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Poétologie du savoir

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1. La lune de Kepler : position du problème
Un petit texte, rédigé en l’an 1609 à Prague : une nuit, après de longues observations astronomiques, le « je » narrateur s’endort sur son lit et fait alors le rêve suivant. Un livre récemment paru lui tombe entre les mains, dans lequel on voit un deuxième « je » narrateur surgir aussitôt et faire part de l’étrange histoire de sa vie. Après avoir grandi dans l’ancienne Islande aux côtés d’une mère versée dans les pratiques magiques, il se retrouve au Danemark au service de l’astronome Tycho Brahe. Il étudie la science astronomique, éprouve le mal du pays, retourne en Islande, rencontre par hasard sa mère qui l’emmène finalement, au clair de lune d’une nuit de printemps, à un carrefour. Après quelques formules d’invocation, des êtres singuliers, démoniaques, s’y manifestent, et l’un d’eux prend alors la parole, troisième « je » narrateur, qui se présente comme voyageur sur la lune et produit à son tour un long rapport, au sujet de ses voyages entre la terre et la lune, de la forme des êtres vivants sur la lune, de la nature des nuits et des jours lunaires et de l’apparence de la terre quand elle est vue de la lune. Mais soudain, tout le rêve, est-il écrit, s’écroule, les créatures oniriques s’évanouissent, la pluie s’abat sur la fenêtre, et le premier « je » narrateur se retrouve les yeux ouverts sur son lit.
Mais le texte ne s’arrête pas là. Car Johannes Kepler, l’auteur de cette histoire, n’a cessé jusqu’à la fin de sa vie d’annoter les trente pages de son récit, l’enrichissant par des remarques et sollicitant également le savoir astronomique de son temps : 223 remarques d’environ 70 pages qui contiennent des explications des noms, des compléments mythologiques, historiques, littéraires et autobiographiques, mais aussi des explications physiques, des calculs géométriques, des observations télescopiques et des hypothèses astronomiques[1]. La lune dont il s’agit ici est tout sauf un objet simple. Elle se présente comme un référent astronomique, comme une chose hypothétique et comme un objet de fiction littéraire. En l’occurrence, le genre de l’allégorie onirique, les idées coperniciennes, les instruments astronomiques et les connaissances mathématiques, ont, tous à leur manière, contribué à la production d’un objet de savoir qui n’entre ni dans les arts ni dans les sciences, qui ne se conçoit ni comme imaginaire ni comme empirique et qui pourtant inclut tous ces aspects en même temps. Du point de vue de la configuration actuelle des sciences, il en ressort une étrange incompétence, ou plutôt un profil de compétence qui se disperse dans les directions et les disciplines les plus hétérogènes. C’est ainsi que le Somnium de Kepler appartient à la fois à l’histoire littéraire antique et médiévale du récit de rêve et du rêve de savant, à l’histoire des sciences et des technologies des temps modernes, à l’histoire culturelle du copernicianisme, aux traditions pythagoriciennes et enfin à l’histoire des savoirs occultes. Ainsi le texte de Kepler, tout comme son objet, la lune des temps modernes, apparaissent inévitablement comme un objet-frontière instable, qui ne peut laisser intact l’ordre des choses académique contemporain.
Si l’on conçoit que l’histoire du savoir concerne non seulement l’énonciation et l’énoncé, mais aussi les modes d’énonciation, le savoir sur la lune dans le texte de Kepler requiert une méthode d’analyse de la culture qui pourrait être caractérisée comme une ‘poétologie du savoir’. La perspective ainsi ouverte est la corrélation entre l’apparition de nouveaux objets de savoir, de nouveaux domaines de connaissance, et leurs formes de présentation. Une poétologie du savoir suppose d’abord que chaque ordre de savoir développe des options de présentation déterminées, que des procédures spécifiques agissent en son sein et décident de la possibilité, de la visibilité, de la consistance et de la corrélation de ses objets. À travers ces opérations, on peut dégager la force ‘poiétique’d’une forme de savoir, qui n’est pas séparable de sa volonté de connaissance, de la façon dont elle envisage, considère et systématise son propre domaine d’objets. La lune de Kepler se manifeste comme objet de savoir moderne précisément en ceci qu’elle se compose d’éléments hétérogènes, de données empiriques, d’observations et de calculs, de fictions, de conventions génériques aussi bien que de traditions culturelles, et c’est seulement dans cette constellation qu’elle acquiert son importance historique incomparable et son statut de document du savoir copernicien[2]. Avec des constellations de cet ordre – par-delà ce cas exemplaire – on peut dégager quelques perspectives méthodiques et quelques problématiques concernant le domaine d’investigation, les niveaux d’investigation, le concept de savoir et l’organisation théorique générale d’une poétologie du savoir.
Cela signifie en premier lieu que la conception du savoir ici adoptée ne recouvre pas les limitations normatives qui se sont développées au cours d’une longue tradition occidentale. Bien que le concept de savoir dans l’Antiquité grecque comprît encore les divers domaines d’activités pratiques, techniques et poiétiques, dès les présocratiques, on peut remarquer une restriction à son usage spéculatif ; et depuis Platon et Aristote l’exclusion de la doxa, de l’opinion et de la croyance – mais aussi de la phronèsis, des connaissances pratiques et jugements privés, et de l’aisthésis, c’est-à-dire la simple perception sensorielle ”’hors du domaine de l’epistèmè, a conduit à une fusion du savoir et de la théorie de la connaissance : une limitation décisive du concept de savoir, dont les traces et les métamorphoses sont visibles jusque dans la modernité. Ainsi, on a assisté d’une part – au moins depuis Galileo Galilei– à une conjonction du savoir et de la connaissance scientifique, qui définit une activité de questionnement ‘inquisitoire’et qui s’attache aux constantes latentes de la nature, à ses lois : une configuration épistémologique qui a rendu possible l’étroite cohabitation entre savoir, scientificité et culture expérimentale. D’autre part, l’unité du savoir et de la connaissance s’est également manifestée là où l’on définissait la rationalité d’un sujet de connaissance par une activité conceptuelle et des protocoles de preuves correspondants. Ici le savoir est défini comme « tenir-pour-vrai justifié », comme croyance vraie fondée – true-justified belief qui caractérise également une ‘analyse standard’ du savoir de nos jours : le savoir y est caractérisé comme suit : premièrement, l’objet d’une proposition est cru, deuxièmement, il est vrai et troisièmement, on peut produire des raisons correctes et adéquates pour justifier la croyance à la vérité de ce qui est cru[3].
De son côté, une poétologie du savoir travaille avec un concept du savoir faiblement déterminé, qui ne coïncide pas avec la forme d’un savoir propositionnel, c’est-à-dire explicitable dans une logique de l’énoncé. C’est ainsi que les ‘objets de savoir’ n’apparaissent pas simplement comme les référents donnés et stables des énoncés, ils se présentent plutôt comme le champ de différentes procédures, dont la dynamique et les effets déterminent la forme de leurs domaines. Autant il est difficile de douter de ce que les observations astronomiques de Kepler présupposent une réalité préconstituée des phénomènes célestes, autant le ‘préconstitué’concerne aussi les thèmes, les codes et les instruments disponibles, l’infrastructure institutionnelle et sociale, sous les conditions de laquelle il a dirigé son regard vers la lune. Les objets scientifiques ou épistémiques ne présentent pas seulement une ‘nature extérieure’, ils sont plutôt le résultat de manipulations concrètes, de pratiques matérielles et symboliques, auxquelles ils doivent leur existence dans le système du savoir. C’est seulement par ce biais que s’ouvre la possibilité de préciser leur statut et leur qualité dans le processus de leur réception savante et culturelle ; et c’est seulement dans leur dimension ‘poiétique’que les objets de savoir sont mis au monde et ‘réalisés’. Dans des propositions énonciatives, les référents peuvent être représentés sans trop de difficultés, mais dans les constructions expérimentales, le plus souvent, ils ne le sont qu’au prix de beaucoup d’embarras. De ce point de vue la conception normative du savoir comme ‘opinion vraie justifiée’ ne fournit pas vraiment de solution, elle pose plutôt le problème et entraîne quelques réserves méthodologiques. C’est pourquoi il ne s’agit pas seulement de prendre en considération les procédés à la fois divers et controversés qui peuvent conduire à un tenir-pour-vrai justifié ; il s’agit également de situer cette prétendue spécificité du savoir dans le milieu de son profilage historique. La question d’une histoire du savoir ne coïncide donc que partiellement avec une histoire des doctrines philosophiques ou épistémologiques au sujet de ce qui peut être su ou de ce qu’on appelle le savoir.
Il s’ensuit deux conséquences supplémentaires. D’une part, une poétologie du savoir présuppose que sa relation aux objets de l’histoire du savoir se distingue d’une relation à l’objet de type scientifique. Le rapport entre la science et l’histoire des sciences n’est ni sans problème, ni direct ; il exige une certaine prudence à l’égard d’une démarche qui considère les objets de l’histoire des sciences d’après le modèle de la relation des sciences à leurs objets. Cela ne concerne pas seulement les différents rôles joués ici ou là, par exemple, par les erreurs, les intuitions fausses ou le pur non-sens, mais également la prise en considération des sanctions et des oublis déposés par ces mêmes histoires du savoir et de la science. Dans cette perspective, il pourrait sembler opportun de ne pas confondre le passé d’une science avec la même science dans son passé[4] ; et pour une histoire du savoir élargie, cela implique un rapport à un domaine du savoir qui ne peut (plus) aujourd’hui être su de façon évidente. C’est ainsi que le système copernicien– encore chez Kepler– a pu être envisagé comme un retour à l’harmonique pythagoricienne, mais, en tant que tel, il n’a rien de commun avec ces racines que l’astronomie moderne trouve dans Copernic. D’autre part, on trace ainsi la frontière de ce qu’une explicitation propositionnelle du savoir peut tout simplement atteindre. Lors de l’apparition de la lune des temps modernes en tant qu’objet de savoir spécifique, des formes de savoir implicites, muettes, non-propositionnelles étaient aussi à l’œuvre, présentes par exemple dans les techniques artisanales (comme celles des polisseurs de lentille hollandais), dans les formes symboliques (comme la transformation du visible dans les codes de la perspective) ou dans des conventions de genre (comme la lettre du savant). On y voit un ensemble de processus matériels et symboliques de formatage qui se soustraient à l’accord sur la validité du savoir, et en tant que conditions du savoir, ne deviennent opérantes que dans la mesure où elles ne se présentent justement pas explicitement comme conditions[5].
Assurément, de telles réflexions nous engagent dans une conception élargie du ‘savoir’, qui renvoie à un champ instable et à un domaine de références faiblement structuré, et qui surtout adopte une histoire renouvelée des relations de savoir. On peut rappeler dans ce contexte comment, depuis le XIXe siècle, différentes disciplines – de l’économie politique à l’ethnologie ou la psychanalyse en passant par la sociologie – se sont préoccupées du rôle des savoirs indisponibles, de la puissance des savoirs impensés ou inconscients, de l’inclusion du non-savoir dans le savoir. En outre, avec les multiples approches des formes de pensée ‘sauvages’ ou extra-européennes, des types de savoir se sont présentés qui s’opposent aux systèmes de catégories des épistèmès occidentales tout comme aux formes de rationalité qui leurs correspondent. Cela entraîne également une précaution incitant à ne pas invoquer, par le concept de savoir, un programme logique de contrôle, mais à prendre en considération ces distinctions, ces seuils et ces frontières internes et externes où se pose constamment la question de la structure d’un savoir spécifique, de sa pertinence, de sa consistance, et de sa viabilité. C’est de là que proviennent les transformations et les changements qui ont également rendu possible la configuration actuelle du discours sur le ‘savoir’.
Cela signifie en outre que le ‘savoir’ se présente ici comme un singulier collectif, qu’il renvoie à une pluralité de formes de savoir et rend visible leurs relations réciproques : la relation entre ars et scientia, entre des formes de savoir théoriques et pratiques, implicites et explicites, quotidiennes et scientifiques, publiques et secrètes, hégémoniques et apocryphes, dont on ne peut subsumer les règles immanentes sous un format unique. On observe ainsi des drames de la transition, qui marquent à chaque fois les seuils des domaines de savoir disciplinaires, institutionnellement garantis, épistémologiquement ordonnés ou fortement formalisés. Avec ces tracés de frontières et ces failles, ces régulations normatives, ces procédures sociales et institutionnelles d’inclusion et d’exclusion, le savoir apparaît comme un champ variable, conflictuel et polémogène, dont la dimension historique ne peut être décrite ni établie selon le fil conducteur de formes spécifiques de la connaissance et de la rationalité. Cela signifie d’une part que la séparation entre la formation scientifique des théories et l’expérience préscientifique, par exemple, ne peut être simplement présupposée ; elle est plutôt elle-même mise en jeu. Et d’autre part, c’est seulement ainsi que la considération des facteurs ‘externes’ est rendue possible, et par là-même la prise en compte du rôle de la contingence historique. L’utilisation astronomique du télescope – depuis longtemps en usage dans les foires – par Galilée est ainsi tout autant déterminante dans l’histoire du savoir astronomique que son examen méticuleux et critique par le consortium des mathématiciens ecclésiastiques du Collegio Romano.
Une poétologie du savoir n’élabore donc pas une histoire des objets et des référents scientifiques, mais rend visible des modes de problématisation de ce qu’on peut appeler vérité ou connaissance. Elle ne recherche pas les approximations détournées et asymptotiques d’un horizon de réalité, elle ne s’oriente pas vers l’origine et la fondation d’un sujet connaissant. Bien plutôt, et en deuxième lieu, elle inclut une dimension poétologique qui conçoit les objets de savoir et les domaines de connaissance à travers le processus de leur construction et les formes de leur présentation. Elle suit la thèse selon laquelle chaque ordre de savoir établit et privilégie des modes de représentation déterminés, et elle s’intéresse par là-même aux règles et aux méthodes d’après lesquelles un contexte d’expression historique est établi, délimité et dicte les formes dans lesquelles il produit sa force performative. La ‘poétologie’doit être ainsi comprise comme l’étude de la composition des formes du savoir – de leur poièsis– comme l’étude de ses genres et de ses moyens d’expressions, étude qui agrandit morphologiquement le concept de genre et reconnait aussi bien dans un diagramme statistique, par exemple, que dans une carte, une liste ou un graphique, des systèmes de règles déterminés pour l’organisation des champs du savoir. Ainsi entrent en jeu, par exemple, différentes formes d’organisation, c’est-à-dire différents genres du savoir, comme on en trouve par exemple dans le modèle de l’arbre, les figures de système, l’encyclopédie ou les structures de réseau. Une poétologie du savoir procède ainsi inductivement et inclut à la fois des modes de représentation textuels et picturaux, discursifs et non-discursifs, techniques et médiatiques. Le concept de genre ou d’espèce est ainsi compris en un sens élémentaire et met l’accent sur les différenciations et les méthodes par lesquelles les objets de savoir fondent leur capacité à être distingués dans l’intuition, dans le symbolique, dans le conceptuel. Une poétologie du savoir suppose donc que toute situation épistémique, toute élucidation épistémologique se rapporte à une décision esthétique, liée à la logique de la présentation.
En troisième lieu, ce qui est rendu visible à travers cette dimension poétologique, c’est
l’historicité du savoir lui-même, c’est le fait qu’au-delà de la forme de sa présentation, il n’y a pas de données qui, dans un dehors intemporel et imperturbable, attendent d’être désignées, éveillées et rendues visibles par des discours, des énoncés ou des jugements d’existence. Chaque désignation, chaque conception de l’objet de savoir accomplit en même temps une réalisation discursive du même objet, une composition dans laquelle les codes et les valeurs d’une culture reproduisent la systématique et la praxis d’un domaine de savoir. Cela ne concerne pas seulement la question des points stratégiques ou des carrefours sur lesquels se sont inscrits certains ordres de savoir, domaines de compétence, disciplines, avec leurs règles et ‘cultures’ respectives. C’est bien plutôt la question des discontinuités dans le processus historique qui acquiert une valeur méthodologique particulière. La longévité de certains thèmes et ensembles de thèmes, par exemple, n’exclut pas que les objets et les domaines de référence qui en font partie se soient fondamentalement transformés : ainsi, la lune de Kepler semble plus étroitement apparentée à la manière dont Plutarque aborde le ‘visage de la lune’ qu’au satellite de l’astrophysique moderne ; la traduction par Kepler du Libellus de facie, quae in orbe Lunae apparet de Plutarque fut justement prévue comme appendice à l’édition du Somnium[6]. Une histoire du savoir ne se déroule pas selon le modèle du drame théâtral et ne sépare pas les époques comme un rideau sépare les actes et les scènes. Cette ‘discontinuité’ dans le processus du savoir, suspecte et toujours controversée, fonctionne plutôt comme une hypothèse heuristique, comme une supposition selon laquelle les objets historiques ne se reflètent pas de façon transparente et familière. Comme toute analyse conséquente, la poétologie du savoir suppose elle aussi le caractère non-évident de ses objets. Et quand il s’agit en effet d’un jeu entre longévité et ruptures, dont l’issue ne se décide pas sur-le-champ, quand il s’agit d’identifier différents cours du temps et différentes longues durées, cette tension marque l’apparition de ce qu’on pourrait appeler une histoire de la position des problèmes. Un modèle en a été donné il y a déjà longtemps par François Jacob dans La logique du vivant. Une histoire de la biologie et de ses thèmes s’y entrecroise avec une histoire des problèmes qui réduit amplement la pertinence de la comparaison entre l’histoire naturelle de Buffon et la théorie de l’évolution de Darwin. Cela signifie que des disciplines et des discours différents peuvent avoir plus de ressemblances au cours d’une époque déterminée que les différentes configurations d’une seule et même discipline considérées à travers des périodes plus longues[7]”’voilà l’enjeu heuristique du discontinu, qui incite à ne pas confondre les thèmes avec les objets ni la force d’inertie des expressions avec la durée des concepts.
2. Poièsis et épistèmè
Cette triple problématisation d’une poétologie du savoir – la question des dimensions du savoir, de la relation entre le savoir et la forme de présentation, de l’enjeu de l’histoire – peut se réclamer de diverses lignées et sources d’inspiration. Il faut ici rappeler que le concept de poièsis a d’abord désigné un ensemble particulier regroupant différents types d’activité. Alors que le grec prattein renvoie au but (telos) et à l’accomplissement d’une action, et que dran contient l’idée d’agir, procéder, passer à l’action, poiein accentue la dimension de production, de mise en œuvre, de fabrication, de travail sur l’objet, et désigne un processus dans l’accomplissement duquel sont présentes des circonstances concrètes, des résistances matérielles et des conditions techniques. Dans cette perspective, la poièsis peut être conçue également comme un agir profondément conditionné par des circonstances, dont les effets et les résultats contiennent les traces d’une réalisation processuelle[8]. Le savoir qui s’y rattache est ainsi, au moins depuis Aristote, systématiquement distingué du savoir théorique de l’épistèmè (voir supra p. 5), qui en tant que savoir de l’universel, du nécessaire et du principiel exclut de son domaine de validité l’idée d’une production en situation[9]. C’est précisément cette tension ”’que l’on retrouve dans la distinction entre knowing how et knowing that [10] ”’ qui devient le point de départ d’une poétologie du savoir recherchant dans la validation des ordres de savoir non seulement des indices génétiques et des formations variables, mais également des facteurs contingents et des déterminations circonstancielles.
Dans cette perspective, on peut d’abord dégager quelques points de rencontre avec certaines conceptions récentes de l’histoire du savoir et de l’histoire des sciences. C’est ainsi qu’une poétologie du savoir peut décrire des correspondances avec les positions de ces science studies qui observent la construction d’ « objets épistémiques», qui prennent en compte une pluralité de facteurs hétérogènes, internes et externes – pratiques, techniques de laboratoire, opérations symboliques, collaboration entre acteurs ou agents humains et non-humains – et désolidarisent la scène de l’histoire des sciences du progrès de la rationalité scientifique[11]. Ces questionnements renvoient à des investigations sur l’épistémologie historique et la sociologie du savoir datant des années 1930. Il en va ici du statut du « réel de la science » autant que du processus de réalisation des faits scientifiques et surtout de l’introduction du problème des discontinuités et des coupures épistémologiques dans l’histoire du savoir[12]. Dans ces réflexions, une prise de distance multiforme – vis-vis du fait scientifique comme reflet, de la conception unificatrice du sujet, de l’évidence des expériences pré-discursives, de la structure invariante de la connaissance – a provoqué une ouverture des disciplines et des sciences vers leur dehors respectif, et ce en localisant les énoncés scientifiques dans un complexe hétérogène de pratiques et de procédures. Chez Gaston Bachelard, cela a été motivé par un renoncement au privilège de la relation d’objet, au recours à une instance du réel et surtout par le « caractère polémique » de l’observation scientifique et de la culture expérimentale[13]. Ici, la formation du savoir scientifique ne conduit pas des objets aux concepts, elle se déroule plutôt en sens inverse : l’observation et l’expérimentation ne sont possibles que sous la contrainte de frayages préalables. Cette dénaturalisation du concept de « fait scientifique » rattache le donné à la pratique conceptuelle elle-même que l’institution du factuel choisit. Ainsi, l’accomplissement du savoir scientifique n’est descriptible ni comme inhérent à la science ni comme relation d’objet, et la volonté de vérité se réalise dans la science comme une sorte d’« esthétique de l’intelligence »[14]. Enfin, on peut corrélativement en appeler à une forme d’expression toujours inquiète, qui se dépouille de son caractère référentiel et de son « excès d’image »[15], qui fait face à la non-représentabilité, qui traduit le factuel en processuel et que Bachelard aborde finalement en question poétologique : « Quel poète », demande-t-il au sujet de la physique la plus récente de son temps, « nous donnera les métaphores de ce nouveau langage [scientifique] ? »[16].
Tout comme Bachelard, le bactériologue et historien des sciences polonais Ludwik Fleck a arraché la genèse du fait scientifique au naturalisme et ainsi relativisé le privilège de l’objet autant que le rôle du sujet de la connaissance. C’est ainsi que la genèse du savoir scientifique expérimental est elle-même pensée comme poièsis, et pour décrire son milieu, Fleck lui a attribuée en conséquence le concept de « style de pensée », terme manifestement emprunté à la sociologie de la connaissance de Scheler et Mannheim. Dans ce concept de style de pensée s’unissent les différents motifs de la conception de l’histoire des sciences de Fleck : il ne désigne pas un paradigme transversal à une époque, mais un assemblage local de caractères sociaux et culturels ; en lui-même, il consiste en éléments hétérogènes, dont la coexistence ne s’explique pas logiquement, mais seulement généalogiquement ; ses agents ne sont ni des personnes ni des sujets de connaissance, mais des champs de force collectifs ; en outre, il introduit une dimension poétologique, qui discerne dans la science les formes d’une « poésie objective », attribue au « fait » des sciences naturelles le statut d’une création collective et rend ainsi visible la stratification historique des faits expérimentaux[17]. Enfin, grâce aux perspectives ouvertes par cette épistémologie historicisante, le regard a été aussi orienté vers les processus normatifs immanents qui fondent et orientent les différentes activités scientifiques – question par laquelle un Georges Canguilhem a ramené la formation des concepts scientifiques à un entrelacs de jugements de valeur et de rapports de force[18].
Des résonances essentielles apparaissent également entre la poétologie du savoir et certaines réflexions fondamentales sur le rapport entre le savoir et les formes symboliques ou poétiques. Le concept de « poétique du savoir » proposé par Jacques Rancière désigne « l’étude de l’ensemble des procédures littéraires par lesquelles un discours se soustrait à la littérature, se donne un statut de science et le signifie. »[19] Il renvoie à un entrecroisement fondamental de la narration et de la science dans la constitution du savoir historique, se rattachant ainsi à ces recherches métahistoriques dans lesquelles Hayden White a analysé les discours historiographiques et philosophico-historiques en suivant le fil conducteur des formes narratives caractéristiques[20]. C’est ainsi que peut être affirmée une interpénétration poiétique des connaissances historico-herméneutiques et de la structure rhétorique, c’est-à-dire tropologique, des structures argumentatives ; de là peuvent se dégager au moins trois références supplémentaires. La première se trouve dans les recherches métaphorologiques de Hans Blumenberg, qui affirment dans une sorte de provocation pour l’histoire des concepts le rôle décisif de substrats d’image métaphoriques irréductibles dans l’architecture logique de la conceptualité philosophique. Cela requiert à la fois une « théorie de la non-conceptualité », qui reconstitue la genèse du savoir en-deçà de la formation des concepts, à côté des déterminations claires et distinctes[21]. On trouve une seconde référence dans la Philosophie des formes symboliques d’Ernst Cassirer, en ce que l’organisation des modes de connaissance et la formation des concepts et des jugements scientifiques y est rattachée à la condition de formes d’expression symboliques élémentaires. Dans ce contexte, il n’y a rien d’étonnant à ce que Cassirer distingue la portée du logos d’un assujettissement à la raison et à la connaissance objective, et qu’il renvoie à son sens premier de « mode d’expression » et « discours ». Il se produit ici un tournant qui présuppose une structuration prélogique du savoir universel et qui ”’ en revenant à Vico, Herder et Wilhelm von Humboldt ”’ constitue une « logique de la science de la culture » en tant que logique des modes de représentation, en tant que « logique de la langue, de la poésie, de l’histoire »[22]. Si la constitution du savoir culturel n’est pas ramenée à un reflet du monde extérieur, ni à une relation à un modèle ou à une adaequatio intellectus et rei, mais qu’elle est rattachée à la puissance d’organisation immanente des fonctions logiques de représentation, il reste à poser, en troisième et dernier lieu, la question de ces fictions effectives dont le statut épistémique ne peut être assigné par une simple relégation dans le domaine de l’imaginaire, du non-vrai et de la pure représentation. Dans cette perspective, la tentative controversée d’un Hans Vaihinger a attiré l’attention sur l’efficacité pragmatique des fictions justifiées ou nécessaires dans différents domaines du savoir et dans le processus de reconstitution intellectuelle du monde[23].
De fait, ces diverses filiations se croisent là où la généalogie d’une poétologie du savoir peut être dérivée de la question généalogique elle-même. Ainsi, la méthode généalogique de Nietzsche n’était pas seulement empreinte de l’idée selon laquelle chaque formation rigoureuse de concept coïncide avec l’oubli d’un « monde primitif de métaphores » et que la fonction de la forme linguistique elle-même ne doit pas être mesurée selon des critères logiques et des substrats de connaissance, mais selon des potentiels d’illusion efficaces et des attitudes de domination[24]. La généalogie de Nietzsche peut être également conçue comme historicisation de ce qui n’avait jusqu’alors pas d’histoire, de ce qui ne semblait pas ou fort peu historicisable. Les concepts fondamentaux de la morale, de la connaissance et de la métaphysique, tout autant que les affects, les états physiques et les composantes de la forme-homme en général sont rattachés à une analyse historique qui se différencie aussi bien de la science historique que de la philosophie de l’histoire. Cela signifie, d’une part, que des constantes apparentes comme les sentiments moraux et les formes de rationalité, les concepts de vérité et de valeur, ne sont plus rattachées à une origine idéale mais à des provenances dispersées qui ne se laissent pas assimiler dans des systèmes de références permanents. D’autre part, le lieu de l’enquête généalogique se trouve toujours dans le savoir et les certitudes de son propre présent – la généalogie ne s’attribue elle-même qu’un savoir partiel et perspectif [25]. En tout cas, on peut observer au moins depuis le XIXe siècle une dissolution de l’unité du savoir, de la conscience et de la connaissance. Qu’il s’agisse de l’intérêt généalogique de Nietzsche, du concept marxien d’’idéologie’, ou du concept d’interprétation chez Freud, dans tous ces cas se dessine une différence entre la conscience et ce savoir inconscient qui, à travers la longue histoire des formations sociales, mais aussi des instincts, des organismes et des états physiques, s’est condensé en illusion nécessaire et exige un travail de déchiffrage historique.
S’inspirant du projet nietzschéen d’une histoire de la volonté de vérité, les recherches de Foucault notamment ont suivi un tournant généalogique ; avec les questions qu’elles contiennent concernant une ‘volonté de savoir’ occidentale et sa morphologie, les recherches historiques de Foucault peuvent prétendre à une importance décisive à plusieurs égards pour une poétologie du savoir. Cela signifie d’abord, au point de vue méthodique, le choix d’un niveau de description qui évite le recours aux concepts et aux catégories globalisantes, particulièrement les universaux anthropologiques, philosophiques ou politiques, ou qui du moins le restreint et le contrôle scrupuleusement. De même que Foucault évite de parler d’un donné permanent de la folie, de la vie, de la sexualité, de l’Etat ou de la délinquance, de même les ensembles et les transformations des configurations historiques du savoir ne peuvent guère être compris en recourant à des unités constantes comme ‘l’expérience’, le ‘sens’, la ‘connaissance’, le ‘sujet’ ou la ‘raison’[26]. Deuxièmement, un questionnement généalogique devient efficace là où la connaissance doit être interprétée comme une ‘invention’, le savoir lui-même comme l’accomplissement d’un acte polémique, comme le motif et l’effet d’une volonté de puissance, comme Foucault l’interprétait par exemple au sujet de la relation entre la praxis juridique et la procédure de connaissance[27]. Les relations de sens sont interprétées comme des rapports de puissance ; et cette « histoire politique » de la connaissance et du sujet de connaissance[28] conduit d’une part à cela qu’aucun accord, aucune affinité élective entre la connaissance, le monde et la nature humaine ne peut être supposée ; d’autre part, à ce que le regard est orienté vers des ‘jeux de vérité’ dans lesquels les relations de puissance et les modes de connaissance se soutiennent et se renforcent réciproquement. En conséquence, le ‘savoir’ n’est plus défini par « l’axe conscience-connaissance-science ». Ce qui doit ici être pris en compte est plutôt la configuration d’un savoir qui n’est pas plus conservé dans les disciplines et les sciences qu’il n’est la simple expression du « monde de la vie » (lebensweltlich), qui est peut-être structuré pré-conceptuellement ou pré-logiquement mais pas pré-discursivement, qui apparaît à la fois comme dispersé et cohérent, et qui traverse divers genres et discours. Ce savoir est ce milieu dans lequel des objets discursifs sont rendus possibles tout autant que les sujets qui en parlent, c’est un domaine qui met à disposition les règles de coordination et de subordination des énoncés, c’est un espace qui trace à l’avance les frontières entre matières, disciplines et sciences[29]. Ce savoir ne signifie donc ni science, ni connaissance, il requiert bien plutôt la recherche des facteurs et des thèmes opératoires qui reviennent sur plusieurs territoires, qui possèdent en chacun d’eux une position constitutive et pourtant ne présupposent aucune unité ni aucune synthèse de l’objet. Et ce savoir serait ainsi un domaine dans lequel des modes de discours, des formes d’expression et des types de textes incomparables se correspondent.
3. Poétologies du savoir culturel
C’est donc à partir de différentes directions que la poétologie du savoir a reçu certaines impulsions dans ses contenus, ses thèmes et ses méthodes, et c’est une pluralité de formes de savoir qu’elle aborde dans le contexte de leurs modes de représentation. Elle se rattache ainsi à un domaine d’objet que l’on peut – très provisoirement – appeler ‘savoir culturel’. Ce savoir culturel peut être décrit comme un champ sur lequel se détachent des objets essentiels et des domaines de référence de communication culturelle, ainsi que leurs règles et leurs procédés, et finalement les controverses et les conflits sur la pertinence, la fonction et l’évaluation des objets de savoir. L’entrecroisement du savoir et de la culture renvoie à un ensemble dynamique d’ordres symboliques, de technologies et de stratégies qui déterminent le rapport des sociétés à elles-mêmes, à leur histoire et à des formations sociales toujours renouvelées. Si la culture en général peut être déterminée comme l’horizon d’une intercompréhension à l’égard de ce dont les sociétés sont capables, le ‘savoir culturel’ devrait pouvoir être compris comme espace social de possibilités : comme une zone dans laquelle les frontières, les normes et les modes d’expression reflètent ce qui peut être formulé et énoncé dans une société, dans les limites d’un espace-temps déterminé. Ce savoir ne peut être attribué ni à des sujets ni à des hommes et apparaît dans tous les cas comme une « convention d’attribution pratiquée dans la communication »[30].
À partir de là, il est possible d’établir plusieurs orientations méthodiques et thématiques, qui précisent le mode de travail et le domaine d’investigation d’une poétologie du savoir. Ainsi, en premier lieu, les objets du savoir (culturel) ne sont pas prédisposés de façon privilégiée dans les sciences, ni par les sciences. Ils ne sont pas solubles dans une téléologie des procédés de connaissance scientifique ni dans les formes de rationalité de certaines disciplines isolées ; ils acquièrent bien plutôt leur visibilité maximale dans les marges de ces dernières, dans des zones intermédiaires et des espaces de transition qui n’obéissent pas nécessairement aux critères de la cohérence logique et de l’unité conceptuelle. Pour revenir au texte de Kepler évoqué initialement : la lune de Kepler, par exemple, se constitue comme objet assignable précisément en ceci qu’elle regroupe des lignées divergentes et hétérogènes, et qu’elle fait bouger à travers elles un passepartout commun. Qu’il s’agisse des traditions pythagoriciennes ou des mathématiques modernes, des hypothèses coperniciennes ou des instruments comme le tube ou la longue-vue, de l’entrecroisement des observations astrologiques et astronomiques, des pratiques de représentation et des institutions comme l’observatoire de Tycho Brahe, Uraniborg, sur l’Ile de Ven, des histoires de genres littéraires concernant par exemple le rêve du savant, la naissance de la note de bas de page ou la citation des sources, et surtout l’imprimerie qui a fait de l’observation de la lune en 1610 un évènement européen – tout cela fait de la lune de Kepler un système référentiel complexe qui n’est pas réductible à une seule et même chose. Cette lune ne se constitue comme objet astronomique que dans la mesure où cette astronomie des débuts de la modernité est elle-même constellée de façon non-homogène et, tout comme le texte de Kepler, se débat à la fois avec des tropes et des problèmes de parallaxe, des récits et des mythes, des phénomènes stellaires et des signes astraux. Dans cette perspective, une poétologie du savoir ne recherche pas une unité supposée de son objet, mais plutôt les distributions et les migrations de connaissances qui prennent part à la formation de cette objectivité. La considération de leur multiplicité interne se fonde principalement sur la présupposition selon laquelle il faut différencier la validité d’un savoir de sa genèse et observer leurs relations non-univoques. Les règles de vérité des discours et les règles de formation des objets de savoir ne sont pas comparables les unes aux autres, et elles ne sauraient être réduites les unes aux autres. Tandis que les prétentions de vérité divulguent peu de choses sur la scène historique de leur énonciation, les processus de formation nous renseignent sur les critères de pertinence et partant sur le statut et le terrain d’action stratégique de chaque savoir.
En deuxième lieu, cela implique une recherche des thèmes opératoires et des facteurs récurrents dans différents domaines, qui y détiennent à chaque fois une position constitutive et pourtant ne présentent pas de synthèse ni de domaine d’objets cohérents. On peut en donner comme exemple les concepts d’abondance, d’excédent et de circulation au XVIIIe siècle, qui témoignent d’un entrelacement et d’une correspondance entre divers domaines de savoir : ils servent à expliquer les mécanismes de l’échange des marchandises et du cours de l’argent dans l’économie politique, à décrire dans le domaine médical l’entretien et l’homéostase des humeurs corporelles, à déterminer la formation et l’échange des signes, et sont sollicités pour présenter les phénomènes d’histoire naturelle ou de diététique. Des termes ou des catégories de ce type ne sont donc pas des idées, dans la mesure où on l’on entend par là des représentations délimitées et homogènes dont l’efficacité serait fondatrice de l’unité d’un ensemble de savoirs. Ils ne se situent pas dans le milieu d’un « inter-discours » pour autant que cela renvoie à un dénominateur commun et à une transition continue entre les domaines spécialisés[31]. Dans les discussions très répandues sur le ‘luxe’, le faste et le gaspillage, sur la ‘frivolité’, les passions tumultueuses et l’exaltation, ils ne traversent pas seulement les différents domaines de l’histoire naturelle, de l’économie, de la médecine, de l’esthétique, etc., ils ne peuvent réellement être saisis dans chacun de ces domaines que comme multiplicités conceptuelles et produisent dans leur hétérogénéité un ensemble immanent de renvois. Cette chaîne, cette ligne transversale n’a pas d’origine extérieure à elle-même. Elle n’est pas l’étalon de ces différents domaines ; il ne s’ensuit pas que les domaines en question soient structurés de la même façon ou occupés par les mêmes objets. Leur particularité est plutôt constituée par une résonance interne ou par un ensemble de relations d’implications. C’est ainsi que la question de la traduction contient le problème de la valeur, que la formation des richesses entraîne la désastreuse perte de sens des mots, que l’afflux de sang est difficilement pensable sans un trouble affectif, ou que la communication des signes répond à une hydraulique des courants[32]. Ces implications réciproques construisent une corrélation surdéterminée entre différentes régions de savoir, dont aucune ne peut être pensée comme originaire ; elles ne constituent pas un objet unique, mais elles marquent un seuil, sur lequel se dessine la forme spécifique des divers objets – économiques, médicaux, scientifiques, esthétiques. C’est donc en-deçà des différenciations thématiques que l’on peut identifier des systèmes de règles communes.
Ainsi, en troisième lieu, le ‘savoir culturel’ peut être conçu à la fois comme une région dans laquelle, à partir de différentes perspectives, un ensemble limité d’énoncés – pertinents, corrects, erronés, controversés – peuvent être formulés, qui constituent dans leur conjonction une matérialité historique sans équivalent. En tant que condition de possibilité de ces objets communs, ce savoir circule à travers des modes d’expression d’ordre et de genre différents, et apparaît à la fois dans un texte littéraire, dans une observation scientifique, dans une illustration ou une phrase quotidienne : même si la description de Kepler des fortifications de la lune dans son Somnium reste entièrement fictionnelle, il reste qu’elle caractérise la lune en tant qu’objet astronomique au début du XVIIe siècle. D’un côté, des oppositions comme celle du subjectif et de l’objectif, du réel et de l’imaginaire, de la prouvabilité et de la fiction y sont contournés. D’un autre côté, on n’aspire pas à niveler les différences respectives entre création littéraire et science, connaissances et fictions, ni à supposer un rapport stable et ferme entre science, savoir et littérature par exemple. La possibilité d’une relation entre littérature et savoir ne repose pas sur une relation de reflet ou de modèle, ni sur une relation entre texte et contexte ou entre matière et forme. Le savoir de textes littéraires n’est pas limité au contenu propositionnel de leurs énoncés. Le point de contact entre ‘littérature’ et ‘savoir’ consiste plutôt à faire le lien entre le substrat de savoir des genres poétiques et l’imprégnation poétique des formes de savoir, à les replacer ainsi dans le milieu de leur historicité. Rappelons ici une remarque de Gilles Deleuze au sujet des travaux de Michel Foucault : « L’essentiel n’est pas d’avoir surmonté une dualité science-poésie […]. C’est d’avoir découvert et arpenté cette terre inconnue où une forme littéraire, une proposition scientifique, une phrase quotidienne, un non-sens schizophrénique, etc., sont également des énoncés pourtant sans commune mesure, sans aucune réduction, ni équivalence discursive. Et c’est ce point qui n’avait jamais été atteint, par les logiciens, les formalistes ou les interprètes. Science et poésie sont également savoir »[33]. La spécificité d’un objet de savoir se présente donc pour la poétologie du savoir à partir de la densité d’intersection des modes d’expression appartenant à différents ordres et différents genres.
De même qu’une poétologie du savoir ne prend pas pour point de départ la vérité des énoncés mais les procédures et les règles qui rendent possibles certains énoncés, de même, la relation entre textes (littéraires) et savoir n’est pas réductible à des sujets, des motifs ou à une série de prédicats et d’actes de références. Chaque texte littéraire apparaît plutôt comme faisant partie de différents ordres de savoir, dans la mesure où il perpétue, confirme, corrige ou déplace les frontières entre le visible et l’invisible, le dicible et l’indicible. Les textes littéraires et l’ordre du savoir n’ont pas une relation prévisible ou prédéterminée, leur conjonction se présente bien plutôt comme un mode non-univoque de disparate. La littérature elle-même est une forme de savoir spécifique dans la mesure où elle est devenue l’organe et le médium spécifique d’unités comme l’œuvre ou l’auteur ; la littérature est objet de savoir dans la mesure où elle a suscité un type déterminé de commentaire et la possibilité d’un langage particulier sur le langage ; la littérature est un élément fonctionnel du savoir dans la mesure où elle occupe éminemment, comme dans la tradition de l’histoire des idées, le champ d’une subjectivité créatrice ; et la littérature est enfin produite par un ordre du savoir dans la mesure où sa langue, comme aucune autre, semble mandatée pour dire le non-avoué, pour formuler le plus secret, pour porter l’indicible à la lumière.
En résumé, la poétologie du savoir montre que la cohérence du savoir culturel et la forme des objets qui y sont identifiables se manifestent dans un réseau de relations multiples : par un système référentiel, qui fait se correspondre différentes pratiques de présentation les unes avec les autres, par des relations d’implication, dans lesquelles des règles analogues de présentation peuvent être identifiées à travers des domaines thématiques différents, et par l’établissement d’une densité d’intersection, qui ramène des modes d’expression appartenant à différents ordres et à différents genres vers certains points stratégiques. Il s’ensuit deux conséquences supplémentaires : cela signifie d’une part, que chaque forme de savoir n’accorde qu’une place limitée aux positions subjectives correspondantes, qu’elle fournit donc les prémisses avec lesquelles on se positionne relativement à ce savoir. On entend par là non seulement les postes et les constructions discursives que les institutions définissent, mais également les structures épistémiques au sens restreint. Cela aussi a été mis en évidence par le texte de Kepler : quiconque parle de la lune implique, en même temps que son point de vue sur la lune, un point de vue de la lune sur la terre et se retrouve lui-même sujet d’un savoir copernicien, dont la perspective limitée n’obtient de validation qu’en étant compensée par une contrepartie perspective. D’autre part, le savoir culturel se distingue par des implications normatives et met en jeu une pragmatique du savoir, une dimension pragmatique qui relie certains types de savoirs à certaines options ou indications d’action, qui peuvent être définies légèrement, modérément ou fortement. Chaque forme de savoir correspond directement ou indirectement à des connaissances nomologiques par lesquelles elle détermine le mode et les règles de leurs dérivations et de leurs prolongements : autrement dit, des options qui décident si le savoir doit bel et bien, selon les cas et de façon différenciée, être justifié, réalisé, poursuivi, protégé, abandonné, combattu, optimisé, enseigné, etc.
4. Récapitulation
La démarche d’une poétologie du savoir travaille avec un concept du savoir ouvert, pluriel et faiblement déterminé ; elle cherche la correspondance spécifique entre les modes de présentation et les objets de savoir et elle décrit ainsi la singularité historique des ordres du savoir. Inspirée de l’épistémologie historique, des théories de la constitution symbolique c’est-à-dire ‘poiétique’ du savoir et de l’analyse du discours de Foucault, elle est conduite par deux hypothèses de travail fondamentales. Elle suit, d’une part, la supposition selon laquelle les explications épistémologiques et la naissance de formes de savoir cohérentes sont immédiatement reliées à des décisions esthétiques et conduisent ainsi à la formation de types de présentation particuliers – genres, ou espèces au sens le plus large. D’autre part elle ne considère pas seulement les ordres de savoir à travers les unités de thème ou de contenu, les domaines délimités, disciplines ou sciences spécialisées ; elle s’attarde plutôt sur les réseaux de relations et les correspondances qui peuvent révéler dans l’unité des objets de savoir une multiplicité de procédures constitutives hétérogènes et, à l’inverse, des règles de formation analogues dans des domaines thématiques et des disciplines différentes. À travers ces éléments, une poétologie du savoir se caractérise par une procédure idiosyncratique et se distingue d’une méthode robuste en ceci qu’elle essaye de réduire les conditions d’accès à sa démarche, qu’elle tient compte de ses implications normatives et qu’elle minimise la force de subsomption de ses concepts. Tandis qu’une théorie robuste de la pensée connait toujours déjà ses objets – ainsi le savoir, la science, les réalités, la littérature, la raison et n’exige ainsi aucune théorie, une procédure idiosyncratique présuppose la non-évidence de son domaine d’investigation et entraîne, en plus de son activité analytique, une activité théorique, c’est-à-dire l’élaboration de la capacité d’adaptation de ses analyses. Dans la mesure où une poétologie du savoir ne se fonde pas sur une épistémologie ni sur une philosophie de la conscience, elle a en vue un savoir païen, si du moins ‘païen’, qui vient du latin « pagus », renvoie à un espace localisé, délimité et aucunement universalisable. Cela détermine aussi sa relation à l’histoire en tant que critique. À la différence d’un « tribunal » de la critique, qui se spécialise dans le discernement entre les connaissances vraies et les représentations fausses[34], elle revient à l’historicité des formes de jugement de ce genre, et s’enquiert des limitations positives de ce qui rend possible les évènements de l’universalisable. Cela implique le choix d’un niveau de description qui ne reproduit pas nécessairement les téléologies et les critères de ses objets ; et cela implique une critique qui suspend sa propre tendance à la généralisation. Elle apparaît donc comme une entreprise historiographique qui acquiert son champ de réflexion précisément en ceci qu’elle n’interroge pas, finalement, le savoir au point de vue de son essence, de sa nature, de sa fondation ou de ses droits, mais au point de vue de son actualité, et concède ainsi le caractère historiquement limité de sa propre démarche.
 

ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XV

 
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[1] J. Kepler, Somnium, in Gesammelte Werke, W. von Dyck, M. Caspar, F. Hammer (dir.), vol. 11/2, Munich 1993, p. 315-379 ; trad. fr. Johann Kepler, Le Songe, ou Astronomie Lunaire, traduction et notes par Michèle Ducos, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1984.
[2] Cf. J. Vogl, « Robuste und idiosynkratische Theorie », in KulturPoetik 7/2, 2007, p. 249-258.
[3] Cf. M. Williams, Problems of knowledge. A Critical Introduction to Epistemology, Oxford, 2001, p. 13-27.
[4] G. Canguilhem, Idéologie et rationalité dans l’Histoire des Sciences de la Vie, Paris, Vrin, 1981, p. 15.
[5] Cf. M. Polanyi, Personal knowledge. Towards a Post-Critical Philosophy, Londres, 1978, p. 49-65, 162.
[6] Kepler, Somnium, op. cit., p. 380-440.
[7] F. Jacob, La Logique du Vivant, Gallimard, Paris, 1970 ; cf. W. Lepenies, Gefährliche Wahlverwandschaften. Essays zur Wissenschaftsgeschichte, Stuttgart, 1989, p. 129.
[8] Cf. Aristote, Ethique à Nicomaque, 1140a1-23, 1140b4-7 ; cf. également B. Snell, Aischylos und das Handeln im Drama, Leipzig, 1928, p. 10-19.
[9] Aristote, Ethique à Nicomaque, 1139b15-31.
[10] G. Ryle, La notion d’esprit, Chap. II, « Le savoir-comment et le savoir-que » ; Paris, 1978, rééd. 2005, Petite Bibliothèque Payot, p. 93-140.
[11] H.-J. Rheinberger, Experiment-Differenz-Schrift. Zur Geschichte epistemischer Dinge, Marburg, 1992 ; B. Latour, L’Espoir de Pandore. Pour une version réaliste de l’activité scientifique, Paris, La Découverte, 2001.
[12] G. Bachelard, Le Nouvel Esprit scientifique, Paris, PUF, 1934, rééd. 1999 ; L. Fleck, Entstehung und Entwicklung einer wissenschaftlichen Tatsache [1935], éd. Lothar Schäfer et Thomas Schnelle, Francfort, 1980. Trad. fr. Ludwik Fleck, Genèse et développement d’un fait scientifique, Paris, Les Belles Lettres, Coll. Médecine et sciences humaines, 2005. Trad. Nathalie Jas, préface d’Ilana Löwy, postface de Bruno Latour.
[13] G. Bachelard, Le Nouvel Esprit scientifique, p. 16.
[14] G. Bachelard, La Formation de l’Esprit scientifique, Paris, PUF, 1980, p. 10.
[15] G. Bachelard, Epistémologie, Paris, PUF, 1971, éd. D. Lecourt, p. 56.
[16] G. Bachelard, Le Nouvel Esprit scientifique, p. 79.
[17] Fleck, op.cit., p. 43-94.
[18] G. Canguilhem, Le Normal et le Pathologique, PUF, Paris, 1966 ; La Formation du concept de réflexe aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, PUF, 1955; 2e éd., Vrin, 1977. Cf. H. Schmidgen, « Fehlformen des Wissens », in Georges Canguilhem, Die Herausbildung des Reflexbegriffs im 17. und 18. Jahrhundert, München, 2008, p. VII-LX.
[19] J. Rancière, Les Noms de l’Histoire, essai de poétique du savoir, Seuil, « La Libraire du XXIe siècle », Paris, 1992, p. 21.
[20] H. White, Meta-history, The Historical Imagination in Nineteenth-Century Europe. Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1973.
[21] H. Blumenberg, Paradigmen zu einer Metaphorologie, Francfort, Suhrkamp, 1998. Trad. fr : Paradigmes pour une métaphorologie, trad. D. Gammelin, postface J-C Monod, Vrin, Paris, 2006. Schiffbruch mit Zuschauer. Paradigma einer Daseinsmetapher, Frankfurt, 1979, trad. fr. Naufrage avec spectateur : paradigme d’une métaphore de l’existence [« Schiffbruch mit Zuschauer »], Paris, l’Arche,”Ž 1994.
[22] E. Cassirer, Philosophie der symbolischen Formen, Berlin, 1923-1931. Trad. fr. La philosophie des formes symboliques, trad. J. Lacoste, Minuit, Paris, 1972. Zur Logik der Kulturwissenschaften [1942], Darmstadt, 1961, notamment p.10-14. Trad. fr. Logique des sciences de la culture, trad. J. Carro et J.Gaubert, Cerf, Paris, 1991, p. 83-90.
[23] H. Vaihinger, Die Philosophie des Als Ob. System der theoretischen, praktischen und religiösen Fiktionen der Menschheit auf Grund eines idealistischen Positivismus, Aalen, 1986. Trad. fr. La philosophie du comme si, trad. Ch. Bouriau, Ed Kimé, Paris, 2008.
[24] F. Nietzsche, íœber Wahrheit und Lüge im aussermoralischen Sinn, in Werke, ed. Karl Schlechta, Munich, 1969, vol. 3, p. 309-322. Trad. fr. « Vérité et mensonge au point de vue extra-moral », in Oeuvres philosophiques complètes, Ecrits posthumes 1870-73, trad. J.-L. Backès, M. Haar et Marc B. de Launay, Paris, Gallimard, p. 277-290.
[25] Cf. F. Nietzsche, Jenseits von Gut und Böse; Zur Genealogie der Moral, Werke, Bd. 2, p.563-900. Tr. fr. Par-delà le Bien et le Mal et Généalogie de la Morale, Gallimard, Paris.
[26] M. Foucault, Dits et Ecrits, t. 4, p. 633-634 ; Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France 1978-79, Seuil/Gallimard, 2004, p. 21-22.
[27] Cf. M. Foucault, « La volonté de savoir » [1971], in Dits et Ecrits, t. I, 1954-1975, Quarto Gallimard, p. 1108-1112 ; « La vérité et les formes juridiques » [1974], Ibid. p. 1408-1514.
[28] Ibid., p. 1418.
[29] M. Foucault, L’Archéologie du savoir, Gallimard, 1969.
[30] N. Luhmann, Die Wissenschaft der Gesellschaft, Frankfurt/M., 1990, p. 142.
[31] J. Link, Elementare Literatur und generative Diskursanalyse, München, 1983.
[32] Cf J. Vogl, « Homogenese. Zur Naturgeschichte des Menschen bei Buffon », in Hans Jürgen Schings (dir.), Der ganze Mensch. Anthropologie und Literatur im 18. Jahrhundert, Stuttgart, 1994, p. 80-95.
[33] G. Deleuze, Foucault, Minuit, Paris, 1986, p. 28-29.
[34] Platon, Théétète, 201c.
 

 

Joseph Vogl
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