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5 – Le parasite, de l’être mimétique à l’inquiétante familiarité

Introduction

Le terme de parasite vient du grec parasitos qui veut dire, para « à côté de » et sitos « le grain des céréales ». En Attique, le parasite correspond à un statut social élevé, celui des officiers associés aux prêtres. Leur mission est de percevoir le blé produit par les terres considérées comme sacrées, et d’assister les prêtres lors de l’exécution des sacrifices pour les divinités. Leur rang est particulièrement important, puisqu’ils se situent juste en-dessous des prêtres. Une autre de leur fonction était d’assister ceux-ci dans la réalisation des sacrifices. Pour récompense, ils recevaient une part de la victime (Daremberg et Saglio, 330). L’étymologie du terme parasite renvoie ainsi à deux notions importantes : une notion de vie proche, auprès d’un hôte et celle de nourriture. C’est celui qui mange à côté de quelqu’un. L’origine du terme parasite est donc également sociologique. Les prêtres sont accueillis à l’intérieur de la maison des citoyens grecs. Ces derniers font preuve d’une tradition très ancienne d’hospitalité. C’est l’ouverture de sa maison à un étranger qui engendre le déplacement du statut d’invité à celui de parasite. Le sens du mot parasite a été détourné de sa signification avec Alexis (circa 372 av. J.-C. – 270 av. J.-C.), auteur d’une pièce intitulée Le Parasite. Elle semble être la première œuvre dans laquelle le terme de « parasite » apparaît dans le titre. Dans la pièce, le parasite devient un pique-assiette, un invité non désiré qui, pour se faire accepter, va devoir complimenter son hôte, et être du même avis que lui. Finalement, il va mettre un masque pour prendre l’apparence de l’hôte. Nous sommes en face d’une stratégie de mimétisme, classique dans les relations de parasitisme. Se déguiser pour se faire accepter, ne pas montrer son désir de voracité, ce sont quelques caractéristiques du parasite que l’on peut retrouver dans de nombreux exemples en littérature et aussi dans les sciences. D’ailleurs, Michel Serres le montre dans son ouvrage, Le parasite. Dans ce livre, il base sa réflexion sur des œuvres littéraires de l’antiquité jusqu’au XVIIIe siècle. Il propose de décrire cette figure à partir de l’analyse de quelques textes. Il montre la multiplicité des formes du parasite en soulignant que ce dernier est un maître dans l’art de la communication. Selon lui, le parasite va même plus loin, il est la relation. De plus, Serres montre que le parasitisme est un rapport où les positions ne sont pas claires et bien définies. Il réfléchit à l’intérieur des systèmes d’information mais aussi des systèmes vivants. Par la suite, Myriam Roman et Anne Tomiche reprendront l’analyse du concept pour décrire certaines caractéristiques du parasite littéraire et reviendront sur les propositions de Michel Serres[1]. En effet, cette figure littéraire du parasite se retrouve dans des textes d’auteurs variés comme Alexis, Lucien de Samosate en passant par Molière, Diderot, ou Cocteau. Elle est même très présente dans la littérature fantastique et de science-fiction (Le Horla de Maupassant, The Ticket that Exploded de William S. Burroughs ou Fairyland de Paul J. McAuley, par exemple) ainsi que dans de nombreuses productions cinématographiques (le personnage de l’Alien dans les films du même nom, la série Stargate SG-1 de Jonathan Glassner et Brad Wright, ou Donnie Darko de Richard Kelly, par exemple).

Nous allons à travers cet article répondre à plusieurs questions[2] : quelles sont les principales stratégies parasitaires mimétiques ? Comment cette inquiétante familiarité perturbe-t-elle l’identité de l’hôte ? Ou bien en quoi amène-t-elle à la découverte de l’identité de l’autre ? Notre approche sera transversale et se concentrera sur un corpus d’œuvres littéraires mais aussi de publications et de rapports scientifiques en biologie et en écologie. Nous analyserons de la même manière les textes scientifiques et les textes littéraires. Les faits biologiques et les faits littéraires s’enrichissent et se complètent. Le fait littéraire ne duplique en rien le fait biologique mais s’en inspire. Cependant, comme indiqué par Michel Serres, Anne Tomiche et Myriam Roman, le parasite sous toutes ses formes (biologique, littéraire, social…) possède plusieurs caractéristiques communes. Ainsi, nous décrirons les points communs entre les parasites biologiques et les personnages parasites dans certaines œuvres littéraires et cinématographiques.

I. Le parasitisme comme « art de la communication »

S’il ne fait pas attention, le parasite peut laisser échapper des caractéristiques d’une certaine férocité. Ainsi, dans le roman de Conan Doyle, Le Parasite, Miss Penelosa est représentée sous les traits d’un félin, d’un fauve. Elle apparaît d’ailleurs à un moment recouverte d’une peau de tigre. Elle parle comme un serpent avec des sifflements. Si le parasite montre sa voracité et ses intentions agressives, l’hôte ne l’acceptera jamais. Le parasite va donc tenter d’éviter cette réaction de rejet et d’exclusion. Il va mimer l’hôte pour que ce dernier l’accepte. Le mimétisme consiste en l’imitation de son environnement. Dans le cas du parasite social, c’est un mimétisme comportemental, c’est-à-dire une imitation du comportement de ses hôtes. On retrouve cette caractéristique du mimétisme dans d’autres disciplines où le terme parasite est utilisé. En biologie, les parasites miment des motifs moléculaires des cellules appartenant à l’hôte, dans le but de ne pas se faire détruire par ses anticorps. Ceux-ci vont ainsi croire que le parasite fait partie de l’organisme. C’est par exemple le cas du virus du sida. Comme tout bon virus, il se reproduit à l’intérieur des cellules de l’organisme hôte. Grâce à son mimétisme, les lymphocytes ne détectent pas de différence entre une cellule de l’hôte et une cellule de l’hôte infectée par le virus. Une autre manière de procéder est donnée par l’agent responsable du paludisme. Il produit énormément de leurres qui serviront à faire diversion et à fatiguer le système immunitaire. Le magicien n’agit pas autrement lorsqu’il réalise un tour. Il produit de nombreux gestes parasites qui vont perturber la conscience du spectateur. Ce dernier va essayer de trouver la maladresse qui va lui révéler le secret du tour. Il suffit au magicien de profiter de cet état du spectateur pour le berner. Les leurres du parasite biologique ou la diversion du magicien sont une perturbation de la communication. En effet, ce sont de faux signaux qui ont l’apparence de messages ayant un sens précis.

Il y a trois types d’acteur dans le mimétisme : le mime ou l’imitateur, le modèle et l’opérateur. Dans le cas du parasitisme, l’opérateur et le modèle sont souvent les mêmes. L’imitateur (le parasite) va prendre l’apparence du modèle pour parasiter l’opérateur (l’hôte). Le modèle peut être l’hôte, un élément du milieu ou un autre individu. L’imitateur va refouler temporairement son identité pour en prendre une autre, qui peut ressembler à celle de l’hôte. Pour cela, il y a deux types principaux de mimétisme, le mimétisme d’apparence et le mimétisme comportemental. Ces deux types peuvent être utilisés simultanément par le parasite. Le détournement doit être discret et doit permettre le contrôle des flux de communication. Le parasite utilise donc des techniques de manipulation notamment en contrôlant le langage.

1. Stratégies mimétiques

La séduction d’un parasite par sa ressemblance physique avec l’identité de l’hôte est le cas le plus commun de mimétisme. Dans la nouvelle éponyme de Joseph Le Fanu, parue en 1872, la séduction de Carmilla s’effectue de cette manière et par un désir homosexuel latent, qui suscite chez le parasité une fascination envers cet autre soi. L’image de Carmilla est la représentation même du désir. Du côté de la biologie, il existe de nombreux exemples de mimétisme d’apparence. Un cas très connu est le leucochloridium paradoxum, un ver plathelminthe. Son cycle se compose de deux hôtes, un gastéropode et un oiseau. Les gastéropodes lui servent d’hôte intermédiaire. Une fois les escargots infectés, le parasite se loge dans les antennes de l’hôte. Il va induire des changements structuraux dans l’hôte qui entraînent une modification dans la taille et la couleur des antennes. Ces dernières ressembleront à des chenilles, proies de certains oiseaux. En mangeant les escargots, les oiseaux ingèrent du même coup les vers. Une fois dans l’estomac de l’oiseau, le ver peut se reproduire et terminer son cycle. En effet, les excréments de l’oiseau dissémineront le parasite (Wesemberg-Lund). Dans ce cas, ce n’est pas le parasite qui se déguise mais c’est lui qui déguise son hôte. Il en est également ainsi des parasites nommés Plasmodium, responsables du paludisme chez l’homme et qui touchent d’autres espèces animales telles que les oiseaux. Une équipe de scientifiques a montré que le moustique vecteur du paludisme appelé Culex pipiens pique majoritairement les oiseaux infectés (Cornet et al.). L’odeur différente des oiseaux infectés attire plus fortement les moustiques. Ainsi, le Plasmodium modifie l’odeur de son hôte ce qui entraîne une perturbation de la communication comprise par le moustique. Chez le parasite biologique et pour de nombreux parasites dans la littérature, nous pouvons retrouver ce point commun : la perturbation de la communication par le mimétisme qui amène l’hôte à tomber dans le piège tendu par le parasite.

Dans le mimétisme d’apparence, nous avons un cas particulier, le camouflage. L’objectif n’est pas de contrôler le flux de communication mais de ne pas se faire repérer par l’hôte, de rester discret. Par exemple, la majorité des schistosomes emploient cette technique. À l’intérieur de l’hôte, ces parasites vont fixer des molécules de leur hôte (antigènes, protéines du sang…).  En conséquence, les anticorps de l’organisme hôte n’arrivent plus à distinguer le parasite du reste du corps. Un autre exemple intéressant est le plasmodium déjà cité. En effet, le parasite va se multiplier à l’intérieur des globules jusqu’à l’éclatement de celles-ci. Lorsque le parasite est libre dans le sang, il est bien sûr assez vulnérable à nos défenses immunitaires. Le plasmodium va donc procéder à un lâcher à répétition de leurres. Plus précisément, des protéines superficielles vont se détacher du parasite et constituer des leurres. Ceux-ci vont procéder à une diversion, les lymphocytes attaquant les leurres et non les plasmodiums. Dans l’œuvre d’Edgar Allan Poe, Le masque de la mort rouge, c’est la mort qui est parasite de la vie. La mort va prendre l’apparence d’un danseur costumé. Dans ce cas, l’objectif n’est pas d’attirer l’hôte mais de passer inaperçu. La mort grâce à son mimétisme va piéger ses hôtes qui mourront les uns après les autres. Les personnages, en essayant de lutter contre ce parasite, vont nier leur propre finitude, ce qui va les conduire à leur mort. Suivant l’objectif du parasite (attirer ou rester discret), la stratégie diffère (être attirant ou se camoufler). Cependant, il s’agit toujours de se déguiser, de prendre une apparence ou de modifier son comportement.

2. Le parasite, maître du langage

À travers l’imitation et la manipulation du langage, le parasite va pouvoir contrôler les flux de communication. En effet, en imitant le style de communication de l’hôte, le parasite se fait accepter voire attire l’hôte dans son piège. Comme le souligne Lucien de Samosate, le parasite est celui qui sait manier l’art du langage. On peut le comparer au sophiste utilisant la séduction de la parole pour arriver à ses fins. Le flux de paroles se substitue à l’acte lui-même et ne va être qu’une parade. Le parasite utilise la polysémie des mots pour tendre des pièges langagiers à ses interlocuteurs. Il imite et utilise plusieurs voix, plusieurs styles pour arriver à ses fins. Le parasite doit être habile dans son langage, mais aussi dans sa gestuelle et son comportement. Il est dépendant d’un groupe et d’une culture dont il connaît les codes sociaux. Un bon parasite français sera peut-être un mauvais parasite chinois. Michel Serres souligne qu’il « est aussi contradictoire de vouloir devenir parasite en demeurant muet, que gigolo en restant vertueux et puceau » (146). Le parasite doit toutefois veiller à utiliser cet outil de communication de manière adéquate. Le Neveu de Rameau, célèbre parasite de Diderot, a été expulsé de la maison de ses hôtes parce qu’il a trop parlé. La conversation entre deux interlocuteurs est un flux. L’objectif du parasite est de diriger ce flux vers lui pour se l’approprier et pouvoir le modifier. Il va véritablement contrôler le dialogue sans que l’on s’en aperçoive. L’art du parasite réside dans ce contrôle qui lui permet de transmettre de fausses informations ou d’interrompre certains discours. Le philosophe Paul-Henri d’Holbach considère que le terme de parasite et de flatteur sont similaires, soulignant que les parasites sont ceux qui « paient en flatterie le sot qui les régale » (130). Dans son comportement, le parasite est très actif. Il dirige subtilement le flux vers lui pour bénéficier d’avantages ou combler certains de ses besoins. Il est donc un véritable perturbateur de la communication linguistique. Dans la pièce de Lucien, à la fin de la rhétorique absurde de Simon, Tychiade veut être l’un des premiers élèves de l’école du parasite. Ce dialogue aux apparences de réflexion philosophique n’est en fait qu’une joute verbale, où le parasite maîtrisant l’art de la rhétorique prend le dessus. Il s’appuie pour cela sur le fond commun de toute la littérature classique, notamment l’Odyssée. Il fait passer Ulysse pour un parasite heureux, en soulignant avec les vers d’Homère « ses mains n’ont pas besoin de semer, de planter, mais il récolte tout sans labour ni semailles » (Lucien de Samosate, 181). De même, il fait de Nestor, le parasite d’Agamemnon ou de Patrocle, celui d’Achille. Quelques siècles plus tard, Diderot écrit Le neveu de Rameau, qui instaure un nouveau débat sur le parasitisme. Deux personnages sont présents dans cet ouvrage et représentent deux forces opposées. D’un côté le « Moi » philosophe qui défend les idées de bien et de beau et de l’autre « Lui », le Neveu de Rameau qui contredit sa philosophie. Ce dernier joue le rôle d’un Socrate ironique, puisque défendant des thèses amorales. Il ne pense qu’à son intérêt personnel et ne comprend pas le « Moi » philosophe, qui souhaite s’élever pour mieux juger. En effet, le Neveu joue la comédie, imite de nombreux personnages. Le Neveu est un maître de l’idiotisme et du raisonnement par l’absurde[3]. Avec lui, on retrouve le discours de Simon dans Le parasite (Lucien). Celui-ci montrait que le parasite était bon comédien et expert dans l’art de la conversation. Le Neveu a les mêmes caractéristiques, puisqu’il va chanter et mimer pour appuyer son discours. Par cette liberté de parole et de réflexion, le Neveu se rapproche du philosophe. En revanche, la rhétorique qu’il emploie l’éloigne de la position du « Moi » philosophe.

Entre nos différents organes, entre nos différentes cellules, il y a une communication qui passe par certaines molécules appelées hormones. Le parasite peut émettre des substances ressemblant à ces messagers pour induire des messages erronés qu’il peut utiliser pour subvenir à ses besoins, c’est un mimétisme moléculaire. C’est le cas du mystérieux « suicide » des grillons. Les nématomorphes sont des vers parasites au stade larvaire. Ils vivent dans certains arthropodes notamment les grillons des bois (Nemobius Sylvestris). Au stade adulte, ils se déplacent librement dans les ruisseaux ou les rivières. Ces parasites font subir au grillon une double manipulation du comportement. Dans un premier temps, le parasite interne va manipuler l’hôte pour qu’il ait un comportement erratique. Lorsque le grillon atteint un point d’eau, une seconde manipulation aura lieu. Le grillon sera attiré par le milieu aquatique, à l’opposé de son instinct de survie. Par sa manipulation, le nématomorphe amènera le grillon à sauter dans l’eau. Ensuite, le ver n’aura plus qu’à sortir de l’insecte hôte et poursuivre son développement, tandis que le grillon manipulé meurt. Ainsi, le nématomorphe, qui provoque le suicide des grillons, va perturber la communication entre les centres nerveux de son hôte. Les chercheurs ont démontré que certaines molécules, les Wnt, sont produites par le ver pour entraîner le déclenchement du saut dans l’eau. Le grillon produit naturellement ces protéines Wnt, qui ont de très nombreuses fonctions ; elles ne sont pas identiques à celles du ver mais le mimétisme est suffisant pour entraîner une manipulation du comportement. Le nématomorphe falsifie donc ces molécules pour les utiliser comme des clés facilitant la manipulation du grillon (Thomas et al.).

Le parasite est donc un maître dans l’art de la communication. Michel Serres commente à propos d’une scène de Tartuffe : « C’est le désordre à la cour du roi Pétaud. Nul ne peut plus parler que madame Pernelle, la circulation va d’elle aux autres, sans retour. L’hôte revient, n’écoute pas et ne demande qu’une chose » (332-333). Cette scène est celle où Orgon, alors qu’Elmire est malade, ne répète qu’une seule phrase : « Et Tartuffe ? » (Molière, 12). Seule la santé de son parasite le préoccupe. Ainsi, même absent, il entraîne un bruit dans l’échange entre les membres de la famille. Ce brouillage lui est profitable. Il ne crée des liens que pour mieux les parasiter.

II. Inquiétante familiarité du parasite

À cause de sa stratégie mimétique, le parasite fait surgir chez l’hôte un sentiment d’inquiétante étrangeté, que nous pouvons rapprocher du concept freudien d’Unheimliche. Freud aurait intégré cette expression dans sa philosophie après un voyage en train. Alors qu’il allait discuter avec un contrôleur, il se leva et vit un homme avec une silhouette inquiétante bien que connue. Après quelques minutes, il s’aperçut que ce n’était que son reflet que renvoyait la vitre de la porte. Ainsi, l’Unheimliche est le retour du semblable, ce n’est qu’un reflet. Le côté inquiétant n’est pas le fait qu’il n’est pas connu, au contraire, c’est qu’il réactive des souvenirs d’un élément familier refoulé. Celui-ci est ramené à la conscience par un objet, une impression ou une figure. Le refoulement entraîne la transformation d’un affect en angoisse. Qu’il soit traumatique ou non, le retour du refoulé se voit chargé d’angoisse. L’inquiétante étrangeté est donc plutôt une inquiétante familiarité. Pour construire le concept de l’Unheimliche, Freud s’est basé sur la nouvelle de Hoffmann, L’Homme au sable. L’inquiétante familiarité est présente dans cet ouvrage dans le personnage de Coppélius qui va déclencher les crises de folie de Nathanaël. Le mimétisme parasitaire entraîne la survenue de ce sentiment ambigu.

De manière comparable, dans la nouvelle de Le Fanu, Carmilla réactive chez Laura un rêve qu’elle avait fait enfant. Dans ce cauchemar, une bête monstrueuse lui sautait dessus et plantait ses dents dans sa gorge. Ce faux rêve correspondait en fait à une vraie attaque du vampire. La réactivation de ce rêve enfantin prouve qu’il a été refoulé car traumatique pour l’enfant. Le surgissement de ce souvenir entraîne une angoisse profonde. Ainsi, le parasité porte en lui ce parasite dont l’apparition fait surgir le passé refoulé. Le refoulement ne l’élimine pas, il ne fait qu’entraîner son surgissement dans une durée inconnue. Si le parasite n’est pas détruit, il peut amener à une fragmentation du moi voire à une destruction de son identité. Les sentiments de Laura sont ambigus lorsqu’elle voit Carmilla. Elle dit : « J’étais effectivement, selon ses propres termes, « attirée vers elle », mais j’éprouvais aussi une certaine répulsion à son égard. Néanmoins, dans cet état d’âme ambigu, l’attirance l’emportait de beaucoup » (Le Fanu, 39-40). Dans Le Horla de Maupassant, le personnage principal sent autour de lui la présence d’un être supérieur et fantastique. Le personnage principal se représente ce dernier comme un être qui boit sa vie. Il va inventer de nombreux stratagèmes pour s’en débarrasser, le conduisant petit à petit à la folie. Il ira même jusqu’à brûler sa maison et les domestiques qui étaient à l’intérieur. Au-delà de l’aspect fantastique de ce roman, on peut y lire une analyse de la folie et de la perte d’identité. En effet, il est véritablement dépossédé de lui-même et se fait dominer par une entité, étrangère et parasite, qui lui enlève même son reflet. Le mimétisme du parasite correspond à l’altération de l’identité de l’hôte. En effet, si l’imitation arrive à un point tel que l’hôte n’a plus d’identité, ce dernier ne peut plus déterminer ce qui fait partie de lui et ce qui est étranger. La scène du miroir dans Le Horla est révélatrice sur ce point :

Je me dressai, les mains tendues, en me tournant si vite que je faillis tomber. Eh bien ?… on y voyait comme en plein jour, et je ne me vis pas dans ma glace!… Elle était vide, claire, profonde, pleine de lumière ! Mon image n’était pas dedans… et j’étais en face, moi ! Je voyais le grand verre limpide du haut en bas. Et je regardais cela avec des yeux affolés ; et je n’osais plus avancer, je n’osais plus faire un mouvement, sentant bien pourtant qu’il était là, mais qu’il m’échapperait encore, lui dont le corps imperceptible avait dévoré mon reflet. (50)

La création d’une créature parasite comme le Horla ou celle d’un double, autre moi plus fort et plus intégré socialement, n’est que l’angoisse fondamentale de n’être que soi, c’est-à-dire d’être limité et de prendre conscience de sa propre finitude[4]. Dans ce cas-là, la créature vampirique ou le double peut apparaître comme un autre être en soi, donc une expansion de ses capacités. La création d’un double fantastique est une espèce d’assurance contre la mort et contre sa propre finitude. Comme l’indique Freud, l’Homme ne reconnaît pas sa fin :

Notre biologie n’a pu encore déterminer si la mort est une fatalité nécessaire inhérente à tout ce qui vit ou seulement un hasard régulier, mais peut-être évitable, de la vie même. La proposition : tous les hommes sont mortels, s’étale, il est vrai, dans les traités de logique comme exemple d’une assertion générale, mais elle n’est, au fond, une évidence pour personne, et notre inconscient a, aujourd’hui, aussi peu de place qu’autrefois pour la représentation de notre propre mortalité. (24)

Le mécanisme mimétique pourrait donc être un système de défense qui amène à la création de cet autre soi en prenant pour modèle une vision idéalisée de l’homme fort, puissant et immortel. Or, comme on le voit dans Le Horla, cet autre soi halluciné engendre un parasitisme de l’esprit et du corps, une destruction de son identité et de son soi véritable. En effet, même son reflet dans un miroir n’existe plus.  En souhaitant lutter contre la mort par la création d’un autre soi plus fort, avec des capacités supérieures, nous nous retrouvons avec une terrible fragmentation de notre soi engendrant la destruction de notre identité propre. Le parasitisme amène à réifier le soi, il brouille l’identité de l’hôte et fait voir le soi comme une chose. Cette mécanique est due à l’autre soi extériorisé en une créature parasite, qui enferme le moi en le réifiant. Le soi devenant une chose, il peut être déplaçable et modifiable. L’auto-parasitisme amène donc à un enfermement psychologique. Dans Le Horla, le narrateur ne voit qu’une solution pour échapper à l’emprise de cet être halluciné, c’est la mort, la destruction finale et ultime de son identité. Le mimétisme du parasite entraîne pour conséquence l’apparition de ce sentiment d’inquiétante familiarité. Le Horla est terrifiant, non parce qu’il est monstrueux mais parce qu’il est proche, intimement lié à l’hôte. Il en est de même pour le célèbre lapin du film Donnie Darko (Kelly). Le héros de ce film, un adolescent troublé, est suivi par un lapin qui lui donne des ordres. Ce lapin humanoïde morbide est un double, terrible et inquiétant, précipitant l’adolescent vers une fin inéluctable. Le parasite mimétique tentant de ressembler à un humain révèle la finitude de l’hôte. Nous nous retrouvons donc avec un bénéfice indirect de la relation de parasitisme, le parasite jouant le rôle d’un miroir pour l’hôte.

III. Bénéfices et frontières floues de la relation de parasitisme

Revenons sur l’histoire du concept de parasite qui est devenu péjoratif au fil du temps. Cicéron déjà traitait les imposteurs ou les importuns de parasites. Le terme parasite a été introduit dans la langue française au XVe siècle. Il était défini comme l’invité mangeant à la table des riches pour les divertir.  Au XVIIe siècle, Jean de la Bruyère évoque les courtisans à la cour du roi qui souhaitent avoir une meilleure chambre ou de bons dîners. C’est au siècle suivant que le terme va désigner plus largement ce qui est superflu et encombrant. Ainsi, il s’emploie non seulement pour les êtres humains, mais aussi pour des mots ou des expressions. Au XVIIIe siècle, le parasite se classe et se décrit également dans les traités d’histoire naturelle. Ainsi, dans son Traité élémentaire de l’histoire naturelle des animaux, Cuvier classe les puces, les poux et les morpions dans la catégorie des insectes parasites. Au XIXe siècle, Pierre Larousse va définir le terme dans son Grand Dictionnaire Universel. Victor Hugo va insister sur le côté « pique-assiette » du parasite notamment avec cette citation : « Malheur à qui veut être parasite, il sera vermine » (Les Misérables, 146). La définition que Hugo propose insiste sur le côté non productif du parasite, son aspect d’individu hors de la société et son côté marginal. Ainsi, il décrit le parasitisme comme « l’état de tous ceux qui consomment sans produire, ou qui ne produisent que des choses inutiles ou nuisibles ». Ainsi, étymologiquement, le terme parasite est passé d’une connotation plutôt positive à une connotation négative ; de celui qui mange « à côté de », il est devenu celui qui mange « aux dépens de ». Dans le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle, il est écrit que « les parasites sont les êtres que leur état d’organisation oblige à puiser chez des espèces différentes les éléments de la vie ». Le Grand Dictionnaire Universel cite d’ailleurs des parasites célèbres tels Pierre de Montmaur, décrit comme un « bel esprit et fameux parasite » (Larousse, 368). Au XXe siècle, le terme « parasite » conquiert un domaine en pleine expansion : la communication à distance. Ainsi, dans l’édition de 1932 du Larousse du XXe siècle, le terme désigne les « perturbations qui troublent la réception des signaux de télégraphie sans fil ». La relation de parasitisme est évoquée avec l’utilisation du terme de virus en informatique, le virus étant un parasite. Maurice Fichet décrit le virus comme une séquence codée de quelques octets qui s’exécute à l’intérieur de l’ordinateur et entraîne des dysfonctionnements du système central ou des systèmes périphériques. Selon lui, le fonctionnement du virus informatique ressemble à celui d’un virus biologique, notamment au niveau de la transmission. La signification du terme « parasite », utilisé aujourd’hui essentiellement en biologie, en médecine et dans les sciences de la communication, n’a pas beaucoup changé ; c’est plutôt sa connotation morale qui s’est modifiée. Ainsi, au vu de ce changement de sens dans le terme de parasite, il est légitime de se poser la question des bénéfices que peut apporter le parasite. En effet, directement ou indirectement, le parasite peut procurer des avantages à l’hôte. Ainsi, cet être mimétique reflète par sa stratégie l’identité de l’hôte. Il agit comme un miroir amenant les parasités à modifier leur relation, à dénicher des parasites plus dangereux ou à remettre en cause le système. Comme l’indique Michel Serres, les frontières sont perméables, le parasite peut devenir hôte et l’hôte parasite. Il y a un véritable continuum entre parasitisme et hospitalité.

1. Le parasite est un miroir

Comme indiqué plus haut, le parasite reflète notre identité. La relation entre parasite et hôte permet à l’identité de chacun de ressortir. C’est l’aspect durable de ces relations, différent d’une simple rencontre, qui permet à la conscience de soi d’apparaître. Le parasite n’est pas un objet ou un individu. En revanche, étant une relation, il est dynamique et permet de souligner l’identité des individus qu’il réunit. Surtout, il montre que l’identité n’est pas unique, qu’elle est multiple et mouvante. Le sujet en compagnie du parasite doit donc en permanence réévaluer son identité, ses buts, ses valeurs. Le parasite est un outil de la déconstruction de l’identité du sujet. La célèbre phrase de Rimbaud « car je est un autre » indique la multiplicité de l’identité du sujet. Ainsi, Nietzsche va opposer au « je pense donc je suis » de Descartes, le fameux « quelque chose pense »:Selon Nietzsche, il n’est pas sûr qu’il faille distinguer le sujet du verbe comme il ne serait pas juste de distinguer l’éclair de son éclat. Le parasite tisse un lien entre les individus et relie le collectif par la révélation des relations. Le parasite abandonne donc sa condition individuelle pour devenir un quasi-objet jusqu’à ce que lui-même se fasse parasiter. En effet, tout quasi-objet est conçu comme mélange de formes, d’objets, d’humains et de non-humains. Le parasite en utilisant une stratégie mimétique se mélange, s’hybride avec différents objets[5]. Il n’est pas permanent, fixé dans une forme unique et il n’est propriété de personne. Prenons l’exemple d’un chef dans un groupe. Finalement, ce chef n’est que la représentation du collectif. Chaque membre du groupe abandonne son individualité dans ce quasi-objet que représente le chef, comme l’indique Hobbes : « une multitude d’hommes devient une seule personne quand ces hommes sont représentés par un seul homme, de telle sorte que cela se fasse avec le consentement de chaque individu singulier de cette multitude ». Malgré le consentement des autres individus, le chef les parasite en leur prenant leurs identités. Cependant, c’est bien la communauté qui lui permet d’être à cette position. Plus que le groupe, le chef représente la relation entre les membres. S’il conserve trop longtemps sa position, il devient un dictateur. Il supprime l’existence des autres membres du groupe. Le parasitisme devient donc total. Cependant, même dans ce cas, le parasite tyran se fait parasiter par d’autres. Le parasite pour jouer son rôle doit vivre « à côté de » ; il doit donc être le plus proche possible de son hôte. Comme dit précédemment, le parasitisme demande une spécialisation, c’est un travail difficile d’approche de l’hôte, n’importe qui ne peut donc devenir le parasite d’un hôte donné. Le parasité doit être prédisposé à se faire parasiter. Par exemple, Orgon, à cause de son narcissisme est une cible facile pour la séduction de Tartuffe. Cette faiblesse permet à ce dernier de parasiter la famille. Ce trait de caractère est particulier à Orgon ; ainsi Elmire et Cléante ne sont pas sensibles au charme de Tartuffe. Avant même de rencontrer le parasite, le parasité porte donc des traits de caractère qui vont faciliter la relation de parasitisme. Cependant, ces traits de caractère peuvent aussi empêcher le parasitisme. Le côté bénéfique du parasite est cette révélation du véritable être du ou des hôtes. Ce double aspect du parasitisme, à la fois révélateur et destructeur, est très important. À partir de cette configuration, le parasite peut transformer et modifier n’importe quel système vers une autre structure. Ainsi, Michel Foucault évoque le parasitisme du Neveu de Rameau comme étant « dans la vieille parenté des fous et des bouffons», suggérant de « lui restituer tous les pouvoirs d’ironie dont ils avaient été chargés. Ne joue-t-il pas dans la mise au jour de la vérité le rôle d’inattentif opérateur, qui avait été si longtemps le sien au théâtre et que le classicisme avait profondément oublié ? » (340).

Le parasite fait surgir la vérité qu’on veut lui cacher. Le parasite rend visible et intelligible le fonctionnement des rapports entre les êtres. Une relation de parasitisme peut amener à découvrir une chaîne complexe de parasites. Ainsi, dans Les temps difficiles (le dixième roman de Charles Dickens, publié en 1854), la famille Gradgrind héberge une jeune fille nommée Sissy. C’est une saltimbanque et un parasite de la réussite sociale de Gradgrind. Pourtant, cette dernière sauvera la famille en permettant de démasquer un parasitisme beaucoup plus discret et latent, celui de la gouvernante Mrs. Sparsit et de l’aventurier James Harthouse. Le parasite le plus visible a ainsi démasqué une chaîne de parasites à l’intérieur de la famille. Ainsi, le parasite est un perturbateur pour l’ordre établi, mais aussi pour les autres relations de parasitisme. C’est un transformateur qui amène une dynamique dans le système. Or, si la société est elle-même un dispositif parasitaire, le parasite isolé amène un mouvement dans un ensemble de déplacements complexes. Le système devient donc chaotique. Comme le souligne Michel Serres,  « le désordre est la fin des systèmes et leur commencement. Tout va toujours vers le chaos et tout en vient parfois » (228).

2. Continuum du parasitisme à l’hospitalité

Le cousin Pons de Balzac, et Alcibiade de Platon, sont des parasites, même s’ils se font parasiter eux-mêmes par leur hôte. La frontière entre parasitisme et hospitalité est donc mince. Les hôtes et les parasites ont des interactions variées et de sens différents. Par exemple, un parasite social peut parasiter un hôte en vivant chez lui, mais l’hôte peut lui-même parasiter le parasite en lui volant des objets en sa possession. D’autre part, un parasite social peut avoir des parasites biologiques qui modifieraient sa relation de parasitisme avec son hôte en l’affectant physiquement ou mentalement. Il faut prendre en compte ce parasitisme ayant lieu entre différents domaines dans les réseaux de communication. D’autre part, il ne faut pas oublier que le parasite dépend de l’hôte. Cette dépendance est un point faible exploitable par l’hôte. Ainsi, la cuisinière des Mouret, dans le roman de Zola La conquête de Plassans, fait subir différents sévices au mari. En effet, « elle lui passait les assiettes fêlées, lui mettait un pied de table entre les jambes, laissait à son verre les peluches du torchon » (281). En réponse au parasitisme du mari, la cuisinière va  profiter de sa dépendance pour le punir. L’hôte peut donc réagir face à une situation de parasitisme en attaquant directement le parasite. Cependant, si cette relation devient durable et que c’est le parasite qui devient l’exploité, l’hôte se transformera en parasite.

Du côté de la biologie, nous avons des relations intéressantes qui montrent le continuum entre parasitisme et mutualisme. Certaines espèces de fourmis vivent comme des mutualistes avec une espèce d’acacia. Elles le débarrassent des prédateurs herbivores et des plantes invasives qui peuvent le gêner dans sa croissance. En échange, l’arbre leur offre le couvert par la sécrétion de substances sucrées et l’abri, avec son tronc creux. Or certaines fourmis vont tricher et devenir des parasites. Elles ne vont consommer que les substances sucrées, sans user de l’énergie pour défendre l’arbre. Dans ce cas-là, l’arbre va répliquer avec la même technique contre les fourmis, il va cesser de produire la substance sucrée. Cette punition permet à l’arbre de stopper net tout parasitisme. Ainsi, l’utilisation des mêmes techniques que le parasite permet d’éviter le parasitisme ou en tout cas de le réduire. Le répit n’est toutefois que temporaire, le parasite pouvant revenir sous une forme plus dangereuse. La relation entre l’hôte et le parasite est donc instable. La moindre modification dans l’environnement, dans les facteurs physiques et chimiques ou dans les relations avec les autres espèces, remanie l’association pour prendre une forme différente. La fragilité de cette relation mutualiste devenant parasite souligne la rareté de l’altruisme dans les relations. En effet, le mutualisme n’est pas une relation due à la « générosité » de deux acteurs mais une exploitation équitable de l’un par l’autre et inversement. Par exemple, l’orchidée Angraecum sesquipedale a des nectaires (glandes excrétant le nectar) très importants. Ainsi, la pollinisation de cette plante ne s’effectue que par une espèce de papillon spécifique Xanthopan morgani, qui a une très longue trompe. Le papillon, en venant chercher le nectar, emporte avec lui du pollen. Si l’accès à cette substance est trop simple, le papillon n’emmènera pas le pollen. La plante ne se soucie donc pas de nourrir le papillon, cette caractéristique n’est destinée qu’à augmenter la dispersion de son matériel génétique. D’autre part, le papillon ne « souhaite » pas transporter le pollen, il veut juste se nourrir. Pourtant, cet égoïsme croisé forme une relation bénéfique pour les deux protagonistes (Wasserthal).

Dans un système, le parasite est en même temps une perturbation à son fonctionnement et une dynamique. Le parasite est donc un être ambivalent qui construit en détruisant et détruit en construisant. Prenons comme exemple d’hôte un mollusque du nom de Austrovenus stutchburyi. Sa coquille dure permet la colonisation par de nombreuses espèces d’invertébrés benthiques. Ce mollusque se fait parasiter par un trématode Curtuteria australis. Les mollusques parasités vont présenter un pied atrophié et ne vont plus être en capacité de s’enfouir dans la vase. À cause de ce symptôme de la parasitose, les mollusques vont être visibles et seront plus aisément capturés par les oiseaux. Ainsi, nous avons dans les écosystèmes, deux catégories de mollusques, ceux avec un pied atrophié qui restent à la surface de la vase et ceux qui n’ont pas ce symptôme et qui pourront s’enfouir. Les mollusques en surface vont constituer un nouveau type de substrat pour les populations d’invertébrés. Il y aurait une colonisation différente des mollusques. En effet, par exemple, les anémones de mer iraient davantage sur les mollusques enfouis et les patelles seraient en plus grand nombre sur les mollusques en surface. Ainsi, le parasite va créer un nouveau microsystème qui va permettre de favoriser d’autres espèces. Ce parasite est donc un véritable ingénieur de l’écosystème. En détruisant ou en modifiant son hôte et ses relations avec le monde extérieur, il transforme l’environnement et les autres espèces y évoluant. Il est donc bénéfique pour certaines espèces qui vivent autour de l’espèce hôte (Allison). Ces études sont originales en parasitologie car elles ne présentent pas le parasite comme seulement lié aux conséquences parasitaires à l’intérieur d’un organisme. Ces recherches pour mieux connaître le potentiel d’ingénieurs de l’écosystème des parasites permettraient de mener des réflexions intégratives sur la conservation des écosystèmes. Le parasite peut donc apporter des bénéfices dans un système. Pire, nous avons même des hôtes qui recherchent leurs parasites. Ainsi, dans le roman de Louis Reybaud publié en 1846, Jérôme Paturot à la recherche d’une position sociale, le personnage principal souhaite atteindre de hautes fonctions politiques. Paturot conquiert le pouvoir grâce au recrutement de parasites. En effet, pour se faire élire, il attire les électeurs par des repas. Le fait d’avoir de nombreux parasites, de se faire littéralement parasiter et piller, procure à Paturot un pouvoir suffisant pour se faire élire. Pourtant, le dépouillement qu’il subit fait dire à Paturot que « les nuées de sauterelles ne laissent pas plus de traces dans les steppes asiatiques qu’un passage d’électeurs au sein d’une maison » (Reybaud, 321).

Conclusions

À travers ces différentes stratégies, le parasite apporte donc des conséquences néfastes (destruction de l’identité, par exemple) mais aussi des bénéfices. Finalement, le parasite est-il  un mal ou un bien ? C’est une question sans réponse, car le parasitisme est une dynamique, à un moment destructrice, à un autre créatrice. Le parasite dans la structure d’accueil peut amener à l’apparition d’un ordre nouveau soit constructeur, soit destructeur. Acteur positif et négatif, le parasite est donc un être paradoxal, un système rempli de systèmes. Faut-il exclure le parasite ? Une question qui n’amène pas une réponse unique. L’exclusion du parasite ou de l’hôte est aussi l’exclusion de soi-même. Edmond Jabès souligne ainsi qu’ « exclure l’autre, c’est en quelque sorte s’exclure soi-même, car le refus de la différence conduit à la négation d’autrui et de soi » (24). De même l’hôte, en niant le parasite, en le refoulant et en essayant de l’exclure du système, s’empêche d’être conscient de soi. Le piège de penser que nous pouvons éliminer nos parasites nous enferme et réduit notre liberté de pensée. En restant cloisonnés dans notre système pour éviter les parasites, nous restons dans le cadre du système social, philosophique ou religieux sans chercher de nouveauté, sans expérimenter par nous-mêmes. L’acceptation du parasite et du parasitisme peut être une solution pour réduire les effets néfastes de la relation. Le parasite chassé revient toujours sous une autre forme. Dans la fable de La Fontaine, Le jardinier et son seigneur, ce sont les lièvres qui parasitent le jardin. Le jardinier prie son seigneur de les chasser. Ce dernier, avec ses soldats affamés, pillent le jardin et font plus de dégâts que le lièvre n’en aurait fait. Ainsi, le lièvre parasite le jardin et lorsqu’il part, un autre parasite prend sa place. Le parasite féodal faisant beaucoup plus de dégâts « en une heure de temps que n’en auraient fait en cent ans tous les lièvres de la province ».  Comme l’indique Michel Serres, « [l]e parasite est bien ce refoulé, ce chassé qui revient toujours. Voyez les rats, voyez le lièvre. » (107) Comme indiqué ci-dessus, le parasite revient toujours sous une forme différente, quelquefois plus terrible et dévastatrice. C’est ce qu’Aristote souhaite décrire lorsqu’il évoque l’histoire suivante :

Un renard, qui traversait un fleuve, fut entraîné dans une crevasse du rivage. Ne pouvant en sortir, il se tourmenta longtemps et une multitude de mouches de chiens ou tiquets, s’acharnèrent après lui. Un hérisson, errant par là, l’aperçut et lui demanda avec compassion s’il voulait qu’il lui ôtât ces mouches. Il refusa ; le hérisson lui ayant demandé pourquoi : « C’est que celles-ci, dit-il, sont déjà gorgées de mon sang et ne m’en tirent plus qu’une petite quantité mais, si tu me les ôtes, d’autres mouches, survenant affamées, suceront ce qu’il me reste de sang. »

Le parasite est un espace de transformation, un paradoxe dynamique, engendrant une complexité qui relie véritablement les êtres vivants en dépassant les catégories et les cadres. Il est cet étrange étranger, cet autre soi mystérieux. Il attire comme « un jouet séduisant », il effraie comme un trésor terrible. Proche de la nature, il nous révèle.

Ouvrages cités

Allison F.R., « Life cycle of Curtuteria australisn. sp. (Digenea: Echinostomatidae: Himasthlinae), intestinal parasite of the South Island pied oystercatcher », New Zealand Journal of Zoology, n°6, 1979, p. 13-20.

Aristote, Rhétorique, livre II, chapitre 20, Paris, Flammarion, 2007.

Bagnolini G., Essai sur le parasite, Paris, éditions Terre d’auteurs, 2016.

Cornet S., Nicot A., Rivero A., Gandon S., « Malaria infection increases bird attractiveness to uninfected mosquitoes », Ecology Letters, no. 16, 2013, p. 323-9.

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ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XVII


[1] Dans Figures du parasite, publié en 2001.

[2] Cet article fait partie d’un projet de recherche plus vaste. Voir Bagnolini G., Essai sur le parasite, 2016.

[3] Un idiotisme est une construction particulière propre à une langue qui porte un sens par son tout et non par chacun des mots qui la composent. Par exemple, « couper l’herbe sous le pied » ne veut rien dire si on prend les mots un par un. En revanche, celui qui connaît la formulation comprendra le message.

[4] De 1877 jusqu’à sa mort, Maupassant souffrira de la syphilis ce qui perturbera son rapport au monde et au soi. L’écrivain était donc lui-même la proie à un parasite biologique qui lui fit imaginer un parasite littéraire.

[5] Ce concept est d’abord utilisé par Michel Serres puis par Bruno Latour. Comme exemples de quasi-objet, Latour mentionne : le trou d’ozone, le réchauffement climatique, la bombe démographique, les systèmes de parenté, l’ethnomédecine, les sacrifices, le culte des ancêtres, la génétique, la cosmologie, une centrale nucléaire, une carte du génome humain, un métro sur pneu, un feu de bois, une charrette, des esprits visibles dans le ciel, un cluster de galaxies, etc. (145)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Guillaume Bagnolini
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