7-Du “Storm Cloud” à Vertigo Sea L’art britannique au prisme de l’“angloseen”

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sumé : L’intérêt de la contribution des humanités à la politisation de la crise climatique réside dans la façon dont elles ont rendu sensible un continuum entre nature et culture. Elles se sont pour cela appuyées sur certaines disciplines en particulier, dont la littérature et l’histoire, premiers instruments et objets d’une relecture environnementale de la culture. L’histoire de l’art, quant à elle, vient plus récemment de se saisir de cette même urgence : la nécessité d’adopter une approche écocritique. Dans ce contexte, l’art britannique offre un point de vue privilégié sur les origines industrielles du trouble. Les artistes britanniques furent en effet les premiers et les premières à représenter les effets d’un climat changeant, mais aussi à faire l’expérience professionnelle de points de vue modifiés par la pollution, par l’érosion du paysage, et plus généralement par le bouleversement du lien de l’humain à son environnement. Habitants et habitantes d’un Royaume qui s’est déployé sur des échelles variables allant de la nation à l’empire, ils et elles ont inauguré les mises en relation du planétaire et de l’infiniment petit. En avançant la proposition d’un concept intitulé « angloseen » permettant de synthétiser la notion géologique d’anglocène et les nouveaux modes d’attentions qu’elle nécessite, cet article s’applique à identifier les possibilités d’une démarche écocritique dans l’étude de l’art britannique, tout en confirmant la possibilité d’avoir une approche nationale de la question environnementale.


En novembre 2021, Glasgow accueillait la COP26, centralisant momentanément le débat mondial sur la lutte contre le changement climatique, sans manquer toutefois d’attirer l’attention sur la responsabilité toute particulière dans le domaine du Royaume-Uni, berceau de la révolution industrielle. Cette même imputabilité spécifique a donné l’occasion à Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, auteurs en 2013 de L’Événement anthropocène, de suggérer une possible variation autour de ce concept popularisé à partir des travaux du chimiste Paul Crutzen en formulant la possibilité d’un anglocène. L’anglocène permettrait en effet de reconnaître plus précisément le poids disproportionné du Royaume-Uni et de sa principale ancienne colonie de peuplement, les États-Unis, dans l’avènement de l’anthropocène, mais aussi de reconnaître sa lecture comme une histoire d’exploitation mondialisée des ressources, sous la forme d’entreprises d’extraction, d’appropriation et de commercialisation. A ce sujet, les deux historiens français évoquent une question d’assujettissement, à savoir la responsabilité des « puissances hégémoniques du XIXe siècle (la Grande-Bretagne) et du XXe siècle (les États-Unis) [laquelle] témoigne du lien fondamental entre la crise climatique et les entreprises de domination globale » (135).

Dans ce contexte d’urgence grandissante, les humanités environnementales qui se constituèrent en discipline à partir des années soixante-dix devaient offrir une contribution théorique aux allures de révolution copernicienne. Les nouveaux outils qu’elles proposaient allaient, en effet, non seulement permettre d’appréhender ensemble les causes et les effets du changement environnemental, mais aussi de mettre en lumière l’urgence de le freiner. Cette contribution inédite se fit grâce à un tournant épistémologique appelant à l’abandon pur et simple d’une dichotomie nature-culture finalement dommageable aux objectifs de survie tant elle met à distance des zones supposées sauvages qui seraient à préserver (voir William Cronon 1995, « The Trouble with Wilderness », article dans lequel l’auteur fait également de la nature sauvage, dans un contexte américain cette fois, un enjeu de mythologisation nationale). De nombreux autres chercheurs, dont Donna Haraway et Philippe Descola, ont plus récemment appelé à cette politisation du débat au sein de leur discipline tout autant que dans un plus vaste mouvement transdisciplinaire. C’est aussi le cas de Bruno Latour qui, dans le contexte récent de la pandémie de Covid-19, a émis l’hypothèse que la crise sanitaire serait une répétition générale pour les effets à venir de la mutation climatique en cours. Il invite aujourd’hui les gouvernements du monde à se rendre compte que « l’état du social dépend à chaque instant des associations entre beaucoup d’acteurs dont la plupart n’ont pas forme humaine », et que ce sont des échelles multiples qui doivent être adoptées afin de gérer la crise au niveau de territoires sur lesquels les peuples vont devoir effectivement apprendre à survivre (sa tribune dans Le Monde publiée le 25 mars 2020 fut diffusée le jour suivant dans une traduction anglaise sur le site de Critical Inquiry).

Cette politisation de la question environnementale par le truchement des humanités s’est depuis longtemps appuyée sur la littérature, qui fut l’un des tous premiers instruments et objets d’une relecture environnementale de la culture – venant d’ailleurs ainsi contredire la sacralisation de la nature dans une littérature romantique principalement anglophone. Alors que le nature writing était réévalué, et que cette lecture attentive servait le repositionnement de l’humain non plus « au centre de », mais comme « partie intégrante de » l’environnement, l’éco-art fit lui aussi son apparition dans les années soixante-dix en proposant ce que Nicholas Mirzoeff appelle dans The Right to Look des « contrevisualités ». Le développement de ce genre artistique, aussi pratiqué par Joseph Beuys en Allemagne et par Agnes Denes à New York, coïncida de fait avec l’apparition des premières associations pour la défense de la nature. Greenpeace, fondée à Vancouver à la fin des années soixante, fut ainsi pionnière dans l’utilisation de campagnes marquantes inspirées par cet art militant déjà appelé artivism.

Les Américains Helen et Newton Harrison, lecteurs attentifs du Silent Spring (1962) de Rachel Carson et souvent présentés comme les fondateurs de l’éco-art, sont ainsi connus pour leur travail de recherche exhaustif et pour les collaborations qu’ils établissent avec scientifiques et architectes. En 2007, leur démonstration cartographique des effets à moyen terme du réchauffement climatique sur la géographie du Royaume-Uni, Greenhouse Britain, s’inscrivait dans le prolongement de leurs premières contributions comme Making Earth (1970). Dans leur sillage, de nombreux artistes contemporains continuent ce travail de mise en lumière des atteintes au vivant, tout en retraçant les racines historiques enchevêtrées de ce que Donna Haraway nomme « le trouble » : Simon Starling, qui utilise jusqu’au naufrage le bois dont est faite sa barque pour alimenter le moteur à vapeur qui la propulse sur le Loch Long, au plus près de l’arsenal nucléaire que le lac abrite plus ou moins secrètement, dans Autoxylopyrocycloboros (2006) ; Alberta Whittle, qui relie politique migratoire récente du Royaume-Uni et écologie en détournant l’intitulé donné par Theresa May à ses mesures dissuasives dans « Business as Usual: hostile environment » (2020) ; ou encore John Akomfrah, dont les installations vidéo Vertigo Sea (2015) ou Purple (2017) déploient sur des écrans multiples une exploration de ce que le poète saint-lucien Derek Walcott a appelé « The Sea as History » (1978). Ce n’est pourtant que plus tardivement, sous l’impulsion de ces pratiques contemporaines, que s’est matérialisé un tournant écocritique qui était appelé de leurs vœux par des historiens de l’art soucieux de combler le retard pris par la discipline dans le champ des humanités.

John Akomfrah, Vertigo Sea, 2015.
Three channel HD colour video installation, 7.1 sound 48 minutes 30 seconds (AKOM150001)
© Smoking Dogs Films; Courtesy Smoking Dogs Films and Lisson Gallery.

1. L’oeil écologique : une question d’attention

On doit à l’historien Andrew Patrizio d’avoir formulé en 2019 un appel clair et remarqué à la constitution de ce nouvel horizon écocritique (The Ecological Eye), qu’il espérait alors comparable au tournant pris par l’histoire de l’art dans les années soixante-dix avec l’émergence de la New Art History. Comme il le soulignait à nouveau en 2021 dans « Extreme Attention, The Ecological Eye in Art History », le public de l’art a tendance à penser que ce qui se transmet du passé est par essence immuable, et que ce qui se donnait à voir au moment de la conception de l’œuvre reste pour toujours inchangé. Or, tout se joue sur des modes d’attention, par nature évolutifs et appelés à être reconsidérés. C’est ainsi qu’une œuvre iconique de l’Angleterre du XVIIIème siècle, qui joua déjà un rôle central dans les débats initiés par les cultural studies, s’avère à nouveau pertinente aujourd’hui, alors que se dessine un tournant écologique en histoire de l’art. Mr and Mrs Andrews (1750) a en effet déjà fait l’objet de plusieurs relectures critiques, notamment par John Berger qui vint s’opposer à la lecture élitiste de Kenneth Clark (19031983), accusé d’être resté aveugle au contexte économique et aux inégalités sociales qui sous-tendent cette scène bucolique1. Quand Clark avait célébré dans Landscape into Art le double portrait de Thomas Gainsborough (1727–1788) comme la représentation d’un bonheur marital tout neuf saisi dans un cadre naturel édénique, Berger proposait dans Ways of Seeing de déconstruire une scène de possession terrienne socialement excluante, rejetant hors cadre et hors champs les paysans qui avaient jadis pu y glaner quelque moyen de subsistance. Ce faisant, il contredisait la doxa de ce qui était, de facto, devenu la Old Art History, c’est-à-dire une lecture rousseauiste de la toile défendue par l’artiste et critique Lawrence Gowing (1918–1991) selon laquelle le couple Andrews se seraient adonnés à la contemplation et à la jouissance d’une nature immaculée (« uncorrupted and unperverted Nature », Berger, 107). On imagine que, pour Clark et Gowing, les agents d’une corruption à laquelle aurait échappé le domaine des Andrews ne pouvaient être que ces braconniers ou autres intrus qui auraient été battus ou encore déportés s’ils s’étaient aventurés sur cette propriété privée. Berger, dont les travaux sont traversés par cette articulation entre façons de voir et prise de possession, renverse ce propos pour faire des propriétaires terriens les corrupteurs de l’unité humaine, capables d’apprécier la Nature à la seule condition que celle-ci leur appartienne.

L’appel de Patrizio s’inscrit donc dans le prolongement des renversements de la New Art History pour proposer d’enrichir encore ces nouveaux modes d’attention. L’historien de l’art suggère ainsi de revenir sur ce qui, dans la peinture du XVIIIème siècle, pourrait relever d’une corruption de la Nature, et d’en identifier les agents à la lumière de la crise actuelle (2021). De nouvelles lectures ont, en effet, émergé depuis les années soixante-dix pour reconsidérer en particulier la présence féminine dans ce tableau. Récemment, l’exercice d’une lecture anthropocentrique, encouragée ne serait-ce que par le titre de l’œuvre, Mr and Mrs Andrews, a fait l’objet de révisions pour y inclure des présences et des absences animales (notées en particulier par Kean, 14). Le nouveau mode d’attention écologique souhaité par Patrizio vient donc aujourd’hui rencontrer les préoccupations féministes, décoloniales et antispécistes pour ajouter le changement climatique et la crise environnementale à la liste des agents corrupteurs qui s’offrent enfin au regard, rejoignant ainsi et croisant l’appropriation, la soumission, l’apprivoisement et l’extraction.

Ce plaidoyer pour une histoire de l’art écologique invite donc à une ouverture iconologique autant qu’à l’adoption d’un nouveau point de vue marqué par l’horizontalité plutôt que par la verticalité, puisque Patrizio assure que seul un nivellement ontologique (« flattening the ontology ») pourra permettre de poursuivre l’entreprise de dépoussiérage de la discipline. Au même moment, des artistes britanniques comme Isaac Julien, Alberta Whittle ou John Akomfrah font se croiser l’urgence de la montée des eaux – eaux d’océans chargés de plastique mais aussi de corps asservis – et l’histoire de l’extraction coloniale et des migrations forcées, ancrant les représentations et interprétations actuelles de l’anthropocène dans une histoire nationale faite de traversées transatlantiques et de la transformation de ressources puisées à travers le monde. On retrouvera ainsi ce même croisement post-colonial et écocritique dans l’exposition « Life Between Islands, Caribbean-British Art since 1950 » proposée par Tate Britain en 2022, tout comme dans l’installation de la même année, The Procession, dans laquelle, comme Donald Rodney (1961–1998) avant lui, Hew Locke relie l’histoire coloniale de la commercialisation du sucre et celle de la famille Tate et sa philanthropie artistique.

Le philosophe britannique Timothy Clark avait déjà signalé en 2015, dans Ecocriticism on the Edge, que cette nouvelle époque de l’histoire de la Terre qu’est l’anthropocène remet en cause les échelles sur lesquelles la politique ou l’art opèrent traditionnellement, anticipant par-là l’injonction récente de Bruno Latour à repenser les différents niveaux de l’action politique. C’est une question que nombre de travaux récents qui explorent différentes nouvelles approches écocritiques de l’histoire de l’art se posent : comment repenser les concepts de base de l’histoire de l’art que sont le temps et l’échelle de manière croisée ? L’échelle nationale qui avait été écartée à partir de la seconde moitié du XXème siècle au profit d’une approche mondiale a ainsi pu réapparaître. Ceci a pu se faire de manière discrète lors de symposiums qui se sont déroulés à Londres en 2010 et 2018, et qui s’intéressaient à des œuvres britanniques du XVIIIe siècle à aujourd’hui sans toutefois apporter cette précision dans leur titre (« To the ends of the earth » à la Tate, et « Landscape Now » au Paul Mellon Centre). Leur tenue juste avant et juste après le référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne explique probablement cette réticence à évoquer toute appartenance nationale. Toutefois, dans la rubrique « Conversation Piece » du tout premier numéro de British Art Studies paru en 2015 l’artiste Richard Wentworth répondait ainsi à l’énoncé « there’s no such thing as British art » : « there are questions of scale that come directly from perceptions of landscape and the politics of space. […] Everybody knows that the sea can never be more than seventy miles away, and an island mentality is a distinct condition. »

L’ouvrage British Art and the Environment, Changes, Challenges, and Responses Since the Industrial Revolution que nous avons co-dirigé en 2021 répond à l’appel d’Andrew Patrizio et propose ainsi de porter une attention particulière – puisqu’il s’agit bien de s’intéresser aux modes d’attention – à la perception que le Royaume-Uni a de sa position dans le monde et de la manière dont il en a pris possession depuis le XVIIIème siècle2. Berceau de l’anglocène, le pays offre un point de vue privilégié sur les sources du bouleversement, faisant de ses limites géographiques des marqueurs éclairants de ses transformations visuelles. Ce niveau national se déploie à de multiples échelles. Le géographe culturel David Matless a ainsi privilégié des approches régionales (Eccles ou la côte du East Norfolk par exemple, 2018, 2019), s’appuyant sur la notion d’anthroposcène – le -s ajouté au vocable géologique invitant à se concentrer sur les manifestations visuelles des mutations induites par l’activité humaine – comme dérivé et possible corollaire culturel de l’anthropocène. Un autre géographe culturel, Stephen Daniels, s’est également intéressé à la représentation de l’érosion des côtes britanniques et a développé le concept d’un paysage liquide pour évoquer la façon dont la rigidité cartographique ploie sous la montée des eaux, alors même que se font plus extensibles les concepts d’environnement et de paysage.

Cette lecture environnementale est donc multiscalaire ; elle peut s’affiner pour passer d’une appréhension mondiale d’événements climatiques à un niveau géologique élémentaire, une pierre, un insecte, en passant par l’échelle impériale, puis celle des contours des îles britanniques. Le Royaume-Uni, agrégat insulaire de quatre nations dont l’empire, à son apogée, ne voyait jamais se coucher le soleil, est en effet lesté d’une histoire qui encourage cette lecture changeante de ses échelles.

2. Pour un “angloseen” écologique

En 1856, le peintre de paysage anglais Philip Gilbert Hamerton (1834–1894) se lança dans une série d’expéditions alliant camping et peinture en plein air. Après un rapide passage dans le nord de l’Angleterre, il monte vers les Highlands, région qu’il décrit comme une sorte de recueil d’images (« a land of pictures ») et qui sera le lieu de ses plus extraordinaires aventures, publiées en 1862 dans des mémoires intitulées A Painters Camp. Son premier périple dans le nord de l’île n’avait donné lieu qu’à une modeste collecte de dessins et tableaux. Cette fois-ci, l’artiste était bien décidé à revenir les mains pleines, déclarant dans ses écrits : « […] I will not, and cannot endure this defeat. I will leave the Highlands victoriously, and return laden with precious spoil, master of the mystery of that scenery – or I will die in the camp » (139).

Non seulement Hamerton n’y laissera pas la vie, mais il y retournera l’année suivante, à bord cette fois d’une étrange structure flottante, un bateau constitué de deux flotteurs tubulaires reliés par un pont plat sur lequel il avait fixé une tente lui servant d’atelier. Ce n’était plus les paysages de l’intérieur qu’il souhaitait désormais s’approprier de la sorte, mais plutôt ce qu’il considérait de fait comme étant ce que les îles britanniques offraient de plus beau au regard : leurs côtes, réputées imprenables et dont l’érosion avait pourtant commencé à changer l’aspect.

Comme le montre Amy Wallace dans « Vehicles of Truth », le récit de Hamerton est traversé par une rhétorique nationaliste et impérialiste d’appropriation bien identifiée à l’époque victorienne (voir à ce sujet la première partie du récent Ecocriticism and the Anthropocene in Nineteenth-Century Art and Visual Culture consacrée à des concepts tels que l’impérialisme anthropocène et l’écolonialisme). Celle-ci vient cependant buter sur des exigences nouvelles de proximité du sujet, de « vérité » dans l’approche de paysages changeants et insaisissables, d’humilité, même, face à des forces naturelles qui se moquaient de ses efforts pour se protéger du vent, de la pluie et des fameux midges écossais déjà redoutés par le peintre John Everett Millais (voir son dessin de 1853 conservé au Yale Center for British Art, Awful Protection against Midges).

L’épisode de la « sécheresse africaine » de 1859, qui allait marquer le second été de Hamerton dans les Highlands, fournit un exemple éloquent de la façon dont non seulement les sens de l’artiste, mais tout son appareil intellectuel et technique d’appréhension de l’environnement physique, façonné par des siècles d’écrits académiques transmis par les écoles d’art, furent bouleversés par un événement climatique qui débordait les frontières du pays. Le 17 juin, comme il le rapporte dans ses mémoires, la canicule qui régnait dans la région depuis presque trois mois et avait fini par mettre à nu le lit des rivières menace d’« anéantir » tout sentiment de perspective et de profondeur. L’œil humain, habitué qu’il était à s’appuyer sur les repères spatiaux, quand bien même mouvants, fournis par les nuages et les contours des nappes de brume, se retrouve dans l’impossibilité de juger des distances : « [T]he eye, accustomed to the broad, well-defined spaces of misty weather, was utterly at fault in judging of distance. » L’espace d’un instant, même, au sommet du Ben Cruachan, Hamerton fait l’expérience enivrante et quasi hubristique d’une vision à la fois panoptique et parfaite des plaines environnantes. Le sentiment fut aussi intense qu’éphémère puisque, à la faveur du retour d’une « grande armée de nuages » sur les côtes écossaises, la chaleur étouffante qui avait écrasé dans un même étau êtres humains, animaux et formations géologiques se dissipa le même jour. Le champ visuel de l’artiste se trouva aussitôt réduit à une demi-douzaine de pierres grises, et quelques cadavres de bouteilles abandonnés au sommet de la montagne par des touristes irrespectueux des beautés tant admirées par John Ruskin (1918–1900) (« a few broken bottles (relics of tourists who, not having the fear of Ruskin before their eyes, had eaten lunch on the mountain instead of saying their prayers) » (177).

De façon ironique pour un peintre de plein air qui passa une grande partie de sa vie à transformer des cabanes et des tentes portatives en véritables outils d’optique, ce ne fut donc pas une de ces camera oscura d’un genre nouveau et répondant aux nouvelles injonctions ruskiniennes (Amy Wallace les qualifie de « vehicles of truth », ou « vecteurs de vérité ») qui devait lui permettre de « lever le voile d’Isis »3. C’était bien l’œil de l’artiste qui était devenu le lieu de captation privilégié de nouveaux phénomènes climatiques qui, à la manière d’une boucle de rétroaction, fournissaient eux-mêmes les conditions de cette expérience physiologique. Dans Techniques of the Observer: on Vision and Modernity in the Nineteenth Century (1992), l’historien américain Jonathan Crary a montré comment l’avènement de l’ère industrielle au Royaume-Uni a coïncidé avec le déclin du modèle de la camera oscura classique, où le monde extérieur était saisi et cartographié par un moi « intérieur » (au propre comme au figuré), pour favoriser la désintégration de la frontière dialectique entre sujet et objet, et s’acheminer vers une réévaluation du corps dans son environnement, et non coupé de celui-ci, comme seul moyen d’appréhension d’un monde en rapide évolution. Les expériences dangereuses menées par Joseph Mallord William Turner (1775–1851) dans son désir d’enregistrer la luminosité du soleil sur sa propre rétine afin de mieux la retranscrire en peinture témoignent bien de cette obsession victorienne d’écraser la distance entre le corps et le milieu externe, organique ou non, et de s’immerger pleinement dans le flux d’un monde matériel ici brûlant et sec, ailleurs humide et venté.

Si l’immersion est un trope qui mobilise de plus en plus l’écocritique dans le domaine de la littérature, en particulier la littérature victorienne, elle intéresse aussi les historiens de l’art en quête de relectures écologiques par définition associatives et décloisonnées. A ce titre, la recherche actuelle fait une large part à la figure de John Ruskin, l’homme des toutes premières observations sur le changement climatique de la fin du XIXe siècle, l’auteur de réflexions aesthetico-morales largement diffusées sur ses conséquences pour ses contemporains, le champion de Turner et de ses expérimentations formelles et « anthroposcènes », et le dessinateur sensible du paysage, des cieux, de la flore et de la faune britanniques. Dans son célèbre discours publié sous le titre « The Storm Cloud of the Nineteenth Century » (1884), un texte dont Jesse Oak Taylor a rappelé l’importance dans la prise de conscience de mutations climatiques anthropogéniques multiformes et toxiques, le critique d’art anglais s’en prenait à une histoire nationale de la pollution industrielle en pointant le rôle d’exemple que son pays jouait, de façon regrettable cette fois, dans le concert des nations. Comme l’a récemment rappelé Nicholas Robbins dans un chapitre de Ruskin’s Ecologies intitulé « Ruskin, Whistler, and the Climate of Art in 1884 », le discours de Ruskin était accompagné de projections de tentatives de visualisation graphique de phénomènes météorologiques menaçants (car incontrôlables) et qui le plongeaient lui-même dans une véritable crise existentielle. Sa théorie artistique reposait en effet tout entière sur des exigences de vérité auxquelles seule une immersion sensorielle au cœur de la nature permettait de répondre. Tout dérèglement physique ne pouvait donc qu’induire chez le critique et ses nombreux disciples une crise de la vision à la fois esthétique, morale, et politique.

Si l’on a souvent opposé John Ruskin et James McNeill Whistler (1834–1903), pour partie dans une continuation posthume de la querelle qui les enflamma en 1878, Laura Valette rappelle au contraire dans son exploration des représentations du brouillard londonien de l’artiste américain à quel point ce dernier allait lui-même chercher au plus profond de la nature, ici dans la matrice fournie par le mélange délétère de l’évaporation des eaux de la Tamise et des effluves de charbon rejetées par les industries de la ville, le matériau qu’il chercherait ensuite à transcender par son art. A la différence des peintres abstraits, et à l’exception des nocturnes, Whistler peignait sur le motif, et c’est ce désir de se plonger, corps et âme, dans la réalité fluctuante, étrange et subjective de l’atmosphère londonienne, qui le fit mener à bien les expérimentations formelles (sur des formes naturelles, liquides, urbaines et/ou industrielles) qui annonçaient le passage à l’abstraction et l’émancipation du regard. C’est en partie aussi à Whistler que l’on doit l’attirance des artistes abstraits britanniques, de Vanessa Bell (1879–1961) à Howard Hodgkin (1932–2017), pour un environnement organique et climatique auquel ils se sentaient liés, comme l’a montré Rosalind Krauss dans The Optical Unconscious (1993), par des processus physiologiques de perception subjective.

On connaît l’aversion de Ruskin pour le miroir de Claude, ou « Claude Glass ». Ce miroir de poche utilisé et popularisé par le peintre classique Claude Lorrain permettait de transformer le paysage qui se déployait dans le dos du spectateur en véritable tableau, contenu dans un cadre au format choisi par son propriétaire, et qui faisait parfois trébucher le touriste oublieux de son environnement le plus immédiat et tangible. L’historien français Arnaud Maillet a pourtant souligné comment cet outil d’optique, longtemps honni par les partisans du contact brut et « vrai » avec l’objet de la représentation, fut réinvesti au XXème siècle par des artistes engagés dans des expérimentations formelles. Parmi eux, on trouve le britannique Graham Sutherland (1903–1980), qui fut particulièrement sensible au potentiel « d’abstraction » de ce qu’on appela aussi le « miroir noir » pour sa tendance à obscurcir et transformer la perception en reflet du réel, alors même que Ruskin identifiait un semblable effet noircissant dans la pollution industrielle qui commençait à coloniser à la fois le ciel de son pays et les paysages produits par ses contemporains. Comme le rappelle Thomas Hughes dans « The Human Landscape », « [in] the chapter “Of Modern Landscape” towards the end of the third volume of Modern Painters 3 (1856), Ruskin describes the decline of the “stability, definiteness, and luminousness” of the medieval world into the “darkness” and “mutability” of the faded, profane, rain-sodden, and cloudy modern landscape (5:317) ». Finalement, l’exposition récente de la Tate intitulée « Turners Modern World » (2020) a bien montré comment même le peintre favori de Ruskin allait développer pour ses scènes de sublime industriel une palette sombre qui fait écrire à David Blayney Brown, à propos des dernières décennies de l’artiste : « […] steam power would coalesce with his dynamic vision of nature in definitive pictures of the machine age. » (Brown, Concannon, Finch & Smiles, 33)

Des avancées technologiques récentes ont permis de faire entrer une histoire britannique de vision « mécaniquement assistée » (le miroir de Claude connut en effet une popularité exceptionnelle dans les îles britanniques) dans l’ère de la machine innovante et connectée. Son potentiel créatif fascine des artistes désireux d’ouvrir le champ du visuel et d’imaginer, face à la menace climatique, des futurs émancipés des contingences d’un monde carboné. La réalité virtuelle (VR), la réalité augmentée (AR), les images par drones et des instruments d’une technologie de plus en plus sophistiquée sont désormais convoqués afin de créer de nouveaux environnements immersifs qui libèrent l’œuvre d’art du poids du matériel. Là où Paul Virilio (1932–2018), dans un contexte de guerre et de surveillance accrue, déplorait une « industrialisation de la vision » qui fracturait selon lui la perception de l’environnement, mettant dos à dos le sujet vivant et « vu » et l’objet inanimé « qui voit », les théories contemporaines du transhumanisme ont bien plutôt imaginé une extension possible du corps à travers des engins de prothèse distants et mobiles, sur le mode de la contiguïté plutôt que de la coupure.

Au moment où le futur proche de notre planète est rendu instable et insaisissable par des données climatiques alarmantes, le géographe Paul Cureton imagine ce qu’il appelle de « futures ontologies aériennes », nécessaires pour rendre compte de cet état de flux mortifère. Dans Strategies for Landscape Representation. Digital and Analogue Techniques (2016), il expliquait comment les drones, par exemple, seraient à même d’ouvrir de nouveaux horizons visuels, au propre comme au figuré : « Drone use not only provides data on environmental conditions, but can be used archeologically and futurologically, flying in a particular aerial/perspective space that creates new mapping narratives from its flight position which offer both map and perspective » (52), créant ainsi un « hover space », un espace en suspension au-delà de l’échelle humaine. Il rappelle dans « Aerial Ontologies » (Gould et Mesplède, 2022) comment les artistes britanniques nourrissent depuis le XVIIème siècle une fascination jamais démentie pour l’élévation et la représentation « fidèle » d’un territoire qui change « sous » leurs yeux (entre urbanisation et industrialisation galopantes de la seconde moitié du XVIIIème siècle jusqu’à la première moitié du XXème siècle) et dont eux-mêmes ont pu modeler le destin par leurs dessins, cartes et tableaux, embarqués à bord du fameux « vaisseau spatial terre » décrit par Richard Buckminster Fuller (1895–1983). Aujourd’hui, c’est l’immatériel de paysages climatiques qu’ils et elles souhaitent saisir de l’intérieur tout en revendiquant pour leur pratique une agentivité respectueuse du monde, à rebours des pratiques militaires et coloniales d’appropriation qui ont marqué la cartographie depuis le début de l’ère industrielle.

Héritiers de la nouvelle continuité entre art et environnement établie par le Land Art et articulée en termes de sites et non-sites par Robert Smithson (1938–1973), de nombreux artistes ont au tournant du siècle délégué une part de cette agentivité aux processus de transformations successives d’éléments et d’objets du monde. C’est le cas d’Anya Gallaccio qui, depuis preservebeauty (1991), n’a cessé d’exposer les phénomènes d’érosion, de dissolution et de pourrissement à l’œuvre sur des portions de nature prélevées et recontextualisées dans la galerie, le musée, ou dans des lieux non-institutionnels. L’entrepôt désaffecté des Docks de Londres choisi en 1991 était ainsi emblématique des politiques de régénération du gouvernement Thatcher et des mutations spatiales qui bouleversaient le Royaume-Uni depuis son tournant néo-libéral. Simon Starling, en proposant des installations plus complexes et plus techniques, s’intéresse de la même façon à des séquences de transformations qui se déploient dans des contextes signifiants. Il déclarait ainsi dans un entretien qu’il nous a accordé en 2008 :

I’m interested in the interplay between an understanding of eco-centrism in the political sense, as a strand of activism if you like, and that of a more general system of connectivity – of connections through time and space, across economic and social systems. While some projects refer directly to an activist sense and tap into the language or spirit of protest, all of the works engage with the more general eco-centric notion by connecting places, production technologies, flows of material, energy etc. Autoxylopyrocycloboros (2006) is perhaps a good example of the former, with its origins in the protest culture of the anti-nuclear movement that has dogged the activities of the nuclear submarine bases on the west coast of Scotland for decades now, while a work like Three Birds, Seven Stories, Interpolations and Bifurcations (2008) could be understood in terms of the latter with its sweeping connections through time and space. But in both instances the core notion of ‘action’ or perhaps ‘gesture’ as a generative, ‘political’ tool is established through processes of transformation, production, destruction, travel, etc.

Les flux et transformations évoqués par Starling sont caractéristiques de cet « angloseen » écologique que l’on peut voir traverser l’histoire de l’art britannique depuis les débuts de l’aventure industrielle sur le sol anglais, alors que les premiers nuages de fumée s’élevant de la vallée de Coalbrookdale et de la fonderie du même nom accrochaient l’imaginaire du peintre Philip de Loutherbourg (1740–1812) (voir son Coalbrookdale by Night de 1801 pour la visualisation saisissante d’un processus de transformation technologique dans un contexte naturel qui en serait lui aussi modifié). En avançant la proposition d’un concept intitulé « angloseen », nous souhaitons ici synthétiser la notion géologique d’anglocène et les nouveaux modes d’attentions qu’elle nécessite dans le domaine des arts visuels, tout en confirmant la possibilité d’identifier et d’historiciser une vision nationale de la question environnementale.

3. Le climat en partage

Le philosophe français Jacques Rancière a exploré dans un texte de 2000 ce qu’il appelle « le partage du sensible », « ce système d’évidences sensibles qui donne à voir en même temps l’existence d’un commun et les découpages qui y définissent les places et les parts respectives. » (12) Tout partage, que les parts soient ou non égales, engendre la possibilité d’une recomposition des éléments et des forces en présence dans un monde commun qui, comme l’affirme Bruno Latour dans son propre Manifeste compositionniste de 2010, n’existe au fond pas, mais est bien « […] à faire, […] à créer, […] à instaurer » à partir d’un « plurivers » (40) de cultures et de natures – ou de « naturecultures » (selon l’expression désormais consacrée de Donna Haraway) – où les désaccords sont fondamentaux et potentiellement insurmontables. Pour ce faire, et sans écarter le spectre terrifiant de l’échec, Latour en appelle aux arts, les arts politiques, certes, mais dans cette dimension même qui les distingue des sciences et en fait « des arts justement, des artifices, des astuces, des compétences, des artisanats, des pratiques – pas des sciences. » Les arts du visuel sont, on le sait grâce aux travaux de l’Américain TJ Demos, en ce moment-même embarqués dans un vaste mouvement d’extension politique et critique de leurs pratiques, pour un meilleur partage d’un sensible qui prend désormais une acception très large, comme en atteste la reconstruction récente par la philosophe néo-matérialiste Jane Bennett du concept de « chose ».

C’est ainsi que l’on doit aux différents mouvements du tournant dit « non-humain » présentés en 2015 par Richard Grusin dans The Non-Human Turn d’avoir théorisé le décentrement de l’humain en faveur d’une attention croissante pour ce qu’il définit ainsi : « the non-human, understood variously in terms of animals, affectivity, bodies, organic and geophysical systems, materiality, or technologies. » (vii) Dès 1757, cependant, le philosophe anglo-irlandais Edmund Burke (1729–1797) définissait ce qu’il entendait par « société » en termes très inclusifs, puisqu’il en envisageait de deux sortes : « 1. the society of the sexes, which answers the purposes of propagation; and next, that more general society, which we have with men and with other animals, and which we may in some sort be said to have even with the inanimate world. » (A Philosophical Enquiry, 34) De fait, les considérations sur la façon dont l’ère industrielle née en même temps que le sublime burkéen a pu altérer la façon dont humains et non humains, animés et inanimés, flore et faune, océans et montagnes, lacs et roches s’ « affectent » les uns les autres font désormais partie des questions posées par une histoire de l’art écologique. Bien en amont des théories de l’affect développées ces vingt dernières années, le verbe « affecter » est en effet employé par Burke dans sa description des liens de sympathie qui unissent les différents acteurs du corps social au sens large.

Dans son chapitre « ‘A New and Unforeseen Creation.’ Turner, English Landscape, and the Anthropo(s)cene », (Gould et Mesplède, 166-181) Frédéric Ogée ouvre sa réflexion sur la façon dont Turner rendit compte dans ses paysages des nouvelles conditions de perception et de production artistiques engendrées par la révolution industrielle sur une mention de ce lièvre à peine esquissé et se fondant dans la matière épaisse du tableau, et qui tente d’éviter la locomotive furieuse et battue par les vents de Rain, Steam and Speed (1844). Quelque vingt ans plus tard, remarque Ogée, le lièvre blanc d’Alice allait précipiter l’innocente enfant du conte de Lewis Carroll (1832–1898) dans un terrier interminable dont elle remonterait à jamais changée. Mais il n’était pas que les humains à porter les marques, voire les stigmates d’un désenchantement quasi wébérien. Le concept danthropo(s)cène créé par David Matless pour évoquer l’impact de l’ère du charbon sur les paysages contemporains permet ici de mieux comprendre des paysages turnériens qui offraient une vision sublimée d’environnements naturels remodelés par les forces conjointes de l’« enclosure », et de l’urbanisation et de l’industrialisation accélérées du pays. Raby Castle (1818), par exemple, fait partie des tentatives menées par l’artiste pour rendre compte d’une réalité récente, ici un parc paysagé aristocratique soigneusement préservé de transformations désagréables à l’œil (la meute de chiens de chasse qui traverse le premier plan n’avait à l’évidence pas à se heurter aux nouvelles barrières des « enclosures »), mais dans lequel la poursuite des hommes, et le château lui-même, siège d’un pouvoir temporel jadis sans partage, apparaissent soudain presque futiles sous la voûte immense d’un ciel menaçant.

Dans une composition prise elle aussi entre terre et ciel, la météorologie post-apocalyptique de The Fields of Waterloo (de même peint l’année de la publication de Frankenstein) a pour effet de faire miroir au drame qui se déploie sur le sol, mais semble aussi replacer cette représentation d’une humanité et d’une nature ravagées dans un drame plus vaste, hors cadre et de mauvais augure pour une Angleterre à l’impérialisme agressif. Quelque cinquante ans plus tôt, Burke semblait déjà commenter les effets produits par ce type de représentation insoutenable, quand il écrivait au sujet des causes du sublime :

The noise of vast cataracts, raging storms, thunder, or artillery, awakes a great and awful sensation […] The shouting of multitudes has a similar effect; and by the sole strength of sound, so amazes and confounds the imagination, that in this staggering, and hurry of the mind, the best established tempers can scarcely forbear being borne down, and joining in the common cry […] (68).

Ce cri de douleur, cette plainte qui s’élevait du champ de bataille dévasté de Waterloo, paraissait bien, grâce au génie de Turner, avoir été lancé dans un même temps par les hommes, les éléments et les animaux (dont le philosophe remarquait un peu plus loin à quel point les sons de détresse sont de nature à impressionner l’âme et le corps), dans une tragique communauté d’expérience sensorielle.

Ce qui est sans doute à considérer comme l’essai fondateur de la pensée environnementale au Royaume-Uni, « The Storm Cloud of the Nineteenth Century » écrit par Ruskin en 1884, fait une même large place au corps « naturel », agité jusqu’au plus profond de ses fibres végétales ou de chair et de sang. C’est ainsi que l’un des pionniers de l’observation des phénomènes climatiques rapportait l’effet que produisait sur son environnement immédiat son fameux « plague-wind » – lourd des émanations des 200 hauts fourneaux en activité autour de lui – en des termes qui signalaient la porosité, fondamentale à ses yeux, de l’humain et du non-humain :

It always blows tremulously, making the leaves of the trees shudder as if they were all aspens, but with a peculiar fitfulness which gives them—and I watch them this moment as I write—an expression of anger as well as of fear and distress. You may see the kind of quivering, and hear the ominous whimpering, in the gusts that precede a great thunderstorm; but plague-wind is more panic-struck, and feverish; and its sound is a hiss instead of a wail.

Les palpitations et les tremblements évoqués dans ce passage se communiquaient de façon fluide et réciproque, on le comprend à la lecture de l’ensemble de l’essai, du corps des arbres à celui d’un artiste bouleversé par le phénomène « naturelculturel » qui se propageait dans le ciel de l’Angleterre et semblait engagé dans une lutte répétée et mortifère avec le temps clair des jours heureux. Dans une étude de l’intersection entre discours technique et pensée environnementale dans l’œuvre écrite et picturale de Ruskin, Thomas Hugues revient sur l’enchevêtrement ruskinien entre humain et non humain (ou « other-than-human » que l’historien de l’art préfère à « non human »), décelant la présence du coeur humain dans un paysage de rochers et de fougères de 1847 (Rocks and Ferns in a Wood at Crossmount, Perthshire), lecture encouragée par un passage de The Elements of Drawing (1857) où est évoquée cette leçon :

a perpetual lesson, in every serrated point and shining vein which escapes or deceives our sight among the forest leaves, how little we may hope to discern clearly, or judge justly, the rents and veins of the human heart; how much of all that is round us, in men’s actions or spirits, which we at first think we understand, a closer and more loving watchfulness would show to be full of mystery, never to be either fathomed or withdrawn. (15.120)

La leçon, comme le soutient Hughes, est à la fois exaltante et tragique aux yeux du Presbytérien qu’était Ruskin, et signale le manque tout autant que la communion.

Ces réflexions sur la place de l’humain dans un environnement à la fois autre et plus vaste, une place à la fois centrale et imbriquée, s’accompagnaient chez Ruskin d’une lamentation aux accents nationalistes bien connus sur l’état du monde moderne, résultante d’une combinaison toxique d’industrialisation à marche forcée, d’urbanisation galopante et de corruption du goût. C’est d’ailleurs le statut de symptôme de ces différentes conditions d’existence nouvelles qui lui fait longtemps reléguer le dessin (trop souvent « industriel » et préoccupé en cette fin du XIXème siècle par des questions d’efficacité et de duplication rapide) derrière la couleur, qu’il associe, non seulement au féminin, mais aussi à l’amour, avec tous les dangers que cette double affiliation peut renfermer. Finalement, comme Hughes le montre avec finesse, Ruskin finira dans ses derniers écrits par refuser toute dichotomie facile entre couleur et dessin, féminin et masculin, lui préférant l’ambivalence radicale des genres, des sexualités et des techniques comme seul moyen d’accéder à la vérité de la nature.

Pour autant, la question du genre dans la responsabilité morale – et « exceptionnellement humaine » – vis à vis d’un environnement confronté aux premiers signes du changement climatique allait être tranchée de la manière que l’on sait par l’auteur de « Queens’ Gardens », du côté du masculin et de l’action publique. Dans leur ouvrage Green Victorians, Vicky Albritton et Fredrick Albritton Jonsson ont par exemple mis en lumière l’engagement en faveur de l’environnement d’un artiste et ami de Ruskin tel que William Gershom Collingwood (1854–1932) (119-146). Dorrie Collingwood, peintre elle aussi, renonça vite à sa propre carrière afin de mieux soutenir les efforts de son mari pour trouver des solutions à la menace que faisait peser le charbon sur les paysages du Lake District. Plus d’un siècle plus tard, et alors que les femmes sont parmi les premières victimes de la crise écologique qui frappe la planète avec une sévérité croissante depuis les années soixante, les artistes contemporains n’ont de cesse de questionner la répartition inégale entre les sexes des responsabilités et des conséquences. Hamerton, dans les récits évoqués précédemment, faisait appel à la construction masculiniste et genrée de la nature si commune en son temps. A la frontière entre le Yorkshire et le Lancashire, il est amené à camper près d’un ruisseau, ce qui le plonge dans de douces rêveries mêlant le féminin et le surnaturel : « […] one cannot help imagining that the fairies dance by moonlight on its delicate grass, and revel by its little stream. » Un peu plus loin, ce sont cette fois de larges blocs de pierre qui ornent une « noble » vallée, « lead[ing] one to imagine that a giant-god of mighty muscle and sinew had hurled them about in the sportiveness of supernatural strength » (11). Whistler, quant à lui, envisageait le pouvoir de métamorphose du crépuscule londonien, avec ses fameux effets de brouillard, comme un pouvoir magique, transformant la ville en un pays de conte de fées. La Nature y prenait des allures de sirène, envoûtante, insaisissable, et chantant sa mélodie pour les seules oreilles de l’artiste élu par elle, alors que les derniers voyageurs égarés avaient retrouvé la sécurité de leur foyer (cité par Valette, 51) :

When the evening mist clothes the riverside with poetry, as with a veil – And the poor buildings lose themselves in the dim sky – And the tall chimneys become campanile – And the warehouses are palaces in the night – And the whole city hangs in the heavens, And fairy-land is before us – Then the wayfarer hastens home […]. And Nature, who, for once, has sung in tune, sings her exquisite song to the artists alone(Ten O’clock lecture, February 1885, 14).

Au tournant du XXIème siècle, le résultat du référendum de juin 2016 sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne confirmait un repli identitaire sous forme d’insularité. Le Brexit commençait de redistribuer les cartes géopolitiques, et ce, après une campagne de déshumanisation des réfugiés qui continuent d’être nombreux à se noyer en cherchant à rejoindre le pays, et qui sont eux-mêmes décrits comme des « vagues » ou des « déferlantes » menaçantes. Mais ce recentrement passait aussi par le fait de repousser une frontière cruciale, celle qui sépare Eire et Ulster, dans la mer d’Irlande. Dans son article « Brexit and the Occult », Edwin Coomasaru ausculte les formes prises par ces nouveaux partages territoriaux. Le Brexit aurait en effet ravivé une rhétorique déjà prégnante à l’époque des Troubles (non pas ici l’expression de Donna Haraway évoquée plus haut et qui renvoie à la crise climatique, mais la période du conflit nord-irlandais allant de la fin des années soixante à l’accord du Vendredi saint de 1998). Dans une réflexion sur la représentation genrée des terres d’Irlande du Nord, Coomasaru montre comment ces territoires contestés de l’Ulster, instables et incontrôlables, ont pu faire l’objet pendant les négociations entre l’Irlande et le Royaume-Uni de fantasmes basés sur la féminisation d’une terre primitive convoitée par tous. Face à cette résurgence de constructions archaïques et pourtant sans cesse reconvoquées, le travail de nombreuses artistes4 s’est dernièrement appliqué à déconstruire une identité normative qui est aussi une identité d’appropriation : appropriation de territoires, de populations, de ressources et d’espaces. En s’emparant du surnaturel, elles révèlent et dénoncent la construction nationaliste britannique d’une Irlande essentialisée, de tout temps magique, fertile, originelle, prise dans des nappes de brumes qui soustraient ses beautés au regard des hommes, aussi désirable et insaisissable que le corps et l’esprit féminins. Coomasaru montre qu’il est possible d’opérer un renversement éco-féministe du « Taking back control » de la rhétorique nationaliste, post-coloniale et patriarchale du Brexit en acceptant de fluidifier les frontières comme les identités. Ces paysages liquides sont ceux des mers qui dessinent, mais aussi érodent ses côtes, comme ceux des fleuves qui ont construit l’hégémonie britannique sur ses commerces forcés avec l’empire : la Tamise, la Mersey ou la Clyde.

Conclusion

Des eaux troubles de la rhétorique identitaire du Brexit, de l’inconfortable sponsoring des musées britanniques par BP, ou encore d’une vie muséale et culturelle façonnée par une histoire coloniale sur laquelle les récents mouvements Decolonize this Place, Rhodes Must Fall et Black Lives Matter tentent de braquer la lumière, des paysages liquides ont de plus en plus fréquemment émergé. Promu par le géographe Stephen Daniels, le concept d’un paysage liquide permet de revisiter les perceptions et les représentations d’un environnement saisi à différentes échelles, mais aussi de réévaluer ses constructions hiérarchiques, à l’heure de la montée des eaux. L’œil écologique – cet appel récent de l’historien de l’art Andrew Patrizio à enfin faire entrer la discipline dans son âge écocritique – y décèle les effets du changement climatique sur des côtes moins stables. Il y perçoit des contours floutés par une atmosphère chargée, mais il adopte aussi de fait un point de vue susceptible de remettre en cause les mouvements hégémoniques qui sont à la source de la crise. C’est ainsi que les artistes s’éloignent aujourd’hui de plus en plus distinctement d’une entreprise d’appropriation et d’exploitation visuelle et matérielle pour proposer des œuvres environnementales, c’est-à-dire des œuvres qui envisagent leur place et leur empreinte dans le monde. Les institutions culturelles sont elles aussi sommées de faire preuve de cohérence et d’aligner leurs pratiques sur les injonctions de l’ecoart. L’exposition « Back to Earth » qui s’est tenue en 2022 à la Serpentine Gallery fut l’occasion de présenter un travail de recherche transdisciplinaire mené depuis 2019 par le musée : entre note d’intention et œuvre murale, une liste de propositions pour une nouvelle pratique curatoriale écocritique s’ouvre sur une première règle qui enjoint à donner précédence à l’urgence environnementale dans tout montage d’exposition :

Question, rethink or even neglect the needs of the work of art. If the climate crisis is challenging our daily lives, art should also be able to exist in precarious, unstable conditions. (Formafantasma, How to think about curating and exhibiting contemporary art in the light of the climate crisis, 2022)

Dans le même temps, les historiennes et historiens de l’art qui travaillent sur le Royaume-Uni ont accueilli ces nouveaux modes d’attention pour offrir des lectures et des relectures de tableaux, de sculptures et de nombreuses autres productions à l’aune de la prise de conscience actuelle de la crise. Voilà pourquoi ce nouveau projet écocritique de l’histoire de l’art est un projet de décloisonnement des espaces, trop longtemps envisagés, c’est-à-dire compris et vus, comme sociaux, genrés, hétéronormés et spécistes.

Dans ce contexte, la proposition que nous faisons, celle d’un « angloseen », se présente comme un nouveau mode d’attention écocritique spécifiquement national, justifié par le rôle exceptionnel, car premier et d’ampleur, joué par le Royaume-Uni et plus spécifiquement par l’Angleterre, dans le déclenchement de la crise. Synthèse entre la notion géologique d’anglocène et les nouveaux modes d’attentions qu’elle nécessite, l’angloseen justifie que soit adoptée une approche sur une échelle nationale de l’histoire de l’art et de la question environnementale pour offrir un point de vue privilégié sur les origines industrielles du trouble.


Ouvrages cités

Albritton, Vicky et Fredrick Albritton Jonsson. Green Victorians: The Simple Life in John Ruskin’s Lake District. Chicago, IL & Londres, The University of Chicago Press, 2016.

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Coomasaru, Edwin, « Brexit and the Occult », Londres, Third Text, 35:4, 2021, pp. 473-497.

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1 Cette entreprise de relecture radicale initiée par la New Art History se poursuit aujourd’hui, comme par exemple dans la série « Look Again » diffusée par Tate Publishing. Dans le volet Class de cette série, Nathalie Olah s’intéresse ainsi au tableau Haymakers (1785) de George Stubbs, scène pastorale idéalisée dans laquelle un groupe de paysans, trois femmes et quatre hommes, chargent sans effort, et dans des tenues immaculées, de petits ballots de paille à l’aspect presque soyeux sur une charrette tirée par deux chevaux, sujets de prédilection du peintre. Olah voit dans ce tableau un alibi de l’industrie agricole de l’époque qui, même avant le Enclosure Act de 1801, exerçait une pression très forte sur ses travailleurs. Tout comme les publicités d’aujourd’hui imaginées par les géants de la livraison rapide reposent sur le spectacle d’employés accomplissant leur tâche dans l’allégresse, de nombreux commanditaires aux XVIIIème et XIXème siècles enjoignaient les artistes à embellir la condition de ceux qui cultivaient leurs terres et récoltaient leurs moissons. Des tableaux comme ceux de Stubbs ou de Gainsborough sont ainsi non seulement des œuvres picturales, mais aussi les produits culturels de l’économie de leur temps.

2 L’ouvrage rassemble les contributions d’Amy C. Wallace, Laura Valette, Paul Cureton, Tim Martin, Aurore Caignet, Camille Manfredi, Pat Naldi, Adrian George, Sophie Mesplède, Frédéric Ogée, Thomas Hughes, Kasia Ozga, Edwin Coomasaru et Stephen Daniels.

3 La formule est de Philippe Hadot dans son essai sur la nature du même titre paru en 2018.

4 Dans cet article, Coomasaru s’intéresse en particulier à une installation vidéo intitulée Saved (2018) et présentée par Project O dans la nouvelle aile de la Somerset House à Londres, et à Soften the Border (2017), travail participatif et textile de Rita Duffy parcourant le pont Blacklion qui enjambe la rivière Belcoo, tracé naturel de la frontière entre Irlande du Nord et République d’Irlande. Les deux propositions cherchent dans l’élément liquide une contradiction à opposer aux rigidités historiques du patriarcat, de la colonisation et de l’exploitation de l’environnement.

 

Charlotte Gould
Plus de publications

Charlotte Gould is Professor in British studies at Université Paris Nanterre where she is a member of the research group CREA. The focus of her research is contemporary British art, as well as public art commissioning since the 1980s and environmental art practices. She is the author of Artangel and Financing British Art (Routledge 2019). Together with Sophie Mesplède, she co-edited Marketing Art in Britain: A Cultural History, 1700 to the Present (Ashgate 2012), which was reissued by Routledge as a paperback in 2017, and British Art and the Environment. Changes, Challenges, and Responses Since the Industrial Revolution (Routledge 2021).

Sophie Mesplède
Plus de publications

Sophie Mesplède is Senior Lecturer in British art and culture at the University of Rennes 2 where she is a member of the research group ACE. Her research focuses on eighteenth-century British art, in particular the intersection of commercial discourse and artistic production and the representation of the relationships between human and nonhuman animals. She is a member of SAES and of the research network “GIS Sociabilités/Sociability”, for which, together with Vanessa Alayrac-Fielding, she has recently published Les Réseaux de sociabilité dans la culture des Lumières: circulations, échanges et transferts (Éditions Le Manuscrit, 2022). Together with Charlotte Gould, she co-edited Marketing Art in Britain: A Cultural History, 1700 to the Present (Ashgate, 2012), and British Art and the Environment. Changes, Challenges, and Responses Since the Industrial Revolution (Routledge, 2021).