Des corps dans la ville : norme et écart au XIXe siècle

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Arts et Savoirs, limite: 12 juin 2020

La recherche en littérature et en sciences humaines – les études dixneuviémistes en particulier – continuent de témoigner régulièrement de l’engouement suscité par la question de la représentation des corps, propice à une multiplicité d’approches et de croisements disciplinaires, qu’ont nourris en particulier les travaux d’Alain Corbin et Georges Vigarello. Le corps, notion d’une grande plasticité, peut ainsi renvoyer à une réalité matérielle et physique, que le XIXe siècle contribue à rendre de plus en plus visible, ou se faire parallèlement le véhicule d’un imaginaire social, qu’il explore au travers de formes d’écriture parfois inédites, au croisement des champs littéraire, journalistique ou scientifique.

Les mutations que connaît l’espace urbain au XIXe siècle imposent alors aux corps de nouvelles normes, dont peuvent faire état le roman réaliste, la littérature dite panoramique ou encore la presse, et définissent dans le même temps de nouvelles marginalités. Des lieux relevant simultanément de l’observation médicale ou anthropologique, du spectacle, voire du voyeurisme, tels que les baraques foraines, le musée de cire ou la morgue, font ainsi émerger certains types de corps – vivants, artificiels ou morts –, dont s’emparent les représentations écrites ou iconographiques. Dans la dernière partie du siècle, des manifestations très médiatisées, comme les Expositions universelles, mettent en scène et donnent à voir aux visiteurs des corps différents dans des pavillons reconstituant les modes de vie de pays plus ou moins lointains.

Science et pseudoscience se mêlent ainsi au goût du spectacle qui caractérise le XIXsiècle et viennent imprégner, de manière plus ou moins sensible, les différents espaces qui structurent la ville, lesquels se multiplient et se diversifient sous le Second Empire. Si certains lieux sont conçus pour privilégier une observation scientifique des corps – l’hôpital, le jardin d’acclimatation, le laboratoire, le musée scientifique… –, d’autres favorisent une observation des corps qu’on pourrait qualifier de pseudoscientifique – Expositions universelles, baraques foraines, musées de cire. On peut aussi évoquer, sans hiérarchie, tous les lieux voués traditionnellement au spectacle, qui offrent à la vue des corps s’inscrivant à leur façon dans une dialectique de la norme et de l’écart : Opéra, théâtres, cirques…

Dans un contexte qui se caractérise par un renouvellement des méthodes d’observation scientifique, mais aussi par des réaménagements urbains et l’inauguration de nouveaux lieux dans la ville, il s’agira d’interroger la scientificité du regard que porte le XIXe siècle sur les corps voués à occuper cet espace. Cette scientificité ne sera pas la même selon qu’il s’agit d’un savant, du grand public ou des artistes et écrivains influencés dans leur quotidien et leurs pratiques par la vulgarisation des savoirs biologiques. Dans une période où ceux-ci progressent rapidement, le savant et l’ingénieur, l’écrivain et le journaliste, le peintre et l’illustrateur, les acteurs, danseurs, mimes, saltimbanques et monstres de foire, les criminels et les religieux, les commerçants, les bourgeois ou le petit peuple, sont appelés à se croiser, à s’observer, parfois à dialoguer et à s’influencer, dans des lieux nombreux et variés. Méthode scientifique, partis pris esthétiques, engagements idéologiques et opinions se mêlent dans des proportions diverses, donnant naissance à des représentations plus ou moins inédites ou normatives.

On s’intéressera aux effets de transferts ou de porosité dans les discours et les images qui peuvent les accompagner, permettant par exemple aux gens de lettres – qu’ils soient écrivains, journalistes ou théoriciens plus spécialisés – d’aborder les pratiques théâtrales, chorégraphiques ou circassiennes comme s’il s’agissait de poser un diagnostic médical, ou plus largement scientifique, sur les corps. Inversement, on pourra s’interroger sur la scientificité du regard que pose le savant sur la société qui l’entoure, ou sur celle qu’il adopte sur son lieu de travail. Le corpus envisageable n’est pas restrictif : littérature, presse, manuels divers, ouvrages savants et documents iconographiques sont utilisables, ce numéro s’adressant aux spécialistes de diverses disciplines. Seront privilégiées les études de textes et documents non canoniques ou les études d’œuvres jugées secondaires dans l’œuvre des grands auteurs.

Ce numéro d’Arts et savoirs est dirigé par Bénédicte Jarrasse et Axel Hohnsbein (université de Bordeaux). Les personnes souhaitant soumettre un article (comptant entre 30 000 et 60 000 signes) sont invitées à envoyer un résumé (250 mots) et une courte biographie (150 mots) conjointement à axel.hohnsbein@u-bordeaux.fr et benedictejarrasse@yahoo.fr avant le 12 juin 2020. Réponses aux propositions début juillet.

La date finale de remise des textes est fixée au 20 décembre 2020.

Lien au site web de l’annonce ici

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