7 – Interférences préhistoriennes dans le cycle des Rougon-Macquart d’Émile Zola

image_pdfimage_print

Résumé 

Bien que les sources ne soient pas assez explicites pour affirmer fermement l’influence de la préhistoire sur le cycle des Rougon-Macquart, la démarche épistémocritique peut aider à la mettre au jour sous sa forme singulière, qui est celle de la fragmentation et de la dispersion. Les interférences préhistoriennes se lisent dans les interstices du texte zolien et, sans nuire à la cohérence première de l’Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire, elles complètent cette dernière par un discours anthropologique fondé sur les savoirs de la préhistoire. Loin de conforter la foi dans le progrès propre au XIXe siècle, l’anthropologie zolienne revue au prisme de la préhistoire exprime la permanence de l’homme primitif au cœur de la modernité.

Abstract

Although sources aren’t explicit enough to assert that prehistory influences Zola’s Rougon-Macquart novels, epistemocriticism may help to bring this influence to light from specific standpoints—which are fragmentation and scattering. Prehistoric interferences are readable in Zola’s writing interstices. Those interferences complete Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire with an anthropological speech based on prehistoric science. Through the prism of prehistory, Zola’s anthropology expresses the permanency of the primitive man in modernity and progress.


Introduction : pour une lecture préhistorienne de Zola…

La question des origines est un objet de pensée et de savoir complexe et singulier qui touche à une part des plus intimes de notre humanité. Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XIXe siècle qu’elle prend la forme de la Préhistoire1, conçue comme une période de l’histoire humaine offerte au savoir, et non plus aux mythes ou aux religions. Les découvertes qui se succèdent sont prises en charge par des savants — Lartet, Mortillet — qui construisent un discours scientifique visant à démontrer la contemporanéité de l’homme et de la grande faune disparue.

La littérature, elle aussi, s’intéresse très vite aux premières découvertes de la science préhistorique et participe ainsi à une fabrique du contact entre la Préhistoire et nous, par le biais du roman préhistorique, fondé sur deux actes de naissance : Solutré ou Les Chasseurs de rennes de la France centrale2 publié en 1872 et, vingt ans plus tard, Vamireh3. Si le roman d’Adrien Arcelin passe relativement inaperçu et disparaît rapidement de la mémoire littéraire, celui de Rosny aîné en revanche amène à l’invention de l’étiquette générique du « roman préhistorique » dans la page du Journal d’Edmond de Goncourt qui lui est consacrée (640).

Quant à Émile Zola, présent dans notre mémoire littéraire comme ethnographe du XIXe siècle, comme romancier du monde industriel et des ouvriers ou encore comme défenseur de Dreyfus, il n’est de toute évidence pas le premier écrivain auquel on pense lorsqu’on réfléchit à la manière dont la littérature a pu s’emparer de la préhistoire dès son apparition dans le paysage intellectuel et culturel français. C’est pourtant bien comme discours et représentation de la science préhistorique, ou plus exactement comme discours et représentation de l’homme à partir de la science préhistorique, que nous nous proposons de relire le cycle des Rougon-Macquart, en espérant y trouver quelques « horizons nouveaux » (Haines, 761), et ce malgré l’absence de toute référence directe. Avec les Rougon-Macquart, c’est paradoxalement à une préhistoire sans préhistorien, ni homme préhistorique à laquelle le lecteur a à faire. En effet, aucun des romans du cycle ne donne à voir la Préhistoire, ni ne met en scène le travail des premiers préhistoriens, ni ne résume un épisode de l’histoire de la science, comme le fait Jules Verne avec l’affaire Moulin-Quignon dans Voyage au centre de la Terre4.

Le romancier fait au contraire un usage tout personnel de la science préhistorique, incorporant ses découvertes et des éléments de son épistémologie dans la chronique d’une famille sous le Second Empire, c’est-à-dire dans un récit qui n’entretient a priori aucun rapport avec ce champ scientifique. C’est la raison pour laquelle l’Histoire naturelle et sociale zolienne doit évidemment être distinguée du roman préhistorique, défini par Marc Guillaumie comme un « récit de fiction en prose suffisamment important et autonome, dont l’action est censée se dérouler dans la Préhistoire, en référence à la science de l’époque où il a été écrit » (27).

La spécificité du rapport de la fiction zolienne à la préhistoire mérite de lui voir apposer une autre étiquette, et elle pourrait être désignée comme roman préhistorien, c’est-à-dire comme une voie romanesque qui emprunte aux savoirs de la préhistoire des éléments épars de leur épistémologie pour les fictionnaliser et fonder, à partir d’eux, un discours alternatif des origines. Il s’agit donc de relire le cycle à nouveaux frais pour repérer et interpréter les différents moyens lexicaux et narratifs qui créent un effet de contiguïté entre le cycle romanesque écrit par Zola et le discours de la préhistoire tel qu’il se constitue dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Après l’esquisse du cadre épistémique dans lequel interroger le cycle des Rougon-Macquart au prisme de la préhistoire, le parcours en forme d’inventaire proposé ici se donne pour objectif de mettre au jour les processus de fictionnalisation qui, à partir des champs de la paléontologie humaine, de l’archéologie préhistorique et de l’anthropologie préhistorique, amènent à incorporer à la chronique du Second Empire, en suivant la chronologie du cycle, deux apprentis paléontologues, une bagarre à coups de silex, un mode de vie primitif et des visages néandertaliens.

I Linterférence : une modalité singulière pour dire la préhistoire

La première difficulté, de taille, pour l’affirmation d’une influence de la préhistoire sur l’œuvre de Zola, est l’état très imprécis de sa documentation en la matière. En effet, avant La Bête humaine en 1890, les dossiers préparatoires ne font aucune mention de cette science alors en construction et il n’y figure aucun des ouvrages majeurs de la seconde moitié du XIXe siècle. Si tout porte à croire que Zola n’a lu ni Édouard Lartet, ni Gabriel de Mortillet, il a cependant disposé de quatre sources avérées, en amont de son projet : deux volumes de lAnnée scientifique et industrielle compilés par Louis Figuier, en 1866 et 1869, l’ouvrage de John Lubbock, L’homme avant l’histoire traduit en français en 1867, celui de Victor Meunier intitulé La Science et les savants en 18675, sources écrites auxquelles s’ajoutent les échanges directs qu’il a pu avoir avec Fortuné Marion, jeune naturaliste aixois, proche de Cézanne et du comte de Saporta6 et auteur en 1866 d’un mémoire sur « l’ancienneté de l’homme dans les Bouches-du-Rhône »7. Zola dispose ainsi d’un savoir a minima dans lequel figurent notamment une histoire de la reconnaissance de l’antiquité de l’homme à la suite des fouilles de Boucher de Perthes, la découverte d’objets d’art mobilier du Périgord, parmi lesquels le mammouth gravé de la Madeleine mis au jour en 1864, et quelques notions de paléontologie.

Les derniers mots de la préface du « roman initial » (manuscrit NAF 10 345, folio 23) méritent par conséquent d’être relus à la lumière de ces quelques ouvrages car, tout en insistant sur l’ancrage historique de son cycle entre « le guet-apens du coup d’État » et « la trahison de Sedan » (3)8, Zola ajoute, comme en point d’orgue, la référence aux origines, qu’il adosse explicitement à la science : « Et le premier épisode : La Fortune des Rougon, doit s’appeler de son titre scientifique : les Origines » (4). Il est convenu dans la critique zolienne de comprendre cette ultime phrase comme une annonce concernant les origines de la famille des Rougon-Macquart, racontées sous le volet de l’hérédité. Mais le contexte de production du roman, rédigé dans le courant de l’année 1869, avant sa publication en volume en 1871, ainsi que la solennité produite par la majuscule apportée aux « Origines » autorisent à penser un élargissement du sens pour y intégrer la préhistoire. La portée du cycle dépasserait alors le strict cadre de la famille pour s’ouvrir aux origines de l’humanité tout entière, et ce « titre scientifique » serait le premier indice du roman préhistorien.

Pour en identifier les ressorts, la démarche de l’épistémocritique est celle qui convient le mieux, parce qu’elle prend en charge les relations que certaines œuvres littéraires entretiennent avec un champ de savoir donné. C’est à l’épistémocritique qu’il revient en effet de « saisir la fécondité singulière d’un régime épistémique donné dans une situation d’écriture donnée » (Pierssens, 9) et, pour ce faire, d’identifier le ou les savoir(s) en jeu dans un texte littéraire, d’en étudier les processus de transformation et d’interroger, autant que faire se peut, ce que la littérature fait à, ou fait de, la science. Depuis les travaux fondateurs de Michel Pierssens, la métaphore de la « greffe » (11) est la figure privilégiée pour étudier les phénomènes de circulation entre les discours scientifique et littéraire :

Introduire dans un texte un élément épistémique, c’est donc greffer sur la série narrative (le jeu des structures du récit, selon les narratologues) ou sur la structure prosodique toute l’arborescence potentielle des figures d’un savoir, avec l’effet en retour que cela ne peut manquer d’avoir sur les possibles narratifs comme sur le jeu de sens dans le récit ou le poème lui-même. (12)

En ce qui concerne les relations la science préhistorique et le texte zolien, il nous semble cependant que cette métaphore de la greffe, pour lisible et opérationnelle qu’elle soit en général, nécessite d’être nuancée, et remplacée. En effet, la notion de greffe porte en elle-même une intention et une lisibilité qui ne correspondent pas à la manière dont la préhistoire travaille la matière romanesque zolienne. Le savoir préhistorien ne se livre pas explicitement au lecteur mais passe par une autre modalité originale, celle de l’interférence ou, pour le formuler autrement, se trouve dans le récit sous la forme d’intrusion d’éléments hétérogènes qui viennent brouiller la réalité par ailleurs uniforme de l’Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire.

Les interférences venues de la préhistoire et fondues dans la fiction se caractérisent notamment par trois traits concomitants. Le terme même implique d’abord une fragmentation et une discontinuité qui coïncident avec la forme que prend la poétique de la préhistoire dans les romans zoliens. Il signale également une tension entre le sens visible du texte d’une part, exigé par le souci de transparence que porte en lui le roman naturaliste, et des phénomènes d’intertextualité qui restent dissimulés d’autre part et qui nécessitent par conséquent un horizon de savoir partagé entre le romancier et son lecteur, ainsi qu’un un effort de déchiffrement de la part de ce dernier. Enfin, les interférences préhistoriennes apparaissent comme des perturbations souterraines de l’idée de progrès par ailleurs bien installée dans le paysage intellectuel auquel Zola contribue.

II Deux apprentis paléontologues

[…] sept morts avaient été inhumés [dans l’abri] ; on a pu y recueillir les restes de cinq de ces squelettes, mais trois crânes seulement sont à peu près intacts. Avec ces crânes et une partie des os longs des mêmes individus, on trouva des ossements d’animaux travaillés de diverses façons, des armes et des outils en silex, des colliers formés de coquilles perforés, bref, tous les produits, aujourd’hui bien connus, de l’industrie primitive de l’homme (Figuier 250-251).

La première interférence se manifeste dès le roman d’ouverture des Rougon-Macquart, La Fortune des Rougon, dont la genèse remonte au printemps 1868. Les premières pages rédigées du manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de France font apparaître une invention de dernière minute, que rien ne laissait prévoir dans le dossier préparatoire du roman, ni dans les plans livrés par Zola à son éditeur Lacroix. Le premier chapitre devait initialement s’ouvrir sur la promenade de Miette et Silvère dans la campagne des environs de Plassans et sur leur rencontre avec les insurgés qui se lèvent contre le Coup d’État du 2 décembre :

Chapitre I. Dimanche soir 7
Promenade de Miette et de Silvère. La bande insurrectionnelle […].
La bande rencontre Silvère et Miette dimanche soir sur la route. — Si Silvère sort, c’est qu’il pense se joindre aux bandes le lendemain. (Manuscrit NAF 10 303, folio 4)

Le roman commence pourtant tout différemment et raconte comment la municipalité a déplacé le cimetière Saint-Mittre hors de la ville, déplacement qui fut l’occasion d’un transfert d’ossements dans un « charroi lent et brutal » (6)9. Au chapitre V, qui procède au récit des amours des deux personnages à l’occasion d’une longue analepse, les ossements, qui n’ont pas tous été évacués, refont surface et suscitent l’intérêt de Miette et Silvère :

Silvère avait ramassé à plusieurs reprises des fragments d’os, des débris de crâne, et ils aimaient à parler de l’ancien cimetière. […] Ils se questionnaient souvent sur les ossements qu’ils découvraient. Miette, avec son instinct de femme, adorait les sujets lugubres. À chaque nouvelle trouvaille, c’étaient des suppositions sans fin. Si l’os était petit, elle parlait d’une jeune fille poitrinaire, ou emportée par une fièvre la veille de son mariage ; si l’os était gros, elle rêvait quelque grand vieillard, un soldat, un juge, quelque homme terrible. (207)

L’imparfait employé dans ce passage signale une habitude, sans lien cependant avec l’intrigue principale et ce jeu étrange surprend dans l’économie du roman, sauf à y reconnaître un emprunt à la paléontologie humaine et à y déchiffrer de ce fait une interférence préhistorienne incongrue au regard de l’homogénéité du récit, mais en résonance avec la préface. Les ossements fonctionnent dès lors comme des « agents de transfert » épistémocritiques, selon la formule de Michel Pierssens (9), car ils sont les vecteurs de la transformation d’un fait épistémique en texte littéraire. Avec les ossements, le récit s’approprie donc un objet d’une grande richesse narrative, tout en déployant également une méthode, celle du paradigme indiciaire que le paléontologue britannique Thomas Huxley a décrit en 1880 sous l’expression de « méthode de Zadig » et dont il a formalisé la pertinence pour les études préhistoriques. En prenant comme point de départ le conte de Voltaire, Huxley identifie la démarche selon laquelle les archéologues, les géologues, les paléontologues s’appuient sur des indices matériels pour enrichir la connaissance du passé :

Dans un avenir proche, la méthode de Zadig, appliquée à un corpus de faits plus important que celui que la génération actuelle a la chance d’étudier, permettra au naturaliste de reconstruire la vie depuis ses débuts, et de décrire avec sûreté les caractéristiques des êtres depuis longtemps disparus, tout comme Zadig l’a fait pour l’épagneul de la reine et le cheval du roi10.

Le regard de Miette et Silvère sur les ossements du cimetière relève de la même démarche. Certes, l’identité qu’ils redonnent aux fragments d’os est fictive, mais le récit qu’ils fabriquent est cependant fondé sur des observations physiques précises. La procédure déductive passe dans le texte par la modalisation conditionnelle qui atténue l’influence de l’instinct de la jeune fille par un rapport causal direct. Si Miette en arrive à imaginer une jeune fille, ce n’est pas le fruit d’une pure fantaisie mais bien plutôt parce que l’os est petit et, inversement, un os de taille importante conduit à imaginer un « grand vieillard ». Ils reconstituent ainsi la vie des « vieux morts » (207) selon une méthode qui imite celle de la paléontologie telle que la présente Ernest Hamy dans son Précis de paléontologie humaine, selon lequel l’étude des « débris » et des « dépouilles » (3) de l’homme préhistorique doit permettre de savoir à quoi il ressemblait et comment il vivait. C’est à ce même travail que se livre le paléontologue Louis Lartet lorsqu’il décrit les ossements mis au jour à l’abri Cro-Magnon, pendant ce printemps 1868 qui voit Zola réfléchir à son projet romanesque. Lartet décrit par exemple un crâne féminin et, à partir de l’observation d’« une entaille profonde faite par un instrument tranchant » portée sur son front, il tire la conclusion que cela « n’a pas suffi pour la tuer immédiatement, car l’os s’est réparé intérieurement » (142).

Le rapprochement avec les observations de Miette et de Silvère est d’autant plus troublant que c’est précisément un crâne de vieillard que Lartet identifie au fond de l’abri : « Au fond de la grotte se trouvait le crâne d’un vieillard qui seul affleurait dans l’espace non comblé de sa cavité […] » (141). Les ossements découverts aux Eyzies-de-Tayac sont envoyés pour étude au Muséum d’Histoire naturelle et des moulages en sont exposés au Musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye récemment inauguré par Napoléon III. Comme le montre Sophie A. de Beaune, ils accèdent ainsi à un « nouveau statut, [à] une nouvelle vie, de vestige archéologique, d’objet d’étude, d’objet de musée » (20). Ce n’est pas à une vie muséographique que les convient Miette et Silvère, mais il n’en reste pas moins que, grâce à eux, les ossements de l’aire Saint-Mittre se voient rendre une existence au présent.

III Une bagarre à coups de silex

Les œuvres ramenées à la lumière après tant de siècles sont de l’espèce la plus infime, le silex en a fourni la matière dégrossie ; humble est le témoin, mais la vérité dont il dépose est grande : la pierre est taillée, une main l’a façonné, l’homme était ! (Meunier, 220)

Dans La Faute de l’abbé Mouret publié en 1875, c’est par le transfert d’un autre marqueur essentiel de la préhistoire que surgit une deuxième interférence, mettant aux prises deux personnages qui se battent à l’aide de silex. Le vieux philosophe athée Jeanbernat et le prêtre fanatique Archangias partagent le même espace géographique autour du hameau fictif des Artaud, ce qui les amène à se côtoyer alors que leur vision du monde les sépare radicalement. Ce sont leurs divergences idéologiques qui les conduisent à se battre sous les yeux de l’abbé Serge Mouret :

[Archangias] poussa un hurlement, en faisant un bond en arrière. Le bâton du vieux, lancée à toute volée, venait de se casser sur son échine. Il recula encore, ramassa dans un tas de cailloux, au bord de la route, un silex gros comme le poing, qu’il lança à la tête de Jeanbernat. Celui-ci avait le front fendu, s’il ne s’était courbé. Il courut au tas de cailloux voisins, s’abrita, prit des pierres. Et, d’un tas à l’autre, un terrible combat s’engagea. Les silex grêlaient. (1343-1344)

Une analyse attentive de l’extrait montre que les « silex » viennent en complément des hypéronymes plus attendus, « cailloux » et « pierres » mais il semble un peu court de n’y voir qu’un moyen d’éviter une répétition, et ce grâce à trois indices. Dans le passage lui-même, la taille du silex est indiquée par une comparaison, « gros comme le poing », dans une formule qui peut renvoyer à l’ancienne dénomination des bifaces, désignés à l’époque comme des « coups de poing ». Par ailleurs, une première référence au silex annonce l’épisode de la bagarre, en rappelant qu’il est possible de produire du feu par le frottement de deux silex, comme l’explique John Lubbock dans L’Homme avant lhistoire11, et en métaphorisant ainsi la colère de Jeanbernat contre Archangias : « Malgré ses quatre-vingts ans, le vieux tapait si dur des talons, que ses gros souliers ferrés tiraient des étincelles du silex de la route » (1442).

L’usage du silex paraît de prime abord incongru dans le texte de Zola, tout comme l’était l’étude des fossiles dans La Fortune des Rougon, tant le terme est étroitement associé à la préhistoire par le passage métonymique de la matière à l’outil avec laquelle il est fabriqué. La proximité entre silex et préhistoire se lit déjà dans le Dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse :

La découverte de silex taillés, signalés en 1862 à MM. Lartet et Christy, amena dans le pays12 ces deux savants voués depuis plusieurs années à des études spéciales sur l’antiquité de la race humaine […]. Le sol de la grotte [des Eyzies] offrit à lui seul, sur toute sa superficie, près d’un mètre en hauteur de concrétions ossifères, restes de festins antiques. C’était, comme dans un plancher continu, un amalgame compact [sic] d’os fragmentés, de cendres, de débris de charbon, d’éclats et de lames en silex et en bois de renne travaillés. […] Parmi les objets ainsi recueillis à pleines mains abondaient les silex taillés de toutes formes, en manière d’armes ou d’outils […]. (1521)

Mais, pour peu que l’on perçoive dans le silex un point de passage entre le savoir archéologique et le récit, il se charge d’un sens qui ajoute un niveau de lecture possible à ce roman déjà largement étudié. Il fonctionne comme un embrayeur vers le passé — le narrateur précise d’ailleurs qu’Archangias recule vers le tas de silex, comme s’il remontait le temps de l’histoire de l’humanité —, et montre ainsi combien la violence primitive perdure, héritée d’un lointain mode de vie dans lequel la perpétuation du clan passait par le topos de la lutte permanente.

À un autre niveau de lecture, les jets de silex apparaissent également comme une métaphore des débats virulents qui ont accompagné l’invention de la préhistoire, comme le montre cette attaque parodique féroce publiée contre Gabriel de Mortillet, « maire préhistorique, député radical et administrateur grotesque » dans L’Univers du 18 octobre 1886 :

[…] Vous avez remué tout un monde fossile
Et mille cailloux étonnés !
Et vous n’êtes, hélas ! resté qu’un imbécile !
Aux yeux de vos administrés.
Comme dans La Fontaine, un reptile perfide
Mordit la lime à pleines dents,
Vous voulûtes de votre patte avide,
Toucher le signe des croyants.
Mais la croix mise à bas demande la vengeance
De votre ignoble lâcheté,
Quiconque a du courage et de l’intelligence
Vous eût dès longtemps souffleté.

La bagarre entre Jeanbernat et Archangias devient dès lors un symbole permettant de dramatiser l’incompatibilité idéologique entre les deux personnages et, à travers eux, entre le matérialisme scientifique et un catholicisme conservateur et intolérant.

IV Un mode de vie primitif

La découverte de grossiers instruments de silex et d’ossements portant encore la trace de coups de couteaux vint confirmer la supposition que ces amas n’étaient pas dus à une formation naturelle, et il devint plus tard évident que c’étaient le site d’anciens villages [à] la population primitive. (Lubbock, 176).

Le conflit idéologique qui se manifeste par la bataille rangée entre le Frère fanatique et le vieux philosophe concentre tout l’enjeu de ce roman que Zola concevait comme l’expression de « la grande lutte de la nature et de la religion » (manuscrit NAF 10 3030, folio 56). Cette tension fondatrice du roman trouve un prolongement dans la construction de l’espace, le récit confrontant deux territoires, le Paradou et le hameau des Artaud, qui devraient être hermétiques l’un à l’autre grâce à la muraille qui enserre le jardin.

[croquis du Paradou — légende : manuscrit 10294, folio 44].

 

À l’intérieur de la muraille, le Paradou, dont le nom renvoie de façon transparente au jardin d’Eden, offre à Serge et Albine un espace préservé et hors du temps dans lequel, selon Clélia Anfray, « Zola calque […] délibérément le drame de la Bible » (54) pour faire revivre à ses personnages le mythe d’Adam et Eve. À l’extérieur de la muraille, le hameau des Artaud se présente comme une réduction métonymique de l’évolution de la lignée humaine :

Un ancêtre, un Artaud, était venu, qui s’était fixé dans cette lande, comme un paria ; puis, sa famille avait grandi, avec la vitalité farouche des herbes suçant la vie des rochers ; sa famille avait fini par être une tribu, une commune, dont les cousinages se perdaient, remontaient à des siècles. […]

C’était, au fond de cette ceinture désolée de collines, un peuple à part, une race née du sol, une humanité de trois cents têtes qui recommençait les temps. (1231-1232)

L’embrayeur vers la préhistoire est ici la proposition subordonnée relative sur laquelle s’achève l’extrait, dont le récit offre une variation quelques chapitres plus loin : « cette poignée d’hommes recommençant les temps » (1309), insistant de ce fait sur l’importance de la réitération fictionnelle des origines pour l’orientation à donner à l’analyse des Artaud. Du paria isolé à la commune, en passant par la tribu, l’expansion du hameau est fondée sur une gradation d’inspiration évolutionniste, dont le paradigme nourrit grandement la préhistoire du XIXe siècle parce qu’il soutient la conception linéaire du progrès telle que la défend, entre autres, Gabriel de Mortillet. Avec les habitants des Artaud, Zola retrace une histoire de l’humanité dégagée de toute influence chrétienne, l’irreligion étant un des traits marquants du groupe13, et c’est donc un tout autre mode d’accès aux origines que le hameau primitif des Artaud donne à lire, concurremment à celui du récit génésiaque du Paradou.

Mais la concurrence est déloyale, tant le récit naturaliste parasite la réécriture biblique, ce que la brèche dans la muraille signale symboliquement :

[…] ils n’avaient pas fait vingt pas, qu’ils retrouvèrent la muraille. […] Elle restait sombre, sans une fente sur le dehors. Puis, au bord d’un pré, elle parut subitement s’écrouler. Une brèche ouvrait sur la vallée voisine une fenêtre de lumière. (1413)

L’intégrité édénique du Paradou est mise à mal et le savoir emprunté à l’anthropologie préhistorique s’introduit en son cœur dans la mesure où le comportement d’Albine et Serge se signale en effet par des traits qui empruntent davantage à l’ethnologie comparée qu’à la Bible et renvoie ainsi à une anthropologie du « premier âge »14 telle que le XIXe siècle l’envisageait : ils se nourrissent des fruits du jardin15, s’installent sous « une tente de verdure »16 et traversent la rivière à bord d’une pirogue toute primitive faite d’un tronc17. Tout se passe comme si, par leurs gestes et leur usage de la nature qui les entoure, ils avaient conservé la mémoire d’un mode de vie qui recoupe les topoi de la vie préhistorique.

Quant à la fin du roman, si elle semble couronner la victoire du christianisme par le retour de l’abbé Mouret en son église et par le suicide d’Albine la sauvageonne, les toutes dernières lignes inversent ce rapport de forces, d’abord par l’irruption de Jeanbernat au cimetière, qui vient trancher l’oreille du frère Archangias18, ensuite par le « tapage effroyable [monté] de la basse-cour » voisine (1526) et la naissance du petit veau au moment même où le cercueil d’Albine est descendu en terre :

« Serge ! Serge ! » appela [Désirée].
À ce moment, le cercueil d’Albine était au fond du trou. On venait de retirer les cordes. Un des paysans jetait une première pelletée de terre.
« Serge ! Serge ! cria-t-elle plus fort, en tapant des mains, la vache a fait un veau ! » (1526-1527).

Loin de se clore sur la victoire de la religion, le roman s’achève au contraire sur le « triomphe » (1526) de la nature et de la vie, qui se maintient depuis les premiers hommes jusqu’au Second Empire, dont les Artaud figurent la fertilité toujours renouvelée. À sa manière, la conclusion de La Faute de l’abbé Mouret fait un double écho à La Fortune des Rougon, dont elle n’est séparée que de quatre ans. Elle réitère le motif de la succession des générations qui rapproche l’humanité moderne de l’humanité primitive et elle réactive l’objectif fixé dans la préface de raconter les origines en termes scientifiques.

V Visages néandertaliens

Les ossements humains et les crânes de Néanderthal dépassent tous les autres dans ces particularités de conformation qui peuvent conduire à cette conclusion qu’ils appartiennent à une race barbare et sauvage [et qu’ils] peuvent dans tous les cas être considérés comme la trace la plus ancienne des habitants primitifs de l’Europe. (Huxley, 127)

Avec La Bête humaine publié en 1890, le repérage d’une interférence préhistorienne devient moins aléatoire dans la mesure où le dossier préparatoire et le texte du roman l’affichent plus explicitement. Le manuscrit présente ainsi une liste de titres envisagés par Zola, parmi lesquels trois renvoient sans doute possible à la préhistoire : L’homme primitif, L’âge de pierre et atavisme pré-humain (manuscrit 10 274, folio 301). Quant au texte, il fait apparaître le leitmotiv de l’homme des cavernes emportant la femelle au fond des bois, dont Jacques Lantier porterait à son tour la lourde hérédité :

Cela venait-il donc de si loin, du mal que les femmes avaient fait à sa race, de la rancune amassée de mâle en mâle, depuis la première tromperie au fond des cavernes ? Et il sentait aussi, dans son accès, une nécessité de bataille pour conquérir la femelle et la dompter, le besoin perverti de la jeter morte sur son dos, ainsi qu’une proie qu’on arrache aux autres, à jamais. (1044)

Cet arrière-plan primitif a été repéré par plusieurs commentateurs de Zola mais sans qu’il ne soit jamais rattaché formellement à l’état de la science préhistorique19. Au contraire, à la suite de Jean Borie, il a été acquis pour la critique que l’œuvre zolienne forgeait une anthropologie mythique fondée sur « un épisode premier, de scénario d’ailleurs incertain […] un péché originel, informulable et vague » (43). La lecture anthropo-mythique a fait en particulier l’objet des analyses nombreuses et incontournables d’Henri Mitterand, par exemple dans ces lignes :

Pour le critique d’aujourd’hui, qui relit Zola à la lumière de Lévi-Strauss ou de Mircea Eliade, l’apport des Rougon-Macquart au trésor du savoir universel est à chercher d’un autre côté, en un secteur où précisément Zola ne pouvait trouver aucun maître, aucun répondant, aucune théorie constituée, et où peut-être seul le roman pouvait, d’emblée, proposer des images qui étaient autant d’hypothèses créatrices. (177)

Or, non seulement identifier une « théorie constituée » ne nuit pas à la richesse des « hypothèses créatrices » de Zola, mais reconnaître la préhistoire comme savoir-source permet de raccorder l’anthropologie zolienne à son contexte et de lui donner des contours mieux définis. En relisant quelques portraits de La Bête humaine sous cet éclairage nouveau, il est alors frappant de voir combien les traits physiques récurrents des mâchoires avancées et du front bas croisent les caractéristiques très accusées de Néandertal. Le héros, Jacques Lantier, fait l’objet de deux descriptions desquelles ressortent ses mâchoires :

Il venait d’avoir vingt-six ans, également de grande taille, beau garçon au visage rond et régulier, mais que gâtaient des mâchoires trop fortes. […] Il avait sa tête ronde de beau garçon, ses cheveux frisés, ses moustaches très noires, ses yeux bruns diamantés d’or, mais sa mâchoire avançait tellement, dans une sorte de coup de gueule, qu’il s’en trouvait défiguré (1026 et 1294)

Dans les deux passages, les traits positifs, qui feraient de Jacques un « beau garçon », sont comme annulés par le seul détail de cette mâchoire prognathe, qui se retrouve chez Pecqueux, comme chez Cabuche, ces deux derniers personnages étant par ailleurs reconnaissables également à leur front bas20. Philippe Hamon note l’importance des mâchoires des personnages zoliens et y distingue un signe qui « rappelle conventionnellement l’animalité de l’homme » (170). Mais, au regard de l’anthropologie préhistorique et des études des crânes néandertaliens qui ont pu être menées depuis la découverte du premier squelette en 1856 et celle de la mâchoire de la Naulette mise au jour par Édouard Dupont en 1866, la forme des mâchoires que Zola donne à ses trois personnages semble moins relever d’une convention que d’un emprunt apte à traduire physiquement la primitivité et la brutalité de ceux-ci. L’atavisme pré-humain envisagé comme titre possible pour le roman subsiste alors sous la forme physiologique des traits du visage et sous la forme pathologique d’une violence archaïque, dont les pulsions meurtrières de Jacques sont les plus représentatives.

Quand Paul Jamin, avec son tableau Un rapt à l’âge de pierre [image — légende : Paul Jamin Un rapt à l’âge de pierre, 1888, musée des Beaux-arts de Reims] cantonne à la Préhistoire la violence subie par la femme, l’affiche publicitaire de La Bête humaine pour sa publication dans La vie populaire la fait se prolonger jusqu’aux temps modernes.

Paul Jamin Un rapt à l’âge de pierre, 1888, musée des Beaux-arts de Reims

 

 

On y voit en effet cette tension profonde qui, d’après Zola, anime l’homme du Second Empire : les habits, l’ameublement sont ceux du XIXe siècle, le train visible à l’arrière-plan rappelle les progrès de l’ère industrielle, mais l’homme qui se saisit de la femme illustre le « drame sombre » annoncé dans le manuscrit (folio 41-42), drame dans lequel le comportement de l’homme des cavernes génère celui de son lointain descendant21.

Conclusion : esquisse du discours anthropologique du roman préhistorien

La représentation de la préhistoire par le biais de d’interférences distribuées dans différents romans du cycle des Rougon-Macquart22 fait surgir une nouvelle « sonate de mots, de figures et de pensées » selon la formule de Jean Rousset (xiii). L’effet de fragmentation finit par composer une structure qui prend son sens dès lors que des faits textuels a priori hétéroclites sont reliés les uns aux autres. Déchiffrés grâce à la démarche de l’épistémocritique, ils révèlent que Zola disposait d’un savoir préhistorien combinant la paléontologie, l’archéologie et l’anthropologie, savoir à partir duquel il définit sa conception de l’homme. De même que Cézanne affirme avoir besoin de connaître « les assises géologiques » (Gasquet, 83) des paysages pour les peindre, tout se passe comme si Zola partait des « assises » anthropologiques de l’homme moderne pour le raconter.

Les « agents de transfert » (Pierssens, 9) qui passent ainsi du champ de la préhistoire à la fiction zolienne participent d’un discours naturaliste sur l’homme. Celui-ci est pris en compte aux deux extrémités de son histoire, pour exprimer la conviction d’une continuité entre la Préhistoire et l’âge industriel, déclinée sous deux volets, la succession ininterrompue des générations qui rattache les personnages zoliens à leurs lointains ancêtres d’une part, et la perpétuation de la violence ainsi transmise d’autre part. La permanence du primitif amène au constat que la poétique de la préhistoire entre chez Zola en conflit avec la confiance dans le progrès, ce qui tranche avec le pan de son œuvre qui représente l’essor industriel et commercial de son siècle, du Bonheur des dames à La Bête humaine, en passant par Germinal. Les interférences préhistoriennes apparaissent alors comme des relais réguliers de ce que Zola désigne comme « [son] idée philosophique » (manuscrit 10 274, folio 41-42), à savoir « le statu quo des sentiments, la sauvagerie qui est au fond de l’homme » (manuscrit 10 274, folio 49-51). Ces balises venues d’un savoir préhistorien rappellent alors au lecteur qu’aux yeux de Zola, si les techniques progressent, il n’en va pas de même pour l’humanité parce qu’elle garde en elle un atavisme préhistorique qui l’empêche d’accéder pleinement à la civilisation.


Ouvrages cités

Anfray, Clélia, Zola biblique. La Bible dans les Rougon-Macquart, Paris, Les éditions du Cerf, 2010, p. 54.

Beaune (de), Sophie, Qu’est-ce que la préhistoire ?, Paris, « Folio », Gallimard, 2016, p. 20.

Borie, Jean, Zola et les mythes ou de la nausée au salut, Paris, Seuil, 1971, p. 43 et p. 69.

Figuier, Louis, « L’homme de la station des Eyzies », L’Année scientifique et industrielle, Paris, Hachette, 1868, p. 250-251.

Gasquet, Joachim, Cézanne, Paris, Bernheim-Jeune, 1921, p. 83.

Goncourt (de), Edmond, Journal, Paris, « Bouquins », Robert Laffont, tome III, 1989, p. 640.

Guillaumie, Marc, Le roman préhistorique : essai de définition d’un genre, essai d’histoire d’un mythe, Limoges, Pulim, 2006, p. 27.

Hamon, Philippe, Le personnel du roman. Le système des personnages dans les Rougon-Macquart d’Émile Zola, Genève, Droz, 1998, p. 170.

Huxley, Thomas, « On the method of Zadig. Retrospective prophecy as function in science »

Huxley, Thomas, La place de lhomme dans la nature, Paris, Baillière et fils, 1891, p. 127.

Larousse, Pierre, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, tome XIV, 1875, p. 1521.

Lartet, Louis, « Mémoire sur une sépulture des anciens troglodytes du Périgord », Annales des sciences naturelles, volume 10, 1868, p. 142.

Lubbock, John, L’homme avant lhistoire, Paris, G. Baillière, 1867, p. 486-487 ; p. 176.

Meunier, Victor, La science et les savants en 1867, Paris, G. Baillière, 1868, p. 220.

Mitterand, Henri, Le discours du roman, Paris, PUF, 1980, p. 177.

Pierssens, Michel, Savoirs à l’œuvre. Essais d’épistémocritique, Lille, Presses universitaires de Lille, 1990, p. 9, p. 11 et p. 12.

Rousset, Jean, Forme et signification [1962], Paris, José Corti, 2000, p. xiii.

URL [https://mathcs.clarku.edu/huxley/CE4/Zadig.html#cite1] consulté le 22/11/2020.

Verne, Jules, Voyage au centre de la Terre [1864], Paris, « Folio », Gallimard, 2014, p. 314.

Zola, Émile, « Mes Haines » [1866], Œuvres complètes, Paris, Nouveau monde éditions, tome 1, 2002, p. 761.

Zola, Émile, Dossier préparatoire de La Bête humaine, manuscrit NAF 10 274.

Zola, Émile, Dossier préparatoire de La Fortune des Rougon, manuscrit NAF 10 303.

Zola, Émile, Dossier préparatoire du cycle des Rougon-Macquart, manuscrit NAF 10 345.

Zola, Émile, La Bête humaine [1890], « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, volume IV, 1966.

Zola, Émile, La Faute de l’abbé Mouret [1875], « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, volume I, 1960.

Zola, Émile, La Fortune des Rougon [1871], « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, volume I, 1960.


1 Conformément à l’usage, la Préhistoire, avec une majuscule, désigne la période, et la préhistoire, avec minuscule, la science qui l’étudie.

2. Adrien Cranile, Solutré ou Les Chasseurs de rennes de la France centrale. Histoire préhistorique, Paris, Hachette, 1872. Adrien Cranile est le pseudonyme d’Adrien Arcelin.

3. J.-H. Rosny, Vamireh, 1892, Paris, Ernest Kolb, 1892.

4. « Le 28 mars 1863, des terrassiers fouillant sous la direction de M. Boucher de Perthes les carrières de Moulin-Quignon, près Abbeville, trouvèrent une mâchoire humaine à quatorze pieds au-dessous de la superficie du sol. C’était le premier fossile de cette espèce ramené à la lumière du grand jour. Près de lui se rencontrèrent des haches de pierre et des silex taillés, colorés et revêtus par le temps d’une patine uniforme » (314).

5. La rubrique des « livres d’aujourd’hui et de demain » tenue par Zola d’abord pour L’Événement puis pour Le Gaulois présente une chronique consacrée aux volumes de L’Année scientifique de 1866 et de 1868. Louis Figuier y revient sur la découverte de la lamelle d’ivoire dans le gisement de La Madeleine en Dordogne, et celle des ossements de l’abri de Cro-Magnon, toujours en Dordogne. Dans sa « correspondance littéraire » publiée dans le Salut public du 1er janvier 1867, Zola consacre plusieurs lignes à l’ouvrage de John Lubbock. Dans Le Globe du 13 février 1868, Zola rédige une chronique sur La Science et les savants en 1867 de Victor Meunier, dont le chapitre XXII présente une vingtaine de pages sur « L’homme fossile » et le dernier chapitre rappelle longuement les travaux de Boucher de Perthes. Voir H. Mitterand et H. Suwala, Émile Zola journaliste. Bibliographie chronologique et analytique, Annales littéraires de l’université de Besançon, Les Belles lettres, Paris, 1968.

6. Le comte Gaston de Saporta est un correspondant de Darwin et spécialiste de « paléontologie végétale », selon son expression dans « La végétation du globe dans les temps antérieurs à l’homme », Revue des deux mondes, 15 mars 1868.

7. Ce mémoire a fait l’objet d’une présentation à l’occasion du 33e Congrès scientifique de France qui s’est tenu à Aix-en-Provence en 1866.

8. Le coup d’État est raconté depuis la Provence dans La Fortune des Rougon et la défaite de Sedan est au cœur de La Débâcle, avant-dernier roman du cycle.

9. Pour une étude détaillée de cet incipit, nous nous permettons de renvoyer à notre article publié ici même, « L’incipit de La Fortune des Rougon : un incipit à contresens ».

10. Il s’agit de notre traduction.

« In no very distant future, the method of Zadig, applied to a greater body of facts than the present generation is fortunate enough to handle, will enable the biologist to reconstruct the scheme of life from its beginning, and to speak as confidently of the character of long extinct beings, no trace of them has been preserved, as Zadig did of the queen’s spaniel and the king’s horse. », Thomas H. Huxley, On the method of Zadig. Retrospective prophecy as a function in science.

URL https://mathcs.clarku.edu/huxley/CE4/Zadig.html#cite1 [consulté le 22/11/2020].

11. John Lubbock présente le feu comme le fruit d’une découverte empirique : « Lorsqu’on travaille la pierre, il se produit des étincelles ; lorsqu’on la polit, on ne manque pas d’observer qu’elle s’échauffe : il est aisé de voir par là comment les deux procédés pour se procurer du feu ont pu prendre naissance », p. 486-487.

12. La région des Eyzies de Tayac, en Dordogne.

13. « Ils sont tout à leur terre, à leurs vignes, à leurs oliviers. Pas un qui mette le pied à l’église. Des brutes qui se battent avec leurs champs de cailloux ! » (1237).

14. L’expression figure dans le roman de Zola, comme un temps caractérisé par sa « brutalité, ce qui écarte ce « premier âge » de la tradition biblique : « Ils jouaient en marchant ainsi, non plus à tout casser, comme dans le verger, mais à s’attarder, au contraire, les pieds liés par les doigts souples des plantes, goûtant là une pureté, une caresse du ruisseau, qui calmait en eux la brutalité du premier âge. » (1370)

15. « Grand bêta ! reprit [Albine], tu n’as donc pas compris que je te menais déjeuner ? Hein ! nous ne mourrons pas de faim, ici ? Tout est pour nous. » (1363)

16. « Entre les trois saules, un coin de pré descendait par une pente insensible, mettant des coquelicots jusque dans les fentes des vieux troncs crevés. On eût dit une tente de verdure, plantée sur trois piquets, au bord de l’eau, dans le désert roulant des herbes. » (1371)

17. « [rivière] qu’ils eurent la chance de pouvoir traverser à l’aide d’un tronc abattu d’un bord à l’autre, s’en allant à califourchon […]. » (1374)

18. « [Jeanbernat] marcha droit au groupe qui se tenait autour de la fosse. Il avait son pas gaillard, si souple encore qu’il ne faisait aucun bruit. Quand il se fut avancé, il demeura debout derrière Frère Archangias, dont il sembla un instant couver la nuque des yeux. Puis, comme l’abbé Mouret achevait les oraisons, il tira tranquillement un couteau de sa poche, l’ouvrit, et abattit, d’un seul coup, l’oreille du Frère. » (1525-1526)

19. Jean Borie, dans Zola et les mythes ou de la nausée au salut, y voit la preuve d’une anthropologie mythique à l’œuvre dans la fiction zolienne : « L’anthropologie mythique de Zola est fondée […] sur la conception d’une violence originaire, d’un meurtre primitif qui revient à jamais visiter la race humaine. Il y a un éternel retour de la bête humaine, de ce monstre dont nous ne connaîtrons jamais la première apparition. » (69)

20. Pecqueux : « Ses yeux gris sous le front bas, sa bouche large dans une mâchoire saillante, riaient d’un rire continuel de noceur » (1060)

Cabuche : « « La face massive, le front bas disaient la violence de l’être borné […] » (1098) et « […] des poings énormes, des mâchoires de carnassier » (1320).

21. Ajoutons que la femme zolienne n’est pas exempte de cette violence archaïque, comme le montre le personnage de Flore, à l’origine de l’accident meurtrier de la Lison dans La Bête humaine.

22. Les limites nécessaires d’un article nous ont conduite à écarter d’autres exemples extraits de La Débâcle, du Rêve ou encore de L’Argent. Nous avons privilégié La Fortune des Rougon, La Faute de l’abbé Mouret et La Bête humaine parce que ce sont sans aucun doute les trois romans les plus marqués par la préhistoire et c’est donc autour d’eux que se forge et se prolonge sa poétique.


 

Fanny Drouot

Fanny Drouot est agrégée de Lettres modernes et enseignante dans l’enseignement secondaire. Doctorante à l’Université de Bourgogne et dépendant de l’école doctorale LECLA, elle mène une thèse sous la direction de Marie-Ange Fougère et la co-direction d’Arnaud Hurel. Sa recherche porte sur la manière dont les motifs et l’épistémologie de la préhistoire nourrissent le cycle des Rougon-Macquart et prolonge un mémoire de master 2 consacré aux savoirs de la préhistoire dans La Fortune des Rougon.