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La synesthésie : Vues de l’intérieur

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à Amy Ione
 
 

Carol Steen, Clouds Rise Up
2004-05, huile sur masonite recouverte de toile, 62.5 x 51cm.
I made this painting last winter after I heard a musician play an untitled piece on his Shakuhachi flute. Unlike the fast-tempo songs I usually work to because I like to watch the colours change quickly, the song he played had a very slow tempo. I call this Clouds Rise Up because this is exactly what I saw as I listened to him play his flute. Each note he played had two sounds and two colours: red and orange, which is why the two colours you see move together as one shape on the slightly metallic green surface.[1]
I. La découverte de la synesthésie comme phénomène neurologique
 

1. La synesthésie et son « neuropsychological turn »

When I see equations, I see the letters in colors – I don’t know why. As I’m talking, I see vague pictures of Bessel functions from Jahnke and Emde’s book, with light-tan j’s, slightly violet-bluish n’s, and dark brown x’s flying around. And I wonder what the hell it must look like to the students[2].

Richard Feynman, Prix Nobel de physique 1965

La synesthésie[3] est aujourd’hui définie comme un phénomène neurologique, c’est une association involontaire entre divers modes de perception : la stimulation d’un sens active un autre sens, sans que celui-ci ait été stimulé spécifiquement. Cette association intermodale est dite bimodale quand elle a lieu entre deux modalités sensorielles ce qui est le cas le plus courant, elle est dite multimodale quand elle met en jeu au moins trois modalités sensorielles. Elle est généralement unidirectionnelle, un sens déclenche un second mais mais la relation est rarement réversible, elle est alors dite bidirectionnelle. Certaines associations sont plus courantes comme entre le son et la vue, d’autres plus rares avec le goût ou l’odorat. Un mode de perception peut être activé également à partir non pas d’une première perception mais de « systèmes culturels de catégorisation » (nombres, noms, jours de la semaine, mois, etc …). Le site de l’un des pionniers de la synesthésie Richard Cytowic commence ainsi: « In synesthesia two or more senses are automatically and involuntarily coupled such that a voice, for example, is not only heard, but additionally felt, seen, or tasted.Synesthesia is not imagination or learning. It differs from metaphor and deliberate contrivances such as colored music[4]. »
Dans les années 1980, les études réalisées par Cohen-Baron et Harrison en Grande-Bretagne et Lawrence E. Marks et Cytowic aux USA ont transformé la conception de la synesthésie. Elle est maintenant et définitivement reconnue comme un phénomène réel, un phénomène neurologique qui ne doit pas être confondu avec ce que l’on appelle désormais la pseudosynesthésie. Dans l’introduction de leur livre Synaesthesia: Classic and Contemporary Readings en 1997, les deux psychologues anglais rappelaient que l’existence de la synesthésie avait longtemps été sujette à caution[5] et annonçaient la transformation du statut de la synesthésie, reconnue comme un phénomène neurologique étudié de manière scientifique. L’âge de la « Synesthesia Renaissance », de la Renaissance synesthésique commençait. La synesthésie entrait dans son « neuropsychological turn ». «Within the last few years synesthesia has enjoyed something of a renaissance, with researchers from various disciplines within cognitive neuroscience contributing both new data and theory[6]. » Evoquant l’origine de leurs recherches,  les deux pionniers anglais écrivainet que leur intérêt est né à la lecture d’une lettre d’Elizabeth Stewart-Jones parue dans la revue The Psychologist en août 1986. Cette peintre galloise décrivait ses perceptions synesthésiques et proposait son cas comme sujet de recherche. Les deux psychologues répondirent en invitant les personnes qui se considéraient synesthètes à entrer en contact avec eux. Vingt deux personnes dont dix-huit femmes participèrent ainsi à des tests sur la synesthésie qui débouchèrent sur la création d’un test rigoureux de reconnaissance du phénomène. Pour la couverture de son livre Synesthesia [7], John Harrison a choisi en 2001 une toile de la peintre galloise par qui la nouvelle science était arrivée.
Aux Etats-Unis, le phénomène était étudié par le psychologue Laurence E. Marks[8] et le neurologue Richard Cytowic. Ce dernier publia en 1989 Synesthesia: A Union of the Senses et en 1993, il connut un grand succès de librairie avec The Man Who Tasted Shapes,livre qui eut des répercussions sur la vie de nombreux synesthètes. Le titre fait référence au cas rare d’association entre sensations gustatives et formes tactilesqu’il constata par hasard chez un invité lors d’une soirée en 1980, lorsque celui-ci déclara : « There aren’t enough points on the chicken!», phrase qui aurait constitué le point de départ de l’intérêt de Cytowic pour la synesthésie. L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) a permis ensuite une connaissance approfondie des processus cérébraux à l’œuvre. Dès la fin des années quatre-vingt, Cytowic commença à étudier la synesthésie avec les nouvelles technologies de l’imagerie cérébrale, travaux continués ensuite par Paulesu, Aleman, Ramachandran et Hubbard. L’imagerie cérébrale a fourni une preuve scientifique de l’existence du phénomène synesthésique et une explication neuronale par la théorie dite de «l’activation croisée». La synesthésie des chiffres vus en couleur s’explique ainsi : la vision des chiffres active les neurones de la zone de reconnaissance des chiffres mais active aussi les neurones d’une zone voisine dans le cerveau, la zone appelée V4, qui traite la couleur. Cette «erreur de câblage neuronal»cause une «activation croisée» et donc ce cas la synesthésie chiffres-couleur. Le mécanisme général du phénomène cérébral une fois connu, il reste encore à en comprendre les causes, l’expérience ayant montré la transmission génétique de cette «erreur de câblage» et une prédominance féminine chez les synesthètes. La thèse actuellement débattue est celle de la psychologue canadienne Daphné Maurer. L’être humain naîtrait synesthète. Le nourrison serait le synesthète universel pour des raisons de survie – reconnaître la mère par tous les moyens- et pour des raisons biologiques, les connexions neuronales ne seraient pas encore fermement établies. Combien de mois le jeune être humain posséde cette capacité reste une question non résolue. Dans cette thèse aujourd’hui répandue, le mécanisme génétique ne provoquerait pas l’existence d’une erreur de câblage à la naissance mais la prédisposition génétique interviendrait en fait pour ne pas élaguer tous les câblages synesthésiques existants chez tous les nourrissons.

Si les découvertes de Cohen-Baron et Hamilton et de Mark et de Cytowic mirent fin à près de cinquante ans de désintérêt, il s’agissait en fait d’une redécouverte car ce phénomène était étudié depuis la fin du XIXe siècle. Pour Cohen-Baron et Harisson comme pour Cytowic, l’étude de la synesthésie aurait périclité en raison de la domination du paradigme behavioriste considérant la synesthésie comme trop subjective. En effet, jusqu’à l’utilisation de l’imagerie cérébrale, l’étude de la synesthésie dépendait des récits des patients, source sujette à caution. En plus, les associations automatiques diffèrent entre les personnes synesthètes, ainsi le même mot ou la même lettre va évoquer des couleurs différentes suivant les personnes comme le montre l’exemple donné par Greta Berman et Carol Steen : «For example, one synesthete might describe the sound of C#, or its written note, as a deep cobalt blue with a satin texture, but another would describe the same sound as the fresh spring green of new ferns with a bit of brown earth on their fronds.[9]» Cette renaissance synesthésique a provoqué une relecture de l’histoire pluriséculaire du phénomène et des découvertes à son propos[10]. La synesthésie était devenue l’objet d’études scientifiques dans les années 1880 marquées par des publications concomitantes : l’article de Galton en 1880, les travaux des médecins suisses Bleuler et Lehmann en 1881. En France, où le courant symboliste avait mis en avant la métaphore synesthésique, les travaux concernèrent l’un des types de synesthésie, l’audition colorée avec L’audition colorée de Ferdinand Suarez de Mendoza en 1890 et du médecin suisse Theodore Flournoy[11] en 1893. Suarez de Mendoza définissait ainsi l’audition colorée:

 L’audition colorée est une faculté d’association des sons et des couleurs, par laquelle toute perception acoustique objective d’une intensité suffisante, ou même sa simple évocation mentale, peut éveiller et faire apparaître, pour certaines personnes, une image lumineuse colorée ou non, constante pour la même lettre, le même timbre de voix ou d’instrument, la même intensité et la même hauteur de son ; faculté d’ordre physiologique, qui se développe dans l’enfance et persiste généralement avec les années sans variations notables[12].
La synesthésie fut l’objet de nombreuses études entre 1860 et 1930, pendant lesquelles des conférences internationales européennes eurent lieu à son sujet avant de sombrer dans l’indifférence jusqu’au revival des années mille neuf cent quatre-vingt, un siècle après sa première apparition dans l’histoire des sciences. Dans la période de reflux, voire d’oubli relatif, furent néanmoins publiés des témoignages importants, le livre de mémoire de Vladimir Nabokov, Speak, Memory, en 1947 le second chapitre contient ce qu’il appelle sa confession de synesthète, les entretiens de Messiaen avec Claude Samuel en 1967, et le livre si influent d’Alexandre Luria, The Mind of a Mnemonist[13]. Le psycholoque soviétique avait étudié pendant plusieurs décennies le cas du journalisteS.V. Shereshevskii, mnémoniste mais aussi synesthète[14]. De plus la méthode de présentation dite littéraire de Luria a servi de modèle à Oliver Stacks et Richard Cytowic[15].
2. Les quatre grands types de synesthésie : synesthésie et pseudosynesthésie
Il n’existe pas de signes extérieurs de synesthésie, laquelle n’est pas considérée non plus comme une maladie neurologique. Dans son Blue Cats and Chartreuse Kittens, How synesthetes color their worlds[16], Patricia Lynne Duffy reprend la liste des différentes types de synesthésie avancés par Baron-Cohen et Harrison. La première catégorie est la synesthésie comme phénomène naturel, (developmental synesthesia), c’est dans ce sens que nous parlons avant tout de synesthésie[17]. La seconde catégorie est une synesthésie accidentelle (acquired synesthesia) qui est provoquée par un dysfonctionnement neurologique ou physique, par exemple comme séquelles de la méningite. La troisième catégorie concerne la synesthésie induite par les drogues et temporaire. Dans un texte célèbre, en 1843, Théophile Gautier, présente les sensations éprouvées à la suite d’une absorption de haschich : « Mon ouïe, s’était prodigieusement développée ; j’entendais le bruit des couleurs. Des sons verts, rouges, bleus, jaunes, m’arrivaient par ondes parfaitement distinctes[18]Enfin la quatrième catégorie désigne la synesthésie métaphorique ou pseudosynesthésie. Les scientifiques ont gardé l’ancien mot de synesthésie pour désigner le phénomène neurologique d’association involontaire transmodale, donnant ainsi à ce mot un sens scientifique nouveau.

Avec cette coupure épistémologique la conception scientifique de la synesthésie se voit obligée de faire une distinction absolue, entre la vraie synesthésie et l’expression dans son usage métaphorique, la pseudosynesthésie, qui désigne les manifestations culturelles et littéraires ainsi que les métaphores synesthésiques dans le langage, les tropes littéraires et toutes les contructions artistiques qui emploient le mot « synesthésie » pour décrire des associations multisensorielles, ce qui fut l’une des caractéristiques du romantisme allemand et du symbolisme français.
La reconnaissance scientifique du phénomène est liée à la création par Cohen-Baron d’un test qui permettait pour la première fois de constater l’existence d’une synesthésie chez un patient indépendamment de ses déclarations. En 1987, Le TOG, Test of Genuinenesfor Colored-Word Synesthesia[19], créé par son équipe mesurait la cohérence du lien stimulus-réponse dans une batterie de tests mais ce tests’appliquait seulement au cas le plus courant de synesthésie, celui de la synesthésie visuelle sous la forme de l’association entre un mot, une lettre, prononcés et une couleur[20]. Les tests permettent de distinguer ce qui relève de la construction mentale, -la pratique personnelle de l’association cultivée comme pratique de soi, les souvenirs des livres de lecture d’enfance, etc.-, de ce qui relève de l’association automatique. Ce type de test doit être répété à une certaine distance de temps car c’est à la longue que seules les associations automatiques se révèlent constantes. Depuis Vilayanur Ramachandran et Ed Hubbard ont inventé un test plus simple et plus rapide pour déterminer l’existence d’une synesthésie des nombres colorés. Aux Pays-Bas, une équipe menée par un synesthète activiste culturel, Chretien van Campen[21], a inventé à partir du test de Cohen-Baron un test qui n’est plus limité à une association intermodale mot /couleur mais ouvert aux associations entre musique et couleur, odeur et couleur, saveur et couleur.
Pour mieux séparer le véritable phénomène neurologique de l’expérience pseudosynesthésique, Cytowic a proposé des critères de diagnostic clinique dans The man who tasted shapes : la synesthésie est caractérisée par un phénomène d’association intermodale, qui ne peut être supprimé, qui est involontaire mais provoqué, qui est durable, discret, générique, mémorisable, émotionnel et noétique. Les perceptions sont durables et « génériques », c’est-à-dire jamais élaborées. Elles ne produisent jamais d’imagesni des scènes complexes mais des points, des tâches, des lignes, des spirales et des formes en réseau, des textures lisses ou rugueuses, des goûts agréables ou désagréables, tels que salés, sucrés ou métalliques. « Générique » signifie que là où le faux synesthète va imaginer un paysage pastoral en écoutant Beethoven, pour reprendre l’exemple de Cytowic dans Psyché, les vrais synesthètes vont eux expérimenter dans leur champ de vision non pas des images, mais des formes et des couleurs non élaborées : tâches, lignes, spirales, formes en grillage[22].Visualiser un paysage en écoutant de la musique est un travail d’imagination mais cultiver son imagination ou associer des images n’est pas avoir une association transmodale. Cytowic souligne : «Synesthetic percepts never go beyond this elementary, unembroidered level. If they did, they would no longer be synesthesia but rather well-formed hallucinations or figurative mental images of the kind we all have daydreaming[23]. »

Cette préoccupation de distinguer synesthésie et pseudosynesthésie n’est pas en fait caractéristique de la nouvelle période scientifique. Dès la première époque, la différence entre audition colorée et système synesthésique élaboré par les artistes s’était imposée aux scientifiques. Alfred Binet écrivait dans un article intitulé « Le problème de l’audition colorée »de 1892 : « ces associations [couleur/son] sont factices ; elles ont un caractère purement individuels ; elles ne correspondent à rien dans l’ordre des faits extérieurs[24]Bien avant les déclarations de Cytowic et de Hubbard, l’existence de la pseudosynesthésie paraissait un obstacle à la compréhension scientifique du phénomène et à son acceptation comme un fait réel. Clavière dans L’année psychologique de 1898diagnostiquait sans ménagement: « Ce qui a fait à l’audition colorée une si mauvaise réputation, c’est que ses manifestations ont été posées comme principes fondamentaux de la régénération de l’art par des littérateurs, des poètes, des artistes suffisamment connus sous les noms de décadents, de symbolistes, d’évoluto-instrumentistes, etc., et que l’on a qualifiés soit des dévoyés de l’art et des névrosés, soit tout simplement des fumistes [25]. »


Carol Steen, Red Commas on Blue
2004, huile sur papier, 16 x 16cm.
This painting was created when I listened to the song Show Me, played by Megastore. I loved watching the electronically altered, transparent blue voice in this song with its swift rotating movements. The red arcs were the drums.
 
 
 
3. Littérature et pseudosynesthésie
En effet, la littérature au XIXe siècle a été le domaine par excellence de la pseudosynesthésie. Avec le romantisme allemand puis le symbolisme français, la tradition culturelle a produit des œuvres qui développaient des images intersensorielles et des métaphores synesthésiques, voire des systèmes de pensée fondée sur ces associations. Cette culture de l’asssociation sensorielle s’infiltre même chez les auteurs dits réalistes. Dans un texte autobiographique relatant un voyage autour de la Méditerranée, Guy de Maupassant, la nuit, au large de San Remo, sur le pont du bateau, sent tout d’un coup le souffle chaud et parfumé du vent de la terre et les sons de la musique jouée sur la rive : « Je demeurai haletant, si grisé de sensations, que le trouble de cetteivresse fit délirer mes sens. Je ne savais plus vraiment si je respirais dela musique ou si j’entendais des parfums, ou si je dormais dans les étoiles…[26]» Dans la culture allemande, l’utilisation de la synesthésie comme moyen stylistique als Stilmittel, remonte à l’époque baroque (1600-1720) pour s’épanouir à l’époque romantique (1795-1840) en poésie avec Eichendorff, Brentano, Novalis, von Arnim, Hoffmann, Tieck, alors que les courants de pensée romantique privilégiaient aussi l’existence d’analogies et de correspondances dites verticales entre ce monde ci et un monde supérieur, à l’image des textes de Swedenborg[27]. Hoffmann allait développer le thème de la relation entre son et couleur qui servira de modèle à Balzac, Gautier, Baudelaire. Plus encore que dans la littérature, le domaine musical a cultivé la relation entre ces deux modes de perception. Le langage de la musique est saturé d’analogies visuelles. La langue allemande possède une synesthésie métaphorique immédiate pour la musique avec le mot Klangfarbe, littéralement la couleur du son. En français ou en anglais, l’on trouve les expressions, couleurs, coloris, pour décrire un ton, ou des mots venus de la peinture comme impressionnisme, pointillisme, pour désigner des styles musicaux. Les transpositions sensorielles d’Hoffmann développées dans ses Kreisleriana et reposant sur la transformation des perceptions des sens en audition musicale vont avoir en France une influence considérable. Les deux romans musicaux de Balzac Masimmilla Doni et Gambara ainsi que son analyse du Moïse utilisent cette relation approfondie par Hoffmann entre les impressions de la vue et de l’ouïe. « De façon générale, quand Balzac parle de musique, et désire analyser le sens de cette musique et les émotions ou les idées qu’elle soulève, il utilise des images d’ordre visuel[28]. » note Pierre Laubriet. Il ajoute que l’utilisation par Hoffmann du thème de la synesthésie dans ses contes fantastiques a été remarquée par Balzac qui finit néanmoins par préférer le système d’analogies et de correspondances des Arcanes célestes de Swedenborg.
En France la littérature synesthésique se développe aussi en relation avec l’expérimentation du haschich. Théophile Gautier a été le précurseur en France de ces descriptions qui reposent effectivement sur des faits avérés par la science : la synesthésie temporaire provoquée par certaines drogues, comme le haschich et le LSD, troisième catégorie de synesthésie dans la liste de Cohen-Baron. Mais comme le remarque Max Milner, «  la manière dont Gautier décrit ses hallucinations […] est le premier exemple, en France, de l’exploitation systématique d’une prise de drogue pour en tirer des effets littéraires[29]. »  Avec les écrits de Gautier comme ceux de Baudelaire, la quatrième catégorie synesthésique, la pseudosynesthésie, prend en charge la troisième, la synesthésie temporaire de l’hallucination par la drogue. Ces écrits dépassent ou trahissent la simple description de cas. Car il ne s’agit pas d’un compte rendu à finalité clinique. Comme l’écrit Max Milner, il s’agit « d’une transformation de l’expérience en spectacle- ce que Baudelaire appellera plus tard le « théâtre de Séraphin » . […] Gautier exploite – et assurément prolonge- les virtualités poétiques des modifications sensorielles qui se sont produites en lui[30]. », avec une prédominance pour la transformation des perceptions en audition musicale.
Mon ouïe s’était prodigieusement développée ; j’entendais le bruit des couleurs. Des sons verts, rouges, bleus, jaunes, m’arrivaient par ondes parfaitement distinctes. Un verre renversé, un craquement de fauteuil, un mot prononcé tout bas, vibraient et retentissaient en moi comme des roulements de tonnerre. Chaque objet effleuré rendait une note d’harmonica ou de harpe éolienne Je nageais dans un océan de sonorité, où flottaient, comme des flots de lumière, quelques motifs de Lucia ou du Barbier.[31]
Plus tard, dans son étude de 1868 sur Baudelaire, Gautier reconnaissait la réélaboration littéraire de ses expériences d’états modifiés de conscience : « J’y ai mêlé mes propres hallucinations [32].» L’auteur de L’imaginaire des drogues commente : « ce qui implique [..] qu’une bonne partie du récit soit de pure invention[33].» Le récit de l’expérimentation de la drogue en France possède certes un aspect d’ « expérience physiologique »[34] comme l’écrit Gautier à propos de Baudelaire, mais il est dès l’origine un genre littéraire, où les effets synesthésiques de par leur valeur poétique sont mis en scène, sont réinscrits dans l’imaginaire et les thèmes personnels de l’auteur, et avec des références hoffmanniennes, avec un « plaisir d’écriture » que Milner souligne aussi pour les récits des Paradis artificiels. Dans sa narration des « effets merveilleux du haschich [35]», Baudelaire mentionne les perceptions synesthésiques: « Les sons ont une couleur, les couleurs ont une musique[36]», sur le modèle de la pseudosynesthésie héritée d’Hoffmann. Quand Baudelaire veut expliquer dans le chapitre « De la couleur » du Salon de 1846, la relation de la couleur avec trois notions musicales, l’harmonie, la mélodie er le contrepoint, il se réfère aux Kreisleriana : « […] je me rappelle un passage d’Hoffmann qui exprime parfaitement mon idée […] : Ce n’est pas seulement en rêve, et dans le léger délire qui précéde le sommeil, c’est encore éveillé, lorsque j’entends de la musique, que je trouve une analogie et une réunion intime entre les couleurs, les sons et les parfums[37].» Et dans le chapitre « Eugène Delacroix » de l’Exposition universelle (1855),  il écrit au sujet du peintre avant de se citer lui-même :
 Puis ces admirables accords de sa couleur font souvent rêver d’harmonie et de mélodie, et l’impression qu’on emporte de ses tableaux est souvent quasi musicale. Un poète a essayé d’exprimer ces sensations subtiles dans des vers dont la sincérité peut faire passer la bizarrerie :
Delacroix, lac de sang, hanté des mauvais anges,
Ombragé par un bois de sapins toujours vert,
Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges,
Passent comme un soupir étouffé de Weber.
 […] les fanfares et Weber : idées de musique romantique que réveillent les harmonies de sa couleur. [38]
Sa description des effets de la drogue oscille entre un commentaire dominant de minimisation, de mise à distance et des envolées lyriques où paradoxalement la véritable expérience de la synesthésie – celle de catégorie III, induite par la drogue, est réduite à une simple intensification de la pseudo synesthésie.  
Les sons se revêtent de couleurs, et les couleurs contiennent une musique. Cela, dira-t-on, n’a rien que de fort naturel, et tout cerveau poétique, dans son état sain et normal, conçoit facilement ces analogies. Mais j’ai déjà averti le lecteur qu’il n’y avait rien de positivement surnaturel dans l’ivresse du haschich; seulement, ces analogies revêtent alors une vivacité inaccoutumée; elles pénètrent, elles envahissent, elles accablent l’esprit de leur caractère despotique.Les notes musicales deviennent des nombres, et si votre esprit est doué de quelque aptitude mathématique, la mélodie, l’harmonie écoutée, tout en gardant son caractère voluptueux et sensuel, se transforme en une vaste opération, mathématique.[39]
Les effets réels de synesthésie induits par le haschich sont réduits par Baudelaire à une hyperesthésie décrite come une intensification des analogies hoffmanniennes. Il n’existe donc pas de différence essentielle pour Baudelaire entre la synesthésie induite par la drogue et la description de la synesthésie purement littéraire. Quant au poème des Correspondances, il mêle deux sortes d’analogies, celles venues de l’influence de Swedenborg, où le monde d’ici renvoie à un monde supérieur, et celles héritées d’Hoffmann et du haschich, le monde des synesthésies. Comme l’écrit Max Milner, « l’effet des analogies “horizontales” est à la fois brouillé et magnifié par les analogies “verticales”[40].» Même si Van Campen et Duffy, considèrent à la lecture des Paradis artificiels que Baudelaire aurait bien expérimenté la synesthésie induite par le haschich[41], les témoignages de Gautier et de Baudelaire sur les effets du haschich, et notamment les effets synesthésiques et en fait hyperesthétiques sont déjà des interprétations littéraires.
Dans la culture française, deux autres textes sont devenus des références internationales de la pseudosynesthésie, le poème de Rimbaud Voyelles de 1871et A rebours de Huysmans de 1884. Le personnage principal, le duc des Esseintes invente un instrument musical appellé orgue à bouche qui provoque des correspondances entre saveurs de liqueurs et des sons d’insturments.Mais c’est toute l’époque symboliste (1883-1896) qui fait de la pseudosynesthésie un élément prédominant de sa poétique. Les études récentes de Bobillot ont sorti de l’oubli dans lequel il semblait être tombé, le Traité du verbe de René Ghil de 1886 qui instaure un système de synesthésies verbales fondé sur la Théorie physiologique de la Musique de Hermann von Helmholtz traduite en français en 1868. Les analogies entre son et couleur entrent dans une métaphysique de la totalité cosmique, unissant la matière et l’esprit.
chaque timbre de la langue est censé correspondre à celui d’un instrument de musique ainsi qu’à une nuance psychologique et, par syncrétisme, à une couleur (contrairement à une idée reçue, selon laquelle toute la théorie ghilienne se résumerait à l’« audition colorée ») ; et c’est à l’aide de ces timbres, combinés entre eux mais également au sémantisme des mots où ils apparaissent, que le poète, comme le musicien avec les notes de la gamme, doit composer : on mesure l’énormité de la tâche. Ce mode de composition sémio-acoustique se combine avec une conception originale du « Rythme-évoluant » qui, s’il conserve le syllabisme, ignore en principe les données de la métrique traditionnelle au profit de modes de scansion visant à créer harmonies et discordances, et à figurer, à rendre sensible à la lecture le Rythme même de l’univers — de cette Matière en perpétuelle et elliptique Évolution, dont le poème comme le poète eux-mêmes participent, par la matérialité phonique du langage qu’ils mobilisent ainsi, à plein.[42]
C’est à la fin du XIXe et début du XXe siècle, à l’époque du symbolisme, du Gesamtkunstwerk et des courants théososophiques et mystiques, que l’on trouve des musiciens hantés par le lien entre musique et couleurs et qui ont souvent été considérés comme des synesthètes véritables : Scriabine, Rimski-Korsakov, Chiurlionis. L’une des conséquences de la nouvelle science synesthésique fut la relecture des cas supposés de synesthésie chez les écrivains et les artistes, peintres ou musiciens. Il existe une tendance annexionniste qui voudrait démontrer que certains artistes ont été de réels synesthètes, en déduisant de leur intérêt pour les systèmes synesthésiques une projection de leur secréte condition. Mais dans la suite d’articles souvent opposés, publiés dans les dernières quinze années, l’on constate aussi une mise en doute systématique de la condition synesthésique traditionnellement attribuée à ces musiciens, auquel il est possible de lier aussi le cas du peintre Kandinsky. Van Campen étudiant l’expérimentation artistique sur la synesthésie à la fin du XIXe et début du XXe ne fait aucune référence à une possible synesthésie réelle de la part de ces artistes. Il est clair pour lui qu’il s’agit d’expérimentations comme celle du Blaue Reiter et non pas de transposition de cas personnels[43].Scriabine qui a longtemps passé pour le modèle du musicien synesthète fait l’objet de lectures opposées. Il semblerait que l’on ait confondu son intérêt passionné pour la relation entre son et lumière, relation qu’il partageait avec son époque et beaucoup d’autres artistes, peintres et musiciens, avec une capacité synesthésique neuronale. L’union du son et de la lumière est l’un des thèmes obsédants de son l’œuvre, aussi bien dans ses écrits musicaux et théoriques que par ses essais de mise en pratique. Avec son Prométheus : Poème de feu,il voulut réaliser une œuvre à la fois musicale et visuelle, inventant un clavier à lumières qui n’a pas fonctionné lors du concert de Moscou de 1911. Lors de la première à New York quelques semaines avant sa mort en 1915, un autre instrument électrique fut utilisé, le chromola qui projetait douze couleurs différentes sur un écran et sur les spectateurs tous habillés en blanc. La représentation n’eut aucun succés. La création selon le projet du compositeur, sera redonnée seulement en 1975 avec l’Orchestre symphonique de l’Université d’Iowa et un appareil laser. Scriabine est considéré comme l’un des inventeurs de ce courant aujourd’hui si important de la musique visuelle. Le projet suivant laissé inachevé, intitulé Le mystère dont seule la partie L’acte préalable est jouée devait fusionner les arts, musique, danse, poésie, arts visuels. architecture intérieureet extérieure et se donner en Inde. Le Mystère montre une inspiration liée au Gesamtkunstwerk, au symbolisme et aux mouvement théosophiques et mystiques. Pour la représentation de L’acte préalable à Paris, Denis Steinmetz remarquait dans sa présentation :
Cette scénographie lumineuse abstraite lui a peut-être été inspirée par la mise en scène de Vsevolod Meyerhold de la pièce symboliste de Leonid Andreev La Vie de l’homme. Mais la complexité de sa vision synesthésique ne pouvait être rendue par cet instrument encore rudimentaire : comment en effet diffuser une couleur« blanche pointue », comme il l’indique dans un manuscrit ? Notre technologie et les recherches de Håkon Austbø permettent aujourd’hui de se faire une bonne idée de ce que Scriabine voulait. Mais que dire de l’orgue à parfums, qu’il comptait employer pour son Acte préalable, idée puisée sans doute chez Huysmans, dont À rebours influença tant les symbolistes russes, et qui n’a jamais trouvé de réalisation satisfaisante ? [44]
Mais un tel intérêt lié au Zeitgeist de l’époque ne signifie en rien qu’il ait eu une compétence synesthète, comme le font remarquer deux auteurs russes B.Galeyev et I.Vanechkina qui déconstruisent la croyance dans une synesthésie réelle chez Scriabine[45]. Les deux spécialistes russes concluent  aussi que ni Rimski-Korsakov, ni Chiurlionis, ni Kandinsky, auteur d’un système personnel complexe de correspondances entre les couleurs et les timbres d’instruments, n’étaient des synesthètes au sens clinique du terme[46]. Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives.

Carol Steen Colored Bronze Shape
2004, Polychromed Bronze, 6-3/8 x 2 x 2 inches,  Maquette
The shapes I see are in color, but for many years I avoided painting my sculptures, for 2 reasons: I had been taught that sculpture should not be painted – so I had to break that rule; and the colors of the seen shapes often do not share compatible colors, so I had to find ways to work with that challenge as well.
II. Récits autobiographiques à l’âge neurologique de la synesthésie
 
1. La révolution culturelle
Si le nouveau savoir sur la synesthésie est lié à la révolution cognitive et neuroscientifique, cette révolution scientifique à son tour a provoqué une révolution culturelle. En témoigne le succès du livre de Cytowic qui contribua non seulement à faire connaître les nouvelles découvertes à un large public mais eut un effet sur les synesthètes eux-mêmes. Beaucoup d’entre eux ignoraient jusqu’au nom donné à leur cas et la lecture du livre ou des articles qui en parlaient fut souvent vécu comme une révélation. La diffusion de la nouvelle connaissance abondamment relayée par les media et le réseau internet allait en effet avoir un effet essentiel sur les vies des synesthètes. En 2001, la peintre américaine Carol Steen écrivait dans la revue Leonardo un article qui allait faire date, à la fois récit autobiographique détaillé sur sa synesthésie et analyses du rapport entre ses oeuvres picturales et sa condition. En 2002, alors qu’Harrison publiait son Synaesthesia: The Strangest Thing[47], Patricia Lynne Duffy, professeur d’anglais à l’ONU à New York  et synesthète proche de Carol Steen, publiait un livre à succès, Blue Cats and Chartreuse Kittens, How synesthetes color their worlds. Ce livre incluait récit autobiographique et considérations sur l’état de la science et de l’art sur la synesthésie. Ces deux femmes qui jouent un rôle important dans la diffusion du nouveau savoir et des nouveaux comportements vis à vis de la synesthésie incarnent une tendance nouvelle, celle de l’activisme culturel dans le domaine de la synesthésie. Elles créèrent The American Synesthesia Association dès 1995 qui organise chaque année un important colloque. La révolution culturelle de la synesthésie était en marche et caractérise la première décennie du siècle avec le changement d’attitudes des synesthètes envers leur condition qui restait la plupart du temps un secret intime ou de famille.
La renaissance scientifique s’est accompagnée d’une révolution de la parole et des comportements. Les synesthètes ont commencé à témoigner, à se rencontrer[48]. Un activisme culturel s’est développé avec la création d’associations, de colloques, congrés, expositions, blogs et chats sur le net. Les synesthètes ont publié des textes autobiographiques et la condition synesthésique est devenue un thème de fiction écrite par des auteurs qui sont rarement synesthètes. La révolution dans les relations entre littérature et synesthésie a consisté dans la publication par des synesthètes de leurs récits autobiographiques au sujet de leur perception intermodale personnelle, témoignages de l’intérieur. Cette transformation est liée à la fin de la pratique de secret personnel et d’isolation. Carol Steen commence son portrait autobiographique dans Leonardo par :«I have been an artist since the late 1960s. For many years I did not disclose or recognize much about the source of the subject matter of my paintings and sculpture. When I was younger I had reservations about letting other people know about my synesthesia because I had no information about it[49].» La reconnaissance scientifique du phénomène et sa divulgation sous la forme de la vulgarisation a libéré de la pratique du secret. Daniel Tammett est un autiste de type Asperger qui est aussi synesthète et mnémoniste. Son livre autobiographique constitue un document important, pour la première fois l’autisme était décrit de l’intérieur. Le livre de Daniel Tammett s’intitule Born on a Blue Day qui fait référence à l’un des types de synesthésie qu’il posséde, celui de l’association entre couleurs et jours de la semaine[50]. Ses perceptions synesthésiques s’étendent particulièrement aux nombres qu’il perçoit avec des formes, des textures et des mouvements. Daniel Tammett fait partie de cette tendance From Inside, de la représentation de désordres neuropsychologiques par des artistes qui les connaissent ou les subissent. Jennifer Hall, une artiste américaine épileptique, a regroupé ainsi en 1992 des oeuvres de peintres épileptiques montrant les effets de l’épilepsie sur eux-mêmes, essayant de rendre compte de l’épilepsie de l’intérieur. Des artistes ayant une pathologie neurologique, de la migraine à aura, en passant par l’épilepsie, l’autisme, jusqu’aux maladies dégénératives comme l’Alzheimer et certains types de démence ont témoigné de leur situation, ont présenté des œuvres liées à leur condition, certains collaborant avec des scientifiques[51]. Le développemement du témoignage autobiographique de la synesthésie a été largement amplifié par des blogs et des sites sur l’internet. Une des caractéristiques de la Renaissance synesthésique est cette pratique tout à fait nouvelle d’exposition publique de leur condition par les synesthètes. En moins de quinze ans, nous sommes passés du secret de famille et de laboratoire, du climat de suspicion des scientifiques à une exposition libre et revendiquée sur l’internet, à la création mondiale de réseaux de synesthètes. Révolution totale.
 
2. Particularités de l’autobiographie de synesthètes

Le psychologue russe Alexander Luria décrivait dans son livre paru en 1968, The mind of a Mnemonist, non seulement l’extraordinaire technique de mémorisation de son patient mais aussi la synesthésie de celui-ci. Le style d’écriture utilisé par Luria pour rendre compte d’un cas médical allait faire école puisqu’il sert de modèle pour les présentations d’Oliver Sack et pour celles de Cytowic dans The man who Tasted Shapes. Le livre de Luria sert aussi de point de départ pour un livre de fiction récent, The Memory Artists du canadien Jeffrey Moore en 2007. Pendant ses recherches sur la maladie d’Alzheimer à fin d’écrire un roman sur cette maladie, le romancier découvre le livre de Luria. Sa lecture va transformer son projet initial et il invente un personnage principal sur le modèle du patient de Luria, le thème originel de l’alzheimer étant relégué au second plan.

 The inspiration came from A.R. Luria’s The Mind of a Mnemonist, which describes Sheresheveskii’s colored hearing and, more interesting to me, his difficulties in understanding and adapting to the world around him. From there, I tried to imagine what it would be like to meet people and be distracted by the colors and shapes of their voices.[52]
Dans le texte de Luria comme encore dans le texte de Cytowic, la voix du synesthète apparaissait mais sous la forme de citations, ce n’était pas encore un point de vue à partir de l’intérieur. Existait déjà un récit autobiographique de synesthète : le deuxième chapitre de Speak Memory de Vladimir Nabokov, livre publié en 1947, est consacré à une confession sur sa condition.
I present a fine case of colored hearing. Perhaps “hearing” is not quite accurate, since the color sensation seems to be produced by the very act of my orality forming a given letter while I imagine its outline. […] The confessions of a synesthete must sound pretentious to those who are protected from such leakings and drafts by more solid walls than mine are. [53]
 Cette confession, pour reprendre l’expression de Nabokov, contient la description d’une synesthésie classique, celle des lettres colorées. Une lettre peut provoquer une association de couleur, qui varie suivant les trois alphabets qu’il maîtrise couramment, anglais, français, russe. Son récit autobiographique présente une singularité : deux des plus importants épisodes de toute confession de synesthète sont vécus en même temps : le jour où dans sa septième année il découvre sa différence, il découvre en même temps que sa mère est également synesthète et de plus grande amplitude, car elle possédait aussi l’audition colorée[54].  Nabokov a utilisé son expérience personnelle de la synesthésie dans une fiction, The Gift. Le récit autobiographique sur sa synesthésie était le fait d’un écrivain qui accordait une importance modérée à ce phénomène[55]. Avec la Renaissance synesthésique deux récits autobiographiques importants et pionniers ont été écrits. Il s’agit de Blue cats and Chartreuse kittens en 2002 de Patricia Lynne Duffy et l’article du peintre Carol Steen intitulé “Vision Shared: A First Hand Look into Synesthesia and Art” publié par la revue de référence spécialisée dans les relations entre arts et sciences, Leonardo en 2001. Blue cats inclut différents types de discours, un récit autobiographique, peut-être le modèle par excellence de l’autobiographie, une présentation d’autres synesthètes, tous artistes ou intellectuels, parmi eux, son amie Carol Steen, une présentation des nouvelles théories sur la synesthésie. Ces deux textes autobiographiques par Lynne et Steen ont été complétés par de nombreux articles, interviews, conférences. Les récits autobiographiques de Duffy et Steen sont exemplaires du genre de l’autobiographie synesthésique, dans la mesure où ils définissent les séquences typiques et obligées qui interviennent dans la vie d’un synesthète. La première de ces étapes est la découverte de sa propre différence en réalisant que les autres n’ont pas la même aptitude, étape qui a lieu généralement pendant l’enfance. La deuxième séquence est la pratique du secret après une expérience traumatique pendant laquelle sa différence est niée et moquée. Cet épisode pourrait diminuer dans les prochaines années quand la société et le système éducatif auront pris pleinement connaissance du phénomène. Autre épisode : la découverte d’autres synesthètes, généralement des membres de sa propre famille. La découverte d’informations sur sa condition est vécue comme un soulagement, une vraie libération et maintenant s’ajoute l’étape finale de la communication. Les fictions neurologiques sur la synesthésie reprennent toutes ces séquences.
La reconnaissance de sa propre différence est le premier stade et l’épisode central de tout récit autobiographique de synesthète. Le Blue cats de Lynne Duffy commence par : « I was sixteen when I found out.»En même temps que l’enfant ou l’adolescent découvre sa singularité, il ou elle réalise que les autres voient le monde de manière différente, ce qui constitue une surprise gignatesque. Ce moment de prise de conscience peut être traumatisant, a reconnu la neurologie, Cytowic écrit : « As children, synesthetes are surprised to discover that others are not like them. Often ridiculed and disbelieved, they keep their atypical perceptions private[56].» Ainsi dans le cas de Carol Steen : «   I was walking home from school with a classmate, and I said to her, « The letter A is the prettiest pink! » But she told me, « You’re weird. » And I thought, « Well, I won’t tell you what B looks like. » It silenced me[57]. » Le récit synesthésique s’apparente ainsi fréquemment à celui d’un traumatisme. Le roman neurologique intitulé, A Mango Shaped Space, commence au moment où le personnage, une petite fille de huit ans, est ridiculisée devant sa classe au moment où elle est forcée de constater qu’elle est différente. Convoquée au tableau, elle utilise naturellement pour elle des craies de couleur qui correspondent aux associations qu’elle a toujours fait entre nombre et couleur. «I stood with my arms at my sides, sleeves hanging halfway to my knees. Was I the only one who lived in a world full of color?[58]»Cet acte lui attire la moquerie générale mais aussi une punition sévère de la part du professeur, une mise en garde pour indiscipline de la part de l’institution scolaire et de ses parents. Devant le directeur et ses parents ligués, elle est obligée de dénier la raison de son comportement et finit par choisir de mentir en faisant croire qu’effectivement elle n’avait fait que s’amuser. L’ère du grand secret commence. «Even at eight years old, I was smart enough to realize that something was very wrong and that until I figured out what it was, I’d better not get myself in deeper trouble. […] I learned to guard my secret well[59]. » Reconnaître sa différence et préférer en garder le secret constitue l’initiation brutale et traumatique à l’existence synesthésique. Même si la synesthésie ne constitue pas un handicap neurologique ou cognitif, elle a été le plus souvent vécue comme une souffrance psychologique dans une société qui ne croyait pas à la réalité du phénomène. Le secret est l’un des thèmes essentiels du récit synesthésique. Patricia Lynne Duffy, écrivant sur Carol Steen: «Although she is comitted to expressing them now, Carol spent most of her life keeping silent about her synesthetic perceptions, as many synesthetes do[60]. » 
 La découverte qu’un autre membre de la famille partage la même condition et le même secret est un autre moment obligé de l’initiation synesthésique, étant donné que le phénomène est lié à une proche hérédité. Carol Steen raconte comment elle s’est aperçue que son père partageait la même condition mais cette complicité reste tacite entre les deux et secréte par rapport aux autres membres de la famille. Le fait que son père fut toujours extrêmement réticent à parler de sa synesthésie était caractéristique de sa génération, écrit-elle. « Once, when I was 20, I was back from school and having dinner with my family. I was talking to my father, and for some reason, I announced, « The number 5 is yellow. » He said, « No, it’s more like yellow ochre. » My mother and brother looked puzzled, but I realized I wasn’t alone[61]. »
Un autre moment crucial dans les textes autobiographiques réside encore dans une découverte, celle où le synesthète apprend la réalité de son cas, apprend à nommer le phénomène, ce qui est vécu comme un énorme soulagement. Pour Lynne Duffy comme pour Carol Steen, cette information fut le résultat du hasard. Patricia appelle ce moment « a personal epiphany»[62]. Elle était dans le salon d’attente de son dentiste et prit sur la table un numéro de Psychology Today, qui avait en couverture: «Can You Hear and Taste in Color Synesthesia? » L’article était écrit par Lawrence Marks, auteur de The unity of the senses: Interrelations among the modalities. Carol Steen elle aussi a relaté les circonstances de son moment d’épiphanie, qui lui a apporté sa libération, – écrit-elle : « it gave me my freedom»- en écoutant par hasard un programme radio dans lequel le neurologue Cytowic parlait de la synesthésie. Comme elle l’indique, elle ne savait rien de ce phénomène qu’elle gardait secret tout en l’utilisant dans son œuvre de peintre. C’est une révélation qui bouleverse le cours de son existence. « In 1993, I heard a Washington, D.C., neurologist, Richard E. Cytowic, interviewed on National Public Radio. This was the first time in my life that I had really learned anything about synesthesia[63]. » Dans le roman neurologique, A Mango–Shaped Space, le personnage est informé de son cas lors d’un examen médical qu’elle doit passer, puisque ses parents pensent qu’elle a sans doute une tumeur cancéreuse au cerveau. Le docteur conclut: «You don’t have a disease. You don’t even have a problem, exactly. What you have, […] is a condition that is harmless. It’s called synesthesia[64]. » Autre épisode propre à la vie du synesthète, celui de la relation avec d’autres synesthètes et la découverte également étonnante que les autres synesthètes ne font pas les mêmes associations. Comparer ses associations et son type de synesthésie est un thème essentiel de discussion entre synesthètes. Lynne Duffy résume ses discussions par ce commentaire emblématique: «Yes I see what you see even if you see it in the wrong colour[65]. »

Bien entendu la description de ses perceptions synesthésiques va constituer un moment obligé universel. Dans son récit autobiographique paru dans Leonardo, Carol Steen a brillamment décrit cet univers caché des perceptions synesthésiques. Elle énumère les diverses formes de synesthésie qui l’atteignent et analysent comment elle en rend compte par la peinture et la sculpture, puisqu’elle a développé un art inspiré par la synesthésie. Le début du texte possède un ton solennel, l’artiste est consciente à la fois de l’aspect thérapeutique pour elle de cette confession et à la fois de son aspect pionnier. Elle sait qu’elle parle au nom d’autres qui continuent à cacher leur condition.

 In writing this paper now, I seek personal liberation. I no longer wish to conceal my abilities, my areas of experience, my vocabulary of colors and shapes and what I have observed to be their triggers. Even though a tremendous amount of scientific knowledge remains to be obtained, I hope what I share here will be of use to those synesthetes who have remained silent, unaware that others share their perceptions; to those who studying synesthesia as a perceptual phenomenon. [66]

 L’œuvre de l’artiste synesthète contemporain est accompagnée d’un commentaire qui décrit les circonstances dans lesquelles l’œuvre a été faite, comment la vision a été enclenchée. C’est le cas chez la plasticienne Carol Steen, également chez la photographe Marcia Smilack qui possède une synesthésie rare puisque réversible. Marcia Smilack transforme les sons en images puis a découvert plus tard qu’elle pouvait aussi transformer les images en son. « I hear with my eyes and see with my ears[67]. ». Marcia Smilack s’est aussi livré sur son site à des considérations autobiographiques dans lesquelles l’on retrouve les mêmes séquences que chez Duffy ou Carol Steen, à la différence que cette fois, c’est … Carol Steen qui va tenir ce rôle de révélation que Cytowic avait joué justement pour Carol Steen. Marcia Smilack rappelle que la synesthésie commença avec le piano : la première note qu’elle joua  était verte ! Elle en garda le secret car, dit-elle, le phénomène du déclenchement de couleurs par un son n’était jamais parvenu à sa pleine conscience. Et c’est seulement lorsqu’elle est adulte qu’elle se rend compte que le déclenchement couleur son est dans les deux sens, cas rare d’une synesthésie réversible. « I was twenty-five years old before I heard that word or understood that everyone does not perceive the world as I do : I hear with my eyes and see with my ears[68]. » Lorsqu’à ce même âge, par hasard, une étudiante en psychologie lui dit qu’elle a peut-être une synesthésie, son intérêt sera encore de courte durée. Elle regarde la signification du mot qu’elle n’avait jamais entendu dans un dictionnaire médical et qu’elle trouve entre seizure (crise épileptique) et syphilis et sa curiosité s’éteint dans une sorte de déni. Mais c’est à ce moment donc tardif qu’elle prend conscience que sa perception est différente de celle des autres. Pourtant c’est seulement en 1999 qu’elle prend pleinement conscience de son cas et grâce justement à Carol Steen :

Then in 1999, I picked up a New York Times and read an interview with Carol Steen, a synesthete and artist in New York City. She put into words what I had known but had never said to anyone, not even to myself. The article included her e-mail address. I sent a message with the header: « I hear with my eyes. »She answered right away. “Welcome to the club, you’re in great company”[69].

Carol Steen ZigZag

1996, Huile sur papier, 12 ¼ x 10 inches

When I was first trying to understand how to use my synesthetic visions in my work I explored ways of working with the lines I saw, the moving color fields, and, in this case, a zigzag that was so prominent in one particular photism. The trigger for this painting came from a very intense acupuncture session one day.
 
3. La Renaissance synesthésique et la fiction littéraire
 Avec la transformation de son statut la synesthésie est devenue un thème de littérature contemporaine dans le sillage des neuronovels. Une quinzaine de romans, depuis le début de ce siècle, informés des découvertes neuropsychologiques mettent en scène des personnages synesthètes comme A Rhinestone Button by Gail Anderson-Dargatz, Astonishing Splashes of Colour de Clare Morrall, A Mango-Shaped Space de Wendy Mass, Mondays Are Red de Nicola Morgan, Painting Ruby Tuesday de Jane Yarley, The Memory Artists deJeffrey S. Moore, The sound of the Blue de Holly Payne, Miracle Myx de Dave Diotaveli, The Fallen de T.J. Parker[70].Ils ont obtenu en général un succès marqué, même s’ils sont pour la plupart des œuvres sans grande valeur littéraire. Aucun des auteurs n’est synesthète, à part Jane Yardley. Les auteurs sont en majorité des femmes anglo-saxonnes, anglaises ou nord-américaines.La plupart des romans à thème et personnages synesthésiques utilise la trame du genre policier, fantastique ou d’aventure. Ces récits faits par des écrivains qui ne sont pas synesthètes eux-mêmes font entrer la synesthésie dans la littérature de masse, ils diffusent ainsi dans un large public un savoir vulgarisé, mettant en fiction le nouveau phénomène. Certains comme The Memory Artists et A Mango-Shaped Space de Wendy Mass en 2003 appartiennent pleinement au nouveau courant du roman neurologique, ou neuroroman, encore que Wendy Mass née en 1967 se soit spécialisée dans la littérature pour adolescents. Une mention spéciale doit être faite à A Mango-Shaped Space qui constitueun récit de fiction totalement consacré au phénomène de la synesthésie, se fondant sur les études scientifiques mais aussi sur les récits autobiographiques de synesthètes. A Mango-Shaped Space est un succès de librairie, qui a gagné un prix littéraire[71] en 2004. Le récit présente sous la forme de la fiction les différentes étapes décrites dans les autobiographies jusqu’à la discussion de groupe et les échanges sur l’internet. Dans sa recherche d’informations sur l’internet, la jeune protagoniste synesthète découvre le site de Carole Steen: « I read an article about a woman who says she goes to an acupuncture clinic because when the needles go in, amazing colors and shapes appear in front of her face[72]. » Mondays are red, au titre emblématique d’un type de synesthésie, relève du genre fantastique. Le personnage principal devient synesthète après un accident neurologique, un coma provoqué par une méningite. Outre la synesthésie accidentelle, l’un des cas de synesthésie énuméré par Cohen Baron, le jeune adolescent souffre de manière inquiétante de troubles de la personnalité avec la création hallucinatoire d’un double démoniaque. Le récit combine ainsi différents genres: le neuroman, le roman fantastique et d’horreur. La nouvelle perception synesthésique est d’abord vécue dans l’épouvante par le personnage comme une forme d’hallucination : « What was happening to me? Why, when I saw things through the screen, did I see them in forms that could not be real, and yet that felt more real, more true than anything else?[73]» Dans Astonishing splashes of Colour, la synesthésie est utilisée comme un des aspects de la personnalité névrotique du personnage principal dans un récit où le secret de famille, encore un autre secret, constitue la trame essentielle. Dans The sound of the blue d’Holly Paine, la synesthésie est une caractéristique d’un musicien durant la guerre en Yougoslavie. Le musicien, à la fois synesthète et épileptique, relève ici de l’archétype de l’artiste maudit[74].
Lynne Duffy a proposé une typologie qui ne tient pas compte du genre romanesque mais de l’image du personnage synesthète dans la fiction contemporaine qu’elle répartit en quatre catégories dans une conférence de 2006 sous le titre « Images of Synesthetes in Fiction » : la synesthésie comme idéal romantique, la synesthésie comme pathologie, la synesthésie comme romantique pathologie et la synesthésie comme marque de force et d’équilibre. Elle donne un exemple pour chacune des catégories. Ainsi pour la synesthésie comme idéal romantique, le personnage principal du Gift de Nabokov, Fyodor : le jeune poète russe utilise sa synesthésie dans des expériences esthétiques personnelles proches du symbolisme. Dans la catégorie synesthésie comme pathologie elle prend l’example du roman The Whole World Over de Julien Glass. Le personnage synesthète l’est devenu suivant la catégorie II de Cohen Baron, c’est-à-dire de manière accidentelle, en l’occurence un trauma cérébral dû à un accident. La nouvelle perception est vécue comme une étrange intrusion. Le personnage de Monday in red, synesthète après une méningite pourrait entrer dans cette catégorie. Pour la synesthésie comme pathologie romantique, elle prend l’exemple du personnage de The Sound of Blue d’Holly Paine, un musicien avec l’audition colorée et qui souffre aussi de crises d’épilepsie. Dans cette catégorie, la synesthésie est présentée comme une pathologie glorieuse. Mais l’archétype du personnage semble bien celui de l’artiste maudit tel qu’il existait au temps du symbolisme. La dernière catégorie de Linn Duffy met en scène des personnages pour lesquels la synesthésie représente une force et un équilibre. Dans la fiction, les personnages perdent pour un temps leur possibilité intermodale en raison d’un trauma psychologique, cette perte est vécue dramatiquement et le retour à la perception synesthésique après avoir surpassé l’épisode traumatisant comme une libération et un retour à la santé. L’exemple pourrait être trouvé dans A Mango-Shaped Space.

De tous les auteurs de ces romans, seule Jane Yardley, dont le premier livre s’intitule Painting Ruby Tuesday en 2003 est synesthète. Si sa propre synesthésie est à l’origine du roman, les suivants n’ont plus exploité ce thème. Cette spécialiste anglaise de l’industrie pharmaceutique dit avoir écrit ce livre dans les avions mais le monde qu’elle met en scène est plus étroit, celui d’un village de l’Essex dans un roman qui relève du genre policier et du genre humoristique. Le livre est d’ailleurs présenté par sa maison d’édition comme un « comic novel ». Le personnage est une femme synesthète à deux moments de sa vie, d’abord comme une jeune fille de dix ans dans un village de l’Essex, semblable à celui que l’auteur a connu dans sa jeunesse. Dans un long interview, elle explique sa synesthésie et dans cette confession, l’on retrouve certains épisodes obligés. Le personnage de la petite fille synesthésique dans ce village de l’Essex est une évidente projection personnelle, elle-même a vécu en gardant pour elle ce secret trop étrange pour ce lieu et sa société. Ainsi la prise de connaissance de sa condition :

I first heard the word synesthesia driving round the North Circular about ten years ago”. Jane says. “There was something on Radio 4, and I didn’t even know how you would spell it. I’d never heard it being scientifically investigated before, and it was very peculiar. They were using the term ‘these people’ and I’d never benn ‘these people’ before. They said: “Of course, the first thing we have to do is check that these people are not just making it up” [75].

Carol Steen Kondo’s Trumpet
2010, Huile sur papier, 30 x 22 ½ inches
   
When I work from sound I chose what instruments I want to paint. I get my colors and shapes from the timbre of the instrument more than from the individual note. « Kondo’s Trumpet » was made when I listened to a 15 second sound clip taken from a much longer piece of music. The red in this painting was the sound of Toshinori Kondo’s trumpet.
 
 
III. Représenter plastiquement ses sensations synesthésiques
 
1. Les formes constantes de Klüver
Cytowic le souligne, ce que voient les synesthètes n’est pas une image élaborée mais tout au contrairedes formes et des couleurs non élaborées : « des tâches, lignes, des spirales, des formes en treillis[76]. » La formulation de Cytowic reprend à dessein les catégories de Klüver. Dans L’homme qui goûtait les formes en 1993 l’auteur fait resurgir une étude des années vingt qui s’est révélée d’une extraordinaire pertinence, non seulement pour décrire et les formes colorées que les synesthètes visuels perçoivent dans le champ visuel ou les yeux fermés mais en fait toutes les formes hallucinatoires. Il s’agissait des travaux de Heinrich Klüver (1897-1979), un psychologue allemand de Chicago naturalisé américain. Il a laissé son nom à un syndrome neuropsychologique, le syndrôme de Klüver-Bucy qu’il avait découvert avec un neurochirurgien Paul Bucy, mais il est aussi passé dans l’histoire pour d’autres raisons.  Si Michaux est devenu le nouveau Théophile Gautier du haschich et de la mescaline, Klüver, dès les années vingt, psychonaute scientifique, faisaient sur lui-même, sur des volontaires et sur des singes des expériences avec la mescaline. Dans l’utilisation des singes à des fins d’expérimentation neurologique, -lobotomies particulièrement- il fut aussi un pionnier. Le résultat de ces expériences fut en 1926 l’idée que le cerveau produisait dans les hallucinations des formes géométriques en quantité limitées, des formes constantes que Klüver a répertoriées. Le cerveau produirait quatre sortes de formes géométriques : I les tunnels, II les spirales, III les grillages (lattices) – qui incluent aussi les nids d’abeille, les damiers et les triangles-, IV les toiles d’araignée.
Ces quatre type de formes appelées les Form Constant de Klüver sont les matrices des images géométriques plus élaborées produites par le cerveau présentées plus bas. L’image I a pour forme constante matricielle le tunnel. L’image II a pour forme constante matricielle la spirale. L’image III a pour forme constante matricielle les grilles. L’image IV a pour forme constante matricielle la toile d’araignée.

Ces formes constantes se sont révélées être non seulement celles des hallucinations naturelles ou induites, mais celles des visions des synesthètes. Elles sont repérables dans les migraines ophtalmiques, dans l’hypnagogie, l’épilepsie, les expériences de mort imminente, les délires, les hallucinations liées à la prise de psychotropes dont bien entendu le LSD. Ces formes peuvent apparaître sous la forme plus connue des phosphèmes quand les yeux sont fermés et que l’on exerce une pression sur la paupière. Or cette théorie des années vingt a été confirmée plus récemment par d’autres études. En 1979, Jack Cowan and G. Bard Ermentrout dans un article intitulé « A mathematical theory of visual hallucination patterns » ont apporté une explication neurologique et mathématique de ces effets visuels[77]. Ces formes hallucinatoires sont créées dans le cortex visuel ( aire VI) et leur géométrie dépendent de l’architecture et de la carte rétino-corticale de cette même aire VI. En 2002, un nouvel article continuait à développer l’étude mathématiques des formes des hallucinations «What Geometric Visual Hallucinations Tell Us About the Visual Cortex [78]
[78]. L’ensemble des formes repérées par Klüver avait attiré l’attention de Cytowic qui les reproduit dans son livre et, par ce biais, les constantes de Klüver ont fasciné Carol Steen[79]qui reconnaissait en elles un lexique des formes qu’elle percevait. Le cataloguede l’exposition Synesthesia : Art and the mind rend un hommage à Klüver. Carol Steen constate chez les synesthètes et chez les peintres synesthètes la vision de formes communes constantes et elle observe la pertinence des analyses de Klüver concernant l’existence de formes que le cerveau crée en quantités limitées, petites figures circulaires, larges figures irradiantes, figures paralllèles, treillis, duplications bilatérales, rotations, lignes ondulées, tâches amorphes, lignes brisées.
 
Tableau des formes constantes répertoriées par Heinrich Klüver
 
    
2. Carol Steen et la représentation de l’intérieur
Avec Carol Steen, pour la première fois, nous pouvons assister « de l’intérieur » au processus de création visuelle de la part d’un artiste synesthète. Sa libération à la suite de la révélation de sa condition l’amène à développer un œuvre tournée vers l’expression des phénomènes synesthésiques. Ce nouveau projet esthétique est donc de représenter la vision qu’elle reçoit à partir de l’excitation d’un autre sens, et dans son cas de plusieurs sens. En fait, dans les années vingt le psychologue allemand Georg Anschütz avait travaillé avec des peintres synesthètes comme Max Gehlsen et Heinrich Hein mais leurs collaborations restèrent confinées au monde des laboratoires. En 2001 dans la revue Leonardo qui a joué un rôle important dans la diffusion du nouveau savoir, Carol Steen écrivait un article qui a fait date décrivant son cas, celui d’une plasticienne synesthète. Le ton solennel du début de l’article montrait bien la conscience que l’auteur avait de l’aspect novateur de son attitude :
I have been an artist since the late 1960s. For many years I did not disclose or recognize much about the source of the subject matter of my paintings and sculpture. When I was younger I had reservations about letting other people know about my synesthesia because I had no information about it. I did not discover the word until I was in my thirties and knew of no scientific studies that could provide reassurance. In writing this paper now, I seek personal liberation. I no longer wish to conceal my abilities, my areas of experience, my vocabulary of colors and shapes and what I have observed to be their triggers. Even though a tremendous amount of scientific knowledge remains to be obtained, I hope what I share here will be of use to those synesthetes who have remained silent, unaware that others share their perceptions; to those who studying synesthesia as a perceptual phenomenon; and to those who wish to begin a serious study of the commonalities in synesthetically created artworks.[80]
Carol Steen s’est exprimée de manière détaillée sur la manière dont elle travaille avec sa synesthésie, à partir de l’article de Leonardo de 2001, puis dans la revue Australian Art Review de juillet-octobre 2006, et dans le catalogue Synaesthesia : Art and the Mind de 2008. Il existe deux grandes périodes dans sa vie d’artiste et qui sont liées à sa relation avec la synesthésie. Dans un premier temps celle-ci reste cachée ou enfouie. La révélation en écoutant Cytowic en 1993 va radicalement changer sa vie et son oeuvre. Elle prend pleinement conscience de son rapport ambigu à un phénomène qui la dépassait, qu’elle ne pouvait nommer, qu’elle utilisait ou évitait dans l’acte de peindre sans en avoir une conscience nette. Une deuxième période peut commencer où après avoir revisité son oeuvre elle fait de la synesthésie et de sa représentation visuelle et plastique – un certain nombre de travaux sont des sculptures- l’objectif de son travail. « I had always used it in creating my work, but did not fully understand that I was doing so. Since hearing Cytowic on the radio, I have revisited my past works to detect when I first drew upon my synesthetic abilities and have concluded that I always either used them or chose to avoid them[81].» En 1996, elle peint pour la première fois une toile dont le sujet est une représentation de sa vision synesthésique. Le parcours de Carol Steen est d’être passé d’une utilisation souterraine ou cachée des photismes à une représentation délibérée et officielle de ceux-ci. Cette toile représentée ici qui s’appelle Vision représente la ou les visions que Carol Steen a reçues pendant un traitement d’acupuncture. Les travaux de synesthètes qui visent à représenter leur vision intérieure sont souvent accompagnées d’un commentaire explicatif. Ainsi pour Vision.
 
 

                                                                
Carol Steen, Vision
1996, huile sur papier, 39 x 31cm.
The first painting in which I consciously recorded a photism that I saw during an acupuncture session, called Vision was created in 1996. I was lying flat on my back and stuck full of needles. My eyes were shut and I watched intently, as I always do, hoping to see something magical, which does not always occur. Some visions are just not interesting or beautiful. Lying there, I watched the black background become pierced by a bright red color that began to form in the middle of the rich velvet blackness. The red began as a small dot of color and grew quite large rather quickly, chasing much of the blackness away. I saw green shapes appear in the midst of the red color and move around the red and black fields. This was the first vision that I painted exactly as I saw it.[82]
Les capacités synesthésiques de Carol Steen sont multiples. Si l’association son- couleur est dominante, elle perçoit aussi des associations toucher-couleur en particulier dans une acupuncture, mais c’est en fait tous ses sens qui peuvent à un moment ou un autre, même dans un mal de dents, provoquer une association intermodale avec la vision. Les visions, écrit-elle, obtenues à partir des différents modes de perception, le toucher, le son, la vue, l’odorat, ont des similitudes mais certains photismes, -c’est à dire la sensation de couleurs non liées à la vision- sont plus utilisables artistiquement que d’autres (more artistically usable).  Représenter une vision synesthésique, c’est peindre des photismes, or ces photismes ne sont pas statiques mais doublement mouvants : ils se déplacent, ils se métamorphosent. Dans le cas de Carol Steen, ils ont un mouvement lent: elle utilise la comparaison du cinéma, comme si le mouvement était de seize images par seconde au lieu de vingt-quatre. La durée des formes colorées varie entre quelques secondes jusqu’à dix minutes. Comment représenter une vision de quelques minutes en constant mouvement et transformation dans le cadre de la peinture? Carol Steen reconnaît que le moyen de la peinture ne rend pas complétement ses visions et que la technologie digitale permettrait de mieux rendre l’intensité des couleurs et de restituer le mouvement des images qui défile à des vitesses variées[83]. Elle souligne dans un chapitre du catalogue de l’exposition intitulé : “How I work with synesthesia, Problems, solutions and broken rules”, les problèmes techniques posés par le genre pictural pour une représentation qui viserait à l’authenticité.
Rendre le brillant des couleurs perçues pose ainsi des problèmes techniques que seule l’utilisation d’une huile épaisse permet de surmonter en travaillant sur un fond noir. Dans les visions synesthésiques, il existe des moments où le passage d’une forme colorée à la suivante ne se fait pas harmonieusement, où il existe une suspension d’images, ce qu’elle appelle des “visual holes”, et ces trous dans la vision font partie intégrante de la vision synesthésique. Ne pas représenter ces éléments s’opposerait par trop à l’authenticité du rendu de la vision intérieure. Mais comment représenter sur une toile, non seulement une somme d’images mouvantes mais encore le vide entre ces images puisqu’il est un moment de la vision synesthésique? Carol Steen a choisi de rendre ces trous visuels par des surfaces non colorées sur le papier ou la toile qui laissent apparaître la surface noire du support. C’est pourquoi, écrit-elle, ces toiles peuvent avoir une apparence d’inachévement. Cet inachévement n’est pas une référence à la modernité ou la tradition japonaise mais la conséquence d’un choix alliant désir d’authenticité et technique picturale. Pour représenter une vision dont les formes et l’intensité des couleurs a varié dans la durée, des choix doivent être faits qu’elle explique en fonction du critère d’efficacité. Le peintre choisit de représenter une synthèse d’une longue vision de couleurs avec formes mouvantes en privilégiant les moments qu’elle juge les plus intéressants. Représenter impose de réduire – “I need to pare down” – . Une seule peinture ne peut inclure tout le vécu visuel. Il est impossible de représenter tout ce qui est vu qui excéde la possibilité du regard, contrainte vécue aussi selon elle par d’autres synesthètes. La solution aux impossibilités techniques réside aussi dans des choix esthétiques. Elle part du constat que le désir d’une représentation mimétique est doublement impossible en raison des limites du genre pictural et des limites des possibilités de perception. On ne peut pas tout représenter, dit-elle, pour des raisons techniques et pour des raisons cognitives. «There can be some differences between the source and the creation, but the feeling in my pieces always remains true to the photisms. Compositional changes may include altering the colors of the shapes I see, their number and placement and the colors of the background on which I see them[84]. » Le critère essentiel d’élection d’un tableau à faire à partir d’une vision synesthésique est d’abord l’accord avec ses goûts en matière de couleurs. La vision est sélectionnée comme objet de peinture si elle correspond à des critères esthétiques idiosyncrasiques de l’auteur et si d’autre part, sa représentation est matériellement possible. Carol Steen déclare éviter certaines combinaisons de couleur comme l’orange et le vert pour des raisons d’esthétique personnelle qui peuvent se fonder sur des facteurs traditionnels de goût et non pas sur un lien avec des sensations désagréables. Cette réflexion sur les conditions de sa peinture synesthésique indique les limites des possibilités de la représentation picturale des visions synesthésiques. Le rendu d’une vision n’a pas pour but une idéale mais impossible fidèlité mimétique.
Un autre domaine essentiel est celui de l’inspiration, c’est à dire ici, comment le peintre choisit de mettre en action un processus en sachant que le processus ensuite n’est pas contrôlable. L’inspiration synesthésique est préparée par le peintre qui devient comme le narrateur du « Rêve parisien » de Baudelaire « architecte», – non pas de ses « rêveries »- mais de ses photismes. Ce dont Carole Steen a besoin pour peindre, c’est d’avoir des sons, de la musique, qui va produire des visions qui doivent être peintes immédiatement. La perception synesthésique est provoquée, volontairement enclenchée mais ce qui apparaît ne peut lui être ni inventé, ni contrôlé. Elle l’écrit avec humour : «When artists start a new series of paintings they often go to the art store and buy the fresh tubes of the colors they want to work with. I do the same, except that first I go to the music store[85]. »Quelle sorte de musique ? Les goûts du peintre sont éclectiques, musique de Santana pour Runs Off in Front, Gold, 2003, musique de Shakuhachi pour Clouds Rise Up de 2004, chanson Show me de Megastore pour Red Commas on Blue, en 2004. La peintre a expérimenté les effets synesthésiques produits par différents types de musique. Les sons produits par un synthétiseur déclenchent chez elle des couleurs plus claires, plus facilement perçues (« more clearer, more easily seen colors ») que celle déclenchées par un instrument individuel comme le piano ou le violon. Travailler à partir d’une musique pour un synesthète est plus compliqué que travailler en musique pour le commun des mortels. Carol Steen donne une narration enjouée des manœuvres mi-burlesques mi-sisyphéennes du peintre synesthète qui, – les enregistrements étaient encore sur cassette-, doit courir constamment du magnétophone à la toile car il faut écouter sans arrêt le même air et peindre sur le champ ce que l’on voit. En effet, la mémoire d’une vision est faible, écrit-elle, dans une belle phrase synesthésique : “The memory of what I’ve heard is never as bright as what I see from the actual sound[86]. » Aujourd’hui l’ordinateur permet de passer en boucle l’air musical qui produit la vision à représenter. Cette nécessaire rapidité dans l’acte de peindre imposée par la cadence des images, Carol Steen écrit la repérer dans l’oeuvre d’autres peintres synesthètes. Jusqu’ici il s’agissait de conditions élaborées sciemment par le peintre pour reproduire les photismes mais dans la vie courante, par définition, l’association intermodale n’est pas contrôlable. Comment représenter une vision par surprise qui semble particulièrement esthétique? Carol Steen raconte la genèse de sa sculpture Triangle. Lors d’une séance d’acupuncture qui se trouva acompagnée par hasard d’un enregistrement musical, la peintre subit un double déclenchement modal, tactile et sonore, produisant une extraodinaire jouissance esthétique devant les photimes produits. 
The shapes were so exquisite,so simple, so pure and so beautiful that I wanted to be able to capture them somehow, but they were moving too quickly and I could not remember them all. It is a pity, because I saw a year’s worth of sculpture in a few moments. I made the single piece Triangle from what I had seen.

Carol Steen Triangle
1997, Steel, Bronze, Silver, 7 x 1 x 1 inches,  Maquette
This piece is attenuated like many of my sculptures because, for me, the focus of interest is at the top. This is where I see my shapes most of the time.
Une année de sculpture perçue en quelques instants. Et la mémoire trop limitée. Supplice de Tantale et composition de Triangle. Carol Steen par ses écrits et ses travaux visuels a montré que si la synesthésie fut longtemps pour elle une source d’inspiration et d’interrogation à la fois restée secrète pour les autres et problématique pour elle même, la synesthésie peut constituer un don magnifique, une possibilité extraordinaire de jouissance sensorielle hautement désirable.
 La photographe synesthète Smilack a également décrit les circonstances de son travail. Comme Carol Steen, elle a longtemps utilisé sa condition synesthésique sans savoir qu’elle était synesthète. C’est d’ailleurs en lisant un article sur Carol Steen qu’elle a eu ce moment de révélation sur elle-même. Elle décrit précisément le processus de son travail, prenant une photo quand résonne en elle un son musical déclenché par la perception visuelle. C’est la perception synesthésique qui fait décider de la prise immédiate de la photo, photo de ce qui, extérieurement perçu, a déclenché un son intérieur. C’est en autodidacte qu’elle est devenue photographe à partir d’un processus dont elle ignorait le nom et l’existence.  
I taught myself to take pictures by shooting whenever I experience a synesthetic reaction to what I see: if I experience a sensation of texture, motion or taste, I take the picture. If the reflection elicits the sound of cello, I shoot the picture. I photograph reflections on moving water. It works like this: I watch the surface of the sea until I experience one of my synesthetic responses. When I do, I trust it to be a reliable signal that tells me it is the right time to take the picture, so I click the shutter. Within the creative process, I think of my synesthetic responses asvital messengers that arrivefasterthan thought to deliver one urgent message which I always heed:  beauty is lurking. I call myself a Reflectionist because I photograph reflections on water. I use the surface of the sea as my canvas, the wind for my brushes, and I rely on the season and location to produce my palette. I never manipulate the water or change a picture after I take it either.[87]
Cette fascination des images de reflets dans l’eau est liée à ce que ces reflets troubles, parfois moirés ressemblent aux images que la synesthésie lui donne puisqu’elle possède la rare condition d’une synesthésie dans les deux sens, vue-audition et audition-vue. Son site présente un choix de ces photos et des textes.
 
3. Les possibles constantes dans la peinture des synesthètes.
L’exposition de 2008 intitulée Synesthesia : Art and the mind fut la première exposition consacrée à des peintres synesthètes. Elle peut être comparée à ce que l’exposition de Jennifer Hall, From the Storm avait fait pour les artistes avec épilepsie en 1992, proposer une vision de l’intérieur[88].L’exposition montrait des artistes contemporains dont la synesthésie est reconnue : David Hockney, Joan Mitchell, Marcia Smilack et Carol Steen[89]. Dans l’introduction du catalogue Synesthesia : Art and the mind, Greta Berman et Carol Steen s’interrogeaient sur les relations entre synesthésie et arts plastiques, et notamment sur la relation entre la création par les artistes synesthètes et leur synesthésie. « Do synesthetic artists experience common shapes, colors or ways of seeing? Are synesthetic artists consciously using their visions to create their work, or are they aware of doing this? How do synesthetic artists employ their synesthesia to make art? [90] » Pour Greta Berman il est possible de trouver des caractéristiques communes dans la production esthétique visuelle ou musicale de synesthètes. A partir de caractéristiques de l’œuvre musicale de Messiaen, Des canyons aux étoiles, elle souligne des constantes chez les artistes visuels présentés dans l’exposition : une relation extatique au monde de la nature, l’utilisation de techniques inattendues et la présence des formes de Klüver. Messiaen, écrit-elle, fait un usage inhabituel des techniques et des instruments comme le cor, la trompette et le piano, de même ces artistes visuels utiliseraient souvent des techniques inhabituelles, ainsi Carol Steen avec ses ongles et ses mains. Greta Berman reconnaît dans les décors d’Hockney pour la Flûte enchantée en 1977 et L’Enfant et les Sortilèges en 1980 le vocabulaire des formes constantes. Elle conclut : «Synesthets invariably manifest a multi-layered, complex way of looking at and interpreting things. In synthetic art, both paintings and music exploit unexpected and startling rhythms[91]. » De son côté dès l’article de 2001 Carol Steen écrivait observer chez les peintres synesthètes également des constantes qu’elle partage. D’abord dans l’emploi des couleurs vives, tout droit sorties du tube, appliquées rapidement. Les couleurs peuvent avoir un aspect inattendu par leur brillant ou par leur combinaison. Elle remarque que les peintres synesthètes ont tendance à exclure une couleur, ce qu’elle explique par son propre cas : elle utilise rarement le violet car cette couleur n’intervient quasiment jamais dans ses visions. Elle voit que les peintres synesthètes utilisent les formes constantes définies par Klüver. Elle s’intéresse aux témoignages sur les comportements inhabituels de peintres supposés synesthètes comme le peintre canadien Tom Thomson qui présente des formes d’impetus, d’énergie soudaine liée à un facteur déclenchant, dans son cas, le bruit de la tempête. Ce commentaire de Carol Steen sur la manière avec laquelle un peintre synesthète se retrouve dans la peinture d’autres peintres synesthètes constitue encore un témoignage important sur les relations entre synesthésie et création. Nous entrons seulement dans l’ère de la synesthésie reconnue de manière clinique. C’est une révolution scientifique et culturelle. Une libération, une révélation. La possibilité de dire, de représenter, de communiquer une variation jusqu’alors déniée de la condition humaine. De rappeler que même la réalité visuelle n’est pas universelle et qu’elle est le produit d’un organe trickster, le cerveau.
Carol Steen, Runs Off in Front, Gold,
2003, huile sur papier, 105 x 70cm.
This is based on an especially colourful photism that occurred while I listened to Santana’s version of a song called Adouma.The colours I see are the colours of light, not the colours of pigment, and I played this song over and over again as I painted the moving colours. The advantage of sound visions, or photisms as the researchers call what we synesthetes see, is that I don’t have to rely on my memory. I can replay the song as often as I want to watch the colours. These moving colours will swirl around, one seemingly chasing the others and any previously seen blackness will be pushed all the way to the edge until the colours just explode in their brilliance like fireworks. The colours, for me, are triggered by the sounds of the instruments, including voices, not the sound of individual notes, with the exception of the Shakuhachi flute I heard that winter day.[…] This painting was used for the cover of Dr Jeffrey Gray’s book Consciousness, Creeping Up on the Hard Problem, published by Oxford University Press. You’ll notice I use many of the same things that I often see in a photism: comma-like shapes, brilliant colour fields, and the layered swirling bursts of colour that appear very briefly before they vanish or change into other forms.
Hervé-Pierre Lambert
Kyushu University, Fukuoka, Japon
Encuentro Artes y Nuevas Ciencias, Centro Nacional de las Artes,  Mexico
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[1] Sauf le commentaire de Vision qui provient de l’article de Carol Steen paru dans Leonardo : “Visions Shared: A Firsthand Look into Synesthesia and Art”, Leonardo, Vol. 34, No. 3, pp. 203–208, 2001, les autres commentaires par le peintre lui-même de ses oeuvres présentées tout au long de cette étude sont issus de l’article de Frances Mc Donald. “Synesthesia: Bringing out the contours”, Frances McDonald, Australian Art Review, July-October 2006. Carol Steen m’a indiqué avoir écrit ses commentaires en réponse aux questions de la journaliste australienne.Toutes les photos sont de Carol Steen et publiées avec la permission de l’auteur. Je remercie Carol Steen pour son aide.
[2] Feynman, Richard. 1988. What Do You Care What Other People Think? New York: Norton. p. 59.
[3]Je dois à Jérôme Dokic à l’EHESS en 2006 mon intérêt pour la synesthésie. Jérôme Dokic invita dans son séminaire Edward Hubbard qui travaille actuellement en France dans le laboratoire de Stanislas Dehaene au Centre NeuroSpin de Saclay. Le chercheur américain déclara -bien sûr avec raison- que l’on pouvait faire des études sur la synesthésie en ignorant qui étaient Baudelaire et Rimbaud. Ce fut pour moi un choc culturel et une révélation.
[5]Harrison, John and Baron-Cohen, Simon, Synaesthesia: Classic and Contemporary Readings. Cambridge, MA: Blackwell Publishers. 1997. «Why a book on synesthesia? We begin with this question because the topic of synesthesia currently enjoys a controversial reputation, with some scientists dismissing it as an illusion or a contrivance, whilst others perceive it as a genuine natural phenomenon, in need to explanation and with important implications for cognitive neuroscience. » p. 3.
[6] Ibid., p. 4.
[7] Harrison, John, Synaesthesia: The Strangest Thing. Oxford: University Press. 2001.
[8] Marks, Lawrence, The unity of the senses: Interrelations among the modalities. New York: Academic Press. 1978.
[9] Berman, Greta et Steen, Carol, éd,  Synesthesia : Art and the Mind, Catalogue, Hamilton: McMaster Museum of art, 2008. p. 9.
[10]Nous ne référons pas ici la histoire de la synesthésie aujourd’hui bien connue.
[11] FlournoyTheodore. Des phénomènes de synopsie (audition colorée). Paris : Alcan, 1893. L’audition colorée eut tendance à devenir le phénomène paradigmatique de la synesthésie à tel point que le terme devint synonyme de synesthésie.
[12] Suarez de Mendoza F. L’audition colorée. Paris : Doin, 1890, p. 12.
[13] Luria, Alexander. The Mind of a Mnemonist.New York: Basic Books. 1968.
[14] Voir HP Lambert: « Hypermnésie, neurologie et littérature », TLE, (Théorie, Littérature, Epistémologie), Université Paris 8 Vincennes, n°26, 2009.
[15] L’auteur de The Man who Tasted shapes a remis également en valeur des études des années vingt effectuées par le psychologue d’origine allemande Klüver, émigré à Chicago, qui à la suite d’expériences sur les effets de la mescaline, conclut que le cerveau produisait un nombre limité de formes, qu’il appella les « Form constants », qui s’applique aux visions des synesthètes. Voir plus loin.
[16] Lynne Duffy, Patricia. Blue Cats and Chartreuse Kittens: How synesthetes color their worlds, New York : Time Books. 2002..
[17] Ce nouveau savoir est encore un work in progress. De nombreux domaines donnent des hypothèses contradictoires comme la prévalence : quel est le taux de synesthètes dans la population, ou l’origine génétique, le fait que la synesthésie serait en fait universelle à la naissance jusqu’à un certain nombre de mois chez le nourisson et qu’elle resterait en partie justement chez ceux que l’on va appeler synesthètes. Le nombre de sens concernés peut différer, on peut ainsi lui ajouter le sens de la température. Les modes de perception diffèrent suivant les cultures et la dimension anthropologique de la synesthésie a été interrogée. Certains types de synesthésie sont plus courants que d’autres comme le fait de voir des lettres avec des couleurs, des sons avec des couleurs, des saveurs avec des mots, des formes avec des nombres et des calendriers avec des couleurs.
[18] Gauthier Théophile. . Sans titre. La Presse, 10 juillet 1843.
[19]S. Baron-Cohen et al., « Hearing Words and Seeing Colours: An Experimental Investigation of a Case of Synaesthesia, » Perception 16 (1987) pp. 761–767; Depuis le test a été revu et s’appelle the revised Test of Genuineness (TOG-R).
[20] La synesthésie de la couleur (Color synesthesia), désigne le fait d’associer une couleur à la stimulation d’un sens autre, non visuel.
[21]Van Campen,Cretien. – The hidden Sense: Synesthesia in art and science, Cambridge, Massachusetts: MIT Press. 2008. 
[22]“ ‘Generic‘ means that while you or I might imagine a pastoral landscape while listening to Beethoven, what synesthetes experience is unelaborated: they see blobs, lines, spirals and lattice shapes” (Cytowic, Richard, “Synesthesia : phenomenology & neuropsychology: a review of current knowledge”. Psyche, 2(10). 1995.
[23] Cytowic, Richard, The man who tasted shapes. New York: Putnam. 1993, p. 77.
[24] Alfred Binet, « Le problème de l’audition colorée », Revue des Deux Mondes, 1 octobre 1892, vol. 113, p. 60.
[25]Clavière J. « L’audition colorée», L’année psychologique. 1898 vol. 5. pp. 161-178.
[26]Maupassant, Guy (de), La vie errante.1 ed : 1890, http://www.livres-et-ebooks.fr/ebooks/La_Vie_errante-2885/
[27]L’inspiration synesthésique si riche du romantisme allemand a été étudiée par Petra Wanner-Meyer, dans son Quintett der Sinne. Synästhesie in der Lyrik des 19. Jahrhunderts, Bielefeld: Aisthesis Verl., 1998, à la suite du grand classique de Ludwig Schrader, Sinne und Sinnesverknüpfungen. Studien und Materialien zur Vorgeschichte der Synästhesie und zur Bewertung der Sinne in der italienischen, spanischen und französischen LiteraturHeidelberg:Carl Winter. Universitatsverlag, paru en 1969.
[28] Laubriet, Pierre, L’Intelligence de l’art chez Balzac, Paris : Didier, 1961, p. 123.
[29] Milner, Max,  L’imaginaire des drogues : de Thomas de Quincey à Henri Michaux, Paris: Gallimard, 2000, p.72.
[31] Gautier, Théophile, Presse, le 10 juillet 1843, cité par Max Milner, L’imaginaire des drogues, op. cit., p. 72.
[32] Milner, Max, op. cit., p. 75.
[33] Ibid.
[34] Théophile Gautier in Senninger, Claude-Marie, Baudelaire par Gautier, Paris, Klincksieck, 1986, p. 154-155.
[35] Baudelaire, Charles, Paradis artificiels, «Du vin et du hachisch», Paris : Gallimard, Coll Pléiade TI, 1975, p. 369.
[36] Ibid., p. 392.
[37] Id, Salon de 1846, Paris : Gallimard, Coll Pléiade II, p. 425.
[38] Ibid., p. 595.
[39]Id., Les paradis artificiels, op. cit., p. 419.
[40] Milner, Max, L’imaginaire des drogues, op. cit., p, 139.
[41] Voir Van Campen, Chretien, The hidden sense,: Synesthesia in art and science, Cambridge, MA : Massachussets Institute of Technology, 2008and Duffy, op. cit.,
[42]Ghil, René, De la poésie-scientifique & autres écrits, Textes choisis, présentés et annotés par Jean-Pierre Bobillot, Grenoble: Ellug, coll Archives Critiques, 2008, p.11.
[43]Voir Van Campen, Chretien, “Artistic and Psychological Experiments with Synesthesia”, Leonardo, Vol. 32, No. 1, pp. 9–14, 1999.
[44]Denis Steinmetz, Présentation du concert du 9 novembre Alexandre Scriabine L’Acte préalable, http://mediatheque.citemusique.fr/simclient/consultation/binaries/stream.asp? 2007
[45] Galeyev, B. M. and Vanechkina I. L., « Was Scriabin a Synesthete? ». Leonardo; Vol. 34, Issue 4, pp. 357 – 362. August 2001.
[46]En revanche, quand l’artiste est vivant, le diagnostic de synésthésie est possible, ce qu’a fait Cytowic pour David Hockney et Oliver Sacks a consacré un chapitre de son livre Musicophilia aux musiciens synesthètes contemporains.
[47] Depuis: Wednesday is indigo blue: Discovering the Brain of Synesthesiade Cytowic en 2009 La série de conférences par le neurologue V.S. Ramachandran called “The Emerging Mind” en 2003 en ligne sur le site de la BBC a connu un vif succès.
[48] La proportion de synesthètes dans la population humaine reste encore un sujet d’études non résolu. Chretien van Campen faisant une synthèse des recherches sur le thème montre que depuis les années quatre vingt dix les hypothèses de proportion sont à la hausse, oscillant entre un synesthète sur cinq cent personnes jusqu’à un pour cent de la population, voire pour certaines synesthésies jusqu’à une personne sur vingt-cinq. Il semble que la proportion de synesthètes soit plus élevée chez les personnes engagées dans des métiers de création et que la prédominance féminine relèverait surtout -ou en partie – du fait que les femmes ont moins d’inhibition à déclarer cette condition.
[49] Steen, Carol, “Visions Shared: A Firsthand Look into Synesthesia and Art”, op. cit.
[50] Tammett, Daniel, Je suis né un jour bleu, trad. fr Nils C. Ahl, Paris: Édition Les Arènes, 2007. Voir : Lambert, Hervé-Pierre, « Hypermnésie, neurologie et littérature », TLE, (Théorie, Littérature, Epistémologie), Université Paris 8 Vincennes, n°26, 2009.
[51]Voir: Lambert, Hervé-Pierre,« Art et cerveau : vers la neuro-esthétique ? », in « Rencontre », Recherches en esthétique, Revue du C.E.R.E.A.P, 2006.
« Littérature, arts visuels, neuroesthétique »,  http://rnx9686.webmo.fr/?cat=22
“Neuroaesthetics, neurological disorders and creativity”, Mutamorphosis: Challenging Arts and Sciences”, Prague, novembre 2007. Conference proceedings, octobre 2009.
– « Imprévisible et plasticité cérébrale », « L’imprévisible », Recherches en esthétique, Revue du C.E.R.E.A.P, 2009.C.E.R.E.A.P./Paris I, n°14, 2009. «
–  The literary recognition of the neurological phenomenon of synesthesia», in Consciousness, Theatre, Literature, and the Arts, 2009, Third International Conference on The Lincoln School of Performing Arts, University of Lincoln, 2009, ed D. Meyer-Dinkgräfe. Newcastle : Cambridge Scholars Publishing,
« La représentation de la synesthésie par les plasticiens synesthètes » in « Le trouble », Recherches en esthétique, Revue du C.E.R.E.A.P,I n°17, 2011.
[51] Pour les deux derniers, la possibilité d’une synesthésie a fait l’objet d’études contradictoires avec un certain consensus pour leur dénier cette condition.
[53] Nabokov, Vladimir, Speak Memory: an autobiography revisited, Harmondsworth : Penguin , 1969, p. 35.
[54]Ibid., 37. « opticallly affected by musical notes »
[55] Tout comme pour Messiaen qui seulement mentionnait en 1944 dans La technique de mon language musical l’existence en lui d’une sorte de synesthésie. Au sujet de Messiaen, le consensus est loin d’être trouvé. En 2009, un article du chef d’orchestre Patrick Krispini, dans « Sons et couleurs : des notes inachevées », ne présente pas le musicien comme ayant une synesthésie clinique alors qu’en 2008, dans le catalogue de l’exposition Synesthesia : Art and mind, Greta Berman présente le muscien comme le paradigme de l’artiste synesthète.
Dans Musicophilia, Oliver Sacks s’intéresse entre autre à la relation entre musiciens et synesthètesie mais ne développe pas le cas de Messiaen, rappelant simplement que le musicien est un exemple de synesthésie “tonalité-couleur”. Pour Bernard Sève, il s’agit d’une erreur, «Messiaen ne lie pas des tonalités (comme ré majeur ou sol mineur) à des couleurs ; il lie des accords (comme l’accord de septième naturelle, ou l’accord de neuvième majeure) à des couleurs déterminées, et les deux choses n’ont rien à voir. Messiaen a beaucoup écrit sur ce sujet, et il aurait été intéressant de savoir ce que pense de ces écrits le clinicien expérimenté qu’est Oliver Sacks. »
Voir : – Patrick Krispini, « Sons et couleurs : des notes inachevées », in «Voir la musique», Terrain, Paris: Maison des sciences de l’homme, n° 53, septembre 2009.
– Bernard Sève, « Lecture critique de :Musicophilia, la musique, le cerveau et nous»,   www.lamartinieregroupe.com/…/bonus-lecture-critique-bernard-seve.html.
[56]Cytowic, Richard, et Eagleman,David, Wednesday is Indigo Blue, Cambridge, Massachusetts : The MIT Press. 2009, p. 232.
[58] Mass, Wendy, A Mango-Shaped Space, New York: Little Brown And Company 2003, p. 3.
[59] Ibid., p. 4.
[60] Lynne Duffy, Patricia, Blue Cats and Chartreuse Kittens: How Synesthetes Color Their Worlds, New York, W.H. Freeman & Company, 2001, p. 55.
[62]Lynne Duffy, Patricia, Blue Cats and Chartreuse Kittens: How Synesthetes Color Their Worlds, op. cit., p. 33.
[63] Steen, Carol. “Visions Shared: A Firsthand Look into Synesthesia and Art.”, op. cit.,  p. 207
[64] Mass, Wendy, A Mango-shaped Space, op. cit., p. 82.
[65] Lynne Duffy, Patricia, Blue Cats and Chartreuse Kittens: How Synesthetes Color Their Worlds, op. cit., p. 51.
[66] Steen, Carol. “Visions Shared: A Firsthand Look into Synesthesia and Art.”, op. cit.,  p. 203.
[67] Smilack, Marcia. http://www.marciasmilack.com/ 2009
[68] Ibid.
[69] Ibid.
[70] Anderson-Dargatz, Gail. 2004. A Rhinestone Button. London: Virago Press Ltd ; Diotaveli , Dave. 2008. Miracle Myx, Orangeville, Ontario : Kunati Inc. ; Mass, Wendy. 2003. A Mango-Shaped Space, New York: Little Brown And Company. ; Moore, Jeffrey. 2004. The Memory Artists. New York: St. Martin’s Griffin. Morgan, Nicola. 2003. Mondays Are Red. NewYork: Delacorte Press ; Morrall, Clare. 2004. Astonishing Splashes of Colour, New York: Harper Colins Publisher; Nabokov, Vladimir. 1989. Speak, Memory, New York: Vintage Books ; Payne, Holly. 2005. The sound of the Blue, New York: Dutton ; Parker, T. Jefferson. 2006. The Fallen, New York: Harper Collins Publisher.Yardley, Jane. 2003. Painting Ruby Tuesday. London: Doublesday
[71] L’American Library Association Schneider Family Book Award, for Middle School.
[72] Mass, Wendy, A Mango-Shaped Space, op. cit., p. 98.
[73]Morgan, Nicola, Mondays are red, op. cit., p.6.
[74] L’auteur Holly Paine indique que Lizst, Stravinsky, Kandinsky et Rimbaud étaient aussi des synesthètes, ce qui est contesté.
[76]“ Synesthetic perceptions are durable and generic, never pictorial or elaborated. « Durable » means that the cross-sensory associations do not change over time. This has been shown many times by test-retest sessions given decades apart without warning. « Generic » means that while you or I might imagine a pastoral landscape while listening to Beethoven, what synesthetes experience is unelaborated: they see blobs, lines, spirals, and lattice shapes; feel smooth or rough textures; taste agreeable or disagreeable tastes such as salty, sweet, or metallic.” http://psyche.cs.monash.edu.au/v2/psyche-2-10-cytowic.html 
[77] Voir: – Ermentrout, G.B. and Cowan, J.D., “A mathematical theory of visual hallucination patterns.” Biol. Cybernet. 34 (1979), no. 3, 137-150.
– Bressloff, Paul C.; Cowan, Jack D.; Golubitsky, Martin; Thomas, Peter J.; Weiner, Matthew C. (March 2002). “What Geometric Visual Hallucinations Tell Us About the Visual Cortex“. Neural Computation (The MIT Press) 14 (3): 473–491.
[78] La théorie de Cowan a été utilisée pour attaquer les textes sur le serpent cosmique de Narby. Voir Lambert, Hervé-Pierre, « Maurice Georges Dantec: entre science et fiction et l’effet Narby », www.epistemocritique.org mars 2010.
[79]Synesthesia : Art and the Mind, Catalogue, ed Greta Berman and Carol Steen, Hamilton: McMaster Museum of art, 2008. Cette Exposition du 18 septembre au 15 novembre 2008 au McMaster Museum of Art accompagnait la 7e conférence de l’Association Américaine de Synesthésie qui se tenait à l’Université McMaster, Hamilton, ON du 26 au 28 septembre. Le musée en association avec le Département de psychologie, Neuroscience and comprtement de Department of Psychology, Neuroscience and Behaviour a organisé cette exposition Elle a été dirigée par le professeur Daphne Maurer, du Département de psychologie, Neuroscience and Behaviour avec deux curateurs inviés, l’artist Carol Steen, et Greta Berman, historienne d’art. Amy Ione a souligné l’intérêt du catalogue.
[80] Steen, Carol, “Visions Shared: A Firsthand Look into Synesthesia and Art”, op. cit., p. 203.
[81] Ibid., p. 207.
[82] Ibid., p. 205.
[83] Carol Steen recommande de voir la video « Viva la vida » du groupe Coldplay, faite par Mark Romanek. Le type d’images avec les photèmes qui apparaisssent lui semble proche de ce que les synesthètes peuvent percevoir.
[84] Ibid. p. 208.
[85] Steen, Carol, “ What a Synesthete Sees: or Why Tom Thomson Sends Me Over the Moon”, in Synesthesia: Art and the Mind, op. cit., p. 22.
[86] Ibid.
[87] Smilack, Marcia. http://www.marciasmilack.com/ 2009
[89] Elle incluait aussi quatre peintres disparus en revendiquant cette même condition: Charles Burchfield, Tom Thomson, Wassily Kandinsky et Vincent van Gogh Pour les deux derniers, la possibilité d’une synesthésie a fait l’objet d’études contradictoires avec un certain consensus pour leur dénier cette condition.
[90]Berman Greta et Steen, Carol, Statement, Synesthesia : Art and the Mind, op. cit., p.8.
[91]Berman;Greta , “ New perspectives on Synesthetic Art: Shared Characteristics”, Synesthesia : Art and the Mind, op. cit., p. 28.
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