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Discours de réception d’Édouard Estaunié à l’Académie française : définitions croisées de la persona d’un académicien scientifique

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Portrait d’Édouard Estaunié en 1882. (C) Collections de l’École Polytechnique
Introduction
En 1911 est créé le « Grand prix de Littérature de l’Académie Française », qui est symptomatique de l’évolution du rôle que l’Académie est appelée à jouer dans la société française. Si la mission fondatrice de l’Académie Française était, d’après ses statuts de 1635, de « travailler, avec tout le soin et toute la diligence possibles, à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences[1]», ce prix, qui compte à son palmarès « de grands noms de la littérature, de Romain Rolland à Henry de Montherlant, Jean Paulhan, Jules Supervielle ou Marguerite Yourcenar[2]», montre l’importance prise par les « belles lettres » dans l’esprit des immortels. Il ne s’agit plus simplement d’élaborer une langue savante propre à remplacer le latin, mais de distinguer certaines œuvres pour leur qualité artistique. En utilisant la notion définie par Marcel Mauss[3], il est alors naturel de se demander quelles répercussions sur la définition de la persona de l’académicien cette nouvelle mission peut avoir. En particulier, quelle peut être la place d’un scientifique dans une institution qui prétend décerner des prix littéraires prestigieux ? Si son expertise, nécessaire à l’élaboration du dictionnaire, est reconnue par tous, sa sensibilité artistique, elle, ne va pas de soi, et appelle à une démonstration.
La figure d’Édouard Estaunié[4], qui mène de front une carrière scientifique de haut fonctionnaire dans les PTT et une carrière littéraire de romancier, est dans ce contexte particulièrement intéressante à étudier. Quelle définition d’« écrivain scientifique » faut-il en effet lui appliquer ? Comme auteur de plusieurs traités et inventeur du terme « télécommunications », est-il un simple « scientifique […] qui aurait publié son savoir dans des livres », selon l’acception du terme issue du XIXème siècle qu’a développée Nicolas Wanlin[5] ? Ou bien faut-il lui appliquer la définition, plus moderne et universitaire, d’« auteur de fiction ayant une formation scientifique »5 ? C’est bien ici la réponse des académiciens eux-mêmes à cette question qui nous intéresse et que nous allons étudier à travers les différents discours académiques qui entourent le passage d’Édouard Estaunié dans cette institution.
En plus de la tension entre science et littérature, il existe également une opposition entre ingénieurs et professeurs d’universités, qui s’est particulièrement développée en France avec la création et le développement de l’École Normale Supérieure, en opposition avec l’École Polytechnique[6][7]. On peut alors se demander comment, en tant qu’ingénieur polytechnicien, Estaunié est perçu par ses pairs de l’Académie et de quelle manière il assume lui-même sa condition dans son discours. Comme nous le verrons, cette distinction entre science « appliquée » et science « pure » est fondamentale dans la définition de la persona de l’académicien scientifique, terme qui désignera simplement pour nous un membre de l’Académie Française ayant une formation scientifique et exerçant un métier en rapport avec la science. Estaunié, en tant qu’ingénieur, doit donc d’une part défendre son statut d’écrivain en se démarquant de la figure des académiciens scientifiques « classiques » qui n’ont aucune prétention littéraire, et d’autre part, au sein même de cette catégorie d’académicien scientifique à laquelle il appartient malgré tout, mettre en valeur son statut de « savant » par rapport à celui de « haut fonctionnaire ».
Comme l’a montré Arnaud Saint-Martin[8] pour l’Académie des Sciences, les discours académiques constituent l’un des lieux privilégiés de définition de la persona d’une identité collective. Cela tient d’abord à l’autorité conférée à l’académicien, qui découle à la fois de son élection par les membres d’une institution prestigieuse et de son hérédité symbolique, exaltée par l’éloge que le nouveau venu fait de son toujours illustre prédécesseur. Cette autorité est réaffirmée de nombreuses fois dans les discours qui nous occupent, comme dans celui d’Estaunié lui-même, qui prend bien soin de souligner que seule une « élite » pouvait apprécier à sa juste valeur « l’intelligence et le goût » de son prédécesseur Alfred Capus, que « le public, résolument, ignora »[9].
Forts de cette autorité, les académiciens peuvent s’attacher à abstraire ce qui fait, selon eux, l’essence de l’écrivain dont ils font l’éloge, afin de la mettre en regard avec leur propre conception des qualités qui font un bon académicien. C’est cet exercice qui constitue le cœur de notre étude, puisqu’il permet à l’auteur de donner sa définition de la persona d’un écrivain scientifique. Trois discours, qui illustrent trois manières différentes de concevoir l’académicien scientifique, ont ici retenu notre attention.
La Réponse de Robert de Flers au discours de réception d’Édouard Estaunié[10], prononcé en 1925, illustre la conception la plus traditionnelle du rôle du scientifique à l’Académie Française, puisque la reconnaissance du talent littéraire d’Estaunié y est ambiguë. Le Discours de réception d’Édouard Estaunié9, parce qu’il s’attache à démontrer l’utilité d’une formation scientifique pour un écrivain et, plus avant, le rôle essentiel des sciences mathématiques dans la « pensée française »,révèle une conception radicalement différente de ce que doit être la littérature. Enfin, le Discours de réception de Louis Pasteur Vallery-Radot[11], successeur en 1946 d’Estaunié au fauteuil 24, nous sera précieux pour étudier la postérité des idées développées par ses prédécesseurs, qu’il reformule vingt ans plus tard dans le contexte de la libération.
I.La littérature: un hobby? La vision de Robert de Flers
Robert de Flers incarne une figure assez classique de l’académicien. Né en 1872, il mène des études de lettres et de droit pour s’orienter vers la littérature et le journalisme. Après ses premiers écrits : une nouvelle, La Courtisane Taïa et son singe vert, un récit de voyage, Vers l’Orient, et un conte, Ilsée, princesse de Tripoli, il se spécialise dans le théâtre et atteint la célébrité. Entré à l’Académie en 1921, il reçoit Édouard Estaunié en 1925, le successeur d’Alfred Capus.
1.Une double carrière éloignant du statut d’écrivain
Dans sa réponse au discours de réception de M. Estaunié[12], Robert de Flers adopte une position ambiguë envers le nouvel académicien. Édouard Estaunié est un polytechnicien de formation, « ayant d’abord choisi la grande route de la science » puis ayant « brusquement bifurqué pour [s’]engager dans une voie nouvelle ». Un tel parcours est présenté comme atypique. Le scientifique qui s’essaie à la littérature est donc suspect. Robert de Flers le souligne dès ses premiers mots lorsqu’il fait remarquer : « Rien n’a pu affaiblir cette impression charmante et confortable, même point le souvenir […] que vous avez été […] directeur de l’exploitation téléphonique ». M. de Flers sous-entend ainsi qu’exercer un métier en rapport avec la science est une forme de handicap pour un académicien qui se veut littéraire, mais que l’Académie, dans toute sa magnanimité, « n’a pas songé, un instant, à [lui] en tenir rigueur ».
Robert de Flers ne nie cependant pas qu’Édouard Estaunié a mené une « carrière d’écrivain » et qu’il possède bien des qualités littéraires. Approuvant d’abord le discours d’une table de travail à qui Estaunié donne la parole dans Les Choses voient et qui assure que « nul n’éprouva plus honnêtement l’angoisse et le bonheur d’écrire », il déclare voir en Estaunié un des « maîtres » de la « littérature contemporaine ». Toutefois, il maintient toute l’ambiguïté de sa position lorsqu’il dit du mot « maître » que « aujourd’hui il n’engage pas à grand-chose ». Il ne peut donc reconnaître pleinement le talent littéraire d’Estaunié.
Il achève de souligner la suspicion qu’il éprouve à l’égard d’Estaunié en rappelant deux faits. D’une part, Robert de Flers fait habilement remarquer qu’Estaunié a « été élu la première fois qu[‘il s’est] présenté, tandis que Victor Hugo ne le fut que la quatrième ». L’Académie a donc fait preuve d’une « accueillante cordialité » et lui a, en quelque sorte, fait trop d’honneurs. D’autre part, Estaunié est présenté comme un individu « entré en littérature » dans une démarche purement scientifique, qui n’a pas abouti par le seul biais de la science, et dont le but était « d’atteindre la réalité profonde des êtres ». Il n’est donc pas un littéraire par vocation, et même après avoir embrassé une carrière de romancier, c’est avant tout le scientifique qui vit en lui.
C’est précisément ce qui est reproché à Estaunié : mener une double carrière « d’écrivain et de haut fonctionnaire » qui met au second plan la littérature. En effet, si Robert de Flers ne tarit pas d’éloges sur la carrière de « fonctionnaire vraiment singulier » d’Estaunié au sein d’une « administration où [il devait] jouer un si grand rôle », il est beaucoup moins généreux en ce qui concerne sa carrière littéraire. Son succès dans l’administration s’explique par le temps conséquent qu’il y consacre, un temps qui inévitablement ne peut être consacré à la littérature. « Tout votre soin, toute votre volonté, vous les avez consacrés à défendre ces deux petites heures quotidiennes, si ardentes et si graves, ces deux petites heures auxquelles le roman contemporain doit l’un ses maîtres » déclare Robert de Flers. Quoi qu’il emploie le terme « maître » dont nous avons déjà vu qu’il était à nuancer, Robert de Flers considère que deux heures par jour ne sont pas suffisantes pour être consacré comme littéraire. À ses yeux, Estaunié n’écrit que pour le plaisir et ne voit dans la littérature qu’une sorte de hobby et non une véritable profession.
Pour Robert de Flers, tout scientifique de formation s’essayant à la littérature est donc suspect. Tout en soulignant les qualités littéraires d’Estaunié, il met en cause son statut d’écrivain en raison du temps qu’il consacre à son métier d’administrateur. Par son discours, Robert de Flers accroît donc la tension qui existe entre science et littérature. En outre, il joue également sur la tension nouvelle qui se dessine entre ingénieurs et savants au cours du XIXème siècle, respectivement hommes de sciences « appliquées » et hommes de sciences « pures ». S’il rappelle qu’Édouard Estaunié a choisi la « grande route de la science », jamais il ne le désigne comme scientifique ou comme savant. Robert de Flers emploie majoritairement le terme de « fonctionnaire », sans manquer de souligner : « Nous avons […] une facilité surprenante à plaisanter les fonctionnaires ». Édouard Estaunié, élu à l’Académie Française pour son œuvre d’écrivain, est donc doublement tourné en dérision dans la réponse de Robert de Flers : il n’est pas vraiment un écrivain et il n’est pas un véritable scientifique mais seulement un administrateur, une classe dont il est facile de rire.
2.Une opposition avec Capus
Robert de Flers, pour illustrer sa conception de l’écrivain de formation scientifique, utilise la figure d’Alfred Capus, le prédécesseur d’Estaunié.Portrait d’Alfred Capus (1857-1922)Capus a lui aussi fait des études scientifiques en intégrant l’École des Mines de Paris. Cependant, il n’a jamais mené de carrière d’ingénieur et a immédiatement commencé par le journalisme. Il s’est ensuite mis à l’écriture de romans et de pièces de théâtre. Bien que ses œuvres romanesques n’aient pas rencontré de franc succès auprès du grand public, tous les académiciens s’accordent à souligner son talent littéraire et le sens profond de ses écrits, y compris Estaunié[13] qui rappelle qu’il était un « romancier rare » dont la pensée véritable n’a pu être pénétrée de son vivant. Comme lui, Robert de Flers indique que son « œuvre était trop limpide pour que l’on en mesurât toute la profondeur », il insiste sur les qualités de Capus, supérieures selon lui à celles d’Estaunié qui, certes, possède « une intelligence vigoureuse et une culture étendue » tandis que Capus se caractérise par un « esprit incomparable, vif, aigu, jaillissant » et possède « tous les dons de l’esprit ». Si Estaunié « force son imagination à comparaître devant sa conscience », Capus « ret[ien]t sans cesse son esprit, le modèr[e], le filtr[e], ayant l’horreur du mot inutile ». La supériorité de Capus sur Estaunié se mesure enfin au poids respectif accordé par chacun des deux hommes à la science et à la littérature : « Vous, Monsieur, vous avez plutôt attendu de la littérature qu’elle vous reposât de la science ; Capus, lui, priait plus volontiers la science de le distraire de la littérature ».
II.De l’utilité de l’éducation scientifique selon Édouard Estaunié
Nous l’avons vu, l’accueil d’Édouard Estaunié, ce haut fonctionnaire qui se pique de faire des romans, est presque moqueur. Cette réponse de Robert de Flers peut être due à la prétention d’Estaunié de sortir du rôle traditionnellement accordé aux scientifiques à l’Académie Française, celui de simple expert qui écrirait moins mal que ses collègues. Voyons maintenant comment Estaunié s’y prend pour justifier sa présence dans l’institution, non en tant que « scientifique écrivant », comme cela pouvait être la norme au XIXème siècle[14], mais en tant qu’écrivain ayant une formation scientifique. La première étape dans une telle entreprise est de montrer les avantages de l’éducation scientifique, une éducation en sciences « pures », comme préparation à la carrière littéraire. La personne d’Alfred Capus, son prédécesseur au fauteuil 24 dont il doit faire l’éloge, se prête particulièrement bien à cette démonstration puisqu’il a lui même reçu une formation d’ingénieur à l’École des Mines.
1.Mise en perspective du problème
Comme l’a montré Stéphane Zékian, le problème de l’équilibre entre science et littérature dans l’éducation est un problème ancien dans la littérature, auxquels de nombreux auteurs se sont déjà attachés[15]. Le point de vue de Pierre Chaussard, dans son Discours sur les principes de l’éducation lycéenne, illustre une certaine méfiance vis-à-vis de l’éducation scientifique qui, si elle devait être exclusive, « laisserait trop de vague dans l’imagination, et la précipiterait peut-être dans les passions que l’étude des Sciences enchaîne ou dirige » [16]. Il se trouve également, dès 1805, des auteurs pour défendre la prééminence accordée aux sciences sur la littérature dans les programmes scolaires, comme Silvestre-François Lacroix qui se demande dans Essais sur l’enseignement en général et sur celui des mathématiques en particulier si « la priorité accordée pendant quelques années aux sciences sur les lettres, dans l’éducation, a été aussi nuisible à ces dernières »[17]. Son argument en faveur de l’enseignement des sciences possède deux volets principaux. Tout d’abord, « le champ qui procure la plus abondante moisson est le plus cultivé », aussi il est naturel que les sciences, qui connaissent à son époque un développement spectaculaire, soient enseignées en priorité. D’autre part, si la « culture des sciences [a] rendu plus rares les grands écrivains, [elle a] multiplié les hommes capables d’exprimer avec netteté et précision des idées justes ». Ainsi, dans l’esprit de cet auteur, l’enseignement de la science a bien été nuisible à la grandeur de la littérature, mais pour le plus grand bien de la majorité de la population, qui a l’esprit plus clair et bénéficie des avancées de la science.
On s’en doute, le point de vue d’Édouard Estaunié sur la question est à l’opposé non seulement de celui de Chaussart mais aussi de celui de Lacroix. La question de l’éducation est récurrente dans son œuvre. Deux de ses premiers romans, L’Empreinte (1896) et Le Ferment (1899), traitent des écueils de l’éducation de son temps, qu’elle soit jésuite ou républicaine. En plus du discours de réception de 1925, nous nous appuierons pour expliciter le point de vue d’Estaunié sur la Préface à l’Histoire de l’École Polytechnique[18], écrite en 1932.
2.La vision originale d’Édouard Estaunié
La première partie du discours d’Édouard Estaunié[19] est consacrée, comme c’est la norme dans cet exercice, à la description des grandes influences subies par Alfred Capus dans sa jeunesse, qui sont censées avoir déterminé son œuvre future puisque, selon l’orateur, « on peut assurer sans grand risque d’erreur qu’à vingt ans, un homme a déjà croisé sur sa route toutes les idées sur lesquelles il échafaudera plus tard sa conception du monde ». Au milieu des origines provinciales de l’auteur, de l’influence de la défaite de 1870 sur son développement personnel et de son presque embarquement pour les colonies, annulé au dernier moment, figure donc l’éducation scientifique. Estaunié commence par le constat, qu’il va ensuite s’efforcer de réfuter, que l’on a « beaucoup médit de la science comme préparation à la carrière littéraire ». Son premier argument, fortement lié au contexte de l’éloge académique, est d’utiliser l’autorité établie des académiciens déjà en poste, parmi lesquels on trouve « d’illustres exemples » de « grands écrivains [qui] ont commencé par l’étude des mathématiques, sans paraître y perdre de leurs qualités natives ». Cet argument complète et précise la force de l’énonciation même, l’éloge, qui transforme toutes les caractéristiques du sujet, et en particulier son passage par les classes préparatoires, en qualités. Comme annoncé, on constate également que le but d’Estaunié est de louer l’éducation scientifique non en tant que telle et pour les masses, comme le faisait Lacroix, mais comme formation d’excellence pour les futurs grands écrivains.
Le second argument repose sur la réfutation de l’idée reçue selon laquelle l’étude des mathématiques nécessiterait des dons innés « accordés à une minorité favorisée », dont le thème récurrent de la précocité[20]), que l’on retrouvera plus loin, est l’un des avatars. Il s’agit donc de réhabiliter la pratique des mathématiques, qui ne sont pas un jeu destiné à quelques enfants prodiges, mais permettent un « séjour dans le domaine du bon sens » et constituent une « région accessible à quiconque consent à en franchir la frontière sans répugnances préconçues, accueillante surtout à qui vient d’un pays tel que le nôtre, où n’ont jamais cessé de régner les pensées et le langage clair ». Cet argument fait de plus référence à la pensée française telle qu’elle est vue par Estaunié, sur laquelle nous reviendrons plus en détail. Pour l’instant, contentons nous de souligner les qualités que Capus, selon Estaunié, doit à son éducation scientifique et qui participeront à la définition de cette dernière. Ces qualités sont la « rigueur », « le goût de la justesse et de la parfaite mesure dans l’expression » ainsi que l’idéal de la recherche et de l’absolu.
On retrouve ce schéma dans la Préface à l’Histoire de l’École Polytechnique[21]. Se présentant dans celle-ci comme un élève médiocre, « entré à un rang détestable, sorti dans un rang à peine honorable, dépourvu à un degré rare de l’imagination mathématique », Édouard Estaunié insiste sur les nombreux bénéfices qu’il a tirés de son passage à l’École Polytechnique. Tout comme il le dPortrait d’Édouard Estaunié en 1922. Agence de presse Meurisse”- Bibliothèque nationale de Franceit de Capus, il affirme avoir tout d’abord appris le travail, l’usage de la raison et le goût de la recherche « pour elle-même » : « Même [les élèves] les moins aptes à goûter la manne mathématique subissent ainsi l’envoûtement d’un pareil culte du vrai pour lui-même. Impossible d’échapper à la poésie profonde des constructions intellectuelles que l’on détaille jour à jour sous leurs yeux ». On voit que l’accent est mis sur l’apprentissage des sciences abstraites et celui de la recherche, vue comme une « incursion désintéressée en pays inexploré ». Pratiquer la science, sans espoir de gain immédiat, voilà ce qui se pratique à l’École Polytechnique, à l’opposé de ce que l’on peut imaginer d’un ingénieur aux préoccupations bassement matérielles. Ainsi l’éducation scientifique forme une armature très profitable à tout esprit, en particulier pour un écrivain français, dont Estaunié nous détaille les qualités dans la suite du discours.
III.Les mathématiques : un élément essentiel de la pensée française
Édouard Estaunié utilise donc l’exemple d’Alfred Capus pour asseoir sa légitimité dans l’institution en commençant par montrer les avantages de l’éducation scientifique en tant que préparation à la carrière littéraire. Mieux encore, il va également montrer que l’écrivain scientifique, au sens d’auteur ayant une formation scientifique, illustre la pensée française et que les mathématiques en sont un élément à part entière.
1.Les valeurs du véritable Capus
De nouveau, Estaunié utilise la figure de Capus. En effet, en tant qu’immortel de longue date, sa légitimité ne peut être remise en cause et il est reconnu qu’il incarne la pensée française. Robert de Flers le rappelle dans sa réponse à Estaunié[22] lorsqu’il précise que Capus répétait souvent une phrase de Rivarol : « Tout ce qui n’est pas clair n’est pas français », avant d’ajouter à son sujet : « Français du Midi, Français de Touraine […] Français de Paris, Français de partout et de toujours. Ah ! qu’il était Français ! » De manière plus directe, il soutient qu’« Alfred Capus, durant quatre années, fit de sa campagne quotidienne du Figaro le chef-d’œuvre de la pensée et de la volonté françaises ». C’est pourquoi Estaunié a à cœur de détailler les valeurs de Capus dans la deuxième partie de son discours[23], pour mieux étayer sa démonstration.
Édouard Estaunié annonce d’emblée qu’il va s’y prendre à deux fois et tracer « deux portraits […] car c’étaient bien aussi deux âmes opposées que le passé [de Capus] venait de préparer » : celui du personnage public et celui du personnage intérieur. L’image qu’Estaunié dresse du personnage public correspond à la vision que le peuple avait de lui. Il s’agit de l’auteur de pièces de théâtre légères, amoureux du hasard, amoureux de Paris, grandement optimiste, dont chacune des œuvres est résumée par la formule simple « tout s’arrange » et qui voit la vie comme un jeu à double sujétion : celle à la chance et celle à l’argent. Toutefois, Estaunié insiste bien sur le fait que ce portrait n’est qu’un « masque » et qu’il correspond à l’image de « ceux qui ne l’ont point approché ».
La « vie toute intérieure » d’Alfred Capus, animée par son âme véritable, est toute autre. Il s’agit du romancier, provincial, « réfugi[é] dans le monde rationnel et au nom de l’absolu affirmant sans indulgence l’absurdité du laisser-vivre » que seule l’élite parvient à appréhender. Capus est en fait un pessimiste et « un stoïcien désabusé » qui a « pris parti de renoncer à la volupté de vivre », étant « assuré que tout aboutit en fin de compte à une heure d’angoisse et de terreurs ». Cette élite observe alors que « le mathématicien, le philosophe épris d’absolu [ne sont] pas morts en lui ». Robert de Flers explique[24] que le « tout s’arrange » n’est en fait qu’un « tout continue » si « par delà les pires accidents […] on sait accueillir leurs conséquences avec un mélange convenable de fatalisme et de volonté ». Pour expliquer un si grand écart entre le personnage privé et le personnage public, Estaunié rapporte une citation d’un personnage de l’Adversaire, à son auteur, Capus : « Il est possible que nous ayons, enfermés en nous, d’autres êtres que nous-mêmes, dont nous ne soupçonnons pas l’existence. De temps en temps, sous des influences mystérieuses, un de ces êtres fait des gestes étranges auxquels nous ne comprenons rien, puis disparaît, et alors il semble que nous avons fait un rêve. »
Estaunié a donc achevé sa démonstration. Capus illustre la pensée que les grands écrivains français développent, écrivains dont certaines qualités sont celles d’un scientifique comme par exemple, la clarté, l’harmonie ou encore la sobriété. Parmi les valeurs de Capus se trouvent les mathématiques, qui jouent un rôle essentiel dans la pensée française.
Il peut paraître surprenant qu’Édouard Estaunié se réfère aux mathématiques qui sont la science la plus pure. Nous l’avons vu, il est ingénieur et haut fonctionnaire, c’est-à-dire un homme de sciences appliquées sans pratique des sciences pures. Toutefois, il semble faire fi de la tension, soulignée par Robert de Flers, entre savants et ingénieurs, pour se présenter à l’Académie comme un véritable scientifique. En effet, toute l’entreprise de légitimation de son statut d’écrivain repose, non pas sur son statut d’administrateur mais sur celui de scientifique, c’est pourquoi il se revendique comme tel.
2.Les sciences, également responsables du pessimisme de la fin du siècle?
Estaunié, dans son discours, s’est attaché à démontrer l’utilité d’une formation scientifique et le rôle essentiel des sciences mathématiques dans la pensée française. Mais si les sciences parent les les grands écrivains français de qualités telles que celles mentionnées par Robert de Flers[25]– « Rien n’y est équivoque ou douteux. Aucune tricherie, ni dans la pensée, ni dans l’expression, mais un charme naturel qui n’exclut point la force et la sobriété, une finesse avisée, une culture d’une richesse prodigieuse […] une verve narquoise et surveillée ; je ne sais quoi d’exact, de sensible et de tempéré dans le jugement, la netteté de l’idée, la précision du style » -, elles seraient également l’une des causes, avec la défaite de la guerre de 1870, de la vague de pessimisme qui s’empare de la France à la fin du XIXème siècle et dont Capus et Estaunié sont deux figures caractéristiques.
En effet, il ne faut pas sous-estimer « à quel point les sciences produisent un imaginaire qui englobe et oriente la façon dont une société conçoit la réalité et perçoit le monde qui l’entoure », comme l’assure Sandrine Schiano-Bennis dans un travail sur Anatole France[26]. Or comme elle le montre, la fin du XIXème siècle est marquée par « un sentiment de saturation intellectuelle » auquel s’ajoute « l’angoisse de la perte des anciens repères dont le caractère absolu est remis en cause par le séisme scientifique ». Le séisme dont il est question n’est pas le fait des sciences absolues comme les mathématiques, mais bien des « sciences fondées sur l’observation et l’expérience » comme l’astronomie, la géologie, la chimie organique, l’histoire naturelle ou encore la science du langage. L’article donne l’exemple des ultimes avancées en physiologie et en biologie qui ont destitué l’homme « de toutes les vertus qui faisaient son orgueil et sa beauté ». Le relativisme introduit par les bouleversements scientifiques de la fin du siècle a ainsi donné naissance à une « forme de scepticisme, parfois de pessimisme », partagée par le stoïcien désabusé qu’est Capus.
IV.De l’éloge comme prétexte au discours politique. La contribution de Louis Pasteur Vallery-Radot
Il serait Portrait de Louis Pasteur Vallery-Radot (1886-1970)intéressant d’étudier la postérité des deux visions détaillées ci-dessus. Laquelle des deux finit par s’imposer ? Comment évolue la persona des scientifiques de l’Académie et que nous révèle-t-elle sur le déplacement de la frontière entre science et littérature ? Afin d’apporter un premier élément de réponse, on peut étudier l’éloge que fait Louis Pasteur Vallery-Radot d’Édouard Estaunié lors de sa réception à l’Académie en 1946[27].
1.Un discours de circonstance
Le contexte de l’après-guerre rend ce discours un peu particulier. L’orateur, de son propre aveu, n’a qu’un intérêt de circonstance pour son prédécesseur (« Je n’avais donc jamais lu que quelques pages d’Édouard Estaunié — pourquoi le celer? ») et, s’il se plie aux règles de l’exercice, c’est pour mieux revenir au thème qui le préoccupe : la reconstruction de la France après l’occupation. Ainsi les éléments biographiques et l’étude des œuvres d’Estaunié sont-ils assez légers et fortement inspirés par les deux discours de 1925. La plupart des citations attribuées à Édouard Estaunié sont soit issues directement du discours de réception de ce dernier, soit reprises de la réponse de Robert de Flers où figurent quelques fragments des œuvres d’Estaunié, ce qui témoigne de la faible connaissance de l’œuvre du défunt par son successeur. De même, certaines anecdotes bibliographiques sont reprises presque mot pour mot. Ainsi Robert de Flers écrivait-il du grand-père d’Estaunié en 1925[28] : « Il ordonna qu’on l’ensevelit en costume du tiers-ordre et lorsqu’on ouvrit son coffre, on y trouva, attestant la frivolité de sa jeunesse et l’austérité de son âge mûr, des bas roses et des cilices. ». Ce qui devient en 1946 : « Lorsqu’il mourut, on fut assez étonné de trouver dans le coffre de sa chambre un cilice et des bas de soie. […] Il fut enterré, en costume du tiers ordre, avec son cilice. » Et, lorsque la vie ou les écrits d’Estaunié ne suffisent plus en eux-mêmes pour servir sa thèse, l’auteur n’hésite pas à convoquer des citations tierces, en précisant, de manière à les relier au thème imposé du discours, que celui-ci « devait [les] aimer ».
Il reste maintenant à voir comment les thèmes qui nous occupent sont convoqués par Louis Pasteur pour les mettre au service de ses préoccupations du moment, bien résumées dans la phrase concluant son discours : « Puisse la France d’aujourd’hui, orgueilleuse d’un passé de vingt siècles, fière de la lutte qu’elle a soutenue pour retrouver sa liberté, et fidèle à l’esprit qui anima Charles de Gaulle, donner à l’humanité en détresse un idéal nouveau, une raison de vivre et d’espérer. »
2.Une conception classique de l’écrivain scientifique
On peut dans un premier temps considérer que Louis Pasteur s’inscrit lui-même dans la tradition des écrivains scientifiques issue du XIXème siècle. Médecin, petit fils de Pasteur, il se définit avant tout comme médecin qui, « élevé dans le culte de la langue française », maîtrise l’art de la composition de textes agréables à lire. Ce qu’il met de l’avant chez lui-même et chez ses aïeux, c’est le « respect du style » qui fait d’eux des « écrivains parmi les plus classiques ». À la différence de ce que l’on avait pu observer pour Estaunié, le médecin ne semble à première vue se réclamer d’aucune prétention artistique. C’est donc sans étonnement que l’on retrouve le thème de la « double vie » de fonctionnaire et d’écrivain menée par Estaunié, qui est avant tout perçu par l’orateur comme un ingénieur pratiquant une science appliquée, et non comme un savant aux préoccupations plus abstraites : « On reste confondu que, malgré une carrière administrative qui aurait dû suffire à absorber tous ses efforts intellectuels, Estaunié ait pu avoir une autre activité » écrit-il ainsi. Dans l’esprit de l’orateur, les catégories de « fonctionnaire administratif » et d’« écrivain » sont suffisamment distinctes pour que la figure d’Estaunié fasse figure d’exception. Fortement lié à cette séparation, on retrouve dans le discours du médecin le thème de la précocité : « Au contraire de l’écrivain, l’homme de sciences ne crée que dans sa jeunesse ». Pour illustrer son propos, Louis Pasteur convoque, parmi d’autres, les figures classiques de Pascal, Carnot et Arago, justifiant son propos par une citation de La Rochefoucauld : « la jeunesse est une ivresse continuelle : c’est la fièvre de la raison… ». Ainsi donc l’écrivain, comme Chateaubriand ou Victor Hugo, a besoin de maturité pour exprimer son talent, tandis que le génie du scientifique repose avant tout sur des capacités innées et sur un état « hors équilibre » de l’esprit.
3.Éducation, instruction et esprit français
Comme en contrepoint à cette séparation entre hommes de sciences et hommes de lettres, entre le statut de haut fonctionnaire et celui de romancier, on retrouve dans le discours du médecin un éloge, fortement atténué par rapport à celui d’Estaunié, de l’éducation scientifique comme préparation à la carrière littéraire. Ainsi, d’après Louis Pasteur Vallery-Radot, « pour quiconque veut s’adonner aux lettres, ces sciences sont une excellente formation ». Le seul argument venant étayer cette affirmation est une longue liste d’une demi-douzaine d’académiciens fameux qui, « fervents de sciences physiques, sont tous de grands écrivains ». Comme pour Estaunié, ce constat mène à un éloge de « l’esprit français » et, au delà, de « l’esprit latin », caractérisé avant tout pour Pasteur par des qualités qu’un fonctionnaire chargé de la reconstruction dans la France de l’après-guerre ne renierait pas: « souci de bien faire », « clarté », « ordre », « logique », « harmonie » et surtout, « mot intraduisible en une autre langue », le « goût ». Cet éloge est prétexte à mettre en garde les académiciens contre les menaces qui pèsent sur cet esprit latin qui, s’il disparaissait, obligerait l’homme à vivre « dans un univers mécanisé, discipliné et uniformisé », défauts qui ne sont pas sans rappeler les poncifs souvent attribués à la civilisation germanique.
Ce détour par les idées d’Estaunié sur l’éducation, on l’a vu, ne sert pas de manière évidente la vision qu’a Louis Pasteur de la persona de l’académicien scientifique ; celui-ci les vide donc de l’essentiel de leur substance pour n’en garder que deux éléments : la pensée française, comme nous l’avons vu précédemment, et la critique du système éducatif de l’entre-deux guerres. Les romans d’Estaunié L’Empreinte et Le Ferment servent ainsi à l’orateur pour dénoncer les travers de l’instruction d’avant-guerre comme causes de « la soumission résignée de certains Français après le désastre de 1940 ». Ce qui lui permet d’exprimer ses propres idées politiques en matière d’éducation : « le premier devoir pour une nation est d’éduquer sa jeunesse, non pas de la former dans un moule national à l’instar des nazis et des fascistes, mais de lui inculquer les principes humains de droiture, d’honneur, de dignité ».
4.Universalité de la pensée
Enfin, malgré toutes les différences formelles que Louis Pasteur Vallery-Radot a mises en évidence entre le scientifique et l’écrivain, le médecin affirme vers la fin de son éloge qu’il « ne voit pas de différence entre l’artiste et le savant ». Si, dans l’esprit de Pasteur, un scientifique comme lui ne pourrait produire que des textes d’une certaine beauté formelle mais sans véritable génie, si inversement un homme de lettres n’aurait pas les dons innés nécessaires aux grandes découvertes scientifiques, les deux types d’hommes se ressembleraient malgré tout beaucoup, en raison des buts communs qu’ils poursuivent. L’artiste comme le savant cherche à « pénétrer le mystère de la matière et de la vie » et, pour l’orateur, « l’exaltation intellectuelle et la sensation artistique ne peuvent être différenciées quand elles ont à leur origine les principes d’harmonie qui régissent l’univers. » La séparation, moderne et effective, des voies de la connaissance en différentes disciplines ayant peu de rapport les unes avec les autres n’empêche ainsi pas l’universalité du savoir humain, dans la tradition de la pensée française de l’entre-deux guerres.
Ce rapprochement a deux autres implications intéressantes. D’une part, il permet à Louis Pasteur Vallery-Radot, qui, dès l’ouverture de son discours, se place dans la lignée de son célèbre aïeul, « savant des plus prodigieux », de se situer lui-même comme homme de science au sens le plus « pur » du terme, tout en s’élevant au rang d’artiste, comme c’est désormais attendu implicitement d’un académicien. D’autre part, si, comme on l’a vu, l’orateur fait prévaloir la figure d’Estaunié ingénieur sur celle d’Estaunié savant, il réhabilite symboliquement son prédécesseur en tant que membre de l’Académie Française en soulignant ses qualités artistiques : « Estaunié, dans cette troisième et dernière phase de sa vie littéraire, se montre un vrai artiste ». Ainsi, pour son successeur, tous les efforts d’Estaunié pour gagner l’estime de ses pairs grâce à la science ont été vains puisque, paradoxalement, ce sont ses qualités d’artiste qui valent à l’académicien les compliments les plus appuyés. Cet éloge d’Estaunié en tant qu’« écrivain français » a presque pour effet de le soustraire à la catégorie d’académicien scientifique revendiquée par Pasteur. Il n’est pas un savant à l’académie mais bien un écrivain, et il rejoint en cela la figure incarnée par Capus dans le discours de De Flers.
Conclusion
Édouard Estaunié, en tant que haut fonctionnaire, doit ainsi lutter contre deux types de préjugés pour pouvoir asseoir sa légitimité d’académicien. Face à l’ironie un peu méprisante de l’écrivain dramatique Robert De Flers, qui ne lui reconnaît de légitimité littéraire qu’en demi-teinte et voudrait cantonner le scientifique à son rôle le plus traditionnel d’expert au sein de l’académie, Estaunié s’efforce de louer l’éducation scientifique comme propédeutique à la carrière littéraire en s’inscrivant dans l’héritage symbolique de son prédécesseur Alfred Capus, dont le talent, étant donné les circonstances, ne peut pas faire de doute. Son discours a donc pour vocation de lui faire passer deux « caps » symboliques : de fonctionnaire, il doit se transformer en savant avant de pouvoir prétendre au statut d’écrivain. Cependant, cette stratégie, qui passe par la louange de la pensée française de l’époque dans laquelle la science joue un grand rôle, ne semble pas convaincre son successeur Louis Pasteur Vallery-Radot. Celui-ci prétend en effet incarner pleinement la figure du savant, qui a selon lui sa partition à jouer au même titre que l’artiste dans le concert universel de la pensée, et exclue le fonctionnaire Estaunié de cette catégorie, pour lui attribuer le statut d’écrivain, indépendamment de toute considération scientifique.
Ainsi, la conception qu’a Édouard Estaunié de l’académicien scientifique fait figure d’exception et ne semble pas avoir eu de réelle postérité. À une époque où la science fait d’incroyables avancées, où elle se spécialise de plus en plus, où le clivage entre science et littérature s’accentue, il devient délicat pour une même personne d’être reconnue pour son parcours scientifique et pour son parcours littéraire, comme cela avait pu être le cas pour des académiciens comme D’Alembert ou Poincaré.
Cette étude pourrait trouver des prolongements dans les deux directions du temps. Tous les discours prononcés à l’Institut étant disponibles sur simple demande, il serait facile d’étudier plus précisément l’histoire et la postérité des thèmes abordés ici, au travers des éloges des académiciens scientifiques par leurs pairs, savants ou non, comme celui de Poincaré par Capus, ou celui de Louis Leprince-Ringuet par Yves Pouliquen. Retracer l’histoire de la définition de la persona des académiciens scientifiques permettrait du même coup d’étudier la place et le rôle que l’Académie Française entend jouer à différentes époques, et la position qu’elle se donne face à un monde scientifique dont l’importance symbolique est croissante.
Annexe : courte biographie d’Édouard Estaunié[29]
Né à Dijon, le 4 février 1862.
Issu d’une famille de la bourgeoisie aisée, Édouard Estaunié est d’abord élève des Jésuites dans sa ville natale, avant de poursuivre ses études à Paris. Il entre en 1882 à l’École Polytechnique et à l’École des Sciences Politiques. Cette formation devait lui ouvrir les portes d’une carrière d’ingénieur dans les Postes et Télégraphes, carrière qu’il achèvera avec le rang d’inspecteur général.
Auteur de plusieurs ouvrages scientifiques (Les sources d’énergie électrique, 1895 ; Traité de communication électrique, 1904), Édouard Estaunié choisit de consacrer ses heures de loisir à la littérature. Il publie ses premiers romans, Un simple et Bonne Dame, en 1891, tableaux de mœurs provinciaux. Viennent ensuite L’Empreinte (1896), satire subtile de la vie dans un collège de Jésuites pour laquelle il puise dans ses propres souvenirs et où s’affirment ses positions anticléricales, Le Ferment (1899), L’Épave (1902), La Vie secrète (1908), Les Choses voient (1913), L’Ascension de M. Baslèvre (1921), Solitudes (1922), L’Infirme aux mains de lumière (1923), Tels qu’ils furent (1927), Madame Clapain (1932).
De roman en roman, Édouard Estaunié se révèle un admirable analyste de l’âme humaine et de ses tourments. Il est élu à l’Académie Française le 15 novembre 1923 au fauteuil d’Alfred Capus, qu’il remporte au troisième tour par 17 voix contre 10 à André Rivoire et 3 à Charles Le Goffic. « Vous avez, lui déclare Robert de Flers dans son discours de réception, le 2 avril 1925, écrit cinq ou six fois le roman de la détresse humaine. ». En 1926, Édouard Estaunié est porté à la présidence de la Société des gens de lettres. Il reçoit Émile Mâle sous la Coupole, en 1928.
Mort le 2 avril 1942.
 
ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XIV
 
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier tout particulièrement Frédéric Brechenmacher, sous la direction duquel ils ont effectué ce travail lors d’un séminaire d’enseignement à l’École Polytechnique. Nous vous remercions pour votre enseignement de qualité qui nous a fait aimer cette matière, ainsi que pour vos conseils éclairés et vos relectures attentives qui ont guidés la rédaction de cet article.
Nous remercions également M. Azzola, archiviste de la bibliothèque centrale de l’École Polytechnique, pour son aide lors de nos recherches bibliographiques, ainsi que le service des archives de l’Académie Française, qui a mis en ligne les discours dont nous avions besoin.

[1] Statuts et règlements de l’Académie Française, article XXIV, 22 février 1635.
[2] Description du prix sur le site de l’Académie Française, URL : <http://www.academie-francaise.fr/les-prix-prix-litteraires/historique>, consulté le 06/09/2014.
[3] Marcel Mauss. « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de « Moi”», Journal of the Royal Anthropological Institute of Great Britain and Ireland, vol. 68 (1938). p. 263-281.
[4] 1862 – 1942. Voir en annexe pour une courte biographie de l’académicien.
[5] Nicolas Wanlin. « Qu’est-ce qu’un écrivain scientifique ? ». Panthéons littéraires et savants XIXème-XXème siècles. Presses de l’Université d’Artois. 2012. p.85-98.
[6] Voir par exemple le travail de Frédéric Brechenmacher sur le cas Galois : « Self-portraits with Évariste Galois (and the shadow of Camille Jordan) ». Revue d’histoire des mathématiques. t. 17, fasc. 2 (2011). p. 271-369
[7] Frédéric Brechenmacher. « Galois Got his Gun ». Prépublication (2011). URL : <http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00630975>, consulté le 06/09/2014.
[8] Arnaud Saint-Martin. « Autorité et grandeur savantes aÌ€ travers les éloges funeÌ€bres de l’Académie des sciences aÌ€ la Belle Époque », GeneÌ€ses n° 87 (2012). p. 47-68.
[9]Édouard Estaunié. « Discours de réception à l’Académie Française » (1925). Disponible sur le site internet de l’Académie Française. URL : <http://www.academie-francaise.fr/discours-de-reception-de-edouard-estaunie>, consulté le 06/09/2014.
[10] Robert De Flers. « Réponse au discours d’Édouard Estaunié » (1925). Disponible sur le site internet de l’Académie Française. URL : <http://www.academie-francaise.fr/reponse-au-discours-de-reception-de-edouard-estaunie>, consulté le 06/09/2014.
[11] Louis Pasteur Vallery-Radot. « Discours de réception à l’Académie Française » (1925). Disponible sur le site internet de l’Académie Française. URL : <http://www.academie-francaise.fr/discours-de-reception-de-louis-pasteur-vallery-radot>, consulté le 06/09/2014.
[12] Robert De Flers. « Réponse au discours d’Édouard Estaunié » (1925). op. cit. Sauf mention du contraire, toutes les citations de cette section sont issues de ce discours.
[13] Édouard Estaunié. « Discours de réception à l’Académie Française » (1925), op. cit.
[14] Nicolas Wanlin. « Qu’est-ce qu’un écrivain scientifique ? », op. cit.
[15] Nous devons à Stéphane Zékian la sélection de textes que nous citons ci-après. Voir en particulier son article : « Siècle des lettres contre siècle des sciences : décisions mémorielles et choix épistémologiques au début du XIXème siècle ». Fabula-LhT, n° 8, « Le partage des disciplines », mai 2011. URL : <http://www.fabula.org/lht/8/zekian.html>, consultée le 06/09/2014.
[16] Pierre Chaussard. Discours sur les principes de l’éducation lycéenne, et les avantages de l’union des sciences et des lettres, prononcé à l’inauguration du lycée d’Orléans, le 16 vendémiaire an XIII. Orléans, Jacob l’aîné, 1804.
[17] Silvestre-François Lacroix. Essais sur l’enseignement en général et sur celui des mathématiques en particulier (1805). Paris, Bachelier, 1838, 4ème ed.
[18] Édouard Estaunié. « Préface ». Histoire de l’École Polytechnique Gauthier-Villard et Cie, 1932.
[19] Édouard Estaunié. « Discours de réception à l’Académie Française » (1925), op. cit. Toutes les citations des deux paragraphes qui suivent sont issues de ce discours.
[20] Voir l’article déjà cité de Frédéric Brechenmacher, « Galois Got his Gun » (2011), op. cit.
[21] Édouard Estaunié. « Préface », op. cit. Toutes les citations de ce paragraphe sont issues de ce discours.
[22] Robert De Flers. « Réponse au discours d’Édouard Estaunié » (1925), op. cit.
[23] Édouard Estaunié. « Discours de réception à l’Académie Française » (1925), op. cit. Sauf mention du contraire, toutes les citations suivantes dans cette sous-section sont issues de ce discours.
[24] Robert De Flers. « Réponse au discours d’Édouard Estaunié » (1925), op. cit.
[25] Robert De Flers. « Réponse au discours d’Édouard Estaunié » (1925), op. cit.
[26] Sandrine Schiano-Bennis. « Entre science et littérature. Au panthéon d’Anatole France ou la profession de foi du relativisme ». Panthéons littéraires et savants XIXème-XXème siècles. Presses de l’Université d’Artois. 2012. p. 171-186.
[27] Louis Pasteur Vallery-Radot. « Discours de réception à l’Académie Française » (1925), op. cit. Sauf mention du contraire, toutes les citations de cette section sont issues de ce discours.
[28] Robert De Flers. « Réponse au discours d’Édouard Estaunié » (1925), op. cit.
[29] Tirée de la page dédiée à Édouard Estaunié sur le site de l’Académie Française, URL: <http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/edouard-estaunie>, consultée le 06/09/2014.
 

 

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