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Savoir de la science et savoir de la littérature. À propos du Docteur Pascal de Zola et de Giacinta de Capuana

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Au XVIIIe siècle, le roman était officiellement considéré comme un genre mineur. « Par un roman, on a entendu jusqu’à ce jour un tissu d’événements chimériques et frivoles, dont la lecture était dangereuse pour le goût et pour les mœurs. »[1] Si le roman commence à devenir un genre « sérieux », c’est, entre autres, grâce à l’emploi qu’en faisaient les « philosophes ». Ceux-ci s’en servaient pour mettre en scène des questions et des problèmes épistémiques. Ainsi, Montesquieu dans les Lettres persanes montre la multiplicité et la relativité des points de vue qu’on peut avoir sur un système culturel donné ; Voltaire dans Candide met en scène l’opposition entre la théorie philosophique et l’expérience pratique ; Rousseau dans La Nouvelle Héloïse raconte une histoire d’amour qui lui sert de véhicule pour présenter des éléments de sa théorie anthropologique. Le rapprochement du domaine de la fiction romanesque et de celui du savoir est renforcé au XIXe siècle. Dans « l’Avant-propos » à la Comédiehumaine, Balzac renvoie à des scientifiques comme Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire afin de conférer à son entreprise la dignité dont elle semble avoir besoin. La conception du roman balzacien repose sur le postulat d’une analogie entre le domaine de la zoologie et celui de la société. « La Société ne fait-elle pas de l’homme, suivant les milieux où son action se déploie, autant d’hommes différents qu’il y a de variétés en zoologie ? »[2] Grâce à cette analogie, le romancier qui, selon Balzac, doit étudier la société devient l’équivalent du savant. Il s’apprête à écrire l’histoire des mœurs.
Émile Zola (1840–1902), chef de file du Naturalisme français et européen, se situe dans la lignée du roman balzacien tout en critiquant Balzac pour avoir été trop peu scientifique. En résumant « l’Avant-propos » de Balzac, il écrit : « Balzac à l’aide de 3.000 figures veut faire l’histoire des mœurs ; il base cette histoire sur la religion et la royauté. Toute sa science consiste à dire qu’il y a des avocats, des oisifs etc [sic] comme il y a des chiens, des loups etc. En un mot, son œuvre veut être le miroir de la société contemporaine. »[3] En radicalisant une tendance qui était déjà annoncée par Balzac mais que celui-ci aurait trop peu réalisée, Zola prétend créer un roman qui soit « purement naturaliste, purement physiologiste »[4]. Il s’appuie, entre autres, sur des conceptions élaborées par Hippolyte Taine, employant des termes comme « race » et « milieu »[5]. Ce qui l’intéresse avant tout, ce sont les lois de l’hérédité[6]. « Je ne veux pas peindre la société contemporaine, mais une seule famille, en montrant le jeu de la race modifiée par les milieux. […] Au lieu d’avoir des principes (la royauté, le catholicisme) j’aurai des lois (l’hérédité, l’énéité [sic])[7]. Je ne veux pas comme Balzac avoir une décision sur les affaires des hommes, être politique, philosophe, moraliste. Je me contenterai d’être savant, de dire ce qui est en en cherchant les raisons intimes. »[8] Ces citations proviennent de notes préparatoires non publiées. Or dans les textes programmatiques publiés, Zola dit grosso modo la même chose. Ainsi, dans Leromanexpérimental (1880), il postule une équivalence totale entre le médecin et le romancier en disant : « […] je compte, sur tous les points, me retrancher derrière Claude Bernard. Le plus souvent, il me suffira de remplacer le mot ‘médecin’ par le mot ‘romancier’ pour rendre ma pensée claire et lui apporter la rigueur d’une vérité scientifique. »[9]
Apparemment, les choses sont donc claires. Les citations que nous venons de passer en revue suggèrent une évolution du roman allant dans le sens d’une convergence grandissante entre roman et science. Cependant, si le roman se transforme en une science, on a le droit de poser la question de savoir quelle peut être la fonction de la littérature. Autrement dit : n’est-il pas nécessaire pour la littérature de maintenir une spécificité qui la distingue de tout autre domaine discursif, y compris la science ? En analysant deux romans naturalistes, à savoir Le Docteur Pascal de Zola et Giacinta de Capuana, j’aimerais montrer que les auteurs naturalistes avaient eux-mêmes la conscience des limites de leur théorie.
1. Dans Le Docteur Pascal, publié en 1893 et dédié par Zola à la mémoire de sa mère et à sa femme comme « le résumé et la conclusion de toute [s]on œuvre»[10], il met en scène un rapport conflictuel entre la science et d’autres sphères sociales. La littérature y joue un rôle prépondérant, dans la mesure où le protagoniste est lui-même un double de l’écrivain. Le DocteurPascal raconte l’histoire du docteur Pascal Rougon, qui est médecin à Plassans, lieu d’origine de la famille. Pascal est en rapport avec trois femmes qui jouent un rôle important dans l’action : sa nièce Clotilde, sa mère Félicité et sa servante Martine. Le projet de Pascal est d’étudier les lois de l’hérédité en observant les membres de sa propre famille, les Rougon-Macquart. Pour ce faire, il réunit tous les documents et renseignements disponibles pour les archiver et pour en tirer des conclusions concernant le fonctionnement de l’hérédité. Ces documents sont gardés dans une armoire, qui devient la cible de la volonté de destruction incarnée par Félicité. Celle-ci veut empêcher que son fils déshonore sa famille en réunissant et en publiant des documents qui sont en rapport avec les vices cachés et les défauts de chaque membre de la famille.
Le texte met donc en opposition Pascal et sa mère du point de vue de leur rapport au savoir. Le but du fils est d’accumuler tout ce que l’on peut savoir à propos des membres de la famille, afin de rendre visibles les lois invisibles de l’hérédité, tandis que le but de la mère est de détruire ce savoir afin de produire une image idéalisée de la famille. Ce duel entre le fils et sa mère finit par le triomphe de la mère, qui, après la mort de Pascal, réussit à détruire les documents réunis par son fils. La mère, « fanatique, farouche, dans sa haine de la vérité, dans sa passion d’anéantir le témoignage de la science » (p. 402), brûle les documents qu’elle trouve dans l’armoire de Pascal. À la vérité de la science elle oppose la « légende glorieuse » (p. 406) de la famille qui est censée « écarter les vilaines histoires » (p. 406). De ce point de vue, la mère représente donc le mensonge, tandis que le fils est à la recherche de la vérité. Ainsi, Pascal et Félicité représentent deux modes foncièrement différents de concevoir et de construire le monde.
Cependant, la vérité de la science apparaît elle-même problématique, dans la mesure où elle s’avère insuffisante. C’est Clotilde, dans sa foi naïve, qui fait remarquer à son oncle les limitations de la science :
Quand j’étais petite et que je t’entendais parler de la science, il me semblait que tu parlais du bon Dieu, tellement tu brûlais d’espérance et de foi. Rien ne te paraissait plus impossible. Avec la science, on allait pénétrer le secret du monde et réaliser le parfait bonheur de l’humanité… […] Eh bien ! les années marchent, et rien ne s’ouvre, et la vérité recule. (p. 143)
Ce que Clotilde reproche à la science, c’est donc le fait que, dans sa recherche de la vérité, elle avance à tâtons et qu’à la différence de la religion, elle ne peut pas produire de vérité globale et totalisante. En effet, Pascal explique à Clotilde : « La science n’est pas la révélation. Elle marche de son train humain, sa gloire est dans son effort même… et puis, ce n’est pas vrai, la science n’a pas promis le bonheur. » (p. 143 sq.) La science n’est donc pas quelque chose d’accompli, mais un processus indéfiniment tourné vers l’avenir.
Les vérités que peut atteindre le chercheur sont des vérités partielles et incomplètes, provisoires et corrigibles. La loi de la science est d’avancer par hypothèses, ainsi que le dit Pascal dans son « testament scientifique » (p. 375) :
Il avait la nette conscience de n’avoir été, lui, qu’un pionnier solitaire, un précurseur, ébauchant des théories, tâtonnant dans la pratique, échouant à cause de sa méthode encore barbare […]. Tous les vingt ans, les théories changeaient, il ne restait d’inébranlables que les vérités acquises, sur lesquelles la science continuait à bâtir. Si même il n’avait eu le mérite que d’apporter l’hypothèse d’un moment, son travail ne serait pas perdu, car le progrès était sûrement dans l’effort, dans l’intelligence toujours en marche. (p. 143)
Cette formulation correspond d’ailleurs à la conception du rationalisme critique de Karl Popper, selon lequel le caractère scientifique d’un énoncé est défini par la possibilité de la falsification[11]. Dans cette perspective, la science ne produit pas de vérités inébranlables, mais seulement des vérités hypothétiques et provisoires. Le scientifique peut se rapprocher de la vérité, il ne peut jamais l’atteindre[12].
C’est justement à cause de ces limitations reconnues que la science a besoin d’être étayée par d’autres domaines ; elle a besoin d’alliés. Or l’un de ses principaux alliés est le poète. On trouve, à travers le roman de Zola, toute une série de passages qui montrent cette connivence du scientifique et du poète, autrement dit, la coopération de l’analyse scientifique et de l’imagination poétique. Dans l’opinion des gens, le docteur Pascal est un savant dont les « parties de génie » sont « gâtées par une imagination trop vive »[13]. Cependant, le texte montre bien que le savant a besoin d’imagination et que les scientifiques doivent s’assurer le soutien des poètes ; ceci d’autant plus que la science pratiquée par Pascal est une science naissante : « Sans doute, l’hérédité ne le passionnait-elle ainsi que parce qu’elle restait obscure, vaste et insondable, comme toutes les sciences balbutiantes encore, où l’imagination est maîtresse. » (p. 91) Au chapitre V, dans la conversation entre Pascal et Clotilde, pendant laquelle il lui dévoile son projet en lui montrant tous les documents qu’il a accumulés, Pascal lui explique les lois de l’hérédité, en lui montrant l’arbre généalogique de la famille des Rougon-Macquart. Il est conscient du caractère incomplet de cette modélisation, car son arbre ne contient que les membres de la famille, sans leurs conjoints. Cela le mène à une réflexion sur la découverte de l’inconnu, qui ne peut se passer du concours de l’imagination :
Ah ! ces sciences commençantes, ces sciences où l’hypothèse balbutie et où l’imagination reste maîtresse, elles sont le domaine des poètes autant que des savants ! Les poètes vont en pionniers, à l’avant-garde, et souvent ils découvrent les pays vierges, indiquent les solutions prochaines. Il y a là une marge qui leur appartient, entre la vérité conquise, définitive, et l’inconnu, d’où l’on arrachera la vérité de demain… Quelle fresque immense à peindre, quelle comédie et quelle tragédie humaines colossales à écrire, avec l’hérédité, qui est la Genèse même des familles, des sociétés et du monde ! (p. 165 sq.)
Même s’il s’agit d’une affirmation dont la valeur est surtout contextuelle, on peut la prendre au sérieux en l’interprétant comme une mise en abyme de la poétique du roman zolien. Ce n’est pas un hasard si, dans la suite de ce chapitre, le protagoniste Pascal raconte l’histoire des membres de la famille figurant sur l’arbre généalogique. Par là même, il s’apparente à l’auteur Émile Zola, qui, lui, a raconté ces histoires dans les romans précédents. De ce fait, le personnage se transforme en une allégorie de l’auteur[14]. On peut donc supposer que le rôle attribué au poète en tant qu’allié du savant dans leur commune entreprise de découvrir des vérités inconnues correspond à la conviction de Zola. Pour lui, c’est avec le poète que doit coopérer le savant, si bien que l’entreprise scientifique ne peut pas se concevoir comme un projet purement rationaliste. Au contraire, ce projet a besoin de l’imagination poétique.
Par conséquent, dans le texte de Zola, on trouve souvent des formulations qui renvoient au caractère mixte et impur de la science. Par exemple, au premier chapitre du roman, où les deux personnages principaux sont introduits, Pascal, donnant des instructions à son assistante Clotilde, qui fait des dessins de fleurs pour illustrer les expériences en matière de fécondation artificielle faites par Pascal, on assiste à la scène suivante :
Depuis près de deux heures, elle avait repoussé la copie exacte et sage des roses trémières, et elle venait de jeter, sur une autre feuille, toute une grappe de fleurs imaginaires, des fleurs de rêve, extravagantes et superbes. C’était ainsi parfois, chez elle, des sautes brusques, un besoin de s’échapper en fantaisies folles, au milieu de la plus précise des reproductions. (p. 57 sq.)
À la question posée par Pascal de savoir ce que « ça peut bien représenter », elle répond en disant : « Je n’en sais rien, c’est beau. » (p. 58) Cette réponse suggère la possibilité de considérer les objets de la science d’un point de vue esthétique. Dans un autre passage central du texte, ce regard esthétique porté sur la science est évoqué par Pascal lui-même, lorsqu’il dit à Clotilde, en lui montrant ses documents : « Regarde donc, fillette ! Tu en sais assez long, tu as recopié assez de mes manuscrits, pour comprendre… N’est-ce pas beau, un pareil ensemble, un document si définitif et si total, où il n’y a pas un trou ? On dirait une expérience de cabinet, un problème posé et résolu au tableau noir… » (p. 163). Ainsi, le domaine scientifique semble être « contaminé » par le domaine esthétique.
D’autre part, la stricte séparation de la science et de la religion semble, elle aussi, être menacée par le fait que les théories scientifiques ne puissent pas tout expliquer. Le manque qui en résulte est comblé par une croyance : « En somme, le docteur Pascal n’avait qu’une croyance, la croyance à la vie. La vie était l’unique manifestation divine. La vie, c’était Dieu, le grand moteur, l’âme de l’univers. » (p. 91) C’est cette croyance à la vie qui l’amène à faire des expériences pour guérir certains malades moyennant l’injection de substances nerveuses. En plaisantant, il met sur le même plan la croyance religieuse aux miracles et la croyance à l’efficacité de son « élixir de résurrection » (p. 97). Dans le même contexte, le docteur Pascal fait valoir face à Clotilde qu’il a, lui aussi, un credo : « Je crois que l’avenir de l’humanité est dans le progrès de la raison par la science. Je crois que la poursuite de la vérité par la science est l’idéal divin que l’homme doit se proposer. » (p. 97 sq.) On voit donc bien que le domaine de la science s’entrecoupe partiellement avec le domaine esthétique et avec le domaine religieux. Tout en postulant des rapports d’opposition entre ces domaines, le roman de Zola semble vouloir montrer que ces oppositions doivent être remises en question.
On se souvient que, dans sa théorie, Zola postule une convergence, voire une identité, entre le discours scientifique et le discours romanesque. Dans la pratique de son roman Le Docteur Pascal, on a pu voir que cette identité semble beaucoup moins évidente. On peut plutôt parler d’une transgression de la frontière entre le domaine esthétique et celui de la science. Le scientifique a besoin de l’imagination du poète pour pouvoir saisir son objet et pour pouvoir découvrir l’inconnu. La science triomphante de la théorie zolienne est présentée comme ayant la conscience de sa propre imperfection. Le scientifique a besoin de l’imagination poétique et il déclare avoir une croyance comme un religieux. Le roman de Zola remet donc en question la théorie sur laquelle repose la poétique officielle de l’auteur. Selon cette théorie, la science a une fonction hégémonique ; ses principes (l’observation et l’expérimentation) doivent être adoptés dans tous les domaines, y compris celui de la littérature. C’est la science qui donne à la littérature sa légitimité. Dans Le Docteur Pascal, par contre, la littérature met en scène les limites de la science et son besoin de soutien. Si l’on considère l’action de ce roman dans son intégralité, on constate même un renversement du rapport science/littérature. On a vu l’opposition entre les valeurs de la science, qui cherche la vérité, et les aspirations de Félicité, qui veut anéantir les vérités découvertes par Pascal, afin de sauvegarder la bonne réputation des Rougon-Macquart. À la fin, en détruisant presque tous les documents de Pascal, le personnage de Félicité semble faire triompher le mensonge sur la vérité scientifique. Or, c’est justement le texte d’Émile Zola qui défait le stratagème de Félicité, en donnant à lire au lecteur réel tout ce que Félicité a essayé de faire passer sous silence. En fin de compte, c’est donc le roman de Zola qui vient à la rescousse de la science, en empêchant la disparition du savoir.
La science est non seulement menacée par la religion (Clotilde) et par l’idéologie de la mère, mais aussi par les conditions de l’existence matérielle. Cela se montre symboliquement dans le rapport de Pascal à Martine, qui représente le domaine de l’argent. C’est grâce à l’ingéniosité de Martine que Pascal et Clotilde réussissent à survivre après la faillite du notaire auquel Pascal avait confié son argent. L’imprudence de Pascal concernant son rapport à l’argent, son incapacité à gérer sa fortune finit par mettre en péril la base matérielle de son existence. Le texte construit donc un rapport d’opposition entre l’idéalisme du savant et le domaine matériel de l’économie et de l’argent[15].
De manière plus générale, le texte repose sur une opposition entre la vie et la mort, qui englobe toutes les oppositions dans lesquelles la science est impliquée. Pascal cherche à combattre la mort, mais il doit reconnaître que souvent les moyens que lui fournit la science sont insuffisants. À force de subordonner toute son existence à la science, il doit constater que la science finit par mettre en péril sa vie :
Pendant le mois qui suivit, Pascal essaya de se réfugier dans un travail acharné de toutes les heures. Il s’entêtait maintenant les journées entières, seul dans la salle, et il passait même les nuits, à reprendre d’anciens documents, à refondre tous ses travaux sur l’hérédité. On aurait dit qu’une rage l’avait saisi de se convaincre de la légitimité de ses espoirs, de forcer la science à lui donner la certitude que l’humanité pouvait être refaite, saine enfin et supérieure. Il ne sortait plus, abandonnait ses malades, vivait dans ses papiers, sans air, sans exercice. Et, au bout d’un mois de ce surmenage, qui le brisait sans apaiser ses tourments domestiques, il tomba à un tel épuisement nerveux, que la maladie, depuis quelque temps en germe, se déclara avec une violence inquiétante. (p. 191 sq.)
Le travail du scientifique a donc une fonction ambivalente, dans la mesure où son but principal est d’améliorer la condition de vie des hommes en combattant les maladies, mais qu’en même temps, il aboutit à une dégradation de l’état de santé du scientifique. C’est cette dégradation déclenchée par le surmenage du chercheur qui finit par emporter le docteur Pascal. Paradoxalement, dans son agonie, le médecin est incapable de se soigner lui-même ; il ne lui reste qu’à assister passivement à un processus létal, que son expérience lui permet de prévoir. La fin de Pascal montre de manière cuisante l’impuissance du médecin ; l’observation scientifique ne réussit pas à donner lieu à une application pratique.
Le seul remède contre la mort, l’antidote contre la finitude de l’organisme, est la reproduction sexuelle. L’importance de celle-ci est évoquée par Clotilde, une fois qu’elle est devenue l’amante de son oncle Pascal. La reproduction « était, pour elle, la conséquence naturelle et indispensable de l’acte. Au bout de chacun de ses baisers, se trouvait la pensée de l’enfant ; car tout amour qui n’avait pas l’enfant pour but, lui semblait inutile et vilain. » (p. 262) Ce passage est suivi d’une réflexion sur les romans d’amour, que Clotilde n’aime pas parce qu’ils éclipsent la reproduction.
Le sexe des héros, dans les romans distingués, n’était plus qu’une machine à passion. Ils s’adoraient, se prenaient, se lâchaient, enduraient mille morts, s’embrassaient, s’assassinaient, déchaînaient une tempête de maux sociaux, le tout pour le plaisir, en dehors des lois naturelles, sans même paraître se souvenir qu’en faisant l’amour on faisait des enfants. C’était malpropre et imbécile. (p. 263)
Ce verdict, qui se fonde sur une conception nourrie par des « études d’histoire naturelle » (p. 263), implique aussi un jugement esthétique. Le roman de Zola prend ses distances par rapport à une conception du roman qu’il considère comme obsolète et qu’il cherche à transcender. L’importance accordée par Zola au phénomène de l’hérédité s’associe donc de manière cohérente et logique à une valorisation de la reproduction sexuelle. Celle-ci acquiert par conséquent une valeur poétologique. Dans le dispositif zolien du roman, la reproduction fait partie du domaine épistémique. En même temps, ainsi qu’on a pu le voir, elle possède une valeur poétologique. Autrement dit, le fait de la reproduction est soumis à un « double codage », à savoir un codage épistémique et esthétique[16].
Sur le plan syntagmatique du roman, l’enfant qui est le fruit de l’union entre Pascal et Clotilde, fait apparition après la séparation des amants. De cette séparation résulte une dissociation, symboliquement importante, de la mort de Pascal et de la naissance de son fils. L’enfant naît d’un père absent et disparu. Entre la mort de Pascal et la naissance de son fils, il y a une ellipse temporelle : nous retrouvons Clotilde au début du chapitre XIV, tenant sur ses genoux son enfant en août 1874, Pascal étant mort le 7 novembre 1873[17]. Cette rupture sur le plan textuel marque une discontinuité sur le plan idéologique. Le texte met dans un rapport de contiguïté la mort de Pascal et la destruction de son œuvre, car c’est après la mort de son fils que Félicité réussit à ouvrir l’armoire de Pascal pour mettre au feu tous les documents. Le seul document qui échappe à la destruction est l’arbre généalogique, que Pascal, agonisant, avait utilisé afin d’y inscrire la date de sa propre mort. C’est par ce geste paradoxal, l’anticipation d’une date qui par définition ne peut être sue qu’a posteriori, que Pascal, sans le savoir, rend possible le sauvetage de ce document, car celui-ci ne se trouvera pas dans l’armoire au moment où Félicité s’en emparera afin de détruire ce qu’elle contient.
Si d’une part, la mort de Pascal et la destruction de son œuvre s’équivalent, il y a, d’autre part, un rapport de substitution entre l’œuvre de Pascal et son enfant. Symboliquement, l’espace vide de l’armoire, qui autrefois contenait l’œuvre scientifique de Pascal, est rempli par les vêtements de l’enfant.
C’était dans cette armoire, si pleine autrefois des manuscrits du docteur, et vide aujourd’hui, qu’elle avait rangé la layette de l’enfant. Elle semblait sans fond, immense, béante, et, sur les planches nues et vastes, il n’y avait plus que les langes délicats, les petites brassières, les petits bonnets, les petits chaussons, les tas de couches, toute cette lingerie fine, cette plume légère d’oiseau encore au nid. Où tant d’idées avaient dormi en tas, où s’était accumulé pendant trente années l’obstiné labeur d’un homme, dans un débordement de paperasses, il ne restait que le lin d’un petit être, à peine des vêtements, les premiers linges qui le protégeaient pour une heure, et dont il ne pourrait bientôt plus se servir. L’immensité de l’antique armoire en paraissait égayée et toute rafraîchie. (p. 422)
Si le linge de l’enfant remplace les papiers et les documents du père, l’enfant lui-même remplace Pascal. On peut en conclure que l’enfant vivant remplace le père mort et que, de manière générale, la vie se substitue à la science.
Par conséquent, dans le dernier chapitre du roman, c’est la vie qui est exaltée dans les réflexions de Clotilde, au détriment de la science. Ces réflexions portent sur le côté autotélique de la vie : Clotilde se dit que « la seule récompense de la vie est de l’avoir vécue bravement, en accomplissant la tâche qu’elle impose » (p. 416). Il est question de sa « passion de la vie » (p. 419). L’enfant de Clotilde et de Pascal est salué comme le « rédempteur » et le « messie » (p. 426). Son bras est « dressé comme un drapeau d’appel à la vie » (p. 429). La vie n’a même pas besoin de la science : en regardant l’arbre généalogique, Clotilde réfléchit sur le « mélange de l’excellent et du pire », sur « l’humanité en raccourci », représentés par les branches de l’arbre. Se demandant s’il « n’aurait pas mieux valu balayer cette fourmilière gâtée et misérable », elle finit par se dire que la vie « poursuivait son œuvre, se propageait selon ses lois, indifférente aux hypothèses, en marche pour son labeur infini » (p. 427).
La vie est donc un principe et une puissance incontournable, qui finit par l’emporter sur celui qui, comme Pascal, prétend se mettre à distance d’elle afin de pouvoir l’observer. La logique de l’action de ce roman montre bien que la position de l’observateur scientifique, qui croit ne pas faire partie du domaine qu’il observe, est intenable. C’est lorsque Félicité lui dit « […] tu deviens fou d’orgueil et de peur » (p. 196) que Pascal commence à comprendre qu’il n’est pas en dehors du système observé :
Lui qui, deux mois plus tôt, se vantait si triomphalement de n’en être pas, de la famille, allait-il donc recevoir le plus affreux des démentis ? Aurait-il la douleur de voir la tare renaître en ses moelles, roulerait-il à l’épouvante de se sentir aux griffes du monstre héréditaire ? Sa mère l’avait dit : il devenait fou d’orgueil et de peur. L’idée souveraine, la certitude exaltée qu’il avait d’abolir la souffrance, de donner de la volonté aux hommes, de refaire une humanité bien portante et plus haute, ce n’était sûrement là que le début de la folie des grandeurs. (p. 196)
2. L’écrivain italien Luigi Capuana (1839–1915) est, avec Giovanni Verga, le romancier naturaliste (« vériste») italien le plus important. Grand admirateur d’Émile Zola, il lui dédie son roman Giacinta, dont il publia une première version en 1879. D’autres versions remaniées furent publiées en 1886 et 1889. Capuana a découvert Zola dans les années 1870. Il publie des comptes rendus de deux romans de Zola (L’Assommoir, Une page d’amour). Dans le deuxième de ces comptes rendus il loue le fait que chez Zola l’élément scientifique s’introduise dans l’œuvre d’art (« l’infiltrarsi dell’elemento scientifico nell’opera d’arte»)[18]. Capuana est un partisan du positivisme, ce qui le rend proche de Zola dès le départ. D’après Bonino, Giacinta est un roman naturaliste « orthodoxe » qui est conçu comme une réponse à la question de savoir comment une jeune femme belle et sensuelle réagit à un traumatisme subi dans son enfance[19]. On verra tout de même que l’on ne peut pas réduire Giacinta à cette seule fonction. Certains critiques, auxquels je me joins, ont montré que chez Capuana, les tendances positivistes sont transcendées par une valorisation de la philosophie et du mythe, et donc, au bout du compte, de la littérature[20]. L’enjeu de ce roman est donc, comme chez Zola, le rapport entre le savoir de la science et celui de la littérature.
Giacinta raconte l’histoire d’une jeune femme, Giacinta, issue de la bourgeoisie italienne, qui est désirée par plusieurs jeunes hommes, dont cependant elle refuse les demandes en mariage. Elle s’éprend d’un jeune homme qui s’appelle Andrea Gerace, tout en refusant de l’épouser. Son choix finit par tomber sur un autre homme, qu’elle épouse sans ressentir de l’amour pour lui. Après le mariage s’établit un ménage à trois entre Giacinta, son mari Giulio Grippa et son amant Andrea Gerace.
Le texte de Capuana commence par une grande scène de salon dans laquelle sont présentés les principaux protagonistes. Cette scène sert surtout à introduire l’énigme de l’amour de Giacinta : il y a un colonel qui lui fait la cour, son amant Andrea regarde la scène et se montre jaloux, Giacinta l’apaise tout en lui expliquant qu’elle ne pourra l’aimer qu’à sa manière. Après cette scène initiale, il y a une analepse assez longue qui s’étend à peu près sur un tiers du livre[21] et dans laquelle est racontée l’enfance de Giacinta. Le lecteur apprend que celle-ci est la fille d’une femme adultère dont elle n’a jamais été aimée. Au contraire, la mère a donné sa fille à une nourrice afin de pouvoir se consacrer librement à ses relations amoureuses. Plus tard, revenue au sein de sa famille, Giacinta se lie d’amitié à un jeune domestique, Beppe, avec qui elle connaît les premiers ébats amoureux et qui finit par la séduire alors qu’elle a dix ans. Cette découverte précoce de la sexualité dans des circonstances très ambivalentes est présentée comme une des causes majeures du comportement sexuel déviant de l’héroïne. À côté de cette lésion, de ce traumatisme, il y a une deuxième cause, qui, elle, est liée à l’hérédité, car la mère vit dans l’adultère, ainsi que le fera sa fille, la seule différence entre la mère et la fille étant que celle-ci n’a qu’un seul amant, tandis que la mère en a plusieurs d’affilée. Lorsque la séduction de Giacinta par Beppe est découverte par une autre domestique, Camilla, la jeune fille demande à celle-ci de ne rien dire à sa mère. « ‘La mamma ! La mamma !’ ripeteva ironica la Camilla. E completando mentalmente il suo pensiero, ‘Accidenti !’ pensava, sorridendo beffarda e scuotendo la testa ‘La comincia anche prestino !’ »[22]. Il est sous-entendu dans ce raisonnement que pour la servante Camilla il va de soi que le comportement de la jeune fille est déterminé par celui de sa mère, c’est-à-dire qu’il y a un rapport de détermination liée à l’hérédité. Un troisième aspect servant à motiver le comportement de Giacinta est le milieu dans lequel elle grandit et qui est caractérisé par un manque d’affection et d’attention : « La bimba cresceva in questo ambiente freddo e repugnante, come una povera pianticina spuntata per cattiva sorte in un luogo umido e ombrato. »[23] Le seul membre de la famille ayant de l’affection pour Giacinta est son père qui, cependant, ne s’occupe pas beaucoup d’elle sous prétexte qu’il incombe aux mères de prendre soin des filles[24].
La mère de Giacinta, qui n’a donc jamais aimé sa fille, demande à celle-ci, lorsqu’elle est devenue majeure, de prendre un mari en fonction d’intérêts purement financiers, disant que la famille n’a pas par elle-même les moyens de se payer la vie de luxe qu’elle mène. Une dimension relativement importante de ce roman est comme chez Zola le monde de l’argent. Il est question de rapports sociaux fondés sur l’intérêt matériel et d’une banque qui finit par faire faillite. La mère de Giacinta se vend apparemment au directeur de la banque et en fait profiter sa famille[25]. Or, en prenant la décision d’épouser le comte Giulio Grippa, Giacinta, qui tout d’abord a réagi à l’injonction de sa mère en se révoltant et en exigeant sa liberté[26], obéit à sa mère de manière paradoxale, dans la mesure où elle acquiert un nom d’aristocrate et une grande fortune, mais en même temps un homme que tout le monde considère comme un imbécile. Par conséquent, le choix de la jeune femme est jugé par la société comme ayant été imposé par la mère, alors qu’en réalité la mère se montre indignée de la décision de sa fille. Apparemment, la fille suit une logique de l’excès, allant plus loin que sa mère ; par là même, elle subvertit le code de comportement officiellement en vigueur.
De manière générale, on peut dire que l’histoire de Giacinta est racontée d’un point de vue socio-psychologique et d’un point de vue scientifique. La perspective socio-psychologique se manifeste de la manière suivante : pendant la nuit de noces, Giacinta fait l’amour avec son amant Andrea et se refuse à son mari. Ensuite elle s’installe dans une situation scandaleuse du point de vue de la société, traitant son amant comme s’il était son mari et son mari comme s’il s’agissait d’un domestique. Personne ne comprend la motivation de Giacinta, ni sa mère, ni son amant. Le narrateur explique qu’il s’agit d’un geste de révolte dirigé contre son propre passé. Lorsque sa mère reproche à Giacinta de ruiner la position sociale de la famille, la mémoire du passé lui revient comme un éclair : « In un colpo le balenò la rivelazione di qualcosa di basso, di vituperevole in quell’uscita della sua mamma ; e tutti i martiri della sua puerizia, tutti i dolori, tutti i rancori, tutti gli sdegni della sua giovinezza le irruppero nella memoria come una banda sfrenata. »[27]
Giacinta tombe enceinte et accouche d’une fille, dont le père est Andrea. La ressemblance entre la fille et son père suscite l’affection de la mère qui, tout en évoquant la tristesse de sa propre enfance, se propose de donner tout son amour à cette créature : « Oh ! la vita di quella figliuolina sarebbe stata assolutamente tutt’all’opposto della sua. Non le sarebbe mancata nessuna cura, nessuna vigilanza materna. Amava su questo punto riuscir piuttosto eccessiva, che veder riprodurre nella sua Adelina l’ombra, soltanto l’ombra, dei mille dolori della sua vita ! »[28] Ainsi, au lieu de transmettre, moyennant une pulsion de répétition, le traumatisme subi dans son enfance à sa fille, Giacinta veut corriger son propre sort. Par conséquent, elle adopte le rôle d’une mère caressante, se substituant par là à sa propre mère et se projetant en même temps dans la position de sa fille (« quasi assumeva con se stessa la parte di mamma»)[29].
La dimension scientifique est sous-jacente dès le début du roman, mais elle se manifeste plus explicitement de la façon suivante : comme chez Zola, il y a une opposition, fondée sur une contiguïté narrative, entre la vie et la mort. L’épisode de la naissance est suivi par l’épisode de la mort du père de Giacinta. Celui-ci souffre de goutte et, malgré les soins que lui apporte sa fille, finit par mourir assez rapidement. Le docteur Follini, qu’on a fait venir, a essayé de guérir le malade par le curare. C’est ainsi que Giacinta entre en possession de ce poison, dont elle se servira pour se donner la mort à la fin du roman. Ses efforts maternels sont d’ailleurs aussi contrecarrés par la mort précoce de son enfant[30].
Le docteur Follini, qui a lu les écrits de Claude Bernard, de Virchow, de Moleschott et d’Angelo Camillo de Meis, mais aussi de Hegel et de Spencer, joue un rôle important dans les derniers chapitres du roman : c’est lui qui occupe la position de l’observateur scientifique étudiant le cas de Giacinta comme un cas de « pathologie morale »[31]. Ainsi se manifeste la dimension proprement scientifique du roman de Capuana. Celle-ci a été introduite explicitement dans le roman à travers le narrateur, lorsqu’il présentait l’époux de Giacinta de cette façon :
Il conte Giulio Grippa di San Celso aveva appena ventott’anni. Alto della persona, castagno di capelli, di carnagione bianchissima da dare nello smorto, era evidentemente il prodotto degenerato di una magnifica razza. Si scorgeva un’impronta aristocratica sul suo viso da grullo, che una vita bestialmente scioperata cominciava a segnare di una precoce vecchiezza. I suoi modi, quantunque un po’ goffi, mostravano anch’essi un briciolo della squisita gentilezza che deriva dal sangue, la legge dell’eredità naturale non valendo soltanto per le malattie. Pel resto, era uno sciocco, nel più largo significato di questa parola.[32]
Le narrateur met donc l’accent sur l’hérédité et la dégénérescence de ce personnage. Quoique de manière beaucoup plus discrète que dans Le Docteur Pascal, le monde romanesque de Capuana est dominé par les lois scientifiques de l’époque.
Quant à Follini, il hésite entre l’observation distancée du scientifique et la curiosité du philosophe et du poète :
La Giacinta lo aveva interessato sin dai primi giorni come caso di patologia morale degno davvero di attenzione. In quella donna l’eredità naturale, l’organismo potevan servire a dipanare appena una metà del problema. E siccome per lui la medicina non consisteva soltanto nella diagnosi e nella cura del morbo, così non lasciava sfuggirsi nessuna occasione di raccogliere elementi scientifici, cioè fatti individuali provati, pel suo gran lavoro sull’uomo, ideato sin da quando si trovava all’Università bolognese.[33]
Il résulte de cette citation que, pour Follini, l’hérédité naturelle ne suffit pas à expliquer la pathologie de Giacinta. Il observe la maladie de Giacinta non seulement du point de vue d’un médecin, dont le but est de soigner le malade, mais aussi du point de vue d’un philosophe, qui ambitionne d’écrire un grand travail sur l’homme. Le narrateur le présente comme un « médecin-philosophe »[34], ayant une âme de poète[35]. Nous retrouvons donc chez Capuana l’association du domaine de la science et de celui de la poésie caractéristique de Zola. Le texte de Capuana suggère que la seule approche scientifique ne suffit pas à éclairer les énigmes de la vie et de l’homme. Le scientifique a besoin du soutien de l’imagination poétique[36].
En outre, le médecin-observateur impartial s’expose au risque de perdre son impartialité en raison de la proximité qui existe entre lui et sa malade. Malgré la dénégation initiale du narrateur, qui rapporte ce que disent les mauvaises langues (« I maligni […] vedevano in quella intimità un sintomo cattivo per la posizione dell’Andrea. Secondo loro, il dottor Follini era in via di soppiantarlo e se ne rallegravano segretamente. »)[37], rejetant leur interprétation (« Nulla di più falso di questi sospetti»)[38], on verra plus tard que l’intimité entre le médecin et Giacinta engendre une relation non pas amoureuse, mais affective :
‘Le donne come lei non sanno amare due volte !’ Questa convinzione salvò il dottore e la Giacinta da un falso passo. Però la sua parte di confidente gli era molto gradita. La lotta di quella donna lo interessava enormemente. Poteva arrivare un momento che la sua azione di amico non sarebbe stata, forse, inutile nello scioglimento del dramma a cui egli assisteva da spettatore, simile al coro di una tragedia greca. Forse il suo intervento avrebbe impedito una catastrofe. Quel dramma, inevitabilmente, doveva averne presto una. Ma quale ? Il problema stava qui. ‘Uno scioglimento volgare’ egli pensava talvolta. ‘Meglio così nella vita !’ E stava ad osservare colla fredda curiosità dello scienziato, e un po’ coll’emozione di un uomo di cuore.[39]
Ce passage montre bien l’ambivalence croissante du rapport entre Follini et Giacinta. Le médecin, qui est en même temps le confident de Giacinta, tout en maintenant son rôle d’observateur distancé et impartial (« fredda curiosità dello scienziato»), ne peut pas éviter de ressentir l’émotion d’un homme qui se sent attiré par une femme. Là encore, le rôle de l’observateur scientifique est mis en parallèle avec un élément littéraire, à savoir le chœur de la tragédie grecque. Sur le plan métaphorique, la situation de Giacinta est analysée comme s’il s’agissait d’une tragédie. Les sentiments de tendresse ressentis par Follini sont, d’ailleurs, partagés par Giacinta, qui dit au docteur : « ‘Oh, se avessi conosciuto a tempo un altr’uomo come lei ! E pensare che ora un uomo come lei, buono e compassionevole, non può più,… non che amarmi…, neanche stimarmi !…’ »[40]. Entre Giacinta et Follini naît donc une relation amoureuse virtuelle, platonique, non réalisée, qui cependant intervient dans la logique de l’action. En effet, le docteur avoue avoir aimé Giacinta comme un enfant aurait aimé une mère : « Vi ho amata come un fanciullo ! »[41]. Cet aveu, dont il dit qu’il n’aurait pas dû le faire, précède l’annonce de son prochain départ pour l’Amérique : « Fra qualche settimana sarò in viaggio per l’America. La lontananza terrà sempre vivo un sentimento che forse noi avremmo ucciso restando vicini ! »[42] Cette dernière phrase indique clairement la conviction de Follini que son affection pour Giacinta risque de détruire sa position d’observateur scientifique. Or, pour Giacinta, l’aveu de Follini et son départ annoncé déclenchent la décision de se suicider. Évidemment, cette décision n’est pas uniquement causée par le départ de Follini, mais aussi par la dégradation de l’amour d’Andrea, qui a l’intention de la quitter. Comme Madame Bovary, autre référence littéraire de Capuana, Giacinta se suicide en s’injectant du poison[43].
En guise de conclusion, j’aimerais reprendre les principaux résultats de mon analyse. Le point de départ de celle-ci était l’identification du roman et du discours scientifique telle qu’on peut la trouver dans les écrits théoriques de Zola. L’analyse du Docteur Pascal, que l’auteur considérait comme « le résumé et la conclusion de toute [s]on œuvre », a cependant montré que dans la pratique esthétique de Zola le rapport entre la science et la littérature est plus complexe que dans ses écrits théoriques. D’une part la science apparaît moins triomphante, dans la mesure où elle doit se contenter d’avancer en tâtonnant et par hypothèses. Zola anticipe ici en quelque sorte la position du rationalisme critique du XXe siècle. D’autre part, la science, surtout lorsqu’elle est naissante, doit coopérer avec l’imagination poétique. En outre, le savant a recours à un credo, affirmant sa croyance à la vie, comme si la science s’apparentait à la religion. Ces trois points indiquent que le statut de domination de la science, qui est à la base des réflexions théoriques de Zola, est loin d’être clairement établi dans Le Docteur Pascal. On a même pu constater un renversement du rapport entre la science et la littérature, dans la mesure où c’est le roman de Zola qui, en racontant l’histoire des Rougon-Macquart, contrecarre les intentions de destruction manifestées par Félicité, qui veut faire disparaître les informations sur les membres de la famille en brûlant les documents de Pascal. Quant à la vie, valorisée par le credo de Pascal, celle-ci s’avère en permanence menacée par la mort, si bien que le scientifique se retrouve dans une situation paradoxale. À force de lutter contre la mort et pour la vie, il finit par ruiner sa santé, ce qui le mène dans une situation létale. Dans cette situation on assiste à l’impuissance du scientifique, qui est incapable d’empêcher ce qu’il observe, à savoir sa propre mort. En fin de compte, le seul remède contre la mort est la reproduction sexuelle : Pascal meurt, ses documents sont brûlés par Félicité, son fils naît et ses vêtements sont rangés dans l’armoire qui autrefois contenait les documents de son père. On peut en conclure que l’enfant – et donc la vie – se substitue à l’œuvre du scientifique. Enfin, le roman remet en question la possibilité d’un observateur qui serait en dehors du monde qu’il s’apprête à observer.
Le roman Giacinta de Capuana a le même point de départ que les romans de Zola. Il s’agit de donner une réponse à un problème que l’on peut considérer comme un problème scientifique, à savoir la réaction d’un organisme à une lésion, causée par la découverte prématurée de la sexualité. Cette question est traitée de deux points de vue : d’un point de vue socio-psychologique et d’un point de vue scientifique. Sur le plan psychologique le comportement de Giacinta est analysé comme une révolte contre sa mère, sur le plan de la vie sociale comme la mise en scène d’un scandale. Sur le plan scientifique, cependant, le narrateur délègue l’analyse à un des personnages, le docteur Follini, qui est un croisement de médecin, de philosophe et de poète. En outre, Follini essaie de garder l’équilibre entre le rôle d’un observateur scientifique impartial et celui d’un confident qui se voit attiré par la jeune femme qu’il observe. Il est remarquable que le rôle de l’observateur soit comparé à celui du chœur dans la tragédie grecque, ce qui renvoie à l’importance accordée à la littérature, malgré le statut de domination qui est officiellement accordé à la science.
On voit donc bien que les deux auteurs dans leur pratique esthétique dépassent les principes de leur théorie, peignant l’image d’une relation extrêmement complexe entre la science et la littérature. On peut en tirer la conclusion suivante : la dimension épistémique du roman ne dérive pas de sa capacité mimétique, du fait qu’il peut mettre en scène des scientifiques à l’œuvre, essayant par là de rivaliser avec la science, mais elle dérive de la mise à distance qui va de pair avec cette capacité mimétique, dans la mesure où un roman peut faire se rencontrer et s’affronter un scientifique et un poète, ou bien un scientifique et un amant, etc. et qu’il peut, sur le plan poétique, traiter des problèmes qui semblent insolubles sur le plan épistémologique.
 

ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XV

 
Bibliographie
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* Cet article s’insère dans le projet de recherche franco-allemand « Biolographes», soutenu par l’ANR et la DFG. Je remercie cordialement Marie-Paule Boutes d’avoir relu et corrigé mon texte.
[1] Denis Diderot, « Éloge de Richardson », inŒuvres, éd. André Billy, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1951, p. 1059–1074, p. 1059.
[2] Honoré de Balzac, « Avant-propos », inLa Comédie humaine, éd. Pierre-Georges Castex, vol. 1, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1976, p. 7–20, p. 8.
[3] Émile Zola, « Différences entre Balzac et moi », inLesRougonMacquart, éd. Armand Lanoux, vol. 5, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1967, p. 1736 sq.
[4]Ibid., p. 1737.
[5] Voir Hippolyte Taine, Histoire de la littérature anglaise, t. I, Paris, Hachette, 6e éd., 1885, p. XXIII sqq. où il définit les trois concepts-clés « race », « milieu » et « moment ». « Ce qu’on appelle la race, ce sont ces dispositions innées et héréditaires que l’homme apporte avec lui à la lumière, et qui ordinairement sont jointes à des différences marquées dans le tempérament et dans la structure du corps. Elles varient selon les peuples. » (p. XXIII) – « Lorsqu’on a ainsi constaté la structure intérieure d’une race, il faut considérer le milieu dans lequel elle vit. Car l’homme n’est pas seul dans le monde ; la nature l’enveloppe et les autres hommes l’entourent ; sur le pli primitif et permanent viennent s’étaler les plis accidentels et secondaires, et les circonstances physiques ou sociales dérangent ou complètent le naturel qui leur est livré. » (p. XXVI) – « Il y a pourtant un troisième ordre de causes ; car avec les forces du dedans et du dehors, il y a l’œuvre qu’elles ont déjà faite ensemble, et cette œuvre elle-même contribue à produire celle qui suit ; outre l’impulsion permanente et le milieu donné, il y a la vitesse acquise. Quand le caractère national et les circonstances environnantes opèrent, ils n’opèrent point sur”©une table rase, mais une table où des empreintes sont déjà marquées. Selon qu’on prend la table à un moment ou à un autre, l’empreinte est différente […]. » (p. XXIX ; italiques dans le texte.)
[6] Voir à ce propos Yves Malinas, Zola et les hérédités imaginaires, Paris, Expansion Scientifique Française, 1985.
[7]Énéité est une coquille ; le mot juste est innéité.
[8]Ibid.
[9] Zola, Leromanexpérimental, Paris, Charpentier, 1880, p. 2.
[10] Zola, Le Docteur Pascal, éd. Henri Mitterand, Paris, Gallimard, « folio classique », 1993, p. 51. Les indications de page suivantes qui se réfèrent à cette édition seront insérées directement dans le corps de texte après la citation.
[11] Voir Karl R. Popper, Objektive Erkenntnis. Ein evolutionärer Entwurf, trad. Hermann Vetter, Hamburg, Hoffmann und Campe, 2e éd., 1974, p. 42 : « Ich erkannte, daíŸ die Suche nach Rechtfertigung aufgegeben werden muíŸ, nach Rechtfertigung des Wahrheitsanspruchs einer Theorie. Alle Theorien sind Hypothesen ; alle können umgestoíŸen werden. » (Italiques dans le texte.) L’idée du caractère hypothétique de tout savoir se trouve déjà chez Robert Musil. Voir Thomas Klinkert, « Musils Mann ohne Eigenschaften als Roman des Hypothetischen », inEpistemologische Fiktionen. Zur Interferenz von Literatur und Wissenschaft seit der Aufklärung, Berlin/New York, de Gruyter, 2010, p. 272–285.
[12] La critique de la science est un des traits fondamentaux du Docteur Pascal. Voir Rudolf Behrens/Marie Guthmüller, « Krankes/gesundes Leben schreiben. Émile Zolas Le docteur Pascal im Umgang mit dem Hereditäts- und Lebenswissen des ausgehenden 19. Jahrhunderts », in Yvonne Wübben/Carsten Zelle (dir.), Krankheit schreiben. Aufzeichnungsverfahren in Medizin und Literatur, Göttingen, Wallstein, 2013, p. 432–457, qui montrent que Le Docteur Pascal met en évidence les aspects vitalistes inhérents au positivisme évoqué par la théorie de Claude Bernard, dont Pascal est un alter ego. Le roman de Zola met donc en valeur l’ambivalence constitutive de la pensée scientifique.
[13]Le Docteur Pascal, p. 86.
[14] Pour une description de l’effet « spéculaire » résultant de ce procédé, voir Henri Mitterand, « Préface », in Émile Zola, Le Docteur Pascal, éd. Henri Mitterand, Paris, Gallimard, « folio classique », 1993, p. 7–48, ici p. 43 : « Le Docteur Pascal est en effet un roman – avec une histoire de fiction, dans un environnement spatio-temporel vraisemblable – et un métaroman, c’est-à-dire un roman prenant pour objet – quoique partiellement et de manière subtilement biaisée – un autre roman, en l’occurrence une série romanesque. Dispositif assez neuf ou assez rare, pour l’époque, d’autant plus qu’il amalgame un traitement particulier de l’ ‘intertextualité’ et une annonce des ‘mises en abyme’ modernes. » Voir également Larry Duffy, « Incorporations hypodermiques et épistémologiques chez Zola. Science et littérature », inRevue Romane 44, 2 (2009), p. 293–312, qui insiste sur l’analogie entre le traitement par injections hypodermiques, méthode inventée par Jules Chéron et appliquée par le protagoniste du roman de Zola, et la manière dont le roman naturaliste s’approprie le savoir extralittéraire. « Notre hypothèse est que le ‘fait générateur’ hypodermique, vrai ou faux, fonctionne en tant que métaphore de la manière dont le texte documentaire ingère les informations extralittéraires […]. » (p. 295) De manière générale, Le Docteur Pascal peut être considéré comme une mise en abyme du texte naturaliste (p. 296).
[15] Cela fait penser à La Recherche de l’Absolu de Balzac où le personnage principal, Balthazar van Claës, dépense presque toute la fortune de sa famille pour financer ses expériences chimiques.
[16] Voir à ce propos Thomas Klinkert, « Fiction et savoir. La dimension épistémologique du texte littéraire au XXe siècle (Marcel Proust) », inÉpistémocritique 10 (printemps 2012), http://rnx9686.webmo.fr/?p=258&lang=fr.
[17]Le Docteur Pascal, p. 381.
[18] Cité d’après l’introduction de Guido Davico Bonino, in Luigi Capuana, Giacinta, secondo la 1a edizione del 1879, éd. Marina Paglieri, Milano, Mondadori, 1988, p. XIII.
[19]Ibid.
[20] Voir Floriano Romboli, « L’arte ‘impersonale’ e l’opera romanzesca di Luigi Capuana », in Romano Luperini (dir.), Il verismo italiano fra naturalismo francese e cultura europea, San Cesario di Lecce, Manni, 2007, p. 83–117, p. 95 : « Capuana non aveva mai accettato lo scientismo positivistico come una vision du monde, come un apparato teorico autosufficiente e perciò totalizzante. […] per una sintesi globalmente esplicativa della realtà naturale e storica preferiva ricorrere alla filosofia ottocentesca tradizionale e particolarmente all’hegelismo, che aveva conosciuto in special modo attraverso la mediazione di Angelo Camillo De Meis e di Francesco De Sanctis. » (Capuana n’avait jamais accepté le scientisme positiviste comme une vision du monde, comme un appareil théorique autosuffisant et, par là, totalisant. […] pour une synthèse globalement explicative de la réalité naturelle et historique, il préférait avoir recours à la philosophie traditionnelle du XIXe siècle et, en particulier, à celle de Hegel, dont il avait pris connaissance de manière spécifique par l’intermédiaire d’Angelo Camillo De Meis et de Francesco De Sanctis. – Sauf mention contraire, les traductions de textes étrangers sont celles de l’auteur de cet article.) Voir aussi Gerhard Regn, « Genealogie der Dekadenz : Moralpathologie und Mythos in Capuanas Giacinta», in : Romanistisches Jahrbuch 62 (2011), p. 215–239, p. 227 : « In der Erzählung des ‘bel caso’ […] werden mit den Mitteln der erzählerischen Imagination die Leerstellen gefüllt, welche die unabdingbare Orientierung an der positivistischen Wissenschaft notwendig frei lässt. Dem analytischen Erklären tritt somit das intuitive Verstehen zur Seite. » (Dans la narration du « bel caso» […], les lacunes occasionnées nécessairement par l’incontournable respect de la science positiviste sont remplies par les moyens de l’imagination narrative. À l’explication analytique s’associe donc la compréhension intuitive.)
[21]Giacinta, p. 16–87.
[22]Ibid., p. 35. (‘Maman ! Maman !’, répéta ironiquement Camilla. Et en complétant mentalement sa pensée, ‘Ça alors !’, pensa-t-elle en secouant la tête, ‘Elle commence vraiment très tôt !’)
[23]Ibid., p. 23. (L’enfant grandissait dans ce milieu froid et répugnant, comme une pauvre petite plante qui par malheur a poussé dans un endroit humide et situé dans l’ombre.)
[24]Ibid., p. 23.
[25]Ibid., p. 43.
[26]Ibid., p. 67.
[27]Ibid., p. 144 (Comme un éclair elle aperçut, dans cette sortie de sa mère, la révélation de quelque chose de bas et qui méritait d’être blâmé ; et tous les martyres de son enfance, toutes les douleurs, toutes les rancœurs, tous les dédains de sa jeunesse firent irruption dans sa mémoire comme une musique effrénée.)
[28]Ibid., p. 153. (Oh ! la vie de cette fillette serait absolument le contraire de la sienne. Aucun soin, aucune attention maternelle ne lui manquerait. Elle aimait mieux sur ce point paraître excessive plutôt que de voir se reproduire chez son Adelina l’ombre, seulement l’ombre, des mille douleurs de sa vie !)
[29]Ibid., p. 153. ([…] c’est comme si elle adoptait pour elle-même, son rôle de maman).
[30]Ibid., p. 168.
[31]Ibid., p. 161.
[32]Ibid., p. 93. (Le comte Giulio Grippa di San Celso avait à peine vingt-huit ans. Il avait le corps élancé, les cheveux châtains, la peau extrêmement claire, voire pâle, et il était visiblement le produit dégénéré d’une race magnifique. Il restait des traces aristocratiques sur son visage d’imbécile, sur lequel une vie d’animal désœuvré commençait à marquer l’empreinte d’une vieillesse précoce. Son comportement, quoiqu’un peu maladroit, était également teinté de cette gentillesse exquise dérivant du sang, la loi de l’hérédité naturelle ne valant pas uniquement pour les maladies. Par ailleurs, il était bête, au sens le plus large de ce mot.)
[33]Ibid., p. 161. (Giacinta l’avait intéressé dès les premiers jours comme un cas de pathologie morale vraiment digne d’attention. Chez cette femme l’hérédité naturelle et l’organisme expliquaient à peine la moitié du problème. Et comme pour lui, la médecine ne se réduisait pas à faire un diagnostic et à soigner le malade, il ne laissait échapper aucune occasion de recueillir des éléments scientifiques, c’est-à-dire des faits individuels attestés, pour son grand travail sur l’homme, qu’il avait conçu alors qu’il faisait ses études à l’université de Bologne.)
[34]Ibid., p. 160 (« medico-filosofo »).
[35]Ibid., p. 161 (« un’anima da poeta »).
[36] Voir à ce sujet Annamaria Cavalli Pisani, La scienza del romanzo. Romanzo e cultura scientifica tra Otto e Novecento, Bologna, Pàtran Editore, 1982, p. 22 : « E su questo margine di libertà incontestabile l’artista gioca le sue carte più fruttuose, fino a giungere ben presto come fa il Capuana, che in questo caso scavalca il maestro Zola, a formulare l’idea dell’arte come facoltà in grado di ‘perfezionare’ la scienza, in quanto riesce a dare vita a personaggi e a casi più compiuti e coerenti di quelli che l’esperienza scientifica possa offrire. » (Et dans cette marge de liberté incontestable, l’artiste joue ses cartes les plus fructueuses, jusqu’à ce qu’il arrive assez rapidement, comme Capuana, qui dans ce cas-là suit son maître Zola, à formuler la notion de l’art en tant qu’instrument en mesure de « perfectionner » la science, en ce qu’il réussit à donner la vie à des personnages et à des cas plus parfaits et plus cohérents que ceux offerts par l’expérience scientifique.)
[37]Giacinta, p. 161. (Les malveillants […] prenaient cette intimité pour un mauvais signe concernant la position d’Andrea. Selon eux, le docteur Follini était en train de le supplanter, et ils s’en réjouissaient secrètement.)
[38]Ibid., p. 161. (Rien de plus erroné que ces soupçons).
[39]Ibid., p. 172. (‘Les femmes de ce genre sont incapables d’aimer deux fois !’ Cette conviction empêcha le docteur et Giacinta de faire une erreur de parcours. Cependant, son rôle de confident lui était très agréable. La lutte de cette femme l’intéressait énormément. Il pouvait arriver un moment où son action amicale ne serait peut-être pas inutile dans le dénouement du drame auquel il assistait en tant que spectateur, comme le chœur d’une tragédie grecque. Peut-être son intervention empêcherait-elle une catastrophe. Ce drame ne pouvait manquer d’en avoir bientôt une. Mais laquelle ? Le problème était là. ‘Un dénouement vulgaire’, pensa-t-il parfois. ‘Dans la vie c’est mieux comme ça !’ Et il continua à observer avec la froide curiosité du scientifique, et un peu avec l’émotion d’un homme de cœur.)
[40]Ibid., p. 173. (Oh, si j’avais connu à temps un autre homme comme vous ! Dire que maintenant un homme comme vous, bon et plein de compassion, ne peut plus,… je ne dis pas m’aimer…, même pas avoir de l’estime pour moi !…)
[41]Ibid., p. 200. (Je vous ai aimée comme un enfant.)
[42]Ibid., p. 200. (Dans quelques semaines je partirai pour l’Amérique. La distance maintiendra vivant un sentiment que nous aurions peut-être détruit en restant proches l’un de l’autre !)
[43] Tout porte à croire qu’il s’agit d’un suicide, préparé par Giacinta moyennant une injection de curare. Cependant, ainsi que le fait remarquer Gerhard Regn, « Genealogie der Dekadenz », p. 223, le texte laisse planer le doute sur la cause définitive de la mort de l’héroïne.
Thomas Klinkert
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