradictions posées par le chemin de fer, véhicule d’une liberté de mouvement nouvelle et instrument de normes restrictives et différenciées pour les voyageuses.