15Epistémocritique, Volume 15. Savoirs et littérature dans l’espace germanophone.
On assiste aujourd’hui à une véritable explosion des recherches sur les savoirs et la littérature en Europe. Il devenait urgent de rendre compte de la vitalité de ces recherches en faisant un tour d’horizon des travaux qui essaiment aujourd’hui à travers toute l’Europe. Cette quinzième livraison d’Epistemocritique initie ce tour d’horizon par un état des lieux de la recherche dans les pays de langue allemande (Allemagne, Autriche, Suisse), où une variété d’approches et de positions différentes se sont développées, donnant lieu à des controverses parfois très vives. Réalisé par Hildegard Haberl, ce numéro d’Epistemocritique propose un éventail de quelques-unes de ces approches et orientations ainsi que des tensions et débats qu’elles ont suscités, témoignant de la vitalité d’un champ aujourd’hui en plein essor dans le monde germanophone.

14Epistémocritique, Volume 14. GREFFES.
Greffes, hybridations, percolations… les métaphores ne manquent pas pour décrire la circulation des modèles, des idées et des représentations entre sciences et littérature. Parmi ces métaphores, celle de la greffe jouit d’une mémoire culturelle et d’une épaisseur historique toutes particulières : aux XVIIIe et XIXe siècles, elle a été mobilisée de façon massive par les scientifiques et les écrivains pour figurer différentes modalités du dialogue entre discours littéraires et savants. Les études réunies dans ce volume illustrent quelques-unes de ces modalités, interrogeant à partir d’exemples précis les rapports réciproques de la science et de la littérature, leur concurrence possible dans le champ du savoir, mais aussi la manière dont se constituent l’une par rapport à l’autre la « connaissance de l’écrivain » et la « connaissance du savant.

13Epistémocritique, Volume 13. Littérature et savoirs du vivant.
Depuis le 19ème siècle, moment où naissent les sciences du vivant, la circulation des modèles et des théories liés à ce domaine crée un espace de production épistémique qui permet aux représentations culturelles du vivant de se diffuser et de percoler dans la pensée historique, politique et sociale grâce à une série d’analogies, de déplacements métaphoriques, de généralisations et d’extrapolations. Les études réunies dans ce numéro visent à cerner la diversité de ces appropriations et des usages qui ont été faits des sciences du vivant dans le champ plus vaste des savoirs sur l’homme, mais aussi dans la production littéraire et, plus généralement, dans l’imaginaire, afin de mettre en évidences leurs enjeux idéologiques ainsi que les effets de culture qu’elles ont produit.

12Epistémocritique, Volume 12. Littérature et économie.
Le monde économique et le monde de la littérature et des arts ont souvent, depuis le Romantisme, été considérés comme antithétiques. Cependant les relations économiques sont présentes dans de nombreux textes et dessinent même une tradition littéraire. Après un bref parcours historique, du marchand dans la littérature du XVIIe siècle au Robinson de Defoe, des tribulations des personnages de Balzac dans le contexte du libéralisme naissant aux textes de Masséra, la littérature mettant en scène l’économie, surtout en période de crise, ne se contente pas de la représenter mais elle interroge les principes et l’éthique qui la fondent et entretient avec elle un dialogue constant .

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Théâtre et neurosciences : fiction versus naturalisation

Abstract : On s’accorde à reconnaître au théâtre l’élément caractéristique de l’« empathie » du spectateur et / ou du public, aussi bien que la collaboration entre l’âme et le corps. Le recours aux compétences scientifiques afin de les comprendre a toujours marqué le travail des acteurs et des pédagogues théâtraux qui sont aujourd’hui à l’écoute des découvertes neuroscientifiques. Pour les chercheurs se consacrant au théâtre comme pour ceux des neurosciences, l’intérêt réciproque semble toutefois se résumer à un simple programme d’application ayant pour sujet les compétences de l’acteur et les réactions du spectateur. Après avoir rappelé les deux découvertes les plus significatives pour la performance théâtrale — celle d’A. Damasio concernant le marqueur somatique et celle de chercheurs italiens conduite par G. Rizzolatti concernant les neurones miroir —, je présenterai les raisons pour lesquelles ce faisant, on travaille subrepticement dans le sens de la naturalisation du théâtre – qui est ainsi pensé de fait comme une catégorie naturelle. Mon but est au contraire de saisir la qualité idéale du théâtre en tant que phénomène esthétique, c’est-à-dire la permanence tout au long des différentes représentations d’une structure typologique que l’on comprend à travers la perception et qui qualifie la forme essentielle du théâtre sans la traduire en concept pur. Un cas d’étude aidera la démarche avec la contribution de l’anthropologie esthétique de H. Plessner, et nous amènera à reconnaître le rôle de la fiction, à savoir de l’expression artistique de la duplicité existentielle propre à l’homme en tant que tel, à laquelle font finalement référence les deux découvertes mentionnées.

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Mourir en tant que vivant : cultures scientifique et humaniste du mourir dans La Possibilité d’une île de Michel Houellebecq

Peu de végétaux fascinèrent autant les botanistes que la vallisnère ou vallisneria spiralis, en raison d’une particularité décrite au XVIIIe siècle par l’Italien Pier Antonio Micheli, puis par Linné, qui y vit un admirable exemple de la providence naturelle1. Cette plante subaquatique, qui pousse dans le lit de fleuves comme le Rhône, mais utilise le vent pour sa reproduction, met en contact de façon différenciée ses fleurs mâles et femelles, portées par des individus distincts. Pour gagner l’air libre, les premières se détachent entièrement du pied, tandis que les fleurs femelles restent arrimées à une longue spire, qui ramène l’organe sous la surface des eaux après fécondation. La vallisnère offre ainsi un cas de mobilité végétale qui frappa ses premiers descripteurs autant pour sa complexité que parce que, comme celui de la sensitive, ce « mouvement propre réel2 » semblait rapprocher la vallisnère du règne animal, pour en faire un « intermédiaire entre la plante et l’insecte », voire prouver chez les végétaux l’existence d’une « intelligence liée à la vie3 » ou d’un « instinct amoureux4 ». Aussi les savants des Lumières n’abordent-ils guère la vallisnère sans faire part de leur surprise, ni chercher à communiquer cette stupeur à leurs lecteurs. Picot-Lapeyrouse, par exemple, explique en 1799 qu’un « mécanisme aussi singulier » constitue un vrai « miracle de la nature », une « extraordinaire », « prodigieuse » et « merveilleuse » cause d’« étonnement5 ».

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Hors dossier. Limitations in Experimental Method in Balzac’s La Peau de chagrin

Abstract : In Balzac’s La Peau de chagrin (1831), it is easy to assume that the purportedly enchanted skin acquired by the main character Raphaël is effective in its Faustian charge. Just as the message embossed in the skin’s surface advertises, Raphaël seems to have his every wish granted, and both the skin and the length of Raphaël’s life shrink with each such wish. Yet one might equally argue that the skin is not in fact effective – that the changes occurring in the skin and Raphaël in seeming feedback are actually independent. This causal instability remains at the heart of the text because Raphaël is fundamentally incapable of serving as an experimenter. Through a close review of certain key passages, this article shows the various ways in which Raphaël fails in his experimental pursuits – both as a matter of adhering to experimental method, and as scientist facing the impossibility of conducting an experimentum crucis. This failure speaks both to a fundamental inversion of Cartesian method, where doubt follows certain truth; and a striking foreshadowing of Heisenbergian limitation, where the experimental object and subject interfere with each other in endless, moribund feedback. Résumé : En lisant le roman de Balzac La Peau de chagrin (1831), on peut aisément croire que la peau enchantée acquise par Raphaël, le personnage principal, fonctionne selon un principe faustien. Comme le message gravé à la surface de la peau semble l'indiquer, à chaque fois qu'un vœu de Raphaël est exaucé, la longueur de sa vie, et de la peau magique, diminuent. Mais on pourrait également penser que la peau ne fonctionne pas – et que les modifications que subissent celle-ci et Raphaël, apparemment liées, sont en fait indépendantes les unes des autres. Cette incertitude causale demeure au cœur du texte car Raphaël est incapable de faire office d'expérimentateur. A travers la lecture de certain passages clés, cet article examine les différentes manières dont le héros échoue dans sa démarche expérimentale – qui doit à la fois adhérer à la méthode scientifique et faire face à l'impossibilité de mener une experimentum crucis. Cet échec constitue à la fois un renversement de l'approche cartésienne, alors que le doute succède à la vérité, et un étonnant précurseur des limites décrites pas Heisenberg, lorsque l'objet et le sujet expérimental interfèrent l'un avec l'autre dans une boucle récursive sans fin et moribonde. Keywords : Epistemology, Balzac, Experimental Method Mots clés : Épistémologie, Balzac, méthode expérimentale

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Le fonctionnement des langues: paradigme du vivant ?

Résumé : Du fait que la langue exprime de la manière la plus achevée sept caractéristiques définitoires de sa nature qui sont aussi des traits fondamentaux du vivant, l’analyse de son fonctionnement peut servir de paradigme à l’analyse du vivant. C’est l’hypothèse explorée par cet article qui passe en revue ces caractéristiques : /1/ Une irrégularité aléatoire à l’intérieur d’une régularité systèmique. /2/ Une créativité imprévisible à partir de constituants simples et peu nombreux. /3/ L’aptitude à intégrer l’hétérogénéité et à imbriquer des systèmes différents. /4/ L’aptitude à se transformer par delà les frontières catégorielles. /5/ La généralisation de la redondance comme outil de construction et de déconstruction. /6/ La soumission de l’émotion à la forme. /7/ Le pouvoir de simulation et de transposition.

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« Said They Were Mine » : Fiction et savoir dans l’œuvre de Malcolm Lowry

Résumé : Chez Malcolm Lowry, la fiction ne se laisse pas réduire à une modalité particulière de la narration ; elle réside dans l’affirmation qu’il a pour origine l’individu présenté comme son « auteur ». En d’autres termes, elle est une modalité du rapport au langage écrit, et la question qu’elle pose est celle de la lettre et de son usage. Par là, elle interroge sans distinction tous les savoirs, dont la pérennité dépend, dans notre culture, de leur transmission écrite ; bien plus, elle en propose une réinterprétation à la lumière de l'expérience corporelle, seule à même, chez Lowry, de rendre pleinement compte de la relation à l’écriture. Cette problématique est abordée à la lumière de « The Plagiarist », court poème rédigé pendant les années 1940 et donc contemporain de Under the Volcano où l’on voit réapparaître, formulées de manière plus développée, quelques-unes des questions qu’il pose.

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Introduction : Inner Voices and Representation of Inner Spaces

Abstract : What is this little voice in our head? What is it used for? Why talk to ourselves, silently or out loud? What are the forms and modes of inner language? And what role does it play in our relationship to literature, theater, film? In spite of the abundant studies that have been published these last forty years, mostly in English, most account of inner speech begin with the avowal of a lack of comprehension (see for example, the recent monograph by sociologist Norbert Wiley, 2016). Let us attempt to go beyond such avowal by distinguishing the questions that have polarized research, the disciplinary configurations of this research, and their possible deficiencies (for a fuller state of the art on inner speech, see Bergounioux, 2001, and Smadja, forthcoming). Within the study of inner speech, important zones remain unexplored; one of these is inner space – the mental representation and experience of space – as it has mostly been discussed in an indirect and/or metaphorical manner, when it is discussed at all. This can be surprising, as inner speech appears as a crucial tool for the construction of the imagined spaces that we daily inhabit, when we remember familiar environments, when we project ourselves in the fictional spaces of a novel, when we daydream, or when we plan a trip to an actual place. The current issue of Epistemocritique explores this zone, at the conjunction of inner space and inner speech. To orient ourselves in this exploration, we propose in this introduction a few milestones that have been structuring the field of inner speech studies.

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Monstre et gender : de Geoffroy Saint-Hilaire à la tératologie fictive

Le XVIIe siècle a vu croître la dissociation, à la fois théorique et pratique, dans l’expérience individuelle comme dans les institutions culturelles, entre ce qui relève du savoir savant et ce qui relève de l’esthétique, les Sciences (au sens large, y compris la science critique des textes, la philologie) et les Arts : d’un côté des sciences qui, mettant en doute la « littérature » au sens de la chose écrite, s’appuient de plus en plus sur le raisonnement critique, l’observation et l’expérience, la lecture des sources premières, à la recherche du vrai et des idées claires et distinctes ; de l’autre une littérature (au sens moderne cette fois) de plus en plus nettement définie comme fiction ornée, devant passer par le plaisir pour instruire, et vouée au vraisemblable. Si l’on adopte le vocabulaire de Charles Sorel, dans sa Bibliothèque française (1664-1667) , on assiste alors à la séparation entre les bonnes lettres, lieu de la « doctrine » (c’est-à-dire des savoirs), et les belles lettres, lieu de l’agrément. L’histoire des institutions le confirme. La création en 1635 de l’Académie française, à qui l’on donne pour charge de produire un dictionnaire, une grammaire et une poétique, manifeste la volonté politique de soutenir avant tout « ceux qui écrivent bien en notre langue » par rapport aux préoccupations encyclopédiques, tout autant scientifiques que littéraires, voire davantage, des cercles d’érudits, notamment celui des frères Dupuy dont l’Académie est issue. Cela peut-être parce que les sciences du début du siècle sont le lieu d’âpres débats, entre les observateurs et les partisans des avancées épistémologiques modernes et le parti religieux, appuyé sur et par les aristotéliciens purs et durs, débats dans lesquels le politique n’a guère à profiter. Au contraire, il apparaît urgent à Richelieu de renforcer l’imposition d’une langue française normée à l’ensemble du territoire et de soutenir la création littéraire, instrument de propagande et source de prestige international : comme le dit Alain Viala, le choix de l’État alla d’abord davantage vers la « promotion des arts verbaux » (les belles lettres, ce qu’il appelle les Sirènes) que vers la doctrine et érudition (les bonnes lettres, les Muses à l’antique) . Si, après la mort des frères Dupuy, le « Cabinet Dupuy », et bien d’autres savants, continuent (avec prudence dans certains domaines) leurs efforts pour la connaissance de la nature et l’exploration de la diversité de ses phénomènes, il faudra attendre 1666 pour que Colbert crée l’Académie des Sciences, qui est vouée à s’occuper « à cinq choses principales : aux mathématiques, à l’astronomie, à la botanique ou science des plantes, à l’anatomie et à la chymie » , sous l’égide d’un cartésianisme qui convainc de plus en plus de savants, manifestant ainsi clairement, en tout cas dans l’ordre des institutions d’État, comme des institutions culturelles (le Mercure galant, fondé en 1672, fait pendant au Journal des Savants, fondé en 1665) la dissociation des sciences et des lettres.

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Le « docteur des fous » dans le roman populaire français et anglais de 1840 à 1880

En 2011, dans L’Évolution des idées en géologie. Des cosmogonies à la physique du globe, le philosophe et historien des sciences Bernard Balan situe la « fondation » de la science géologique à la fin des années 1960, c’est-à-dire au moment où il est définitivement établi, grâce aux travaux de géophysiciens anglais et américains, que la surface de la Terre est mobile aussi bien dans un sens horizontal que dans un sens vertical . Devant l’émergence tardive, en matière de physique du globe, d’un discours scientifique, Balan s’interroge sur les raisons pour lesquelles le développement des études « géologiques » depuis la fin du XVIIIe siècle, et certains résultats obtenus par l’étude des strates déjà anciennes, n’ont pu aboutir plus tôt à l’explication tectonique. Ce « retard » de la géologie par rapport à d’autres branches de l’histoire naturelle a, selon lui, deux causes possibles : il fallait pour que la « géologie » progresse et naisse enfin qu’aient été acquis les résultats de la thermodynamique ; il fallait aussi que la géologie s’arrache aux mythes des origines et, plus particulièrement aux récits bibliques de la Genèse et du Déluge, qu’elle a d’abord et surtout chercher à laïciser. Ce second argument n’est guère nouveau ; il est récurrent sous la plume de ceux qui, depuis les années 1740 avec Buffon jusqu’aux années 1830 au moins avec Charles Lyell, entreprennent non seulement de retracer l’histoire de la Terre mais aussi de fonder la géologie en tant que science expérimentale. En 1812, Georges Cuvier s’étonne, au moment d’exposer une méthode d’analyse des fossiles essentielle aux progrès de la géologie, qu’aucun des anciens n’ait attribué les bouleversements de la surface du globe à des causes lentes ou n’aient cherché dans l’état actuel des causes agissantes. Il en dénonce très vite la raison en ces termes : « Pendant longtemps on n’admit que deux événements, que deux époques de mutations sur la surface du globe : la création et le déluge, et tous les efforts des géologistes tendirent à expliquer l’état actuel en imaginant un certain état primitif modifié ensuite par le déluge, dont chacun imaginait aussi à sa manière les causes, l’action et les effets » .

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