Peut-être une baleine
Te mangera demain
Va, va, petit mousse
Vole où le vent te pousse
Va, va, va !
Simon-Max, « Va petit mousse »,
Les Cloches de Corneville, 1877
Introduction
La littérature d’imagination scientifique, dès ses premiers balbutiements, puise dans les mythes et la culture populaire pour développer son imaginaire. Quand le roman d’hypothèse scientifique se détache du roman d’aventures scientifiques vernien et prend la forme du « merveilleux-scientifique », dont Maurice Renard écrit l’acte de reconnaissance et de refondation en 1909 dans son article « Du roman merveilleux-scientifique et de son action sur l’intelligence du progrès » , il donne une justification scientifique à certains prodiges magiques. C’est en respectant toutes les lois du monde connu à l’exception d’une seule règle physique, chimique ou biologique (devenir invisible, impalpable, voyager dans le temps et dans l’espace…) que le récit merveilleux-scientifique chemine vers la merveille. Dans cette forme de conte de fées moderne, la téléportation est à présent permise sans l’aide des bottes de sept lieues, le miroir magique pour regarder le lointain disparaît au profit d’un téléphonoscope, l’invisibilité ne requiert plus un chapeau ou une cape magiques mais un simple breuvage chimique et la lévitation se fait à bord d’une machine volante. Ces pouvoirs magiques ne sont plus alors les fruits de la baguette d’une bonne fée, mais se manifestent grâce à des innovations scientifiques et techniques.
Le renouvellement du conte de fées, né de la rencontre entre la matière scientifique et le réemploi de motifs merveilleux, passe aussi par le thème récurrent de la petitesse et de la miniaturisation (Poucet de Perrault combattant l’ogre qui souhaite le dévorer, Tom Pouce des Frères Grimm s’introduisant dans l’oreille d’un cheval pour lui donner des ordres). Les personnages du récit merveilleux-scientifique deviennent alors microscopiques et voyagent dans des environnements inattendus, comme un corps humain (Galopin) ou le monde des insectes (Bleunard) et d’êtres atomiques (Renard), souvent dans un but didactique (Clute). L’un des univers étonnants dans lequel se promènent ces héros, n’est autre qu’une baleine, choisie sans doute pour son gigantisme qui transforme l’homme en microbe, et même en parasite. Le merveilleux-scientifique et une autre forme plus tardive de roman scientifique, la science-fiction, en effet, conjuguent le motif ancien du personnage piégé dans le corps d’un monstre, au thème de la miniaturisation tiré des contes de fées. Comment passe-t-on de Tom Pouce, murmurant à l’oreille du cheval quoi faire pour prendre contrôle de son corps (p. 144), aux explorateurs de la science-fiction, exploitant le cétacé dans lequel ils ont trouvé refuge ? Le personnage se trouve à présent de son plein gré dans les entrailles de l’animal et puise dans ses ressources vitales, réduisant souvent le rorqual en esclavage. La baleine, justement, n’est parfois même plus animale. Elle devient bio-mécanique, un vaisseau vivant chez les auteurs du XXème siècle et tout particulièrement dans la science-fiction télévisuelle de la fin du siècle (Futurama, Farscape). La nature protéiforme de cette baleine futuriste, à la fois moyen de transport et être sensible, fascine l’anticipation et pose des questions morales : si le vaisseau est vivant, quels droits ont les hommes d’occuper son corps ? Cette question essentielle permet de mieux comprendre pourquoi les interactions biologiques ne cessent de se métamorphoser, pouvant très bien passer de la symbiose au parasitisme.
On propose d’étudier quatre relations de l’homme à la baleine. La dévoration sans digestion, tout d’abord, est commune aux deux principaux mythes fondateurs de Pinocchio et de Jonas. Les personnages, une fois expulsés du corps du cétacé, changent de forme. La baleine peut encore être une simple péripétie que le personnage traverse avec humour. Son corps sert alors de décor ou d’arrière-plan comiques. Mort, l’animal marin sert de manne et fournit au choix viande, huile ou même squelette. La science-fiction imagine à présent que la baleine est encore bien vivante quand elle est exploitée par l’espèce humaine. Sa force vitale, la surface ou l’intérieur de son corps et ses organes sont tous mis à profit par l’équipage, devenu parasitaire puisqu’il puise dans les ressources de son hôte.
I. Être dévoré par la baleine : les mythes fondateurs
Le motif du personnage avalé par un monstre marin est depuis longtemps ancré dans l’imaginaire populaire. Le prophète Jonas, dans la Bible, passe trois jours et trois nuits dans le corps d’un gros poisson (fig. 1) après avoir refusé de porter l’augure à Ninive (Jonas 2 : 1-11). Le pantin de bois Pinocchio, imaginé par l’écrivain Carlo Collodi, est englouti par un grand requin (fig. 2). Il y a plusieurs manières de quitter le corps du monstre après avoir été avalé tout rond. Certains tentent de gêner l’animal pour qu’il les recrache : Pinocchio, dans l’adaptation de Walt Disney, allume un feu pour faire éternuer la baleine tandis que dans l’œuvre originale il se glisse entre les dents de l’animal endormi. D’autres s’essayent à dompter la bête tandis que certains déchirent la chair de l’animal depuis l’intérieur, à l’aide d’un objet tranchant ou en le faisant imploser. C’est ce que fait Hercule, qui, selon Lycophron, passe aussi trois jours dans un monstre marin. Il tentait en effet de sauver Hésione qui allait être sacrifiée par le roi Laomédon pour calmer la fureur de Neptune (fig. 3).
Les héros piégés dans la baleine choisissent presque toujours d’être dégurgités en gênant le monstre de l’intérieur. Ces deux premiers récits, d’ailleurs, sont à lire comme des rites de passage. L’expulsion du personnage opère sur lui une transformation : Pinocchio devient un véritable petit garçon à l’issue de cette aventure, tandis que Jonas est comparé au Christ ressuscité[1]. Au XIXème siècle, diverses légendes populaires circulent et font état de mousses ayant survécu à un séjour prolongé dans le ventre d’un cétacé[2] (fig. 4). Ces légendes, maintenant contestées par les historiens, étaient largement colportées par les hommes de Dieu pour leur charge métaphorique. Plus près de nous, en avril 2016, un pêcheur espagnol prétend avoir été avalé par une baleine et avoir passé trois jours dans son ventre. Luigi Marquez, comme James Bartley avant lui, utilise force d’anecdotes pour rendre crédible son récit : il raconte comment il s’est nourri de poissons crus et combien l’odeur était pestilentielle dans les entrailles de la bête. Son récit est évidemment un hoax, qui confirme que le motif de l’homme avalé par la baleine continue de faire rêver aujourd’hui, sans doute pour son aspect spectaculaire.
La présence d’un personnage au cœur de la baleine crée un microscome gigogne, comme une poupée russe. Ce motif est commun à Pinocchio de Walt Disney, alors que le terrible Monstro avale un banc de poissons, au grand plaisir de Geppetto, qui s’empresse d’en pêcher quelques-uns, comme s’il se trouvait au bord d’un lac[3]. . Le Tour du Monde, nouveau Journal des voyages rapporte d’ailleurs, gravure à l’appui (fig. 5), comment le « ventre d’une baleine » se fait cabane improvisée en Islande. Son squelette se transforme en charpente. À ce titre, le corps de la baleine devient une habitation dans laquelle se recompose un petit monde.
La vie continue donc dans son ventre et elle peut même s’organiser en sociétés. Lucien de Samosate imagine dans ses Histoires véritables, voyage imaginaire daté du IIème siècle et que certains théoriciens de la science-fiction tiennent pour un récit prototype, qu’il est avalé avec son équipage (fig. 6) par une baleine. Dans le corps de cette dernière, ils découvrent un véritable éco-système entretenu par d’autres naufragés : des forêts, des zones agricoles, des bassins et un territoire découpé entre différentes peuplades d’humains et d’êtres imaginaires[4] (chap. XXVI). Le propre du parasite est de faire du corps-hôte qui l’accueille un milieu dans lequel prospérer et c’est pourquoi les êtres qui sont piégés dans le ventre du cétacé façonnent leur environnement. Ce motif prend un tour humoristique dans une aventure de Philémon, héros du magazine Pilote. Dans Philémon : à tire d’aile vers le château suspendu (1969), le dessinateur Fred met en scène une étrange « baleine-galère », personnage bio-mécanique qui a son importance dans l’imaginaire de la science-fiction. Tombés par accident sur la baleine alors qu’ils tentaient de rejoindre une autre lettre de l’alphabet du mot « Atlantique », Philémon et son oncle sont pris pour des fuyards et forcés de rejoindre les groupes de rameurs qui se trouvent dans les entrailles du cétacé. La baleine abrite une véritable petite société totalitaire en son sein et son corps est aménagé en lignes de métro sur lesquelles rament sans relâche des forcenés. Ses fanons, aussi, servent de barreaux et empêchent les héros de s’échapper. Philémon, stupéfait, lâche : « C’est drôle… Je n’imaginais pas l’intérieur d’une baleine comme ça… » (p. 34).
Régulièrement repris dans la littérature sur le mode parodique, le motif de la baleine qui recrache un individu étrange sous le regard ébahi de villageois est commun à deux œuvres récentes : Du ventre de la baleine de l’écrivain canadien Michael Crummey, s’ouvre sur le personnage de Juda, albinos muet puant le poisson pourri, extrait d’une carcasse échouée sur les côtes de Terre-Neuve ; Sans oublier la baleine du britannique John Ironmonger raconte une histoire incroyable, entre mythe fondateur et légende urbaine, expliquant pourquoi chaque année on célèbre la Fête de la Baleine à Saint-Piran. Cinquante ans auparavant un homme nu, Joe Haak, s’est miraculeusement échoué sur une plage du petit village de Cornouailles, sauvé par une baleine alors qu’il tentait de se suicider. Réécriture moderne du prophète Jonas, le récit met en scène un informaticien qui a élaboré un logiciel de prédiction en Bourse du nom de Cassie. Son outil a calculé que l’humanité va connaître un effondrement sans précédent à cause d’une épidémie virulente de grippe. Tout comme Jonas, Joe préfère fuir en bateau plutôt que d’être porteur de cette mauvaise nouvelle. Il parvient à sauver Saint-Piran, Ninive moderne. Le personnage de la baleine, à l’arrière-plan du roman sert de métaphore. Elle nage près des côtes depuis que le village de Saint-Piran et Joe l’ont remise en mer et elle s’offre en sacrifice au repas de Noël. À de nombreuses reprises, la société est comparée au Léviathan de Hobbes car l’auteur réfléchit à la manière dont le macrocosme impacte le microcosme. La baleine, ainsi, devient un contenant dans lequel peut se créer une société parallèle à celle des hommes.
Étudier les mythes fondateurs de disparition dans le gosier d’une baleine montre combien la charge imaginaire de ce motif est forte. Synonyme de rite de passage, il permet aussi de mettre en scène une société parallèle qui vit au sein de ce nouvel environnement. La baleine, cependant, est parfois perçue comme une simple péripétie dans un récit d’aventures et son corps devient alors un personnage contre qui lutter ou un environnement inattendu qu’il faut quitter.
II. La traversée de la baleine : une simple péripétie romanesque
Si la baleine était pour Philémon, Pinocchio ou Jonas une prison de laquelle il faut s’échapper, d’autres personnages comme Polichinelle (fig. 7) ou Arlequin la traversent comme une simple péripétie. C’est aussi cette scène-phare que choisit de représenter la petite troupe de théâtre dans l’adaptation cinématographique des Aventures du Baron de Münchhausen, par Terry Gilliam en 1988. On voit alors un gigantesque poisson en carton-pâte refermer ses crocs sur le malheureux navigateur. Le texte fantaisiste de Rudolf Erich Raspe raconte en effet comment, lors de sa troisième aventure en mer, un gros poisson avale le héros alors qu’il nage aux abords de Marseille. Il énerve l’animal en dansant la gigue dans son estomac[5], avant d’être pêché par un chalut de fortune (fig. 8). L’épisode, loin d’être anecdotique, figure sur l’affiche d’une adaptation théâtrale du maintenant nommé Mr de Crac, surnom de Münchhausen (fig. 9). Un livret accompagnant la représentation fait même de la baleine une « victime » de ce dernier, alors qu’il chante cette fois un boléro pour déranger l’animal (fig. 10). La baleine ou le gros poisson perd ses atours de dangereux prédateur et n’est rien de plus qu’une nouvelle terre à traverser, et même à conquérir puisqu’elle devient le jouet d’un aventurier zélé.
De nombreux jeux vidéo utilisent à leur tour la traversée de la baleine comme une péripétie ou même un univers à explorer : le personnage se trouve temporairement dans son corps et doit trouver une manière d’en sortir. Dans King’s Quest IV : The Perils of Rosella (Sierra Entertainment, 1988), par exemple, l’aventurière se fait avaler par une baleine alors qu’elle nage au large. Dans ce point and click, le personnage peut inspecter les différents éléments qui se trouvent dans la bouche de la baleine (un squelette, une roue, une bouteille à la mer) et utiliser les objets qu’il collecte au long de sa quête. C’est une plume de paon, chatouillée contre la luette de la baleine anthropomorphe (elle possède ainsi un attribut humain et ses dents sont des molaires) qui permet à la princesse d’être expulsée et de retourner à la mer. Dans Final Fantasy II (Squaresoft, 1988), un jeu de rôle japonais, le monstre marin est un environnement à explorer, tout comme le corps du cétacé dans Tales of Monkey Island (Lukas Art, 2009). Dans ce dernier son corps est meublé et même aménagé, à l’image de sa luette qui sert de punching ball à un pirate. C’est la nature organique des entrailles de la baleine qui en fait un décor malléable pour les programmeurs. Cependant, l’exemple le plus intéressant pour notre étude est celui de Banjo-Kazooie (Rareware, 1998) car il propose un mode de jeu parasitaire, dans lequel la baleine n’est plus décor mais personnage. Dans ce jeu de plates-formes, les héros vont à la rencontre d’un requin en tôle du nom de Clanker, identifié par le narrateur comme étant une baleine. La sorcière Grunty, ennemie des héros, l’utilise comme une poubelle et le garde enchaîné dans une eau croupie. Un niveau entier est consacré à ce personnage : Clanker’s cavern. Les héros doivent guérir la créature en soignant ses dents pourries ou en réparant son système de ventilation. En échange, l’animal leur livre des pièces de puzzle indispensables à la réussite de leur aventure. Non contente d’être un univers à explorer, puisque pour la guérir, il faut descendre dans ses entrailles, la baleine initie ici une relation symbiotique entre elle-même et ses visiteurs car elle a besoin du joueur pour se libérer et elle lui apporte en échange des bienfaits.
Ainsi, des jeux vidéo ou certains romans d’aventures traversent la baleine qui devient tour à tour un décor, un niveau à explorer dans lequel chaque partie de son anatomie se fait nouvelle étape, ou encore une simple péripétie pour Sinbad ou le Baron de Münchhausen, qui quittent la baleine presqu’aussitôt arrivés. L’animal, rendu mythique par son ennemi juré le capitaine Achab (Moby Dick, 1851), est aussi recherché pour sa carcasse, sa matière organique et son squelette qui fournissent de quoi fabriquer des cosmétiques, des combustibles, de la viande, de la colle, des jouets…
III. Visiter le corps de la baleine et exploiter ses ressources
La Baleine-galère de Fred associe deux termes n’ayant a priori rien à voir l’un avec l’autre pour créer un être imaginaire et polymorphe. En octobre 1893, le metteur en scène et chanteur d’opérette Simon-Max achète pour 400 francs (Marsy, p. 4) le cadavre d’un rorqual échoué sur la plage de Criquebœuf près de Villerville. Il en fait rien de moins qu’une « Baleine-Théâtre ». On rentre par sa gueule et les différentes affiches (fig. 11 et fig.12) montrent la foule qui se presse pour profiter de cette nouvelle attraction[6], ouverte en juillet 1894 : « [Il] ouvrit un théâtre original, le « Théâtre dans la Baleine », qui contenait dans son sein un véritable petit muséum d’histoire naturelle. Le spectacle qui se donnait sur la scène se composait de chansons imagées dont Simon-Max était à la fois le poète et le compositeur » (Nozière, p. 3). La Baleine a été agrandie puisqu’elle ne mesurait guère plus de 10, 5 mètres de long pour 7 mètres de circonférence (anonyme, p. 361). Si l’on sait que Simon-Max l’a faite « disséquer, reconstituer, vernir et installer » (L. X., p. 3) par le naturaliste Boubée, il a aussi « rajouté des vertèbres et allongé les côtes » au squelette, afin qu’elle mesure 17 mètres de longueur et puisse accueillir dans son ventre 99 personnes[7] (Colliex). Les places se partagent entre le larynx, l’estomac et la queue, par laquelle s’effectue la sortie. Les affiches jouent volontairement sur le registre merveilleux puisque la baleine semble bel et bien vivante et expulse une trombe d’eau par son évent. Elles font aussi un lien avec les mythes fondateurs d’avalement. En effet, un des premiers spectacles donnés dans la baleine se nomme Jonas Revue[8] et, sur la seconde affiche, on devine sur la projection d’ombres chinoises une baleine avalant un nageur. Installée et célébrée au Casino de Paris en octobre 1894, elle est détruite lors d’un incendie en 1895, qui cause à Simon-Max de nombreux démêlés judiciaires.
Les réclames pour la Baleine-Théâtre rappellent par ailleurs des images plus anciennes, comme celle de la Baleine d’Ostende (fig. 13), montrant une baleine échouée en 1827, visitée par d’autres animaux aux dimensions colossales, comme une girafe ou un éléphant. On sait que cet échouement avait été un véritable événement attirant de nombreux curieux des environs (Bernaert).
La baleine-spectacle connaît de nombreuses suites contemporaines. L’artiste Pierre Douay avait prévu d’exposer une Baleine bleue durant la COP21, dans laquelle une cinquantaine de personnes pouvaient entrer pour découvrir une exposition sur le climat, initiative écologique abandonnée à cause de la mise en place de l’état d’urgence en 2015. La Baleine aurait servi alors de garde-fou pour prévenir la folie des hommes. Récemment, le collectif belge Captain Boomer a lui aussi fait échouer une baleine sur les quais de Rennes, à la stupéfaction des passants (fig. 14). Théâtre de rue parfaitement huilé, la performance met en scène le cadavre factice d’un cachalot, dégoulinant de sang et exhalant des odeurs putrides, entouré d’un cordon de sécurité et d’une armada de scientifiques. La baleine sert alors de métonymie pour évoquer la pollution des mers et le développement durable. Cette présence mystérieuse, majestueuse et inquiétante comme l’avait été l’apparition d’une baleine dans la rivière Thames en 2006, doit aussi, selon le collectif, rassembler la communauté.
De nombreux parcs d’attractions proposent à leurs visiteurs d’entrer à l’intérieur d’une baleine. Le Parc Cousteau, qui se trouvait au Forum des Halles entre 1989 et 1992, permettaitde visiter les entrailles d’une baleine bien nommée Jonas, afin de mettre en lumière l’organisation interne de son corps ou d’apercevoir la reproduction d’un baleineau dans son utérus. À la fermeture du parc, la baleine a été rachetée par le parc de jeux aquatiques Aquaboulevard et sert maintenant de passage obligé pour glisser le long d’un toboggan. Le parc d’attractions Disneyland propose lui aussi aux jeunes visiteurs d’entrer à bord d’une barque dans la gueule béante de Monstro, dans l’attraction Storybook Land Canal Boats[9] (fig. 15). Les paysages miniatures tout autour du circuit, représentant certaines des habitations mythiques de l’univers Disney, renforcent l’impression de gigantisme. À l’ouverture du parc, Disneyland avait même prévu de consacrer une attraction entière à Monstro, dans laquelle de petites embarcations glisseraient le long de sa bouche comme le long de rapides : « Une attraction reproduisant des chutes d’eau permet aux voyageurs de grimper à l’intérieur de Monstro la Baleine, menace de Pinocchio, avant d’apprécier une glissade à couper le souffle le long de sa langue jusque dans un étang »[10]. Plus récemment, la compagnie le Rollmops Théâtre, pour son spectacle Dans le ventre de la baleine, place les gradins directement dans la bouche du cétacé. Les dents servent de sièges et ses fanons font office de rideau de théâtre (fig. 16) : « C’est une histoire en forme de poupée russe : dans une salle une baleine, dans la baleine un ogre, dans l’ogre un enfant, dans cet enfant, un peu de l’ogre lui-même […] Symbolique de la transformation propre aux personnages ingurgités par un monstre marin (Jonas, Pinocchio…), ainsi qu’à celle des ogres (adultes dévorant les enfants et les empêchant définitivement de grandir) […] ». Dans son roman Achab (Séquelles), Pierre Senges imagine même qu’Orson Welles adapte Moby Dick au cinéma et décide de faire visiter pour quelques pièces le décor en carton-pâte :
Pour 5 dollars, une baleine de cinéma visitée de l’intérieur : ses câbles, ses morceaux de ruban adhésif, ses carcasses, des chiffres écrits au crayon par le contre-maître arrière-arrière-arrière-petit-fils de Dédale, des bouts de ficelle, des ouvertures pour l’éclairage et pour l’œil de la caméra : là-dedans, le script envisageait de rejouer des scènes, quitte à les inventer, de Jonas ou de Pinocchio, et du vieux capitaine harcelé par un rêve d’avalement. (p. 438-439)
Il s’agit donc à chaque fois d’exploiter la carcasse d’une baleine présumée morte ou factice, après avoir ardemment lutté contre elle, comme le montrent de nombreuses publicités de l’époque (fig. 17).
L’épisode Meat de la série Torchwood (saison 2, épisode 4), avec lequel nous effectuerons à présent une première incursion dans l’univers de la science-fiction, représente un retour aux sources du motif de la baleine exploitée pour sa chair (fig. 18). Il met en scène l’action spoliatrice de l’homme sur l’animal. L’équipe de Torchwood, chargée de traquer les aliens qui pénètrent par une faille spatio-temporelle au Pays de Galles, découvre un bien étrange trafic de viande : une immense baleine de l’espace, emprisonnée dans un hangar, est réduite à l’état de « kebab géant », de « vache à lait » tandis que des bouchers découpent dans son flanc des quartiers de chair. Torchwood met en avant une question morale qui va durablement marquer les productions de science-fiction, celle de la mise en esclavage justifiée ou non de la bête. En effet, Tosh suggère d’abord qu’elle pourrait nourrir l’humanité puisque sa chair se régénère sans cesse. À l’inverse, le capitaine Jack Harckness insiste sur la souffrance de l’animal torturé et sur la nécessité de le sauver. Incapable de le faire alors qu’il entre dans une crise de folie, Jack est obligé d’abréger les souffrances de l’alien, non sans tristesse : « Que t’ont-ils fait ma pauvre amie ? »
De même, dans le jeu steampunk Windforge (Snowed in Studios, 2014), le héros est en quête d’une technologie ancienne qui pourrait se substituer à l’huile de baleine sur laquelle repose toute la société de Cordeus. Pour récupérer cette huile, le joueur met progressivement à vif la chair et la peau de l’animal à l’aide d’un marteau-piqueur. L’aspect sanguinolent est mis de côté, ce qui signifie que la bête n’est plus qu’un élément de décor à briser et dans lequel se cachent objets à collectionner et autres éléments nécessaires à la quête principale. Cet exemple montre une fois encore que la « sentience[11] » de l’animal, c’est-à-dire sa capacité à ressentir la douleur et à avoir des désirs et des craintes, est mise de côté. La baleine n’est plus tant un ennemi qui laisse des éléments derrière lui, mais une boîte à détruire pour récupérer des items. Il est aussi possible de dompter la baleine pour qu’elle creuse des mines ou de récupérer sa carcasse pour en faire un vaisseau volant.
L’exploitation du corps de la baleine ne s’en tient donc pas seulement à sa carcasse ou à ses organes. On a souligné, depuis le XIXème siècle, combien les hommes construisent des dispositifs leur permettant de rentrer dans une baleine et de visiter ses entrailles ou d’y aménager un nouvel espace. Ce motif va devenir plus prégnant encore dans l’univers de la science-fiction, qui imagine que la baleine est cette fois un « vaisseau vivant ». Il est alors occupé par un équipage devenu parasitaire, qui non content d’habiter un corps devenu hôte, puise dans les ressources vitales du vaisseau bio-mécanique, mêlant matières organiques et technologies innovantes.
IV. Les Sky Whales de la science-fiction
Les baleines fascinent l’univers de la science-fiction au point que Star Trek lui a consacré son quatrième volet : The Voyage Home (1986). En 2286, une sonde envoie un signal sur Terre car elle essaye de communiquer avec les baleines, espèce éteinte, créant des cataclysmes involontaires à la surface du globe. Pour stopper la sonde, le capitaine Kirk et son équipage remontent le temps pour transporter avec eux plusieurs cétacés et ainsi répondre à l’appel de la sonde avant qu’elle ne détruise la Terre.
Pinocchio in Outer Space (1965), quant à lui, est le premier à faire le lien entre le mythe de dévoration par la baleine et l’univers de la science-fiction. Dans ce film d’animation hanté par la peur d’un conflit nucléaire, Pinocchio observe une baleine de l’espace, Astro, à la lunette astronomique. Accompagné d’un perroquet, il se rend sur Mars où il comprend que l’étrange cétacé a été créé avec d’autres chimères par des expériences nucléaires sur la planète rouge. Amusante entrée en matière pour le modèle du vaisseau vivant, Astro est doté d’un évent aérodynamique lui permettant de se propulser dans l’espace.
La fin des années 1960 développe tout particulièrement l’idée de la baleine de l’espace, appelée sky whale ou space whale. L’animal flotte alors dans l’espace, analogie évidente avec l’océan. Cet intérêt pour les cétacés coïncide avec l’enregistrement du chant des baleines[12] et des travaux de recherche sur l’intelligence avancée des dauphins au même moment[13].
On trouve deux facettes supplémentaires au motif de la baleine de l’espace dans la science-fiction. Elle est tour à tour représentée comme un vaisseau transportant dans l’espace un équipage de fortune et une eldritch abomination selon un couple de mots emprunté à Lovecraft[14] c’est-à-dire un monstre colossal, souvent polymorphe et évoquant une force primitive et destructrice, dépassant l’entendement humain. Le film Leviathan de Ruairi Robinson, actuellement en préparation, conjugue justement ces deux caractéristiques. Des vaisseaux-baleiniers chassent une baleine monstrueuse pour subtiliser ses œufs, dont l’énergie leur permet de voyager plus vite que la lumière.
Le gigantisme de la baleine inspire enfin une réflexion sur le changement d’échelle, que l’on retrouve dans le modèle des voyages intérieurs au XIXème siècle, qui convoquent surtout le registre merveilleux. On peut citer pour exemples les aventures de Luke et Belinda dans le corps humain (Courtney, 1887) ou celles de Poucet, accompagné du fils du Docteur Galopin (1875). Le personnage qui évolue dans un corps surdimensionné est réduit à la taille et parfois à la condition de microbe ou de parasite. Si le vaisseau est un organisme vivant, alors l’équipage à son bord devient un élément de ce microcosme : globule, organe, cellule vivante… Il peut même former une infrapopulation de parasites puisqu’il partage deux caractéristiques essentielles avec ces derniers. Il se trouve dans le corps du vaisseau dont il a fait son milieu et son hôte et il exploite les ressources vitales de la baleine pour vivre au quotidien.
Le parasite, qui recouvre des espèces très différentes (champignons, protozoaires, acariens et tant d’autres) est communément compris comme « celui qui mange à côté » (para-, « à côté » ; sitos, « nourriture »). Il a besoin de l’hôte pour perpétuer son cycle de vie et vit toute ou une partie de celle-ci aux dépens d’un ou de plusieurs hôtes. L’association ne profite généralement qu’à lui et met en scène une dépendance spatiale et énergétique envers son hôte. Le parasite, contrairement au prédateur, ne tue pas brutalement sa proie et il vit un certain temps en compagnie de son hôte pour mener à bien son cycle parasitaire. De la même manière que les parasites se spécialisent et attaquent une espèce bien définie (relation hétérospécifique), il est possible de distinguer différents types de baleines et avec eux leurs microorganismes, qui induisent des interactions diverses, qui sont ou non de type parasitaire.
Certaines relations entre les organismes vivants sont non délétères (phorésie, saprophytisme, commensalisme, symbiose) et d’autres entraînent une forme d’exploitation de l’hôte (parasitisme). Les interactions sont complexes et peuvent parfois s’associer entre elles : la vie à deux peut par exemple être qualifiée de mutualisme lorsque le commensalisme bénéficie aux deux partenaires ; de même, le commensalisme devient parasitisme quand il est spoliateur. Elles sont là pour faciliter différents aspects de la vie du parasite : sa nourriture, son transport, son habitation, sa reproduction. De plus en plus de spécialistes, à l’image de Claude Combes, soulignent combien les frontières sont poreuses entre parasitisme et associations biologiques. Le motif de la baleine habitée permet de mettre au jour l’ambivalence des échanges entre le vaisseau vivant et l’équipage et la nécessité de déterminer à qui profite la relation. Il permet aussi d’interroger la récurrence de l’anthropomorphisation du parasite et de son hôte. D’un pur point de vue écologiste, le parasite n’est pas volontairement délétère envers son hôte : il exploite le milieu et prélève sur lui certains avantages mais n’a pas pour objectif de porter atteinte à ce dernier et encore moins de le tuer ; l’hôte, quant à lui, n’élimine son parasite que s’il entre en conflit avec ses besoins et facultés essentielles.
1. Symbiose entre le parasite et son hôte
L’équipage d’un vaisseau bio-mécanique élit domicile dans ce milieu vivant pour des raisons très variées : sécurité, stabilité, protection, mobilité, ressources énergétiques… La symbiose est, à ce titre, l’interaction biologique la plus connue : elle est marquée par une collaboration positive entre l’hôte et son parasite. L’échange leur est absolument nécessaire.
Comme Les Simpsons, la série Futurama a été créée par Matt Groening et parodie la culture populaire, en se concentrant tout spécialement sur la science-fiction. Elle consacre un épisode entier à un pastiche de Moby Dick de Melville : Möbius Dick (saison 6, épisode 103). Dans cet épisode, l’équipage apprend que leurs prédécesseurs se sont perdus dans l’espace il y a de cela 50 ans, alors qu’ils livraient un assortiment de cookies à proximité du Tétraèdre des Bermudes. Dans l’épisode, Fry croit que Pinocchio est le personnage biblique avalé par la baleine, preuve que Futurama jongle volontairement avec les mythèmes. Quand les personnages sortent de la bouche de la baleine à la fin de l’épisode, la lumière éblouissante ne manque pas d’associer cette libération à une renaissance.
Chargés d’aller récupérer une sculpture commémorant la disparition de leurs prédécesseurs, l’équipage rencontre sur le chemin du retour une baleine de l’espace qui manque de les avaler. Furieuse, la cyclope Leela la prend en chasse, prête à tout pour l’éliminer. La baleine devient sa hantise, motif qui se précise un peu plus tard dans l’épisode alors qu’ils sont tous gobés par le cétacé. Leela retrouve en effet dans la baleine l’ancien capitaine que l’on croyait disparu, fusionné avec l’animal. Il est amalgamé avec sa chair et partiellement rongé. Il lui explique alors que la baleine se nourrit de l’obsession de celui qui cherche à la tuer : « La baleine est obsession Leela et tu es la baleine ! [The whale is obsession Leela and you are the whale !] ». Ce n’est qu’en faisant preuve d’une volonté plus forte encore qu’elle parvient à s’en libérer. Tel le ver dicrocoelium dendricum qui prend le contrôle d’une fourmi et la pousse à se mettre en hauteur pour qu’elle soit dévorée par une vache et que le parasite puisse entamer son cycle de vie, Leela parvient à prendre le contrôle du corps-hôte. L’épisode présente donc un subtil renversement des pouvoirs entre hôte et parasite. La baleine est à la fois la hantise et donc le parasite de Leela et le corps-hôte qui avale l’exploratrice ; Leela se fait parasite pour la baleine quand elle est fusionnée à son corps et qu’elle en prend le contrôle mais auparavant elle était elle-même étreinte par l’idée entêtante de détruire l’animal. Leela devient un « hyperparasite » : un parasite capable de se nourrir au dépend d’un autre parasite. Contrairement à l’idée répandue selon laquelle le parasite est un agresseur, c’est en vérité l’hôte qui entre parfois en lutte contre l’intrus (Combes 2001, p. 20). Renversant ainsi la relation prédateur-proie, l’hôte peut parfois devenir lui aussi nocif à l’attaquant.
Une autre série explore plus avant la présence de parasites à bord de la baleine et la possibilité de fusionner avec elle, en mettant en jeu des interactions de types symbiotique ou mutualiste. La symbiose, tout d’abord, suppose une interaction bénéfique à l’une ou aux deux parties en présence. Leur coexistence est durable, sur une partie ou sur tout le cycle de vie, et souvent obligatoire car ils ne peuvent survivre sans cette association. Le mutualisme suppose quant à lui que l’échange entre les êtres entraine un bénéfice réciproque mais que leur coexistence n’est pas obligatoire. Dans la saga galactique Farscape, le vaisseau volant qu’occupe l’équipage n’est autre qu’une créature bio-mécanique du nom de Moya. Son pilote partage une relation symbiotique avec cette dernière : il est directement relié à son système nerveux et leur séparation entraînerait sa mort. La symbiose de Pilot avec Moya permet la mise en place d’un phénotype étendu : si Pilot ressent distinctement les émotions de Moya, il lui permet aussi de communiquer avec l’équipage qui l’habite. Encore, la relation entre Moya et son équipage est décrite par le personnage de Zhaan comme étant une « relation symbiotique mutuelle » : « Moya est vivante et elle est notre protectrice. Mais elle est aussi notre servante et elle repose sur nous et nous reposons sur elle. C’est une relation symbiotique mutualiste [Moya is alive and she’s our protector. But she’s also our servant and she relies on us and we rely on her. It’s a mutual symbiotic relationship] ». Entre symbiose et parasitisme, il n’y a pourtant qu’un pas : quand Moya tombe enceinte, elle prélève directement ses nutriments sur le système digestif de Pilot, mettant en péril la vie de son associé pour aider au développement de son fœtus. Inversement, elle attaque l’équipage pour protéger le futur Talyn, comme si à présent elle considérait le groupe comme un parasite dans son organisme
Pilot, plus encore, n’est pas qu’un symbiote. Il est aussi un parasite capable de prendre le contrôle du système nerveux auquel il est inféodé, à l’image du champignon tropical cordyceps unilateralis qui parvient à inciter la fourmi dans lequel il loge à gagner les hauteurs pour mieux disperser ses spores après la lente agonie de l’hexapode. Souvent, la série met l’accent sur l’impuissance de Pilot à prendre le dessus sur Moya, à imposer une « manipulation parasitaire », même quand le vaisseau met en péril son équipage. Certains parasites, pourtant, sont capables de modifier la physiologie, la morphologie et même le comportement de l’hôte occupé. La « manipulation comportementale », qui a souvent lieu au sein d’un cycle parasitaire complexe – dit polyxène car mettant en jeu des hôtes intermédiaires et définitifs- consiste alors à faire adopter par l’hôte un comportement jugé aberrant et inhabituel à l’espèce. Ce dernier a pour but premier de préserver le parasite et souvent de lui permettre de changer de milieu (attirer son hôte vers un point d’eau par exemple). Phénomène encore imparfaitement compris, la manipulation parasitaire est pourtant un aspect du parasitisme connu du grand public et il n’y a rien d’étonnant à le retrouver dans cet épisode de Farscape.
L’analogie entre les explorateurs de l’espace et des parasites, est vivement assumée par les créateurs de la série. Rockne S. O’Bannon parle en effet de l’équipage comme de « parasites » : « L’idée d’un être vivant qui était assez large pour porter d’autres êtres vivants, comme des parasites, nous semblait être une bonne idée » (supplément au DVD). D’ailleurs dans l’épisode They’ve Got a Secret (saison 1, épisode 10), quand Aeryn demande à John si les habitants de la Terre ont des vaisseaux vivants, il répond ironiquement qu’il y a bien « Jonas et la baleine mais non, aucun parallèle contemporain [Well, Jonah and the Whale, but no, no contemporary parallels] ». Un épisode entier de la série est même consacré à cette idée. Dans Beware of Dog (saison 2, épisode 14), une des explorations spatiales a rapporté à bord de Moya des parasites dangereux pour le Léviathan, qu’il faut exterminer à l’aide d’un prédateur : le Vorc.
2. La Baleine-transport : entre phorésie et domptage
Le motif de la baleine domptée de gré ou de force, occupe depuis longtemps l’imaginaire des hommes, fascinés par ce monstre primal. Cette fois, le parasite ou l’opportuniste ne se trouve plus dans les entrailles de la bête (endoparasite) mais à sa surface (ectoparasite).
On trouve par exemple dans le Physiologus, un bestiaire du IIème siècle, la figure mythique de l’Aspidochélon. On raconte que les marins, ne voyant que le dos de l’animal dépasser de l’eau, le prennent à tort pour une île et sont dévorés alors qu’ils tentent d’accoster (fig. 19). On rencontre de semblables anecdotes dans des récits de découvertes et d’explorations comme le Nova typis transacta navigatio du Père Honorius Philiponus (fig. 20). Sinbad le marin, personnage des Milles et une nuits, atterrit lui aussi sur ce qu’il ne sait pas être un cétacé.
La Baleine sert principalement dans la science-fiction de moyen de transport. Au tournant du siècle, l’imaginaire merveilleux-scientifique se plaît à prédire pour les années 2000 du tourisme sous-marin, tracté par une baleine à bosse (fig. 21) tandis que l’écrivain de romans d’aventures scientifiques Alphonse Brown, imagine dans son Voyage à dos de baleine, comment le Capitaine Bob Kincardy et une équipée scientifique partent à l’aventure en s’harnachant à une « locomotive naturelle » (p. 60), une baleine du nom de Fanny[15]. Il souhaite en effet impressionner le père de la femme qu’il aime car il a lancé par voie de presse que, pour obtenir la main de sa fille, il faudra que le soupirant réalise un exploit scientifique sans précédent (fig. 22). Comme John Tabor avant lui, il s’imagine voyager à dos de baleine.
Comment ne pas penser d’ailleurs aux shark-faces (fig. 23), ces avions militaires utilisés pendant les Première et Seconde Guerre Mondiales et sur lesquels sont peints les visages grimaçants de requins ? Si, à n’en pas douter, le requin remplit une fonction apotropaïque semblable à celle des figures de proues, on retrouve une fois encore le motif d’un être humain dissimulé dans un corps à la force primitive, dont il prend le contrôle. Le Megalodon (2016) de l’artiste Nemo Gould, « sculpture cinétique » portant le nom d’un requin préhistorique aujourd’hui disparu et faite à partir de matériaux de récupération[16], renouvelle le motif du vaisseau-requin (fig. 24). À la fois vaisseau et être vivant, la carcasse de métal abrite un petit équipage qu’une ouverture sur le flanc met au jour.
La série à tiroirs Doctor Who imagine à son tour qu’un des voyages du Docteur, dans l’épisode The Beast Below (saison 5, épisode 2), l’amène dans le futur. Dans cette réalité, la dernière représentante des « star whales » ou « baleines-étoile » sert de flotte au Royaume-Uni. L’île britannique, devenue « parasite opportuniste », s’est fixée de force sur son dos pour échapper aux cataclysmes solaires et a depuis raccordé sa machinerie à ses organes, tout en la torturant à l’aide d’un puissant laser cérébral pour la forcer à avancer dans l’espace. L’épisode met en scène une interaction de type phorétique : le phoronte (le Royaume-Uni) est transporté par un hôte (la baleine-étoile). L’association est habituellement libre entre les deux partenaires et non destructrice. Le phoronte attend le moment opportun pour se détacher de son hôte (par exemple l’acarien qui se fixe sur la coccinelle). Leur relation peut s’accompagner de commensalisme, si l’invité se nourrit des débris qu’il trouve à la surface de son hôte ; d’ectoparasitisme, s’il ponctionne son hôte comme le fait une puce sur un chat ou encore de mutualisme si l’animal transporté est bénéfique pour son hôte qu’il débarrasse de ses parasites. Dans Doctor Who, la phorésie est belle et bien de type parasitaire et elle est même manquée : le Royaume-Uni ne peut jamais quitter la baleine qui lui sert de support et pire encore, elle torture inlassablement l’animal.
Le peuple britannique, y compris sa Reine, ne connaissent pas ce lourd secret et quand il est découvert, chacun a le droit de choisir entre accepter, protester ou oublier. Effectuant une symbolique catabase, le Docteur est forcé d’aller dans les entrailles de ce qu’il ne sait pas encore être un être sensible pour découvrir la vérité. Comprenant que l’animal est réduit en esclavage et torturé, il choisit d’abréger ses souffrances en la mettant dans un état végétatif grâce au puissant laser. Sa compagne comprend avant le geste fatal que la baleine avait souhaité se mettre au service du peuple britannique et qu’il n’était pas nécessaire de la contraindre par la torture. Ainsi, quand la baleine est libérée, elle continue de servir le Royaume-Uni et donc d’être en relation symbiotique avec lui : elle accepte comme ectoparasite permanent le Royaume-Uni et l’hôte n’est plus paraténique, c’est-à-dire transitoire dans le cycle parasitaire de l’envahisseur, mais bel et bien absolument nécessaire à la survie du peuple britannique. La comptine inquiétante chantée en début d’épisode est d’ailleurs réécrite lors de l’épilogue, pour souligner la relation symbiotique qui existe à présent entre la baleine et le vaisseau du Royaume-Uni : « In bed above, we’re deep asleep / While greater love lies further deep / This dream must end, the world must know /We all depend on the beast below » (je souligne).
L’épisode met en scène un autre trait saillant des études sur le parasitisme : l’importance des modifications des traits d’histoire de vie de l’hôte pour s’adapter au parasite et limiter l’infestation de ce dernier. La baleine possède notamment d’inquiétants tentacules qui peuvent avoir été développés spécifiquement pour lutter contre l’envahisseur ou pour empêcher son développement. Moya utilise aussi dans Farscape ses Diagnostic Repair Drones (D.R.D.), petits robots jaunes, devenus mécanisme de défense capable d’attaquer les endoparasites qui se déplacent dans ses corridors contre son gré. Métaphore du système immunitaire, ils permettent de mettre en avant les stratégies prophylactiques des hôtes parasités. Ainsi, selon les endroits où se logent la population parasitaire, sur ou dans son hôte, il est possible de discuter la notion de site : le parasite choisit précisément la région de son hôte dans laquelle il élit domicile.
L’hôte n’est pas le seul à s’adapter et confirme la nature co-évolutive des interactions biologiques : dans Exodus from Genesis (saison 1, épisode 3), la série Farscape imagine à présent des méroparasites, qui ne viennent sur le vaisseau que pendant leur phase de reproduction. Ces « réplicants », les Draks, sont capables de prendre l’apparence des membres de l’équipage pour se reproduire en sécurité dans le vaisseau, élu comme leur milieu électif pour la ponte. Le parasite parvient aussi à modifier le milieu exploité et élève considérablement la température corporelle de Moya, afin de favoriser leur nidification.
3. La Baleine maternelle : une relation de commensalisme
D’autres baleines développent une relation de commensalisme avec leur visiteur. Dès lors, la terminologie de « parasite » est discutable : pour qu’il y ait parasitisme, il faut qu’il y ait spoliation. Le commensalisme, en effet, consiste à se nourrir de matières organiques sur un être vivant (milieu buccal, intestin) sans troubler ou spolier l’hôte avec lequel l’association n’est pas strictement nécessaire. Le pigeon, par exemple, mange les débris laissés par les humains sur le sol tandis que le poisson-pilote se fixe à un requin pour le débarrasser de ses parasites externes.
La baleine est souvent présentée comme un animal doux et empli de sagesse, notamment dans les productions à destination de la jeunesse. The Marvelous Misadventures of Flapjack, dessin-animé diffusé sur Cartoon Network (2008-2010), raconte les « mésaventures » du jeune mousse Flapjack et de son ami le capitaine K’nuckles, pirate au caractère bien trempé avec lequel il espère trouver l’île des bonbons. Dans cette série souvent grinçante, la mère adoptive du héros n’est autre qu’une baleine du nom de Bubbie. Le capitaine et le garçon habitent tous deux dans sa bouche, comme le proposent certaines mères du règne animal aquatique à leur progéniture (alligator, poisson). La bouche de Bubbie est aménagée et on trouve au fil des épisodes un canapé, des toilettes, une poubelle, et ses dents peuvent même être ouvertes comme des portes battantes. La relation de Bubbie et de Flapjack s’apparente alors à l’inquilinisme, puisque c’est dans sa cavité buccale que ce dernier trouve refuge et même, habite, avec le capitaine. Flapjack est ainsi un personnage inquilin, qui fait de la cavité d’un hôte un abri de fortune.
Bubbie reprend aussi le motif du vaisseau vivant puisque Flapjack en parle comme du « vaisseau le plus rapide de la mer ». Originellement d’ailleurs, elle ne devait pas être une véritable baleine mais plutôt un sous-marin steampunk en forme de baleine. On retrouve cette idée dans l’épisode Several Leagues Under the Sea (saison 1, épisode 1), dans lequel Bubbie fait la course contre une baleine mécanique, contrôlée par des enfants esclaves.
Dans un épisode en particulier, Bubbie’s Tummy Ache (saison 2, épisode 9), on retrouve le motif du personnage avalé il y a bien longtemps par le cétacé et poursuivant sa vie comme il le peut à l’intérieur de son estomac. Alors que Bubbie est prise de violents maux de ventre, Flapjack propose d’aller lui câliner la langue puis l’estomac pour la soulager. Descendu le long de sa trachée jusque dans l’estomac, il y rencontre une vieille femme, Ruth, avalée il y a de cela très longtemps, alors que Bubbie s’empiffrait de tartes pour gagner un concours du plus gros mangeur. Occupée à tricoter, Ruth plante ses aiguilles dans la chair de Bubbie chaque fois qu’elle termine son ouvrage et c’est de là que viennent ses douleurs insupportables. Comme souvent dans les interactions biologiques que nous proposons d’étudier, il est possible qu’elles basculent dans le parasitisme : Ruth utilisant la baleine comme pelote à épingle rappelle le poisson enchioliophis, qui trouve refuge dans les holothuries (concombres de mer) et n’hésite pas à dévorer les gonades de son hôte. Récupérant aussi ce qu’elle trouve dans l’estomac, Ruth propose à Flapjack, qui pense être enfermé pour toujours dans Bubbie, de cuisiner des tartes avec des restes de poissons. La recette est tellement ratée que Bubbie vomit et expulse les deux personnages. Cet épisode illustre dès lors une autre interaction biologique : le commensalisme, puisque Flapjack récupère des vieux poissons dans la bouche de Bubbie pour ses repas quotidiens, sans entraîner de spoliation. On pourrait même parler de saprobiose puisque Ruth cuisine uniquement à partir de substrats en décomposition, trouvés dans l’intestin de Bubbie, ce qui donne lieu à une scène comique et peu ragoûtante. L’épisode, une fois encore, montre la réversibilité incessante entre les différentes interactions biologiques.
Conclusion
Ainsi, le motif de la baleine avalant de malheureux personnages a considérablement évolué au fil du temps. La baleine est passée d’un mythe fondateur à une péripétie amusante dans les romans d’aventures. Le personnage y construit une vie parallèle et parfois, même, dompte la bête. C’est en particulier ce renouvellement du mythe qui inspire la science-fiction et le recours à des interaction biologiques. Si l’équipage est à présent désireux de rester dans le ventre du rorqual c’est qu’il y tire un avantage, à la manière d’un parasite, qui se nourrit de la force vitale du corps d’accueil. Nous avons pu identifier à ce titre différentes interactions parasitaires qui font autant de la baleine une table à laquelle se nourrir, qu’une maison dans laquelle habiter : la symbiose ou le mutualisme, qui profitent aux deux individus ; la phorésie, qui suppose que le parasite puisse quitter son hôte, qui lui sert principalement de moyen de locomotion ; l’inquilinisme, alors qu’il profite de sa cavité buccale pour s’abriter des dangers ; le commensalisme ou le saprophytisme qui consistent à puiser directement ses ressources alimentaires dans celles de l’hôte. La mobilisation du motif écologique du parasitisme tend, dans certaines œuvres, à maintenir le doute sur la nature de la baleine, à la fois biologique et mécanique. Entre l’animal et le vaisseau vivant, elle tisse une relation inédite avec l’équipage qu’elle abrite dans ses entrailles. Elle permet aussi d’être au diapason des recherches en biologie et en immuno-écologie qui révèlent combien les frontières entre les interactions sont poreuses : le parasite n’est parfois pas celui que l’on croit. De même, la baleine peut parfois vivre en symbiose avec son équipage ou se retourner contre l’envahisseur, tout comme son visiteur peut vivre paisiblement dans ses intestins ou devenir un parasite. Marquée par une histoire riche, qui fait de la baleine une dévoreuse d’hommes mais aussi une ressource inégalée en énergie, en viande et en peau, le vaisseau vivant est sans cesse tiraillé entre ces deux postulats : celui d’être un personnage à part entière, vivant en symbiose avec son équipage ou celui d’être un animal ou même un objet asservi, qui est alors parasité par celui qui conquiert de force sa panse.
Preuve que le motif de la miniaturisation parasitaire donne à penser les nouveaux media, le jeu vidéo Mario et Luigi : Voyage au centre de Bowser (Nintendo, 2009) propose au joueur de faire coopérer les ennemis jurés Mario et Bowser. Les deux écrans de la Nintendo DS montrent respectivement Mario et Luigi évoluant dans les différentes parties du corps du monstre et les réactions en chaîne qu’ils provoquent dans le monde de Bowser et inversement. On imagine sans mal comment la réalité virtuelle pourrait, dans les années à venir, proposer au joueur doté d’un Oculus de voyager à son tour dans le ventre de la baleine.
Ouvrages cités
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ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XVII
[1] « Car, comme Jonas fut dans le ventre du cétacé trois jours et trois nuits, ainsi le fils de l’homme sera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre » (Mathieu 12 : 40).
[2] Sur le sujet, lire Edward B. Davis, « A Whale of a Tale: Fundamentalist Fish Stories ». Bien décidé à démêler le vrai du faux, le chercheur suit la piste du témoignage d’un certain James Bartley, qui a passé une journée entière, tourmenté par la chaleur et la pénombre oppressantes, dans le ventre d’une baleine qu’il chassait en 1891. L’équipage du navire, une fois la baleine capturée, avait en effet retrouvé le mousse en état de choc dans le corps de l’animal. De nombreux témoignages rapportent son expérience : être gobé tout rond, ses sensations à l’intérieur de son estomac, sa crise de folie après sa libération, sa cécité et la couleur très blanche de sa peau à cause des attaques acides. Le récit de Bartley est relayé par des revues scientifiques et cité lors de sermons religieux. Ses recherches amènent Davis à conclure que c’est l’anecdote de la baleine de Gorleston, un cétacé tué et exhibé dans des expositions la même année, qui a alimenté l’imaginaire de Bartley. Il n’a en vérité jamais fait partie de l’équipage du Star of The East, et a raconté à qui voulait l’entendre qu’il avait survécu à cette drôle de rencontre pour jouir d’un peu de célébrité.
[3] Les baleines se nourrissent pourtant principalement de krill et de plancton, et occasionnellement de petits poissons. Elles ne possèdent pas de dents acérées comme celles de Monstro, mais des fanons.
[4] « Au milieu [du ventre de la baleine], on voyait un amas de petits poissons, des débris d’animaux, des voiles et des ancres de navires, des ossements d’hommes, des ballots, et, plus loin, une terre et des montagnes, formées, sans doute, par le limon que la baleine avalait. Il s’y était produit une forêt avec des arbres de toute espèce ; des légumes y poussaient, et l’on eût dit une campagne en fort bon état. Le circuit de cette terre était de deux cent quarante stades. On y voyait des oiseaux de mer, des mouettes, des alcyons, qui faisaient leurs petits sur les arbres. »
[5] « Ma présence dans son gosier le gênait singulièrement, et il n’aurait sans doute pas demandé mieux que de se débarrasser de moi : pour lui être plus insupportable encore, je me mis à marcher, à sauter, à danser, à me démener et à faire mille tours dans ma prison. La gigue écossaise entre autres paraissait lui être particulièrement désagréable : il poussait des cris lamentables, se dressait parfois tout debout en sortant de l’eau à mi-corps. Il fut surpris dans cet exercice par un bateau italien qui accourut, le harponna, et eut raison de lui au bout de quelques minutes » (p. 108)
[6] Les articles de la Gazette de Trouville ou encore du Pays d’Auge ne manquent pas d’associer les visiteurs à Jonas.
[7] Le fonds Simon-Max de la Bibliothèque Nationale de France dispose de deux photographies représentant Simon-Max et la baleine – FOL-COL-234(4) – qui aident à imaginer à quoi ressemblait le cétacé une fois reconstitué.
[8] Simon-Max a composé plusieurs chansons évoquant la baleine : Les deux Jonas ou encore Allons dans la baleine et il a joué Jonas chez les sirènes.
[9] À noter que sa déclinaison française, Le Pays des contes de fées, ouverte en 1994, fait passer le jeune navigateur non pas dans la bouche de Monstro, mais dans celle du tigre gardant la caverne aux Merveilles d’Aladdin.
[10] « Walt Disney’s cartoon world materializes bigger than life and twice as real », McCall’s magazine, janvier 1955, p. 8-9 (ma traduction).
[11] Concept-clef des théories d’éthique animale, il donne aux animaux non-humains la capacité de sentience suivant plusieurs critères précis comme le comportement (capacité à ressentir des émotions positives et négatives comme la joie et la douleur) ou la physiologie (l’existence d’un système nerveux)
[12] Voir par exemple les travaux de Frank Watlington ou de Roger Payne.
[13] Voir par exemple les travaux de John C. Lilly ou de Louis Herman.
[14] On retrouve plus de 30 fois les termes « gibbering » ou « eldritch » dans les récits d’horreur cosmique de Lovecraft pour désigner des créatures qui outrepassent les lois de l’entendement humain : par exemple « [t]hat eldritch scaly monster […] » dans The Dream-Quest of Unknown Kadath (1927) ou « I thought again of the eldritch primal myths […] » dans At the Moutains of Madness (1931). Le terme « abomination » se rencontre une trentaine de fois : par exemple, « [t]hat subterranean vault of fabulous abominations » dans Herbert West – Reanimator (1922) ou encore « Of that vast hippocephalic abomination leaped the doomed and desperate dreamer […] » dans The Dream-Quest of Unknown Kadath (1927).
[15] Brown élabore : « Et l’homme qui a déjà défié ou maîtrisé les éléments, l’homme qui va plus vite sur l’onde que les squales aux puissantes nageoires, qui s’est élevé dans les airs plus haut que les aigles et les condors, qui a soumis à sa puissance l’agilité du cheval, la force du bœuf, du dromadaire et de l’éléphant, l’homme ne saurait-il ou ne pourrait-il employer son intelligence à conquérir, dans un but noble et utile, les colosses de l’Océan ?
[16] Pour Gould : « [l]e Megalodon est l’ultime superprédateur. Reproduisant la figurine du jeu de mon enfance, cette œuvre semble être au premier abord un Requin. En y regardant de plus près, on devine un navire, moitié sous-marin, moitié vaisseau spatial, grouillant d’activité alors que son équipage travaille à leurs tâches respectives. Ce projet a commencé avec la récupération du réservoir de carburant de l’aile d’un bombardier F-94, et des milliers d’autres objets amoureusement amassés, et des objets fabriqués à la main. Le rendu final est une « Grande Miniature ». Le spectateur est à la fois miniaturisé, et rendu puissant en sa présence » (ma traduction).