SOMMAIRE
– Introduction : Catherine Grall
Qu’est-ce que la préhistoire ?
2 – Boris Valentin : « Préhistoire : de quoi s’agit-il ? »
3 – Jean-Michel Geneste : « Altérités. La perception de l’Autre et des Autres en Préhistoire. Un exemple de recherche anthropologique en Terre d’Arnhem »
4 – Philippe Grosos : « Préhistoire : de l’obstacle épistémologique à l’analyse des modes d’être »
5 – Pascal Depaepe : « Sous-Homme ou Sur-Homme ? Neandertal fantasmé »
6 – Jean-Luc Guichet : Rousseau fondateur des sciences de l’homme… préhistorique ?
Écritures littéraires de la préhistoire
7 – Fanny Drouot : « Interférences préhistoriennes dans le cycle des Rougon-Macquart d’Émile Zola »
8 – Emmanuel Boldrini : « Les origines célestes de l’homme : la mystique préhistorique d’Édouard Schuré »
9 – Christian Michel : « L’avance en sens inverse — Une lecture figurative de Ratner’s Star de Don DeLillo »
10 – Étienne Lussier : « L’écriture de la préhistoire dans La Grande Beune de Pierre Michon : entre entropie et néguentropie »
11 – Chloé Morille : « “Big Hole Man” : la préhistoire à l’âge atomique »
Les arts contemporains et la préhistoire
12 – Nathalie Joffre : « Tracing papers : réflexions théoriques et démarche artistique : pour une possible redécouverte contemporaine et sensible de Lascaux »
13 – Laurence Gossart : « Les gestes des préhistoriques comme ressource de l’art contemporain »
Introduction
Résumé
Les angoisses pour la survie de la Terre et des êtres vivants qui la peuplent favorisent un regain d’intérêt pour la préhistoire, à l’heure de l’anthropocène, qui n’est pas fixée de façon unanime. Ouvrages savants, croisements interdisciplinaires pour mieux interroger le « temps profond », littérature de fiction ou de non-fiction, arts plastiques font signe en ce sens. L’article propose une typologie de littératures contemporaines en témoignant.
Abstract
Are anxieties about the survival of the Earth and the living beings that inhabit it fuelling renewed interest in Prehistory? Scholarly works, interdisciplinary dialogues to better interrogate ‘deep time’, fiction and non-fiction literature and the visual arts are all pointing in this direction. This article presents a typology of contemporary works that bear witness to this.
Depuis quelques années, sous l’effet des alarmes climatologiques, des menaces mondiales qui pèsent sur plusieurs biotopes et sur les vivants les plus variés, le thème des origines préhistoriques de l’humain revient dans de nombreux discours autres que ceux des seuls préhistoriens. Qu’expriment la science, la littérature et les arts sur la très longue évolution de l’humanité, dans un espace global désenchanté, que hante un présentisme affolé ? Marcel Otte explique qu’« avec l’humanité, les contraintes deviennent des stimulations à se transformer » et que « les découvertes scientifiques ou les réalisations d’œuvres d’art procèdent selon le même schéma : créer ce qui n’est pas encore fait, et spécialement si c’est considéré comme impossible » (10). L’évolution, qui connaît en effet des sauts — et des régressions — a inspiré les rêveurs, les essayistes amateurs d’expériences de pensée, les artistes, et la préhistoire occasionne aussi bien des récits et des discours que des œuvres graphiques, qui tendent à reprendre mais aussi à se positionner par rapport au temps qui passe. Leurre ? Brigitte Röder avait pointé dès 2011 l’illusion selon laquelle connaître les débuts de l’humanité signifierait comprendre sa nature, voire résoudre la situation présente et les problèmes à venir ; mais l’anthropocène, avec ses variantes (capitalocène, plantationocène, chthulucène), suscite autant de craintes que d’espoirs de comprendre l’humain, en un retour aux passés les plus lointains, grâce à la science et à l’imagination — deux facultés plus que jamais liées devant ce qui est à la fois partiellement connaissable et très désirable.
Nous évoquerons, dans cette introduction, quelques signes du regain de fascination pour les origines, avant de présenter les articles de ce volume. Nous reviendrons ensuite, en tant que spécialiste de littérature générale, sur ce que l’on peut entendre par discours et représentations de la préhistoire et nous proposerons une typologie d’ouvrages littéraires.
Quelques mots, d’abord, sur les deux grandes notions du titre de ce numéro. La préhistoire correspond, dans les définitions des dictionnaires généraux, à l’histoire de l’humanité qui s’étend avant l’écriture. Mais les spécialistes d’un temps si immense, nécessairement abordé de façon fragmentaire, problématisent cette « datation » : l’écriture est loin d’avoir concerné toute l’humanité simultanément, et d’autres grands moments ont pu correspondre à des évolutions tout autant, sinon plus décisives. Prudent, Boris Valentin, qui travaille sur les chasseurs-cueilleurs ayant vécu entre les XIVème et VIème millénaires avant notre ère, préfère évoquer dans ce volume des préhistoires et des humanités, et Philippe Grosos invite à envisager l’Antiquité comme la fin d’un processus plutôt que comme un commencement.
La plupart des géologues, par ailleurs, contestent la notion d’anthropocène : quand l’humain a-t-il commencé à menacer la vie globale de la terre et sur celle-ci ? P. J. Krutzen et E. Stoermer se référaient aux débuts de l’ère industrielle en Occident mais, depuis, d’autres positions ont été défendues. Des préhistoriens comme Gordon Childe, Marshall Sahlins, et Alain Testart ont pointé l’agriculture et le stockage des ressources au néolithique comme première mainmise de sapiens sur le reste de la planète, et plusieurs essayistes ont repris cette accusation, parfois selon une perspective idéologique et politique1. Les post– et de-colonial studies invitent à remonter jusqu’aux premières exploitations du reste du monde par un Occident prédateur (Malcom Ferdinand). Emmanuel Guy, dans Ce que l’art paléolithique dit de nos origines, a fait remonter l’anthropocène au paléolithique — et sa dispute avec Charles Stépanoff continue aujourd’hui (Stépanoff 2018, Guy 2020).
Ces indéterminations signifient moins un défaut de connaissances que la multiplicité des champs d’application des termes, leur capacité à susciter des nuances, voire des polémiques, selon les points de vue adoptés, sur des temps qui dépassent largement la mesure de l’humain, mais qui concernent le début et la fin de son existence comme animal terrestre « supérieur ». Encore faut-il articuler le temps de vie de l’individu et le temps de vie de l’espèce (extensible à quels « pré-humains » et à quels « post-humains ?). L’humain est particulièrement apte à se penser comme plus qu’individu mondain : peu capable d’exister sans un minimum de questionnements transcendantaux, il se sait aussi appartenir à des ensembles, que cela lui plaise ou non, et quelques responsabilités que cela implique ou pas. Aujourd’hui que les essentialismes sont critiqués, au profit de nouvelles morales des singularités, ou d’éthiques du vivant, il n’est donc pas surprenant qu’entrent en tension deux pôles, l’un, la préhistoire, examinant les pistes de « nos » enfances, et l’autre, l’anthropocène, alertant chacun sur ses relations aux autres vivants actuels.
I Fascination pour les origines à l’ère de l’anthropocène
L’historien Pascal Semonsut, dont le site hominidés.com connaît un grand succès depuis sa création en 2008, propose un premier bilan de ce succès de la préhistoire au XXIème siècle dans sa thèse de 2009, en particulier dans les productions populaires en tous genres. Le thème inspire les dramaturges : en 2014, Roméo Castellucci représentait une caverne et des hommes préhistoriques dans Go down Moses, après une scène d’accouchement douloureux ; en 2023, au Studio-théâtre de Vitry, Victor Thimonier, montait le troisième volet d’Anachronique Paléolithique, consacré à l’Abbé Breuil2, tandis qu’au festival d’Avignon de cette même année, David Geselson collaborait avec des préhistoriens et des archéologues pour monter Néandertal.
Cinéma et séries ne sont pas en reste : A. Weerasethakul ranime régulièrement d’anciens fantômes venus du cœur de la terre dans ses films oniriques (Memoria, 2021). La série américaine The Leftovers (D. Lindelof et T. Perrotta, HBO, 2014-2017) ouvrait sa deuxième saison par une scène de secousse sismique qui isolait une femme préhistorique avec son bébé, en parallèle avec les bouleversements d’un monde futuriste, traumatisé par des disparitions inexpliquées. De grandes manifestations culturelles comme « Préhistoire, une énigme de la modernité » (Beaubourg, 20193) ou « Les Origines du monde » (Orsay, 2021) sont revenues sur le succès du thème préhistorique auprès d’artistes du XIXème siècle jusqu’aux artistes contemporains. Plus anthropologique, et soulignant la tension dialectique entre le très lointain passé et notre époque : « La Terre en héritage — du Néolithique à nous » (Musée des Confluences, Lyon, 2021) plaçait l’art des vastes débuts de l’humanité sous la lumière de discours scientifiques et esthétiques modernes, cependant que l’INRAP soutenait l’École urbaine de Lyon dans la publication de Néolithique Anthropocène — dialogue autour des 12000 dernières années, accentuant la dimension collapsologiste de notre époque, en la confrontant à l’émergence des humains sur terre. Jean-Paul Demoule, qui participa à la création de l’INRAP, a travaillé à ce projet, et son dernier ouvrage lie exemplairement contemporain et préhistoire, avec des points de suspension : dans Homo migrans, il invite de façon militante à envisager un nomadisme planétaire et varié, depuis les migrations animales, celles des premières humanités, et celles d’homo sapiens aujourd’hui. Joy McCorriston et Julie Fields proposent même, dans un manuel de 2020, de réenvisager la préhistoire mondiale à partir de l’anthropocène, pour qu’elle fasse sens auprès d’un public éclairé.
Les mots de la préhistoire font mouche. Des sciences humaines très diverses continuent de requalifier homo sapiens, comme pendant tout le XXème siècle : à l’homo œconomicus de Max Weber, en 1904, à l’homo faber de Bergson en 1907, revisité en 1958 par Hannah Arendt en homo laborans, après l’homo ludens de Johan Huizinga en 1938, l’homo sapientior de Jean Rostand en 1963, et l homo demens d’Edgar Morin en 1973, Christophe Charle a en effet proposé homo historicus en 2013, et Daniel Cohen homo numericus en 2022. Foucault avait sous-titré son essai Les Mots et les choses, en 1966, par « une archéologie des sciences humaines » et confirmait l’essai en 1969 avec L’Archéologie du savoir : par un tour métaphorique, l’archéologie renvoyait à un impensé de l’histoire des sciences, jugée trop limitée par la spécialisation de ses discours. Depuis, beaucoup d’essayistes semblent préférer entreprendre « l’archéologie » des idées les plus variées, plutôt que leur histoire, en prétendant viser une épistémè jusque-là négligée et trop peu réflexive. L’émission radiophonique LSD, diffusée par France Culture, a proposé le 21/09/2020 une « archéologie du clitoris ». Le philosophe Jean Vioulac, en 2022, risquait le mot-valise Anarchéologie pour exposer ses « Fragments hérétiques sur la catastrophe historique », et inscrire son rapport à l’anarchie par rapport à l’histoire, en passe, encore une fois, de disparaître. Les termes de la préhistoire semblent donner à plusieurs disciplines une profondeur et un sérieux issu du temps très long, encore mystérieux, voire leur conférer une dimension ontologique, alors même que l’on revendique des savoirs situés.
En librairie, de grandes synthèses sur l’histoire d’homo sapiens et de ses prédécesseurs se vendent très bien (ouvrages de Yuval Noah Harari, Au commencement était… — Une nouvelle histoire de l’humanité de David Graeber et David Wengrow…), l’anthropologie sociale et politique, les women studies, l’écologie y croisent les travaux de préhistoriens aux spécialisations multipliées par l’utilisation de techniques de pointe. Les éditions pour la jeunesse proposent un nombre impressionnant d’ouvrages de vulgarisation et de fiction sur la préhistoire. De grandes fresques préhistoriques constituent des bestsellers (romans de Jean Auel et de Pierre Pelot parmi d’autres), le genre du « polar préhistorique » se développe. La préhistoire en vient elle-même à changer, non seulement en tant que science, mais aussi en tant que période, sous l’effet de ces vulgarisations, de ces médiations, avec les croisements disciplinaires qu’elle intègre (voir Geneste, Jean-Michel, Grosos, Philippe et Valentin, Boris, Préhistoire — nouvelles frontières). Laurent Olivier, dans « Le passé est un événement » cite aussi bien le Bergson de L’Évolution créatrice que Jean Le Goff, pour proposer le néologisme « transformission », qui dit combien ce qui se transmet en même temps se transforme (26). Michel Lantelme, envisageant le roman français de tirage plus modeste que les œuvres évoquées plus haut, estime que le thème préhistorique répond, par son souci des origines, à la tendance post-apocalyptique d’autres fictions françaises — et de citer Jean Baudrillard : « à mesure que le futur nous échappe, la quête de l’origine, de notre scène primitive, en tant qu’individu comme en tant qu’espèce, est devenue notre obsession majeure ». Débordant les frontières nationales, Chloé Morille, contributrice de ce volume, a soutenu en 2022 une thèse intitulée « Si d’argile se souvient l’homme » — résonances de la préhistoire dans la littérature et les arts plastiques (1894-2019) : domaines français, espagnol, anglais et américains, rappelant les enjeux de ce thème tout au long d’un siècle qui additionna des crises et des raisons de mettre en doute de nombreuses formes de progrès.
Les désillusions apportées par le XXème siècle, l’insatisfaction résultant de l’examen des espaces toujours plus infinis (qu’a brillamment synthétisé Jean Clair sous l’égide de Humboldt), se reportent à l’heure de l’anthropocène sur le désir parfois mal assumé de sonder des temps qui semblent infinis (parce que très reculés) : pour mieux saisir notre XXIème siècle, ou, parfois, pour le fuir.
II Les articles de ce volume
Les préhistoriens ont vu leurs disciplines et leurs techniques se sophistiquer toujours plus. Trois d’entre eux, Boris Valentin, Jean-Michel Geneste et Pascal Depaepe, se livrent dans ce volume à de précieuses réflexions épistémologiques, à des considérations sur l’évolution de leur discipline, et sur les enjeux de celle-ci loin d’Europe. Philippe Grosos, philosophe passionné par la très longue histoire de l’humanité, invite à sa façon à réenvisager la frontière entre histoire et préhistoire, tandis que Jean-Luc Guichet nous invite à mieux lire les propositions et les expériences de pensée de Rousseau … à la lumière des sciences actuelles de la préhistoire, et des recherches en écologie qu’intègrent volontiers celles-ci.
Boris Valentin, professeur en archéologie préhistorique, interroge d’abord la définition de son objet, période dont tous s’accordent à dire la longueur, qui demeure floue, en particulier quand on situe l’humain dans un ensemble d’êtres vivants très divers, qui ont eux aussi évolué, selon des rythmes très variables. La critique du grand partage entre nature et culture ne nous invite-t-elle pas à nous dégager non seulement de l’anthropocentrisme, mais même d’un « primatocentrisme » ? L’auteur évoque des humanités, au sein d’une évolution buissonnante, pour appréhender des vivants très divers, en minimisant la projection de nos façons de vivre et de penser sur les leurs. La mondialisation des recherches, au-delà du Paléolithique européen récent, n’en finit pas de révéler des convergences et des altérités dans les changements de mode de vie et de production, correspondant aussi aux modifications des écosystèmes.
Le philosophe Philippe Grosos critique fermement la démarcation entre préhistoire et histoire. Il définit surtout des modes d’être variés, échappant à la téléologie comme aux idéologies, et s’arrête particulièrement sur le saut qualitatif observable entre les peintures du paléolithique récent, et les œuvres réalisées par des sociétés agro-pastorales.
Mieux prendre en compte les espaces où la préhistoire s’est déployée, les rythmes de ses changements, son articulation à l’histoire, va de pair avec un appel à toujours mieux situer des humanités entre elles. Jean-Michel Geneste, archéologue préhistorien, s’intéresse aux altérités entre humains du lointain passé et humains d’aujourd’hui, que les recherches archéologiques peuvent aider à se réapproprier leur identité, en même temps que leur participation aide les savants à mieux imaginer le sens de leurs propres découvertes. Il rapporte ainsi de façon émouvante son expérience en Terre d’Arnhem (Australie), faite à la demande de la communauté ethnique Jawoyn4.
C’est aussi pour replacer dans l’histoire de la préhistoire, et dans la doxa publique, les jugements sur les humains « différents » de ceux qui créent discours et représentations, que Pascal Depaepe, de l’INRAP, relève des représentations de Néandertal, selon des poncifs et caricatures qui l’animalisent, et révèlent surtout les fantasmes d’un XIXème siècle bouleversé par la théorie darwinienne. Le XXème siècle a continué en large partie, surtout dans ses moments les plus sinistres, à hiérarchiser les « races » humaines », toujours en mêlant aux arguments scientifiques des enjeux religieux, politiques et philosophiques.
C’est à un retour vers l’un des grands penseurs de « l’homme naturel » que nous convie Jean-Luc Guichet, en montrant combien Rousseau, avec les connaissances de son temps, son usage de la raison et de l’imagination, a posé des hypothèses que confirment étonnamment des préhistoriens actuels — de même que notre époque favorable à l’écologie se nourrit à nouveau de sa pensée de la nature, des animaux et de ses hypothèses sur la sociabilité.
Les scientifiques et les philosophes cités s’appuient autant que possible sur des documents, des faits, des analyses et des expériences vérifiables, mais la relative jeunesse des recherches en préhistoire, ainsi que le peu de traces qui constituent leur objet, expliquent certaines résonances avec les œuvres des écrivains et des plasticiens, ouverts à l’imaginaire, et plus volontiers perméables aux dimensions idéologiques. Les études des spécialistes de la littérature et les propositions des plasticiennes de ce volume en témoignent, à propos du XIXème siècle tardif (Fanny Drouot sur Zola et Emmanuel Boldrini sur Édouard Schuré) et des XXème et XXIème siècle (Christian Michel sur Don DeLillo, Étienne Lussier sur Pierre Michon, Chloé Morille sur plusieurs auteurs contemporains).
Fanny Drouot montre ainsi qu’Émile Zola s’est intéressé à la science préhistorique pour représenter l’homme de son temps. La découverte de l’abri Cro-Magnon par Louis Lartet est exactement contemporaine de la préparation des Rougon-Macquart et on en retrouve des échos dans l’esquisse de La Fortune des Rougon, dans La Faute de l’Abbé Mouret, où se rejoue une manière d’évolution de l’humanité, ainsi que dans les cahiers préparatoires à La Bête humaine. La critique zolienne a souvent privilégié une approche plus ou moins mythologique de certains personnages, en ignorant les « assises anthropologiques » du romancier, malgré l’intérêt quasi obsessionnel bien connu des naturalistes pour l’atavisme5, qui préfigure à sa manière les angoisses actuelles.
La foi dans le progrès et la tentation du décadentisme est partagé par les écrivains cités par Emmanuel Boldrini, qui nourrit lui aussi son étude littéraire de références à des préhistoriens de la deuxième moitié du XIXème siècle. Les discours scientifiques sur les origines ont nourri les doctrines les plus ésotériques, en France, en lien, d’une part, avec le mouvement décadent, qui envisage l’extinction de l’espèce humaine, et, d’autre part, avec le mouvement symboliste, qui rêve d’une pureté originaire d’avant la préhistoire. Le cas de l’occultiste Édouard Schuré illustre ce rapport très ambivalent aux idées d’évolution et de progrès — phénomène que l’on observe également aujourd’hui dans la coïncidence entre de nouveaux retours à la nature, l’engouement pour les civilisations animistes et pour le chamanisme, et des renouveaux New Age, ceci parfois entremêlé à des fantaisies préhistoriques. Le rapport entre sciences et superstitions a également inspiré le romancier américain érudit, Don DeLillo, qui travaille autant l’histoire des mathématiques que la question de l’évolution et de la répétition des temps anciens dans L’étoile de Ratner. Christian Michel, rappelant le procédé de la lecture figurative entre Ancien et Nouveau Testament, éclaire la structure complexe de cette œuvre, hantée par la fin.
Les articles d’Étienne Lussier et de Chloé Morille font résonner le paradigme indiciaire de Carlo Ginzburg (voir aussi Cohen 2011), déjà cité déjà par Fanny Drouot. Étienne Lussier lit dans les paysages des Beune de Michon des espaces offerts à l’entropie, d’un côté, et, de l’autre, un souffle de vie issu de la caverne préhistorique. La fiction de Michon est-elle susceptible de réorganiser le pessimisme de l’univers ? Le narrateur, qui s’imagine sombrer dans un village aux connotations archaïques, découvre une petite grotte vierge de peintures rupestres, où le chasseur craint de devenir la proie, après avoir lui-même quasiment traqué une femme. Mais la vie du paysage et de la salle de classe recrée de petits mondes, et l’écopoétique devient ici une écocritique. Chloé Morille compare la révélation éprouvée par Bataille lorsqu’il visita Lascaux avec la sidération du même ordre éprouvée par le poète américain Clayton Eshleman. Elle attire notre attention sur le topos que constitue le rapprochement entre préhistoire et énergie atomique à la charnière des XXe et XXIe siècles : ainsi de Michel Jullien, dans son essai sur les Combarelles, de Werner Herzog, qui filme la grotte Chauvet, à côté de la centrale nucléaire du Tricastin, et d’une ferme aux crocodiles peut-être mutants, et d’Étienne Davodeau, dont un album dessiné retrace la randonnée en forme d’enquête, entre la grotte de Pech Merle et le site d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure. La littérature actuelle, comme la préhistoire des savants, questionne la coévolution entre humains et non-humains, depuis un temps long qui s’accélère de façon inquiétante, et joue également des profondeurs de la terre (voir Costes et Altairac, dont la très vaste bibliographie dit la richesse de l’imaginaire des mondes enfouis — bibliographie que l’on complètera par l’enquête de Robert Macfarlane).
Deux plasticiennes clôturent ce volume. Nathalie Joffre conte son long rapport à la grotte de Lascaux, et la reconfiguration d’une épiphanie rêvée, qui ont mené à deux créations : « Les paysages post-archéologiques » et « Momies »6, à partir des relevés exécutés par l’abbé André Glory dans les années 1950. L’artiste évoque encore le corps des artistes préhistoriques et fait un parallèle entre sa recherche et l’œuvre d’Ana Mendieta et de sa nièce. Préhistoire, histoire personnelle, archives et souci de l’écosystème participent ainsi à de nouvelles traces. Laurence Gossart cite elle aussi Léonard de Vinci et rappelle l’hommage rendu par Miguel Barcelo aux artistes de la Grotte Chauvet, comparés par lui à de grands maîtres de la Renaissance italienne. C’est l’expression de la vie intérieure par les premiers que l’auteure de l’article compare à ce qu’a réalisé, dans ses Feuilles de cerveau, Giuseppe Penone, qui a comparé la grotte à un animal et à un crâne dont on visite les secrets. Comme beaucoup de préhistoriens (dont Jean-Jacques Delannoy et Jean-Michel Geneste), l’artiste a été très interpellée par le retournement infiniment imaginable par l’esprit entre intérieur et extérieur d’une grotte, assimilable à un être vivant, entre géologie minérale et animalité fantastique. L’œuvre de Patrick Neu est elle aussi évoquée à la lumière du Geste du regard de Renaud Égo.
Les œuvres plastiques dialoguent, sautent par-dessus les silences au profit des formes, des couleurs et des matières, et dialectisent sans doute mieux les temps et les créativités, que ne le peuvent les livres, aux prises avec la continuité de la langue. C’est en partie la question qu’a posée Rémi Labrusse dans le premier album de l’Écarquillé, consacré au Silence, à différents chercheurs et artistes intéressés par la préhistoire.
III Fictions, littératures et préhistoire.
Pour aborder en généraliste la question des représentations et des discours de la préhistoire par la littérature, il me semble important de revenir d’abord sur les formes variées que regroupe la fiction, qui n’est pas que littérature ni toute littérature, mais que stimule par excellence le désir de mieux connaître des origines peu connaissables, désir aiguillonné par la menace d’une (auto)destruction massive, en recourant à l’intuition et à l’imaginaire, sinon à l’aveu d’impuissance.
La fiction s’est déployée anciennement sous la forme de mythes. Elle peut, en deuxième lieu, qualifier un texte des années après sa parution, alors qu’il ne se voulait pas imaginaire au moment de sa création : il en est ainsi des tâtonnements et des évolutions des hypothèses scientifiques, pas toujours modestement données pour telles, voire des impostures scientifiques, nombreuses dans l’histoire de la préhistoire — la « fiction » ressortit, dans ce cas, à la réception du texte, et au décalage entre celle-ci et l’écriture de l’œuvre (nous lisons le De Natura rerum de Lucrèce et l’Histoire d’Hérodote avec le plaisir que l’on prendrait à des romans et poèmes un peu didactiques). Troisièmement, certains discours sur la préhistoire intègrent parfois un tel degré d’idéologie qu’ils deviennent des contes, même s’ils prétendent au statut scientifique. Enfin, l’expérience de pensée participe également de la fiction, en tant que fable qui aide son auteur (pas nécessairement reconnu comme « écrivain ») à développer son discours, et à persuader ses lecteurs.
Les historiens des idées et de la Préhistoire (tels Wiktor Stozckowski ou Claudine Cohen) ont rappelé les hypothèses formulées par les mythes. Le préhistorien et anthropologue Jean-Loïc Le Quellec, en croisant des données internationales et multiculturelles, a rassemblé les invariants d’un mythe de l’émergence, qui peut remplir cette fonction. Ces fictions orales, illustrées, parfois couchées par écrit bien tard, et dont les variantes ont pu animer les croyances d’humains préhistoriques, sans doute plus que les adorations de la terre-mère, des panthéismes, ou des chamanismes vite projetés depuis les anthropologies et la doxa modernes sur les temps très anciens, trouvent leur pendant dans les cosmogonies des civilisations antiques et témoignent d’une conscience de la proximité relative entre les règnes minéraux, végétaux, et animaux. Les fictions religieuses et folkloriques qui prétendaient rendre compte des fossiles, comme l’a bien rappelé par exemple Éric Buffetaut, et le créationnisme, prolongent ces histoires, imagées, contredisant les lois naturelles de leur époque. Mythes et religions prétendent expliquer le temps profond de façon exhaustive, tout en l’orientant vers le futur, sans laisser de reste — jusqu’à rencontrer le discours scientifique, cas de plusieurs gens d’Église. L’anthropocène toutefois énonce une fin des temps non prophétisée, face à quoi les fictions mythiques globalisantes largement anthropocentrées ne tiennent plus guère.
Les hypothèses des naturalistes depuis l’antiquité, les propositions d’anthropologues et de préhistoriens ont, à leur manière, pris le relai des cosmogonies expliquant la nature et l’origine des végétaux, des animaux et des humains préhistoriques — pour ne rien dire des fous littéraires, que les origines ont mobilisés à plusieurs reprises (voir Décimo et Pierssens). Les préhistoriens actuels avancent leurs résultats avec une grande prudence, ajoutant et corrigeant des éléments à ces tâtonnements de la pensée et aux recherches de leurs prédécesseurs. Jean Guilaine et Jean Zammit ont par exemple dénoncé la tendance à projeter des idées actuelles sur la préhistoire, à propos de la guerre, en convoquant André Leroi-Gourhan et Pierre Clastres (39) : le préhistorien estimait que la guerre prolongeait le geste de la chasse, tandis que l’ethnologue français, comme l’archéologue américain Lawrence H. Keeley, distinguait d’abord en elle une pratique sociale, particulièrement prisée par les sociétés primitives. Ces deux thèses, non tranchées, s’apparentent à des récits qui prétendent à la vérité. Guilaine et Zammit relèvent encore les catégories anachroniques de plusieurs scientifiques peinant à se détacher autant que possible de préjugés modernes : ainsi d’un soi-disant confort des chasseurs-cueilleurs, en harmonie avec la nature : « confirmation semble apportée par le monde cultivé, scientifique, mariant les démonstrations « rigoureuses » à un sentiment populaire, naïf et mythique, qui relève de la seule fiction. En fait, la science ne sert ici qu’à retrouver des concepts banals, des affirmations gratuites, profondément ancrés dans notre mentalité et notre culture » (49). L’état actuel des connaissances préhistoriques, est compatible avec l’idée d’anthropocène, mais les fictions de connaissances plus anciennes envisageaient celui-ci sur le mode moins radical du décadentisme.
Quant aux expériences de pensée sur la préhistoire, elles ont été particulièrement employées par des philosophes et des penseurs de l’économie politique : Rousseau, Hobbes, Bergson, Nietszche (Stoczkowski, Salanskis) ont cherché à comprendre, en passant par l’imagination cohérente et la déduction, les origines de l’homme et, souvent, ses capacités de destruction. Les théoriciens du marxisme ont davantage ciblé les injustices sociales par ce biais : le site de Christophe Darmangeat, « La Hutte des classes », est consacré à ces questions et cite des textes passionnants d’Engels, de Trostski, de Rosa Luxembourg, en passant par Hannah Arendt. Friedrich Hayek, du côté libéral, a également imaginé des enjeux de la préhistoire pour le développement économique des sociétés (voir Nadeau). Les psychanalystes ont esquissé d’une manière analogue un parallèle entre phylogenèse et ontogenèse (Freud dans Totem et tabou, Ferenczi dans « Thalassa — psychanalyse des origines de la vie sexuelle »). Pareils discours anthropologiques et politiques sur la préhistoire n’envisagent guère, en revanche, d’autodestruction aussi radicale que celle imaginant la disparition de la vie sur terre.
Le caractère idéologique, parfois à peine conscient et volontaire, ressortit aussi à la dimension « fictionnelle » d’un texte. Plus d’un savant des XIXème et XXème siècles a fait servir son objet à des discours non-scientifiques. La théorie de l’évolution a mis à sa façon un terme aux hypothèses très variées qui s’étaient multipliées particulièrement au siècle des Lumières, fasciné par une nature qui commence à se dire « humaine » — mais le créationnisme reste aujourd’hui vigoureux, sur fond de retour du religieux et de divers scepticismes obscurantistes assez répandus (complotismes, spiritualités les plus floues, New Age renouvelé, « post-vérité »…). Le caractère scientifique de la théorie darwinienne et de ses développements n’empêche guère, en effet, la tentation de juger cette très longue histoire : à côté de dénonciations d’un péché originel, le camp de la décadence affronte un camp du progrès en des variations nombreuses, que Marc Guillaumie a bien repérées en matière de roman préhistorique. Les nationalistes ont volontiers situé les origines de l’humanité sur leur territoire, pour valider quelque supériorité de ses habitants — et donc la légitimité de leurs prétentions : Philippe Forest peut ainsi moquer Claudius Côte qui découvrit en 1933 « l’un des plus anciens hommes modernes français », dans L’Enfant fossile. L’Union soviétique a parfois plaqué la dialectique hégelienne sur la succession prétendument linéaire du chaos des chasseurs-cueilleurs, du néolithique et des temps modernes (voir par xemple les articles de Lioudmila Iakovleva et de François Djindjian dans le collectif dirigé par Sophie A. de Beaune). Maria Stavrinaki a rappelé également la vision très discutable de la préhistoire par Cheikh Anta Diop, dans le chapitre intitulé « Enracinement dans le paysage » (324-335) de sa monographie, où elle signale des revendications analogues de la part d’artistes des années 1930 (Asger Jorn, Paul Nash), avec l’appui de certains archéologues et historiens de l’art qui avaient peut-être lu Herder, et recherchaient un esprit du lieu, contre le vertige du trop grand temps. Les discours et représentations plus actuels de la préhistoire posent désormais la question de la nature humaine et des valeurs de celle-ci à la lumière des altérités : qui fut le grand ancêtre ? Qui fut-elle ? Qui furent-ils ? Quel primate ? Quel hominine ? Quel homo ? Comment se définit et s’imagine le jeu de l’alter ego entre sapiens et « les » humains préhistoriques, alors que les cultures fortement industrialisées et technicisées dominent les autres, « primitives » ou « premières », tout autant qu’elles fantasment devant elles ? Faut-il réhabiliter Néandertal, après l’avoir ridiculisé pour valoriser sapiens ? La science présente des documents, des recoupements vérifiables, mais avance inévitablement à tâtons, par hypothèses, après que l’historiographie a elle-même connu un XXème siècle et un début de XXIème siècle extrêmement réflexifs. Se confronter à des disparus est une chose compliquée, quand on veut le faire avec sensibilité, d’autant plus quand ces personnes disent l’autre en nous, l’autre qui a permis notre existence, et dont on se demande s’il peut éclairer notre difficulté à nous dire nous-mêmes.
Les fictions de pensée, au sens large, ont toujours été stimulées par les mystères des temps très anciens, et les alertes anthropocéniques s’inscrivent dans une série de jugements moraux variés. Le constat scientifique et récent de la fragilisation de toutes formes de vie sur terre, quelle que soit la datation de l’anthropocène, est donc susceptible de faire écrire autrement la préhistoire. Plusieurs auteurs, héritiers des anciennes fictions, sensibilisés à l’écologie générale, abordent ainsi la préhistoire en y réinjectant de nouvelles morales ; d’autres songent moins à ajouter de l’imaginaire à la matière préhistorique complexe dont ils peuvent disposer qu’à écrire le récit de leur fascination inquiète.
IV Une typologie7
Ma typologie se fonde sur la lecture d’œuvres littéraires reconnues comme telles (canon académique), d’œuvres « grand public », mais aussi de récits, d’écrivains et de préhistoriens — ces derniers vulgarisant parfois leur savoir en y intégrant expérience et questions personnelles, images (verbales et iconographiques), rhétorique, suspense, etc. Si l’on accepte de considérer des textes anciens sur les origines de l’humanité comme des formes de fiction, il convient tout autant de reconnaître une qualité littéraire à des discours non fictionnels, à quelque période qu’ils appartiennent. En outre, si l’on estime que la création d’un personnage préhistorique par un écrivain (romancier, poète, dramaturge, auteur de récit), a ceci de particulier qu’il nous donne à imaginer ses mœurs, sa sensibilité, son intériorité et son rapport au monde, en particulier son rapport aux autres humains, avec toute une palette d’émotions, on reconnaîtra que des travaux récents de préhistoriens produisent des effets similaires. Je pense d’abord à ce que produit la préhistoire des sensibilités. Après que les historiens ont élargi leur objet au quotidien et aux perceptions (depuis les Annales, la micro-histoire, jusqu’à l’équipe d’Alain Corbin), Sophie Archambault de Beaune, avec moult précautions épistémologiques, consacre par exemple le chapitre 5 de Préhistoire intime à « Aimer, entourer, protéger », où, après Alain Testart, elle s’attarde par exemple sur de nombreuses sépultures réservées à de jeunes enfants, ceci dès Néandertal. Sophie de Beaune évoque aussi l’empathie et la compassion (elle s’aventure sur le territoire du care, familier aux littéraires), à propos du traitement de malades et de handicapés ; la chercheuse mentionne aussi l’attachement probable d’humains préhistoriques à des animaux. En scientifique, elle ne formule que des hypothèses, fondées sur faits, inductions et déductions, tandis qu’un écrivain tendra à affirmer des caractères. Mais les effets chez le lecteur sont proches : des individus très anciens sont éprouvés comme vivants et nous ressemblant. Des spécialistes de la préhistoire du XIXème siècle avaient espéré des œuvres littéraires « évolutionnistes »8. Sophie de Beaune, qui a travaillé sur les objets et les techniques très anciens, s’en approche à sa façon, mais elle dénonce un peu injustement le peu d’intérêt que le roman porte en général aux objets (2010). La littérature a aussi, en effet, une histoire et des genres : le roman réaliste, dont les personnages s’ancrent dans un quotidien sociologique, abonde en descriptions d’objets. L’ekphrasis, et l’hypotypose, furent longtemps des exercices obligés pour savoir « bien » écrire, et les objets, manufacturés ou produits par la nature, constituent de formidables embrayeurs pour des créations de plasticiens9, comme pour des histoires d’enquête. Le paradigme indiciaire, qui structure en partie les Prodigieuses créatures de Tracy Chevalier (ses héroïnes cherchent des fossiles…et la reconnaissance des autorités scientifiques), a pour analogue celui sur quoi repose Le Dernier Néandertalien de Ludovic Slimak. Le récit d’objet, au XXIème siècle, prend le relai du réalisme, tout en s’ouvrant aux hypothèses et à la rêverie comme le fait par excellence Philippe Forest dans L’Enfant fossile.
Premier type d’œuvres mobilisant la préhistoire, le roman préhistorique se porte bien, brillamment entamée dès 1891 avec Vamireh, de Rosny Aîné10, qui avait aussi, dès 1887 croisé le temps profond et le futur imaginaire avec Les Xipéhuz. Le roman préhistorique postule le caractère représentable de la préhistoire, et propose à son lecteur d’adhérer à la fiction, le temps de la lecture. Un siècle environ après les grands classiques que sont La guerre du feu de Rosny Aîné et Avant Adam de Jack London, les longs romans actuels, sans plus de fantasme pour des héros particulièrement forts ou malins, voire les deux, promeuvent encore davantage la vertu de tolérance : à l’entente possible entre étapes imaginaires de l’évolution, s’ajoutent l’égalité entre les sexes, voire la supériorité de l’intelligence et de la compassion féminine, et l’attention portée à la nature non humaine. Ceci culmine dans des formes de contes comme Enfant-pluie de Marc Graciano. En 1955, William Golding échappe davantage au schéma de l’aventure héroïque et aux discours d’idées avec Les Héritiers : s’il partage le questionnement orienté sur la façon dont des types d’humanités anciennes évoluent et cohabitent, sa force poétique, observable dans le travail de l’image et dans le flux de conscience, imposent une fiction de vision du monde par les héros préhistoriques qui minore la dimension morale pessimiste d’un London (Avant Adam se finit avec un génocide et la survivance d’un personnage intrinsèquement mauvais). La sensibilité de l’auteur à l’environnement ne fait pas de doute (ami de J. Lovelock, il lui avait soufflé la métaphore de Gaïa, comme l’explique Théo Mantion), pas plus que son intérêt pour les relations de pouvoir des sociétés naissantes (voir Lord of the flies), sans aucune bien-pensance non plus. L’écriture de son roman préhistorique résonne beaucoup avec les études récentes de préhistoriens sur la sensibilité de nos lointains ancêtres, pour proposer une perception possible du monde par ceux-ci. Les auteurs grand public continuent cette veine littéraire avec succès.
Deuxième type de littérature de la préhistoire : les fictions qui jouent de la celle-ci comme d’une référence qui doit faire penser, mais sans inviter leur lecteur à entrer dans une représentation des humains très anciens. Ces œuvres tiennent encore un discours de valeurs, qui n’empêche ni la qualité littéraire, ni les grandes émotions, ni l’humour. Roy Lewis, journaliste spécialisé en sociologie et en anthropologie, crée ainsi en 1960, avec Pourquoi j’ai mangé mon père, une histoire qui ne prétend à aucun « faire croire », mais des personnages incarnant le génie inventeur généreux et le rusé profiteur, capable de meurtre, ceci combiné avec une caricature œdipienne. Italo Calvino prête des pensées d’intégration et des questionnements identitaires à un dinosaure, exceptionnel survivant aux côtés d’humains préhistoriques, dans ses Cosmicomics, cinq ans plus tard. Max Frisch, en 1979, joue aussi de la préhistoire la plus longue, pour un parallèle entre l’évolution de la terre et la vieillesse bientôt démente d’un personnage dans un village du Tessin. Dans L’Homme apparaît au quaternaire, l’écrivain suisse dénonce avec sobriété la vanité de l’homme moderne : soif illusoire de connaissances pour simplement se rassurer, volonté de rester fort physiquement, de survivre mieux que les dinosaures, que le paysage même. Relire ce roman en connaissance des études du GIEC invite à lire dans la vieillesse individuelle mise en scène l’allégorie de l’humanité, au moins occidentale, devant des changements climatiques incompris. D’autres écrivains insèrent la préhistoire comme objet croisé par leurs personnages des temps modernes et contemporains sans que la vraisemblance soit mise à mal, et sans forcément de discours idéologique : romans sur la recherche de fossiles (les Prodigieuses créatures de Tracy Chevalier — même si la cause des femmes dans un monde scientifique trop masculin est valorisée), éventuellement façon polar (Boucher de Perthes est ainsi victime du vol d’un fossile dans La Mâchoire de Fabien Dorémus, libraire à Amiens – mais le nom du préhistorien du XIXème apporte plus une touche locale qu’une réflexion sur les débuts de l’humanité), romans sur les tranches de vie d’un archéologue (même personnage inspiré du vrai préhistorien dans L’Origine de l’homme de Christine Montalbetti, mais archéologue inventé, gardien de grotte préhistorique frustré dans Préhistoire, de Chevillard). L’obsession pour des temps primitifs peuplés de mâles en perpétuel rut, dans Débrouille-toi avec ton violeur de Johannes Infernus, ajoute une touche radicale aux vociférations de la narratrice féministe, sans pour autant représenter la préhistoire. Ces signes de savoirs préhistoriques, parfois détournés, comme en découvre Fanny Drouot chez Zola, associent ces œuvres au roman préhistorique, et encouragent des études épistémocritiques évaluant les formes et les sens des discours moraux et critiques qu’elles comportent.
Dire sans mettre en scène, préférer l’implicite à l’explicite, prend parfois la forme de poétiques de l’indicible, quasi topos des œuvres faisant référence à l’art préhistorique (L’art du trompe-l’œil par Maylis de Kerangal), avec des intrigues principales volontiers consacrées aux désirs insatisfaits et au manque d’authenticité. Ces formes de variations prosaïques sur le sublime restent assez courantes dans la littérature française contemporaine, à prétention plus esthétiques qu’informatives ou divertissantes, et rejetant l’idéologie : Chevillard, Montalbetti, Kerangal, et Michon (étudié par Étienne Lussier dans ce volume) héritent modestement des théories du romantisme allemand, à la recherche de ce qui est caché sous la surface du temps présent comme de la conscience, prisant le folklore local et le fragment qui procure de la nostalgie, tout en stimulant l’imagination. Pour les penseurs d’Iena, en particulier Friedrich Schlegel, l’œuvre restait par excellence inachevée et inachevable, relevant d’un processus infini : cette pensée, qui reprend le topos de la natura naturans, impliquait dès le XIXème siècle l’intérêt de plusieurs écrivains et peintres romantiques et préromantiques pour les sciences (le jeune Goethe, Friedrich, Carus, Coleridge, Constable…). L’idée d’authenticité retentira encore, entre autres, avec les land artists qui se passionnèrent pour les cultures orales disparues (Smithson, Morris, redécouvrant l’art précolombien…). Maria Stavrinaki parle d’un pouvoir de pharmakon de la géologie, qui dévoilerait le temps immense en offrant d’arrêter celui-ci, et cite La Création d’Edgar Quinet11. De tels élans sont implicites chez les romanciers mentionnés, et se réduisent parfois à une variation sur la vanité, à la limite de l’obscurantisme ironique — sauf quand il s’agit de jouer d’allégorie à effet comique ou grinçant. Pascal Quignard, en tant que styliste, a sans doute lui-même éprouvé une sorte de sublime à propos de la préhistoire : dans La Haine de la musique, il associe les chasseurs du paléolithique aux animaux qu’ils auraient chassés au moyen d’appeaux, accusant la violence impliquée par ce leurre mimétique, avant de conclure par « je fais partie de ce que j’ai perdu » (200). Le renversement des termes attendus, tels qu’on les observe à propos des phénomènes de hantise (ce que nous avons perdu fait partie de nous), appuie encore l’inadéquation à soi de l’humain contemporain, entre rêveries sur la préhistoire et pressentiment d’une fin imminente et concrète de la vie.
Les passages sous silence littéraires obligés, parfois complaisants, parfois détournés en absolus et en cris, devant l’inconnaissable des temps préhistoriques, trouvent un écho, d’une part, dans les difficultés des préhistoriens (qui s’interrogent plus que leurs collègues historiens sur la nature humaine) et, d’autre part, dans les dialectiques des philosophes et des plasticiens entre différents temps. Rémi Labrusse, dans Préhistoire, l’envers du temps, pointe cette problématique, en particulier à propos des modernismes12. Cependant, les fictions littéraires jouissent d’une parfaite liberté pour dépasser le caractère très fragmentaire du connaissable et sa dimension tragique : nulle exigence d’unité de temps, ni de continuité (au moins depuis le roman moderne tel qu’il s’est épanoui avec les avant-gardes), mais, au contraire, la possibilité de négliger la vraisemblance, ce qui n’a jamais empêché de penser.
La survivance en nous de ce que nous avons perdu donne lieu à un troisième type d’œuvre traitant de la préhistoire, en se moquant de la continuité temporelle : les fictions qui déploient deux périodes, l’une actuelle, l’autre préhistorique, en risquant leur représentation. Jack London avait fait l’hypothèse du marquage de nos gènes par nos plus anciens souvenirs pour que le narrateur moderne, dans Before Adam, prête ses mots à son ancêtre Big Tooth, qui évoluait entre une effroyable créature primitive (Red Eye), des parents arboricoles, et une compagne issue d’un groupe plus évolué. Jouant toujours des ressorts de l’aventure, Edgar Rice Burroughs, qui connaissait le préhistorien sud-africain Raymond Dart, a composé un Tarzan dans la préhistoire instructif : ces romans préhistoriques particuliers (préhistoire revécue en rêve, ou retrouvée dans une vallée préservée…) intègrent alors une partie de récit qui permet un recul temporel en autorisant une forme de réflexion comparatiste — à quoi ressemblaient nos ancêtres ? avec, très vite, la sollicitation d’un jugement de valeur, qui ne tombe que rarement dans la caricature, et en dialectisant les temps. Si un pourcentage de la population contemporaine contient des gènes de Néandertal, pourquoi ne pas imaginer qu’elle revienne à cette étape de l’évolution de plusieurs humains européens, voire à l’humanité d’homo erectus ? C’est sur cette piste qu’est parti Xavier Müller, journaliste scientifique, pour conter en trois volumes une épidémie, due à des manipulations génétiques coupables, qui fait régresser nos contemporains, occasion de poser, par le biais du divertissement, des questions éthiques qu’avaient formulées en son temps et à sa manière Vercors, dans Les Animaux dénaturés. Quelques années après les horreurs et le génocide de la moitié du XXème siècle, l’auteur français mettait son lecteur tout autant à distance des personnages modernes, peu doués en amour et en métaphysique, que de très anciens hominidés survivants en Nouvelle-Guinée ; ceux-ci sont étudiés, entre autres, par un prêtre adepte des théories de Teilhard de Chardin13 et par tout un petit groupe héroïque qui leur épargnera l’esclavage au nom de leur humanité. Petru Popescu, dans Primitif, suit un canevas assez proche, avec tentative de morale postcoloniale assez bancale (le héros blanc est amoureux d’une jeune femme africaine…mais a aussi aimé une préhistorique). Succès garanti de ces romans où les « premiers hommes », miraculeusement survivants, ou ressuscités, apparaissent comme des humains que les bons modernes doivent sauver des griffes des méchants modernes, en se réalisant eux-mêmes. Jean-Baptiste del Amo, engagé contre les maltraitances des animaux, décline le thème de la transmission de la violence familiale par-delà les temps, en consacrant le prologue de son roman, et quelques autres paragraphes, à l’initiation à la chasse d’un fils par son père préhistorique, loin de femmes préhistoriques souffrant dans l’enfantement, tandis que l’histoire principale relate l’histoire du meurtre de sa compagne par un personnage contemporain, observé par son enfant. Pas d’invraisemblance narrative, mais le collage entre un grand récit et un autre, qui apparaît comme la clé du premier. Le fatalisme s’y accompagne d’un art consommé de la description de la nature et d’une écriture empathique très efficace, procédé visé par de nombreux écrivains cherchant à entraîner le lecteur par-delà la référence validée scientifiquement. Enfin, un roman comme L’instinct d’Inez, sous la plume de Carlos Fuentes, fait alterner les passions amoureuses tragiques sur les deux périodes, en utilisant deux objets comme fil rouge, et s’inscrivant ainsi dans une poétique de la narration et de l’image obsédante : la musique, et un sceau de cristal mystérieux. Le romancier mexicain ne donne pas de leçon, à l’inverse de Del Amo, mais il interroge des invariants et le mystère des amours malheureuses, en pariant sur des formes de répétition du même, comme ce dernier.
La plupart du temps, la rencontre de la préhistoire par les modernes se tisse avec une forme de nostalgie pour une nature moins abîmée. Cette troisième catégorie littéraire doit aussi être complétée par le sous-genre romanesque mêlant préhistoire et science-fiction : je remercie encore Jean-Michel Geneste de m’avoir appris non seulement que Burroughs avait plongé Tarzan dans la préhistoire, mais aussi que l’auteur de science-fiction préhistorique Francis Carsac n’était autre que le préhistorien François Bordes ! Le roman mariant préhistoire et présent, voire futur, se décline donc en un large spectre, du roman d’aventure, à l’œuvre à prétention plus esthétisante et métaphysique. Christian Grenier, auteur de livres pour la jeunesse, explique que roman de science-fiction et roman préhistorique « explorent (tous deux) le plus proche inconnu », entendant par là des découvertes relativement récentes, qui ouvrent des possibles ; ainsi de la théorie de Darwin, peu avant l’émergence du roman préhistorique. Les deux genres sont le plus souvent déclinés pour provoquer à la fois la rêverie et le changement de perception sur le monde présent (distanciation, « estrangement », défamiliarisation, voire inquiétante étrangeté, selon les écritures). Je n’ai pas encore lu de roman imaginant préhistoire et destruction de la vie sous l’action de l’homme — mais rien ne l’exclut.
Quatrième type de littérature de la préhistoire : les non-fictions … quand elles se distinguent clairement des fictions, ce qui n’est pas le cas de l’original Oiseau-foudre — la découverte en solitaire de la préhistoire de l’Afrique du Sud de Lyall Watson. Cette biographie d’Adrian Boshiers rapporte comment cet homme blanc épileptique découvrit des objets et des sites archéologiques en Afrique du Sud et les fit connaître à Raymond Dart, tout en survivant dans des conditions très dures, et en étant initié à des rites magiques auprès d’habitants de la brousse. L’auteur, scientifique adepte du New Age, ne valide pas le surnaturel, mais laisse planer certains doutes, qui participent du charme de ce récit, élaboré en chapitres inspirés d’un jeu africain. La préhistoire y est abordée comme encore en petite partie préservée, par des populations non citadines, parfois nomades, susceptibles de participer à la science de la préhistoire, telle que pratiquée à Johannesburg, tout en ayant conservé des rapports à la nature que nous avons oubliés. Les événements historiques et des données anthropologiques sont fournies, les peintures rupestres sont également évoquées, décrites, dans un monde partagé entre races : en cela, Watson hérite davantage du réalisme littéraire que les récits de fascination occidentaux peu informés, et, écrivain utilisant librement son intuition, il ajoute des éléments qui donne envie de croire en d’autres épistémè, peut-être à l’image de ce que connurent nos lointains ancêtres.
Récits narrés par des auteurs parlant en leur nom, réfléchissant sur des documents préhistoriques : L’Enfant fossile de Philippe Forest, Les Combarelles de Michel Jullien (commenté par Chloé Morille dans ce volume), Dormance de Jean-Loup Trassard intègrent des travaux scientifiques, disent leur fascination pour les origines, les humains qui nous ont précédé, les arts rupestres, et ce qui nous échappe. Leurs sensibilités, déclinées dans des discours (pensées, souvenirs, avis, espoirs, questionnements…) et des descriptions, plus que dans des épisodes imaginaires, miment moins le sublime qu’elles ne s’aiguisent en rêveries informées et proposées en partage aux lecteurs. Michel Jullien préfère à la science-fiction les expériences futuristes réelles comme les Golden Records envoyés dans l’espace, pour exprimer l’obstination des humains à laisser des traces, contre le temps, contre la mort. Les alternances entre préhistoire, histoire, force des images, réflexion documentée, avec une iconographie importante, distingue cette œuvre. Le récit de Jean-Loup Trassard relève de la prose poétique, et fait donc parfois écho aux Héritiers de William Golding, la représentation d’une histoire imaginaire en moins. Les descriptions, les intuitions, les tentatives d’imaginer, à l’aide de la connaissance des paysages et de l’aiguisement des sens, impliquent également la subjectivité réelle de l’écrivain, proche aussi, mais de façon moins hermétique, du poète Clayton Eshleman, étudié également par Chloé Morille. Andrée Chédid avait aussi privilégié la poésie en prose pour un dialogue et quelques scènes imaginaires avec l’australopithèque que l’on pensait être une femme lors de la publication de l’œuvre, en 1998. Lucy, qui va engendrer tant d’horreurs parmi sa descendance (elle est donnée pour une sorte de mère de l’humanité), devrait être tuée, mais son regard humain recèle aussi de l’amour, et la narratrice l’épargne, validant ainsi une manière d’espoir à préserver en une humanité pourtant capable du pire : le lyrisme se permet de faire dialoguer les temps, sans impératif de vraisemblance, pour exprimer les affres éthiques de l’auteure poétesse. Ces œuvres de non fiction entremêlent plus directement vie des origines et mort des espèces, en intégrant des pensées du deuil et de la vanité, parfois de l’espoir. L’obsession des traces, celles des préhistoriques que l’on désespère de trouver soi-même, de savoir interpréter dans leurs arts, de ressusciter en pensée sensible, les traces qu’on aimerait laisser à nos descendants s’il s’en trouve, se résout modestement dans le geste d’écritures informées et subjectives, sans prétention divertissante et sans fuite. Communes aux fictions et aux non-fictions, les poétiques de l’image travaillent l’espace de manière intensive et suggestive, en explorant le paradigmatique contre le syntagmatique d’allure facilement causale ; ce que projettent Philippe Forest sur la mâchoire de l’enfant préhistorique, Michel Jullien sur les peintures des Combarelles, Jean-Loup Trassard sur une Mayenne en voie de destruction relèvent d’invariants et de similitudes qui font penser les temps sans représenter l’histoire, et rappellent, au niveau littéraire, l’idée de convergence en préhistoire, en biologie et en sociologie (Lahire), ou les formes survivantes d’Aby Warburg en esthétique. L’expression de « temps profond », ou deep time implique à sa façon l’idée d’une épaisseur du temps, qui nous permet d’y voyager, en échappant à son défilé chronologique.
Autre cas de non-fiction travaillant la matière préhistorique en instruisant, en émerveillant, et en interrogeant : certains récits de vulgarisation qui font vivre des personnages (comme Marx dans le jardin de Darwin, d’Ilona Jerger, journaliste spécialisée), dont les textes des préhistoriens eux-mêmes. J’ai évoqué plus haut le développement de recherches sur la sensibilité des préhistoriques, mais deux autres exemples justifieront cet élargissement du sens académique de la « littérature » : le dialogue entre Jean-Michel Geneste et Boris Valentin (contributeurs à ce volume) dans Si loin, si près. Pour en finir avec la Préhistoire et Le dernier Néandertalien de Ludovic Slimak. Dans le premier ouvrage de vulgarisation, les deux scientifiques expriment leur fascination pour leurs objets, parfois pour la technique qui permet leur découverte et leur analyse, la naissance de leur vocation, l’enrichissement par d’autres disciplines, leur amour des paysages, leur curiosité pour des altérités relatives. Ils racontent des enquêtes sur le terrain, empruntant des accents au récit d’aventure (paradigme indiciaire vécu), comme au conte qui suscite l’émerveillement (schéma de la découverte de Lascaux par des enfants). Ils citent des écrivains (Jean-Michel Geneste qualifie son collègue archéologue russe Viatcheslav I. Molodin de poète, Boris Valentin apprécie Jean Rouaud, Jean-Loïc Le Quellec truffe littéralement ses études d’extraits littéraires), pensent la fiction de certaines approches autrefois dites scientifiques, rêvent devant les temps et les rythmes et nous expliquent combien la taille expérimentale de silex mobilise une empathie singulière pour les humains préhistoriques (hommage rendu par J.-M. Geneste à Jacques Tixier), dans des mots dignes des écrivains de métier. Boris Valentin dit la complicité que l’on peut ressentir avec les préhistoriques, pourtant si loin de nous… au point qu’ils ressemblent un peu à des personnages romanesques pour le lecteur. L’iconographie complète de façon émouvante les réponses de Jean-Michel Geneste aux questions de son collègue, car Si loin, si près. Pour en finir avec la Préhistoire contient des dessins exécutés par lui lors de ses voyages sur des lieux de fouille — mélange de médias que la « littérature » au sens plus restreint accueille depuis un peu plus d’un siècle. Ludovic Slimak choisit quant à lui la forme du récit pour toucher les amateurs de préhistoire, et leur faire éprouver les espoirs, les stupeurs, les impatiences de son propre travail pour mieux connaître Néandertal, et pour leur faire imaginer, à ses côtés, la vie de celui-ci. L’introduction du dernier Néandertalien rapporte un dialogue (fictif ou pas, peu importe) entre l’auteur et son fils, pour connecter les temps d’une vie d’insecte, d’une vie d’humain contemporain, de l’histoire, et de la préhistoire. L’anthropocène reste un horizon relativement lointain chez ces « écrivants » écrivains (auxquels on pourrait adjoindre d’autres noms), qui notent cependant les conditions de vie dégradées de certaines populations et celles qui attendent les générations prochaines, comme si le relatif inconnaissable que recouvre cette notion polémique participait bien plus aisément d’un pessimisme général assumé par les romans ou les récits de non-spécialistes … peut-être parce que la littérature au sens traditionnel excelle à exprimer le désordre (Pierssens, 14).
Il apparaît ainsi que la préhistoire, que l’humain désire connaître, dans sa libido sciendi, son narcissisme, et sa mauvaise conscience (« comment en sommes-nous arrivés là ? »), se décline de façons très diverses à l’heure de l’anthropocène. Les scientifiques en savent toujours plus, posent de nouvelles questions orientées par des valeurs changeantes (rapport à la nature, rapport entre les sexes, rapport entre anciens colonisés et anciens colonisateurs, ceux-ci ayant beaucoup plus que les autres développé les questionnements scientifiques sur les origines du genre homo), ont une pratique réflexive forte sur leur discipline, qui croisent bien d’autres sciences humaines, de l’anthropologie à la philosophie. Les écrivains dits « littéraires » continuent de pratiquer le roman préhistorique, croisant parfois les temporalités, utilisant le temps profond de manière allégorique, au profit de poétiques de l’indicible, ou en des récits plus méditatifs, plus ou moins informés, poétiques, accueillant des images littéraires et iconographiques. Les contributeurs spécialistes de littérature de ce volume montrent assez combien ce thème fascine toujours et encore, nous renvoyant une image de nous-mêmes comme autres et comme fragiles. Nous espérons également montrer que cette « matière », en faisant aussi s’exprimer les savants avec leur sensibilité cultivée, nous invite à réenvisager l’écriture scientifique dans ses caractères littéraires.
Ouvrages cités
Archambault de Beaune, Sophie, Écrire le passé (dir.), Paris, CNRS Éditions, 2010 ; Préhistoire intime — Vivre dans la peau des homo sapiens, Paris, Gallimard, 2022.
Baudrillard, Jean, À l’ombre du millénaire ou le suspens de l’An 2000, Paris, Sens et Tonka, 2005
Buffetaut, Éric, Fossiles et croyances populaires – une paléontologie de l’imaginaire, Paris, Éditions Le cavalier bleu, 2017.
Burroughs, Edgar Rice, Tarzan dans la préhistoire (1921), Éditions des régionalismes, Cressé, 2020.
Calvino, Italo, « Les Dinosaures », Cosmicomics (1965), Gallimard, folio, 2019.
Chaîneau, Samuel, « La révolution néolithique contre Sapiens », Philosophique, 23 | 2020, mis en ligne le 12 juillet 2021, http://journals.openedition.org/philosophique/1448 (consulté le 30 avril 2023).
Chedid, Andrée, Lucy : la femme verticale, Paris, Flammarion, 1998.
Chevalier, Tracy, Prodigieuses créatures (2009), trad. Anouck Neuhoff, Paris, Quai Voltaire, 2010.
Chevillard, Éric, Préhistoire, Paris, Éditions de Minuit, 1977.
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Remerciements
À tous les contributeurs du volume, dont certains ont participé au colloque organisé en 2022 à l’Université de Picardie Jules Verne sur ce même sujet ; à Boris Valentin et à Jean-Michel Geneste, dont ce n’était pas le cas, mais qui ont été d’un grand secours (et d’une grande patience !) ; à Rémi Labrusse, pour ses conseils et nos échanges ; à tous les spécialistes de littérature générale osant des comparaisons interdisciplinaires.
1 Le climatologue M. Magny présente l’hypothèse de « lointaines prémices » de l’anthropocène à partir même de la « colonisation de la terre ». Voir encore le succès de Jared Diamond avec Effondrement ou, moins anthropologique, Alain Badiou, dans « Le capitalisme, seul responsable de l’exploitation destructrice de la nature », Le Monde, 26 juillet 2018 : « Prenons les choses d’un peu plus loin. L’humanité, depuis quatre ou cinq millénaires, est organisée par la triade de la propriété privée, qui concentre d’énormes richesses dans les mains de très minces oligarchies ; de la famille, où les fortunes transitent par le biais de l’héritage ; de l’État, qui protège par la force armée et la propriété et la famille. C’est cette triade qui définit l’âge néolithique de notre espèce, et nous y sommes toujours, voire plus que jamais. Le capitalisme est la forme contemporaine du néolithique » (cité par Samuel Chaîneau)
2 Selon la page Facebook du théâtre : « ce troisième portrait de la série théâtrale « Anachronique Paléolithique ! » sonde les couches stratigraphiques de la vie de Breuil pour interroger les croyances, les erreurs et les hypothèses qui se nouent dans la recherche des origines humaines. »
3 Rémi Labrusse et Maria Stavrinaki, deux des trois commissaires, ont par ailleurs publié de remarquables ouvrages sur la préhistoire dans son rapport à l’histoire de l’art.
4 On pourra admirer de superbes clichés de la grotte étudiée, des peintures rupestres qu’on y trouve, et des participants dans Geneste et Valentin, 2019.
5 Clin d’œil au Germinal de Zola, la performance du même titre, créée en 2012 pour la Biennale de la danse de Lyon par Antoine Defoort et Halory Goerger recréait sur la scène tout un monde, le détruisant parfois, entre médiation burlesque, technophilie ironique, travail de la verticalité du plateau : une germination où la dimension sociale ne doit plus rien à des combats « primitifs », et joue très métaphoriquement des potentiels évolutifs du langage.
6 On pourra éventuellement en rapprocher l’œuvre « Volos », du plasticien Hubert Duprat, hache du néolithique enchâssée en 2013 dans un bloc de terre glaise.
7 Je n’inclus pas dans cette typologie la littérature pour la jeunesse, très riche, et qui mêle souvent dimension pédagogique et structure narrative de l’initiation.
8 Ainsi, par exemple, de Ernst Haeckel, voire d’Edgar Quinet, qui espérait une plus grande complémentarité entre sciences et littérature, comme l’a rappelé Nicolas Wanlin.
9 L’historienne de l’art Laurence Bertrand Dorléac a hésité à inclure des artefacts préhistoriques parmi les objets de l’exposition « Les choses », qui s’est tenue au Musée du Louvre en 2022 : voir sa conférence présentée en direct de l’Auditorium Michel Laclotte, le 17 octobre 2022 (https://www.youtube.com/watch?v=MEjVbTu315k). L’attention portée aux « choses » par les humains a donné lieu à des œuvres plastiques, littéraires, et aux recherches des archéologues travaillant sur toutes les périodes.
10 Les frères Goncourt inventent le terme générique à propos de ce roman dans leur Journal (1887-1896), ceci noté par Marc Guillaumie (30).
11 Edgar Quinet, relatant son émotion en haut des Alpes : « J’ai cru être dans une autre planète. Cet horizon me semblait être au-delà des facultés humaines » (La Création, volume 1, Paris, Librairie internationale, 1870, p. 3), avant d’envisager le temps très reculé de la préhistoire comme ce qui nous fait « nous échapper à nous-mêmes » (cité par Maria Stavrinaki, 51).
12 L’art de la performance, en deçà ou au-delà des mots, témoigne parfois d’une même tension nostalgique vers l’indicible du très ancien valorisé comme une forme de primitivité. Le Manifeste magdalénien de Serge Pey, sous-titré « critique du temps », s’y inscrit encore en 2016, dans la mesure où les textes poétiques participent d’un travail graphique et ont accompagné exposition et performance de l’auteur, par ailleurs fasciné par les langues à clics.
13 Don DeLillo, dont Christian Michel commente L’Étoile de Ratner dans ce volume, a intitulé un autre de ses romans Point Oméga.