J. G. Ballard: littérature et déviance de la science médicale

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« Cette production artificielle de cas tératologiques avait ses règles. C’était toute une science. Qu’on s’imagine une orthopédie en sens inverse. » Victor Hugo, L’Homme qui rit

Comme beaucoup d’écrivains de science-fiction, James Graham Ballard met en scène dans nombre de ses œuvres des figures de médecin qui influencent le cours du récit par l’application, plus souvent qu’autrement malheureuse, des savoirs qu’ils possèdent. Dans son roman-culte Crash [1], l’auteur britannique déploie toute l’ironie qui lui est propre pour construire deux personnages de docteurs qui, par le détournement quasi systématique des savoirs qu’ils détiennent, dénotent un aspect révélateur de la poétique de Ballard : la subversion des connaissances scientifiques les plus avancées au moment de la publication des textes pour critiquer certaines topiques anxiogènes de son époque.

Quand le médecin troque son sarrau blanc pour un kimono rouge ou pour un blouson noir
À son réveil au Ashford Hospital, “Ballard [2]” apprend que l’autre survivante du terrible accident qui l’a grièvement blessé et qui a eu de funestes conséquences pour le conducteur de la voiture qu’il a percutée est médecin. Le “Dr Helen Remington” (même lorsqu’ils se connaîtront plus intimement, le narrateur ne la privera pas volontiers de son titre) est le premier des deux docteurs que le narrateur rencontrera au cours du roman. Tous deux auront un ascendant puissant sur “Ballard”. Ce producteur de publicités télévisuelles conçoit les expériences et appréhende les individus qui se présentent à lui par le seul biais des images stéréotypées. Ne l’ayant entrevue qu’une fois à l’hôpital après l’accident, le narrateur fait connaissance avec Helen Remington lors d’une rencontre fortuite au dépôt des voitures accidentées. Lorsqu’il la croise d’abord dans les couloirs de l’hôpital où ils se trouvent tous les deux, le narrateur imagine ce qu’a pu être sa vie jusqu’au moment de leur accident : “Reading an imaginary biography into this history of the skin, I visualized her as a glamorous but overworked medical student, breaking out of a long adolescence when she qualified as a doctor into a series of uncertain sexual affairs […]” (C, 42).

Tous ces clichés biographiques parodient la vision généralisée de l’énergumène qu’était encore pour certains une « femme-docteur » au début des années 1970. Le portrait physique qu’il fait de cette femme, lorsqu’il l’examine plus attentivement au moment de leur seconde rencontre après l’accident, participe de la même esthétique ironique : Helen Remington est pour le narrateur la doctoresse-type avec son “intelligent face, that of an overworked doctor, [and her] broad forehead disguised by a lowered hairline” (C, 69). Ce large front et cette ligne de cheveux qui le barre de façon austère, typiques indicateurs de la sévérité supposément inhérente à la profession médicale, sont les traits uniques que “Ballard” emploie à de multiples reprises pour dépeindre l’aspect physique de cette femme. Il insiste également tout au long du récit sur l’habit qui, selon lui, fait le moine : Helen Remington est avant tout une “sensitive woman doctor in her white coat” (C, 82) [3].
Devenu l’amant de la femme dont il a tué le mari, “Ballard” ne cesse de la considérer comme un médecin. Dans son esprit, leurs interactions sont autant d’examens médicaux menés sur lui par la doctoresse. Helen Remington ne le regarde pas, elle l’examine :

“Then she began a brief scrutiny of myself, inspecting me with a tolerant eye like a doctor faced with a difficult patient suffering from a set of largely self-indulgent symptoms” (C, 70). Même lorsqu’ils ont une relation sexuelle, Helen Remington demeure pour le narrateur un médecin et, du coup, suivant les règles d’un jeu mental puéril, il devient le patient : “Above me, Helen Remington’s serious faced [sic] gazed down at me as if she were resuscitating a patient” (C, 81). Semblablement à sa position supérieure dans l’échelle sociale, la femme médecin se trouve toujours au-dessus de “Ballard” dans leurs ébats. De fait, les termes employés et les formulations choisies pour retracer leur relation accentuent constamment la prestance que prend cette figure d’autorité aux yeux du narrateur. Les parties du corps de Helen Remington sont invariablement “strong” : “Ballard” revient constamment sur ses “strong eyes” (C, 70), son “strong wrist” (C, 71 et 77), sa “strong jaw” (C, 77), lorsqu’il ne fait pas simplement référence à son “strong body” (C, 71) [4]. Cette mise en texte particulière du corps de la doctoresse institue un rapport de forces où le narrateur se trouve nettement inférieur. Lorsqu’il se décrit auprès d’elle, il exagère sa propre faiblesse : “Helen Remington held my arm. She smiled at me, nodding encouragingly as if urging a child across some mental hurdle” (C, 125).

Cette image mentale stéréotypée se fissure toutefois rapidement. Helen Remington, profondément marquée par l’accident qui a été fatal à son mari, adopte des comportements étranges : cette femme sérieuse commence à fumer et a des relations sexuelles fréquentes avec une série d’amants dans l’habitacle de son automobile. Cependant, ce sont les accrocs directs à son ethos de médecin qui troublent le plus le narrateur. Ainsi, lorsque Helen Remington annonce à “Ballard” qu’elle doit quitter son poste au département de l’immigration à l’aéroport de Londres parce que “a death in the doctor’s family makes the patients doubly uneasy” (C, 72), le narrateur souligne le pouvoir de l’habit typique du médecin, auquel il accorde lui-même tant d’importance : “I take it you’re not wearing white to reassure them ?” (C, 72). La doctoresse à la logique déviante depuis son accident a une réponse pour le moins inquiétante : “I’ll wear a bloody kimono if I want to” (C, 72). Le juron britannique “bloody” peut être lu dans son sens littéral ; c’est symboliquement pour un kimono sanglant que Helen Remington troque sa blouse immaculée de femme médecin lorsqu’elle délaisse le réseau des hôpitaux traditionnels pour le Road Research Laboratory. Elle brise l’image de doctoresse compatissante pour les nouveaux arrivants au pays que le narrateur s’était représentée pour endosser le rôle de l’inquiétante chercheure entretenant un rapport ambigu au savoir qu’elle détient. En effet, elle devient pour Vaughan, l’autre docteur déviant, et pour ses disciples, la porte d’entrée dans la sphère de la recherche sur les accidents automobiles. Si son apport au « projet » à la fois meurtrier et suicidaire de Vaughan est obscur, il est néanmoins certain qu’elle permet à ce dernier et à “Ballard” d’accéder à de l’information destinée à une circulation restreinte en les invitant notamment à assister à des tests du R.R.L., auxquels sont seuls censé être présents les “Ministry officials, road safety engineers, traffic specialists and their wives” (C, 122-123), tous individus en relation directe avec les recherches entreprises au laboratoire. Ainsi, sans être représentée stricto sensu comme une savante folle, Helen Remington, aux yeux du narrateur, s’est détournée de l’usage conventionnel de ses compétences médicales pour aborder les terres menaçantes de la recherche vouée à des fins indéfinissables pour lui : lorsque “Ballard” exprime sa surprise face au bouleversement de sa carrière : “Isn’t that rather too close… ?” (C, 78), le docteur Remington lui répond par un énigmatique “That’s the point” (C, 78) avant de dévier le sujet.

Le Dr Robert Vaughan est autrement angoissant. “Ballard” remarque pour la première fois à l’ Ashton Hospital ce “white-coated doctor” (C, 42), qui accompagne alors Helen Remington. C’est encore une fois l’aura de l’habit traditionnel du médecin qui fait en sorte que le narrateur prend pour acquis la raison d’être de Vaughan au sein de l’hôpital. Or, sa présence auprès de l’accidentée ne va pas du tout de soi, malgré la facilité et la rapidité avec lesquelles le narrateur “assume” la position qu’occupe le jeune homme dans cette institution : “I assumed that he was a graduate student specializing in accident surgery at this airport hospital” (C, 42 ; je souligne). Pourtant, mis à part son “white coat”, sur lequel “Ballard” insiste dans sa description, et sa “briefcase” (C, 42), autre composante classique de l’attirail du médecin, plusieurs éléments discordants pointent vers une direction tout autre. D’abord, la pièce même d’où sortent Vaughan et Helen révèle l’ambiguïté de son état : “a private ward reserved for ‘friends’ of the hospital : members of the nursing staff, doctors and their families” (C, 42). Autrement dit, rien n’indique clairement qu’il est employé par l’hôpital. Ensuite, la blancheur de son sarreau aveugle à ce point le narrateur qu’il porte peu attention au fait que l’homme qui le revêt ne porte rien en-dessous, en plus d’arborer quelques accessoires extrêmement distinctifs : “A brass medallion swung on his bare chest from a black silk chord, but what marked him out was the scar tissue around his forehead and mouth, residues of some terrifying act of violence” (C, 43). Cela n’empêche pas le narrateur d’étayer sa présomption en lui construisant une biographie similaire à celle qu’il a imaginée pour le Dr Helen Remington en cela qu’elle reconduit maints clichés sur la profession médicale, qui ne se basent sur aucun indice précis : “I guessed that he was one of those ambitious young physicians who more and more fill the profession, opportunists with a fashionable hoodlum image, openly hostile to their patients” (C, 43).
Cependant, l’extrême naïveté du narrateur est palliée par la féroce ironie de la narration. Dès son entrée dans le roman, la figure du docteur incarnée par Vaughan oscille pour celui qui le décrit entre la claire image-type du médecin, telle qu’elle est représentée dans les publicités qu’il produit, et l’étrangeté inhérente à l’attitude du personnage. Outre la démarche errante qu’il note brièvement, c’est le morceau de chewing-gum que Vaughan mastique qui perturbe le narrateur, qui lui donne “a sudden feeling that he was hawking obscene pictures around the wards, pornographic X-ray plates and blacklisted urinalyses” (C, 43). Le comique de ces suppositions est accentué par le fait qu’elles ne sont pas bien éloignées de la réalité, que le lecteur connaît déjà par le premier chapitre, lequel agit comme une prolepse.

Ballard revoit Vaughan à plusieurs reprises. Malgré le “leather-jacket” qui a remplacé le “white coat”, il continue de le désigner en tant que le “young doctor”(C, 57) ou le “doctor in the white coat at the hospital”(C, 63). Puis, il le reconnaît pour ce qu’il est vraiment : “[…] this was Vauthan, Dr Robert Vaughan, a one-time computer specialist. As one of the first of the new-style TV scientists, […] Vaughan had projected a potent image, almost that of the scientist as hoodlum, driving about from laboratory to television centre on a high-powered motorcycle” (C, 63-64). Portant en effet le titre tant révéré par le narrateur, ce scientifique déviant de la figure traditionnelle du docteur à la fois par son apparence et par son attitude, mais construisant parallèlement une image qui relève aussi bien du cliché, utilise sa prestance et ses compétences pour mener à bien son projet démentiel : concevoir et traduire en actes réels l’accident fatal de ses rêves, où il succomberait ainsi que la star Elizabeth Taylor à des blessures scrupuleusement calculées à l’avance.
Ce monomaniaque s’infiltre dans les hôpitaux pour amasser la documentation nécessaire à l’élaboration de son projet. Il sollicite les patients qui ont survécu à de graves accidents de voiture, les abusant à l’instar du narrateur par son costume et ses poses de médecin. Lorsque “Ballard” lui révèle la véritable identité de Vaughan, Helen Remington, pourtant elle-même médecin, s’avoue confondue : “I tought that he was doing some sort of accident research. He wanted every conceivable detail about the crash” (C, 85). Il profite également de ses visites à l’hôpital pour subtiliser de la documentation médicale destinée à une circulation interne :
« The photographs which illustrated the options available had clearly been assembled with enormous care, torn from the pages of forensic medical journals and textbooks of plastic surgery, photocopied from internally circulated monographs, extracted from operating theatre reports stolen during his visits to Ashford hospital. » (C, 133-134)

Plus loin, s’unissant à l’autre docteur déviant, Helen Remington, Vaughan s’empare de brochures du Road Research Laboratory, non moins vouées à la consultation des seuls spécialistes, dans la perspective de la réalisation parfaite de son dessein meurtrier et suicidaire : “[…] Vaughan pushed his way through the visitors. In his right hand he carried a bundle of publicity folders and R.R.L. handouts. […] « Get all the papers you can, Ballard. Some of the stuff they give away – ’Mechanisms of Occupant Ejection’, ’Tolerances of the Human Face in Crash Impacts’… » ” (C, 123). Probablement grâce à ces nombreux accrocs à l’idéal-type du médecin, Vaughan exerce une fascination toujours grandissante sur le narrateur. Si Helen Remington est décrite comme “strong”, Vaughan est constamment représenté comme “hard” et “heavy”. Son contrôle sur le petit groupe qui l’entoure, spécialement sur l’adorateur d’icônes qu’est “Ballard”, est terriblement puissant. Il inspire littéralement la servitude : “Sitting beside him, I felt my hostility giving way to a certain deference ; even, perhaps, subservience” (C, 89).
Déjà lors de leur première entrevue prolongée, l’apparence déviante de ce supposé médecin aux allures de voyou avait confirmé pour “Ballard” sa conception de la profession médicale, qui va paradoxalement à l’encontre de son fétichisme pour les gens qui paraissent la pratiquer, mais qui contribue à l’édification de l’argument du roman : “My brief stay at the hospital had already convinced me that the medical profession was an open door to anyone nursing a grudge against the human race”(C, 43 ; je souligne). Dans l’univers paradoxal de Ballard, les médecins ne guérissent pas tant leurs patients qu’ils ne soignent leur propre ressentiment ; la profession médicale est la porte d’entrée vers la déviance, la voie royale vers le dérèglement des sens où les blessures sont autant de sexes jouissifs, où “the repeated sequences of crashing cars first calmed and then aroused [‘Ballard’]” (C, 10), plutôt que de l’horrifier.

La poétique subversive de Ballard : un scientifique en déroute littéraire
Sans crier au reflet autobiographique, il est possible d’établir maints parallèles entre les comportements déviants des docteurs Helen Remington et Robert Vaughan et la poétique subversive de J. G. Ballard. Ce fils d’éminent chimiste et ancien étudiant en médecine adopte en effet une démarche esthétique similaire à celle des deux personnages de docteurs déviants dans Crash. Depuis le début de sa carrière littéraire, cet auteur britannique aime à se positionner à rebours de la doxa, affectionne une posture proche de celle des décadents de la fin du siècle précédent. Dans The Atrocity Exhibition, recueil de nouvelles publié en 1970 dont l’esthétique subversive se rapproche le plus de celle mise en oeuvre dans Crash, notamment par la présence d’un personnage de docteur à la déviation logique semblable à celle de Vaughan, la narration multiplie les affirmations prenant systématiquement le contre-pied des principales idéologies de l’époque. Par exemple, dans la nouvelle “Love and Napalm : Export U.S.A. [5]”, la guerre du Vietnam est conçue comme étant bénéfique pour la société : “Given that we can only make contact with each other through the new alphabet of sensation and violence, the death of a child or, on a larger scale, the war in Vietnam, should be regarded as for the public good” (AE, p. 119-120). Des réflexions de cette espèce prolifèrent dans le recueil et dans Crash.
Cependant, plus complexe qu’une simple rhétorique inversée ne visant qu’à provoquer les « bien-pensants », sa démarche consiste en un détournement systématique des savoirs, car Ballard s’intéresse particulièrement aux plus récentes découvertes dans divers secteurs reliés de près ou de loin au domaine médical. Baudrillard l’a bien compris lorsqu’il affirme : “All is inverted. […] – it’s exactly the reverse, or even more than the reverse [6]]”.

Ballard profère ainsi, dans ses fictions, des hypothèses inverses à celles émises par la doxa – l’accident de voiture est une expérience terrible, la chirurgie plastique permet d’améliorer l’apparence, etc. – puis les étaye en convoquant des savoirs reconnus et en les appliquant méthodiquement à son objet, l’engageant ainsi dans la voie divergente pour laquelle il a optée [7]. Ballard déclare écrire selon une rigoureuse démarche scientifique :

The writer’s job, and the science-fiction writer’s job in particular, is to approach the subject matter of ordinary lives the way a scientist approaches his subject matter, nature. You know, one devises some sort of hypothesis and then applies it to one’s material, to one’s subject matter, and tests it to see whether the hypothesis is correct. I mean, the thing I did in my novel Crash, where I took an apparently absurd — well, terrifyingly absurd — idea, that car crashes might conceivably have a beneficial role, and tested that against the reality that people were actually experiencing. It seems to me that it may well be the case, in some strange way, that my hypothesis is correct. It’s the hypothesis that fits the facts. That’s just one example. But I think the writer’s role now is much more investigative. [… So the writer of SF’s job is] speculative and investigative. He’s approaching his subject matter exactly like a scientist now. I mean, I can see that fiction is a branch of neurology. It’s a branch of all kinds of sciences. It’s become now wholly investigative [8]

Ballard fait du roman le terrain d’expérimentation de toutes les hypothèses qui lui viennent en tête ; à partir d’une observation générale de la société, il tente d’en explorer toutes les facettes laissées en friche, tous les cas de figure possibles mais souvent écartés pour des raisons morales. De cette manière, comme l’indique clairement Donald Bruce, le roman, pour Ballard, est un laboratoire [9] :
La notion de laboratoire est un élément central de la narration : que ce soit comme métaphore, espace physique, thématique ou élément discursif, elle revient constamment. Tout comme des Esseintes dans À rebours, les personnages dans ce roman sont engagés dans une sorte d’expérience (sinon scientifique du moins une expérience qui possède sa propre logique) : l’espace de l’expérience est encore une fois le corps humain, sauf que cette fois cet espace connaît une extension technologique grâce à la voiture [10].

La plupart des hypothèses à l’origine de Crash se rapportent en effet au corps [11], qui est décrit en termes cliniques et abordé du point de vue technique. Ballard utilise un “medical and pseudo-medical jargon [12]”, comme il désigne lui-même son écriture, pour créer des effets cocasses et/ou dérangeants, pour appréhender le corps d’une manière inédite. L’acmé d’une telle subversion du discours scientifique est atteinte lorsque dans un trio de nouvelles particulièrement corrosives : “Princess Margaret’s Face Lift”, “Mae West’s Reduction Mammoplasty” et “Queen Elizabeth’s Rhinoplasty [13]”, Ballard recopie directement des extraits issus de manuels de chirurgie plastique en remplaçant les termes « le patient » par « Mae West » ou par « the Queen ». Cela donne des résultats souvent hilarants : 

The incisions. Bilateral vestibular incisions were made through the lining of the lateral wall, placed between the alar cartilage and the lateral cartilage. These incisions were carried forward over the apex of each of Her Majesty’s nostrils and met centrally at another incision made by transfixing the septum just below the lower border of its cartilage [14].

Ballard, dont la préoccupation pour les sciences ne s’est guère tarie après l’abandon de ses études médicales, se décrivait comme un grand consommateur de littérature scientifique :
I have always been a voracious reader of what I call invisible literatures — scientific journals, technical manuals, pharmaceutical company brochures, think-tank internal documents, PR company position papers — part of that universe of published material to which most literate people have scarcely any access but which provides the most potent compost for the imagination … [15]

Dans le cadre des trois pastiches de The Atrocity Exhibition, il se réfère à des découvertes toutes récentes dans le domaine de la chirurgie plastique. En effet, si la rhinoplastie « royale » existait avant l’ère chrétienne et n’a pas connu beaucoup de modifications jusqu’aux grands développements de la Première Guerre mondiale, dès le milieu des années 1960, les techniques de chirurgie nasale se perfectionnent. Les chirurgiens modernes reprennent notamment les « greffes cartilagineuses prélevées sur la cloison » inventées par Passot au début des années 1930 et améliorent « la voie columellaire » qu’avait proposée Rethi dès 1933 [16], ce qui permet d’envisager une avenue esthétique pour cette opération auparavant seulement plastique. Ce sont toutefois le lifting et la mammoplastie qui sont les grandes inventions chirurgicales des années 1960. En ce qui concerne les liftings, c’est en 1974 que se tient un congrès qui révolutionnera le domaine ; les experts qui y sont réunis décident d’entamer un retour aux « bases anatomiques de la chirurgie plastique ». Plusieurs articles liés aux recherches en cours avaient toutefois été publiés avant cette date clé. Ballard a vraisemblablement suivi de près l’actualité chirurgicale au moment de la rédaction de ses nouvelles. La première intervention mammoplastique est pratiquée en 1962 : « Après les échecs des transplantations graisseuses ou dermograisseuses et de nombreuses tentatives de mise en place de divers matériaux (dont le verre, le celluloïd, différentes matières plastiques), la mise au point par F. Gerow et T. Cronin d’une prothèse formée d’une enveloppe de silicone et contenant un gel de la même matière est un progrès considérable. » Cette pratique (et ses praticiens) fera fortune.

En reprenant le discours scientifique obscur que plusieurs organes médiatiques reconduisent, dans une démarche vainement érudite ou purement publicitaire, et en l’attachant à des personnalités publiques, dont la vie est, depuis quelques années à peine, disséquée et analysée dans les médias, Ballard se moque de la récente frénésie qui a cours à la fois autour des chirurgies et de la célébrité, du « star-system » qui a contaminé l’Europe depuis peu. Ces deux éléments fascinatoires participent à la fois à et de l’« anatomisation » de l’être : ils impliquent l’exposition au grand jour de parties du corps, qui étaient auparavant dissimulées ou peu considérées [17]. Pourtant, dans bien des cas, l’exhibition du corps ainsi démembré le rend de plus en plus abstrait, le fait disparaître. Trop de corps annihile le corps. Ballard se gausse donc de l’autorité du discours scientifique qui est censé dicter les nouvelles formes du corps, les révéler au monde, alors qu’il les anéantit bien souvent. Dans les notes rajoutées lors de la réédition de son recueil, Ballard commente ainsi ce phénomène, tout en expliquant sa démarche de pasticheur : “[It’s] as if the literature and conduct of science constitute a vast dormant pornography waiting to be woken by the magic of fame [18].”

Dans Crash, l’auteur de science-fiction britannique va encore plus loin. Plutôt que de pointer l’inanité du discours scientifique tout en critiquant ce qu’il implique, Ballard dénonce la toute-puissance dont sont alors dotés les scientifiques, par le prestige que leur accordent leurs contemporains qu’impressionnent leurs prouesses et par le pouvoir même que leur donnent leurs découvertes impressionnantes. Suivant la démarche précédemment exposée, Ballard part de l’hypothèse contraire au discours hégémonique de son époque : et si, plutôt que de guérir ou d’embellir comme tous et tout le portent à croire, les chirurgies plastique et esthétique pouvaient servir à mutiler volontairement, pouvaient être employées par un sadique qui jouirait des blessures d’autrui, voire de ses propres plaies ? C’est en partie sur cette interrogation inquiétante qu’il assied son récit. Le Dr Vaughan se sert de l’information des manuels qu’il a subtilisés à l’hôpital d’Ashford et, surtout, des illustrations qu’ils contiennent pour établir les paramètres d’un questionnaire morbide, visant à parfaire son « Projet Liz Taylor » : “I watched him matching the details of her body with the photographs of grotesque wounds in a textbook of plastic surgery” (C, 8). Il ouvre également la conscience du narrateur sur le potentiel érotique des blessures : “During the next few days my orgasms took place within the scars below her breast and within her left armpit, in the wounds on her neck and shoulder, in these sexual apertures formed by fragmenting windshield louvres and dashboard dials in a high-speed impact” (C, 179). “Ballard” en vient lui aussi à imaginer une série de plaies, à désirer mutiler le corps d’inconnus et de proches :

« I visualized, as Vaughan had taught me, the accidents that might involve the famous and beautiful, the wounds upon which erotic fantasies might be erected, the extraordinary sexual acts celebrating the possibilities of unimagined technologies. […]I visualized my wife injured in a high-impact collision, her mouth and face destroyed, and a new and exciting orifice opened in their perineum by the splintering steering column, neither vagina nor rectum, an orifice we could dress with all our deepest affections. […]I visualized the body of my own mother, at various stages of her life, injured in a succession of accidents, fitted with orifices of ever greater abstraction and ingenuity, so that my incest with her might become more and more cerebral, allowing me at last to come to terms with her embraces and postures. I visualized the fantasies of contended paedophiliacs, hiring the deformed bodies of children injured in crashes assuaging and irrigating their wounds with their own scarred genital organs, of elderly pederasts easing their tongues into the simulated anuses of colostomized juveniles. » (C, 179-180)

Dans ce roman-culte, le personnage du docteur est donc l’initiateur de l’emploi occulte des sciences, un régulateur pratiquement sadien par l’exhaustivité des combinatoires qu’il explore imaginairement et, parfois, concrètement. Son savoir lui permet de dévoiler les troublantes “possibilities of unimagined technologies”. Ces anticipations inquiétantes peuvent être lues comme un avertissement, d’après l’introduction à l’édition française que Ballard a rédigée après avoir lui-même survécu à un grave accident de voiture et avoir essuyé maintes critiques virulentes : “the ultimate role of Crash is cautionary, a warning against that brutal, erotic and overlit realm that beckons more and more persuasively to us from the margins of technological landscape [19]”. Un esprit un peu plus ouvert, un peu moins moral, un peu plus sensible à l’humour de Crash pourrait aussi croire à la parodie férocement ironique d’une idéologie larvée dans le fétichisme de la figure d’autorité médicale.

Ballard n’était toutefois pas un chirurgien, ne connaissait vraisemblablement qu’en surface cette discipline. Sa pratique scripturale, en ce qui concerne le détournement des savoirs relatifs au domaine chirurgical, est donc similaire à celle de Vaughan, se limitant à l’emprunt pour pastiche ou pour parodie. Là où il y a une réelle interaction entre les savoirs des années 1970 et leur mise en texte par Ballard et où une lecture épistémocritique de son œuvre devient pratiquement inévitable, c’est lorsque le Road Research Laboratory est impliqué. C’est en 1973, moment où l’hécatombe automobile atteint son paroxysme en Europe occidentale, que J. G. Ballard publie le roman-culte Crash, apogée littéraire de la mythification de l’accident de la route.

Partout en Amérique et en Europe, le rêve motorisé tourne au cauchemar lorsque les statistiques deviennent vertigineuses et que chaque mois apporte son lot de personnalités publiques gravement accidentées sinon tuées sur le coup par les accidents de la route. L’Angleterre frôle depuis plusieurs décennies le sommet du palmarès européen. En 1970, plus de 100 000 personnes sont blessées ou tuées par un accident de voiture [20], au nombre desquelles 7499 personnes perdent la vie dans un impact routier (il y roule alors moins de 1.5 million de voitures), ce qui situe l’Angleterre au quatrième rang du taux de mortalité routière annuelle, derrière l’Allemagne, la France et l’Italie [21]. La sécurité routière, dont les technologies sont encore à l’état embryonnaire avant le début des années 1960, devient donc une préoccupation quotidienne pour les contemporains.
L’historiographie de la recherche en sécurité routière mérite d’être convoquée pour l’analyse épistémocritique de Crash. En effet, de 1957 à 1964, Ballard travaille en tant qu’assistant éditeur et rédacteur occasionnel pour le journal scientifique Chemistry and Industry, tout en s’essayant parallèlement à publier ses premières nouvelles de science-fiction [22].

De cette manière, non seulement il a pu visiter des laboratoires et des instituts de recherche, dont, presque inévitablement, le R.R.L. (qui était situé à quelques kilomètres à peine des bureaux de Chemistry and Industry), mais il a été en relation intime avec les plus récentes découvertes scientifiques et techniques pendant plus de cinq ans. Et, comme il l’affirme lui-même, Ballard a pu glaner énormément d’information de première main et de dernière actualité au sein de la revue où il travaillait. Mike Bonsall, qui a accompli un impressionnant travail d’investigation, a publié récemment sur Internet tous les articles signés par Ballard. Comme il le remarque dans sa courte introduction à l’anthologie des “C&I Reviews”, la nécessaire rigueur du style scientifique et les thèmes qui étaient abordés dans le cadre de la revue “codified the tropes Ballard was to return to throughout his subsequent writing career — the scientific, technical and imaginative motifs that shape the very essence of what we’ve come to know and love as ‘Ballardian’ [23]”. L’auteur britannique en devenir y rend compte, entre autres, de plusieurs dictionnaires de termes techniques et scientifiques et y présente la nouvelle édition du Thesaurus de Roget, ce qui explique en grande partie l’acuité du ton scientifique des docteurs de Crash et la qualité des pastiches médicaux de The Atrocity Exhibition. Il y commente également Writing a Technical Paper, un ouvrage “intended to be of practical assistance to the graduate scientist, student or technical writer preparing a scientific paper or report”, selon les termes de Ballard lui-même, qui a dû se servir des conseils et méthodes proposés par son auteur pour consolider son style scientifique [24].
Un compte rendu de visite au Road Research Laboratory a paru anonymement dans Chemistry and Industry le 6 juin 1963, au moment où Ballard était encore en poste.

Sans affirmer présomptueusement qu’il en est l’auteur, il est possible de supposer qu’il l’ait au moins révisé, du fait de son emploi d’assistant éditeur. Cet article, accompagné de trois photographies dont une du circuit de tests extérieurs [25], propose entre autres que “injuries sustained by a driver and his passengers will be less severe if they are not aggravated by impact with parts of the inside of the vehicle and by distortion of parts of the body and seat frames [26]”. Plusieurs réflexions du narrateur et, surtout, le questionnaire créé par Vaughan font écho à ce discours émis par des spécialistes de la sécurité routière, à la différence près que ces observations similaires ne conduisent pas aux mêmes conclusions :
« In several of the photographs the source of the wound was indicated by a detail of that portion of the car which had caused the injury : beside a casualty ward photograph of a bifurcated penis was an inset of a handbrake unit ; above a close-up of a massively bruised vulva was a steering-wheel boss and its manufacturer’s medallion. These unions of torn genitalia and sections of car body and instrument panel formed a series of disturbing modules, units in a new currency of pain and desire. » (C, 134)

En effet, si l’article du C&I s’ouvre sur la possibilité que “some vehicles can be modified for the safety of their occupants”, Vaughan entend plutôt favoriser les conditions potentiellement accidentelles des déplacements motorisés. Lorsqu’il fait remarquer à “Ballard” que “the technology of accident simulation at the R.R.L. is remarkably advanced. Using this set-up they could duplicate the Mansfield and Camus crashes – even Kennedy’s – indefinitely”, ce dernier lui rétorque que “they’re trying to reduce the number of accidents here, not increase it”. Le docteur déviant lui répond alors avec un cynisme décapant : “I suppose that’s a point of view” (C, 123-124).

Son « point de vue » est tout à fait conforme à l’hypothèse de départ du récit, qui inverse les présupposés doxiques sur ce sujet : “It is clear that the car crash is seen as a fertilizing rather than a destructive experience, a liberation of sexual and machine libido, mediating the sexuality of those who have died with an erotic intensity impossible in any other form [27].”
Suivant la démarche ballardienne, cette hypothèse inversée est étayée par une solide démonstration qui convoque plusieurs savoirs généralement détournés de leurs usages traditionnels. Pour ce qui est de l’accident automobile conçu à rebours par Ballard, ce sont les nouveautés techniques du R.R.L. qui sont perverties dans Crash. Dans l’histoire de la recherche sur la sécurité routière, ce sont d’abord les cadavres qui ont servi de cobayes [28]. Pour des raisons éthiques (le tabou sur la mort, l’illégalité d’employer des cadavres d’enfants, etc.) et physiologiques (le rigor mortis) évidentes, les concepteurs des tests ont dû trouver d’autres solutions.

Dès le milieu des années 1950, des animaux (surtout des porcs) ont remplacé les cadavres, avec tous les problèmes éthiques que chacun peut imaginer (cela n’a toutefois pas empêché la firme GM de perpétrer des crash-tests sur des animaux jusqu’en 1993). Quelques chercheurs convaincus et particulièrement éthiques comme le Colonel John Paul Strapp ou le professeur Lawrence Patrick ont joué eux-mêmes, au péril de leur vie, les “crash-test dummies”. Cela n’est pas sans rappeler la méthode « volontaire » de Vaughan et des membres de son groupe, du cascadeur Seagrave en particulier, qui essaient constamment sur leur propre personne les configurations accidentelles qu’ils imaginent, en étudiant les améliorations possibles pour l’absolue réussite du « Projet » : “I found him on the lower deck of the airport flyover after the first rehearsal of his own death. […] Vaughan sat on the glass-covered seat, studying his own posture with a complacent gaze” (C, 9 ; je souligne). Le narrateur, pour sa part, se compare littéralement à un dummy : “[She was] arranging my legs as if I were some huge jointed doll, one of those elaborate humanoid dummies” (C, 40).
Dès 1949 apparaissent des simulacres humains, dont le célèbre « Sierra Sam », conçu par le laboratoire Anderson (ARL). En 1970, Sierra Sam, devenu Sierra Stan, sera doté d’une famille : Sierra Susie, sa femme, Sierra Saul, leur fils adolescent, little Sierra Sammy, 6 ans et Sierra Toddler, 3 ans. Lors de sa visite au R.R.L., “Ballard” est frappé par les dénominations fantasques des dummies employées par le commentateur du test, appellations qui sont similaires à celles de la famille Sierra : “Over the loudspeaker system the commentator, a senior principal scientific officer, welcomed the guests to this experimental crash and jocularly introduced the occupants of the car – « Charlie and Greta, imagine them out for a drive with the kids, Sean and Brigitte… »” (C, 122). Une intensification des travaux sur la série des Hybrid chez GM coïncide avec la rédaction du roman ; en 1973, année de la publication de Crash, paraît finalement le modèle Hybrid III. [29]

Ce type de dummy, comme d’ailleurs plusieurs autres de compagnies concurrentes, est entièrement vêtu de jaune lors des crash-tests et est couvert de symboles, particulièrement sur la tête et les genoux (les deux parties du corps les plus fréquemment accidentées), qui visent à indiquer les blessures à venir afin d’aider les chercheurs lorsque les séquences au ralenti des expérimentations sont étudiées par la suite.
Dans Crash, les ingénieurs du R.R.L. procèdent de la même manière : “Already the anticipated injuries they would suffer had been marked on their bodies ; complex geometric shapes in carmine and violet zoned across their faces and thoraxes” (C, 122). Plus encore, le questionnaire élaboré par Vaughan fonctionne de façon similaire : “The photographs of Jayne Mansfield and John Kennedy, Camus and James Dean had been marked in coloured crayons, pencil lines circled around their necks and pubic areas, breasts and cheekbones shaded in, section lines across their mouths and abdomens” (C,135). Vaughan et “Ballard” visionnent également des “slow-motion films of test collisions that he had photographed with his cine-camera” (C,10). L’une de ces séquences a été tournée lors de la visite au R.R.L. que Helen Remington leur a permis de faire.
C’est également en 1973 que s’est tenue la première convention internationale, organisée par GM, où les experts du monde entier ont discuté des caractéristiques psychologiques des réponses humaines aux impacts des accidents routiers. Lors des colloques précédents, les spécialistes s’étaient essentiellement intéressés aux blessures, avaient focalisé leurs analyses sur le plan physique des traumatismes causés par un accident de voiture. L’innovation de la convention GM de 1973 réside dans le fait que les organisateurs ont choisi d’investiguer les diverses manières dont les gens réagissent lors des crashs. Au moment même où Ballard écrivait sa psychologie fictionnelle des accidents de la route, les experts en la matière se penchaient justement pour la première fois sur les impacts psychologiques des accidents de voiture.

Au moment de sa parution, le roman de Ballard a créé un remous sans précédent dans le domaine de la science-fiction. Des critiques littéraires se sont indignés, d’autres ont acclamé, plusieurs se sont affrontés, s’injuriant à qui mieux mieux. Ce roman-culte est sans contredit provocateur. Cependant, plus que la froide sexualité dont tout érotisme est absent, plus que la mentalité tordue des personnages qui a engendré de vains dilemmes moraux chez les exégètes ballardiens, ce qui est probablement le plus choquant dans Crash est le détournement systématique des savoirs qui tiennent le haut du pavé discursif lors de sa publication. Par la mise en scène de docteurs à la logique déviante qui expérimentent les possibilités « invisibles » – Vaughan les caractérise ainsi à maintes reprises – des dernières découvertes techniques et scientifiques du moment, comme la chirurgie plastique réputée bienfaisante et les savoirs rassurants de la sécurité routière, Ballard propose un état d’une société donnée, soit l’Angleterre des années 1960 et des jeunes années 1970, une Angleterre à la fois fascinée et terrorisée par les pouvoirs que détiennent les savants de l’heure, par les virtualités qui se trouvent sur les nouvelles avenues qu’ils débroussaillent loin devant elle. En révélant les dangers potentiels, le « côté obscur » de la science, il traduit les angoisses, fantasmagories et obsessions de son époque. Plusieurs l’ont pris à la lettre. Mais la mise en fiction complètement hallucinatoire que fait Ballard de ces savoirs subvertis, avec l’humour qu’on lui reconnaît trop peu, dénote plutôt qu’un cri d’alarme une critique de la soumission naïve de nombre de ses contemporains face aux sarraus blancs.

ps:

Claudia Bouliane est étudiante à l’université de Montréal. Elle rédige actuellement un mémoire sous la direction de Pierre Popovic : « Décombres de l’avenir et projets rudéraux : les métamorphoses de Paris chez Verne, Hugo et Zola ». Elle est l’auteure de l’article « Cartographie thématique d’un corpus artefactuel : les Goncourt (1958 – 1981) », dans POPOVIC, Pierre et Claudia BOULIANE (dir.), « La Ve République des Goncourt : Actes du colloque », Discours social, vol. XXX, septembre 2008. Elle publiera sous peu l’article « De la poétique des ruines à la politique des ruines », dans HAMEL, Yan et Olivier PARENTEAU (dir.), « Littérature et société : l’École de Montréal », Spirale, à paraître à l’automne 2008. Compte rendu critique de FOURNIER, Éric, Paris en ruines, du Paris haussmannien au Paris communard, Paris, Imago, 2007.

ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE

notes:

[1] James Graham Ballard. Crash, New York, Picador, 1973.

[2] Afin de distinguer clairement l’auteur du narrateur, le nom du second sera mis entre guillemets anglais.

[3] Une infirmière qui s’est brièvement chargée des rayons X de la jambe de “Ballard” lui a inspiré une réflexion semblable : “Like all laboratory technicians, there was something clinically sexual about her plum body in its white coat” (C, 40).

[4] Les corps des autres employés de l’hôpital sont également qualifiés de “strong”. De cette manière, le bras de la même infirmière qui s’était occupée des rayons X est ferme : “Her strong arm steered me around” (C, 40).

[5] J. G. Ballard. The Atrocity Exhibition, San Francisco, Re/Search Publications, [1970] 1990, p. 94.

[6] Jean Baudrillard. « Ballard’s Crash » (in « Two Essays », translated by Arthur B. Evans), Science-Fiction Studies, 18.3 (55), 1991, p. 309-320.

[7] Cette méthode subversive serait à rapprocher de celle de nombreux artistes s’inscrivant dans le courant du Pop Art, dont se réclame notamment Ballard. D’autant plus que ce dernier reproduit dans sa prose certains procédés mécaniques similaires à ceux qu’emploient des créateurs pop, spécialement Andy Warhol dont le nom revient à plusieurs reprises dans les fictions de l’auteur britannique. En 1970, Ballard a lui-même organisé une exposition pop de voitures crashées au New Arts Laboratory à Londres. Lors de cet événement artistique intitulé “Crashed Cars”, les véhicules accidentés étaient exposés sans commentaires, ce qui a inspiré des critiques violentes et même du vandalisme.

[8] “How To Face Doomsday Without Really Dying”. Entrevue inédite enregistrée par Carol Orr en 1976. La retranscription de la cassette originale a été faite par David Pringle et par Rick McGrath. Ce dernier en a publié le texte.

[9] En plus d’être un laboratoire romanesque, Crash met en scène de nombreux laboratoires, de l’hôpital où se retrouvent “Ballard” et Helen Remington et où tous deux rencontreront Vaughan pour la première fois au laboratoire de recherche que Vaughan fait installer chez Seagrave pour mener à bien son « Projet Liz Taylor ».

[10] Bruce, op. cit., p. 135.

[11] Dans le cadre restreint de cette étude, je me pencherai uniquement sur quelques exemples de savoirs précis reliés au corps et détournés par Ballard. Sur le corps ballardien en général, voir l’excellent article de Paul Youngquist : « Ballard’s Crash-Body », Postmodern Culture : An Electronic Journal of Interdisciplinary Criticism, 11.1, 2000 et l’ouvrage très stimulant de Andrzej Gasiorek :J.G. Ballard, Manchester, Manchester University Press, 2005.

[12] James Goddard et David Pringle. J. G. Ballard, the first twenty years, Hayes, Bran’s Head Books Ltd, 1976, p. 15.

[13] J. G. Ballard. The Atrocity Exhibition, op. cit.

[14] AE, p. 117.

[15] J.G. Ballard. “The Pleasures of Reading”, A User’s Guide to the Millennium, New York, Picador USA/St. Martin’s Press, 1997, p. VI.

[16] Ces notions chirurgicales ainsi que celles qui suivent proviennent toutes de l’article très complet « Chirurgie esthétique et histoire » de J. Glicenstein, Annales de Chirurgie Plastique Esthétique, Paris, vol. 48, n° 5, novembre 2003, p. 257-272.

[17] De plus, ces deux phénomènes sont intrinsèquement liés par leur histoire : « Jusqu’à la 2e guerre mondiale, peu de femmes se plaignaient de la petite taille de leurs seins. Seules les ptôses et les vraies hypoplasies étaient l’objet de consultation. Les canons de la beauté semblaient privilégier les seins de volume modéré : tableaux, statues, photographies des revues déshabillées très en vogue dans les années d’avant guerre ne montrent jamais de fortes poitrines. C’est pendant la guerre avec les ‘pin-up girls’ qu’affichaient les G. I., avec le film The Out-Law où Jane Russel montrait un décolleté avantageux qui affola les ligues de vertu, qu’apparaît le mythe de la ‘sweater girl’ dont les formes abondantes devinrent un modèle pour beaucoup de femmes. » Glicenstein, op. cit., p. 268.

[18] J. G. Ballard. Op. cit., p. 111.

[19] J. G. Ballard, cité dans N. Katherine Hayles. “The Borders of Madness” in “In Response To Jean Baudrillard”, Science-Fiction Studies, n°55, vol. 18, novembre 1991, p. 322.

[20] Selon un document officiel.

[21] Source : IRTAD – International Road Traffic and Accident Database.

[22] Je suis redevable pour l’information portant sur la carrière éditoriale de Ballard à l’enquête de Mike Bonsall, “J.G. Ballard’s Experiment in Chemical Living] . En plus de ses activités officielles, il cumulait au sein de cette entreprise une multitude de tâches, allant de la rédaction de comptes rendus au choix des publicités, en passant par la correction d’épreuves. Dans un documentaire de la BBC tourné en 1990, Ballard décrit ainsi son travail au journal :
« I did all the basic subbing, marking copy up for the typesetter … doing make-up and paste-up … I used to go on works visits, visits to laboratories and research institutes. I wrote a few articles — scientific reporting — and I reviewed scientific books […] Chemistry & Industry […] was a good place to work because, of course, the office of any scientific magazine is the most wonderful mail drop. It’s the ultimate information crossroads. Most of it went straight into the wastepaper basket, but en route I was filtering it like some sort of sea creature sailing with jaws open through a great sea of delicious plankton. I was filtering all this extraordinary material »[[J.G. Ballard (“Shanghai Jim”, BBC documentary, dir. James Runcie, 1990), cité dans M. Bonsall, op. cit.

[23] Mike Bonsall. “Chemical Appendix : The Complete C&I Reviews”, article publié sur le site http://www.ballardian.com.

[24] J.G. Ballard. “Writing a Technical Paper”, Chemistry and Industry, le 16 juin 1962. Cet article a été publié dans M. Bonsall, ibid.

[25] Celles-ci sont également reproduites dans le compte rendu d’enquête de Bonsall.

[26] Cet extrait est cité dans Bonsall, ibid.

[27] Cette assertion provient en fait de la nouvelle “Crash !”, écrite en 1968 et publiée en 1970 dans le recueil The Atrocity Exhibition. Celle-ci contient la version plus brute du roman. La phrase ici citée synthétise plusieurs idées exprimées plus longuement dans Crash.

[28] Les informations citées dans cette partie proviennent en majeure partie de l’article « The History of Crash Test Dummies », GM Press Release March 19, 1997. Pour les découvertes de dernière actualité au moment de la rédaction et de la publication de Crash, je me suis référée à l’article « Past Dummies : 1970 – 1973 » publié par le FTSS : First Technology Safety Systems et diffusé sur leur site.

[29] Ce modèle va demeurer plus ou moins inchangé sur le marché pendant près de vingt ans.

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