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Actes du colloque "La Poésie scientifique, de la gloire au déclin", Montréal, 15-17 septembre 2010 Table des matières Introduction 5 Vues d’ensemble :…
Actes du colloque « La Poésie scientifique, de la gloire au déclin »
Montréal, 15-17 septembre 2010
Etudes réunies par Muriel Louâpre, Hugues Marchal et Michel Pierssens
ISBN : 978-2-9814415-0-8
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Couverture réalisée d’après Jean-Charles Chenu, Illustrations conchyliologiques ou description et figures de toutes les coquilles connues vivantes et fossiles, classées suivant le système de Lamarck modifié d’après les progrès de la science et comprenant les genres nouveaux et les espèces rècemment découvertes, Paris, A. Frank, 1842, t. 1, pl. 22 (coll. part.).
Ce volume réunit les actes d’un colloque international organisé à Montréal en 2010. Il part d’une interrogation, et ouvre un champ d’investigation : après avoir connu une sorte d’apogée à la fin des Lumières, autour de figures comme Delille, Erasmus Darwin ou Goethe, la « poésie scientifique » a-t-elle disparu avec le romantisme, qui, selon Sainte-Beuve, consomma la déroute de la poésie didactique et descriptive ? A-t-elle au contraire survécu, comme le suggère l’analyse quantitative des données éditoriales françaises, jusqu’en 1900 ? En ce cas, que faire des œuvres qui ont cherché, après cette date, à réinventer les modalités d’un dialogue entre poème et sciences, quitte à tourner le dos à toute tradition antérieure ? Peut-on encore parler d’un même genre ? Enfin le destin de cette poésie fut-il identique en France et dans d’autres pays européens ? Ce sont les pièces de cette enquête en cours, poursuivie selon d’autres voies par l’anthologie Muses et Ptérodactyles (Seuil, 2013), qui sont versées ici au dossier, avec 26 contributions synthétiques, monographiques ou théoriques, couvrant plusieurs siècles et plusieurs langues, du XVIIIe siècle à nos jours.
Actes du colloque "La Poésie scientifique, de la gloire au déclin", Montréal, 15-17 septembre 2010 Table des matières Introduction 5 Vues d’ensemble :…
Nous nous sommes engagés à partir de 2007, avec d’autres chercheurs, dans le projet Euterpe : la poésie scientifique en France de 1792 à 1939, parce nous nous étions heurtés, en suivant des voies diverses, à un obstacle commun. Nous trouvions au XIXe siècle, et parfois fort tard, des textes relevant d’un genre de poésie qui n’aurait pas ou plus dû exister à cette date. D’abord prises pour des isolats, ces œuvres, dont la science contemporaine constitue le principal sujet, s’avéraient assez nombreuses pour former une ligne continue, des lendemains de la Révolution jusqu’à l’aube du dernier siècle. Davantage, ces textes faisaient l’objet d’un intense débat, mobilisant durant toute la période des noms restés célèbres. Or de ces œuvres comme de ces polémiques les manuels d’histoire littéraire ne gardaient pas trace. Au mieux, ils rappelaient que la fin des Lumières et le Premier Empire avaient porté au firmament des poètes « didactiques » ou « descriptifs », comme Jacques Delille, chantre de l’histoire naturelle ou de la physique ; mais cette production n’avait pas de postérité
La poésie scientifique est un genre mystérieux et fantomatique : méconnu aujourd’hui, il était déjà négligé par les commentateurs au mitan du XIXe siècle, au faîte de la production pourtant. Tout au long du siècle, sa mort est annoncée et constatée, expliquée même, alors que les publications se maintiennent allègrement. Pareil à un serpent de mer, toujours cru mort, voire fossile, il donne de loin en loin des signes d’une vie discrète dans les profondeurs des bibliographies.
Je remercie les organisateurs de m’avoir accordé cette séance plénière, dont le titre semble avaliser le thème général du colloque. En effet, selon Hugues Marchal, la disparition de la poésie scientifique aurait été largement consommée dès la fin du XIXe siècle. Dans la conférence d’ouverture, Muriel Louâpre a été plus magnanime en prolongeant la moribonde d’une quarantaine d’années et en établissant son certificat de décès à l’an 1939. Le titre de mon intervention, lui, annonce une renaissance du genre à partir des années 1950, ce qui suppose bel et bien une mort auparavant. Tout le monde semble donc d’accord.
Dans ses Pensées sur la décadence de la poésie latine, parues dans le Journal de Trévoux en mai 1722, Pierre Brumoy dresse le constat accablant d’une « poésie peu à la mode », « reléguée dans les collèges », ensevelie « dans la poussière du cabinet ». Cependant le savant jésuite entrevoit un espoir pour le renouvellement du genre : en revenant vers la philosophie et les sciences, la muse néo-latine pourrait selon lui se « réconcilier avec [son] siècle ». Dans la publication en 1721 du poème de Claude Fraguier sur la morale de Platon (Mopsus sive schola platonica de hominis perfectione), ainsi que dans l’Anti-Lucrèce du cardinal de Polignac (Anti-Lucretius sive de deo et natura libri IX), dont il a circulé des copies avant l’édition posthume de 1747, Brumoy croit deviner les premiers signes de cette « chance de salut pour la poésie latine ». L’objet de cette étude est de chercher à comprendre comment, aux yeux des « gens à latin », une langue « peu à la mode » peut être transformée en atout pour la poésie scientifique.
Wie auch in anderen europäischen Literaturen bezeichnet das, was wir heute als 'poesia scientifica' bezeichnen, in Italien einen jener Bereiche des kulturellen Erbes der Aufklärung, mit dem sich die nachfolgenden Generationen besonders schwer getan haben. Als Inbegriff jener antirhetorischen und antipedantischen Wendung eines «hin zu den Dingen », das sich die Aufklärung auf die Fahnen geschrieben hat, ist sie einerseits integraler Bestandteil eines kulturellen und sozialen Modernisierungsprojekts, dem die italienische Kultur ohne jeden Zweifel wichtige Impulse verdankt. Gleichzeitig erscheint sie freilich als Teil eines klassizistisch-scholastischen Literaturverständnisses, dem die sich beschleunigende Autonomisierung von Literatur und Wissenschaft im 18. Jahrhundert zunehmend die Grundlage entzieht.
La magicienne d’Atlas, symbole de l’imagination créatrice dans l’œuvre de Percy B. Shelley (1792-1822), vit au temps où les êtres surnaturels n’ont pas encore été chassés par la révolution scientifique, qui discrimine sans relâche erreur et vérité. Ces montagnes de l’Atlas, univers clos et protégé de la pastorale, forment alors le berceau naturel de créatures littéraires héritées de la poésie antique. Lorsque nymphes, dryades et hamadryades proposent à la magicienne de devenir ses suivantes, « So they might live for ever in the light / Of her sweet presence—each a satellite » , cette dernière refuse de s’associer à leur déclin inéluctable
The period of English Romanticism, from the last decade of the 18th century to the 1820s, was a time when the scientific education and researches began to be systematized. The foundation of the British Association for Advancement of Science (BAAS) in 1831, was actually a claim against the old regime of the Royal Society whose members consisted largely of amateur gentlemen of science. The BAAS declared that they would choose members according to their merits, while organizing annual conferences throughout the United Kingdom. William Vernon Harcourt, founder of the BAAS, claimed that the aim of the organization was "to give a stronger impulse and more systematic direction to scientific inquiry (Morrell, 70)”, and to develop human networks through scientific knowledge.
To see Keats only as yet another British Romantic poet, author of the odes and the Hyperions, who died in exile, after one last fit of tuberculosis, is to forget that he spent as many years – six years to be precise – of his short life studying medicine as he did writing poetry. First a young apprentice to an apothecary, then a medical student from 1811 to 1816, Keats chose to start his career as an artist without completely burying his scientific past, making sure never to get rid of his old books on medicine – these books that were to previously shape his intellect before he even started putting together his collections of poems. Satisfied to have had the ability to distance himself from a rather contrasted form of education in order to favour a unified conception of knowledge, Keats will always seem to go back to those first readings as a source of reference.
Dans l’histoire de la poésie scientifique, le médecin véronais Jérôme Fracastor, né vers 1478 et mort en 1553, apparaît comme une figure tutélaire grâce à la publication en 1530 de Syphilis, sive morbus gallicus. Le chant III de ce poème en hexamètres latins présente le cas d’un berger nommé Syphilus, frappé d’un mal nouveau en guise de punition pour avoir insulté le soleil. À la faveur de ce récit, Fracastor donne la description de la maladie qui s’appellera dorénavant la syphilis. Il en dresse les symptômes et en détaille la thérapeutique, en particulier la sudation obtenue par la décoction d’un bois exotique, le gaïac.
La poésie scientifique peut être considérée comme un genre littéraire, et l’on peut faire l’histoire d’un genre littéraire, un peu comme le naturaliste décrit l’évolution des formes de vie sur la terre, l’apparition d’une espèce, son adaptation à divers milieux, sa cohabitation avec d’autres espèces, les relations de concurrence, de symbiose, voire d’hybridation, puis finalement le déclin et la disparition, plus ou moins tragique, plus ou moins regrettée, de cette espèce. Ferdinand Brunetière, parmi d’autres, avait suggéré la parenté possible entre l’histoire littéraire et le discours évolutionniste . Une telle analogie aurait sans doute son intérêt et il faut reconnaître qu’elle aurait au moins le charme de présenter le genre de la poésie scientifique comme doté d’une vie, d’une existence propre . On se prendrait à croire que la poésie scientifique existe parce qu’un hasard, et tout à la fois une nécessité, naturels lui ont donné la vie, à un moment et dans un milieu donnés, avant de la lui reprendre. Pourtant, il n’en est pas de la poésie scientifique comme des dinosaures, des dodos, et des ours bruns des Pyrénées.
Le frontispice du premier des deux volumes in quarto de l’édition originale des Mois de Jean-Antoine Roucher, parue en 1779 avec une liste de souscripteurs impressionnante, affiche une ambition que d’aucuns pourraient juger démesurée et qui ne va pas sans rappeler les prétentions de M. de l’Empyrée, le poète ridicule de La Métromanie de Piron. En effet, la légende qui accompagne la belle gravure d’après Moreau le jeune affirme : « Mes chants reproduiront tout l’ouvrage des Dieux ». Même avec plusieurs milliers de vers, l’on est fondé à supposer que la place accordée à la science ne sera pas considérable pour un poème qui se fixe un tel but. Avant d’aller plus loin, il convient sans doute de se demander si l’on ne pourrait pas attendre une division nette entre l’ouvrage des Dieux et celui des hommes, même si dans la grande tradition des Saint-Lambert et des Delille, les sciences servent souvent à mettre en évidence le génie de la nature. Je voudrais montrer que Roucher s’inscrit dans une généalogie ou une tradition de poètes scientifiques, ayant Lucrèce, entre autres, pour modèle.
Au tournant du XIXe siècle, la France accuse encore un certain retard en matière d’astronomie . Conscients de la lenteur avec laquelle les nouvelles théories de l’univers sont diffusées parmi leurs contemporains, les savants demandent aux poètes des vers aptes à les populariser. Les poètes répondent à l’appel et plusieurs astronomies en vers sont publiées dès les premières décennies du XIXe siècle : Dominique Ricard, La Sphère, poème en huit chants (1796) ; Gudin de la Brenellerie, L’Astronomie, poème en trois chants (1800) ; Népomucène-Louis Lemercier, L’Atlantiade ou la théogonie newtonienne, poème en six chants (1812) ; Pierre Daru, L’Astronomie, poème en six chants (1830).
The History of Life, sometimes called the Evolutionary Epic , is a genre straddling science and literature that came into being in the middle of the nineteenth century as a way of presenting a synthesizing overview of the findings of the new discipline of palæontology. Although the palæontologists themselves usually concentrated in their writings on the meticulous description of a specific kind of fossil remains or a particular find, there was clearly space for more general accounts that would attempt to encapsulate 'the story as a whole’, summarising the entire 'History of Life’ from its first foundations to the present day. It would be an extraordinary but purely factual history, a veritable Bildundsroman with Life itself as the hero.
Dans une récente et précieuse synthèse, l’historien Robert Fox estime que la désaffection qui frappa la poésie scientifique en France, après la vogue suscitée par les productions de Delille, se produisit au profit de la presse de vulgarisation. Certes, le basculement fut graduel, puisque Pierre Daru composa dans les années 1820, à la demande de Laplace, un poème sur L’Astronomie qui parut de façon posthume en 1830 . Mais le glissement, précise encore Fox, est consommé au milieu du siècle. Début d’un « âge d’or de la vulgarisation, qui dura jusqu’aux premières années du siècle suivant », cette période contraste avec la fin des Lumières et la période postrévolutionnaire, qui avaient encensé Delille
Ô Nature, ô assemblage infini et éternel De tes essences et de tes espèces tu remplis l'univers D’une foule de corps et d’astres divers et d’innombrable soleils éclairant l'éternel De planètes, de lunes, et de comètes de météores, d’astéroïdes, les bolides très nets existants avec bornes, formes remplissant l’univers et qui est l’espace, le vide, l’infini, l’immatériel de toutes les essences, remplit le firmament de Dieu éternel, infini et tout-puissant des soleils innombrables éclairant le matériel des comètes et des lunes, peuplant l’univers des systèmes solaires, et planétaires composant des mondes innombrables et des terres espaces, essences-variés à l’infini et finis composant l’ensemble des mondes et des paradis. Le nombre des espèces est fini et incalculable rien de plus charmant ni de plus agréable.
Afin d’analyser la fonction propagandiste de la poésie scientifique, nous porterons un regard historiographique sur l’ouvrage de Sylvain Maréchal intitulé Le Lucrèce français, poème athée publié en 1798, ainsi que sur l’œuvre qui se situe en amont de ce texte de la Révolution comme de la poésie scientifique occidentale, à savoir le De rerum natura de Lucrèce.
Au XIXe siècle, la science alimente de nombreux débats et, de manière corrélative, la poésie scientifique est loin d’être neutre. En particulier, la question de la religion et de Dieu revient sous presque toutes les plumes. Traditionnellement, religion et science font mauvais ménage dans les esprits. C’est au point que Jacqueline Lalouette, qui a étudié l’anticléricalisme au XIXe siècle, parle de « sciences de combat » : science des religions, sciences de la terre et sciences de la vie sont avancées pour démontrer l’inexistence de Dieu. L’examen du corpus Euterpe (1792-1939) révèle plusieurs positions relativement à la question religieuse ; comme on s’en doute, bon nombre d’auteurs opposent science et religion. Il est intéressant de confronter leurs arguments à ceux des poètes qui essaient au contraire de les réconcilier.
Conservé dans une liasse de brochures à la Bibliothèque Nationale, l’« Hommage à la science » d’un certain François Devillaine est un long poème de quatre-vingt dix vers joliment mis en page, avec une typographie soignée. De son auteur, on sait qu’il était professeur en retraite de l’Université de Toulouse et membre d’honneur de l’Athénée des Troubadours, un cercle de poètes amateurs . Dans le thème, dans le ton, en alexandrins appliqués, ce texte, quoique dénué d’annotation savante, illustre le genre de la poésie scientifique et sa topique progressiste. L’ample exorde s’enthousiasme sur ce XIXe siècle finissant qui, par la volonté de Dieu, aura été celui de la science, et présente une galerie de savants célèbres, Fulton, Ampère, Pasteur. À l’éloge du siècle succède celui d’une découverte merveilleuse, celle du gaz acétylène, carburant extraordinaire dont la « flamme vive » surpasse en rayonnement ses « modernes rivaux ».
Ami de Flaubert, Louis Bouilhet partageait quelques-unes de ses idées esthétiques, en particulier sa conception de l’art pour l’art, de l’impersonnalité de l’écrivain. Hostiles à l’implication du Moi, des sentiments et des opinions dans la littérature, les deux écrivains considéraient la science comme un modèle esthétique à opposer au romantisme. « La littérature prendra de plus en plus les allures de la science », disait Flaubert (lettre à L. Colet, 6 avril 1853). Si, en 1854, Louis Bouilhet dédie à son ami le poème Les Fossiles plutôt qu’un autre poème, c’est sans doute parce que les deux écrivains partagent le même attrait pour les sciences naturelles.
Très tôt, René Ghil avait explicitement lié, en poésie, science et morale – soit, plus spécifiquement, la question de la Matière en devenir et celle de l’altruisme –, donnant à l’ultime partie de Dire du Mieux (premier des trois grands cycles constitutifs de l’Œuvre) le titre programmatique de : L’Ordre altruiste. L’articulation entre ces deux concepts demeure problématique, et devra être examinée – dans le contexte de l’époque – à la lumière des théories évolutionnistes, mais aussi de l’évolution sociale et idéologique. Mais, qui fut René Ghil ?
Les rapports entre le surréalisme et la science sont éminemment paradoxaux. Mais repenser ces liens par le biais de la question de la « poésie scientifique » permet de déjouer les contradictions des discours des membres du mouvement surréaliste afin de retrouver, au cœur même d’une poétique fondée sur le hasard objectif, l’onirisme et la folie, quelque étincelle de rationalité des plus logiques.
Le recueil Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau est précédé d'une citation d’Alan Mathison Turing, mathématicien et informaticien anglais considéré comme l’un des créateurs de l’ordinateur : « Seule une machine peut apprécier un sonnet écrit par une autre machine. » Une telle proposition n'est pas sans rappeler le côté ludique qui caractérise l'écriture de Queneau, mais elle ne doit cependant pas être uniquement interprétée comme telle, car ce recueil est véritablement une machine à fabriquer des poèmes : dans cette œuvre, dix sonnets se superposent sur dix pages selon un système où chaque vers est placé sur un volet, permettant ainsi au lecteur des entrées multiples, transversales et exponentielles. Les cent mille milliards de combinaisons possibles créent les cent mille milliards de poèmes du recueil, lequel nécessiterait plus d'un million de siècles de lecture « en comptant 45 secondes pour lire un sonnet et 15 secondes pour changer les volets, à 8 heures par jour, 200 jours par an . »
Le monde industriel n’a pas que des secrets, il recèle aussi d’insondables mystères. Un exemple amusant est celui du Chant du styrène. Un cadre de Péchiney en eut l’idée. Il la vendit à son conseil d’administration, qui crut qu’il s’agirait d’un film publicitaire, à la gloire de la société. Mais ce monsieur engagea Alain Resnais comme réalisateur. Resnais visa un film de vulgarisation, pas de propagande pour une image de marque — première subversion. Quand Resnais, après avoir tourné le film, recruta Queneau pour en écrire le commentaire, il tablait sur sa réputation de poète scientifique découlant de sa Petite cosmogonie portative, et sur son expérience du cinéma, dont, entre autres, un documentaire sur l’arithmétique. Resnais mettait ainsi en place une seconde subversion, par l’humour.
L’idée d’une poésie scientifique évoque une sorte de paradis perdu, une tour de Babel des connaissances qui se serait plus ou moins effondrée avec les présocratiques, pour qui l’union de la poésie et du savoir allait de soi. Cette alliance ne s’est toutefois jamais complètement dénouée, et c’est aux XVIIIe et XIXe siècles que la poésie scientifique connaît son apogée, en raison notamment des développements de la science et de l’idée de progrès qui s’y greffe. Si le genre était déjà en grande partie dissout au XXe siècle, il n’en demeure pas moins que science et poésie ont continué de s’influencer, souvent de façon allusive, parfois avec dérision. Parmi les légataires de cette tradition, la figure de Francis Ponge est exemplaire : non pas parce qu’il incarne au mieux la survivance de la poésie scientifique, mais plutôt parce que son œuvre souligne les apories de cette pratique et qu’elle rend compte de ses transformations.
J'essayerai ici d'esquisser certains enjeux théoriques qui me tiennent à cœur, issus de la rencontre entre ma propre production poétique et de récents développements scientifiques et technologiques. En 2009 j’ai publié un e-book trilingue (italien, français et anglais), intitulé da 1000m – dès 1000m – from 1000m , qui contient des textes poétiques tirés d'articles de biologie marine sur les créatures des abysses. L’idée de ces textes, en grande partie intégrés depuis à ma dernière publication, Redéfinition, m'était venue d'un ouvrage paru en 2006 : The Deep . Claire Nouvian y présente d'étonnantes photos de créatures des abysses récemment (re)découvertes grâce aux nouvelles technologies de descente dans les profondeurs océaniques et de captation photographique de sujets se trouvant dans un noir presque absolu. Parmi les caractéristiques principales de ces créatures il y a le changement d'échelle par rapport à des animaux semblables mais plus communs (par exemple de nombreux types de méduses de dimensions gigantesques ). Autre caractéristique majeure, leur biolumi-nescence .
Dans les années quatre-vingt-dix, les neurosciences ont pris un caractère paradigmatique qui leur a permis de renouveler nos conceptions des rapports entre corps et esprit, mémoire et imagination, conscience et subjectivité. Dans un contexte de naturalisation de la connaissance, leur impact s’est manifesté bien au-delà des frontières de la science, notamment dans le domaine de l’esthétique dont elles ont contribué à redessiner le paysage et à reconceptualiser certains thèmes fondamentaux. Cette évolution a favorisé l’émergence de nouvelles disciplines, comme la neuroesthétique, mais aussi de nouvelles formes poétiques qui mobilisent les ressources du neuronal pour comprendre leur propre mode d’émergence et leur effet sensible sur le lecteur.
"The study of grammar, in my opinion, is capable of throwing far more light on philosophical questions than is commonly supposed by philosophers. Although a grammatical distinction cannot be uncritically assumed to correspond to a genuine philosophical difference, yet the one is primâ facie evidence of the other, and may often be most usefully employed as a source of discovery.” Bertrand Russell The Principles of Mathematics, Cambridge, 1903, p. 42.