Expérience de pensées : tables des matières et introduction
Expériences de pensée - dossier dirigé par Christine BARON et Charlotte KRAUSS Table des matières Introduction - Christine Baron 1 -…
Expériences de pensée - dossier dirigé par Christine BARON et Charlotte KRAUSS Table des matières Introduction - Christine Baron 1 -…
Nous proposons de lire les fables de Gourmont, Chesterton et Schwob comme autant d’espaces propices à l’émergence d’expérimentations conçues pour négocier l’isolement, l’incompréhension ou le déni dans lequel les personnages se retrouvent enfermés. Le présent article se propose, à partir de trois exemples, d’examiner sous quelles formes et par quels procédés nos auteurs qui jouent avec les possibilités épistémiques de la fiction ménagent au sein de chaque histoire un dispositif heuristique destiné à offrir une lisibilité nouvelle aux gestes mentaux de leurs opérateurs et, ce faisant, à reconfigurer les schémas mentaux du lecteur.
Partant de la formulation théorique de l’expérience de pensée par Ernst Mach, cet article analyse l’usage littéraire qu’en fait Robert Musil dans L’Homme sans qualités. Définie comme un détour par la fiction qui permet d’atteindre une vérité concernant le monde réel, l’expérience de pensée y trouve une première expression dans les notions de possible et d’utopie qui, chez Musil, circonscrivent l’activité même de l’écrivain. En effet, la tâche qu’il lui impartit est d’imaginer des alternatives au réel, comme autant de variations sur ce phénomène complexe qu’on appelle la vie. Au-delà, cette étude montre que l’expérience def pensée trouve dans l’essai la forme littéraire la plus adéquate pour « possibiliser » le réel. Étroitement lié à l’absence de qualités, l’essai implique le choix d’une autre position épistémologique qui consiste à inventer des contextes narratifs pour le possible afin d’expérimenter et de mettre en variation différents aspects de l’expérience humaine.
En se fondant sur une bande dessinée complexe, cet article vise à appliquer le concept d’expérience de pensée à la recherche texte-image en général et à l’analyse de la bande dessinée en particulier. L’exemple de La Vengeance du comte Skarbek d’Yves Sente et de Grzegorz Rosiński (2004-2005) se distingue par de multiples ruptures dans le processus de la narration, notamment par un enchaînement de plusieurs narrateurs qui continuent un même récit tout en relativisant une partie de ce qui a été dit et montré avant. Dans ce jeu de références multiples, intertextuelles et méta-textuelles, la notion d’expérience de pensée permet de prendre en compte l’impact de cette narration instable entre texte et image sur le lecteur : l’éveil de sa curiosité tout comme le plaisir de reconnaître certains clins d’œil et références, mais aussi son identification déçue avec des personnages narratifs qui s’avèrent non fiables.
Il est fréquent de comparer les expériences de pensée à des contes de fées pour en dévaluer le crédit épistémologique. Il s’agit ici de renverser cette analogie et de se demander si certains contes ne pourraient pas être conçus sur le modèle de ce genre d’expériences. "Les contes du temps passé" constituent à ce propos un cas paradigmatique, car en dépit de leur allure enfantine, ces histoires reproduisent de manière allégorique les idées que Charles Perrault avait défendues dans des écrits comme son "Parallèle des Anciens et des Modernes". Héraut de la modernité, Perrault n’a cessé de défendre une nouvelle poétique exacte et rationnelle et de prôner les méthodes scientifiques modernes de Galilée et de Descartes dont il s’est largement inspiré pour écrire des histoires comme "La belle au bois dormant" ou "Le chat botté". Mais c’est dans "Le petit chaperon rouge" que l’écrivain coule surtout ces nouvelles idées et méthodes, qu’il en fait l’application au moyen d’un style qui l’apparente à une expérience de pensée. Sous ce jour, cette fameuse histoire du temps passé apparaît comme un laboratoire imaginaire où s’exercer à la lecture moderne.