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L’anthropomorphisme dans la poésie scientifique

En 1855, alors qu’il a une solide réputation d’homme de lettres mais aucune expérience de poète, Maxime Du Camp s’essaye aux vers en publiant des Chants modernes [1]. La préface de ce recueil est le manifeste d’une certaine idée de la modernité poétique, en rupture avec le romantisme aussi bien qu’avec la doctrine de l’Art pour l’Art. Sans citer de nom, Du Camp critique durement les gloires poétiques du moment et les tendances récentes en visant notamment Gautier et Leconte de Lisle. Il écrit en effet trois ans après la parution d’Émaux et camées de Théophile Gautier et des Poèmes antiques de Leconte de Lisle. Il déplore tout d’abord le formalisme des poètes contemporains, leur débauche stylistique qui ne parvient pas à masquer l’absence de « pensée », l’absence de « foi ». Il ne remarque pas que la nouvelle poétique, romantique ou pittoresque, certes souvent virtuose, constitue en elle-même une révolution idéologique. Ou plutôt, il feint de l’ignorer car, grand ami de Théophile Gautier et de Flaubert, que cette préface agaça beaucoup, il ne pouvait pas ne pas être au fait de la pensée de ces écrivains. Il dissocie donc le style de la pensée exprimée pour critiquer un excès de style chez certains et appeler à remettre à l’honneur les idées, et tout particulièrement une pensée « moderne ». En effet, le reproche essentiel de ce réquisitoire est formulé contre le passéisme des poètes contemporains. Selon lui, la poésie a pour mission de chanter le présent et de faire espérer en l’avenir. Or, la littérature de la première moitié du XIXe siècle a selon lui manqué de courage, elle a été lâche ; car au lieu de marcher en avant, comme un hardi pionnier qu’elle devrait être, elle est retournée en arrière. N’osant pas se frayer une route nouvelle et s’avancer résolument vers l’avenir, elle a repris facilement la vieille voie tracée où elle flaire les pistes des anciens, semblable à un chien qui a perdu son maître. Au lieu de vêtir le costume moderne et de prendre la tunique blanche des lévites, elle s’est affublée de toges usées et de pourpoints troués au coude. C’est une mascarade puérile et qui ferait rire si elle n’était pas si triste [2] .

À sujet moderne, rhétorique ancienne

Du Camp s’est en effet montré assez réceptif aux idées saint-simoniennes et à la philosophie du Progrès. Il appelle donc de ses vœux une poésie capable de chanter le présent dans ce qu’il a de plus spécifique, et selon lui, de plus exaltant : les sciences et les techniques. Vient alors une formulation remarquable de sa critique, un trait plaisant bien fait pour marquer les esprits : On découvre la vapeur, nous chantons Vénus, fille de l’onde amère ; On découvre l’électricité, nous chantons Bacchus, ami de la grappe vermeille. C’est absurde ! Ces deux antithèses méritent qu’on s’y attarde tant elles sont programmatiques. Tout d’abord, Du Camp oppose deux inventions récentes à deux entités de la mythologie antique ; c’est donc le moderne qui est joué contre l’ancien. Mais il y a plus : il oppose aussi le mot propre à la périphrase précieuse qui a tourné au cliché. Il semble que se dessine, en parallèle à la critique idéologique du passéisme, une satire du style néo-classique, comme si l’expression périphrastique ampoulée était le signe d’une culture obsolète et d’une pensée dépassée. Pourtant, Du Camp n’approfondit pas cette intuition. Il ne poursuit pas sa satire des tournures stylistiques néo-classiques car il semble bien qu’il n’ait pas vraiment établi de lien entre esthétique et idéologie. Ainsi, lorsqu’il passe à la mise en pratique de se principes poétiques, il a beau consacrer une partie de ses poésies à des sujets incontestablement modernes, son style est ridiculement désuet. Ainsi, dans une section intitulée « Chants de la matière », il fait parler la Vapeur personnifiée. Puis, après une longue prosopopée de la Vapeur, où celle-ci vante ses propres mérites, d’autres entités technico-scientifiques prennent la parole :

Écoutez-les ces voix vaillantes
Qui chantent toutes nos splendeurs
Disant aux races défaillantes
Quelles sont déjà leurs grandeurs !
Écoutez, c’est le Chloroforme
Qui dit : « J’ai tué la douleur ;
Pendant que l’instrument difforme
Taille les chairs avec lenteur,
Je prends l’esprit et je l’enlève
Loin de tout contact douloureux
Et je l’emporte comme un rêve
Dans le pays des songes bleus !

Après le Chloroforme, la Vapeur reprend la parole pour introduire « sa sœur jumelle » :

Écoutez, c’est ma sœur jumelle,
C’est ma sœur l’Électricité
Qui vole et passe d’un coup d’aile
Au travers de l’immensité !
Elle passe comme un orage,
En criant son nom sous les cieux,
Et laisse loin dans le nuage
La vieille Iris des anciens Dieux !
Pacifique enfant du tonnerre,
Elle travaille incessamment,
Sans bruit, sans éclat, sans colère,
Et sans troubler le firmament ;
Nageant au sein des mers profondes,
Bravant rocher, péril, écueil,
Elle galope sur les mondes
Et les traverse en un clin-d’œil.
Écoutez, c’est le Gaz agile
Qui dit sur sa tige de fer :
« Gardez vos mèches et votre huile,
« Je sais brûler tout seul dans l’air ! »
Écoutez la photographie
Qui parle et réclame à son tour :
« Tous les crayons, je les défie !
« Et mon seul maître c’est le jour !
« Les contours les plus difficiles,
« Les dessins qu’on n’ose aborder
« Ne me sont jamais indociles,
« Et je n’ai qu’à les regarder ! »

Un peu plus loin, les découvertes scientifiques forment un chœur qui proclame :

« Nous centuplons les sens de l’homme,
« Et l’Éden lui sera rendu ;
« Sans péché qu’il morde à la pomme
« Pendant à l’arbre défendu.
« À cet arbre de la science
« Qu’il se nourrisse nuit et jour ;
« Qu’il apprenne avec confiance
« À vivre de joie et d’amour !
« Nous le poussons sur cette route
« Qu’on voit là-bas dans le lointain,
« Vers le pays où meurt le Doute,
« Où germe le Bonheur certain !
« Arrivés enfin sans blessure
« Dans ce pays qu’on cherche encor,
« Nous ouvrirons d’une main sûre
« Les deux portes de l’âge d’or ! »

Du Camp magnifie les découvertes scientifiques et les progrès techniques parce qu’ils sont la matière de l’histoire présente et parce qu’il veut y lire les ferments d’un avenir qu’il croit radieux. Mais ce faisant, il reconduit massivement et avec la plus grande naïveté une forme d’expression typique de la pensée classique, la personnification, ici déployée sous une de ses formes les plus spectaculaires, la prosopopée. N’est-ce qu’un hiatus entre fond et forme – pour peu qu’une telle distinction ait un sens – ou le symptôme d’un problème plus profond ? Les différentes figures ou familles de figures que sont la personnification, l’apostrophe (ou allocution), la prosopopée et encore une certaine sorte d’allégorie ont en commun de mettre en œuvre une forme de pensée, ou topos, que l’on peut dire anthropomorphique. C’est attribuer à une entité inanimée des traits humains, et particulièrement le don de parole ou de pensée. On reconnaît là un point de jonction entre la pensée religieuse, tout spécialement polythéiste ou animiste, et l’expression poétique. C’est en effet dans le cadre du discours religieux que se sont élaborées la plupart des grandes personnifications fondatrices des mythologies. Le XIXe siècle n’ignorait d’ailleurs pas que l’origine des mythes est indissociable de l’origine des langues en ce que l’action de nommer avait d’abord été un geste d’explication du monde par un recours à des analogies, naturelles et surnaturelles. Ce moment historique de fondation mythopoïétique des religions allait d’ailleurs être au centre de la réflexion théorique de Mallarmé [3]. Il est également le moment fondateur de la pensée anthropomorphique. Car il n’y a rien de paradoxal à ce que la pensée religieuse de la divinité soit anthropomorphique : on peut concevoir, par exemple, le dieu Apollon comme une incarnation-représentation du principe solaire, mais la forme visible et intelligible de ce dieu est analogue à celle d’un homme (certes extraordinairement grand et beau). Ainsi, Pierre Daru, un académicien du début du XIXe siècle, sur les encouragements du physicien Laplace a thématisé ce procédé dans son poème sur l’astronomie [4] :

D’un bout du monde à l’autre, éclairés ou sauvages,
Les peuples au soleil ont voué des hommages ;
Tous ils ont adoré, sous mille noms divers,
Dans le père du jour le dieu de l’univers. …
Vœux impuissants de l’homme offerts à la matière !
Le dieu n’entendait pas la stérile prière [5].

Il explique ensuite que la science a détrôné ce faux dieu et que c’est l’homme qui est devenu roi de l’univers. Néanmoins, cela n’éradique pas la personnification du soleil :

Tous les peuples pourtant ont de ce culte antique
Gardé, sans le savoir, l’image symbolique [6].

Il explique à l’appui ce qui reste de paganisme saisonnier, par exemple, dans le calendrier des fêtes chrétiennes. Suivant le même ordre d’idées, tout son deuxième chant est un rappel des origines mythologiques des constellations, placé dans la bouche d’Orphée qui « décrit aux Argonautes la Sphère céleste ». Cette œuvre illustre bien l’idée qu’une prise de conscience épistémologique poussée n’a pas de conséquence immédiate sur la rhétorique du poème scientifique. En effet, d’autres arguments pèsent dans le sens d’un conservatisme poétique : l’autorité de la tradition, la topique mythologique, l’intérêt mnémotechnique de l’allégorie, l’attrait romanesque des mythes et de leurs personnages, etc. Alors même que l’auteur revendique la caution scientifique que représente son appartenance à l’Académie, qu’il fait valoir les relectures et vérifications de son manuscrit par d’authentiques scientifiques, il ne cède en rien sur l’anthropomorphisme de ses représentations. On est donc bien encore en plein régime néoclassique, dominé par une volonté didactique très sérieuse et recourant sans complexe aux moyens traditionnels de la poésie. Le discours scientifique ne se substitue pas à l’imagerie anthropomorphique mais lui offre plutôt une caution, un nouveau soubassement épistémologique. Ainsi Daru peut-il donner cette présentation du système solaire :

Plus ou moins éloignés du monarque suprême,
Chacun reçoit ses feux en tournant sur soi-même.
Enfin les plus puissants, courtisans couronnés,
De leurs propres sujets marchent environnés. …
La terre aime en Phœbé sa compagne fidèle ;
De quatre astres suivi Jupiter étincelle ;
Etc [7].

L’anthropomorphisme est donc aux origines des mythologies et, de ce fait même, aux origines de la science, si l’on veut bien admettre que l’on appelle science toute explication du monde. Chaque élément et chaque phénomène de la nature, voire chaque activité humaine, chaque sentiment, etc. se voyant attribuer les traits, la parenté et l’histoire d’un personnage, le système du monde s’explique par analogie avec le microcosme des divinités. Or, le trait qui retient particulièrement mon attention dans cette analogie anthropomorphique est qu’elle place au fondement de l’explication du monde des intentions, sinon humaines du moins calquées sur les intentions humaines. Ainsi, l’explication mythographique du monde n’est pas tant causaliste que fondamentalement intentionnaliste. Le rôle central de l’intention dans le discours didactique explique d’ailleurs qu’il n’y ait guère, de ce point de vue, de différence à faire entre cultures polythéistes et cultures monothéistes. Le monothéisme peut en effet être considéré comme une synthèse plus ou moins achevée des différentes personnalités divines en une seule, leur intentionnalité globale prenant alors le nom de Création. On verra d’ailleurs que le réemploi des personnifications païennes ne pose aucun problème aux auteurs de culture chrétienne tant elles constituent naturellement une déclinaison des aspects du dieu unique. L’essentiel, pour l’anthropomorphisme religieux et didactique, reste que l’on puisse situer une intention créatrice. Si l’on admet facilement que la poésie en général et la poésie didactique en particulier héritent l’anthropomorphisme d’un système de croyance, il est en revanche plus délicat de comprendre pourquoi l’expression anthropomorphique subsiste bien au delà de l’ère de croyance en question, c’est-à-dire au moins jusqu’au XXe siècle. On constate en effet que l’usage didactico-scientifique de la personnification est bien représenté non seulement chez les poètes chrétiens mais encore dans une ère culturelle que l’on peut dire matérialiste et chez des auteurs qui n’affichent plus aucune dépendance à l’égard d’une culture religieuse. C’est qu’il faut reprendre le problème à la base et ne pas traiter l’anthropomorphisme comme un moment historique de la culture mais plutôt comme une forme de discours transhistorique et par conséquent assez indépendante de la croyance religieuse. Cette proposition n’est d’ailleurs pas contradictoire avec ce que l’on vient de dire des origines antiques du discours mythopoïétique. Il faut simplement dissocier un moment originel (donc peu ou prou mythique…) où la personnification pouvait apparaître comme l’expression immédiate d’une croyance et une histoire au long de laquelle la personnification et ses variantes élaborent des relations diverses au fond culturel qui leur est contemporain. Cette distinction semble d’autant plus naturelle qu’en fait, dès l’Antiquité, les mêmes auteurs peuvent d’une part tenir des discours scientifiques causalistes, d’autre part afficher du respect pour une mythologie religieuse anthropomorphique et intentionnaliste. Il n’est donc pas question d’un « progrès », de l’anthropomorphisme à la science moderne et au matérialisme, mais bien plutôt de la coexistence de différents discours. Autrement dit, et pour me résumer, chaque époque peut avoir son propre système d’explication du monde et néanmoins employer pour l’exprimer une forme a priori archaïque, la personnification ; les relations entre expression poétique anthropomorphique et discours scientifique sont donc à réinventer dans chaque contexte. Chaque moment, voire chaque auteur, a ses propres raisons de personnifier principes naturels, entités physiques et inventions scientifiques. Partant de ce principe, je me propose d’étudier les avatars poétique de l’anthropomorphisme didactique au cours d’une période, de la seconde moitié du XVIIIe siècle à la première moitié du XXe siècle ; j’isole ce corpus pour différentes raisons, dont l’une est qu’il me semble adéquat pour observer les manifestations d’un facteur culturel singulièrement important qui est la montée en puissance de la pensée matérialiste.

Une poétique matérialiste ?

Un exemple, mis en regard des Chants modernes de Du Camp et de ses jolies prosopopées, devrait achever d’exposer le problème qui se pose. Ce sont Les Fossiles de Louis Bouilhet [8].

À quelques années du recueil de son camarade Du Camp, Bouilhet publie en effet un long poème retraçant pour l’essentiel l’apparition de la vie sur Terre. La faible place qui y est accordée aux procédés de la personnification s’explique par l’adhésion effective à des principes scientifiques et poétiques absolument opposés à l’anthropomorphisme. En bon matérialiste, Bouilhet est touché par le développement de la paléontologie et la reconnaissance croissante des théories évolutionnistes. Il se détourne à sa manière du créationnisme et de l’idée d’une volonté créatrice du monde, s’inscrivant d’ailleurs clairement dans le moment historique du discrédit des religions :

Mais l’homme manqua d’air, l’homme étouffa d’ennui.
Et, repoussant le dieu qui s’attachait à lui,
Du temple à deux battants ouvrit les portes sombres !…
Un flot bleu de soleil illumina les ombres,
Et, debout sur le seuil, jetant au loin ses yeux,
Il but à pleins poumon le vent libre des cieux !
Le monde bruissait comme un essaim d’abeilles,
L’avenir se levait dans des teintes vermeilles…
Il s’élança d’un bond vers les destins nouveaux ;
Là, préludant sans peur à ses rudes travaux,
Il brisa, pour toujours, les croyances bénies
Sous le marteau fatal des grandes ironies,
Et sa rébellion, comme un vent furieux,
Emporta dans l’oubli le dernier de ses dieux !
Pareil au noir mineur qui marche sous la terre,
L’homme accrocha sa lampe au fond de tout mystère,
Et, pour trouver le mot du Fatum souverain,
Il fit passer le monde à son creuset d’airain ;
Ses fourneaux où, la nuit, grinçaient des feux sonores,
Allumaient tout à coup de lugubres aurores,
Tandis qu’on entendait, dans l’ombre des cités,
Râler entre ses bras les éléments domptés !
Alors, sur ton sein nu posant sa main brutale,
Nature, il déchira ta robe virginale !

On peut certes s’étonner que cette profession d’athéisme aboutisse à une discrète personnification des éléments (qui « râlent ») et une moins discrète apostrophe à la Nature. Mais il faut noter d’une part que l’allégorie de la Nature se limite à deux vers, d’autre part que sa formulation trahit, sinon de l’ironie, du moins une ostensible jubilation dans la grandiloquence allégorique. Bouilhet se permet sans doute ce jeu kitsch avec l’allégorie de la Nature en vierge dénudée parce qu’il est plus que largement contrebalancé par de longues descriptions concrètes. Ainsi, l’apparition de la vie sur Terre est retracée, étape après étape, non pas suivant le récit biblique de la Genèse mais selon le récit qu’en donne la paléontologie. Succédant au long silence d’un monde désert, la vie végétale se répand d’abord dans les mers avant d’investir le monde terrestre et de s’y épanouir. Puis vient le règne animal :

Le sable cependant, fermente au bord de l’onde,
La nature palpite et va suer un monde [9].
Déjà, de toutes parts dans les varechs salés
Se traîne le troupeau des oursins étoilés ;
Voici les fleurs d’écaille et les plantes voraces,
Puis tous les êtres mous, aux dures carapaces,
Et les grands polypiers qui, s’accrochant entre eux,
Portent un peuple entier dans leurs feuillages creux.
La vie hésite encore, à la sève mêlée,
Et, dans le moule antique, écume refoulée !
Sur la grève soudain, parmi le limon noir,
Une chose s’allonge, épouvantable à voir :
La masse, lentement, sort des vagues humides,
Un souffle intérieur gonfle ses flancs livides,
Et son grand dos gluant, semé de fucus verts,
Comme un mont échoué, se dresse dans les airs !
Elle monte ! elle monte ! et couvre les rivages !
Sous le ventre ridé sonnent les coquillages,
La patte monstrueuse, aux gros doigts écaillés,
S’étale lourdement sur les galets mouillés !

La description se poursuit amplement et puise ses détails dans les travaux vulgarisant les découvertes scientifiques selon une méthode que le poète partageait notamment avec son ami Flaubert. La richesse poétique tient ici aux détails concrets, aux épithètes matérielles, aux informations vraies (ou du moins garanties par la science). C’est une poésie pleinement pittoresque et néanmoins didactique qui se déploie ainsi sous une forme inédite, que Bouilhet et Flaubert qualifiaient d’« exposante ». Casimir Fusil pense pouvoir affirmer que les connaissances de Bouilhet mises en œuvre dans Les Fossiles se limitent au livre de Cuvier surles Révolutions de la surface du globe, ce qui le situerait à l’opposé des théories évolutionnistes alors en plein essor [10]. Il a en effet raison de noter que les informations zoologiques et botaniques des Fossiles ne diffèrent pas de ce qu’écrit Cuvier. Peut-être a-t-il encore raison de comparer le plan du poème à la théorie des créations successives, encore ce point est-il déjà discutable : Bouilhet est loin d’être clair dans sa façon d’évoquer la succession des temps primitifs et les divisions du poème suggèrent plus sûrement la séparation de « tableaux » qu’une chronologie précise. Enfin – et surtout – ses choix descriptifs et stylistiques eux-mêmes trahissent l’influence de la théorie de l’évolution, dans sa version globalement lamarckienne plutôt que déjà darwinienne. Le ressort dramatique du poème, lorsqu’il décrit les origines des espèces, associe en effet la lutte pour la vie et la reproduction. Une fois la vie animale sortie des océans pour prendre possession des terres et de l’air, c’est un spectaculaire combat de plésiosaure avec des ptérodactyles qui illustre l’essence de la vie animale. Enfin, après cette scène digne des batailles épiques, un temps plus paisible et non moins significatif est ménagé pour le spectacle de l’accouplement de deux oiseaux :

Mais, au-dessus des bois, l’un l’autre s’appelant,
Deux oiseaux d’écarlate, au vol étincelant,
Se suivent dans les cieux, fendant avec leurs ailes
De l’espace azuré les vagues éternelles !
Puis, glissant de la nue, ainsi qu’un large éclair,
S’abattent, à grand bruit, sous le feuillage vert !…
Le cri rauque et perçant de leurs gorges gonflées
Expire mollement en cascades roulées ;
Leurs yeux ronds semblent d’or, mille frissons joyeux
Font, sur les sables fins, palpiter leurs pieds bleus,
Et, dans le tourbillon des ailes qui frémissent,
Leurs becs impatients se cherchent et s’unissent !
L’air est chaud, le ciel lourd, de moment en moment,
Les buissons autour d’eux, s’écartent lentement
Et l’on voit flamboyer leurs plumages superbes
Comme un rouge incendie, entre les hautes herbes !…

Jusque dans la sensualité appliquée à la faune préhistorique et ses mœurs nuptiales, le matérialisme de Bouilhet semble exiger une poétique adéquate, c’est-à-dire l’assomption de la description concrète, voire réaliste. Et je reviendrai bientôt sur la révolution que cela supposait dans l’esthétique du poème didactique. Mais je dois noter pour l’instant que l’audace de Bouilhet connaît également des limites et que ces limites sont bien significatives du problème rencontré. Voici en effet comment il expédie l’apparition de l’homme sur Terre :

Comme un germe fatal par la vague apporté,
Au bord des grandes eaux quand l’homme fut jeté,
Il roula, vagissant, sur la plage inconnue.

Certes il y a quelque logique, après avoir montré que la vie végétale puis la vie animale étaient sorties de l’eau, à en faire sortir l’homme tout aussi bien. Mais cela constitue tout de même une sérieuse entorse – la seule réellement significative – au principe réaliste adopté jusque là. Il ne s’agit pas pour Bouilhet de se rallier au créationnisme quand il touche au point le plus délicat qu’est l’origine de l’humanité. Mais il renonce à exposer sa filiation simienne et y substitue une image qui rappelle au mieux le naufrage d’Ulysse aux rivages des Phéaciens et évoque, au pire, une nébuleuse allégorie de la parturition. Je n’en conclus qu’une chose ; c’est que le refus global de l’anthropomorphisme, s’il coïncide remarquablement avec le développement d’un nouveau pittoresque didactique, n’entraîne pas immédiatement un abandon parfait de toute forme de périphrase. Ce court-circuitage de la naissance de l’humanité en est l’exemple le plus parlant. Mais comme il est apparu que Bouilhet ne se réfugie pas derrière quelque dogme religieux ni une batterie de clichés mythologiques, il faut ici expliquer sa réticence par un choix poétique personnel. En l’absence d’informations précises sur la culture scientifique de Bouilhet, on peut se référer à celle de son ami Flaubert pour risquer une extrapolation [11]. Il est clair que pour ce dernier, il ne s’agit « pas de faire un tableau des sciences modernes et de s’en prendre à la science de son temps mais d’explorer l’imaginaire des savoirs [12] ». Flaubert connaissait, de première ou de seconde main, les travaux de Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire ou encore, la Lettre à Buffon d’Élie Bertrand qu’il cite dans Bouvard et Pécuchet mais il avait aussi lu les livres de Félix-Archimède Pouchet sur la génération spontanée et les travaux paléontologiques de son fils, Georges Pouchet [13]. Cela n’empêche que, dans La Tentation de Saint-Antoine comme dans Bouvard et Pécuchet, il ne fait que butiner çà et là les théories qui présentent le plus d’intérêt pour leur potentiel pittoresque, comique ou dramatique. Que l’homme descende du singe, voire du poisson, est exploité pour amener une discussion polémique à son comble sans que la question soit pourtant tranchée [14]. Et s’il semble que Flaubert penchât, comme la plus grande partie de ses contemporains, pour la théorie de la génération spontanée, c’est peut-être plus pour son caractère mystérieux et poétique que parce qu’il la trouvait plus plausible. Ainsi, on peut penser que Bouilhet, se trouvant à peu près dans la même situation épistémologique que Flaubert, prit comme lui le parti de ne pas trancher sur la question épineuse de l’origine de l’humanité. Et comme le ton de son poème n’était pas celui de Bouvard et Pécuchet, il n’était pas opportun d’y faire apparaître une controverse scientifique. Le pittoresque dominant dans son œuvre se serait mal accommodé d’une prise de position polémique sur ce point précis [15]. Partout ailleurs, un savoir relativement consensuel ou un syncrétisme scientifique de bon aloi pouvaient raisonnablement alimenter sa création, ménageant évolution et génération spontanée, genèse scientifique et cycles diluviens par exemple ; mais sur le point particulièrement sensible de l’origine de l’humanité, la licence poétique consiste à suspendre le jugement et puiser à la ressource inaliénable de la poésie, l’image. Il n’empêche que Les Fossiles manifestent une petite révolution dans la poésie scientifique, à savoir l’assomption du matérialisme comme principe poétique. Avant l’apparition de l’homme sur la scène terrestre, les acteurs sont les végétaux et les animaux pour eux mêmes, sans qu’il leur soit supposé une intention anthropomorphique, ni intérieure (une volonté), ni extérieure (Dieu). La poétique « exposante » adhère alors à l’idée évolutionniste sans même avoir à la professer : c’est l’expression de la vitalité animale et le récit qu’elle suscite qui donne à sentir les mécanismes immanents de l’évolution. Même une fois que l’homme survient, lui-même arrive vite au stade (les Lumières) où, rejetant l’illusion d’une intentionnalité transcendante, il s’abandonne au chaos des déterminations historiques qui précipitent la fin de son ère. Nul besoin d’anthropomorphisme, dès lors, car l’impression de chaos est d’autant plus horrifiante qu’elle est sous tendue par un pur jeu de forces, fatal mais non divin. Car il y a en effet quelque chose d’horrifiant à voir la nature s’animer d’elle-même et à sentir les êtres à la merci de lois impitoyables car froidement scientifiques. Les déterminations actancielles des « héros » du poème sont en rupture avec une certaine convenance classique. La question classique de la convenance Il semble en effet que l’on puisse tenir pour un facteur important du maintien de l’anthropomorphisme à travers les âges l’exigence de personnages convenables. Or cette exigence a commencé à devenir problématique avec le développement, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, de la poésie descriptive. Pour le dire vite, la nature pouvait bien devenir le sujet d’un poème, à condition qu’elle assume le statut d’un personnage et qu’il en soit de même pour chacune de ses parties, de l’homme au ver de terre, des planètes à la vapeur, de la gravité à l’électricité. A contrario, la critique massive que subit la poésie descriptive, et par là-même tout un pan de la poésie scientifique, porte sur l’inconvenance de son objet. D’où, par exemple la violente ironie d’Emmanuel Viollet-le-Duc :

Décrivez, décrivez, peignez, peignez sans cesse ;
Qu’à la fin d’une image une image se presse :
Un insecte, une fleur, un caillou, chaque objet
Peut d’un poëme entier devenir le sujet ;
Mais le sujet n’est rien ; il vous faut sans méthode
À vos descriptions marier l’épisode.
Ce qui fut dédaigné, ce qu’on méprise encor
Peut, sous d’adroites mains, devenir un trésor ;
Le vers agrandit tout ; une phrase élégante
Cache d’un vil objet l’image dégoûtante.
Un vermisseau paré d’un mot ambitieux
S’élevant du bourbier s’ennoblit à nos yeux [16].

La personnification apparaît donc bien, face à une telle critique, comme le moyen, sinon efficace du moins ingénieux, de pallier deux problèmes inhérents à la poésie scientifique. Elle donne de la dignité à l’objet et lui confère le statut de sujet, insufflant ainsi une apparence d’action (à défaut d’une authentique « histoire »). On peut alors appréhender le problème qui se pose à Saint-Lambert lorsqu’il entreprend, à la fin des années 1760, d’écrire Les Saisons. Il formule lui-même le danger d’une poésie strictement descriptive, qui risquerait d’ennuyer le lecteur et préconise en premier lieu de représenter, dans le cadre de la nature, les actions de l’homme champêtre [17]. Encore se préoccupe-t-il aussi de la dignité des paysans devant animer le décor de la nature : il ne faut pas décrire les paysans misérables mais seulement les « paysans aisés » car ils ont « des mœurs » et ce sont « des philosophes auxquels il ne manque que la théorie [18] ». D’une manière générale, la poétique de Saint-Lambert est entièrement gouvernée par l’idéalisation. Il entend certes s’inspirer de l’esprit encyclopédiste pour aborder de nouveaux objets, récemment éclairés par les découvertes de la science, mais il ne va pas jusqu’à remettre en cause l’exigence, en poésie, d’un sujet noble [19]. Et plutôt que d’adapter son style à la médiocre dignité de son objet, il fait tout pour hausser son objet à la dignité du style poétique. C’est pourquoi l’idéalisation qui sélectionne et transforme les objets de la nature pour qu’ils correspondent mieux à leur essence, ou encore le choix du paysan « aisé », voire « noble », se complètent d’un attirail complet de tournures anthropomorphiques. De manière absolument systématique, tous les aspects de la nature sont personnifiés, le plus souvent en empruntant les noms du panthéon romain : Bacchus, Pomone, Cérès et nombre d’autres sont invoqués. Mais l’anthropomorphisme se dispense parfois de la référence antique en s’appliquant à l’« Automne » ou encore, sans même de majuscule, au soleil :

Et toi, brillant soleil, de climats en climats
Tu poursuis vers le Nord la nuit et les frimas ;
Tu répands devant toi l’émail de la verdure :
En précédant ta route, il couvre la nature [20] ;

L’apostrophe, dans ce cas comme dans tant d’autres analogues, ne saurait se justifier par l’indication de Fontanier, qui y voit, suivant la tradition des rhéteurs, le moyen d’exprimer une vive émotion. Le poète a peut-être cherché à varier sa description, à y insuffler un peu d’énergie. Il ne faut pas non plus négliger qu’un effet d’autorité naît de ce que les objets étudiés et décrits sont en quelque sorte pris à témoins du discours ainsi tenu sur eux. C’est la logique déroutante mais efficace de ce que l’on pourrait appeler la description à la seconde personne : l’objet acquiesce silencieusement, par son silence même, à sa propre description. Mais je crois que Saint-Lambert a surtout voulu prêter de la dignité à son objet. Pensons en effet qu’il suit généralement les recommandations de Fénelon dans sa Lettre sur les occupations de l’Académie [21]. Il y avait lu, comme tous ses contemporains versés dans l’art poétique, la touchante page où Fénelon loue le Virgile des Géorgiques d’avoir su rendre émouvante la peste des animaux, tout particulièrement dans ces vers :

it tristis arator, Maerentem adjungens fraternâ morte juvencum,
Atque opere in medio defixa relinquit aratra [22].

Car comment rendre un bœuf plus émouvant qu’en lui attribuant une expression humaine ? Mais il est non moins évident qu’en cédant au pathétique par la voie de l’anthropomorphisme, avec la caution virgilienne, la poésie descriptive s’éloigne de ses ambitions encyclopédistes, c’est-à-dire scientifiques. L’abbé Jacques Delille en a conscience et, comme l’écrit Michel Delon, « pour Lebrun, pour Chénier et pour tant d’autres, c’est parce qu’il est philosophique que leur siècle doit être poétique [23]. » C’est le savoir nouveau qui doit fonder une poétique nouvelle. En premier lieu, un effort est fait pour acclimater dans la poésie le « mot propre » en lieu et place de la périphrase précieuse ou des métaphores obscures. Mieux encore que le mot propre, ce serait le développement de la description concrète de la chose, avec tous les moyens de la poésie, pour en donner des « images » frappantes. Delille a en effet bien compris la crise poétique à laquelle il devait s’affronter : Ce sont ces images qui donnent aux idées abstraites de la morale et de la métaphysique un corps, une figure, un vêtement, comme je l’ai dit dans le premier chant de ce poème : Tout entre dans l’esprit par la porte des sens. Et sous ce rapport, on peut dire que la poésie est matérialiste ; ces rapprochements peuvent se faire par la peinture immédiate des objets moraux ou physiques, ou par la voie indirecte des comparaisons, qui transporte la pensée de l’un à l’autre [24]. « Matérialiste » : le mot est lâché ! C’est en effet la tendance qui doit nécessairement s’imprimer à la poésie descriptive. Mais ce n’est pas qu’un principe épistémologique : le poète doit le traduire en une poétique. Or, ce n’est qu’un demi succès chez Delille, qui reste prisonnier de l’impératif de noblesse. Il ne saisit visiblement pas que la personnification omniprésente est un écueil à cette nécessaire poétique matérialiste. Il conçoit plutôt, selon un principe de correspondances des choses abstraites et concrètes, ou comme il l’écrit « physiques » et « morales », une systématique des figures qui personnifie l’inanimé et, réciproquement, matérialise l’immatériel. Aussi ne voit-il nul obstacle à la personnification de l’imagination, personnage principal du poème auquel il donne son nom : L’Imagination, poème en huit chants. C’est même une façon de répondre à l’exigence de noblesse du sujet : le type de personnification qu’il adopte est typique du genre traditionnel de l’éloge. Quelle que soit la nature de l’objet loué, le seul fait qu’il mérite des éloges lui confère la dignité d’une personne. Plus généralement, par ailleurs, tout dans le poème est susceptible d’être personnifié et l’anthropomorphisme prend des tournures diverses, ténues ou massives, discrètes ou incongrues, comme en témoignent ces vers :

L’art s’avance à grands pas ; mais c’est peu que ses soins
Satisfassent aux cris de nos premiers besoins ;
Bientôt accourt le luxe et sa pompe élégante ;
Du lion terrassé la dépouille sanglante
Dès long-temps a fait place aux toisons des brebis ;
Un jour un noble ver filera ses habits [25].

La nature a-t-elle une âme ? Mais il y a plus qu’un procédé lorsque la personnification tend à rendre compte d’une problématique proprement épistémologique, celle de la nature de la vie. Il semble en effet qu’affleure la question de la différence entre l’animation des machines et le mouvement animal dans ces vers sur l’invention de l’horlogerie :

L’ombre, le sable et l’eau lui mesuraient les jours,
Un balancier mobile en divise le cours ;
Des rouages savans ont animé l’horloge ;
Et la montre répond au doigt qui l’interroge.
Quel dieu sut mettre une âme en ces fragiles corps ?
Comment sur le cadran qui cache leurs ressorts,
Autour des douze sœurs qui forment sa famille,
Le temps, d’un pas égal, fait-il marcher l’aiguille ?
Art sublime ! par lui la durée a ses lois ;
Des heures ont un corps, et le temps une voix [26].

La question de la nature de la vie est connexe à celle de la définition des trois règnes. Ce problème scientifique et philosophique, abordé par Delille dans Les trois Règnes, est également l’objet des vers de Lebrun-Pindare :

Rien ne périt, tout change, et mourir c’est renaître.
Tous les corps sont liés dans la chaîne de l’être.
La nature partout se précède et se suit.
Voyez comme sa main des ombres de la nuit
Teint lentement le jour qui pas à pas recule,
Et semble les unir par un doux crépuscule.
Dans un ordre constant ses pas développés
Ne s’emportent jamais à des bonds escarpés.

Ainsi, c’est d’abord le principe de continuité qui est affirmé, à la faveur d’une personnification assez simple de la nature. Mais ce principe a d’importantes conséquences philosophiques, donc poétiques, comme le montrent les vers qui suivent :

De l’homme aux animaux rapprochant la distance,
Voyez l’homme des bois lier leur existence.
Du corail incertain, né plante et minéral,
Revenez au polype, insecte végétal.
Sur l’insecte étonnant l’être se ramifie,
Et présente partout les germes de la vie ;
De son corps divisé soudain réparateur,
Il renaît plus nombreux sous un fer destructeur.
Telle à nos yeux la glace, en mille éclats brisée,
Rend mille fois l’image entière et divisée [27].

Ce continuisme fonde dès lors la généralisation de la personnification, ou plutôt de ce que l’on pourrait appeler l’« animation » de toute la nature. Bien sûr, le fonds rhétorique traditionnel offre à cette animation une gamme d’expressions prêtes à l’emploi : la personnification, l’allégorie et l’apostrophe. L’anthropomorphisme oscille donc, au sein de la même œuvre, entre une sourde animation de toute la nature et un recours sans nuance aux divinités antiques. Ainsi, la page qui suit celle que je viens de citer en appelle à Thétis et Neptune pour évoquer la mer. Mais Michel Delon a raison d’estimer que, dans ses vers sur l’astronomie, Lebrun « transforme l’ancienne mythologie de l’Olympe en une imagerie nouvelle, fondée astronomiquement et poétiquement saisissante [28]. » En fait, les relations entre science et poétique sont à double sens et, lorsqu’il touche à son plus haut degré d’accomplissement, le poème scientifique du XVIIIe siècle fait de la fable et de la figure les nouveaux arguments d’une cosmologie pananimiste. C’est ce que montre brillamment Jean-Marie Roulin en prenant l’exemple des discours tenus sur le cas problématique de la plante nommée « sensitive [29] ». Son enquête arrive à la conclusion que « l’anthropomorphisme est difficile à éviter dans les sciences de la nature ; il pose problème dès que la métaphore qui est utilisée pour appréhender ou comprendre un phénomène est utilisée à son tour comme une nouvelle preuve [30]. » À ce degré de collusion ou de collaboration de la poésie et du discours scientifique, on ne peut plus concevoir un simple décalage entre un état de la science et des exigences rhétoriques ou, plus naïvement encore, une incapacité de la poésie à rendre compte de la technicité scientifique. La figuration et l’affabulation constituent à part entière des moyens d’élaboration, sinon des théories scientifiques, du moins de l’imaginaire qui les sous-tend. Peut-être doit-on alors parler d’une « rhétorique profonde » de l’anthropomorphisme, au sens que Fernand Hallyn a donné à cette expression, appliquée au processus d’élaboration des découvertes scientifiques dans les discours [31]. Ainsi, à l’articulation du XVIIIe et du XIXe siècle, la motivation profonde de l’anthropomorphisme dans le poème scientifique n’est plus tant l’intentionnalisme qu’une sorte de vitalisme ou de pananimisme, notablement anticartésien. Or, si cette idée perdura assez longtemps, en trouvant des formes dans lesquelles se ressourcer au moins jusqu’au début du XXe siècle et au bergsonisme, en revanche, la question plus proprement poétique du descriptif et de l’emploi du mot propre allait être nettement réévaluée par le romantisme. Du Camp et Bouilhet, en effet, ne sont pas parfaitement représentatifs de la révolution poétique qui a lieu en la matière au XIXe siècle. Si Bouilhet développe sans retenue la description pittoresque, en revanche, ni l’un ni l’autre n’admettent franchement l’usage du mot propre et, sur ce sujet, leur position n’est guère éloignée de celle de Saint-Lambert, un siècle plus tôt [32].

La recherche du mot propre

À la fin du XIXe siècle, l’influence du matérialisme et du positivisme se font sentir dans les poèmes scientifiques et l’on peut sans doute lier, à cette occasion, le refus de l’anthropomorphisme et l’adoption du mot propre, même dans sa plus haute technicité. Le mot propre, en réaction contre une figure rhétorique trop conventionnelle, oblige à retremper le lexique en son étymologie, à chercher en elle un nouvel imaginaire, plus en phase avec les attentes de la science contemporaine. Ainsi lit-on ceci chez Richepin [33] :

Des corps simples à la cellule, à la monère,
Par quels chemins passa la substance ternaire,
Puis quaternaire, pour s’albuminoïder
Et s’agréger, vivante, on n’en peut décider.
Le carbone de l’air, alors en abondance
Dans l’atmosphère encore irrespirable et dense,
Avec les gaz de l’eau d’abord combina-t-il
Ou l’âcre ammoniaque ou l’azote subtil ?
Ou bien est-ce plutôt par le cyanogène
Que se noua l’anneau primitif de la chaîne,
Gaz instable, mobile et propice aux hymens ?

On observe certes encore l’usage classique de l’épithète homérique dans « l’âcre ammoniaque ou l’azote subtil », mais c’est plutôt un clin d’œil à l’ancienne poétique qu’une réelle allégeance. Il en va de même pour la trace d’anthropomorphisme, dans le dernier vers cité, qui paraît bien ironique et comique. Car Richepin a certes recours, parfois, aux vieilles figures anthropomorphes dans ce poème scientifique, « La gloire de l’eau » ; mais son but ultime est de convertir son lecteur à une compréhension matérialiste et moderne de la nature, ce qui implique de renoncer aux personnifications comme à des superstitions aliénantes [34]. En fait, une fois assumé l’emploi du mot propre, qui alterne avec les figures mais tend à les supplanter, celui-ci peut devenir le point de départ d’une recherche lexicale en nette rupture avec la pudibonderie onomastique des néo-classiques.

René Ghil illustre bien, à la transition entre XIXe et XXe siècles, cette tendance à repousser les limites de la néologie scientifique et montre ainsi sa continuité avec l’invention poétique :

Mais, en ruptures de l’emport périphérique qu’il rend tangentielles, ce qui tourne et pèse, exprimant l’être du Multiple allotropique – de l’onde d’expansives volves du moins-dense s’environnait, quitté de son pantèlement. Et se roulant agglomérée en sa genèse : la voration solaire et seule, avait tourné dans les lenteurs et dans le déliement immense de ses Anneaux : départs après départs, entré dans son épars enroulement, – solitairement centré !… Soleils ! pulpes agglomérant leur graine ! centres nouveaux et nûment mêmes d’où vont rompre de mêmes et nouvelles gemmations ! ô traîne en points stellés du remuement des plénitudes Soleils ! et autour des Soleils de qui vous êtes la loin-astreinte vague allant des amplitudes de vos ellipses s’entre-pesant, qui au long de vos axes premiers tressaillez des tempêtes de l’Origine ! – alors que des inquiétudes de ses éternités, son unité répond [35] … L’apostrophe de ces derniers vers s’adresse aux soleils et non plus au soleil, ce qui bouleverse le sens de l’anthropomorphisme tout en manifestant en quelque sorte un point de vue post-copernicien. Il ne s’agit plus du centre du monde humain, mais de l’immensité inhumaine de l’univers. Le soleil ne peut donc plus être comparé à un monarque ou un dieu et s’il garde quelque chose de l’humanité, c’est plutôt en référence à la foule, à une masse impressionnante. Remy de Gourmont avait bien saisi la dimension utopiste de Ghil et parlait à son propos d’« une sorte de positivisme panthéiste et optimiste [36] ». S’il y a encore chez lui des restes d’anthropomorphisme, c’est parce qu’il voit dans l’amour non seulement un sentiment humain mais une force universelle, un prinicpe physique fondamental. Il avait en effet dépassé, semble-t-il, l’antagonisme qui, tout au long du XIXe siècle, avait opposé le positivisme scientifique à un certain sentimentalisme humaniste. Du scepticisme anti-scientifique aux limites de la science Les inventions dues à une poétique plus matérialiste ou plus démocratique souffrent d’importantes nuances du fait que l’adhésion aux explications scientifiques du monde ne supposent pas automatiquement l’abandon du discours anthropomorphique, ne serait-ce qu’en vertu d’un œcuménisme ou d’un syncrétisme ne voulant se priver d’aucune ressource intellectuelle et poétique. Des décalages sont donc apparus entre épistémologie et poétique, car des doutes étaient formulés, mettant en cause la prérogative qu’auraient les sciences, pour exactes soient-elles, à réformer les représentations du monde. Ainsi, on avait beau prendre acte de la révolution copernicienne, on n’en avait par forcément admis les conséquences :

L’homme a dit : les cieux m’environnent, Les cieux ne roulent que pour moi ; De ces astres qui me couronnent, La nature me fit le roi ; Pour moi seul le Soleil se lève, Pour moi seul le Soleil achève Son cercle éclatant dans les airs ; Et je vois, souverain tranquille, Sur son poids la terre immobile Au centre de cet univers [37]. Fier mortel, bannis ces fantômes, Sur toi-même jette un coup d’œil. Que sommes-nous, faibles atomes, Pour porter si loin notre orgueil ? Insensés, nous parlons en maîtres, Nous qui, dans l’océan des êtres Nageons tristement confondus ; Nous, dont l’existence légère Pareille à l’ombre passagère Commence, paraît, et n’est plus ! Mais quelles routes immortelles Uranie entr’ouvre à mes yeux ! Déesse, est-ce toi qui m’appelles Aux voûtes brillantes des cieux ? Je te suis. Mon âme agrandie, S’élançant d’une aile hardie, De la terre a quitté les bords : De ton flambeau la clarté pure Me guide au temple où la nature Cache ses augustes trésors [38].

Malfilâtre se défie de l’orgueil humain qui a vidé l’univers d’entités supérieures et transcendantes. Même s’il ne rétablit pas un panthéon cosmologique, il suggère bien la nostalgie d’un univers dans lesquel l’homme aurait une position privilégiée. Il ne s’agit pas de rétablir l’erreur ptoléméenne mais de reprendre possessionde l’univers, si ce n’est par le dogme, par la science. Dans ce contexte, la figure d’Uranie est ce qui permet un réenchantement humaniste de l’univers. Les tentatives pour concilier le discours scientifique et l’intuition religieuse sont nombreuses. À l’autre extrêmité du siècle, la solution proposée par Jean Lahor a sans doute quelque chose d’ironique ou de désespéré, mais elle a le mérite de ménager tout en les articulant le discours scientifique sur l’univers et une conception religieuse de la Création. En effet, le poème en prose « L’illusion », après avoir donné une description scientifique de l’univers, formule cette proposition [39] : Or de naissance en naissance ne pourrions-nous remonter jusqu’à Dieu, et à une heure première, où les Voies Lactées et les énormes Nébuleuses, l’Univers immense, reposaient aussi, comme des rêves près d’éclore, en la nuit muette de son cerveau ? L’objectivité de la science n’est pas réellement réfutée mais plutôt contournée par un autre type de raisonnement, faisant appel à l’imagination et à la fiction. Le savoir sur la nature ne serait en fait, selon une assez banale hypothèse philosophique, que la justification d’une illusion primordiale, celle de l’existence du monde. C’est sans doute là un avatar « fin de siècle » d’un doute plus ancien, mais qui avait pu prendre une tournure moins métaphysique, plus pragmatique. Ce que met en doute Népomucène Lemercier, dans son « Dialogue entre Copernic et la Terre », c’est la force de conviction des représentations scientifiques face aux images mythologiques [40] :

LA TERRE
Ainsi tu brises donc l’antique firmament,
Ceinture de cristal pur, voûte de diamant,
Dont les clous d’or…
COPERNIC
Erreur ! songes de l’ignorance,
Vains prestiges des sens dupes de l’apparence !
LA TERRE
Crois-tu les détromper ?

Le débat entre science et anthropomorphisme se dramatise en effet quand il prend la forme d’une alternative radicale, opposant au pananimisme une négation pure et simple de l’âme. On comprend mieux, en effet, la rémanence de l’animation de toute chose si l’on s’aperçoit que les termes du débat sont outrés : la science matérialiste ne s’est pas contentée de vider la nature des intentions créatrices divines, elle a si bien traqué toute essence spirituelle qu’elle a pu, aux yeux de beaucoup, aller jusqu’à nier l’existence de l’âme humaine. Maintenir deux ordres de discours, et deux modes de compréhension du monde distincts, la science et la poésie, a dès lors un enjeu moral préoccupant. Victor Hugo l’expose ainsi, après avoir opposé le doute en l’existence de l’âme et le doute scientifique [41] :

Entre deux doutes prendre avec amour celui
Qui m’abaisse et m’emplit de cendre et non de flamme,
Et vouloir être brute ayant le choix d’être âme !
Ah ! la science est belle et sublime, et je hais
Quiconque met obstacle à ses profonds souhaits ;
Elle prend dans le piège auguste de ses règles
Les vérités au vol comme on prendrait des aigles ;
Elle sonde le fait, le chiffre, l’élément ;
Elle est vaste à ce point qu’il semble par moment
Que son puissant compas fait le tour de l’espace.

Mais cette puissance n’autorise pas la science à priver l’homme de ce qui fait sa grandeur, de ce qui lui donne sa dignité, l’âme. Il me semble que, très globalement, la stratégie discursive de Hugo n’est pas strictement argumentative mais aussi poétique : en représentant tout l’univers traversé par un souffle, il fonde poétiquement l’évidence de l’âme. Dans un autre poème de La Légende des siècles, Hugo critique la superstition, et notamment ses anthropomorphismes, avant de rendre hommage aux sciences et en particulier à l’astronomie, cette science des « rêveurs » [42] :

Est-il rien de plus surprenant
Qu’un rêveur qui demande au mystère tonnant,
À ces bleus firmaments où se croisent les sphères,
De lui conter à lui curieux leurs affaires,
Et qui veut avec l’ombre et le gouffre profond
Entrer en pourparlers pour savoir ce qu’ils font…

Je ne crois pas que ce soit par hasard que Hugo emploie justement à ce moment-là une personnification de la nature pour la figurer dialoguant avec le scientifique. Dans cette étrange relation d’égal à égal, l’âme de chacun se mire en celle de l’autre et se donne ainsi à voir. Même en l’absence de Dieu, et surtout du dieu à barbe blanche dont Hugo se moque bien, on trouve toujours à qui parler en s’adressant aux cieux ! Aussi déiste que républicain, Hugo devait bien réconcilier la science et la foi en l’âme humaine. Mais une telle réconciliation pouvait aller plus loin encore, et dans un sens bien étranger à l’idée que Hugo s’en faisait. L’enthousiasme anthropomorphique et ses implications idéologiques Dans le domaine astronomique, particulièrement favorable à l’anthropomorphisme du fait d’une longue tradition, le problème se pose de manière particulièrement aiguë, du partage des prérogatives entre science et fable. Le ciel est en effet le symbole éternel du mystère et de ce qui dépasse la clairvoyance humaine. Il est également, certes, l’occasion de découvertes particulièrement spectaculaires puisque l’on peut parler à son propos d’« autres mondes », avec toutes les conséquences théologiques et imaginaires que cela implique. Il n’est que de voir l’émotion suscitée par les premiers pas d’un homme sur la Lune, en 1969, pour se rendre compte de l’enjeu poétique que représente l’espace. Rien d’étonnant à ce que la « famille » des astres suscite le lyrisme enthousiaste de Jean Rameau dans sa « Prière au soleil [43] » :

Au nom de la Lumière, au nom du Ciel immense,
Au nom de l’astre jaune, Arcturus le charmeur,
Au nom de l’astre blanc, Sirius, qui commence,
Au nom de l’astre rouge, Aldébaran qui meurt,
Ô Soleil, astre blond, Père ardent des neuf Terres,
Roi doré des cieux bleus qu’honorent les couchants,
Toi qu’escorte le chœur des globes tributaires
Et que suit l’œil pieux des fleurettes des champs…
Toi le creuset géant où bout l’âme des mondes,
Toi le cœur formidable et ruisselant de jour
Qui propulses vers nous, par explosions blondes,
Toute la Vie, et tout l’Espoir, et tout l’Amour ! …

On est certes là à l’opposé de la poésie scientifique : le poète n’a guère d’ambition didactique et s’efforce visiblement de réenchanter l’espace, dernier bastion du mystère et d’une certaine poésie. En cette fin de XIXe siècle, la poésie pouvait en effet se donner pour tâche de rétablir la part de mystère, aussi bien dans l’intériorité subjective que dans le silence éternel des espaces infinis. Et la forme énonciative de la « prière » n’est pas anodine car elle projette sur son objet les connotations de la divinité. On retrouve donc ici le lien profond entre anthropomorphisme et religiosité. Profond, ce lien l’est car il ne s’agit pas seulement de la représentation des divinités sous la forme humaine, mais plutôt de l’idée, notamment religieuse, d’une intention transcendante gouvernant le monde. C’est l’idée qui, étendue de la religion à la politique, justifie la forme de pouvoir de la monarchie. En effet, alors qu’une conception du monde fonctionnant selon des « lois » naturelles semble plus affine à l’idée de République, l’idée de transcendance met en continuité l’anthropomorphisme cosmique et le pouvoir personnel. C’est en tous cas ce qu’illustre « La découverte de la vapeur » de Jean Lesguillon [44] Écrivain courtisan du Second Empire, Lesguillon avait donné à lire à l’Académie ce poème où il mêle l’éloge des sciences et des techniques à la flatterie politique. Sa structure est un enchaînement de discours anthropomorphiques, ou reposant sur l’idée de volonté transcendante. Car ce que met en évidence ce poème, c’est que l’anthropomorphisme trahit principalement une pensée de la transcendance toute puissante, divine ou politique. Le premier temps est l’apparition d’un « génie » dans un songe de Napoléon :

« Lève-toi, lui dit-il ; vois, je suis la science !
D’un pouvoir inconnu je t’offre l’alliance ;
Viens, je tiens en mes doigts les clefs de l’univers,
Vainqueur des continents, sois le vainqueur des mers [45]. »

L’infortuné empereur n’a pas suivi le conseil de la science et se voit expliquer comment la vapeur lui eût permis la victoire maritime sur l’Angleterre. Il imagine quelles auraient alors été l’étendue et la nature de son pouvoir :

« Calme au sein de ma force et de sa majesté,
L’Empire grandissait sous mon éternité !
Deux maîtres seuls enfin portaient le diadème :
Bonaparte ici-bas ! là-haut le roi suprême !
La vapeur ! mon problème eût été résolu !
La vapeur ! j’étais dieu ! Dieu ne l’a pas voulu ! »

Et le poète reprend :

« Non, Dieu n’a pas voulu, Sire ! Sa prévoyance
Gardait pour d’autres temps ce fruit de la science. »

Et de décrire les progrès matériels et sociaux que la vapeur est censée avoir apportés au long du siècle. La vapeur, en devenant « l’esclave » de l’homme, aurait en effet permis la libération de celui-ci. Or, l’exposé didactique de l’importance historique de cette forme d’énergie n’est pas tout et, en l’occurrence, c’est même un cliché au-delà duquel il faut voir une signification idéologique bien plus particulière. La Science, Dieu et l’Empereur forment une sorte de trinité omnipotente dont la Vapeur est l’esclave. Dans ce cadre, la personnification permet d’établir des équivalences et des relations très significatives. Deux plans sont distingués : celui des dominants et celui des dominés. Curieusement, les hommes semblent échapper à cette topologie sommaire : ils étaient naguère dans l’esclavage du travail mais ont été émancipés par l’asservissement de la Vapeur. Sont-ils pour autant libres ? L’histoire a répondu à l’utopie techniciste, et à la propagande bonapartiste, en replaçant les hommes entre le marteau et l’enclume que sont l’empereur et le travail, tout mécanisé fût-il. Ainsi, le surplus de dignité dispensé généreusement par la poésie à la science ou au monarque, les égalant à Dieu, occulte un effet pervers, ou dommage collatéral de la personnification, qui est la relativisation de la dignité humaine. Car le sophisme de Lesguillon ne prend pas et la maladresse de l’un de ses vers produit d’ailleurs une ambiguïté parlante : L’homme est la liberté ; la vapeur, l’esclavage ! En voulant dire que la vapeur prend sur elle le fardeau qui incombait aux hommes, le poète nous fait penser malgré lui que la vapeur n’apportera qu’une intensification du travail pour les hommes. En effet, de tels raccourcis logiques sont dangereux : vapeur = esclave = esclavage, tout cela prend la tournure d’un jeu d’analogies sans queue ni tête, dont le principe directeur n’est plus assuré. Au cours du moment de transition qu’est la fin du XIXe siècle, la personnification a pris le risque de se réduire à une pure forme rhétorique, une figure ornementale dont les incidences explicatives sont soit négligées soit mal maîtrisées. Elle devient alors disponible à tous les retournements, les jeux et les critiques. Irrévérence et anthropomorphisme ludique : des astres familiers Si, au XVIIIe siècle, la personnification avait pu être invoquée pour conférer plus de dignité à un sujet inanimé et lui appliquer des fragments narratifs, voire des épopées entières, la fin du siècle suivant semble avoir retourné les valeurs de l’anthropomorphisme. Lorsqu’il chante sa « haine du soleil », Barbey d’Aurevilly dit le haïr « comme un homme » pour ravaler sa dignité, pour saper sa prestance métaphysique [46] :

Alors, je me disais, en une joie amère :
« Et toi, Soleil, aussi, j’aime à te voir sombrer !
Astre découronné comme un roi de la terre,
Tête de roi tondu que la nuit va cloîtrer ! »
Demain, je le sais bien, tu sortiras des ombres !
Tes cheveux d’or auront tout à coup repoussé !
Qu’importe ! j’aurai cru que tu meurs quand tu sombres !
Un moment je l’aurai pensé !
Un moment j’aurai dit : « C’en est fait, il succombe,
Le monstre lumineux qu’ils disaient éternel !
Il pâlit comme nous, il se meurt, et sa tombe
N’est qu’un brouillard sanglant dans quelque coin du ciel ! »
Grimace de mourir ! grimace funéraire !
Qu’en un ciel ennuité chaque jour il fait voir…
Eh bien, cela m’est doux de la sentir vulgaire,
Sa façon de mourir ce soir !
Car je te hais, Soleil, oh ! oui, je te hais comme
L’impassible témoin des douleurs d’ici-bas…
Chose de feu, sans cœur, je te hais comme un homme !
L’être que nous aimons passe et tu ne meurs pas !
L’œil bleu, le vrai soleil qui nous verse la vie,
Un jour perdra son feu, son azur, sa beauté,
Et tu l’éclaireras de ta lumière impie,
Insultant d’immortalité.

À rebours du drame solaire mallarméen, qui fait du coucher du soleil le symbole d’un drame métaphysique, Barbey le dédramatise et le vide de sa portée symbolique. Dans les deux cas, le coucher du soleil a trait à la finitude humaine, mais la figure opère en sens inverse : en personnifiant le soleil, Barbey le rend vulgaire. Certes, ce poème n’a pas de prétention didactique et développe son paradoxe en prenant prétexte d’une méditation sur la mort de l’être cher ; mais il indique assez bien quelles valeurs peuvent s’associer, à la faveur de la causticité fin-de-siècle, à l’anthropomorphisme. On trouve une déclinaison plus légère de ce thème chez Laforgue. Il y a bien de la dérision dans sa « Marche funèbre pour la mort de la terre » qui déjoue par la personnification la grandiloquence des prophéties apocalyptiques [47]. La mort de la terre semble ne pas avoir une portée extraordinaire. Mais cet ordinaire-là est très remarquable car il occulte le problème que pose un discours d’après la mort de la terre, c’est-à-dire qu’il occulte la question du locuteur :

Ô convoi solennel des soleils magnifiques,
Nouez et dénouez vos vastes masses d’or,
Doucement, tristement, sur de graves musiques,
Menez le deuil très-lent de votre sœur qui dort.
Souviens-toi de tes dieux ; des sombres cathédrales,
Des vitraux douloureux, des cloches, de l’encens,
Et de l’orgue entonnant les hosannah(s) puissants,
Et des mystiques fleurs dans les douceurs claustrales ;
Oh ! souviens-toi du siècle où l’Homme a tant douté
Et puis s’est trouvé seul, sans Justice et sans Père,
Perdu dans l’Éternel, seul avec sa misère… –
Mais dors, c’est bien fini, dors pour l’éternité [48].

Peut-être est-ce la voix d’un dieu, ou plutôt d’un homme qui anticipe avec froideur et distance un moment bien ultérieur à sa propre disparition. L’apostrophe personnifiante permet ce ton dégagé en évoquant la possibilité d’un dialogue d’égal à égal. Mais pour Laforgue, certes, le destin de la terre évoque tout de même le destin de l’humanité, et notamment le siècle où elle s’est retrouvée « sans Justice et sans Père », c’est-à-dire précisément privée de ses mythes anthropomorphes, religieux et laïcs. La badinerie sera donc bien plus accomplie chez un Jacques Prévert qui déclarera sur le ton de la plaisanterie [49] :

Le soleil est amoureux de la terre
La terre est amoureuse du soleil
Ça les regarde
C’est leur affaire

Parodie de mythologie ou allégorie de la loi de la gravité – et sûrement les deux à la fois – ces vers ludiques ont enfoui sous des trésors de jubilation poétique la tradition des poèmes astronomiques et cosmologiques. Or, celle-ci connaît pourtant quelques résurgences, jusqu’au XXe siècle. Ainsi chez Queneau, qui associe le goût des discours savants à l’irrévérence gouailleuse [[Petite Cosmogonie portative [Gallimard, 1950], O. C., t. I, « Pléiade », Gallimard, 1989, p. 203-204, v. 167-188.]] :

Soleil couperosé chevelu tacheté
semé de grains de son roux radiant rayonneux
père très attentif d’une tribu docile [« Le système solaire et la ronde des planètes »] ils cyclent consciencieux toupies acrobatiques
champions sélectionnés zigzaguant dans le ciel
leurs boucles pour un autre ont gueule d’astragale
car leur sport déconfit leur mouvement spirale
mais les malins ont vu l’astuce planétaire
et leurs paris sont bons ils reviennent à l’heure
à la minute à la seconde au siècle au jour
les coureurs obstinés dans la froideur des jours
la roulette est vaincue et le banquier fort riche
ne cesse de payer sans deviner qu’on triche
le commerçant peut rêver la putain dormir [« Mercure et Vénus »]
le colonel fumer du tabac caporal [« Mars »]
des gamins divaguer en un jeu machinal [« Les astéroïdes »]
le fonctionnaire bâille et le vieillard somnole [« Jupiter et Saturne »]
ce féroce pédé se calme le zizi [« Uranus »]
le marin tout au loin lugubre se désole [« Neptune »]
de naviguer si près du bout de l’infini
car il ne connaît pas le mineur endurci [« Pluton »]
qui fonce aveuglément dans la fosse des nuits

Dans le chant III de cette Petite cosmogonie portative, au titre antithétiquement ambitieux et modeste, Queneau s’explique, sous la forme d’une prosopopée d’Hermès, sur son intention, ou plutôt son absence d’intention [50]. Il ne prétend pas au didactisme mais se laisse plutôt aller à écrire de la poésie sur les sujets qui l’intéressent, plaçant ainsi à l’origine de son texte, non les lieux communs de la poésie romantique, mais les centres d’intérêt d’un érudit émancipé des convenances poétiques. Qu’il s’adonne à l’anthropomorphisme pour traiter des planètes est presque étonnant, tant les autres sujets de sa cosmogonie trahissent plus de documentation scientifique que d’emprunt à l’ancienne rhétorique. Mais il est irrévérencieux envers son Olympe stellaire et laisse sentir que les entités anthropomorphes ont surtout vocation à susciter des plaisanteries un peu grossières. Cela n’empêche pas le contenu scientifique de se développer dans les intervalles puisque, dans les vers cités ci-dessus, les personnifications encadrent des allusions aux problématiques astronomiques des siècles passés. Le personnel mythologique est donc réduit ici à un rôle ornemental, dans le registre grotesque. Ce faisant, il contribue au projet poétique de Queneau qui n’est pas d’un poème didactique mais d’une science « envisagée comme thème poétique [51] ». On reconnaît là l’orientation d’un Flaubert et d’un Bouilhet, mais cela laisse voir aussi une nouvelle formulation du problème des poétiques du XXe siècle, qui est celui du didactisme en poésie ou plus généralement du savoir véhiculé par la poésie.

Critiques de la mythologie

Comment tout tenir ensemble ? Révolution du lyrisme, révolution scientifique, abandon des cadres rhétoriques et des modèles classiques en littérature, critique du scientisme… tout cela lance un défi considérable au poète scientifique de la Belle Époque.

En réponse à cela apparaît une attitude naïve, celle par exemple d’Henri Allorge en son Âme géométrique de 1906 [52]cette date, Allorge ne semble avoir pris acte ni de la révolution scientifique ni de la révolution poétique qui ont eu lieu. Il continue, sans presque d’apport personnel, une rhétorique séculaire. Il cite en épigraphe une phrase de son préfacier, Camille Flammarion, figure tutélaire de la science et du didactisme du XIXe siècle : Il faut n’avoir jamais ressenti le frisson de l’Infini et de l’Éternité, ce frisson dont on est parfois surpris de sortir vivant après en avoir été traversé, pour oser accuser la Science d’être l’antipode de la Poésie [53] Flammarion, en ces mots, faisait allusion à une autre figure tutélaire chère aux sciences et aux lettres, Pascal, et argumentait une énième fois sur la dignité littéraire des objets scientifiques. Or, de tels argumentaires sont paradoxaux : ils révèlent en fait que le poète n’est pas prêt à assumer pleinement le prosaïsme de ses objets et à poétiser non pas malgré ce prosaïsme mais à partir de lui. S’agissant des objets abstraits de la géométrie, Allorge invoque la « Blanche Muse, Géométrie [54]dans l’espoir que cette sorte d’invocation ait encore un sens, voire un prestige. De même, l’anthropomorphisme omniprésent dans son recueil sous la forme de l’apostrophe, et parfois même sous la forme de la personnification, trahit un manque de confiance en le bien fondé de son choix poétique.

LE POINT [55]

Œil du monde, fleur de l’espace,
toile au tableau noir des nuits,
C’est par toi que naît et s’efface
Toute chose aux champs infinis.
Essence de l’être suprême,
Signe de la Divinité,
C’est toi le sublime poème
De toute la réalité !

L’impersonnalité de l’objet scientifique n’est pas tout à fait assumée alors même que l’on perçoit une réelle créativité poétique dans ses désignations. Le poète cherche en effet toujours à développer une analogie ou un symbolisme qui rattache même l’objet le plus abstrait à une signification humaine, voire à des topoï littéraires :

L’ASYMPTOTE [56]

Tout rêve d’infini s’exprime en ce dessin.
Asymptotes : l’amour, l’idéal, l’espérance,
Dieu, l’âme, le bonheur : asymptotes immenses !
Poursuivre l’impossible est l’éternel destin !

Dans un recueil ultérieur, Allorge s’est attaqué à plus difficile encore, l’électricité sous l’angle de ses applications utilitaires [57] y traite, toujours en vers, de l’aspirateur, du four électrique, de l’interrupteur [58] etc. Dans ce recueil nettement postérieur à L’Âme géométrique, il semble s’être un peu libéré de la rhétorique néo-classique et il perçoit parfois le caractère poétique moderne des objets techniques. Il n’en demeure pas moins que l’idée anthropomorphique reste un trait incontournable de sa conception de la poésie scientifique. C’est donc ainsi qu’il parle du télégraphe électrique :

Pourtant il contient, dans sa rouge âme de cuivre,
Une force terrible et docile à la fois
Comparable à l’Esprit qui dort au fond du Livre.

Dans la préface de ce livre, Édouard Schuré résume la croyance profonde d’Allorge en parlant d’une « âme universelle » qui animerait la nature de nombreuses manières, allant de la force qui organise la structure des cristaux jusqu’à l’âme humaine en passant par les règnes végétaux et animaux. C’est ce principe « animique » qui est censé réconcilier sciences et poésie en faisant apparaître la parenté essentielle, donc la dignité, des phénomènes naturels. Cet argument ou ses variantes sont très courants depuis des siècles et il est remarquable qu’il ne soit pour l’instant pas renversé. C’est toujours la nature qui est hissée au rang de l’homme et jamais l’homme et son « âme » qui sont ramenés au niveau de déterminations naturelles strictement matérielles. Le travail du matérialisme dans la culture, en ce début de XXe siècle, n’a donc pas encore suscité de renversement poétique dans la poésie scientifique. Il faut reconnaître que les révolutions qu’a subies l’énonciation lyrique ne semblent pas devoir affecter de la même manière le discours didactique.

Les problèmes qui se posent sont néanmoins très bien perçus et analysés par un amateur de poésie didactique de grande envergure en la personne de Maurice Klippel [59]. Avant de publier ses deux tomes de Poésies philosophiques en 1937 et 1938 à la Librairie Vrin [60], celui-ci avait publié en 1921 Poésie et philosophie. Les origines de la pensée philosophique, chez Alcan puis, en 1934, La Mythologie, origine des connaissances et ses rapports avec les progrès de l’esprit humain aux Éditions d’Hippocrate. Rompu à la philosophie et à la mythologie comparée, accueilli par des éditeurs philosophiques et scientifiques, Klippel abordait donc le genre de la poésie didactique avec les armes d’un intellectuel confirmé et reconnu. Son esprit d’analyse le pousse à distinguer les différentes modalités de la poésie didactique et à séparer, dans une sorte de traité philosophique versifié, remarquablement construit, les types de discours. Ainsi, Klippel répartit dans la structure de son ouvrage les parties explicatives et les parties descriptives, les thèmes philosophiques et d’autres plus proprement scientifiques. Par ailleurs, il ne renonce pas à l’anthropomorphisme mais l’analyse comme tel avant de le mettre en œuvre. Son idée maîtresse, exposée dans une préface intitulée « La Poésie unie à la Philosophie », est que ces deux discours traitent de la même chose avec des moyens partiellement et localement divergents. La figure et la fable, ainsi que la mise en œuvre formelle de la poésie versifiée et rimée sont des adjuvants au discours didactique mais ne rendent pas, par eux-mêmes, la poésie radicalement étrangère à la philosophie. Et cette dernière recourt d’ailleurs à l’occasion aux fables et aux figures. Dans un chapitre portant précisément sur l’anthropomorphisme, il rapproche les cultures monothéistes, polythéistes et animistes en expliquant que leur tropisme anthropomorphique est une tendance, en continuité avec l’attitude scientifique, à chercher une explication du monde [61] :

Trouver des Dieux, ou Dieu, c’est conclure à la cause
En voyant les effets. La plus petite chose
Et la plus effrayante ont un dieu dans leur fond :
Atomes et soleils par lui tournent en rond.
Ainsi l’esprit humain devant toute puissance
D’une cause invisible affirma la présence [62].

Passé ce stade mythologique et religieux, les représentations évoluent mais conservent à travers l’histoire un trait anthropomorphique jusque dans les discours scientifiques. Même si l’âge de la Providence puis l’âge de la Raison succèdent au moment proprement mythologique, les représentations semblent résister à l’évolution philosophique. Cette rémanence repose sur une confusion plus ou moins consciemment entretenue entre l’idée de cause et celle d’intention. Mais Klippel, en poète scientifique acquis à cette nécessaire licence conceptuelle, adopte par intermittence le discours anthropomorphique et intentionnaliste. C’est le cas par exemple lorsqu’il donne une longue série de poèmes sur Apollon et Dionysos, incarnant respectivement l’Esprit et la Vie [63]. Un tel moment représente l’aspect le plus philosophique, c’est-à-dire le plus abstrait de l’ouvrage. En revanche, les moments les plus scientifiques et concrets excluent tout anthropomorphisme. Ils reposent sur deux types de discours. Le premier est purement explicatif et se fonde sur l’usage sans restriction du mot propre. Ces passages équivalent en fait à des textes de vulgarisation scientifique mis en vers. D’autres, dont on pourrait juger qu’ils sont plus « littéraires », sont dans le style de la description pittoresque. Ainsi lorsqu’il traite de « La nature à l’état sauvage [64] » :

Des immenses forêts occupant les tropiques
Se déroulent au loin en aspects magnifiques.
L’opulente nature, avec la majesté,
S’y montre dans l’essor de sa fécondité,
Et d’elle-même offrant la plus vivante image,
Foisonne dans l’ardeur de sa force sauvage.
Les arbres refoulés par des arbres nouveaux
Dans l’élan de la vie intriquent leurs rameaux ;
Les faibles et les forts en croissant se confondent,
Dans leur diversité les espèces abondent,
Des feuillages divers de forme et de couleur
Mélangent leur ton sombre à leur claire pâleur ;
Ce n’est que rarement qu’une espèce isolée
Occupe un cercle étroit à part de la mêlée.

Ce passage montre assez clairement que le style pittoresque a pour vocation de rendre sensible le processus vital en œuvre et de donner une épaisseur concrète, un contexte, aux lois naturelles énoncées dans d’autres segments du texte. Une qualité « littéraire » de l’écriture peut ainsi être le relais, ou le préalable, de l’exposé didactique mais, dans les parties scientifiques du poème, la poésie a un rôle plus fondamental encore. Il apparaît en effet que, dans l’enquête sur les origines des espèces, par exemple, la science a besoin de l’imagination et ce non seulement pour prolonger les constats par des hypothèses mais aussi pour transformer en spectacle sensible les indices collectés par les scientifiques. Le « ptérodactyle antédiluvien » illustre ce principe car

Tout fut dans la Nature et jusqu’à ces mensonges
Que l’homme ne peut voir que dans le fond des songes [65] !

Suit une longue description qui n’est pas sans rappeler celle de Bouilhet. On y sent seulement plus de scrupule dans le détail et peut-être moins de talent. Ce que Klippel a de commun avec Bouilhet, c’est la conviction que la science doit produire des représentations parlantes et non seulement des constructions abstraites. Elle est donc un défi à l’imagination. Mais alors que Bouilhet jouait principalement du pittoresque et du lyrisme, Klippel a quasiment renoncé au lyrisme et y a substitué le discours didactique. Il est donc arrivé à un moment historique où il se sent obligé de distinguer différents types de discours et leurs prérogatives respectives mais continue malgré cela à les faire coexister au sein d’un même projet littéraire. Cette cohabitation des genres se fait au prix d’une minutieuse partition et d’une table des matières dont l’arborescence évoque les traités scientifiques. Publiée chez un authentique libraire philosophique, sous la plume d’un authentique scientifique, cette œuvre représente sans doute l’épilogue flamboyant de l’histoire du poème scientifique comme genre. Certes, quelques exemples ultérieurs prolongent à peine cette histoire, mais l’ouvrage de Klippel est sans doute le dernier à représenter une telle réussite éditoriale en tant que véritable traité en vers. Surtout, il marque la fin d’une période en contenant en lui-même à la fois la justification historico-philosophique du genre et la nécessité, pour l’esprit scientifique du XXe siècle, d’y séparer différents types de discours. Mais plus qu’un réel point d’arrêt, on peut considérer que Klippel dresse une sorte de bilan et formule la problématique qu’aura à traiter la génération suivante. Il s’agit en effet de reconsidérer les représentations de la culture scientifique, et en particulier ses personnifications, pour les mettre en cohérence avec les nouvelles modalités de l’expression poétique. En somme, Klippel préparait le terrain à Francis Ponge : celui-ci allait devoir mener à son terme la critique déconstructrice de l’anthropomorphisme et accepter le caractère fondamentalement matérialiste de la science moderne.

Ponge : de la critique de l’anthropomorphisme à l’anthropomorphisme critique

En 1954, Francis Ponge accepta une commande de la Compagnie d’électricité qui voulait promouvoir auprès des architectes l’idée de concevoir les bâtiments modernes en prévoyant pleinement et efficacement leur électrification. Ponge republia le texte de cette plaquette en 1961 dans son recueil poétique Lyres, ce qui atteste qu’il le considérait comme une œuvre ayant le même statut poétique que les divers poèmes de ce livre. Ce qui m’intéresse particulièrement est que ce texte mêle des énoncés figurés, dont certains personnifient l’électricité, à des énoncés réflexifs qui analysent ou critiquent l’anthropomorphisme poétique appliqué aux entités scientifiques et techniques. Ponge ne se dérobe pas au passage quasiment obligé du rappel étymologique de la figure d’Électre [66]. Il sacrifie ainsi à un rite de la culture classique, ou un réflexe de l’homme de lettres qui « connaît ses classiques » et va même jusqu’à développer la parenté du personnage mythique. C’est d’autant plus amusant que la figure d’Électre n’est qu’indirectement liée à l’histoire de l’électricité puisque le mot dérive en fait d’electron, l’ambre jaune. Ainsi, même dans l’analyse étymologique, un biais anthropomorphique se fait jour. Mais il est patent, voire ostentatoire, que l’exposé mythologique est parfaitement gratuit. En tous cas, il n’amène aucune remarque sur la pertinence étymologique des mots « électron » et « électricité ». Aucune motivation n’est invoquée pour ce rapprochement de la réalité technique et du personnage mythique. Ponge semble saluer au passage une culture qui est devenue stérile mais demeure dans le paysage culturel à l’état de vestige, de monument. L’anthropomorphisme mythologique est désactivé et il signale néanmoins, fût-ce en creux, un fonctionnement immémorial de la langue. Ce fonctionnement mythopoïétique, Ponge ne lui tourne pas tout-à-fait le dos. Il s’en amuse plutôt et se plaît à le faire jouer avec quelque distance autocritique, voire ironique. Prenant acte du tournant majeur qu’ont pris les sciences depuis le début du XXe siècle, il se situe dans un moment de fondation d’une nouvelle culture, de nouveaux mythes, analogue au moment de naissance des mythes antiques :

Nous voici donc revenus, dirai-je, à un temps tout pareil à celui des Cyclopes, bien au-delà de la Grèce classique, bien au-delà de Thalès et d’Euclide, et presque au temps du Chaos. Les grandes déesses à nouveau sont assises, suscitées par l’homme sans doute, mais il ne les conçoit qu’avec terreur. Elles s’appellent Angström, Année-Lumière, Noyau, Fréquence, Onde, Énergie, Fonction-Psi, Incertitude. Elles aussi, comme les divinités sumériennes, stagnent dans une formidable inertie mais leur approche donne le vertige. Et sur leurs tabliers sont inscrites les formules, en écriture abstraite, en hautes maths [67]

. Le ton caractéristique de Ponge mêle un humour froid au jeu sur les références culturelles. Il a retenu quelques lexies typiques de la science moderne mais dont le champ sémantique est suffisamment ouvert pour activer des connotations suggestives, notamment dans le domaine religieux. Ainsi, le parallèle entre invention scientifique et mythogenèse tire visiblement sa substance de l’usage des mots. L’emploi de la majuscule à l’initiale n’est que l’indice le plus visible de la mythification mais elle suggère la possible insertion des lexies dans des discours et des récits mythiques. Ponge souligne bien le paradoxe de l’origine de ces nouvelles divinités « suscitées par l’homme » mais que celui-ci ne « conçoit qu’avec terreur », comme si l’homme avait autant besoin, et simultanément, de fiction et de vérité, d’une fiction aliénante et d’une vérité émancipatrice. C’est un peu fort, sans doute, et il y a une bonne part de provocation dans ce raccourci. Surtout, Ponge fait remarquer plus loin la différence fondamentale entre science et religion, et par conséquent l’irréductibilité d’un mythe scientifique à un mythe religieux. C’est que les sciences sont divulguées et non mystérieuses, appliquées et donc pratiques. S’agissant tout particulièrement d’électricité, et notamment de l’électricité appliquée à l’architecture domestique, le mythe scientifique semble s’effacer devant la familiarité de l’usage de la science. Contrairement à la croyance religieuse, toujours sujette au doute, la science fait quotidiennement ses preuves : tout au long de son texte, Ponge ne cesse de se décrire allumant et éteignant la lumière, jouant sur ce changement, significativement aisé, des conditions matérielles de l’écriture. Il invite ainsi son lecteur à apprivoiser la figure anthropomorphe de l’électricité. Celle-ci est en effet personnifiée avec quelque développement [68]. Ce n’est plus la « fée électricité » de l’époque 1900 car elle ne s’attache plus de connotations surnaturelles. D’abord comparée à une prostituée, puis à une servante, elle n’est pas, en fait, une des « grandes déesses » qu’il mentionnait plus haut. Et même lorsqu’elle prend quelque grandeur, celle d’une « princesse », elle reste accessible :

L’électricité, certes, est une princesse, et qu’elle ait le teint du cuivre ne me déplaît pas. Exact. Mais pourtant les yeux bleus, s’il vous plaît, ou plutôt un certain reflet bleu, à fleur de sa peau de cuivre. Très bien. Cela marche même avec ce que nous savons [69], que la molécule de cuivre ionisée est bleue, tandis qu’à l’état neutre elle était rouge. Mais pourtant cette princesse est aussi une domestique : comment vais-je arranger ça ? […] Il suffit de saisir entre le pouce et l’index la petite oreille froide de cet enfant, pour qu’aussitôt, déchirant sa robe de soie qui se placarde, les ailes étendues, aux murs et au plafond, une éblouissante personne, sa mère, – est-ce notre princesse hindoue, en est-ce mille, sont-ce mille esclaves qui se précipitent toutes nues à notre service ? Quel ennoblissement, quel plaisir procure une telle domesticité ! Quel luxe d’être servi par cette grande figure métaphysique, vêtue de soie bruissante et frémissante, et d’ailleurs nue, coiffée d’aigrettes, parée de rivières de diamants ! […] On me dit qu’elle me sert comme elle sert tout le monde, et que le moindre paysan peut se l’offrir. En effet, c’est une prostituée, mais que m’importe, puisque jamais elle ne perd rien de sa distinction, de son éloignement par principe [70].

Il y a bien de la désinvolture dans cette personnification, et non un culte de type religieux. Le ton est familier et l’érotisation de la figure dénote bien une forme de rapprochement. Même du point de vue du savoir scientifique, il n’est plus question de mystère hermétique : dans une note de bas de page, Ponge renvoie au savoir sous sa forme la plus vulgarisée et la plus accessible, la célèbre collection « Que sais-je ? ». Or, si ce n’est certes pas la première fois qu’un poète donne des notes de bas de page à ses poèmes, il y a néanmoins quelque chose de plaisant et de remarquable à justifier une figure par la référence à un manuel de vulgarisation scientifique ! Le plus important me semble qu’il indexe de ce fait sa manière d’écrire sur un savoir constitué. Il reconnaît et thématise le fait que la poésie dépend, plutôt directement qu’indirectement, d’un contexte épistémologique et scientifique. Ainsi, s’agissant de l’électricité, il note qu’elle a avant tout généré une représentation de la littérature et des « métaphores instituantes [71] » qui orientent le style : Tout cela a joué, dans tous les arts, en faveur d’une certaine rhétorique : celle de l’étincelle jaillissant entre deux pôles opposés, séparés par un hiatus dans l’expression. Seule la suppression du lien logique permettant l’éclatement de l’étincelle. Poésie et électricité s’accumulant dès lors et restant insoupçonnables jusqu’à l’éclair, voilà qui marche avec l’esthétique des quanta. Et bien sûr qu’aucun hymne ou discours dans le style soutenu n’est plus possible, quand triomphe, en physique, le discontinu. Tel est l’état de fait qui doit être bien observé des architectes, car on ne saurait revenir en arrière : il s’agit d’une modification irréversible du goût [72]. Cette solidarité des sciences et des arts amène logiquement à envisager les développements à venir et à mettre en perspective la pratique d’écriture contemporaine. Ponge se situe lui-même dans une ère, mathématique et rhétorique, euclidienne, c’est-à-dire une ère où les figures rhétoriques sont cohérentes avec une manière de représenter le monde selon une géométrie particulière. Ainsi formerons-nous un jour peut-être les nouvelles Figures, qui nous permettront de nous confier à la Parole pour parcourir l’Espace courbe, l’Espace non-euclidien [73]. [Il n’est pas certain qu’écrire ceci en 1954 soit une preuve de clairvoyance. On pourrait répondre à Ponge que le modernisme a déjà eu lieu, de même que le futurisme ou encore Dada, et que la géométrie non euclidienne n’est alors plus d’une très grande actualité. Sa prophétie pourrait même le condamner lui-même en révélant son propre anachronisme. Mais le défi n’est pas de suivre le progrès scientifique au jour le jour, et la portée du propos de Ponge ne doit pas être cherchée dans une application immédiate de sa thèse à sa pratique d’écriture ; il faut plutôt reconnaître, me semble-t-il, que son mérite est d’ouvrir, en homme de lettres, une réflexion sur la prégnance de la pensée scientifique et technique dans la culture, jusque dans l’écriture poétique qui était naguère considérée comme la plus étrangère à la science. On peut considérer que Ponge représente une nouvelle étape, et peut-être l’une des dernières, dans la trajectoire de la personnification scientifique en poésie. Chez lui, il ne reste à peu près rien de l’intentionnalisme, religieux ou animiste, qui sous-tendait la tradition de l’anthropomorphisme. L’homme a fait de l’électricité – et il peut en aller de même des autres découvertes modernes – sa servante, sa prostituée et sa princesse [74]. Il la modèle à plaisir, sous sa plume, et y trouve le reflet de sa propre intention, de son propre désir.

Dans le texte de Ponge, l’homme semble pouvoir être confiant en son génie et jouir de ses inventions. À la veille de la construction de la première centrale nucléaire en France, le poète n’a guère de raison de faire le lien entre électricité et énergie nucléaire [75]. C’est un moment de répit, idyllique, certes après Hiroshima, mais avant les prises de conscience écologiques, propice à l’épanouissement d’un matérialisme confiant. Ces figures de l’électricité, de même que le traitement ludique des astres par Queneau, indiquent l’orientation prise par la poésie scientifique lorsque le genre didactique à proprement parler a laissé la place à la poésie sur thème scientifique [76]. Ce n’est pas que l’univers soit absolument désenchanté et « vide ». C’est plutôt que, dans l’incessant renouvellement de ses mythes, l’homme fait une pause. Pour penser à nouveau l’univers à son image, il faudrait peut-être qu’il se pense à l’image d’un Dieu perdu de vue, ou encore qu’il surmonte l’antagonisme entre lui et la Nature, révélé par la pensée écologique. Mais sans doute la science contemporaine l’encourage-t-elle plutôt à se penser lui-même à l’image de l’univers, c’est-à-dire à dissoudre la spécificité humaine, et notamment l’intention, dans les lois de la nature. En effet, après le poème didactique, le nouveau sujet lyrique s’avoue lui-même objet de science. Fondation Thiers / EA 4089 « Sens, textes, histoire » (Paris-Sorbonne) nwanlin@normalesup.org

ps:

ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.), I,1, 2007

notes:

[1] Voir une présentation de ce recueil et sa contextualisation historique par Jean-Pierre Bertrand : « La poésie à vapeur : Les Chants modernes de Maxime du Camp », Le Poème fait signe, URL :http://www.fabula.org/colloques/doc…

[2] Je citerai ici très longuement des textes dont il n’existe pas d’édition papier accessible. On peut trouver le texte de Du Camp sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France :http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bp…

[3] Voir sur ce point Bertrand Marchal, La Religion de Mallarmé, José Corti éditeur, 1988.

[4] Dans la préface de son poème, Daru rapporte que Laplace lui aurait dit ceci : « Dans notre siècle, où tous les esprits tendent vers l’étude des choses positives, la littérature semble appelée à parcourir une carrière nouvelle. Son rôle est de populariser les sciences, de les présenter dépouillées des formes qui les rendent inaccessibles à un si grand nombre d’intelligences. » (L’Astronomie, poème en six chants, Firmin Didot frères, 1830, préface III-IV.)

[5] Ibid., p. 26-27.

[6] Ibid., p. 28.

[7] Ibid., p.186-187.

[8] Dédié à Flaubert, d’abord paru dans la Revue de Paris en 1854 et repris dansFestons et astragales en 1859 et lisible sur le site de Jean-Baptiste Guinot :http://perso.orange.fr/jb.guinot/pa… . Après des études de médecine interrompues, Louis Bouilhet (1821-1869), qui se concevait poète, fut professeur de grec et de latin, puis conservateur de la bibliothèque de Rouen.

[9] Il faut probablement comprendre ici que Bouilhet se rallie à la théorie de l’hétérogenèse (couramment appelée « génération spontanée ») selon laquelle la vie animale peut naître d’éléments non animaux.

[10] C. Fusil, La Poésie scientifique de 1750 à nos jours, Éditions Scientifica, 1918, p. 141.

[11] Dans Bouvard et Pécuchet, le récit des origines du monde rappelle assez nettement le poème de Bouilhet. (éd. de Cl. Gothot-Mersch, « Folio », Gallimard, 1979, p. 142-143). S’il est certain que Flaubert connaissait ce poème, on peut aussi suggérer que lui et Bouilhet partageaient les mêmes sources.

[12] Gisèle Séginger, « Forme romanesque et savoir. Bouvard et Pécuchet et les sciences naturelles »,Revue Flaubert, n°4, 2004,http://www.univ-rouen.fr/flaubert/1…Elle montre dans cet article que l’apport des sciences naturelles n’est pas tant le fond des théories que l’élaboration d’un roman selon la structure tabulaire et paradigmatique de la botanique linnéenne.

[13] Judith Wulf explique en quoi Flaubert a pu s’inspirer des travaux de Félix-Archimède Pouchet (dernier promoteur de l’idée de génération spontanée contre Pasteur) et de son fils Georges Pouchet (professeur d’anatomie comparée au Museum d’Histoire Naturelle) dans « Les sciences naturelles dans La Tentation de saint Antoine : entre esthétique et épistémologie »,Revue Flaubert, n°4, 2004,http://www.univ-rouen.fr/flaubert/1…

[14] Flaubert avait d’ailleurs fait entrer Darwin dans son anthologie de clichés : « DARWIN : celui qui dit que nous descendons du singe. », Le Dictionnaire des idées reçues, à la suite de Bouvard et Pécuchet, éd. cit., p.504. Par ailleurs la structure globale du poème se fonde sur une conception cyclique et diluvienne de l’histoire de la Terre. Mais cette idée n’est pas mise en œuvre comme une opinion à illustrer, plutôt comme le principe d’organisation du récit, dirigé vers une fin apocalyptique.

[15] Par ailleurs la structure globale du poème se fonde sur une conception cyclique et diluvienne de l’histoire de la Terre. Mais cette idée n’est pas mise en œuvre comme une opinion à illustrer, plutôt comme le principe d’organisation du récit, dirigé vers une fin apocalyptique.

[16] Emmanuel N. L. Viollet-le-Duc,Nouvel art poétique, poème en un chant, chez Martinet, 1809, p. 15-16.

Les notes du poème explicitent la critique de la poésie descriptive et didactique : l’auteur invoque Aristote pour fonder la poétique sur l’action et en conclut qu’un « ouvrage en vers, pittoresque, descriptif, ou didactique, comme on voudra, n’est pas un poème, ni même une belle chose. » (p. 35-37)

[17] Voir le « Discours préliminaire » qui précède Les Saisons, poème, Froment, [1769] 1825, p. XIV.

[18] Ibid., p. XIV-XV.

[19] Sur la conjonction d’une inspiration encyclopédiste et d’un projet esthétique, voir Luigi De Nardis, Saint-Lambert : scienza e paesaggio nella poesia del Settecento, Roma, Ateneo, 1961, notamment p. 121-142 : « L’Arcadia enciclopedista ».

[20] Ibid., « Le Printemps », p. 3-4.

[21] Voir la section V, « Projet de poétique » dans Lettre sur les occupations de l’Académie…, Librairie classique d’Eugène Belin, 1879, p. 36-57, en particulier p. 52-53 sur les effets pathétiques de la personnification chez Virgile.

[22] Géorgiques, III, v. 517-519, qu’É. de Saint-Denis traduit ainsi : « Triste, le laboureur s’en va dételer le jeune taureau affligé de la mort de son frère, et laisse sa charrue enfoncée au milieu du sillon. » (Les Belles Lettres, coll. « Budé », 1982, p. 56.)

[23] Michel Delon, « Préface » à l’Anthologie de la poésie française du XVIIIe siècle, coll. « Poésie », Gallimard, 1997, p. 15.

[24] Préface à L’Imagination, Lebigre frères, [1806] 1834, p. 12, citée par M. Delon, loc. cit., p. 19.

[25] Ibid., p. 165.

[26] Ibid., p. 165-166.

[27] La Nature ou le Bonheur philosophique et champêtre, chant III : « Le Génie », cité par M. Delon, op. cit., p. 192.

[28] Loc.cit., p. 14, à propos de La Nature, ou le bonheur philosophique et champêtre.

[29] Jean-Marie Roulin, « Les plantes ont-elles une âme ? La sensitive de Descartes à Delille », Études de lettres, Lausanne, janvier-mars 1992, en particulier p. 92-102.

[30] Ibid., p. 96.

[31] Voir notamment Les Structures rhétoriques de la science de Kepler à Maxwell, éd. du Seuil, coll. « Des Travaux », 2004.

[32] Sur les périphrases et les métaphores de Saint-Lambert pour éviter le mot propre, voir Wil Munsters, La Poétique du pittoresque en France de 1700 à 1830, coll. « Histoire des idées et critique littéraire », Genève, Droz, 1991, p. 122-125, en particulier p. 125 : « Que ce soit cette fidélité au vocabulaire traditionnel, la persistance de la métaphore élevée ou le recours au merveilleux, tout témoigne de sa volonté de respecter les limites consacrées par le Bon Usage. Tout compte fait, son style est le reflet fidèle de sa théorie de l’imitation de la nature. »

[33] Jean Richepin, « La Gloire de l’eau », La Mer, Fasquelle, 1886 [reprint Gallimard, 1980], p. 327.

[34] Voir notamment son plaidoyer contre les « mystiques théories » (ibid., p. 329-339) suivi d’une prosopopée de l’eau elle-même (p. 339-344) : la personnification est ici censée jouer contre la croyance religieuse et porter le discours matérialiste.

[35] René Ghil, Le Dire du mieux, Le meilleur devenir, 1889, cité dans la précieuse anthologie due à Jean-Pierre Luminet, Les Poètes et l’Univers, Le Cherche Midi éditeur, 1996, p. 258.

[36] « René Ghil », Le IIe Livre des masques, Mercure de France, 1898.p. 182.

[37] Système de Ptolomée. [[sic, note de l’auteur

[38] Jacques Malfilâtre, Odes, « Le Soleil fixe au milieu des planètes. Ode. »,Œuvres, chez Léopold Collin libraire, an XIII – 1805 [fac-similé Phénix éditions, 1999], p. 149-151.

[39] Jean Lahor (Henri Cazalis), « L’Illusion », La Gloire du Néant, Lemerre, 1896, p. 157-158.

[40] L’Atlantiade ou la théogonie newtonienne, poème en 6 chants, 1812, cité par J.-P. Luminet, op. cit., p. 352-353.

[41] « Les grandes lois », La Légende des Siècles, 1859-1883, coll. « Bouquins », éditions Robert Laffont, p. 569-570.

[42] « La comète », ibid., p. 425.

[43] La Chanson des étoiles, Ollendorf, 1888, p. 13-14. Remarquer également dans le même volume le poème intitulé « La mort de Dieu » qui en donne une remarquable vision anthropomorphique très concrète.

[44] « La découverte de la vapeur », Les Couronnes académiques, Arnauld de Vresse éditeur, 1861, p. 1-14. Jean-Pierre-François Lesguillon (1799-1873) a commencé par travailler à L’Almanach des muses de 1830 à 1833 puis a dirigé La Lanterne magique de 1833 à 1836. Il s’est surtout fait connaître par ses pièces de théâtre, notamment des drames historiques. Il a beaucoup écrit pour les concours des académies de province, ce qui forme le contenu des Couronnes académiques. Il a recherché la bienveillance de Napoléon III par divers moyens et notamment en recueillant des poésies à lui dédiées ou en écrivant un poème sur la naissance du prince impérial (comme Théophile Gautier). [[« La découverte de la vapeur », Les Couronnes académiques, Arnauld de Vresse éditeur, 1861, p. 1-14. Jean-Pierre-François Lesguillon (1799-1873) a commencé par travailler à L’Almanach des muses de 1830 à 1833 puis a dirigé La Lanterne magique de 1833 à 1836. Il s’est surtout fait connaître par ses pièces de théâtre, notamment des drames historiques. Il a beaucoup écrit pour les concours des académies de province, ce qui forme le contenu des Couronnes académiques. Il a recherché la bienveillance de Napoléon III par divers moyens et notamment en recueillant des poésies à lui dédiées ou en écrivant un poème sur la naissance du prince impérial (comme Théophile Gautier).

[45] Ibid., p. 4.

[46] « La Haine du soleil » [1886],Poussières [1897], Œuvres romanesques complètes, t. II, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1966, p. 1197-1199.

[47] « Marche funèbre pour la mort de la terre » [1903], Le Sanglot de la Terre. 3 : Poèmes de (variations sur) la mort, Œuvres complètes, t. I, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1986, p. 341-345.

[48] Ibid., p. 342-343.

[49] « Soyez polis » [1941], Histoires [1946], Œuvres complètes, « Pléiade », Gallimard, 1992, p. 823-824.

[50] « Mais je ne l’ai pas conçu, du tout, il s’est conçu tout seul, enfin, c’est un poème un petit peu… surréaliste, disons. Enfin, surréaliste dans le sens où il n’a pas de, d’intention, enfin… Là, aucune. », « Notice », (ibid., p. 1236)

[51] « Ce n’est pas un poème didactique, c’est la science envisagée comme thème poétique. », « Notice », ibid., p. 1235.

[52] L’Âme géométrique, poésies avec une lettre-préface de M. Camille Flammarion, Plon Nourrit et Cie, 1906, 49 p. Henri Allorge (1878-1938), auteurs de romans populaires et pour la jeunesse publia des romans de science fiction, des textes de vulgarisation scientifique et, outre le recueil poétique déjà cité, Le Clavier des harmonies, transpositions poétiques, Plon-Nourrit et Cie, 1907 et des Petits poèmes électriques et scientifiques, préface de l’auteur et avant-propos d’Édouard Schuré, Perrin, 1924.

[53] Stella, XXII, Flammarion, 1897.

[54] Op. cit., p. 16.

[55] Ibid., p. 19.

[56] Ibid., p. 36.

[57] Petits poèmes électriques et scientifiques, éd. cit.

[58] Ce dernier prépublié dans L’Art Ménager, avril 1927, p. 43.

[59] Maurice Klippel (1858-1942) était un médecin réputé pour ses travaux en neurologie, psychiatrie, histologie, etc. Il publia de nombreux ouvrages et articles spécialisés au long de sa carrière et, une fois à la retraite, des essais historiques et philosophiques.

[60] Poésies philosophiques, 2 vol., J. Vrin, 1937-1938.

[61] Déjà Saint-Lambert expliquait la divinisation des forêts par les peuples anciens dans Les Saisons, éd. cit. p. 52 et la note p. 80-81. Lui-même, malgré son explication rationnelle, n’hésite pas à faire une description des bois fortement anthropomorphique : « Et vous, forêt immense… Tout semble autour de moi plein de l’Être-Suprême… »

[62] Op. cit., t. II, p. 90.

[63] Ibid., p. 193-200 : « L’Esprit et la Vie en contraste ».

[64] Ibid., t. I, p. 171.

[65] Ibid., t. II, p. 165.

[66] « Texte sur l’électricité » [1954],Lyres, coll. « Poésie-Gallimard », [1961] 1980, p. 82.

[67] Ibid., p. 89.

[68] Ibid., p. 95-97.

[69] Collection : « Que sais-je ? », passim. [note de l’auteur

[70] Op. cit., p. 95-97.

[71] J’emprunte cette expression à Philippe Ortel qui l’emploie pour évoquer l’influence de l’imaginaire photographique sur l’écriture littéraire :La Littérature à l’ère de la photographie, Nîmes, éditions Jacqueline Chambon, 2002, p. 145.

[72] Ibid., p. 98-99. Certes, quelques lignes plus bas, Ponge s’amuse de sa propre idée et la nuance en avertissant du danger qu’il y aurait à prendre trop au sérieux de telles images.

[73] Ibid., p. 90.

[74] Sur les représentations de l’électricité dans la culture et la conscience française, voir Alain Beltran et Patrice A. Carré, La Fée et la Servante. La société française face à l’électricité XIXe-XXe siècle, préface d’Alain Corbin, Belin, 1991.

[75] La construction du premier réacteur nucléaire en France, à usage civil et militaire, fut décidée en 1952. Les travaux commencèrent en 1955 et s’achevèrent en 1956.

[76] Voir néanmoins la nette composante didactique dans le récent texte d’Alexandre Wajnberg (journaliste scientifique, comédien et écrivain) 8 minutes 19 secondes. Perles d’étoiles. Poème scientifique, coll. « Traverses », Les Impressions Nouvelles, 2002.

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