Introduction. Economie et littérature : contacts, conflits, perspectives
Ce champ critique ouvert par Jean-Joseph Goux dans les années 80 et illustré aujourd’hui en France principalement par les travaux d’Yves…
Ce champ critique ouvert par Jean-Joseph Goux dans les années 80 et illustré aujourd’hui en France principalement par les travaux d’Yves…
On compare l'usage qu'ont fait les économistes du personnage de Robinson Crusoé, figure de l'agent économique organisant des ressources rares en vue de maximiser sa satisfaction, au héros du roman de Defoe. En convoquant d’une part les interprétations de Ian Watt et Marthe Robert, d’autre part celles proposées par les économistes, on fait apparaître que si Robinson peut incarner un agent économique, c'est d'une manière plus ambivalente que celle que campe l'agent universel et atemporel de la théorie économique depuis la fin du XIXe siècle.
Résumé: Pour imposer son propre intérêt, l’homme économique à tendance à dévaluer les intérêts de l’autre – à le tromper – et à cette fin il recourt à des stratégies comportementales empruntées au théâtre. Je me propose, dans mon article, de regarder de plus près cette problématique et de mettre en relation la théorie de l’homo oeconomicus avec l’Histoire de Gil Blas de Santillane (1715/1735) d’Alain-René Lesage et la première version du Wilhelm Meister (1776) de Goethe afin d’élucider la logique de la constitution, dans et par la littérature romanesque, de ce sujet, ainsi que les anthropotechniques lui permettant de mettre sa compétence performative au service de sa réussite économique.
Résumé: Au rebours des analyses référentielles qui font de l’argent un simple motif romanesque et réduisent la littérature à un témoignage, cet article pose l’hypothèse sous-genre « fiction économique » qui s’épanouirait, en même temps que les doctrines libérales, au cours du premier dix-neuvième siècle. L’analyse de La Comédie humaine et de quelques récits populaires permet en effet de dégager un certain nombre de structures narratives idéal-typiques qui témoignent d’une intériorisation profonde – c’est-à-dire au niveau des structures narratologiques et énonciatives – des principes économiques. La mise au jour de cette poétique de l’argent, loin d’enfermer la littérature dans une fonction ancillaire, permet d’en reconsidérer la puissance critique et herméneutique. Le récit réaliste ne se contente plus de dénoncer puisque, par la mise en texte des principes même de l’économie libérale, il en révèle les contradictions et la force d’assujettissement de l’individu livré à l’argent et au crédit.
Résumé : Si l’histoire de la pensée économique et l’épistémologie de l’économie ont réfléchi, avec un intérêt renouvelé ces cinq dernières années, à la notion de loi naturelle de l’économie, c’est-à-dire à la prégnance de l’idée de nature et du modèle des sciences physiques sur la science économique à partir des physiocrates, il resterait à savoir en quoi les romanciers du XIXe siècle ont été exposés à ce naturalisme économique. Celui-ci paraît en effet en prise avec le roman réaliste du siècle : il fonde une anthropologie et formule des lois qui peuvent contribuer à configurer la fiction. Tentant de dépasser la simple étude des sources ou l’inventaire des lectures économiques des romanciers, le présent article se propose d’analyser un roman d’Yves Guyot, proche de Zola, économiste acquis aux formulations de Jean-Baptiste Say sur l’ordre naturel de l’économie, pour voir en quoi ce roman d’amateur pourrait participer d’une poétique libérale marquée par le naturalisme économique. C’est peine perdue, et on mesure ici la distance entre théorie économique et écriture de roman, mais ce mauvais exemple permet d’introduire à ce que serait l’expression romanesque des lois naturelles de l’économie.
Résumé : On peut faire des Faux monnayeurs une lecture économique. Inspiré par les travaux de son oncle Charles Gide, Gide romancier pense les questions de la parenté, de l’échange, de la parole et de la valeur littéraire au prisme de l’économie monétaire de la fin du XIXe siècle. Ces traits analysées par Jean-Joseph Goux témoignent cependant d’un mouvement ambigu ; refus de la possession, mais spéculation sur l’art, éloge de la pauvreté, refus de l’ascétisme protestant mais ascèse esthétique ; au jeu du « qui perd gagne », le personnage gidien entretient à l’œuvre un rapport qui ne se résout jamais dans un résultat, un produit consommable, mais dans l’improductivité d’un travail littéraire qui se substitue à l’œuvre « finie ».
Résumé : Emblématique de la production d’une génération d’économistes soucieux de puiser dans la littérature et les arts une autre façon d’engager la réflexion sur les injonctions paradoxales de l’économie, D’Un retournement l’autre (2011), par Frédéric Lordon, s’inscrit dans la veine dramaturgique d’un théâtre de crise. Animée par le souci de rendre sensible les dérives du libéralisme, cette « comédie sérieuse » constitue un outil heuristique efficace pour déjouer les pièges de la rhétorique économique, sans pour autant échapper aux ambivalences de la figuration de l’économie, en vertu des effets de réception de la réversibilité comique. Son dispositif esthétique et idéologique met en évidence enjeux et apories d’une critique littéraire de l’économie politique qui pourtant s’impose à notre temps.
Résumé : Le mot « crise » circule entre les discours et les paradigmes, économiques et littéraires, mais aussi linguistiques. Cette circulation est rendue possible par l’évolution sémantique du mot, orientée vers la globalisation/abstraction et l'idée de continuité, deux traits qui en font un mot flou, un mot-masque. Le mot apparaît ainsi comme une fiction, une mythologie contemporaine véhiculée par un ordre idéologique réactionnaire ou régressif, dont on étudiera les manifestations dans la langue et la critique littéraire, tout en envisageant la façon dont certaines « fictions critiques » contemporaines l’exemplifient.