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Variations Vésale. La mélancolie de l’anatomiste entre science et art Étude comparée d’un modèle esthétique et d’un paradigme scientifique


S’il est vrai que divers obstacles entravent l’exercice des arts et des sciences, nuisent à leur étude approfondie et en restreignent les effets heureux dans la pratique, je suis d’avis, Charles, Empereur très clément, qu’un sérieux préjudice est causé par la spécialisation excessive des disciplines auxiliaires de chaque art et, bien plus encore, par la répartition fâcheuse des activités entres divers praticiens.[1]
André Vésale, La fabrique du corps humain, 1543.
 
Deux sur chaque table. Hommes et femmes
croisés. Proches, nus et pourtant sans tourment.
Le crâne ouvert. La poitrine béante. Les corps
enfantent maintenant pour la dernière fois.
Chacun trois jattes pleines : de la cervelle aux testicules.
Gottfried Benn, « Requiem », in Morgue, 1912.[2]
 
Et puis aussi, une fois l’homme incisé de la salière au périnée – arbalète des clavicules, bouclier de l’abdomen, soleil avorté du nombril, entonnoir du bassin -, on s’effarera, une fois encore, de la profusion des organes, de la multitude des tissus, de la complexité de la charpente : De humani corporis fabrica, disait Vésale, avec une sorte de fierté, celle d’appartenir à l’espèce qui s’illustrait par cette surenchère de formes, de volumes et de couleurs.
Pierre Mertens, Les éblouissements, 1987.[3]
 
Le terme « Fabrica », parent du mot français « fabrique » et de l’allemand « Fabrik » (usine), n’indique pas que la machine du corps, mais aussi la mise en pièces, pan par pan, de l’humaine mécanique à partir d’un acquis, bâti sur la pratique.
Patrick Roegiers, Vésale, 1997.[4]
 
 
À l’occasion d’un colloque consacré aux « Panthéons scientifiques et littéraires (XIXe- XXe siècles) »[5] et organisé en mars 2010 par Évelyne Thoizet, Nicolas Wanlin et Anne-Gaëlle Weber à l’université d’Artois, le dialogue entre science et art, contenu in nucleo dans le seul mot de techné, devait être réactivé par une interrogation portant sur l’inscription des savoirs dans le texte littéraire, en référence à l’ouvrage de Michel Pierssens, Savoirs à l’œuvre. Essais d’épistémocritique, publié aux Presses universitaires de Lille en 1990[6]. L’accent fut mis sur la construction réciproque du « savant » et du « littéraire », en relation avec l’émergence de cette « troisième culture » attestant la nécessaire réorganisation de leurs frontières comme l’ont montré par exemple Wolf Lepenies[7] ou Elenor S. Schaffer[8]. L’ensemble des contributions constituant « une possible ébauche de ce que pourrait être, en un temps donné, un panthéon à vocation universelle, un ensemble d’auteurs, de textes ou de théories dont on pourrait supposer qu’ils sont connus de tout homme instruit ou érudit, qu’ils dessinent quelque chose comme une « culture » commune, dans le domaine des sciences et dans celui de la littérature »[9].
 
Le « panthéon » en question, comme le souligne Anne-Gaëlle Weber dans son avant-propos, qu’il soit « national » ou « personnel », est indissociable de l’examen de la « fabrique » de l’écrivain ou du savant, des mécanismes autrement dit de la « panthéonisation ». Le mot « fabrique » et son corollaire, le mot « panthéonisation », sont d’importance car situés, pour le sujet qui nous occupe, à l’intersection des siècles et des champs du savoir. Ils migrent ainsi du titre choisi par Vésale à la Renaissance pour son traité d’anatomie à l’esprit dans lequel Patrick Roegiers examine, d’une part, l’apport de Vésale à l’histoire des sciences dans le monologue théâtral qu’il lui consacre en 1997 et, d’autre part, dans lequel il dissèque « le bonheur belge » dans l’imposant roman picaresque qu’il vient de publier[10]. Le panthéon se confond en l’occurrence avec l’index, où voisinent Victor Hugo, moteur de cette fiction ironiquement commémorative, et André Vésale, dont l’ombre plane au-dessus de « ce plat pays » incapable de reconnaître les siens : « – La Belgique est une terre d’asile » ; « – Pas pour tout le monde » (BB, p. 26). Je cite là un échange de répliques entre l’illustre exilé, père des Misérables, qui voit de la fenêtre de son logement bruxellois, sis au 4, place des Barricades, ancienne place d’Orange, la statue de Vésale, « le père des sciences anatomiques. Fondateur de la chirurgie moderne » (BB, p. 29), de dos il est vrai, et un jeune garçon de onze ans, sans prénom ni parents, dont les déplacements candides sur les brisées du grand homme nous font croiser, anachroniquement, Yolande Moreau, Jacques Brel, Hugo Claus, Nadar, Tintin, Simenon, James Ensor, Bruegel, Marc Dutroux et la Malibran.
 
On s’étonnera, au nom du réflexe comparatiste qui commande cette étude, de ne point trouver à l’index un certain Pierre Mertens, un Belge assurément, prix Médicis de surcroît, dont « les éblouissements » rayonnent à partir de « l’humeur noire » draînée par l’anatomie. Son héros en effet n’est autre que Gottfried Benn, médecin entré en poésie en 1912 par un cycle de six poèmes composés en un seul crépuscule, « au sortir d’un cours de dissection à Moabit » (Ébl., p. 81). Médecin militaire à Bruxelles de 1915 à 1916, pour lequel « tout se dédouble » (Ébl., p. 154), l’auteur de Morgue installe son cabinet de dermatologue à la fin de la guerre à Berlin. Tout d’abord favorable à l’instauration du régime hitlérien comme en témoignent deux de ses textes L’Etat nouveau et les intellectuels (1933) et Art et Puissance (1934), il sera exclu en mars 1938 de la Chambre de la Littérature du Reich et recevra en 1951, cinq ans avant sa mort, le prestigieux prix Büchner. Un poète dissecteur, un « artiste » et un « savant », dont Mertens s’est emparé pour en tirer un personnage de fiction. C’est le « versant le plus littéraire, le plus poétique de l’activité « panthéonique » qui, on l’aura compris, retiendra notre attention : d’André Vésale, baptisé « le Prince des anatomistes » comme Verlaine fut appelé « le Prince des poètes », pratiquant la dissection et la décrivant « en artiste », à Patrick Roegiers nouant sur la scène les destins de Dürer et de Vésale dans L’artiste, la servante et le savant, en passant par Pierre Mertens, sondant « la terrible splendeur (du) paysage humain » (Ébl., p. 53) avec les mains et les yeux d’un élève de Vésale, désireux de « donner à voir » dans ses poèmes « ce que les autres cachent ou taisent » (Ébl., p. 50), une histoire culturelle se dessine, un « discours de la méthode » se déploie, « se tenant aussi éloignés du subjectivisme sentimental que du positivisme universitaire »[11] et faisant apparaître, au carrefour de la médecine et de la philosophie, de l’anatomie et de la poésie, du « voir » et du « connaître » le champ de la mélancolie.
 
Mélancolie de l’anatomie. Techné « hors-la-loi » et paradigme scientifique
Comme le rappelle Adolphe Burggraeve, professeur d’anatomie, de pathologie et de clinique chirurgicale à l’université de Gand, dans ses Études sur André Vésale publiées en 1862, l’anatomie aura constitué jusqu’au XVIe siècle la branche « mal aimée » de la médecine, victime d’un préjugé d’autant plus tenace qu’il trouvait son origine dans une série d’interdits religieux et juridiques formulés au nom du « saint respect dû à la dépouille humaine » et déclarant « sacrilège » ou « immonde », par conséquent, « quiconque eût osé y porter la main »[12]. Chez les Égyptiens, les hommes chargés de l’embaumement, c’est-à-dire devant ouvrir les cavités viscérales, afin d’y introduire des substances balsamiques, ne remplissaient bien souvent leurs fonctions qu’au péril de leur vie : le peuple les assaillant à coups de pierre comme pour les punir de leurs profanations. Le même respect pour les morts se retrouve chez les Grecs, convaincus que toute âme privée de son enveloppe matérielle était condamnée à errer sur les rives du Styx jusqu’à ce que le cadavre eût été enterré ou incinéré, et chez les Romains dont la sévérité des lois sur les ensevelissements ôta aux médecins toute occasion d’augmenter leurs connaissances anatomiques[13]. C’est pour cette raison que ni Hippocrate ni Galien, qui comptent parmi les plus grands médecins de l’Antiquité, n’ont jamais ouvert de cadavre humain et s’ils parvinrent à acquérir quelques notions en anatomie, ce fut par des dissections d’animaux ou par l’observation d’os rejetés du sol où ils avaient été enfouis.
 
Si la pratique de l’anatomie humaine fut considérée hors-la-loi durant toute la période antique ou presque, il reste que son potentiel scientifique ne fascina pas seulement des médecins[14]. Des philosophes s’emparèrent aussi de cette branche de la médecine et la cultivèrent avec d’autant plus de zèle qu’ils espéraient trouver dans l’organisme le secret de la vie. Ce fut le cas de Démocrite errant solitaire aux abords des tombeaux dans l’espoir de trouver de nouveaux objets d’étude et de méditation. Ce fut aussi celui de Platon qui pressentit que pour élever l’anatomie et la physiologie au rang des sciences, il convenait de leur consacrer un dialogue : ce sera le Timée, méditation à la fois philosophique et poétique sur « l’économie morale et physique de l’homme ». On peut y lire, en particulier, les mots suivants : « Les intestins sont plusieurs fois repliés sur eux-mêmes, afin que les aliments ne passent pas trop promptement, et que le besoin de nourriture ne reparaisse pas aussitôt qu’il a été satisfait ; car le besoin constant du corps ne permettrait pas de vaquer à la philosophie, et nous mettrait ainsi dans la nécessité de manquer à notre destinée morale »[15]. Burggraeve repèrera naturellement ce qu’il y a « de profondément philosophique et de sensément physiologique » sous cette forme abstraite et même, en maints autres passages, poétique. Quant à Aristote, disciple de Platon, il est aussi l’auteur d’une imposante Histoire des animaux qui aurait bénéficié du soutien d’Alexandre, quand il se fut rendu maître de l’Asie et entreprit d’en faire explorer les contrées en tout sens : une aubaine pour les sciences naturelles.
 
Marie Gaille lui a consacré une anthologie[16] : le « nouage » entre philosophie et médecine est dense et ancien. Son choix de textes et la manière dont elle les organise obéit au même critère que la visite des « panthéons littéraires et savants des XIXe et XXe siècles » organisée par Anne-Gaëlle Weber et ses complices : dans les deux cas, il s’agit en effet de montrer que la relation entretenue entre la philosophie et la médecine comme entre l’art et la science n’est pas de « concurrence », mais de « convergence », sur le plan sous-jacent de l’imaginaire[17], et d’en commenter les évolutions dans l’histoire. Un mouvement de va-et-vient est ainsi repérable, comme le souligne la première, « entre deux formes de pensée, deux métiers, deux pratiques désormais considérées comme distinctes »[18] : quand certains médecins ont estimé que leur réflexion philosophique était indissociable de leur réflexion médicale (Galien par exemple), des philosophes, par ailleurs, ont pu acquérir une formation médicale ou ont pu même commencer par là (John Locke, Karl Jaspers, Georges Canguihem, François Dagognet…). La même oscillation est soulignée par les seconds, prouvant la fécondité d’une analyse conjointe de la manière dont les œuvres littéraires et les œuvres scientifiques ont pu dialoguer à une époque réputée être celle de « la séparation de la science et de la littérature » : l’ensemble des articles publiés mettent ainsi en évidence « un ensemble d’écrivains ou d’œuvres littéraires auxquels se seraient référés des savants pour élaborer les pratiques de leur propre discipline et, inversement, d’observer la nature des exemples de savants ou de théories savantes auxquels pouvaient se référer des écrivains ainsi que le traitement qu’ils leur réservaient »[19]. Philosophie et médecine comme science et art n’ont cessé, en réalité, de se construire l’une en regard de l’autre.
 
Parmi les points de rencontre entre ces disciplines ou ces pratiques, l’étude des troubles de l’âme paraît centrale. Elle est au cœur, comme l’a montré Jackie Pigeaud[20], de la « tradition médico-philosophique » car elle est à l’origine d’un certain nombre de textes scientifiques possédant une dimension littéraire et ayant contribué à la promotion d’un questionnement d’ordre éthique sur la relation entre le médecin et son patient. Des textes tels que Airs, Eaux, Lieux d’Hippocrate, le corpus hippocratique de manière générale, quelques grands dialogues de Platon, Le Gorgias, Le Sophiste, Le Timée en particulier, les œuvres de Plutarque et de Sénèque, les Tusculanes de Cicéron dont Pinel recommandait la lecture dans le traitement de la folie, le courant épicurien et La Lettre à Ménécée au premier chef, les travaux de Galien bien évidemment tracent les contours d’une réflexion où philosophie et médecine possèdent toutes deux une fonction thérapeutique[21]. L’interrogation se développera même jusqu’à la prise en compte par le savoir médical de textes spécifiquement littéraires recélant, selon la formule de J. F. Monagle et D. C. Thomasma, un « savoir narratif » (« narrative knowledge ») comparable à ce que « les néo-kantiens allemands appelaient Verstehen, c’est-à-dire une appréhension puissante, concrète et riche de sentiments, de valeurs, de croyances et d’interprétations qui composent la véritable expérience de la personne malade »[22]. Dante, Shakespeare, Flaubert, Kafka, Thomas Mann, Hemingway, autant de noms associés au développement du motif anthropologique au sein du dialogue séculaire entre médecine et philosophie. Un fil noir coud ensemble ces pages, qu’elles aient été écrites par des médecins, des philosophes ou des romanciers : la mélancolie.
 
Si, dans l’antiquité, médecine et philosophie se rencontrent étroitement autour du pseudo-Aristote et du Problème XXX, rapportant comme on sait la question du génie à celle de la mélancolie, textes scientifiques et textes littéraires convergent, au XIXe siècle, vers les noms de Zola et de Claude Bernard, mais aussi de Victor Segalen qui les lut avec la plus grande acuité. L’histoire des croisements entre la « littérature » et la « science », autrement dit, recouperait souvent cette « esthétique des idées-malades » que l’auteur de Stèles méditait d’écrireà la façon de Maurice de Fleury. Dans l’étude comparée qu’elle leur a consacrée[23], Sylvie Thorel-Cailleteau revient ainsi sur la manière dont Segalen s’est réapproprié, après Zola, la question de la « bile noire » contre la psychiatrie officielle. La thèse de doctorat qu’il soutint à Bordeaux en 1902, intitulée L’Observation médicale chez les écrivains naturalistes avant de paraître sous le titre Les cliniciens ès lettres, s’inscrit clairement dans la tradition de la médecine dite « de l’âme » et entre en résonnance avec l’intention naturaliste de Zola et de ses proches, désireux de « traiter de psychologie à la manière dont Claude Bernard traitait de physiologie »[24]. Le champ retenu par Segalen comme de ses prédécesseurs n’est autre que celui de la mélancolie, constituant, en tant que « mal lié à une humeur visible », propice à l’observation comme à la représentation, un objet à la fois médical, philosophique et littéraire. La plupart des écrivains jalonnant ce long parcours auraient pu être salués avec les mêmes mots que ceux choisis par Sainte-Beuve pour la parution de Madame Bovary : « Fils et frère de médecins distingués, M. Gustave Flaubert tient la plume comme d’autres le scalpel. Anatomistes et physiologistes je vous retrouve partout ! »[25]. La filiation et la fraternité étant le plus souvent symboliques : sous le signe de Vésale, en effet, un authentique panthéon « médico-littéraire » s’est « fabriqué ».
 
La parution en 1543 de La fabrique du corps humain n’est pas seulement un manifeste en faveur de la dissection : c’est un hymne à l’indivisibilité du savoir, à l’indissociabilité de l’Esprit et de la Main et l’on comprend que Vésale ait été présenté, au fil des siècles qui suivirent, comme le Copernic de la médecine. L’anatomiste fomente sa « révolution » dès sa dédicace à Charles Quint en portant accusation contre la fragmentation – « l’écartèlement » – de sa science et de son art. Si, à l’origine, dans les traités d’Hippocrate en particulier, la thérapeutique obéit simultanément à trois impératifs : la recherche d’un régime alimentaire, l’emploi des médicaments et la pratique de la chirurgie, les médecins les plus réputés, « pleins de répugnance pour le travail manuel », se sont peu à peu déchargés du soin d’accommoder les aliments sur les « gardes-malades », de la composition des médicaments sur les « apothicaires » et des interventions chirurgicales sur les « barbiers ». C’est en Italie que cette division se serait amorcée et que la chirurgie, « la branche la plus importante et la plus ancienne de la médecine », aurait commencé d’être stigmatisée. Or le triple instrument évoqué plus haut intéresse un seul et même praticien et ne saurait, selon Vésale, supporter la division. « Chef d’œuvre de franchise et de raison »[26], selon les mots de Burggraeve, La Fabrique tisse un lien unique entre l’observation antique de la nature – Vésale rend hommage à Homère dont il loue l’admiration pour les chirurgiens et à Galien dont il n’hésite pas cependant à rectifier les erreurs – et l’esprit humaniste de son temps, en entendant la mission médicale de manière unifiée – les savants du XVIe siècle ont compris en effet que « le défaut capital des études unilatérales, c’est de faire des ouvriers de science au lieu d’hommes vraiment instruits »[27].
 
Plaider pour un art médical qui ne préfère pas le « livre » à la « dissection » comme prendre soin d’apprendre les langues anciennes pour le pratiquer, c’est témoigner d’un esprit se plaisant à poursuivre les analogies des êtres au milieu des variations infinies des formes extérieures ou, si l’on préfère, à « comparer pour ne pas choisir » : « Il y a des hommes, commente Burggraeve, qui, par la grandeur et l’élévation de leur génie, n’appartiennent à aucune époque déterminée du développement de l’esprit humain, mais qui semblent le comprendre dans son entier et en constituer l’éternel symbole »[28]. Si Vésale occupe une place fondamentale dans la lignée des hommes qui changèrent la face des sciences : Bacon, Galilée, Descartes, Newton, Lavoisier Bordeu, Bichat, comme il le souligne, c’est parce que grâce à lui, l’anatomie, techné mise hors-la-loi en partie à cause des Romains, « ces éternels propagateurs de préjugés, qui semblent n’avoir eu d’autre mission que d’étouffer l’esprit humain sous la force brutale »[29], a été non seulement réhabilitée dans le cadre de la pratique médicale, mais aussi élevée au rang de paradigme scientifique. En se proposant de disséquer la mélancolie dans son sillage, Robert Burton, « mangeur de livres » impossible à rassasier, est ainsi le premier penseur à tenter une fusion entre médecine, philosophie et art, en « nouant » entre eux les textes fondateurs d’Aristote et du pseudo-Aristote, de Galien et d’Hippocrate : l’anatomie est assimilée dès le titre de son ouvrage encyclopédique à une méthode d’exploration de l’âme. La dissection est clairement devenue, depuis Vésale, un nouveau lieu de l’identification entre « voir » et « connaître », mais ce que Burton regarde ici, à partir des entrailles de l’homme, c’est un paysage mental.
 
Plus d’un siècle avant le frontispice composé par Cochin pour servir d’ouverture, en 1751, à l’Encyclopédie etdont Hugues Marchal a rappelé dans un panorama saisissant qu’il servait « un projet commun de diffusion des savoirs » en représentant en « une chaîne continue » des personnages allégoriques issus des milieux artistiques et scientifiques[30], le frontispice ouvrant l’Anatomie de la mélancolie inscrit le lyrisme dans le registre médical comme pseudo-Aristote avait posé la question du génie en termes de pathologie : à la figure de Démocrite, dans lequel Burton voit son alter ego, plongé dans un traité d’anatomie au milieu de cadavres d’animaux qu’il vient de disséquer, correspond le personnage de l’amoureux transi improvisant son chant, mains tordues et tête baissée, comme si « la voix d’Orphée » devait puiser à la source de la « bile noire » pour mieux s’élever. Le rapport aux obscurs fondements de l’être que désigne la mélancolie est ainsi placé sous la double tutelle d’un médecin-philosophe et d’un poète amoureux. L’argument de l’ouvrage tiendrait en une seule phrase empruntée à Romano Guardini : « Le ressort qui est au cœur de la mélancolie, c’est Éros, le désir de l’amour et de la beauté »[31]. Pierre Mertens s’en souviendra au moment de dessiner la silhouette du poète Gottfried Benn qu’il sait à la fois composée des « corps morts » qu’il a ouverts et des « corps vivants » qu’il a aimés[32].
 
La plupart des interrogations sur la « nature de l’homme » sont les héritières de l’anthropologie anatomique de la Renaissance, qui naît avec Vésale et croît avec Burton. Les analogies mises au jour par ce dernier entre les « corps » et les « textes » amorcent le transfert d’un paradigme que le dix-neuvième siècle va systématiser : c’est aux sciences biologiques et à l’anatomie, en particulier, que la linguistique et l’histoire littéraire, l’ensemble des champs du savoir à dire vrai, emprunteront leur méthode et leurs procédés comme l’a montré récemment Michael Eggers dans une étude interculturelle de l’idée de « comparaison » à l’œuvre dans les textes scientifiques de l’époque[33]. Les Leçons d’anatomie comparée publiées par Cuvier en 1800 et le Handbuch der vergleichenden Anatomie publié en 1805 par Johann Friedrich Blumenbach feront florès en effet et la méthode comparative, dès lors, d’essaimer, en France et en Allemagne, à partir des sciences naturelles : l’Histoire comparée des systèmes de philosophie de Joseph-Marie de Gérando paraît en 1804, tandis que, de l’autre côté du Rhin, Carl Ritter, Friedrich Schlegel, Franz Bopp et Wilhelm von Humboldt envisagent leurs disciplines respectives, la géographie pour le premier et la linguistique pour les seconds, dans une optique comparatiste. C’est aussi à la terminologie de Cuvier comme à sa méthode, selon Fernand Baldensperger[34], qu’Abel François Villemain se réfèrera pour penser l’histoire de la littérature : son Cours de littérature française dont la publication s’échelonne de 1829 à 1864[35] témoigne de ce que la littérature comparée a été fondée dans un contexte épistémologique dont l’anatomie occupait sans conteste le centre.
 
Notre propos n’est pas cependant d’examiner ici de manière exhaustive le transfert épistémique du modèle anatomique dans les textes scientifiques, mais de comprendre, plus modestement, comment André Vésale a pu jouer le rôle d’un passeur culturel et réactiver au XXe siècle une réflexion éthique et esthétique sur l’intrication de l’anatomie, du théâtre, du lyrisme, de la mélancolie et de la comparaison dans un contexte historique tragique. Les poèmes de Gottfried Benn, le roman de Pierre Mertens et le théâtre de Patrick Roegiers se présentent en effet comme trois variations sur cette conviction héritée de Vésale qu’« on ne connaît les hommes que si on se frotte à eux, si on s’use à les tâter » (Ébl., p. 133). Une idée simplement puissante après les catastrophes qui ébranlèrent le siècle : le seul humanisme dont on puisse encore parler sans pécher contre l’esprit est alors « humble attouchement d’infirme à infirme ».
 
Art de la dissection. Plaisir de l’œil et protocole compassionnel
Artiste ou savant ? La question se pose à plus d’un titre pour Vésale. D’abord, parce ce que, jusqu’au XIXe siècle, on parla communément de la médecine comme d’un art, au sens latin du mot ars, traduction du grec techné, qui désignait simultanément ce que nous entendons aujourd’hui d’une part par « art » et d’autre part par « science », autrement dit un « savoir appliqué ». Ensuite, parce que l’anatomiste de la Renaissance a apporté un soin tout particulier à l’édition de ses textes. Avant lui, les dessins destinés à pallier le manque de cadavres étaient extrêmement simples, voire grossiers. Exceptions faites en 1499 et 1501 des planches anatomiques réalisées par Kethan, Peiligk et Hundt et, bien évidemment, en 1525, des figures extraordinaires ajoutées par Dürer à son livre : De la symétrie et de la proportion du corps de l’homme et de la femme. Vésale a non seulement inventé l’anatomie humaine, il a aussi créé l’iconographie, sans laquelle ses observations n’auraient pu être diffusées. Les planches qu’il fit graver, surtout celles relatives à l’ostéologie et à la myologie, sont, d’après Burggraeve, « de vrais chefs-d’œuvre »[36]. Le savant aurait eu recours, comme l’indique un passage des Vies des peintres de Vasari, à un élève du Titien, un jeune flamand du nom de Jean de Calcar (Hans van Kalcker). Si la plupart des grands anatomistes ont été aussi d’excellents dessinateurs – Scarpa, Cuvier nous en apportent la preuve – et que la contemplation de la formidable organisation du corps humain puisse inspirer au dissecteur un sentiment artistique, il reste que Vésale, comme lui-même le précise à Charles Quint, a tenu à insérer dans sa Fabrique « des représentations si fidèles des divers organes qu’elles semblent placer un corps disséqué devant les yeux de ceux qui étudient les œuvres de la Nature ».
 
Ses planches anatomiques, dessins et gravures, ne sont pas seulement de parfaits simulacres, ce sont d’authentiques tableaux et l’on comprend que le Docteur Burggraeve, en les ayant sous les yeux, sorte du registre historique et critique pour, à son tour, les poser sous nos yeux. Ante oculos ponere. La neutralité scientifique cède alors la place à l’échauffement lyrique et la chronologie à l’hypotypose : « Voyez ces écorchés ; comme les muscles y sont bien accusés ; comme la contraction s’y fait sentir ! Et ces squelettes, comme leurs poses sont faciles et naturelles, comme ils révèlent bien les lois de la mécanique animale ! Il y a dans toutes ces gravures une expression et une harmonie qui frappent ceux mêmes qui ne sont pas anatomistes, et que les artistes surtout y admirent »[37]. L’énallage de ton est symptomatique : tout se passe comme si l’on ne pouvait commenter les tables de Vésale qu’en poète. Décrire ne suffit plus, il faut sentir et « sentir », en poésie, nous souffle l’exégète exalté comme pour se faire pardonner sa fièvre, « c’est déjà être artiste ». Nous dirons qu’il est en empathie avec son sujet, parce que son sujet a lui-même senti en artiste la beauté et l’harmonie du corps humain. Ce surcroît d’expressivité nous prépare en tout cas à d’autres « emportements » et d’autres « métamorphoses ». Fréquenter Vésale, en d’autres termes, c’est se déclarer prêt à s’engager dans une « histoire de l’œil » spectaculaire et à sonder la chair du monde avec une plume non ordinaire. À développer jusqu’au lyrisme une exclamation écrirait Valéry.
 
« Voir pour savoir » : telle serait la devise de Patrick Roegiers, homme de théâtre, romancier et critique photographique. Entre 1985 et 1992, il a publié environ 500 articles dans Le Monde et il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages sur la photographie dont quelques essais marquants sur Lewis Carroll, Diane Arbus, Bill Brandt, Jacques-Henri Lartigue, Roland Topor et René Magritte. Il a également conçu et organisé de nombreuses expositions monographiques ou thématiques (Barcelone, Lisbonne, Montréal, Ottawa, New York, Tokyo, Mexico, La Nouvelle-Orléans, São Paulo, Rio de Janeiro). Égrener les titres des neuf romans qu’il a publiés aux éditions du Seuil dans la collection Fiction & Cie revient à explorer un seul champ : celui de la vision. Beau Regard (1990), Hémisphère nord (1995), La Géométrie des sentiments (1998), L’Oculiste noyé (2001), Le Cousin de Fragonard (2006) etc., quand l’obsession oculaire de l’écrivain ne se trahit pas en couverture, elle se déploie dans le roman, tantôt dévolu à un seul peintre : Friedrich dans Hémisphère nord, tantôt à l’histoire de la peinture tout entière : La Géométrie des sentiments. « Voir pour savoir » est aussi, comme il l’écrit lui-même, « la prime raison de la dissection » (ASS., p. 54) et l’on comprend, par conséquent, que l’exploration anatomique ait retenu l’attention de ce voyeur polymorphe au style perçant.
 
L’artiste, la servante et le savant est composé de deux monologues, l’un est prononcé par Suzanne, la servante d’Albrecht Dürer, lors de la veillée funèbre de son maître, le 6 avril 1528 ; l’autre par André Vésale, le 15 octobre 1564, jour de sa mort, alors qu’il vient de faire naufrage sur l’île grecque de Zante, au large du Péloponnèse. Le choix de ce diptyque n’est pas anodin : les vies et les œuvres du peintre et de l’anatomiste se rencontrent en effet en bien des points. Les deux hommes sont mêmement « doués d’une main leste et d’un œil vif » (ASS., p. 19) ; tous deux furent des « seigneurs » en Italie et chez eux des « parasites » (ASS., p. 23) ; en proie tous deux à des « torpeurs » que l’exil devait transformer en « mélancolie ». Propres enfin à échanger leurs « dominantes » pour l’art de la gravure. Tandis que Vésale, on l’a vu, s’adjoint l’aide d’un artiste pour animer ses analyses scientifiques et se comporte en artiste vis-à-vis de sa pratique, Dürer, quand il grave, tient du chirurgien : «
 
L’art de la gravure sur bois, mode d’impression en relief (lié à l’imprimerie) qui requiert un soin extrême, force à évider les blancs au canif, puis au fermoir et à la gouge, distincte de la gravure sur cuivre (unie à l’orfèvrerie), au tracé en creux, qui astreint à manier le burin et à inverser le dessin en taillant des traits raides et serrés sur l’aire polie de la plaque rivée sur un coussinet, garni de sable, que fait virer le graveur de la senestre, tout en guidant de biais la pointe effilée, pareille à une aiguille, du petit ciseau, au manche niché dans la paume de la dextre, qu’il incise en douce, avec tact, tel un chirurgien oeuvrant sur une portion de chair bordée de compresses.
 
Le devenir-Vésale de Dürer et le devenir-Dürer de Vésale doivent nous rappeler que « l’art, lié à la science, (est) un acte aussi de connaissance » (ASS., p. 58. Nous soulignons). Si l’art de Dürer est placé ici sous le signe de la minutie, terme qu’il octroya à ses « créations raffinées » (ASS., p. 15), celui de Vésale relève de l’excès. Comme dans certains palais romains, où la salle de bal jouxte celle des reliques, les os et les entrailles qui lui tombent sous la main se parent de l’éclat des pierres précieuses : « Poursuivons le saut dans l’abyssale structure, ravin des merveilles, où la science, trop abstraite, n’a pu plonger, lacis de tubes et de fils, de tendons et de ligaments, de fibres nacrées, de muscles corail, carmin, lie-de-vin, rosé violacé… » (ASS., p. 55). Ne nous méprenons pas : il ne s’agit pas pour Roegiers d’occulter « la vérité du corps », laquelle gît dans la chair, mais de lui conférer une dimension spectaculaire. « La bouillie des viscères, où gîtent et grouillent les vers » devient alors une scène baroque, sur laquelle se joue, « devant un parterre de novices, d’experts, de pontifes et de badauds ébahis », la tragi-comédie de la dissection. L’isotopie théâtrale nous conduit, en l’occurrence, de la farce carnavalesque jouée en 1540 par Vésale à l’université de Bologne – en alternance avec un certain Matteo Corti, autre galéniste convaincu -, mêlant en un banquet jovial et funèbre la chair morte et la bonne chère, à une sorte de messe fabuleuse célébrée dans l’après-midi du 29 janvier d’on ne sait quelle année et qui s’achève en parodie de prière : « Ainsi prend fin l’anatomie de trois sujets humains et six carlins. Amen » (ASS., p. 56). Ni « boueux » ni « boucher », l’anatomiste officie au contraire en prêtre laïc et en dramaturge inspiré : « Voici, côté cour, la balle du foie (…) – palpez-le -, le sac de l’estomac et la rate, côté jardin, où se purge le sang… » (ASS., p. 55).
 
Des théâtres anatomiques dont l’architecture fait songer à un œil, comme en témoigne la photographie de l’amphithéâtre de l’université de Padoue édifié par Alessandro Benedetti qui figure en couverture de ces deux monologues – la table d’autopsie fichée au centre évoquant, vue de haut, la pupille d’un chat – aux fables attachées à la pratique de la dissection – Vésale ne fut-il pas accusé d’avoir ouvert un noble espagnol encore vivant et condamné à la peine capitale pour un tel sacrilège ? -, tout, dans la techné anatomique, a partie liée avec la représentation. La mort même de son inventeur s’inscrit dans un décor épique. Philippe II aurait en effet commué sa condamnation à mort en un voyage expiatoire en terre sainte. C’est donc à Jérusalem que le savant aurait reçu du sénat vénitien l’offre de la chaire d’anatomie devenue vacante par la mort de Fallopia. Vilipendé à Bruxelles et diabolisé à Madrid, Vésale, âgé de cinquante ans seulement, s’apprêtait à regagner l’Italie, ce « foyer actif du génie » comme il l’avait baptisée, mais poussé par les vents contraires, son vaisseau sombra au milieu d’une terrible tempête sur les côtes d’une île située vis-à-vis du golfe de Lépante. L’anatomiste mourut seul à Zante comme Napoléon à Sainte-Hélène. Le dernier mot de son histoire fut gravé comme il se doit par un artiste : un orfèvre, qui le reconnut et lui fit donner une sépulture dans une chapelle dédiée à la Vierge, dont il devait rédiger lui-même l’inscription : Andreae Vesalii bruxellensis tumulus qui obiit idibus octobris, anno 1564 etatis vero suae quinquagesimo quum hierosolimis rediisset[38].
 
Et chacun d’apporter ensuite son concours à l’embellissement du monument comme de la gravure funéraires. Burggraeve rend hommage au savant en butte aux médisances car en avance sur son temps : « Ainsi périt, victime de son amour pour la science, l’homme prodigieux qui créa la plus vaste de toutes, à une époque où tout était encore obstacle à ses progrès ; l’homme dont la vie entière ne fut qu’une longue lutte du savoir contre l’ignorance, de la vérité contre le mensonge… »[39]. Les dernières paroles que lui prête Roegiers rendent un son plus mélancolique, plus shakespearien[40] : « Je délaisse sans dépit le théâtre d’ici-bas. Le monde est une scène. La vie n’est qu’une ombre. Il ne reste du vivant que le squelette, pantin piteux, défet de la pensée, recors fossile des sens, relique du remuant. Le rébus de ma tombe doit être percé au plus tôt. Retour à la fange, seul asile pour moi […]. La fin est funeste, mais la gloire est éternelle. Mon nom sera-t-il sauvé de l’oubli ? Qui m’entend ? […] Allons, Vésale, prends congé de ton être. Disparais, tu es mort … » (ASS., pp. 68-69). Et les âmes de Dürer et de Vésale de se mêler, on l’imagine, au vent du large, tandis que la « servante » demeure sur la grève, un crâne entre les mains… Mertens voit quant à lui dans la destruction, en 1916, d’une édition de l’œuvre de Vésale par les troupes allemandes un signe que le Mal absolu est en marche. À son épouse Édith, venue le retrouver pour quelques jours à Bruxelles et qui s’enquiert du sort de Louvain : « Ce n’était pas une ville d’art ? Tu m’as écrit toi-même, dans une de tes lettres, que nos soldats y avaient mis le feu… », le Docteur Benn répond : « C’est vrai. Ces maladroits auraient même détruit, paraît-il, une édition sur vélin de De corporis humani fabrica, d’André Vésale. Le respect fout le camp ! » (Ébl., p. 118).
 
L’édition en question, avec figures découpées et superposées, avait porté à son plus haut degré, l’art du typographe et du graveur. Son caractère unique provenait de ce que les planches permettaient d’examiner les organes sur leurs deux faces et donnaient, par conséquent, un aperçu parfait de leur situation les uns par rapport aux autres. Un manuscrit précieux tant pour son apport scientifique que pour sa qualité d’impression[41]. Un objet d’art assurément dont la destruction, irréparable perte, a aussi valeur de symbole. Elle fait monter en Gottfried Benn une bouffée de cynisme : sous les cendres de la bibliothèque de l’université de Louvain se profile le souvenir de Dresde, autre ville d’art[42]… Mais comment s’en prendrait-on aux villes d’art ? « À Dresde, spécule ironiquement le docteur-philosophe, il n’arrivera jamais rien car on ne bâtirait pas des palais en style rococo si l’on pensait qu’ils peuvent être, un jour, détruits ! » (Ébl., p.118). Et Benn de regretter amèrement d’avoir étudié la dermatologie au lieu de la thanatologie. Les éblouissements de Pierre Mertens se propagent à partir d’un « livre brûlé » comme La Pluie d’été de Marguerite Duras. À partir d’une obscurité, de l’autodafé à l’Holocauste, susceptible aussi de fulgurer. Le mot « éblouissement » ne possède-t-il pas deux sens comme le souligne l’auteur : « l’un renvoie à la lumière, et l’autre à la nuit. Et ainsi va, et tant va notre regard qu’il peut, contre toute raison, confondre l’un avec l’autre… » (Ébl., p. 234). Dans la pièce de Duras, ce sont les Psaumes de David qui partent en fumée. Dans le roman de Mertens, ce sont des études d’anatomie. Nous ne sommes encore qu’en 1916 et la Shoah n’a pas eu lieu. L’ombre de Vésale, et sa lumière, vont lentement s’étendre sur l’ensemble de l’œuvre et nourrir une méditation sur la compassion envers le corps humain. Ce corps que les nazis ont affecté de célébrer et sur lequel ils se sont abattus comme des charognards.
 
À l’exception de deux ou trois images, culinaires et joaillières, d’un lyrisme convenu, apparentant le sang qui coagule à du « chocolat tiède » (Ébl., p. 57), les viscères à des « pierreries […] aux éclats de saphir et de rubis » et la boite crânienne à « un vase bleuté, opalin […] : un Graal » (Ébl., p. 58), la séquence de dissection qui doit former Benn, comme médecin et comme poète, est d’une « minutie » – pour reprendre le terme de Dürer – qui confine au « fantastique ». C’est une fois encore Dürer qu’il faut convoquer, non point, cette fois, celui de La Grande Touffe d’herbes (1503), mais du rhinocéros « amené d’Indes, débarqué à Lisbonne, le 20 mai 1515, don du roi de Portugal, Manuel Ier, au pape Léon X… » (ASS., p. 16), dont il copia la dépouille empaillée avec une telle méticulosité qu’il fit de l’animal un monstre. La description anatomique de Mertens, d’une précision, comme il se doit, chirurgicale, témoigne d’une volonté de « durcir la langue » par élimination des adjectifs et des comparaisons et promotion, au contraire, du substantif appartenant au lexique médical, qu’il réfère au corps ou au matériel requis par l’opération : « L’anatomiste retire le contenu de la cage thoracique avec des pinces à griffes, il arrache le bloc cœur-poumons […]. Il recourt à l’éponge pour se mettre à la recherche du rein, de l’aorte. Il extirpe l’intestin grêle et le gros intestin, sectionne les boyaux, les étrangle avec une cordelette que noue, à ses cotés, un assistant morgueur […] ». Le discours adressé par le dissecteur aux étudiants redouble cette tératologie du détail : « Voyez, annonce-t-il, je tranche le mésentère, tout au long de son insertion sur l’intestin, j’introduis ensuite la branche boutonnée de l’entérotome dans la lumière de l’organe… » (Ébl., p. 57). Hugues Marchal parlerait ici de « stratégie d’expression littérale ».
 
Quand Roegiers nous ouvre les portes d’un « théâtre », sur la scène duquel s’enlacent les adjectifs et les métaphores comme les fleurs aux os dans une Vanité baroque : « Et voici les reins sertis de cruels calculs, ainsi que la vessie d’où saillit l’urine. Échancrons à présent le poitrail où s’épand le chaos de la vie, longeons la laie de la trachée, la forge des poumons, sas gonflé d’air, où s’exhale le halo du cœur, dont les artères escortent le tempo… » (ASS., p. 55), Mertens nous introduit dans un « laboratoire », mot-clé de la poétique de Benn comme le rappelle Pierre Garnier dans sa préface à l’anthologie qu’il lui a consacrée. Le critique a naturellement recours au vocabulaire pathologique pour analyser le style expressionniste du poète et, en particulier, de l’un de ses textes au titre évocateur : « Icare » : « Les verbes bordent les substantifs, les qualifient presque ; donc, poèmes de substantifs, parfois si vigoureux qu’ils se dédoublent et se multiplient, font grosseurs et tumeurs »[43]. Comme Benn lui-même avait évidemment envisagé le Moi lyrique à travers le prisme médical dans Double Vie : « Nouveaux travaux. Nouvelles tentatives du Moi lyrique. Processus digestifs, congestions heuristiques, hypertonies monistiques transitoires pour la genèse du poème »[44]. Ici encore, ne nous laissons pas abuser : le laboratoire linguistique, à la différence du laboratoire médical, n’est pas aseptisé. Dans la séquence qui nous occupe, Mertens reprend seulement à son compte les orientations esthétiques de l’auteur de Morgue, qui introduisit en poésie « une terminologie philosophique, linguistique, médicale » qu’il ne devait pas employer « avec discrétion »[45]. En résumé, il s’agit pour Mertens de nous montrer l’apprenti-médecin à l’œuvre dans une salle de dissection en 1906 comme l’apprenti-poète se tiendra, en 1912, à sa table d’écriture : en lutte contre les mollesses du néo-romantisme allemand.
 
Si l’ombre de Vésale plane au-dessus du roman de Mertens, celle de Nietzsche plane au-dessus de la « leçon d’anatomie » en question : « Mais pourquoi penser à Nietzsche ici, devant ce corps d’un inconnu que vient d’ouvrir et de déployer l’anatomiste ? Pourquoi penser à Nietzsche ici où l’enfance vient de prendre fin ? » (Ébl., p. 53). Interrogation centrale, Mertens l’a bien compris, quand on sait l’influence qu’exerça le philosophe, non seulement sur Benn, mais sur l’ensemble de sa génération. La « fulgurance » résulte ici de la rencontre de ces deux ombres, de cette « ombre double » chargée d’exprimer la « rigueur » à travers la « régression ». La régression ici ne saurait se confondre avec la « zone de tendances ou d’instincts » découverte par les psychanalystes et sollicitée par les surréalistes, mais correspondrait plutôt à un mode d’émigration intérieure. Un exil en profondeur. Benn, on le lui a assez reproché, n’a pas quitté l’Allemagne au moment de la montée du nazisme. S’il a, un temps, succombé à ses tueuses chimères, il les a fuies rapidement. Pas en partant pour l’Amérique ni en se retranchant de la réalité du monde, mais en descendant au plus profond du corps humain, où « toutes les turbulences de notre vie se gravent et déposent leurs sédiments » (Ébl., p. 20) : « À la guerre, en temps de paix et à l’arrière, comme officier ou comme médecin […], devant les cachots des prisons et les cellules caoutchoutées, au chevet des lits et au pied des cercueils, dans le triomphe comme dans la défaite, j’ai toujours eu la sensation que la réalité n’existait pas. Je déclenchais une sorte d’état de concentration intérieure, j’actionnais de secrètes sphères, et l’individuel disparaissait pour faire place à une couche primitive, ivre, riche d’images et « panesque »[46].
 
C’est bien le dionysiaque, en un mot, ici confondu avec le Moi lyrique, que le médecin-poète trouve au bout de sa catabase. L’expérience primaire que constitue la dissection rejoint donc celle de la genèse du poème. De même que pour Vésale, le « voir » était aussi un « connaître », le Moi lyrique, pour Benn, est aussi un Moi connaissant. Désirer réintégrer « l’espace placentaire, au seuil des mers du visage originel », c’est, à l’instar du chirurgien ou de l’anatomiste, risquer de devenir un intouchable en ayant affaire, inter faeces et urinas, au sang. Car il s’agit bien pour le médecin comme pour le philosophe d’« inspecter (le) sens de la chair qui doit (lui) donner une métaphysique de l’Etre, et la connaissance définitive de la vie ». Camille Dumoulié l’a remarquablement analysé dans son « éthique de la cruauté »[47] : il existe pour Nietzsche « une écriture de la chair » et il est nécessaire de retrouver « sous les flatteuses couleurs » du « culturel » – pesant « camouflage » – « le texte effrayant de l’homme naturel ». Traversé par des forces dont l’esprit est le réceptacle, le corps fait immédiatement sens et signe. À la différence du texte, la chair est écriture vivante : les forces y impriment des « vibrations » et y creusent des « labyrinthes » ; elles ont la forme d’un « cri » et ce cri, il faut, pour qu’elles ne demeurent pas informulées, que « la raison les accueille ». Juste après avoir pensé à Nietzsche, Benn, mélancoliquement penché au-dessus d’un corps ouvert, se souvient de son père. De sa voix, surtout, qu’il reconnaît avoir haïe pour sa toute-puissance : « c’était la voix de quelqu’un d’incapable d’erreur, et qui ne se serait jamais autorisé la moindre petitesse » (Ébl., p. 53). C’est à cause de cette voix éclatante que le poète aurait laissé s’éteindre la sienne.
 
Le modèle nietzschéen ou, plus justement, l’impulsion nietzschéenne rencontre ses limites dans cette voix sans timbre choisie par le poète pour dire ce qu’il a à dire : « doute aigu, lourde incertitude, effarement devant les choses ». Si le geste anatomique lui permet de « reprendre contact avec l’intensité pulsionnelle qui excède l’unité du sujet et les clivages de la langue »[48], ce n’est pas la cruauté cependant qu’il espère loger au cœur de sa poésie, mais la douceur. Car « on ne crie pas les mots qui sont déjà, dans l’œuf, des cris » (Ébl., p. 53). En dépit de la parenté originaire de Dionysos et du monde des Mères, la régression que Benn appelle de ses vœux comme condition sine qua non de la création ne se confond pas simplement avec un affaissement dans l’univers maternel. Sa mère, morte d’un cancer, est sans doute la figure autour de laquelle le drame de sa poésie s’organise comme le suggérerait le vers final de « Requiem », poème auquel nous empruntions l’exergue de cette étude : « J’ai regardé les restes de deux qui naguère paillardaient/ensemble. C’était là comme sorti d’un ventre de mère »[49]. Et il est incontestable aussi que la longue série des corps vivants, mais le plus souvent flétris, souffrants, marqués, des prostituées qu’il soigne à son cabinet berlinois et qu’il peut retenir une nuit pour en jouir, lui fournit sa matière : « Les poèmes conduisent aux femmes et les femmes à d’autres poèmes » (Ébl., p. 81), mais son style, le style des poèmes de Morgue en tout cas, fuit les excès du dithyrambe au rythme et au timbre dionysiaques : syncopes, interjections, résonnance d’assonances et d’allitérations
 
Le lecteur de Benn, à la différence du lecteur de Nietzsche, ne doit pas faire avec lui le pari de la « foi dionysiaque », même au plus fort moment de son expressionnisme lyrique, pas plus qu’il ne doit espérer percevoir, sous les locutions néo-grecques qui trufferont un poème plus tardif comme « Bolchevik » par exemple, les accents d’Apollon. Pour reprendre la métaphore nosologique de son préfacier, « les tissus linguistiques semblent parfois atteints de tumeurs »[50], et ce n’est ni le Dieu de la danse ni celui de la statuaire, par conséquent, qu’il faut entendre s’exprimer dans les vers de Morgue, mais bien celui de la médecine : Apollon au couteau. Le dissecteur comme l’écrivain aspirant à « tout voir au même titre » : « Rectum, uretère et vessie, prostate, vésicules séminales : quel beau mélange d’ordures et de fantasmes recelèrent ces entrailles. Nous sommes peu de choses et tellement immenses à la fois… » (Ébl., p. 71). L’anatomie, panoptique panesque, fournit donc à Benn un analôgon comme l’archéologie à Freud, mais surtout lui permet de formuler avec la plus grande exactitude poétique le sentiment, double, évidemment, qu’il nourrit à l’égard du genre humain : une « clairvoyance » pleine de « compassion ». Le cynisme du maître anatomiste d’Alt-Moabit, se moquant du cadavre qui lâche ses gaz et ses urines, comme celui de son élève, reniflant au sexe d’une prostituée « une odeur d’autopsie », s’articule comme une étape, certes cruelle, dans l’exercice spirituel que représente aussi la dissection, mais au bout du couteau est la pitié : « On ne s’habitue pas […]. Aucun danger que notre sensibilité s’émousse jamais […]. On a pitié de tous, vous savez. De l’espèce » (Ébl., p. 76).
 
La résistance au nazisme de Gottfried Benn passe par Vésale pour conclure. Aux antipodes de « la sémillante Mme Riefenstahl » (Ébl., p. 245) arpentant les stades olympiques, avec sa casquette et ses lunettes bleues, et exaltant au soleil d’Apollon les belles formes, le mélancolique Dr. Benn fréquente les mouroirs avant de transformer son cabinet médical en bordel. Car les corps, vivants ou morts, méritent plus qu’un long travelling. Et si, un temps, l’artiste faustien, dans un vertige, a cru « voir la Grèce, à l’âge dorien, renaître en Allemagne » et envisagé d’« immoler sa clairvoyance sur l’autel d’un univers qu’il s’imagine, tout à coup, régressant jusqu’à sa première aurore » (Ébl., p. 235), ce temps n’a pas valeur d’éternité. Benn ne s’est pas trompé de régression car c’est un anatomiste qui a guidé sa main dans « cette joie du sauvetage des formes » qui ressemble à l’amour. Les corps, morts ou vivants, il les a pénétrés jusqu’à l’âme, laquelle ne pèse pas grand-chose, comme on sait. Elle parle cependant, même à la morgue, le langage des fleurs. La techné la plus mal aimée se révèle, à la fin, la plus aimante et se confond avec le style :
 
Un livreur de bière noyé fut hissé sur la table
Quelqu’un lui avait coincé entre les dents
un aster couleur de lilas clair et d’ombre.
Lorsque parti de la poitrine
et sous la peau
j’excisai le palais et la langue
avec un long couteau
je dus l’avoir heurté car il glissa
sur le cerveau posé à coté.
Je l’enfouis dans la cage thoracique
parmi la laine de bois
quand on se mit à recoudre.
Bois dans ton vase jusqu’à plus soif !
petit aster ![51]
 
ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XIII 


[1] André Vésale, La fabrique du corps humain (De humani corporis fabrica), préface, éd. bilingue et trad..fr. L. Bakelands, Actes-Sud-INSERM, 1987, p. 19. Du même auteur, voir aussi Epitome, sorte de résumé de la Fabrique, en particulier la dédicace au Prince Philippe, fils de Charles Quint (1542). Une traduction en anglais de ce texte, par L.R. Lind, est disponible (New York, The Macmillan Company, 1949), de même qu’une traduction française plus récente : Résumé de ces livres sur « La fabrique du corps humain », texte et trad.. par J. Vons, intr., notes et comm. par J. Vons et S. Velut, Les Belles Lettres, 2008.
[2] Gottfried Benn, Poèmes, traduits de l’allemand et préfacés par Pierre Garnier, NRF/Gallimard, 1972, p. 39. Auf jedem Tisch zwei. Männer und Weiber/kreuzweis. Nah, nackt, und dennoch ohne Qual./ Den Schädel auf. Die Brust entzwei. Die Leiber/gebären nun ihr allerleztes Mal/Jeder drei Näpfe voll : von Hirn bis Hoden, Sämtliche Werke, Band I, Gedichte 1, herausgegeben von Gerhard Schuster, Klett-Cotta, 1986, p. 13.
[3] Pierre Mertens, Les éblouissements, Points/Seuil, 1989, p. 68. Abrév. Ébl.
[4] Patrick Roegiers, L’artiste, la servante et le savant, Seuil, 1997, p. 58. Abrév. ASS.
[5] Les actes ont été publiés en 2012 sous le titre Panthéons littéraires et savants, XIXe-XXe siècles, Artois Presses Université, coll. Études littéraires.
[6] Comme le souligne A.-G. Weber dans son avant-propos : « C’est à Michel Pierssens que l’on doit également le principe souvent répété suivant lequel le littéraire et le scientifique ne se séparent qu’en se référant l’un à l’autre », op. cit, p. 9.
[7] Wolf Lepenies, Die Drei Kulturen. Soziologie zwischen Literatur und Wissenschaft, München, Carl Hanser Verlag, 1985.
[8] Elenor S. Schaffer (éd.), The Third Culture : Literacy and Science, Berlin, New York, Walter de Gruyter.
[9] A.-G. Weber, op. cit. p. 10.
[10] Patrick Roegiers, Le bonheur des Belges, Grasset, 2012.
[11] Nicolas Wanlin, introduction à la deuxième section « Panthéons d’écrivains, panthéons de savants », op. cit., p. 115.
[12] Qui tetigerit cadaver hominis propter hoc erit immundus. (Num., cap. XIX, v. 11). Cité par Adolphe Burggraeve in Études sur André Vésale avec l’histoire de l’anatomie avant et aprs cet anatomiste, Bruxelles et Leipzig, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, Libraires-Éditeurs, 1862. Kessinger Legacy Reprints, page 1.
[13] À l’exception toutefois de quelques noms : Soranus d’Éphèse, un des principaux sectateurs de l’école méthodique, Marinus, qui vivait sous le règne de Néron et que Galien considère comme le restaurateur de l’anatomie, et Rufus d’Éphèse, quoi que ce dernier se soit surtout intéressé à l’anatomie des animaux. A. Burggraeve, op. cit., p. 12-13.
[14] Vers le commencement du IIIe siècle avant l’ère chrétienne, en effet, une école réputée fut fondée à Alexandrie, sous les auspices des premiers Ptolémée. Les savants de cette nouvelle école entrèrent en contact avec ceux d’Asie intérieure, d’Inde et d’Afrique et purent ainsi s’ouvrir à des techniques nouvelles. L’anatomie fut la première bénéficiaire de ce dialogue et entra dans une ère nouvelle. Voir A. Burggraeve, op. cit., p. 9.
[15] Voir A. Burggraeve, op. cit., p. 6.
[16] Philosophie de la médecine. Frontière, savoir, clinique, Vrin, 2011. Textes réunis par Marie Gaille.
[17] Voir l’introduction de Nicolas Wanlin à la deuxième section de l’ouvrage cité : « Panthéons d’écrivains, panthéons de savants », p. 114.
[18] Voir préface de M. Gaille, op. cit., p.19.
[19] A.-G. Weber, op. cit., p. 8-9.
[20] Jackie Pigeaud, La Maladie de l’âme : étude sur la relation de l’âme et du corps dans la tradition médico-philosophique antique, Paris, Les Belles-Lettres, 1981.
[21] Voir Marie Gaille, op. cit. p. 37.
[22] J. F. Monagle et D. C. Thomasma, « Literature and Medecine : Contributions to Clinical Practice », Health Care Ethics, Critical Issues for the 21st Century, Aspen Publishers, 1998, chap. 51, p. 559. Article cité et traduit par Marie Gaille, p. 27-28.
[23] Sylvie Thorel-Cailleteau, « Reprendre son bien à la médecine (Claude Bernard, Émile Zola, Victor Segalen) », in Panthéons littéraires et savants, op. cit., p. 235 à 247.
[24] Sylvie Thorel-Cailleteau, ibid., p. 247.
[25] Cité par Sylvie Thorel-Cailleteau, ibid., p. 237.
[26] A. Burggraeve, op. cit., p. 41.
[27] Ibid., p. 35.
[28] Ibid., p. 389.
[29] Ibid., Introduction, p. XV.
[30] Hugues Marchal, « Le vers et le savant : la poésie jugée par les scientifiques au XIXe siècle », in Panthéons littéraires et savants, op. cit., p. 204.
[31] Romano Guardini, De la mélancolie, Points/Seuil, 1992, p. 57. Titre original : Vom Sinn der Schwermut. Traduit de l’allemand par Jeanne Ancelet-Hustache. © Éditions du Seuil, 1953, pour la traduction française.
[32] Deux sections du roman portent en effet ces titres : « Berlin, 1906. Les corps morts » et « Berlin, 1926. Les corps vivants ».
[33] Michael Eggers, Körper und Texte. Zur entstehungsgeschichtlichen Nähe von Komparatistik und vergleichender Anatomie. Conférence prononcée le 10 février 2012 à l’occasion du colloque organisé par le Pr. Dr. C. Solte-Gresser, le Pr. Dr. H.-J. Lüsebrink et le Pr. Dr. M. Schmeling à l’université de la Sarre : Zwischen Transfer und Vergleich. Theorien und Methoden der Literatur- und Kulturbeziehungen aus deutch-französicher Perspektive. Nous remercions l’auteur de nous avoir communiqué son texte avant publication.
[34] Fernand Baldensperger, « Littérature comparée. Le mot et la chose », in : Revue de littérature comparée 1 (1921), pages 5-29 (14). In M. Eggers, texte cité.
[35] Abel François Villemain, Cours de littérature française. Tableau de la littérature du moyen âge 1. Voir en particulier le tome VI, Bruxelles, Hauman, 1840. In M. Eggers, texte cité.
[36] A. Burggraeve, op. cit., p. 62-63.
[37] Ibid.
[38] Ibid., p. 54.
[39] Ibid., p. 55.
[40] Pensons ici à la mélancolie légère et musicale d’Ariel et de son Airy nothing dans La Tempête, plutôt qu’à la mélancolie lourde et mortifère de Hamlet, ressortissant à « un tragique de l’ombre ». Ariel chante la mort d’un père mais il la chante comme « le passage de l’œil sombre à l’œil de la parure, du corail, du delight », pour reprendre les termes du beau commentaire qu’en a proposé Christine Buci-Glucksmann dans Tragique de l’ombre. Shakespeare et le maniérisme. Par cinq brasses sous les eaux/ton père englouti sommeille/de ses os nait le corail/de ses yeux naissent les perles/rien chez lui de corruptible/dont la mer ne vienne à faire/quelque trésor insolite/et les nymphes de la mer/sonnent son glas d’heure en heure : tel est, traduit par Pierre Leyris, le chant d’Ariel.
[41] Voir A. Burggraeve, op. cit., p. 64.
[42] Les descriptions des villes de Berlin et de Dresde en ruines par le Dr. Benn tiennent d’ailleurs des planches anatomiques.
[43] Pierre Garnier, Préface, op. cit. p. 15.
[44] Gottfried Benn, Double Vie, traduction d’Alexandre Vialatte, Éditions de Minuit, p. 66-67. Cité par Pierre Garnier, p. 25.
[45] Pierre Garnier, p. 15.
[46] Gottfried Benn, op. cit., p. 23. Cité par P. Garnier, p. 21.
[47] Camille Dumoulié, Nietzsche et Artaud. Pour une éthique de la cruauté, PUF, 1992.
[48] Ibid., p. 121.
[49] Gottfried Benn, « Requiem », Morgue, in Poèmes, p. 39. Der Rest in Särge. Lauter Neugeburten : Mannsbeine, Kinderbrust und Haar vom Weib. Ich sah, von zweien, die dereinst sich hurten, lag es da, wie aus einem Mutterleib, in : Sämtliche Werke, p. 13.
[50] Pierre Garnier, p. 16.
[51] Gottfried Benn, « Petit aster », Morgue, in Poèmes, p. 37. Ein ersoffener Bierfahrer wurde auf den Tisch gestemmt./Irgendeiner hatte ihm eine dunkelhellila Aster/zwischen die Zähne geklemmt./Als ich von der Brust aus/unter der Haut/mit einem langen Messer/Zunge und Gaumen herausschnitt,/muß ich sie angestoßen haben, denn sie glitt/in das nebenliegende Gehirn./Ich packte sie ihm in die Brustöhle/zwischen die Holzwolle,/als man zunähte./Trinke dich satt in deiner Vase !/Ruhe sanft,/kleine Aster !, « Kleine Aster », Morgue, in Samtliche Werke, p. 11.
Valérie Deshoulières
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