2 – La transparence et l’obstacle épistémologique : Visages de la fiction expérimentale chez Gourmont, Chesterton et Schwob

Résumé : Nous proposons de lire les fables de Gourmont, Chesterton et Schwob comme autant d’espaces propices à l’émergence d’expérimentations conçues pour négocier l’isolement, l’incompréhension ou le déni dans lequel les personnages se retrouvent enfermés. Le présent article se propose, à partir de trois exemples, d’examiner sous quelles formes et par quels procédés nos auteurs qui jouent avec les possibilités épistémiques de la fiction ménagent au sein de chaque histoire un dispositif heuristique destiné à offrir une lisibilité nouvelle aux gestes mentaux de leurs opérateurs et, ce faisant, à reconfigurer les schémas mentaux du lecteur.


Le titre choisi pour cet article emprunte de manière opportuniste le couple de concepts de Jean Starobinski : les notions de transparence et d’obstacle. Starobinski écrivait dans l’avant-propos de son célèbre essai :

C’est par le conflit avec une société inacceptable que l’expérience intime acquiert sa fonction privilégiée. On verra même que le domaine propre de la vie intérieure ne se délimite que par l’échec de toute relation satisfaisante avec la réalité externe. Rousseau désire la communication et la transparence des cœurs ; mais il est frustré dans son attente, et, choisissant la voie contraire, il accepte — et suscite — l’obstacle, qui lui permet de se replier dans la résignation passive et dans la certitude de son innocence1.

Les fictions singulières que nous souhaitons étudier permettent de réorienter le sens et l’enjeu de ces deux notions. L’obstacle n’y apparaît plus comme la limite extérieure du sujet, comme la frontière du domaine de la vie intérieure, mais bien comme quelque chose qui se tient au cœur du sujet et de ses habitudes de pensée. Dans cette perspective, la fiction littéraire qui accueille l’expérience de pensée, par la réflexivité qu’elle permet, joue le rôle d’un révélateur : c’est de ces obstacles et de cette transparence que nous souhaitons parler. Notre réflexion, on l’aura compris, ne vise pas de purs savoirs propositionnels (du type « je sais que X »), mais bien plutôt des gestes mentaux, des procédés, des processus, des logiques épistémiques, des méthodologies qui concernent la pensée en général et l’activité herméneutique en particulier. En ce sens, si la lecture se constitue comme acte interprétatif, certaines fictions viennent thématiser cet acte et nous invitent ainsi à un questionnement réflexif.

Dans un article qui a fait date, Sophie Roux propose de ne parler d’expérience de pensée (désormais « EP ») qu’à la convergence de trois conditions précises : a) la contrefactualité, b) la présence d’un scénario concret (hétérogène à un contexte argumentatif préexistant), et enfin, c) une intention heuristique ou cognitive2. Dans sa thèse, Thomas Mondémé ajoute aux précautions méthodologiques de Sophie Roux un quatrième trait définitionnel, le fait que les EP « demandent une certaine lisibilité sémiotique, une clarté symbolique dans la mise en images de leur scénario »3. À l’exigence d’efficacité s’ajoute ainsi celle d’une certaine transparence : l’expérience de pensée ne cache ni son principe, ni ses enjeux. Nous nommons « expérimentales » les fictions littéraires qui favorisent l’émergence de ce dispositif en réunissant dans la matière du récit toutes les caractéristiques fonctionnelles que celui-ci suppose. Certaines de ces caractéristiques nous apparaissent comme des invariants entre les expériences de pensée nées de différentes disciplines, d’autres comme spécifiques au contexte littéraire. Nous distinguons trois grands ordres autour desquels s’articulent ces caractéristiques : un premier qui ressortit au fonctionnement psychologico-heuristique du dispositif et qui repose massivement sur la disqualification des préjugés de son destinataire (l’EP est un piège) ; un deuxième qui ressortit à sa structure formelle et stylistique et qui se manifeste dans l’édification d’un test rigoureux et de situations cruciales (l’EP est efficace) ; enfin un troisième qui permet d’envisager l’horizon et les enjeux de l’EP, à savoir ce que l’on appelle traditionnellement son gain heuristique (l’EP est une expérience cruciale4). Ces caractéristiques s’entrelacent de façon fine dans un schéma narratif très simple et efficace : un protagoniste se confronte à une situation-problème, à un dispositif allégorique qui lui résiste. Par suite, il s’engage dans un itinéraire de pensée que le lecteur suit pas à pas et dont il peut se faire l’interprète second. Notre position consistera à mesurer cette ambition expérimentale de la fiction en tenant pour acquis que, la plupart du temps, il ne s’agit pas comme l’envisageait Rousseau d’appréhender le récit comme un simple vecteur de vérité pour le lecteur, mais bien plutôt comme un problème à résoudre. Dans cette perspective, l’expérience de pensée apparaît comme l’un des dispositifs les plus spectaculaires du pouvoir de questionnement de la fiction, de sa capacité à révéler les blocages épistémologiques qui entravent la quête heuristique. Il peut s’agir d’erreurs de jugement, de raisonnement, de méthodologie ; bien en amont, d’erreurs d’observation, mais le plus souvent, de préjugés et de parti-pris erronés.

Au tournant du XXème siècle, l’écrivain britannique Chesterton et les écrivains français Gourmont et Schwob proposent des œuvres littéraires qui héritent d’une grande foi dans les possibles épistémiques de la fiction. Si Chesterton emprunte la fiction comme un auteur populaire, polémiste et apologète a priori bien éloigné de deux auteurs et intellectuels « fin de siècle » comme Gourmont et Schwob, nous retrouvons chez tous les trois un même recours spontané à la fiction expérimentale telle que Christophe Martin pouvait l’observer dans quelques grandes œuvres fictionnelles du siècle des Lumières. Chez ces trois auteurs converge en effet l’application de ce principe selon lequel, « loin de mettre en cause l’activité narrative, la réflexion semble devenir le lieu paradoxal de la narration elle-même, selon un travail complexe de réflexivité et de modélisation »5. Avec Sixtine, roman de la vie cérébrale, paru en 1890, Remy de Gourmont, offre le récit étonnant d’un homme de lettres amoureux d’une jeune aristocrate nommée Sixtine Magne. Comme le découvre rapidement le lecteur, cet intellectuel qui nous raconte son aventure envisage l’amour comme un risque : celui de la dépendance affective, de la frustration et de l’échec. Aussi met-il en place un certain nombre de mécanismes de défense d’ordre mental dont la narration s’alourdit peu à peu. Craignant l’expérience et ses risques, il s’abyme dans l’expérience-en-pensée6 pour devenir peu à peu l’auteur d’une vie rêvée, idéale et rassurante. Gilbert Keith Chesterton, surtout célèbre pour sa série de nouvelles policières Les Enquêtes du Père Brown, réalise, lui aussi par le biais de la fiction un certain nombre d’opérations intellectuelles cruciales. Dans la nouvelle retenue à l’étude, l’écrivain charge le detective novel d’un double-fond allégorique : il s’agit pour l’auteur de régler ses comptes avec l’esthétique décadente et ses représentants. Enfin, dans la nouvelle intitulée Le Roi au masque d’or, Marcel Schwob construit une cathédrale symboliste au sein de laquelle la question du jeu de dupes esquissée chez Gourmont et Chesterton devient encore plus nette en s’inscrivant dans les coordonnées universelles et atemporelles du conte : un roi masqué depuis toujours part en quête de son visage et de son identité.

Dans ces trois histoires, l’intellect sert à duper (soi-même et les autres) tandis que la fiction joue le rôle de révélateur de la mascarade. Chaque fable prend ainsi en charge une dynamique spéculative dont le caractère expérimental déborde le cadre particulier du récit afin d’atteindre le lecteur. En effet, l’exhibition des mécanismes intellectuels en situation (les ratiocinations d’Hubert d’Entragues, le raisonnement hétérodoxe du Père Brown, le désarroi du roi au masque d’or) amènent le lecteur à interroger ses vues de manière récursive. Or, cette dynamique récursive, symptomatique de l’expérience de pensée, contamine le dispositif fictionnel lui-même dans sa structure. En effet, il apparaît que les enjeux spéculatifs s’effectuent toujours peu ou prou au prix de la traversée reconfigurante d’un genre littéraire d’accueil7;: le roman symboliste chez Gourmont, le récit de détection pour Chesterton, le conte chez Schwob. Dans chaque cas, le dispositif fictionnel excite l’imagination du lecteur tout autant qu’il stimule son intellect en lui faisant vivre une expérience de pensée littéraire, c’est-à-dire, selon notre définition inspirée des travaux de Tamar Szabo Gendler, le déploiement par le biais de la fiction d’un scénario engageant une stratégie heuristique dont l’enjeu est la mise en question voire la reconfiguration de ses engagements conceptuels.

Commençons par celui que Vincent Gogibu place dans le sillage d’un Pierre Bayle et qui dit assez justement que « lire Gourmont, c’est descendre du train en marche, du train des certitudes »8.

1. Gourmont : l’expérience-en-pensée d’Hubert d’Entragues

« Sixtine, que Remy de Gourmont écrit en 1890, écrit Valérie Michelet Jacquod, raconte sur deux registres parallèles l’amour avorté d’un écrivain (Hubert d’Entragues) pour une jeune veuve (Sixtine Magne), et l’écriture de cet échec amoureux, qui donne naissance à une foule de récits secondaires de formes variées, enchâssés dans ce roman de la vie cérébrale »9. Ce qui rend le texte de Gourmont particulièrement intéressant c’est que les très nombreux effets de réflexivité et de spécularité ne viennent au secours ni du protagoniste ni de l’œuvre elle-même : les questionnements d’Hubert, incessamment cristallisés par de nouvelles micro-fictions, exhibent leurs contradictions pratiques et viennent programmer (devant un lecteur qui peut s’en amuser) un triple échec. Un échec amoureux d’abord, déployé par le récit-cadre, un échec intellectuel ensuite, celui de l’« intellectualisme », un échec littéraire enfin, celui de Sixtine, victime des mêmes défauts que L’Adorant, récit enchâssé qui se veut la transposition centrale de l’intrigue. C’est donc sur une authentique dynamique autocritique que repose Sixtine. L’engouement littéraire pour le symbolisme et pour l’intellectualisme philosophique sont exhibés comme un piège confortable qui condamne Hubert d’Entragues à l’autarcie. Gourmont réalise, au creux du récit, la caricature du dévoiement de l’idéalisme alors même qu’il est en train — en tant qu’auteur — de découvrir et d’embrasser cette école.

Rapidement, la description ambiguë et contradictoire du retrait intérieur du personnage, se constitue comme une prédisposition du protagoniste au principe même de l’expérience de pensée :

Un système de rêveries, nouvellement organisé, lui adoucissait le lent et rude frottement des transitions : nanti d’un problème quelconque de métaphysique, de commerce, d’art, de politique, de n’importe quoi nécessitant de sagaces déductions, il s’y absorbait si parfaitement que les heures le piquaient en vain de leurs épingles, les minutes : il marchait insensible, inexistant. Involontaire, le repliement d’esprit qui le cloîtrait entre les murailles de l’idée fixe était un emprisonnement douloureux contre lequel se rebellionnait sa volonté ; au contraire, choisie et déterminée, en toute liberté, cette incarcération le sauvait, sans l’impôt de la souffrance, de l’ennui d’attendre10.

Cette retraite intérieure, cet érémitisme mental conçu pour fuir les rigueurs du monde extérieur, et, en l’occurrence, toutes les inquiétudes de l’âme amoureuse, se retrouve rapidement cristallisée dans une expérience de pensée au contour plus ferme et qui est présentée comme le reflet en miroir du double projet littéraire et théorique d’Hubert d’Entragues :

Soit, j’en ferai de la littérature, je montrerai comment ce peu de bruit intérieur, qui n’est rien, contient tout, comment avec l’appui bacillaire d’une seule sensation toujours la même et déformée dès son origine, un cerveau isolé du monde peut se créer un monde. On verra, dans l’Adorant, s’il est besoin, pour vivre, de se mêler aux complications ambiantes. Mais ce n’est qu’un essai et mon œuvre véritable sera celle-ci : un être né avec la complète paralysie de tous les sens, en lequel ne fonctionne que le cerveau et l’appareil nutritif. Il n’a jamais eu aucune connaissance des choses externes, puisque même la sensitivité de la peau est absente. Un miracle, électrique ou autre, le guérit partiellement, il apprend à parler et raconte sa vie cérébrale : elle est pareille aux autres vies. Il faudrait faire admettre le point de départ, trouver, au moins, un exemple médical11.

On voit dans le développement de ce passage, comment, par la surenchère (« mais ce n’est qu’un essai, et mon œuvre véritable sera celle-ci »), le protagoniste, dans une logique auto-réalisatrice par homologie, cherche la forme pure susceptible de contenir son projet tout en le manifestant. Or la forme choisie est celle de l’expérimentation la plus mentale qui soit : l’expérience de pensée. Celle-ci est pourtant défaillante et stérile : si l’excentricité du scénario invite le lecteur à une certaine défamiliarisation, la radicalité de l’argument, en revanche, en ôte toute pertinence. Le scénario d’Hubert constitue une version extrême de celle du « cerveau dans la cuve » de Putnam puisque l’idée même de stimulus a disparu : rien d’extérieur au cerveau ne vient l’informer ou enrichir son activité. Ce scénario vide de leur pertinence les notions mêmes de représentation ou de référence puisque le monde extérieur est aussi inaccessible qu’inutile à la vie mentale. À en réduire l’argument, cette EP est non seulement grotesque mais auto-contradictoire. Postuler que « vie mentale = vie » a deux conséquences simultanées et incompossibles : d’une part, cela revient à supprimer l’idée même de monde sensible (puisque rien de ce qui le compose n’informe notre vie), d’autre part, cela revient à supprimer le principe même de vie mentale (puisque celle-ci ne s’oppose plus à rien). Si tout relève de la vie intellectuelle et que rien ne lui est extérieur, si rien n’est possible sans son entremise, alors le terme d’intellect n’a plus d’opérabilité. En professant un intellectualisme aussi forcené, Hubert joue contre son camp, comme il s’en aperçoit lui-même : « En réfléchissant, il reconnut que son mépris du matérialisme l’entraînait un peu loin : c’était verser dans l’absurde »12. Pour autant, même bancale ou « absurde », cette EP est loin d’être inutile en ce sens qu’elle met en scène sa réflexion, qu’elle résume son projet littéraire et donne toute la mesure du déni dans lequel il s’enfonce alors qu’il tourne le dos à la réalité et s’abandonne à la vie pure des idées. Cette fiction en miniature s’offre enfin comme un reflet outré du récit-cadre. Son protagoniste, sorte d’ermite mental, est un « idiot » au sens grec : isolé parce que singulier, singulier parce qu’isolé, il est retranché dans sa tête, retiré en deçà même de son propre corps. Ce portrait nous ramène évidemment à l’opérateur de l’expérience de pensée : Hubert, sans être lui-même dépourvu de sensorialité, refuse d’accorder le même statut au monde qui l’entoure qu’à celui qu’il fait vivre par sa constante « cérébration ».

Aussi, cet « être né avec la complète paralysie de tous les sens, en lequel ne fonctionne que le cerveau et l’appareil nutritif » permet de rendre plus spectaculaires les implications de l’antiréférentialisme littéraire et de l’idéalisme subjectiviste que professe Hubert, sans que l’on ne sache plus très bien, à force de brouillages savamment orchestrés, lequel est le corollaire de l’autre. En ces conditions singulières, l’expérience de pensée dans Sixtine n’opère pas comme un simple « tremplin » cognitif qui permettrait de réagencer la pensée du protagoniste. Bien plus que cela, elle accède presque au statut de milieu (au sens physique) dans lequel baigne Hubert. Ce milieu, véritable cuve pour le cerveau d’Hubert, est d’autant confortable qu’il lui permet non seulement de perpétuellement « renvoyer au lendemain les affaires sérieuses »13 mais aussi de rendre ses échecs passés supportables. En effet, chaque expérience de pensée se voit doublée et affermie par un geste scriptural, incessamment thématisé dans le roman, qui assure la sublimation de ceux-ci. Dès lors, en s’accomplissant, expérience de pensée et écriture s’entrecroisent et s’aveuglent de leurs feux réciproques.

C’est dans un semblable bain, non moins délétère et pathogène que baignent les personnages de la nouvelle de l’écrivain anglais Gilbert Keith Chesterton intitulée « The Wrong Shape ». Dans une maison où la décadence fin-de-siècle s’est si bien invitée qu’elle a eu raison de son propriétaire, le détective-prêtre intervient pour comprendre ce qui s’est passé. Comprendre, pour ce personnage reviendra à dépasser les apparences à l’aide d’une forme juste et droite : celle de son raisonnement.

2. Chesterton : The Wrong Shape ou de la bonne forme du raisonnement

La nouvelle intitulée « The Wrong Shape », qui s’inscrit dans le premier tome de la série des Enquêtes du Père Brown nous apparait comme représentative de l’entreprise chestertonienne et de son apport singulier au genre du detective novel. Dans ce récit d’une très grande densité, l’écrivain britannique déploie une enquête policière qui apparait rapidement comme l’occasion d’attaquer l’esthétique décadente au travers d’un lieu singulier aux enjeux métonymiques : le jardin d’hiver, d’un personnage paradigmatique : l’écrivain dandy, ombre d’Oscar Wilde14 et d’une pratique cruciale : l’écriture de fictions. Ce faisant, Chesterton parvient également à exhiber les codes du policier et du fantastique pour mieux se les approprier.

Dans ce court récit policier qui relève de l’énigme en chambre close, un médecin, le docteur James Harris, assassine son patient, Leonard Quinton, poète décadent passionné par l’Orient, et fait croire à un suicide. Le crime en lui-même est simple dans son principe mais astucieux dans sa réalisation : le docteur Harris profite de la familiarité qui le lie à son patient pour lui administrer un calmant puissant qui le rend totalement inconscient avant de l’enfermer à clé dans son jardin d’hiver, de lui planter une dague dans le cœur et de laisser un billet sur son écritoire laissant penser à une lettre de suicide. Cette dernière provient en réalité d’un récent manuscrit autographe du poète. Elle se résume à la courte phrase au discours direct d’un colonel anglais qui s’exclamait, en mourant de sa propre main, sous l’effet de l’hypnotisme d’un ermite indien : « Je me suis frappé moi-même, et pourtant je meurs assassiné ! »15. Le docteur Harris s’est contenté de faire disparaître le guillemet qui précédait la courte phrase en découpant le bord supérieur gauche de la feuille, a brûlé le reste du manuscrit pour cacher son existence et a coupé de la même façon la rame de papier laissée non loin de là pour que la forme singulière de la feuille n’éveille aucun soupçon. La résolution de l’enquête implique ainsi de révéler un indice absent : le guillemet. Privé de ce signe typographique, l’énoncé change de teneur en étant mal fléché : parole d’un des personnages de la fiction imaginée par Quinton, il devient la voix d’outre-tombe du poète défunt. Sur le plan narratologique, le glissement du premier message au second coïncide avec un changement de seuil narratif. À la métalepse forcée opérée par l’assassin répondra l’abduction créative du prêtre-détective, tour de force non moins saisissant et spectaculaire.

Un des enjeux centraux de la narration consiste en l’exposition de la meilleure méthode pour appréhender les phénomènes, c’est-à-dire pour penser leurs relations. La fiction est ainsi établie comme le théâtre d’usages cognitifs mis en concurrence. Brown et son acolyte Flambeau incarnent en effet chacun une méthode d’investigation et une manière de raisonner. Flambeau fonctionne par déduction : la règle est imposée aux faits, la règle se justifie elle-même en tant que règle : le feuillet compte trois angles droits au lieu de quatre parce que Quinton l’a découpé ainsi. Le coin manque à cette feuille car il manque à toutes les autres. On retrouve ici le raisonnement quia aristotélicien ou raisonnement « par le fait » : Flambeau sait qu’une chose est (ici, la feuille coupée), c’est-à-dire que cette chose est inhérente à une autre (le tas de feuilles coupées) tout en ignorant la cause (la raison d’une telle découpe). Si l’avantage de ce raisonnement est de s’appuyer sur les phénomènes pour déceler une relation entre eux (la feuille comprend un coin coupé comme le tas de feuilles dont elle est extraite), il ne permet pas de saisir une cause éloignée (pourquoi tous ces coins ont-ils été découpés ?), ce qui, dans le cadre d’une enquête policière, s’avère plutôt ennuyeux. Pour ainsi dire, la logique quia de Flambeau suit la tradition de l’empirisme logique britannique en ce que, pour expliquer le phénomène, elle part de ce qui est connu des observateurs pour en induire la cause. Cette logique inductive est spontanée et simple à entreprendre. Contre Flambeau qui ne cherche pas la raison des faits et suit le raisonnement quia, le prêtre-détective, en suivant une démonstration propter quid recherche les causes éloignées, c’est-à-dire les raisons. Mais la saisie des causes éloignées est problématique, car, par définition, non immédiate. Comment alors, le Père Brown, peut-il ainsi connaître intimement de telles causes, avant d’y être confronté actuellement ? La pensée du Père Brown, héritée de son père littéraire, fonctionne par abduction. Le terme, inventé par Peirce, intéresse toute enquête (qu’elle porte sur des idées, des faits bruts, des normes, des lois) et s’adosse à une observation surprenante : ici, le fait que la putative lettre de suicide comporte un coin coupé. Il y a abduction dès lors que le prêtre-détective dépasse son étonnement et se dit qu’il doit bien exister une règle présidant à ce fait curieux, et ce, bien qu’elle ne lui apparaisse pas immédiatement. L’éloignement des prémisses (en termes de logique), l’absence d’indices de cette règle (dans le cadre de l’enquête), le caractère indémontrable a priori de l’existence même de cette règle ne le rebutent pas. La règle manquante est à découvrir à la faveur d’une hypothèse, ce qui implique d’accorder toute confiance à l’intuition et à l’imagination. On constate que ce processus mental est tout sauf rassurant, et qu’il exige une aisance d’équilibriste16. Comme l’écrit Peirce, distinguant l’abduction de la déduction et de l’induction,

c’est la seule opération logique qui introduise la moindre idée nouvelle; car l’induction ne fait rien si ce n’est déterminer une valeur, et la déduction se contente de dérouler les conséquences nécessaires d’une pure hypothèse. La Déduction prouve que quelque chose doit être, l’induction montre que quelque chose est effectivement opérant. L’Abduction suggère simplement que quelque chose peut être17.

On voit comment, de ces trois protocoles inférentiels se dégagent respectivement trois régimes ontologiques : ce qui doit être (porté par la déduction), ce qui est (amené par l’induction), ce qui peut être (le possible ouvert par l’abduction). De ces trois régimes, c’est le plus incertain et le plus flottant dont se saisit le Père Brown. Nous touchons pour cette raison aux limites épistémologiques de ce que peut offrir le genre policier tel qu’investi par Chesterton. En effet, la certitude de Brown est moins celle d’un détective que celle d’un prêtre. Comment même ne pas considérer que le protagoniste ne fait jamais que se livrer aux biais de confirmation, que ses rapprochements improbables ne sont pas des illusions de corrélation ? Quoi de moins scientifique que l’intuition brownienne ? Et pourtant, une lettre de confession du meurtrier viendra confirmer l’intuition du prêtre. Le lecteur comprendra que ses inquiétudes étaient fondées, bien qu’inaccessibles à tout autre que lui. On peut avancer à cet égard que ce qui sépare ces deux protocoles inférentiels tient à l’idiosyncrasie de leurs opérateurs : un tempérament, une vision du monde engagera vers une routine de pensée singulière. Ancien voleur, Flambeau raisonne par les faits, il pare au plus pressé. De son côté, ce qui rend le Père Brown si puissant à déceler les indices et à retrouver le coupable à partir d’eux, il le doit à sa profession de prêtre, qui lui a permis d’obtenir, confession après confession, une connaissance intime de la psychologie humaine18. Ainsi décèle-t-il la feuille au coin coupé et la dague comme des éléments probants, susceptibles de le mener au meurtrier. Sa logique est difficile à suivre, certes, voire capricante, parce qu’elle ne fuit pas la contradiction mais la poursuit comme s’il s’agissait d’une vertu théologale. Brown n’est pas seulement disponible à ce qui est, il est disponible à ce qui pourrait être, à l’absence comme à l’imprévu. Il apparaît ainsi dans son innocence (d’où le titre du premier tome dont est extrait cette nouvelle), laquelle, comme le souligne Christiane d’Haussy, « n’est pas ignorance, mais une connaissance du mal transcendée »19. L’innocence, en ce sens, agit comme condition de possibilité dans la résolution de l’enquête car elle offre un puissant pouvoir de discernement. Pour le Père Brown, il ne s’agit jamais véritablement d’accorder une confiance aveugle aux signes et indices qui émaillent l’enquête. À cet égard, comme l’écrit Charlotte Arnautou, la fiction détective de Chesterton est bien métaphysique, car « elle ne formule pas seulement une critique du paradigme indiciaire comme modèle théorique de la quête épistémologique, mais elle offre également une vision d’un monde dans lequel la vérité absolue n’est pas accessible. Elle peut cependant être entrevue20 ». Ce monde, dans lequel la vérité se constitue depuis un point de vue et ne dépend que de lui, apparaît avec force dans l’univers fictionnel de Marcel Schwob et tout particulièrement dans la nouvelle intitulée « Le roi au masque d’or ».

3. Schwob : « Le roi au masque d’or » ou le vertige perspectiviste

« Le Roi au masque d’or » de Marcel Schwob raconte une histoire fort simple, mais qui, par son abstraction théorique, appelle à une lecture qui dépasse le plaisir ludique et esthétique de la fable, pour mener à une exégèse dont la responsabilité est entièrement abandonnée aux soins du lecteur. Dans un palais vit le roi au masque d’or. Depuis les temps anciens, il est interdit aux rois de révéler leur visage et ceux qui vivent à la cour doivent se masquer à son exemple. Dès lors, les données initiales du dispositif schwobien ont la rigueur abstraite de celles d’une expérience de pensée. On y trouve comme univers de référence un palais muré dans l’épaisseur de sept murailles et dans la rigueur d’une tradition pluriséculaire. Le récit décrit rapidement ce système en vase-clos au sein duquel cohabitent des groupes au nombre défini dans une disposition géométrique immuable : cinquante bouffons à gauche, cinquante prêtres à droite, les femmes devant et le roi au centre. Cette société de cour héliocentrique distingue ses ensembles fonctionnels par des masques de matériaux divers qui offrent un visage second figé dans une grimace au pouvoir métonymique : sourire des bouffons, gravité des prêtres, beauté des femmes, majesté du roi. Or, un jour, un vieux mendiant entre dans le palais, le visage découvert. Ce vieil homme, qui se révèle être aveugle, se met à décrire au roi celles et ceux qui l’entourent. La description qu’il offre est en parfaite inadéquation avec ce que laissaient deviner les masques des uns et des autres : les prêtres au masque grave sont décrits par lui comme rieurs, les bouffons au masque fendu d’un éternel sourire lui apparaissent comme profondément tristes et graves, les femmes au masque de beauté sont en réalité laides et profondément ennuyées :

Ceux que tu as désignés comme les bouffons sont mes prêtres, et ceux que tu as désignés comme les prêtres sont mes bouffons. Et comment pourrais-tu juger, toi dont la figure se plisse à chaque parole, de la beauté immuable de mes femmes ?
— Ni de celle-là, ni de la tienne, dit le mendiant à voix basse, car je n’en puis rien savoir, étant aveugle, et toi-même tu ne sais rien ni des autres ni de ta personne. Mais je suis supérieur à toi en ceci : je sais que je ne sais rien. Et je puis conjecturer. Or peut-être que ceux qui te paraissent des bouffons pleurent sous leur masque ; et il est possible que ceux qui te semblent des prêtres aient leur véritable visage tordu par la joie de te tromper ; et tu ignores si les joues de tes femmes ne sont pas couleur de cendre sous la soie. Et toi-même, roi masqué d’or, qui sait si tu n’es pas horrible malgré ta parure21 ?

En invisibilisant l’expression changeante des affects et la fluidité du moi, le masque assurait la solidité de chacun des groupes par la fiction d’un mimétisme parfait. Or, ce cadre épistémique se trouve déstabilisé par l’introduction d’un élément exogène, le vieux mendiant, qui incarne tout à la fois l’errance, le dénuement, la transparence (par son visage à découvert) et l’impertinente liberté (par sa parole). Surtout, il incarne un mode alternatif d’appréhension du monde sensible, puisqu’il est aveugle et ne se fie pas à ses yeux pour juger de ce qui l’entoure. Ce faisant, il fait vaciller l’ordre établi en partageant son appréhension alternative de ce système sémiotique. Concrètement, il livre une « conjoncture », c’est-à-dire une intuition non-objectivable. À cet égard, le vieux mendiant vient incarner l’élément perturbateur du conte et joue, au sens plein, le rôle d’une menace systémique, d’une contre-règle scientifique telle que les espère Paul Feyerabend dans sa Théorie anarchiste de la connaissance. Le philosophe des sciences écrira en effet, près d’un siècle plus tard : « Il faut que nous inventions un nouveau système conceptuel, qui suspende les résultats d’observation les plus soigneusement établis, ou qui s’y heurte : un système qui confonde les principes théoriques les plus plausibles, et qui introduise des perceptions ne pouvant faire partie du monde perçu déjà existant22 ».

À la violence crue et rapide de cette transgression symbolique et herméneutique répond le temps long de la suite du conte : le roi quitte le confort pernicieux de la cour pour engager une difficile quête identitaire marquée par le soupçon et l’angoisse du doute. Cette errance et cet isolement figurent symboliquement le temps long de l’activité interprétative : il s’agit pour le roi de prendre la mesure vertigineuse des assertions hétérodoxes du mendiant, de digérer une description du monde en totale contradiction avec ses croyances, ses présupposés et toutes les conventions qui régissaient les relations interindividuelles au sein du palais. Dans la perspective suggérée par Schwob (dans la préface du recueil), l’ordre ancien, l’ordre des masques rassurant mais figé était celui de la ressemblance, celui que Schwob relie à « l’exercice de la raison ». L’ordre à venir, esquissé par le vieux mendiant, est celui de la différence, qui appelle l’imagination. L’un n’est pas plus juste que l’autre car, au fond, il n’y a pas de vérité. C’est la leçon cruelle qu’apprend à ses dépens le roi au masque d’or, se suicidant après s’être énucléé. Le vieux mendiant n’avait pas menti et avait habilement conjecturé : le visage du roi est effectivement horrible sous le masque d’or, puisque c’est celui d’un lépreux. L’ignorance de cet état assuré par la règle qui fixait le port des masques et interdisait les miroirs dans le palais était une convention auto-préservatrice. Il s’agissait moins de mentir sur les différences individuelles que de maintenir des ressemblances, c’est-à-dire des statuts et des catégories : à cet égard, la peau de lépreux n’a que peu à voir avec l’identité du roi, ce qui explique sans doute que les larmes de sang coulant de ses yeux crevés le guérissent aussitôt de son mal.

Loin d’être un obstacle épistémologique à sa quête identitaire et herméneutique, le masque était peut-être effectivement le signe de la plus pérenne de ses identités, celle qui le faisait être roi. C’est ainsi paradoxalement en enlevant le masque et en cherchant ce qu’il cache que le protagoniste perd son visage puis perd la vie : il n’y a rien, finalement, sous la fonction de roi qu’une fiction d’identité. Le roi au masque d’or est une métaphore, voire la métaphore d’une métaphore : une métaphore qui cherche un rapport référentiel au monde et échoue dans cette recherche parce qu’elle est métaphore. Le roi lui-même est ainsi un « signe de signe » pour reprendre l’expression employée par Schwob dans la préface du recueil. Le roi au masque d’or devient le roi au visage écaillé du lépreux puis le roi aux yeux crevés, guéri par ses propres larmes de sang, puis, voulant aller encore au-delà (ou plutôt en deçà), devient le roi suicidé. Cet itinéraire tragique signale un message somme toute assez clair : derrière les prédications successives, c’est le sujet qui fait défaut. Le roi n’a jamais été que l’image qu’il renvoyait aux autres. Ainsi en est-il du langage, qui n’a de valeur que par l’usage que nous en faisons, c’est-à-dire comme interrelation de signes, ensemble organisé de conventions dont il serait absurde d’interroger la légitimité en des termes correspondantistes. Le langage, le signe ou la théorie scientifique renvoient au monde comme le roi au masque d’or : non pas référentiellement mais métaphoriquement. À cet égard, la mascarade nous concerne tous.

Par ce conte beau et cruel, Schwob nous invite au geste salutaire qui consiste à brouiller nos représentations, tout en nous mettant en garde contre le vertige relativiste voire nihiliste que cette déconstruction peut appeler. La puissance épistémique de ce conte résonne dans divers domaines : on peut y retrouver la notion kuhnienne de révolution paradigmatique dans les sciences, le concept de pluralistic ignorance ou « malentendu partagé » issu de la psychologie sociale américaine et selon lequel chacun pense devoir manifester une attitude cognitive supposée majoritaire (en opposition avec ses propres croyances) jusqu’au moment de découvrir que la préférence supposément partagée par tous ne l’est en réalité par personne. Ce conte intéresse aussi le domaine politique puisque le masque renvoie à la question de la réputation, laquelle dépend de la circulation des opinions et est donc opinion d’opinion, c’est-à-dire métareprésentation. En ce sens, se délivrer du « malentendu partagé » revient à se défaire des nécessaires illusions de la cohésion sociale, car, comme l’écrit Hannah Arendt,

le fait d’être privé de l’espace du paraître signifie qu’on est privé de réalité. Le réel a besoin pour exister de l’accord d’autrui, de la confirmation permanente par les autres de l’adéquation entre la croyance (ou la perception) et son objet. Si chacun veut voir le monde, l’expérimenter tel qu’il est réellement, il ne le peut que s’il le comprend comme quelque chose qui est commun à plusieurs, qui se tient entre eux, qui les sépare et qui les lie, qui se montre différent à chacun, et qui ne peut être compris que dans la mesure où plusieurs en parlent et échangent mutuellement leurs opinions et leurs perspectives23

Nous nous tenons avec Schwob à la limite de l’exigence de lisibilité sémiotique et de clarté symbolique que nous évoquions en introduction. Face à ce dispositif épistémologique ouvert, deux types de réaction peuvent émerger. Dans la première, le lecteur adhère totalement au texte et, ce faisant, reconnaît sa puissance de fascination. Le choix de la contemplation pure signe cependant la capitulation du critique : l’état d’esprit est alors celui « où l’exigence critique n’opère pas, qui conçoit toute expérience de lecture comme une aventure de l’imagination »24. Dans la seconde, le lecteur sent stimulées ses compétences herméneutiques : l’horizon de lecture devient celui de la résolution d’un mystère (nous rejoignons la logique du policier, malgré les coordonnées premières du fantastique). À l’image de son personnage central, Marcel Schwob disparaît derrière la figure (le masque) de prophète errant qui fait irruption dans notre monde pour en faire vaciller le sens avant de partir comme il était venu.

Gaston Bachelard écrit dans La Formation de l’esprit scientifique qu’« on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l’esprit même, fait obstacle à la spiritualisation »25. Connaître, en ce sens, revient à chercher les erreurs dont nous sommes entourés, d’autant plus invisibles à nos yeux qu’elles sont masquées par l’habitude et confondues par l’usage dans la structure même de notre langage. Les trois fictions que nous avons réunies participent directement à cet effort et se rapprochent ainsi de l’activité scientifique en ce qu’elles concourent à une intense activité de symbolisation, créent ou discutent des concepts, mais aussi codifient des procédures destinées à bouleverser notre appréhension du monde et notre action sur lui. Ces fictions engagent une exposition de nos savoirs inarticulés sur le monde : elles rendent transparents nos obstacles intérieurs.

En ce sens, nous postulons que la mise en crise à laquelle procède l’expérience de pensée littéraire participe à un authentique processus libératoire. Comme l’écrivait Ernst Mach, « la tendance en apparence destructive vise exclusivement ce qu’on ajoute de superflu à nos concepts, et qui pour cela est fourvoyant »26. Autant dire que par l’effet d’une réflexivité qui fait office d’hygiène de l’esprit, les fictions de nos auteurs sont conçues pour exposer à la vue le poids de l’erreur et de l’ignorance qui pèse sur nos outils mentaux. Rappelons à cet égard que, comme le souligne Mathias Girel, l’ignorance concerne autant l’horizon de la connaissance que « l’absence de réflexivité sur son propre savoir et ses limites »27. L’expérience de pensée littéraire, en ce sens, qu’elle séduise, inquiète ou intrigue, ne se limite jamais à la pure exhibition d’un argument mais révèle toujours plus que ce que l’on pouvait attendre. En défamiliarisant le lecteur avec un scénario exotique, en multipliant les images frappantes et paradoxales, en suggérant des méthodologies et des protocoles excentriques, nos fictions heuristiques ébranlent durablement la sensibilité du lecteur pour mieux le confronter à ses intuitions, à ses savoirs inarticulés, à ses constructions mentales, autant dire : à tout l’arrière-fond théorique à partir duquel il envisageait le monde jusque-là.

 

Références bibliographiques

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1. Jean Starobinski, Jean-Jacques Rousseau, la transparence et l’obstacle, Paris, Gallimard, coll. « Collection Tel » 6, 1997, p. 10.
2. Sophie Roux, « The Emergence of the Notion of Thought Experiments », 2011.
3.Thomas Mondémé, Fiction et usages cognitifs de la fictionnalité : Kepler, Cyrano, Fontenelle, Thèse de Doctorat, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, France, 2014, p. 257-258.
4. C’est-à-dire, selon la définition qu’en propose Karl Popper, « une expérience susceptible de réfuter en fonction de son résultat, soit la théorie à tester, soit la théorie falsifiante » (Karl Popper, La connaissance objective : une approche évolutionniste, Champs, Flammarion, 2009, p. 57). Nous développons et justifions le détail de ces caractéristiques fonctionnelles de l’expérience de pensée littéraire dans le travail de thèse en cours.
5. Christophe Martin, L’esprit des Lumières : histoire, littérature, philosophie, Malakoff, France, Armand Colin, 2017.
6. Nous renvoyons ici à la formule de la philosophe Tamar Szabo Gendler qui insiste sur le caractère véritablement expérimental de l’expérience de pensée en forgeant l’expression « experiment-in-thought » : “Une experience-en-pensée [experiment-in-thought] est une expérience réelle ; la personne qui mène l’expérience se demande : « Que dirais-je/jugerais-je/attendrais-je si je rencontrais les circonstances XYZ ? » et découvre ensuite la réponse (apparente)” (Tamar Szabo Gendler, Thought Experiment : On the Powers and Limits of Imaginary Cases, 1re éd., Routledge, 2014, p. 54).
7. Nous trouverions ainsi confirmée en contexte littéraire l’intuition de Tamar Szabo Gendler selon laquelle « en se concentrant sur des scénarios imaginaires et en faisant référence à des détails, les expériences de pensée peuvent fournir un point d’appui pour la réorganisation de l’engagement conceptuel » (55). Nous traduisons.
8. Remy de Gourmont, Vincent Gogibu, Correspondance. T. 1 : 1867-1889, Paris, Éditions du Sandre, 2010, p.11.
9. Valérie Michelet Jacouod, Le roman symboliste : un art de l’extrême conscience. Édouard Dujardin, André Gide, Remy de Gourmont, Marcel Schwob, p. 187.
10. Remy de Gourmont, Christian Buat, Sixtine : roman de la vie cérébrale, Paris, Mercure de France, 2016, p. 103.
11. Ibid, p. 173-174.
12. Ibid., p. 174.
13. Ibid., p. 196.
14. Nous pensons ici à Oscar Wilde, car comme l’écrit Jean Pierrot, celui-ci figure comme « le grand théoricien de la Décadence » (Jean Pierrot. L’imaginaire décadent, 1880-1900. fr. Publication Univ Rouen Havre, 1977, p. 31).
15. ‘I die by my own hand; yet I die murdered!’ (G. K. Chesterton. The Complete Father Brown Stories. en. Random House, fév. 2013, p. 104).
16. Comme le souligne Florent Gaudez : « La démarche abductive ne présente pas le confort d’un procès déductif, elle ne s’organise pas autour d’une règle centrale qui éclairerait les faits. Au contraire plus intuitive, elle inventorie et cherche à relier, organiser des données, des signes qui lui semblent devoir découler d’une loi à advenir, mais encore inconnue » (Florent Gaudez. « De l’abduction créative comme méthode sémio-anthropologique au service de la sociologie de la connaissance et des représentations », Sociedade e Estado 20.1 [avr. 2005], pp. 13-22, p. 17). Cette méthode inconfortable et dépourvue du pouvoir prédictif de la déduction est pourtant la seule, par son caractère audacieux, à permettre la découverte de nouveaux principes, de nouvelles règles, notamment dans les sciences. Elle s’inscrit dans l’héritage du pragmatisme né avec Charles Sanders Peirce en 1878. Umberto Eco propose de reconsidérer la définition de Peirce. Dès lors que le processus permet de trouver en même temps, le cas et la règle, il convient de distinguer quatre abductions différentes : l’hypercodée, l’hypocodée, la créative et la méta-abduction (cf. Umberto Eco, Les limites de l’interprétation, Paris, Grasset, 1994, chapitre IV.2).
17. Charles Peirce, cité par Joan Le Goff in Joan Le GOFF. Charles Sanders Peirce – Fondation du pragmatisme et découverte de l’abduction. fr. Éditions EMS, août 2012).
18. En tant que prêtre, le Père Brown a passé sa vie à observer, analyser et écouter des fidèles. En ce sens, comme l’écrit Thomas Narcejac, la raison que convoque le Père Brown est celle « qui nous a été donnée de Dieu pour distinguer le vrai du faux et marquer le nord de l’évidence comme une boussole fidèle » (Thomas Narcejac. Une machine à lire : le roman policier. French. Paris : Denoël/Gonthier, 1975, p. 144).
19. Christiane d’Haussy La vision du monde chez G.K. Chesterton, 1982, p. 72.
20. Charlotte Arnautou, Les paradoxes de la fiction cognitive de G. K. Chesterton (1901-1910), thèse de doctorat, Sorbonne université, 2019, p. 346.
21. Marcel Schwob, « Le Roi au masque d’or », Le Roi au masque d’or, 1893.
22. Paul Feyerabend, Contre la méthode : esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance, 2005, trad. de Baudouin Jurdant, Agnès Schlumberger, p. 29-30.
23. Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ?, texte établi et commenté par Ursula Ludz, trad. Sylvie Courtine-Denamy, Paris, Le Seuil, 1995, p. 92.
24. Rita Stajano, « Cœur double : fantastique et effets de lecture » [en ligne], dans Christian Berg, Alexandre Gefen, Agnès Lhermitte, et al. (dir.), Retours à Marcel Schwob : D’un siècle à l’autre (1905-2005), Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2016, URL : http://books.openedition.org/pur/39126, consulté le 2 juillet 2021.
25. Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique : contribution à une psychanalyse de la connaissance, Paris, Vrin, coll. « Bibliothèque des textes philosophiques », 1996, p. 13-14.
26. Pierre Wagner, Jocelyn Benoist (dir.), Les philosophes et la science, Paris, Gallimard, coll. « Collection Folio/essais » 408, 2002, p. 627.
27. Mathias Girel, « Agnotologie : mode d’emploi », Critique, n° 799, 2013, p. 967.