14 – Vivre avec la catastrophe, vivre avec l’image

La catastrophe est un sujet de choix dans l’univers des images. Elle est à la source d’une multitude d’imagiers aux ramifications infinies qui alimentent nos fantasmes et fournissent à nos angoisses des supports de compensation, sans craindre de réitérer jusqu’à l’écœurement des procédés tapageurs. Les photographes sont couramment de grands pourvoyeurs de cet ordinaire du spectaculaire ; toutefois parmi eux des artistes choisissent d’en prendre le contrepied, ils réalisent des photographies qui sollicitent notre vigilance en privilégiant une exaltation poétique au détriment d’une efficacité immédiate. Nous commencerons par regarder une photographie de guerre atypique mais célébrissime, prise en 1855 par Roger Fenton. The Valley of the Shadow of Death est emblématique d’une pratique photographique qui explore les limites esthétiques du médium. Robert Adams et Wout Berger s’appuient comme Fenton sur les codes de la figuration picturale et utilisent la photographie pour en faire l’instrument d’une critique contre les désastres écologiques. Leur pratique est également une véritable ressource contre l’imposture véhiculée par les images et dont nous sommes les victimes consentantes.

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10 – Drôles d’événements ? La menace nucléaire vue à travers les formes de son interprétation et de son remploi artistiques

De la catastrophe, et singulièrement des effets de l’accident nucléaire, maintes représentations ont été faites ; notre intérêt se portera, dans les arts visuels, sur la question de la place de l’humour face au désastre. En effet, en évitant le sérieux ou le sublime que semble appeler la figuration d’un événement dramatique, le recours à l’humour autorise, peut-être plus encore que l’avènement d’une œuvre apotropaïque, un pas de côté qui permet de prendre du champ et de songer le désastre. Le rire ou la stupeur seconde générés par certaines images ne constitueraient-ils pas a priori l’un des remèdes les plus efficaces à la « jubilation affreuse », à la sidération ou encore à l’indifférence, dans lesquelles bien des œuvres paraissent vouloir nous laisser ?... Ces images reprises et retravaillées ne pointent-elles pas, directement, aussi, un mode de consommation et de réception de la catastrophe et de l’horreur ? Les XXème et XXIème siècles, au cours desquels l’accident nucléaire aura fait son irruption, sont les cibles et les lieux d’exercices d’imagiers aux vues singulières qui ambitionnent de retourner ou de déjouer les représentations convenues, attendues, grandiloquentes et pathétiques des catastrophes, pour en proposer des visions tour à tour déconcertantes et grinçantes.

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9 – Répliques : les images latentes de la catastrophe

Sont mis en perspective trois ensembles d’œuvres graphiques contemporaines pour lesquels les artistes ont procédé selon diverses modalités, à des reprises dessinées de documents photographiques témoignant de catastrophes humaines et écologiques. Pour l’ensemble Mélanophila II, 2003-2008, Dove Allouche a consacré cinq années à retranscrire à la mine graphite avec un maximum de densité, cent quarante photographies qu’il avait prises de toute urgence sur le site dévasté d’un spectaculaire incendie de forêt d’eucalyptus au Portugal. Son programme graphique articule destruction-création-reconstitution. Léa Belooussovitch use de documents photographiques relayés par les médias pour témoigner de catastrophes humaines contemporaines. À l’insoutenable de ces représentations, elle réplique par des « remises au point réparatrices », au crayon de couleur sur de vastes supports en feutre. Les images-sources dans leurs reprises feutrées apparaissent « floutées » mais se donnent à lire au travers de titres qui font retentir les évènements. L’ensemble de dessins photogéniques Dix mille degrés sur la place de la paix, 2018-2020, réalisé au graphite sur papier par Éric Manigaud, à partir des photographies témoigne directement de la destruction d’Hiroshima. Alors que la catastrophe elle-même a été photographique, les répliques de ces images survivantes, transférées par les moyens du dessin, sont matériellement pulvérisées. À l’ombre de leurs modèles photographiques, ces trois ensembles dessinés, selon des processus de distanciation et de reconstitution singuliers, mettent en crise la représentation évidente, instantanée, et médiatique de l’évènement destructeur. L’expérience perceptuelle engage également le regardeur dans des (re)prises en charge, tout à la fois visuelles, imaginaires et politiques.

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7 – « Faire avec » les catastrophes

Les représentations photographiques de catastrophes sont de nos jours abondantes. Les désastres de Tchernobyl ou de Fukushima, le drame de la Nouvelle-Orléans après le passage de l’ouragan Katrina, les ruines de Détroit ou de l’île japonaise de Gunkanjima ont été mis en images. Si ces représentations s’inscrivent dans une tradition ancienne qu’elles réactivent à leur manière, elles tendent aussi à pointer un ensemble de risques qui sont liés à l’anthropocène. Ces figurations de catastrophes prennent des formes diversifiées ‒ qu’il est loisible d’étudier. Seront distinguées ici des séries photographiques qui confèrent aux tragédies concernées la puissance de séismes naturels et des œuvres qui tendent à rebours à les insérer dans une culture et une histoire. Les premières se présentent comme les emblèmes d’une chute tragique qui possède l’allure d’une rupture fatale dans l’avancée de l’histoire. Les secondes croisent représentations et points de vue afin de proposer une approche dialogique de la complexité des événements et des manières dont ils ont été vécus ; elles évoquent dès lors des façons de « faire avec » les catastrophes.

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6 – Photographies de ruines récentes : hantise et fascination de la catastrophe

Cet article analyse des photographies de ruines récentes qui suscitent aujourd’hui l’engouement. Les prises de vue, en reprenant certains éléments de l’esthétique romantique, soulignent l’aspect pittoresque des vestiges. Mais l’engouement qu’elles suscitent tient aussi à une paradoxale fascination pour la catastrophe. En effet, les images séparent les vestiges de leur contexte et les éloignent de leur histoire. Cette distance permet un réinvestissement imaginaire du passé. Les ruines paraissent appartenir à une époque indéterminée. Indépendamment de la cause réelle de leur abandon, elles semblent procéder d’un évènement catastrophique soudain dont la nature et les ans travaillent à estomper les marques. Elles évoquent à la fois le déclin des utopies et les ruines hypothétiques de notre futur mis en péril par un désastre écologique de plus en plus redouté. Est sans doute éprouvée face à ces images une forme de nostalgie d’un temps où l’on semblait rêver plus facilement l’avenir.

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