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Photographie et machineries fictionnelles

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Il fallut attendre que le phénomène, d’abord cantonné à l’avant-garde, contamine la masse au 20e siècle, pour que la compulsion photographique les rattrape à leur tour. Quelques décennies après Breton, cédant à l’invasion des images et fasciné par les médias et les images modernes, Roland Barthes intègre à son tour des photographies dans ses essais. Dans le même temps, un mouvement narratif singulier lie pratique photographique et récit de soi. Les Cahiers de la photographie désignent alors ce phénomène par un astucieux mot-valise : la « photobiographie », scellant l’alliance d’une technique à un genre littéraire propre à faire bondir Baudelaire de l’au-delà (« La poésie et le progrès sont deux ambitieux qui se haïssent d’une haine instinctive », écrivait-il dans son Salon de 1859). Ces productions longtemps restées marginales deviennent alors, dans les années quatre-vingts dix jusqu’à nos jours, un véritable raz-de-marée éditorial, au point qu’on aurait du mal aujourd’hui à recenser tous les livres d’auteur qui paraissent illustrés de photos. Des écrivains aussi divers que Jacques Derrida, Anny Duperey, Michel Houellebecq, Annie Ernaux, Marie N’Diaye, Olivier Rolin, Anne Brochet, Georg W. Sebald ou Orhan Pamuk ont cédé récemment à l’appel de l’appareil-photo. Ils insèrent leurs clichés dans leurs livres et cette « machine de vision », pour reprendre l’expression de Paul Virilio, entrée en littérature depuis longtemps (c’est un des thèmes favoris de Patrick Modiano), est désormais présente de façon concrète et visible dans bien des récits, souvent écrits à la première personne[1].

 

La période charnière de cette nouvelle pratique du récit de soi se situe dans les années soixante-dix. Non seulement, la littérature du moi connaît une véritable expansion, mais de surcroît, depuis 1969, des artistes français comme Christian Boltanski ou Jean Le Gac avaient délaissé la traditionnelle peinture pour préférer les outils médiatiques d’un art moyen partagé par la population (elle aussi moyenne), selon l’expression de Pierre Bourdieu. Ces artistes tissent des fils narratifs autour de leurs images, à partir de souvenirs personnels. barthes.jpgEt c’est au cours de cette période artistique radicale que des œuvres auto-narratives vont cristalliser chez Roland Barthes, Hervé Guibert et Sophie Calle ce nouveau rapport technique du texte et de la fiction de soi, à travers le prisme de la photographie. En entretenant chacun un rapport singulier avec l’appareil, et dans un très cours laps de temps, leurs parcours matérialisent la nouvelle fonction littéraire et identitaire de l’image mécanique.

 

Comment l’image photographique, fille aînée de la reproductibilité technique, génère-t-elle dans leur cas une nouvelle forme de récit de soi, entre évocations de souvenirs textuels et images documentaires ? Après avoir interrogé la possibilité d’un « genre » photo-narratif hybride, nous étudierons le cas de cet étrange triptyque : Calle, Guibert et Barthes, à la même époque, se sont racontés de façon fragmentaire autour de photographies familières, amateur ou publiques. Comment définir leur pratique narrative de l’illustration, leurs fantasmes liés à la photographie et surtout, cette construction éparse d’une « mythologie individuelle » ? Face à ces récits hybrides, la compulsion catégorisante de l’exégète est vite déçue par la trop grande labilité formelle de ces textes. En comparant quelques éléments biographiques et leurs différentes versions rapportées, nous tenterons de voir comment la mythologie moderne, telle que Roland Barthes l’a appliquée à sa contemporanéité, peut avantageusement se substituer aux catégories établies pour les genres littéraires et redéfinir l’autobiographie à l’ère des images.

 

 

Déceptions génériques et hybridation moderne.

 

Le récit photographique est généralement considéré comme étant à la marge des genres nobles, comme si la photographie appauvrissait le texte. Il existe pourtant une quantité mirobolante d’ouvrages illustrés, très divers, qui vont du photoreportage au livre documentaire. Ceux qui nous intéressent relèvent d’une production particulière, à la fois littéraire et esthétique. Mais dans ce domaine encore, les montages éditoriaux ne manquent pas, l’édition massive de beaux livres ayant été rendue possible par la baisse des coûts de reproduction dans les années soixante. Force est toutefois de constater que les ouvrages photolittéraires de l’époque proposent généralement des suites de photographies insipides accompagnées d’envolées pseudo-lyriques d’écrivains, poètes et journalistes. Le résultat aléatoire montre que la forme reste mal maîtrisée par les uns et les autres, en raison d’une méconnaissance des ressorts propres à ce dispositif hétérogène[2]. D’autres textes, entièrement conçus par l’auteur, intègrent par contre à leur trame les illustrations de façon essentielle, développant un nouvel usage de la photographie dans le livre, dont les reportages de Raymond Depardon marquèrent un pas décisif. Malheureusement, ces textes novateurs qui mêlent plusieurs formes sont bien souvent rangés dans les sections fourre-tout de la paralittérature. Et l’intuition qu’un récit illustré avec des photographies possède des qualités intrinsèques bien différentes des textes simplement agrémentés de planches dessinées ou peintes n’a jamais été clairement poussée jusqu’à son terme. Il en ressort que les tentatives de circonscriptions du genre se sont globalement révélées décevantes. La liste de tous les termes employés pour désigner cet assemblage entre photo et texte témoigne de cette indétermination : phototextualité, photo-essay, photo-poème, récit-photo, iconotexte, etc., des termes apparus à la suite de la vague de production des années soixante-dix.

Deux tendances fortes de cette époque, photographie et récit de soi, se sont donc rencontrées à l’intersection des pratiques artistiques et littéraires. Un terme inventé par Gilles Mora, photographe et directeur des Cahiers de la photographie, a eu une certaine fortune critique, la « photobiographie ». Mais lui-même est revenu sur ce terme à l’occasion d’un colloque Traces photographiques, traces autobiographiques en 2003 en dénonçant la piètre qualité des liens entre photo et texte : « En finir avec la photobiographie, […] c’est reconnaître […] l’extrême rareté, voire l’absence d’œuvres photobiographiques suffisamment fortes, impossibles à confondre avec des productions mineures fondées sur une utilisation biographique simpliste de la photographie »[3].

L’insertion d’une technique moderne, la photographie, en tant qu’élément narratif, dans un genre littéraire identifié comme l’autobiographie a profondément troublé les classifications génériques et a soulevé de véritables difficultés dans la manipulation même de cet élément étranger au texte. Sans nous attarder trop longtemps sur cette double question, qualitative et générique, il est cependant bon de replacer cette forme narrative en perspective de la typologie originelle des genres que Käte Hamburger propose dans son ouvrage devenu un classique, Logique des genres littéraires. Son chapitre consacré aux « formes mixtes » est éclairante de la lacune méthodologique propre à l’étude littéraire : elle traite en effet l’hétérogénéité du texte, mais systématiquement sur un plan infra-textuel[4], sans tenir compte du fait que la photographie fait justement éclater cette coquille textuelle pour produire une autre forme narrative signifiante. En remontant aux sources théoriques du genre, on aurait pu penser que Käte Hamburger, qui amorce une réflexion sur la fiction cinématographique, avait perçu une possible frontière entre récit textuel et récit en image, puisqu’elle déclare : « La photographie est au film ce que la narration est au roman et la mise en forme dialogique au drame »[5]. Mais ce questionnement tourne autour de la temporalité du film, ce qui lui permet juste de faire un parallèle entre film et roman. Et selon elle, « ce n’est pas l’image photographique en tant que telle qui permet de comparer le film aux arts littéraires, mais l’image photographique en mouvement. »[6] Käte Hamburger ne propose donc pas de nomenclature pour les récits illustrés de photographies qui imposent pourtant un régime de lecture résolument moderne, marqué par l’alternance, la syncope et le fragmentaire. Les tentatives ultérieures de typologie, nous allons le voir dans le cas précis de l’autobiographie, perpétuent globalement cet ostracisme visuel.

Si les genres littéraires sont manifestement aveugles à la photographie, les artistes ont eux commencé, à utiliser texte et photographie pour élaborer des œuvres conceptuelles et narratives depuis le mouvement Dada. Un des premiers auto-reportages célèbres d’artiste fut certainement celui qui fut réalisé sur Fountain, le ready-made signé R. Mutt. Canular monté par Marcel Duchamp, cette fontaine-urinoir ne doit son succès qu’à la légende bâtie par la photographie d’Alfred Stieglitz et le texte-défense de Duchamp, tous deux publiés dans la revue The Blind Man en 1917. À leur suite, nombres d’artistes ont utilisé textes et photographies comme des outils d’authentification et de médiatisation d’expériences artistiques réalisées dans un cercle restreint. Ils ont, nous allons le voir, travaillé à faire de la figure de l’artiste le centre d’une représentation artistique à part entière, et cette tendance se répercute dans les récits autobiographiques illustrés de trois auteurs, Roland Barthes, Hervé Guibert et Sophie Calle à la charnière des années soixante-dix et quatre-vingt. Ces écrivains et artistes franchissent en effet, chacun dans des contextes différents (critique, fictionnel ou artistique), les frontières du genre littéraire pour utiliser ces dispositifs texte et image déjà présents chez des artistes conceptuels (Joseph Kosuth, Vito Acconci, Duane Michals, Victor Burgin ou Richard Long). L’usage de la photographie confère une dimension scientifique, précise et authentique à la représentation : elle montre les objets en transparence. La photo ne fait pas écran entre l’objet et le spectateur, comme si une simple glace était posée entre eux. Dans les récits autobiographiques illustrés, la mise en scène de soi se déroule selon des modalités objectives similaires : elle tend à replacer la représentation du réel, sans filtre, au plus près du regard mais aussi du texte, remettant en question la relation traditionnelle non seulement entre récit et image, mais entre récit de soi et image de soi.

En plus de ce dispositif visuel qui illustre le texte, le statut autobiographique du texte pose question, notamment dans sa dimension authentifiante (il induit un pacte de vérité implicite). « Biographie (histoire d’une vie particulière) de l’auteur faite par lui-même » d’après Le Robert, l’autobiographie répond toutefois à des critères plus précis établis par Philippe Lejeune en 1975 dans son Pacte autobiographique et qui depuis continuent, malgré les codicilles et autres repentirs, à faire autorité. La définition admise de l’autobiographie correspond au « récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité »[7]. La première objection d’importance vint de Serge Doubrovsky avec la parution de son récit Fils en 1977. Il avait alors décidé d’occuper la case aveugle que le tableau de Lejeune avait laissé dans sa définition du pacte de vérité qui liait l’auteur et le lecteur, « inventant » ainsi l’autofiction. Fils scelle un pacte romanesque avec nom d’auteur identique au personnage[8]. Mais la fortune critique de l’autofiction a malheureusement une fois de plus occulté l’élément intrusif que représente la photographie dans ce type de texte qui trouble, à l’aide de l’image, la question de la vérité narrative.

Quand Jacques Lecarme semble consacrer la fonction de l’image dans le récit à travers un chapitre de son ouvrage L’Autobiographie, elle reste en fait « aux marges » ou témoigne de « renouvellements », condamnée à rester un inducteur de mémoire, un trésor familial pour l’auteur ou un élément du paratexte comme le portrait de l’auteur sur la couverture, souvent du seul fait de l’éditeur[9]. Éternellement condamnée à être « l’humble servante des arts »[10], pour reprendre le terme de Baudelaire, sa présence dans les récits, autobiographiques ou romanesques, reste toujours une apposition au texte. Elle semblerait n’avoir aucune influence notable sur la réception ou la structure même du récit. Cet aveuglement face à l’image occulte toutefois, nous allons le voir, l’importance fondamentale du médium photographique dans la constitution de l’identité narrative de ces auteurs à la première personne.

Mais, et l’autoportrait ? Dans le champ pictural, on peut considérer que l’équivalent visuel de l’autobiographie est l’autoportrait, un genre pictural très bien identifié par les historiens de l’art. Pascal Bonafoux montre dans son ouvrage de référence, Moi ! Autoportraits du 20e siècle, la diversité de la mise en scène de l’artiste par lui-même, souvent dans son propre rôle[11]. Mais quelle valeur a un autoportrait dans l’économie générale de l’œuvre ? Que dit-il de son auteur ? S’il s’agit d’un tableau peint, il témoigne encore d’un style, d’une touche et d’un certain sens de la construction picturale. La photographie, pour sa part, produit une vue achéïropoïétique (non faite de main d’homme), directe et parfaitement réaliste d’un individu : l’appareil atteint un niveau de réalisme jamais atteint, habité par un démon de l’analogie enfin accessible. Toutefois, l’œuvre photographique a quelque chose de stérile et précisément d’inhumain. L’autoportrait, par ailleurs, ne construit pas le récit personnel de l’artiste, il ne raconte rien, ne faisant que signaler des traits physiques de l’auteur. Si l’on met cette pratique en perspective avec l’usage commun de la photographie d’identité, on se rend vite compte qu’elle ne renvoie finalement qu’à une identification redondante, une sorte de tautologie identitaire mécanisée que les sérigraphies warholiennes singeaient déjà dans les médias[12]. Pour remédier à la platitude répétitive de ces représentations, les artistes et les auteurs ont développé des réflexions, à tous les sens du terme, sur le statut de ces images de soi. Alors que ces dernières sont au centre des préoccupations occidentales dans les années soixante-dix, dans le même temps, le corps et l’image de l’auteur (son « je », encore amplifié par l’image) se mettent à occuper le devant de la scène et à devenir un enjeu autant esthétique que narratif.

 

Dans cette perspective, les textes photographiques que nous présentent Barthes, Guibert et Calle apparaissent comme le pur produit d’une modernité qui tend à hybrider technicité et objectivité avec une création de soi qui flirte avec la fiction. Le corps mutant de l’auteur, sous l’effet de la machine photographique, se transfigure dans des textes eux-mêmes mutants, à la frontière du réalisme de l’image et de la fiction narrative.

 

 

Petites machineries fictionnelles.

 

calle2.jpgÀ la fin des années soixante-dix, Roland Barthes, Hervé Guibert et Sophie Calle, alors toute jeune artiste, vivent dans un petit milieu intellectuel et artistique qui  permet, si ce n’est de véritables rencontres, tout du moins des rapprochements significatifs[13]. Afin de clarifier les relations entre les trois protagonistes et de replacer leur travail dans une perspective commune, reprenons quelques points biographiques : si Roland Barthes a fréquenté Hervé Guibert en 1977 et si ce dernier a connu Sophie Calle à partir de 1984, Roland Barthes et Sophie Calle ne se sont jamais rencontrés. Peut-être à l’extrême rigueur se sont-ils entr’aperçus, alors que l’un était un intellectuel parisien en vogue et l’autre une exilée désoeuvrée de retour à Paris en 1979. Mais rien n’atteste d’un lien entre eux en dehors de lectures ou d’échos formels, si ce n’est Hervé Guibert, lui-même, écrivain et photographe, qui joue le rôle de maillon entre Barthes et Calle.

Par quel concours de circonstances biographiques ces faux couples se sont-ils formés ? Et comment la fiction marque-t-elle leur relation commune à l’image ? Sur les conseils d’un ami en 1977, Guibert avait glissé un exemplaire de son premier livre La Mort propagande dans la boîte aux lettres de Barthes. Il venait d’entrer comme critique de photographie au journal Le Monde, le premier dans ce journal qui résista longtemps à l’illustration photographique. Ralph Sarkonak et d’autres biographes racontent comment la relation a commencé par une correspondance entre Barthes, alors éminent professeur et Guibert, apprenti écrivain. L’année 1977 est cependant marquée par une suite de quiproquos (un prétendu chantage libidineux en échange d’une préface) ou d’attentes déçues (un baisemain jamais obtenu). Cette succession de rendez-vous manqués et de malentendus trouve son épilogue dans une lettre, « Fragments pour H. »[14], écrite par Barthes le 10 décembre 1977, que Guibert publiera en 1986. Bien après la mort de Barthes en 1980, les écrits de Guibert resteront le lieu d’un régulier tribut au maître avec lequel la conversation continue par-delà la mort, non sans se ménager quelques règlements de compte à l’occasion.

Commençant à jouir d’une petite célébrité dans le monde de l’art pour ses extravagances, Sophie Calle apparaît dans la vie d’Hervé Guibert en 1984 à l’occasion d’un portrait pour Le Monde. Installée à Paris depuis 1979, elle a déjà publié dans la collection « Ecrits sur l’image », Suite vénitienne et vient de sortir L’Hôtel, deux récits de filatures et d’aventures à Venise, augmentés des photographies de l’auteur[15]. De rebondissements (une photographie perdue, une porte claquée au nez, un bain au Japon) en citations réciproques, Guibert et Calle vivront une suite de rencontres réelles ou textuelles que chacun rapportera sous couvert de fiction chez l’un ou d’« histoire vraie » chez l’autre, pour reprendre le titre d’un recueil de Sophie Calle[16]. Ainsi, dans le faux roman À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Guibert raconte des scènes vécues avec une Sophie qui porte désormais le nom d’Anna, tandis qu’elle raconte à son tour dans Douleur exquise, ces mêmes aventures au Japon sous la forme d’une lettre adressée à son amant mais étrangement restée dans ses archives[17].

C’est à travers ce même dialogue, dans le silence et la perte de vue, que plus tard Sophie Calle ressuscitera les traces guibertiennes comme autant d’hommages à « un ami dont elle n’a pas pu sauver la vie », regret qu’elle exprime au début de son film No sex last night (1991) lorsqu’elle décide de prendre son avion vers les États-Unis malgré l’état critique de Guibert. Elle dit naïvement espérer réussir, par son départ, comme si de rien n’était, à conjurer sa mort. Son film répond à celui qu’il était en train de tourner, son journal intime vidéo, alors qu’il était au stade terminal de sa maladie[18]. Calle évoquera à plusieurs reprises dans ses œuvres ces « images fantômes » du jeune écrivain qu’elle n’a pas su garder parmi les vivants[19]. Catherine Mavrikakis raconte ces « r-v » avec Hervé et les multiples légendes qui entourent ces deux personnages à fort potentiel autofictif[20]. L’une d’elles voudrait qu’ils se soient rencontrés lors d’un dîner chez Michel Foucault : Sophie Calle, qui déclare depuis quelques années avoir une très mauvaise mémoire, ne s’en souvient pas. Quant aux deux autres protagonistes, ils n’ont jamais évoqué ces circonstances et ne sont plus là pour donner leur version des faits. Le flou autour de la rencontre nimbe d’un premier brouillard leur relation, qui sera jalonnée d’autres moments forts dont chacun choisira de faire le récit tout subjectif. Une anecdote a été ainsi réciproquement narrée. Guibert était allé rencontrer Calle en 1984 pour la sortie de son second livre aux Editions de l’Etoile, L’Hôtel. À la suite de l’entretien, il demande une photographie de l’artiste pour illustrer son article. Alors qu’elle avait stipulé qu’elle tenait au cliché comme à la prunelle de ses yeux, il s’attire les foudres de l’artiste lorsque la photo d’enfance fétiche est déclarée perdue à la rédaction du Monde. L’image sera plus tard miraculeusement retrouvée, après que Calle a eu le temps de harceler Guibert comme il se doit dans les intrigues les plus passionnelles, et rendue à l’occasion d’une rencontre au Japon. Ce même séjour au Japon verra le journaliste et l’artiste réunis dans une chambre d’hôtel, rencontre qui sera également racontée dans deux versions divergentes. Malgré des orientations sexuelles différentes, la chambre devint le théâtre d’une expérience érotique inédite qui faillit se solder par l’assassinat de Calle par un Guibert à son tour mis hors de ses gonds par l’artiste « chichiteuse[21] ». Les récits, loin d’être authentifiés par les photographies, sont troublés par les distorsions de la fiction et la confrontation des différentes versions.

L’appareillage photographique produit alors une documentation qui fonctionne à rebours de son usage habituel. Elle n’est pas utilisée pour attester des faits, puisque l’authenticité des clichés ne garantit manifestement pas celle des récits. À la différence des reportages ou des filatures que Calle affectionne pourtant, les clichés ne disent rien des actions qui se sont déroulées : les faits n’apparaissent pas dans leur criante vérité comme dans les journaux, les photos ne provoquent pas de « choc » visuel ni n’apportent d’informations supplémentaires. La photographie apporte une documentation au statut ambivalent, puisque l’impression d’authenticité se trouve régulièrement remise en question par des indices contradictoires qui jettent le trouble sur la vérité des récits.

 

Mutations du texte.

 

Ces auteurs, au moment de leurs rencontres respectives, ont tous déjà à leur actif une pratique très personnelle de la photographie. Roland Barthes a publié plusieurs textes illustrés dans un corpus qui va du Message photographique (1961) à La Tour Eiffel (1964). Son premier ouvrage illustré autobiographique, L’Empire des signes, sort en 1970 : on y découvre le premier portrait de l’auteur, sous le masque d’un conférencier « japonisé, les yeux élongés, la prunelle noircie par la typographie nippone »[22]. Ce livre sera suivi cinq ans plus tard du Roland Barthes par Roland Barthes, à la demande de Denis Roche, alors responsable de la collection « Microcosmos – Écrivains de toujours » aux Éditions du Seuil. Enfin, en 1980, La Chambre claire, et tout particulièrement la seconde partie dédiée à la mémoire de sa mère, se présente sans fards comme un fragment autobiographique dont les images tracent un parcours anachronique et scénarisé dans la fiction du récit[23]. La plupart de ces textes, dont on peut dire qu’ils sont auto-narratifs peut-être plus qu’autobiographiques (ils ne retracent pas exactement la vie de l’auteur) procèdent d’une relation plus ou moins étroite avec l’image photographique, une relation qui avait débuté vingt ans avant sa disparition prématurée en 1980.

guibert2.jpgLa pratique de la photographie chez Hervé Guibert accompagne également très tôt ses aspirations d’écrivain, marquées par le patronage barthésien : après La Mort propagande, il commence en 1978 à photographier ses grands-tantes, Suzanne et Louise dont il fera une première exposition à la galerie La Remise du Parc[24]. Ces photographies qui dessinent une chronique familiale autour de deux vieilles dames et de leurs relations avec leur jeune neveu, seront compilées en un « roman-photo » dont la publication précède d’un an L’Image fantôme. Ce livre, une suite de courts textes sur des photographies absentes, disparues ou invisibles, préfigure les motifs barthésiens du fragment et du photographique, des thèmes récurrents dans ses travaux ultérieurs, même cinématographiques. Ainsi L’Image fantôme apparaît comme une citation du dispositif préféré de Barthes, et comme pour répondre à La Chambre claire, le livre de Guibert ne contient aucune image[25]. L’hommage se révèle par ailleurs explicite dans le court chapitre « La photo, au plus près de la mort » dans lequel Guibert raconte avoir souhaité photographier la mère de Barthes, ce dernier désigné simplement par ses initiales : « R.B., l’écrivain ». Guibert explique cependant qu’il ne pourra en aucune manière prendre en photo celle que Barthes appelait affectueusement « mam », la mort l’ayant emportée avant même qu’il ne puisse formuler sa requête. Et comme Barthes avait déjà jugé inutile de montrer dans La Chambre claire la photographie du Jardin d’Hiver – « Pour vous, elle ne serait rien d’autre qu’une photo indifférente[26] » – personne ne verra donc jamais cette mystérieuse image de la mère. Elle reste tout aussi invisible chez Guibert qui raconte comment il a manqué la seule séance de pose qu’il avait réussi à obtenir de sa mère en oubliant de charger l’appareil avec une pellicule[27] : une figure à nouveau fantomatique, disparue avant même d’avoir pu être capturée par l’appareil photographique. La photographie, tant pour Barthes, Guibert ou Calle, est comparable à une manifestation de l’antimatière, comme si les reflets du réel ouvraient les portes de l’invisible.

Longtemps on n’aura retenu des récits photographiques de Sophie Calle que le caractère spectaculaire de l’autobiographie fragmentée qu’elle exhibe dans les expositions et ses petits livres publiés chez Actes Sud. Pourtant, elle a beaucoup utilisé le récit illustré de photographies, forme presque exclusive de ses œuvres, pour pointer des absences. Sophie Calle commence son travail d’artiste en 1979 dans Paris et tout de suite s’impose à elle un dispositif double composé de photos et de textes : « [sa] marque de fabrique », dit-elle[28]. De retour d’un séjour de sept ans à l’étranger, elle décide de suivre des gens dans la rue, les prenant en photos et consignant dans ses carnets leurs faits et gestes, ajoutant toujours les clichés de ses filatures et ses impressions personnelles. Repérée par Bernard Lamarche-Vadel l’année de la mort de Barthes, elle expose ses œuvres à la XIe Biennale des jeunes artistes à Paris. Elle poursuit ensuite ses filatures entre Venise et Paris, élabore des récits autobiographiques qu’elle compilera dans Histoires vraies, tourne un film pendant lequel elle se marie réellement (No sex last night (Double Blind), 1992, 76’) ou travaille avec des aveugles à l’instigation de Guibert qui intervient régulièrement à l’Institut des jeunes aveugles de Paris[29]. Mais quels que soient les masques que revête la voix de Sophie Calle, elle se met de façon systématique en scène dans ses œuvres, parfois au premier plan comme dans Douleur exquise, ou plus à distance, comme pour les séries qu’elle réalise dans les musées ou à Berlin-Est autour d’œuvres ou de monuments disparus[30].

Ainsi, malgré l’écart qui persiste entre les récits de Roland Barthes, d’Hervé Guibert et de Sophie Calle, émergent quelques similarités formelles, comme la récurrence de l’association entre texte et photographie et la permanence de la première personne du singulier. On constate également un même attrait pour l’image de l’absence, pour la photographie de l’invisible, soit parce qu’elle est in-montrable (celle de la mère chez Barthes ou chez Guibert) soit parce qu’elle est fantomatique. Pour Calle aussi, les images sont comme des « Fantômes », lorsqu’elle intitule ainsi une de ses séries sur les œuvres de musée absentes, reprenant le nom du cartel qui remplace temporairement les objets déplacés. Enfin, la mise en scène de soi dans des fictions théoriques ou documentaires forme le ciment majeur entre ces scénaristes qui distillent leurs clichés-souvenirs dans des récits autobiographiques. Par-delà ces points communs, on admettra qu’il y a un lien séduisant, bien qu’incongru, dans ce trio improbable qui réunit l’écrivain, le critique et l’artiste. Leur fréquentation assidue de la photographie, leur goût des petites histoires et du fragment finissent par mettre en scène des « sujets autobiographiques » dont les routes se croisent, parfois dans leur vie quotidienne.

Et si notre définition générique lacunaire, évoquée en introduction, pouvait prendre un chemin de traverse pour s’intéresser à ces textes hybridés ? Chez chacun d’eux persistent en effet et se développent comme des champignons en chambre noire ce que Barthes appelle des « biographèmes » et qui constituent petits bouts par petits bouts, ce qui n’est ni un genre ni un thème mais une forme avant tout artistique : les « mythologies individuelles ».

 

 

La reprise des « mythologies individuelles »

 

Que sont ces mythologies individuelles et en quoi cette dénomination peut nous faire sortir de l’impasse générique dans laquelle semble nous mener ces textes mixtes[31] ? Afin de montrer en quoi les récits illustrés de photographies participent de l’élaboration d’une mythologie personnelle, les écrits de Roland Barthes nous fournissent deux notions utiles : le biographème et la mythologie. Déjà exploités depuis le début des années soixante-dix dans les pratiques artistiques, leur coalescence forme ce qui a été identifié très rapidement comme une production de « mythologies individuelles » dont le mécanisme répond presque point par point à la définition latente qu’en avait faite Barthes[32].

Tout d’abord, pour rappel, la notion de biographème est introduite par Barthes dans son étude sur Sade, Fourier et Loyola, où il dévoile un peu de ses fantasmes autobiographiques :

 

Si j’étais écrivain et mort, comme j’aimerais que ma vie se réduisît, par les soins d’un biographe amical et désinvolte, à quelques détails, à quelques goûts, à quelques inflexions, disons des « biographèmes » dont la distinction et la mobilité pourraient voyager hors de tout destin et venir toucher, à la manière des atomes épicuriens, quelque corps futur, promis à la même dispersion ; une vie « trouée », en somme.[33]

La trouée autobiographique correspond bien au parcellement que les photographies imposent dans la vie d’un auteur dont quelques scènes se jouent en effet par « tranches » toujours partielles. Roland Barthes dans La Chambre claire fera un rapprochement explicite entre photographie et biographème lorsqu’il déclare que « la photographie est à l’histoire (avec un petit h) ce que le biographème est à la biographie »[34]. Ainsi, toute photographie aurait le pouvoir d’incarner un fragment d’une « histoire », qu’elle soit collective ou individuelle et fonctionnerait comme un équivalent du biographème. L’appareil photo débite en petit morceau ce qui va former la matière première du nouveau dispositif historique, tant pour la collectivité que pour l’individu.

Ce processus de biographème photographique participe dans un second temps à la fabrication des mythologies appliquées à une personne, en lieu et place des traditionnels objets ou valeurs qui font des cultures collectives. Barthes s’appuie, lorsqu’il commence à rédiger ses chroniques « petites mythologies du mois » sur des pratiques informatives et médiatiques présentes dans la presse illustrée où il puise la plupart de ses exemples[35]. Sémiologue de son temps, Barthes formalise et réactualise le principe de mythologie dans des pratiques sociales et imaginaires : ses supports peuvent être des objets, des pratiques quotidiennes mais aussi et surtout, des répertoires iconographiques et narratifs. Ainsi, dans la mesure où il existe une mythologie de l’Abbé Pierre, pourquoi l’auteur (ou l’artiste) ne pourrait pas s’en constituer une propre ? Du moment qu’il dispose d’un accès aux mêmes dispositifs que ceux qui ont élevé le généreux quidam au rang de mythe, cela ne semble pas très difficile. « Image simplifiée et souvent illusoire que l’on élabore au sujet d’un individu ou d’un fait »[36], la mythologie barthésienne s’appuie sur une version dégénérée du mythe qui se rétrécit jusqu’à atteindre le cercle de l’individu et son histoire personnelle. La mythologie, par ailleurs, se définit par son polymorphisme :

 

Le mythe est une parole […] Cette parole est un message. […] Elle peut être formée d’écritures et de représentations : le discours écrit, mais aussi la photographie, le cinéma, le reportage, le sport, les spectacles, la publicité, tout cela peut servir de support à la parole mythique.[37]

On remarque que la photographie est située après le discours écrit, en première place avant le cinéma, puisque de l’une découle l’autre. L’élaboration d’une mythologie personnelle répond au même processus que la mythologie moderne, si ce n’est que le resserrement du mécanisme dévoilé par Barthes s’applique à une personne, un sujet. Cette miniaturisation du mythe autour du moi doit, pour atteindre son statut mythologique, passer par le décanteur de l’image qui le sublimera, telle une pierre philosophale.

Cette opération magnifiante de l’image de soi par la technique photographique a débuté peu de temps après la parution des Mythologies en 1957, notamment dans le cercle privé, avec la popularisation de l’album de famille. En 1972, lors de la mythique Documenta V de Kassel, la mythologie se fait officiellement « individuelle ». Le commissaire d’exposition Harald Szeemann avait alors baptisé une section « Individuelle Mythologien »[38], qui présentait des œuvres de Christian Boltanski et de Jean Le Gac, mettant en scène leur vie, avec une distance critique manifeste, dans des saynètes comiques, des reconstitutions de faux souvenirs d’enfance et des fragments de récits autobiographiques illustrés[39]. Ainsi, lorsque Barthes, Guibert et Calle à la fin des années soixante-dix intègrent des photographies dans leurs récits personnels, ils s’inscrivent en fait dans une tradition artistique déjà instituée dans les milieux de l’art. Les œuvres illustrées de photographies y sont donc clairement identifiées, alors que les études littéraires se trouvent toujours embarrassées à leur accorder une légitimité, comme si le texte ne pouvait connaître une profonde mutation sous l’effet d’une vulgaire machine à reproduire des images.

 

 

Conclusion : l’antichambre des mondes virtuels

 

Pour conclure, l’autobiographie illustrée de photographies se présente comme l’antichambre (noire) des pratiques contemporaines de la mythologie de soi. Désormais, ce n’est plus dans un livre et avec un appareil photo que se crée cet univers imaginaire du moi idéal, mais sur les écrans d’ordinateurs. En faisant l’archéologie de cette pratique, on constate clairement que la photographie, loin d’authentifier les propos de l’autobiographe, participe à la dispersion d’une identité en fragments, et par conséquent à sa déréalisation, comme si elle court-circuitait à la fois le travail d’illusion narrative et le pacte de vérité autobiographique. Les images entretiennent une relation de référence au réel qui donne une sensation de déjà-vu au spectateur : une photographie de famille ressemble à n’importe quelle photo de famille, un paysage d’enfance à un autre paysage, une maison familiale à une autre maison. Cette familiarité entre de plein pied dans le cadre de la mythologie barthésienne : la platitude des images que l’on reconnaît par exemple dans les clichés du Roland Barthes par Roland Barthes ou de Sophie Calle participent efficacement à l’élaboration d’un univers mythique moderne dans lequel tout le monde peut se reconnaître. L’identité de l’auteur devient à son tour une « œuvre à l’ère de la reproductibilité technique », soumise au même régime que l’œuvre d’art moderne. L’indistinction entre vérité et fiction reste, bien entendu, irrésolue, et seule l’aura mythologique parvient encore à singulariser cette identité.

La photographie, matrice originelle des nouveaux médias actuels, insère un élément de modernité technique dans le texte, rendant la représentation du réel par la narration encore plus problématique, en particulier dans la littérature de soi. La figure de la métalepse, développée par Gérard Genette, offre une intéressante clef d’analyse. On peut ainsi se demander in fine si, tour à tour personne réelle sur les photographies, puis sujet fictif dans la narration, l’auteur ne glisserait pas d’un univers à l’autre comme un personnage en effet mythique, dont nous seraient livrés quelques légendes et traits particuliers. Ce personnage aurait alors ce pouvoir enviable de muter et de passer au travers des formes – texte puis photo et vice versa – mais aussi à travers les murs du genre, pour fonder sa propre mythologie dans le monde virtuel moderne.

 

 

Bibliographie photonarrative indicative :

Bernard Comment et Jacques Belat (photographies), Entre-deux : une enfance en Ajoie (Originaires, Biro, 2007).

Anny Duperey, Le Voile noir, photographies de Lucien Legras (Paris : Le Grand livre du mois / Le Seuil, 1992).

Annie Ernaux et Marc Marie (photographies), L’Usage de la photo (Gallimard, 2005).

Colette Fellous, Plein été, (Gallimard, 2007).

Pierre Guyotat, Coma (Traits et portraits, Mercure de France, 2006).

Michel Houellebecq, Lanzarote (Paris, Flammarion, 1999).

Camille Laurens et Rémi Vinet (photographies), Cet absent-là (Léo Scheer, 2004).

Marie N’Diaye, Autoportrait en vert (Paris, Mercure de France, 2005).

Orhan Pamuk, Istanbul, souvenirs d’une ville, trad. du turc par Savas Demirel, Valérie Gay-Aksoy et Jean-François Pérouse (Du monde entier, Gallimard, 2007).

Olivier Rolin, Bakou, derniers jours (Fiction et Cie, Seuil, 2010).

Georg Winfried Sebald, Vertiges [1990], trad. de l’allemand par Patrick Charbonneau (Folio, Gallimard, 2001)

– Les Émigrants [1992], trad. de P. Charbonneau (Paris, Gallimard, 2003)

– Les Anneaux de Saturne [1995], trad. de l’allemand par Bernard Kreiss (Folio, Gallimard, 1999)

– Austerlitz, [2001], trad. de P. Charbonneau (Arles, Actes Sud, 2002)

 

 

 

 

 




[1] Voir en bibliographie pour une sélection d’ouvrages photonarratifs.

[2]  Je renvoie, à titre d’exemple, à Michel Tournier et Edouard Boubat, Vues de dos (Paris, Gallimard, 1981) ou Robert Doisneau et François Cavanna, Les Doigts pleins d’encre (Paris, Hoëbeke, 2003) ou encore avec Robert Doisneau et Jacques Prévert, Rue Jacques Prévert (Paris, Hoëbeke, 1999). En 1980, les Cahiers du cinéma et les éditions de l’Etoile lancent toutefois une collection qui fera date dans le récit illustré de photographies, Ecrits sur l’image. Raymond Depardon, Denis Roche, Sophie Calle, Gilles Mora et Pierre Nori publieront dans cette collection leurs « récits » à la première personne illustrés de photographies.

[3]  Gilles Mora, « Pour en finir avec la photobiographie », Traces photographiques, traces autobiographiques, Danièle Méaux et Jean-Bernard Vray dir. (Saint Etienne, Lire au présent, Publications de l’Université de Saint Etienne, 2004) 116.

[4] Elle considère ces « formes mixtes » au regard de la variété des genres impliqués dans le texte même, comme par exemple une insertion épistolaire dans un récit.

[5] Käte Hamburger, Logique des genres littéraires, trad. de l’all. par Pierre Cadiot (1957, Paris, Poétique, Seuil, 1986) 189.

[6] Pour Käte Hamburger, la fiction s’incarne dans le mouvement, produisant l’illusion de la vie humaine, ce qu’Aristote appelait dans la Poétique les drôntas (actions) et qui, arrangés ensemble, formaient les dramata (drames).

[7]  Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, éd. revue et augmentée (1975, Paris, Poétique, Seuil, 1996), 14.

[8] Serge Doubrovsky, Fils (Paris, Galilée, 1977) : « Autobiographie ? Non. Fiction, d’événements et de faits strictement réels. Si l’on veut, autofiction, d’avoir confié le langage d’une aventure à l’aventure d’un langage en liberté. », quatrième de couverture.

[9] Jacques Lecarme et Eliane Lecarme-Tabone, L’Autobiographie (Paris, U – Lettres, Armand Colin, 1999) chapitre « Autobiographie et image », 253-261. Il faut toutefois mentionner deux ouvrages qui mentionnent ce type de textes, sans pour autant leur donner le statut de « genre » : Thomas Clerc, Les Écrits personnels (Paris, Ancrages Lettres, Hachette Supérieur, 2001) ; Sylvie Jopeck, Photographie et (auto)biographie (Paris, La Bibliothèque, Gallimard, 2004).

[10] Charles Baudelaire, « Le Public moderne et la photographie » [Salons de 1859], Critique d’art, suivi de Critique musicale, éd. établie par Claude Pichois [1976] et présentée par Claire Brunet (Paris, Folio Essais Gallimard, 1992) 274 – 279.

[11]  Pascal Bonafoux, Moi je, par soi-même : l’autoportrait au XXe siècle, catalogue de l’exposition Moi ! Autoportraits du 20e siècle, Musée du Luxembourg (Paris, Selliers, 2004).

[12]  Gabriel Bauret, « Autobiographie littéraire et autobiographie photographique », Les Cahiers de la photographie, n°13, La Photobiographie, Jean-Claude Lemagny dir (Laplume, ACCP, 1984), 11-14. Autoportraits photographiques, 1898 – 1981, catalogue de l’exposition Autoportraits au MNAM, 8 juillet – 14 septembre 1981, commissariat d’Alain Sayag, avec une préface de Denis Roche (Paris, Centre Georges Pompidou/Herscher, 1981). Michel Beaujour, dans son livre de référence, Miroirs d’encre, rhétorique de l’autoportrait (Paris, Poétique, Seuil, 1980) étend l’autoportrait à sa forme textuelle. Toutefois, il ne considère pas l’ajout direct de photographies dans le texte.

[13]  Sophie Calle n’a pas connu Roland Barthes ou Hervé Guibert à ses débuts. Toutefois, elle connaît Denis Roche, éditeur de Barthes, mais aussi poète et photographe, et le suit dans la rue en 1979. Voir Sophie Calle, À suivre (Arles, Actes Sud, 1997).

[14]  Roland Barthes, « Fragments pour H. », Œuvres complètes. 1977 – 1980, t. 5, Eric Marty dir. , 2e éd, (Paris, Seuil, 2002) 1005-1006. « Et de lui à moi : il acceptera désormais, sans essayer de la critiquer, de s’en plaindre ou de la forcer, cette « politesse un peu lasse » qui est un deuil : le deuil, insistant, irréparable, du corps de l’autre. », 1006. La lettre fut publiée le 19 mars 1986 dans L’Autre journal.

[15] Sophie Calle, Suite Vénitienne, suivi de Jean Baudrillard, Please, follow me (Paris, Ecrits sur l’image, l’Etoile – Cahiers du cinéma, 1983) et Sophie Calle, L’Hôtel (Paris, Ecrits sur l’image, l’Etoile, 1984).

[16] Sophie Calle, Des Histoires vraies (Arles, Actes Sud, 1994).

[17]  Sophie Calle, Douleur exquise (Arles, Actes Sud, 2003), « Mon amour, tu te souviens d’Hervé Guibert ? Je ne le connaissais pas. Il souhaitait faire mon portrait pour Le Monde. Il est venu chez moi. Il a d’abord demandé ma date de naissance. J’ai dit que j’étais née le 9 octobre 1953. « Eh bien, continuez ! » a-t-il ordonné. […] J’ai parlé cinq heures, sans interruption. Il prenait des notes. Il souriait. […] » 72. La lettre aurait pu être écrite après coup, pour les besoins de l’exposition en 2003.

[18]  Hervé Guibert, La Pudeur ou l’impudeur, 58’, Paris, 1991, diffusé en janvier 1992 sur TF1.

[19]  Sophie Calle, Disparitions (Arles, Actes sud, 2000), 9.

[20]  Catherine Mavrikakis, « Quelques r-v avec Hervé », Filer (Sophie Calle), Intermédialités, Maïté Snauwaert et Bertrand Gervais dir. (Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2006) 127 – 138.

[21] Hervé Guibert, « Suite Vénitienne de Sophie Calle – Les chichis de Sophie », La Photo, inéluctablement (Paris, Gallimard, 1991 ; Minuit, 1999) 377 : la rencontre a lieu en 1984 pour la chronique sur Suite Vénitienne et L’Hôtel, publiés aux Editions de l’Etoile, collections Ecrits sur l’image, Paris. Parce que Sophie Calle avait une baignoire japonaise en bois, Guibert lui avait demandé de l’utiliser. Il s’était baigné dans l’eau du bain de Calle. Cette dernière lui aurait fait des avances insistantes qui auraient agacé Guibert au point qu’il se jette sur elle pour l’étrangler. Calle raconte l’anecdote dans Douleur exquise.

[22]  Roland Barthes, L’Empire des signes [1970], Œuvres complètes, t. 3, Éric Marty dir. (Paris, Seuil, 2002), 420.

[23] C’est à la même période que Barthes entreprend un séminaire sur La Préparation du roman (1977-1979) un projet fictionnel mais aussi sur les photographies de Proust. La Chambre claire marque donc, pour reprendre les termes d’Eric Marty, son entrée en écriture. Voir Roland Barthes, La Préparation du roman, I et II, Cours et séminaires au Collège de France (1978 – 1979 et 1979 – 1980), sous la direction d’Eric Marty et présenté par Nathalie Léger (Paris, Seuil – IMEC, coll. Traces écrites, 2003).

[24]  D’autres clichés étaient présentés sous le titre Les Coulisses du Musée Grévin.

[25]  Voir Pierre Saint-Amand, « Mort à blanc : Guibert et la photographie », Au jour le siècle 2. Le Corps textuel d’Hervé Guibert, Ralph Sarkonak dir (Paris, Lettres Modernes, Minard, 1997) 81 – 112.

[26]  Roland Barthes, La Chambre claire. Note sur la photographie [1980], Œuvres Complètes. 1977 – 1980, t. 5, (Paris, Seuil, 2002) 849.

[27] Parallèlement à ses activités liées à la photographie,

Guibert développe un travail sur

son image que ce soit dans ses « romans faux » (ou d’autofiction), ses photos ou son journal intime filmé qui décrit à la fin de sa vie sa déchéance physique.

[28] Sophie Calle et Fabio Balducci, En Finir (adapté du film Unfinished) (Arles, Actes Sud, 2005) 55.

[29] Les œuvres de Guibert et Calle ont à cette époque une inspiration d’une similarité troublante : quand Guibert écrit son roman Des Aveugles, Paris, Gallimard, 1985, Calle intitule une série Les Aveugles (1986) où elle questionne des aveugles de naissance sur leur perception de la beauté puis un autre La Couleur aveugle (1991) où elle confronte des peintures monochromes au regard d’aveugles.

[30] Sophie Calle, L’Absence, coffret de trois ouvrages comprenant, Souvenirs de Berlin-Est, Fantômes et Disparitions, (Arles, Actes Sud, 2000).

[31] La critique québécoise, sous l’égide du C.R.I. « Centre de Recherche sur l’Intermédialité » de l’Université de Montréal, a développé ce concept calqué sur le modèle du terme « intertextualité » pour éclairer les usages de différents médias dans les textes. Cependant, la terminologie reste là encore limitée à un champ géographique et ne semble pas s’étendre à l’usage, pour l’heure, hors du Québec.

[32] Cet argument est le propos central de ma thèse de doctorat qui démontre comment le concept de « mythologie individuelle » permet l’intégration de différents médias dans le récit. Echappée du pur texte, la mythologie englobe des formes polymorphes de représentation de l’identité, tout au long au 20e siècle, voir Magali Nachtergael, Esthétique des mythologies individuelles : le dispositif photographique de Nadja à Sophie Calle, sous la dir. d’Eric Marty (Université Paris 7-Diderot, juin 2008).

[33] Roland Barthes, Sade, Fourier, Loyola [1971], Oeuvres Complètes, t. 3, (Paris, Seuil, 2002) 706.

[34] Roland Barthes, La Chambre claire, note sur la photographie, 811.

[35] Ces articles sont publiés dans Les Lettres nouvelles entre 1954 et 1956.

[36] Définition du Petit Robert de la langue française, Alain Rey et Josette Rey-Debove dir. (Paris, Le Robert, 2007).

[37] Roland Barthes, Mythologies [1957], Oeuvres Complètes, t. 1, (Paris, Seuil, 2002) 824. Les « petites mythologies du mois » paraissent régulièrement entre 1954 et 1956 dans la revue Les Lettres nouvelles.

[38] Harald Szeemann et Marlis Grüterich dir., Documenta 5. Befragung der Realität, Bildwelten heute, catalogue de l’exposition, 30 juin au 8 octobre 1972, (Kassel, Neue Galerie, Schöne Aussicht et Museum Fridericanum, Friedrichplatz, 1972). Voir aussi Harald Szeemann, Individuelle Mythologien (Berlin, Merve Verlag, 1985).

[39] Déjà en 1964, à l’ARC, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, une première exposition avait mis en scène les « mythologies quotidiennes », fortement marquées par l’esthétique du Pop’art. En 1977, une seconde édition sera présentée dans les mêmes lieux, avec une forte présence des peintres de la figuration narrative, à ne pas confondre avec le Narrative art mais aussi de la photographie et des films Mythologies quotidiennes 2, catalogue de l’exposition du 28 avril au 5 juin 1977, ARC 2, Musée d’art moderne de la ville de Paris, commissariat de Gérald Gassiot-Talabot, Jean Louis Pradel, Bernard Rancillac et Hervé Télémaque (Paris, MAMVP, 1977).

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