Présentation des auteurs
Thomas AUGAIS est post-doctorant au FNS dans le cadre du projet de recherche « La figure du poète-médecin (XXe-XXIe s.) : une reconfiguration…
Détrôné au siècle suivant par le savant-chercheur, l’inventeur n’est pas encore au XIXe siècle ce spécimen loufoque qui prêtera à rire dans les futurs concours Lépine. Au contraire, la France postrévolutionnaire voit le sacre de l’inventeur comme figure d’exception, dont la légitimité a été renforcée par l’essor des sociétés d’émulation et la mise en place des systèmes de brevets, maillon indispensable entre l’invention et le capitalisme naissant. La création de la Société des inventions et découvertes composée « d’inventeurs, de savants, d’artistes et d’amateurs […] sans prééminence entre ces quatre classes » comme l’annoncent en 1790 ses statuts, a préparé et facilité l’adoption d’une loi « relative aux découvertes utiles et aux moyens d’en assurer la propriété à ceux qui seront reconnus en être les auteurs », première pierre de notre législation sur les brevets. La monarchie de Juillet va également favoriser l’invention, notamment avec la loi de 1844 qui facilite le dépôt de brevet, puis la fondation en 1849 par le Baron Taylor de l’Association des Inventeurs et Artistes Industriels, qui marque le glissement vers un monde de l’invention divisé entre arts appliqués et mécanique, incluant désormais les ingénieurs. Le premier XIXe siècle est donc particulièrement attentif à l’inventeur, rouage précieux du nouveau système capitaliste ; c’est le temps des David Séchard, à la fois synthèse et référence d’un inventeur idéaliste sorti du rang, et au service du bien commun. Plus loin dans le siècle, en 1867, un pamphlet d’Yves Guyot défend explicitement un idéal de l’inventeur héraut de la société démocratique et républicaine, et constitue de ce fait un marqueur dans la construction médiatique cette fois du personnage d’inventeur.
S’il existe désormais de nombreuses études sur la question des „deux cultures“ et des partages disciplinaires entre sciences et humanités, elles tiennent rarement compte de l’écart existant entre le décret de leur séparation et sa réalisation effective, qui n’a pas toujours pris des formes aussi définitives ou univoques qu’on le croit généralement. C’est l’ambition de cet ouvrage que de redessiner l’histoire des articulations de la science et de la littérature en prenant pour point de repère temporel l’apparition de la notion moderne de « littérature » et le remplacement progressif du système des Belles Lettres par une nouvelle organisation des disciplines de l’esprit. Les études de cas réunies ici dessinent une nouvelle histoire de la séparation des « deux cultures », qui tient compte de l’extrême variabilité historique et culturelle des mots « science » et « littérature ». Peut-on échapper à l’illusion rétrospective lorsqu’on analyse, à partir de nos catégories présentes, les « sciences » et les « littératures » passées ? Convient-il de subsumer l’étude de leurs rapports sous des catégories plus générales, comme les « imaginaires », ou faut-il considérer que les liens entre science et littérature jouent un rôle spécifique pour l’histoire de chacune de ces disciplines, qu’elles sont archétypales de certaines évolutions culturelles ? Tout en ébauchant un certain nombre de réponses à ces questions, cet ouvrage suggère que le modèle contemporain
la spécialisation des disciplines savantes pourrait être nuancé, voire remodelé dans le sens d’une plus grande complexité.
Ce volume réunit les actes d’un colloque international organisé à Montréal en 2010. Il part d’une interrogation, et ouvre un champ d’investigation : après avoir connu une sorte d’apogée à la fin des Lumières, autour de figures comme Delille, Erasmus Darwin ou Goethe, la « poésie scientifique » a-t-elle disparu avec le romantisme, qui, selon Sainte-Beuve, consomma la déroute de la poésie didactique et descriptive ? A-t-elle au contraire survécu, comme le suggère l’analyse quantitative des données éditoriales françaises, jusqu’en 1900 ? En ce cas, que faire des œuvres qui ont cherché, après cette date, à réinventer les modalités d’un dialogue entre poème et sciences, quitte à tourner le dos à toute tradition antérieure ? Peut-on encore parler d’un même genre ? Enfin le destin de cette poésie fut-il identique en France et dans d’autres pays européens ? Ce sont les pièces de cette enquête en cours, poursuivie selon d’autres voies par l’anthologie Muses et Ptérodactyles (Seuil, 2013), qui sont versées ici au dossier, avec 26 contributions synthétiques, monographiques ou théoriques, couvrant plusieurs siècles et plusieurs langues, du XVIIIe siècle à nos jours.
Conference Proceedings of the International Workshop Archives of the Body. Medieval to Early Modern, Cambridge University, 8-9 Sept. 2011. Téléchargez l’ouvrage en format pdf : Nous remercions la Bibliothèque de l’Académie Nationale de Médecine pour l’illustration de couverture : (c) Bibliothèque de l’Académie Nationale de Médecine
Actes du colloque. Explora 2011 à l’Université de Toulouse « Mécaniques du vivant : savoir médical et représentations du corps humain » Télélarchargez le livre en format pdf : Pages 1-70 : Pages 71-129
Ce dossier spécial présente les Actes du colloque tenu les 13-14 octobre 2006 au MAC-VAL, Musée d’Art Contemporain du Val-de-Marne. Les actes du colloque PROJECTIONS : des organes hors du corps sont téléchargeables soit sous la forme d’un volume complet au format pdf (mais attention : la durée du téléchargement du fichier de 65M dépendra de votre bande passante) soit en cliquant ici pour une consultation chapitre par chapitre. [Actes->http://rnx9686.webmo.fr/IMG…] du Colloque International Projections : des organes hors (…)
Vingt mille notes sous les textes — Daniel Compère Le document chez Jules Verne : valeur didactique ou facteur de configuration romanesque ? — Philippe Scheinhardt Technologies et société du futur : procédés et enjeux de l’anticipation dans l’œuvre de Jules Verne — Julien Feydy Les Voyages extraordinaires ou la chasse aux météores — Christian Robin Cartonnages et illustrations : de Jules Verne à Robida — Sandrine Doré et Ségolène Le Men
Thomas AUGAIS est post-doctorant au FNS dans le cadre du projet de recherche « La figure du poète-médecin (XXe-XXIe s.) : une reconfiguration…
To see Keats only as yet another British Romantic poet, author of the odes and the Hyperions, who died in exile, after one last fit of tuberculosis, is to forget that he spent as many years – six years to be precise – of his short life studying medicine as he did writing poetry. First a young apprentice to an apothecary, then a medical student from 1811 to 1816, Keats chose to start his career as an artist without completely burying his scientific past, making sure never to get rid of his old books on medicine – these books that were to previously shape his intellect before he even started putting together his collections of poems. Satisfied to have had the ability to distance himself from a rather contrasted form of education in order to favour a unified conception of knowledge, Keats will always seem to go back to those first readings as a source of reference.
Le vaste corpus théorique et artistique qui compose celui que l’on appelle « l’archive cardiographique » (Derrida), trouve, dans le cœur tardif – pensé à partir d’une dérivation du « style tardif » (Adorno, Saïd) – une figure de ses possibles et de ses limites. La tradition cordiale est formée par une archive qui réunit – et à titre d’exemple – aussi bien le traité Exercitatio anatomica de motu cordis et sanguinis de William Harvey que l’installation artistique The Boundary of Life is Quietly Crossed, de Dario Robleto. Dans cet article, en prenant appui sur le recueil de poèmes Fibrilaciones, d’Ana Hatherly, et sur l’essai critique et clinique L’Intrus, de Jean-Luc Nancy, l’on met à l’essai la valeur d’une réflexion sur l’inhumanité du cœur humain, tout en révisant également certaines figurations cardiocentriques du « corps utopique » (Foucault). Mots-clés : cœur intrus, coeur tardif, coeur sans battement
Résumé : Le roman à sensation, littérature populaire de l’Angleterre victorienne qui naît dans les années 1860, est un genre qui…
Le thème et l’enjeu social de l’invention a pu paraitre un thème désuet tant que la sociologie s'occupait de la reproduction et des mécanismes par lesquels les pratiques autant que les institutions reconduisaient, en vertu de principes structuraux, l’ordre social. Tout vif de l’évènement créatif finissait subordonné au mort de la structure. Les initiatives et alternatives sociales, les échappées et les ruptures étaient reconduites aux significations des intérêts de classe, reconduites aux différences d’éthos entre classes. Dans un livre collectif du début des années 80 et décisif pour la critique de la sociologie de Pierre Bourdieu, Jacques Rancière posait à la sociologie cette question : « comment le nouveau est-il possible en général ?» ; se demandant si la sociologie peut penser l’étrangeté démocratique ou seulement son deuil ? Les transformations récentes dans l’économie, la politique et l’activité démocratique ont sérieusement ébranlé les certitudes scientifiques du structuralisme de la reproduction sociale et c’est peut-être une des raisons pour lesquelles il faut revisiter Gabriel Tarde alors que persistent, pugnaces, les interrogations sur les raisons de le lire et sur la « tardomania » qui depuis bien une vingtaine d’années se serait emparée de certains esprit.
Freud a sans cesse maintenu la référence théâtrale vivante, productive et d’une actualité psychique remarquable. Il fit de cette référence une métaphore centrale de son œuvre. Nous partirons de là pour cerner le pouvoir cathartique et la valeur énigmatique de ce qui, dans un cadre thérapeutique, peut devenir expérience du sujet. Un sujet qui, dans le cadre de la psychose, est bien souvent destitué et cherche néanmoins à (re)ssusciter des figures fantomatiques qui, jusqu’alors, l’habitaient à son insu. La théâtralité, paradigme m’aidant à penser la psychose, se conjoint à ce travail de réanimation psychique et permet du même coup de faire advenir ce que Pirandello nommait des « personnages en quête d’auteur ».
Alexander von Humboldt est connu comme l’auteur de Cosmos et des Tableaux de la Nature, le « deuxième explorateur des Amériques » et l’acteur d’un « arpentage du monde » ayant donné lieu à de très nombreux écrits savants et viatiques. On connaît moins les talents de dessinateur et d’illustrateur de ce naturaliste. Ses écrits contiennent en effet plus de 1500 illustrations. En tant qu’ethnologue, il a réalisé des esquisses d’hommes, de bâtiments et d’objets du quotidien. Le botaniste, zoologiste et anatomiste a effectué des dessins de plantes, d’animaux et de détails corporels. Le géologue, géographe et cartographe, enfin, a saisi les profils des montagnes, des étendues d’eau et des continents. Les œuvres graphiques de Humboldt possèdent une fonction épistémique et esthétique. Il a ainsi développé des formes diagrammatiques afin de visualiser les résultats de ses recherches. Ses représentations, aussi précises qu’artistiques, ont influencé toute une génération de peintres paysagistes. Dans les images de Humboldt, la science se transforme en art et l’art en science.
Tout cela étonnera fort les gens du monde, qui, en général, ont pris le mot Mathématique pour synonyme de régulier. Toutefois, là comme ailleurs, la science est l'œuvre de l'esprit humain, qui est plutôt destiné à étudier qu'à connaître, à chercher qu'à trouver la vérité […]. En vain les analystes voudraient-ils se le dissimuler, ils ne déduisent pas, ils combinent, ils comparent ; quand ils arrivent à la vérité, c'est en heurtant de côté et d'autres qu'ils y sont tombés.1 Les mathématiques sont souvent présentées comme un langage. Qu’ils les considèrent comme provenant d’un autre monde, le monde des « idées pures »2, ou comme le « langage commode » donnant accès à l’ « harmonie interne du monde »3, de nombreux discours sur les mathématiques s’organisent autour d’une distinction entre ces dernières et le « monde », au sens de ce qui se situe hors du langage. C’est à de tels discours de démarcations que nous consacrons cet article. Notre objectif n’est cependant pas de déconstruire ces discours du point de vue de l’histoire sociale4, ou de traiter des problèmes épistémologiques posés par des distinctions entre logique et intuition ou abstraction et expérience. Nous envisageons plutôt ces discours de démarcation en tant qu’ils forment des récits dont nous souhaitons saisir certaines modalités de construction et d’évolution. Téléchargez cet article au format PDF: pdf/Breschenmacher.pdf
Résumé : Dans le chapitre que Malebranche consacre à l'imagination dans la Recherche de la vérité, il établit le lien entre la diversité des esprits animaux et l'importance des facteurs physiologiques externes, en soulignant la « délicatesse » des fibres de la femme. En effet, Malebranche distingue deux causes physiques du dérèglement de l'imagination : l’une physiologique porte sur la délicatesse des fibres du cerveau et touche tout particulièrement les personnes vulnérables et fragiles. L’autre est le fait des esprits animaux, ces corpuscules vaporeux qui partent du cerveau pour aller dans les nerfs et sont à l'origine de nos impulsions psychologiques. Soixante-dix ans plus tard, Maupertuis dans le chapitre XV de la Venus Physique (1745) reconnaît l'impact de l’imagination mais n'admet pas la ressemblance entre ce qui cause la passion (bonne ou mauvaise) et l'effet qui en résulte sur le corps de l'enfant. Entre ces deux textes, une littérature dite « populaire » s'est emparée de cette croyance selon laquelle l'imagination de la mère peut marquer, au sens propre, le corps de l'enfant jusqu'à expliquer la monstruosité de certains corps. Cette littérature a réinvesti l'instrument épistémique des esprits animaux de manière différenciée : de sa reprise fidèle à son absence assumée, c'est toute une palette explicative qu'il convient de retracer. Si l'explication de ces empreintes sur le corps de l'enfant convoque traditionnellement une réflexion sur le déséquilibre des humeurs, elle est aussi l'occasion d'analyser de manière quasiment ethnographique un fantasme devenu lieu commun, celui d'une supposée « théorie populaire de l’hérédité ». L’enjeu de ce chapitre est de revenir en amont du partage entre culture savante et culture populaire et de montrer à travers l'analyse de textes savants publiés dans les premières années du XVIIIe siècle et d'articles du Journal des sçavans l'intrication entre fantasmagories fictives et discussions théoriques serrées sur la théorie malebranchiste de l'imagination. Mots clefs : Malebranche, imagination, esprits animaux, traumatisme in utero, passions, empreinte.
Dans l’histoire de la poésie scientifique, le médecin véronais Jérôme Fracastor, né vers 1478 et mort en 1553, apparaît comme une figure tutélaire grâce à la publication en 1530 de Syphilis, sive morbus gallicus. Le chant III de ce poème en hexamètres latins présente le cas d’un berger nommé Syphilus, frappé d’un mal nouveau en guise de punition pour avoir insulté le soleil. À la faveur de ce récit, Fracastor donne la description de la maladie qui s’appellera dorénavant la syphilis. Il en dresse les symptômes et en détaille la thérapeutique, en particulier la sudation obtenue par la décoction d’un bois exotique, le gaïac.
Cet article propose une description des proprités élémentaires que la théorie scientifique doit posséder (cohérence, économie, beauté, etc.), et parcourt ensuite le domaine des études littéraires à la recherche d’un certain nombre d’exemples d’absorption réussie de ces propriétés dans la théorie de la littérature contemporaine (la théorie empirique de S. J. Schmidt, la sociologie du champ littéraire de P. Bourdieu, la sémiotique narrative et discursive de l’École de Paris, etc.). Le but de ce parcours n’est autre que la promotion d’une rationalité transversale aux trois cultures, celle des sciences naturelles et formelles, celle des sciences sociales et celle des humanités, même au risque de secouer les assises ordinaires des études littéraires dans la tradition herméneutique. Mots-clés : S.J. Schmidt, P. Bourdieu, sémiotique
Résumé : Cette étude se penche sur la crise épistémologique de la fin du XIXe siècle et sur ses répercussions en…
Résumé : Cette étude se penche sur la découverte des rayons X par le physicien allemand Wilhem Conrad Röntgen en 1895…
Ces dernières années, Sarah Kane, Martin Crimp, Gildas Milin, et la dramaturge italienne Francesca Volchitza Cabrini ont mis en scène des personnages atteints de maladie psychiatrique et interrogé leur rapport à l’institution médicale, fondant ce que Solange Ayache appelle une « psychopoésie » dit la gravité du malaise qui hante l’individu en ce début du XXIème siècle, tout en explorant la nature et les limites de l’humain poussé dans des situations psychologiques extrêmes. Cette étude interroge un théâtre de l’espace mental et du traumatisme, où les voix en scène se caractérisent par l’instabilité pathologique d’identités brouillées et de personnalités fracturées, qui questionnent en profondeur la définition et le fonctionnement du personnage de théâtre sur la scène contemporaine. Les objets, discours et pratiques de la psychologie, de la psychiatrie, de la psychanalyse et des psychothérapies depuis le début du vingtième siècle à nos jours tendent à être récupérées, dramatisées et poétisées dans des textes de théâtre ultra contemporain. Dans le théâtre d’aujourd’hui, la pathologie mentale de la femme anonyme remplace la folie cataclysmique du roi Lear ; l’insertion d’objets empruntés à la psychiatrie et à la psychologie clinique supplante l’élaboration psychologique de personnages dramatiques traditionnels. Quel traitement poétique et théâtral ces écritures de la scène européenne font-elles de la subjectivité pathologique constituée en objet dramatique ?
Le narrateur hoffmannien fixe arbitrairement une réalité qu’il n’a de cesse de transgresser. Il s’applique à mystifier son lecteur en établissant avec lui une complicité illusoire : il le déroute et le plonge dans une hétérogénéité à la fois narrative, discursive et thématique. La réalité côtoie alors le rêve, l’inconscient et la folie. Le merveilleux se mue en un univers fantastique et l’écriture, placée sous le signe de l’ambiguïté et de la distanciation ironique, devient le terrain propice aux hallucinations en tous genres. Téléchargez cet article au format PDF: pdf/Lacheny.pdf
L’œuvre du prêtre et microscopiste amateur Johann Conrad Eichhorn (1718-1790) se situe à la marge du discours scientifique de la fin du XVIIIe siècle. Résolument ancrée dans une pratique d’observation individuelle – qui se traduit également par le choix de donner des noms vernaculaires aux animalcules observés –, elle n’est appréciée des contemporains et des historiens de la science que pour la qualité de ses dessins. Cet article propose d’étudier cette œuvre non pas sous l’angle d’une histoire des découvertes ou du progrès scientifique, mais en mettant en avant les traits caractéristiques de son ‘discours réflexif’ (Jutta Schickore) sur la microscopie. Cette attention portée aux choix du langage et aux dispositifs visuels des deux livres publiés par Eichhorn permet de montrer que la particularité de son œuvre ne se situe pas seulement au niveau de son amateurisme un peu anachronique, mais surtout dans une volonté d’inscrire sa recherche dans une vision physico-théologique du monde. Cette vision lui permet, en outre, d’aborder la microscopie des ‘petits animaux aquatiques’ à la fois comme un problème cognitif et un défi de communication (Marc Ratcliff).
Résumé : La théorie des esprits animaux pour expliquer les causes du sommeil connaît un très grand succès au cours du XVIIIe siècle. Pour beaucoup de médecins et de philosophes, il n’y a aucun doute, la cause véritable du sommeil, c’est l’arrêt, la retenue et la détention des esprits animaux dans le cerveau fatigué par le labeur de la journée. Sans le mouvement continuellement assuré par les esprits animaux, le corps humain ne peut produire aucun déplacement. Le repos des esprits est donc fondamental. Néanmoins, la machine corporelle se détraque parfois et les esprits animaux sont alors incriminés. Les curieux qui s’intéressent alors aux troubles du sommeil doivent interroger leurs connaissances et essayer de déterminer le rôle que jouent les esprits animaux lors des crises d’insomnie et de somnambulisme. En fait, chez la plupart des contemporains qui les ont commenté, le diagnostic est simple : les esprits animaux qui devraient se reposer et se fortifier (principe naturel de l’alternance jour-nuit et veille-sommeil) sont tout simplement dérangés. Mais, le plus dur reste à comprendre : qu’est-ce qui conditionne cette altérité et quelles sont les causes profondes de ce dérèglement ? Pour l’insomnie, les explications ont été identifiées et diffusées dans quelques traités de médecine (Ettmüller, Chomel, …) et il convient avant tout de maîtriser la forme de l’insomnie en observant sa durée et sa récurrence. De plus, ce qui agit sur les esprits animaux n’est pas uniquement physique, mais aussi moral. Pour le somnambulisme, les sources sont plus rares, même s’il devient un objet de curiosité au début du XVIIIe siècle. Une des approches les plus classiques, celle du médecin d’Avignon Gastaldy (1664-1747), iatro-mécanicien convaincu, permet de voir que le somnambulisme a été traité comme une activité liée à la passivité du rêve, ce qui permet à Gastaldy de mieux faire accepter les « fuites d’esprits animaux » à l’origine des mouvements inhabituels du corps. Mots-clefs : esprits animaux, insomnie, somnambulisme, troubles du sommeil
La poésie scientifique peut être considérée comme un genre littéraire, et l’on peut faire l’histoire d’un genre littéraire, un peu comme le naturaliste décrit l’évolution des formes de vie sur la terre, l’apparition d’une espèce, son adaptation à divers milieux, sa cohabitation avec d’autres espèces, les relations de concurrence, de symbiose, voire d’hybridation, puis finalement le déclin et la disparition, plus ou moins tragique, plus ou moins regrettée, de cette espèce. Ferdinand Brunetière, parmi d’autres, avait suggéré la parenté possible entre l’histoire littéraire et le discours évolutionniste . Une telle analogie aurait sans doute son intérêt et il faut reconnaître qu’elle aurait au moins le charme de présenter le genre de la poésie scientifique comme doté d’une vie, d’une existence propre . On se prendrait à croire que la poésie scientifique existe parce qu’un hasard, et tout à la fois une nécessité, naturels lui ont donné la vie, à un moment et dans un milieu donnés, avant de la lui reprendre. Pourtant, il n’en est pas de la poésie scientifique comme des dinosaures, des dodos, et des ours bruns des Pyrénées.
Bruno Latour, l’anthropologue et sociologue de la science, a théorisé plusieurs fois sur l’hybridation des choses, les espaces et l’identité. Les choses permettent que les inscriptions soient publiques de telle sorte que la re-présentation soit possible (ou dans son propre jargon particulier, re- inscription est le passage d’inscriptions d’espace à espace). Les collections, échantillonnages, ameublements de maison, les archives et bibliothèques, les musées, les laboratoires, les réseaux numériques et les bases de données sont des conditions qui ne sont ni au-dessus ni en dessous de la nature sociale des productions culturelles. Dans la culture, les espaces, les artéfacts et les communautés sont inextricablement liés et constituent les différentes formes d’identité qui caractérisent nos expériences. Les identités dont il est question dans cet article sont des identités épistémiques et esthétiques, tout particulièrement esthétiques (bien que les concepts qui émergent de presque tout ce que nous pourrions dire sur les identités esthétiques sont bien applicables aux identités épistémiques). Nous comprenons ces identités comme des groupes sociaux qui sont normativement organisées autour de certaines propriétés qui, dans le premier cas sont des propriétés esthétiques et, dans le second cas, sont des propriétés épistémiques (c’est-à-dire, ce sont des groupes qui sont organisés, respectivement, dans les sphères de l’histoire de l'art et de la littérature ou dans les domaines de l’histoire de la connaissance dans ses différentes disciplines académiques). Mots-clés : Bruno Latour, identités épistémiques, identités esthétiques
L’enjeu de cet article est double : cerner l’influence du récit de cas sur la littérature du XIXe siècle afin de voir si l’on peut lui attribuer les caractéristiques d’un « genre » ; se demander, en retour, si les « observations » médicales, en particulier dans le cas de la psychiatrie, ne témoignent pas elles-mêmes d’une forme de pratique littéraire, qui serait le pendant de la pratique de la littérature par des médecins souvent lettrés, se plaisant à trouver dans des œuvres de fiction des modèles d’observation perspicace, ou dans la personnalité de leurs auteurs des cas cliniquement éloquents. Envisagé sous l’angle, formel, du récit de cas, ce croisement entre littérature et science devrait permettre d’interroger la porosité d’un « genre » compris comme une forme de discours à la fois spécifique et mixte : spécifique puisqu’elle relèverait d’une « convention pragmatique » (selon Antoine Compagnon1) et d’un acte rhétorique bien identifiables ; mixte, dans la mesure où les domaines l’actualisant sont a priori régis par des codes (voire des « cultures ») très dissemblables. Téléchargez cet article au format PDF: pdf/Marquer.pdf
Résumé : Tiphaigne de La Roche est un médecin et auteur du XVIIIe siècle, savant et habile compilateur ; son œuvre est placée sous le signe de la diversité générique : outre ses travaux proprement scientifiques, ses fictions ressortissent à plusieurs genres tels que le songe satirique, la fiction à vocation scientifique, le conte philosophique... la polyphonie observée dans ses ouvrages entre en résonance avec la diversité générique et la multiplication des thématiques abordées. Mais une constante demeure : la présence d’esprits au rôle des plus étonnants chez cet adversaire du systématisme philosophique et du matérialisme. Tantôt, il fonde telle théorie physiologique sur les esprits animaux (la théorie des sympathies ou la génération, par exemple), tantôt il joue sur une personnification de ces « êtres » devenant quasi-merveilleux. Et l’on dérive alors des esprits animaux vers les esprits élémentaires : cette filiation est celle qui autorise le glissement du discours scientifique ou philosophique vers l’invention et la fantaisie littéraires. S’agit-il d’une simple métaphore ou de l’expression d’une continuité ? Quand le médecin se fait fabuliste, les esprits sont le lien à la fois poétique et scientifique entre les domaines de l’imaginaire et de la connaissance, un lien peut-être plus épistémologique qu’on ne pourrait le croire : il s’agira ici de montrer comment ces éléments essentiels de l’œuvre de Tiphaigne de La Roche animent sa pensée et son écriture. Mots clés : Tiphaigne de La Roche, Siècle des Lumières, Sciences, poétique, esprits animaux, esprits élémentaires, fantaisie.
Le présent article approfondit un rapprochement amorcé par les études de psychologie d’une part, et d’esthétique d’autre part : celui qui tresse le paradigme hypnotique – tel qu’il s’est constitué dans les années 1870 sous le patronage expérimental de Jean-Martin Charcot – et le dispositif théâtral. Cet article propose un angle d’approche spécifiquement théâtral sur la question ; appréhendant les notions de catharsis et de rejeu à l’aune de l’hypnose ; formulant l’hypothèse d’un parallèle entre l’acteur de théâtre et le sujet hypnotique ; abordant enfin la question de la complicité scénique établie entre les partenaires d’une expérience publique – qu’elle soit clinique ou scénique.
La méthode diderotienne consistant à baser son interprétation de la nature sur les recherches expérimentales d’autrui dote le philosophe d’une grande indépendance lors de l’évaluation des résultats. Le Rêve de d’Alembert en fait la preuve, et non des moindres, en présentant un protagoniste fictionnel qui répète en le mimant le regard microscopique de John Turberville Needham. Ce dernier, bien qu’ayant révoqué et corrigé à plus d’un titre les principes métaphysiques de sa biologie moléculaire au cours des années 1760, est souvent envisagé de manière très caricaturale, en raison notamment de la polémique que Voltaire lança à l’encontre de ses théories. Se refusant à une telle critique, Diderot lui-même donne une explication de son image déiste de la goutte d’eau sous le microscope à la lumière du transformisme et du matérialisme.
Le frontispice du premier des deux volumes in quarto de l’édition originale des Mois de Jean-Antoine Roucher, parue en 1779 avec une liste de souscripteurs impressionnante, affiche une ambition que d’aucuns pourraient juger démesurée et qui ne va pas sans rappeler les prétentions de M. de l’Empyrée, le poète ridicule de La Métromanie de Piron. En effet, la légende qui accompagne la belle gravure d’après Moreau le jeune affirme : « Mes chants reproduiront tout l’ouvrage des Dieux ». Même avec plusieurs milliers de vers, l’on est fondé à supposer que la place accordée à la science ne sera pas considérable pour un poème qui se fixe un tel but. Avant d’aller plus loin, il convient sans doute de se demander si l’on ne pourrait pas attendre une division nette entre l’ouvrage des Dieux et celui des hommes, même si dans la grande tradition des Saint-Lambert et des Delille, les sciences servent souvent à mettre en évidence le génie de la nature. Je voudrais montrer que Roucher s’inscrit dans une généalogie ou une tradition de poètes scientifiques, ayant Lucrèce, entre autres, pour modèle.
L’œuvre de Borges est remplie d’exercices de transgression interdisciplinaire. Sa tendance à explorer les possibilités littéraires des idées philosophiques et scientifiques lui a souvent permis de devancer les investigations les plus conventionnelles dans le domaine de la pensée. Dans cette étude on aborde les résonances de ses spéculations concernant la configuration spatio- temporelle de la réalité, des spéculations qui sont proches de l’idée du multivers qui concentre actuellement un grande partie des discussions dans le domaine de la cosmologie scientifique. Mots-clés : Borges, multivers, pensée scientifique
Au tournant du XIXe siècle, la France accuse encore un certain retard en matière d’astronomie . Conscients de la lenteur avec laquelle les nouvelles théories de l’univers sont diffusées parmi leurs contemporains, les savants demandent aux poètes des vers aptes à les populariser. Les poètes répondent à l’appel et plusieurs astronomies en vers sont publiées dès les premières décennies du XIXe siècle : Dominique Ricard, La Sphère, poème en huit chants (1796) ; Gudin de la Brenellerie, L’Astronomie, poème en trois chants (1800) ; Népomucène-Louis Lemercier, L’Atlantiade ou la théogonie newtonienne, poème en six chants (1812) ; Pierre Daru, L’Astronomie, poème en six chants (1830).
L’inscription d’idées et de structures mathématiques dans les œuvres littéraires est une réalité qui parcourt l’histoire de la littérature comme un courant souterrain qui émerge parfois avec force. Le conte est un genre qui – comme l’indique nettement l’étymologie que ce mot partage avec « compte » – manifeste même dans les récits les plus élémentaires un rapport étroit entre la narration et le calcul arithmétique. De même qu’au XIXe siècle Edgar Allan Poe révolutionna le genre en créant le « conte algébrique », un siècle et demi auparavant Charles Perrault avait inventé le « conte arithmétique ». Dans plusieurs de ses Contes du temps passé, cet écrivain avait semé ses narrations de nombres qui composent un système de reprises parfaitement calculé. Plus particulièrement, Le Petit Poucet se révèle au lecteur attentif comme une figuration du calcul, de telle sorte que le héros semble suivre du début à la fin un itinéraire qui reproduit l’histoire des mathématiques, en allant du calcul le plus élémentaire (en comptant sur les dix doigts, en employant des cailloux) pour finir par réaliser des opérations bien plus complexes. En partant d’un incipit où le narrateur met à l’épreuve le savoir mathématique de ses lecteurs et en aboutissant à un excipit qui offre de façon singulière deux possibles dénouements auxquels le lecteur est confronté comme à un problème, Perrault compose un « conte de comptes », un véritable récit allégorique où il intègre le savoir mathématique de son temps (nombres logarithmiques, Grand chiffre, abaque rhabdologique, machine arithmétique de Pascal) dont à la même époque il avait mis en évidence dans ses autres écrits, du Parallèle des Anciens et des Modernes aux Hommes illustres, le rôle essentiel que cette science jouait au siècle de Louis le Grand. Mots-clés : Charles Perrault, conte arithmétique, connaissance mathématique
Au cours du XIXe siècle, en France, mais aussi dans les autres pays occidentaux, le partage des disciplines se transforme. Non seulement la nomenclature des sciences change ainsi que le paysage des institutions qui ont en charge de les développer et les diffuser, mais la conception de la culture elle-même est modifiée. Si l’on entend par culture l’ensemble des savoirs et des pratiques qui se transmettent par tradition et s’enrichissent par les créations d’œuvres de l’esprit, cette culture est traditionnellement découpée en domaines dont chacun est régi par des règles, repose sur des valeurs et suppose des usages particuliers. Les domaines de la culture se superposent plus ou moins aux disciplines de l’esprit et en tous cas, les changements dans l’une supposent à plus ou moins long terme des réformes dans les autres, et vice-versa. On peut faire l’hypothèse qu’une invention culturelle telle que l’évolutionnisme, développée tout particulièrement dans la seconde moitié du XIXe siècle, n’a pas eu pour seul effet de modifier la structure interne du domaine des sciences de la nature mais a suscité une reconfiguration des relations entre différents domaines et notamment de nouveaux modèles d’interdisciplinarité entre sciences et lettres. Téléchargez cet article au format PDF: pdf/Walin.pdf
Dans son dernier livre pour viole de gambe et basse continue, le livre V de ses compositions, Marin Marais compose une curieuse pièce au titre évocateur : Le Tableau de l’Operation de la Taille. Ce titre renvoie à une opération chirurgicale redoutée pendant la période baroque : la lithotomie, ou l’extraction de la pierre. Au dessous des notes, le compositeur fait ajouter, lors d’un second tirage de la même gravure, des courtes indications descriptives de l’opération. Œuvre particulière du corpus maraisien, l’opération de la taille associe jeu violistique virtuose et texte cru, trivial. Geste musical ? geste théâtral ? Le Tableau de l’Operation de la Taille pose le problème de la dramaturgie musicale et du lien entre le texte et la musique.
L’observation au microscope, de par la nature inattendue des objets et phénomènes qu’elle révèle, se profile, dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, comme un vecteur de crises pour la philosophie expérimentale. Les animalcules qui apparaissent dans les infusions végétales font éclater des certitudes qu’on croyait établies à propos de la vie, de la mort et de la génération animale, et instaurent la perspective vertigineuse d’une réalité soumise à des lois nouvelles qui, en retour, pourrait être inaccessible même aux meilleurs instruments. Cet article montre comment ce particularisme épistémologique permet, sous la plume de Jean Senebier (1748- 1809) de réhabiliter l’imagination – seul outil d’investigation disponible aux limites de l’observable –, dans un contexte expérimental qui lui est pourtant hostile. Située entre la tentation euphorisante d’explorer la diversité des possibles et celle de les réduire à l’unité de quelques principes universels, l’imagination chez Senebier doit avant tout être soumise à un contrôle dont les modalités se déploient grâce aux dispositifs textuels employés par le savant.